Confiance dans la vie politique (Nouvelle lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour la confiance dans la vie politique.
Discussion générale
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Vous êtes saisis en nouvelle lecture du projet de loi organique sur la confiance dans la vie politique, la CMP n'ayant pas trouvé d'accord.
Mme Isabelle Debré. - Dommage !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Les positions des deux assemblées étaient en effet difficilement conciliables sur la suppression de la réserve parlementaire, proposée par le Gouvernement ; mais ce point, aussi emblématique soit-il, ne résume pas le texte. Déclaration de patrimoine du chef de l'État, déclarations d'intérêts des candidats à la présidence de la République, contrôle de la régularité de la situation fiscale des parlementaires, incompatibilités en matière d'activité de conseil, droit de communication élargi de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sont autant d'avancées sur lesquelles les deux chambres ont trouvé un accord. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont su trouver des voies de convergences sur le projet de loi ordinaire, qui a été voté définitivement.
Reste la question de la réserve parlementaire, qui nous renvoie à une question de principe. Les débats n'ont pas été médiocres, au contraire. Pour le Gouvernement, la suppression de la réserve correspond à une exigence de clarté. Cette pratique soulève des questions légitimes. Les parlementaires, élus de la Nation, doivent-ils continuer à octroyer des subventions - fût-ce de façon plus transparente, comme c'est le cas depuis une période récente ? (Murmures à droite) Cela correspond-il réellement à leur office ? N'y a-t-il pas là un décalage avec la volonté de recentrer les parlementaires autour de leurs fonctions constitutionnelles : voter la loi, contrôler le Gouvernement, évaluer les politiques publiques ?
Autre corollaire : quel rapport le parlementaire doit-il entretenir avec le territoire où il est élu ? Certains ont argué que sans réserve parlementaire, les parlementaires seraient « hors-sol ». Rien à voir ! (Exclamations à droite et au centre)
M. Guy-Dominique Kennel. - On voit que vous n'avez jamais été parlementaire !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Le parlementaire serait dès lors coupé de ses électeurs, de la réalité du territoire ? Le prétendre serait nier le travail que les parlementaires accomplissent sur le terrain !
Doit-on conserver une pratique qui contourne les règles constitutionnelles par la voie coutumière ?
La pratique a l'apparence de la rigueur : en théorie, le parlementaire ne formule que des propositions, que le Gouvernement est libre de suivre ou non. Mais personne n'est dupe. Jean-Louis Bourlanges, à l'Assemblée, a ramené la question à celle de savoir si les parlementaires exerçaient un pouvoir budgétaire collégial ou, de façon individuelle, un pouvoir fragmenté, et plaidé pour la première hypothèse. C'est la position du Gouvernement, réaffirmée hier par l'Assemblée nationale.
Le Gouvernement ne méconnaît pas vos préoccupations sur le financement des communes rurales, des associations, des Français de l'étranger. Je sais, pour l'avoir pratiqué au niveau local, que la réserve parlementaire permet de boucler des projets.
Mais sa suppression n'est en aucun cas un moyen inavoué de faire des économies sur le dos des collectivités ou des associations. La question du financement devra être abordée lors du débat budgétaire ; la commission des finances de l'Assemblée nationale a déjà annoncé un groupe de travail sur les postes financés jusqu'ici par la réserve.
Plutôt que de se livrer à un tour de passe-passe en projet de loi de finances, le Gouvernement a fait le choix de la clarté en demandant au Parlement de débattre de la suppression de la réserve. Ses espérances ont été comblées !
En CMP, le président rapporteur Philippe Bas a contesté la constitutionnalité de l'article 9 au motif qu'il contraindrait le Gouvernement dans son droit d'amender le projet de loi de finances, qu'il ne serait pas normatif ou encore que le dispositif ne serait pas de nature organique. Or le Gouvernement et l'Assemblée nationale s'en sont tenus strictement à l'avis du Conseil d'État.
Celui-ci est très clair. Il fallait passer par la loi organique pour supprimer les dispositions de l'article 54-9 de la LOLF sur la publication des subventions au titre de la réserve. Il fallait aussi que la suppression de la réserve puisse être actée dans la loi organique. Le Gouvernement avait envisagé de modifier la LOLF pour ce faire, mais le Conseil a proposé une disposition organique ad hoc. C'est celle qui a été présentée dans le texte initial et votée par l'Assemblée nationale.
Votre rapporteur a estimé, avec finesse, que la constitutionnalité du dispositif était fragile au motif qu'il violerait le droit d'amendement du Gouvernement ou qu'il n'aurait pas de portée normative. Or les articles 34 et 47 de la Constitution renvoient explicitement à une loi organique la fixation des conditions de présentation et d'examen des lois de finances. De même, aux termes de l'article 44, le droit d'amendement des parlementaires et du Gouvernement s'exerce dans un cadre déterminé par une loi organique. La décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 2009 le confirme. Celle du 19 janvier 2006, relative à la règle de l'entonnoir, ne me paraît en revanche pas mobilisable à l'appui de l'argument avancé par le rapporteur.
Le Gouvernement est donc bien fondé à insérer cette disposition dans une loi organique pour interdire une convention contraire à l'esprit de l'article 40 - comme le rappelle le Conseil d'État.
Quant à la normativité du dispositif, elle ne fait aucun doute ; dans le cas contraire, il aurait suscité beaucoup moins de débats !
Je n'utiliserai pas l'argument du clientélisme, ni même ce vocabulaire. Car la question, selon moi, ne se pose pas ainsi...
Mmes Catherine Troendlé et Isabelle Debré. - Très bien !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - ... mais la pratique a créé de la confusion sur le rôle du parlementaire. Or les Français souhaitent de la clarté.
Le vote de la loi organique couronnera le travail accompli dans la loi simple avec la volonté de respecter les engagements pris devant les Français et, par cet acte de confiance, d'ouvrir un nouveau rapport à l'action politique.
Je remercie chacun d'entre vous pour sa contribution et plus particulièrement le président Bas pour son sens de l'écoute et la force de ses convictions. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, Union centriste et RDSE)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois . - Au terme de plusieurs semaines de travaux, je me félicite que le Gouvernement et l'Assemblée nationale aient retenu l'essentiel des propositions du Sénat, sur la quasi-totalité des domaines à notre examen : attestation fiscale d'entrée en fonction des parlementaires, prise en charge des frais de mandat, incompatibilités, médiateur du crédit... Nos propositions cherchaient à conjuguer les exigences de rigueur et de souplesse ou, sur les emplois familiaux, les préoccupations sociales.
Nous avons étendu aux ministres les obligations faites aux parlementaires et chefs d'exécutifs locaux. Nous avons obtenu satisfaction en CMP, sur les règles de déport, sur les emplois familiaux des membres du Gouvernement, sur la consultation de la HATVP... Le Gouvernement, d'abord ombrageux, a compris, dans le dialogue avec sa propre majorité, qu'il était malvenu de stigmatiser une catégorie de responsables politiques.
Nous nous sommes opposés à l'habilitation à créer par ordonnance une banque de la démocratie - dont le Gouvernement se dit incapable de préciser les contours et qui nous semble porter un risque d'atteinte à l'égalité entre partis politiques. Nous avons accepté que la disposition figurât dans la loi ordinaire - avec la conviction que le Conseil constitutionnel la censurera et en précisant que l'ordonnance n'entrera en vigueur que lorsque nous nous serons prononcés : c'est une garantie supplémentaire.
La réserve parlementaire, enfin.
Sa suppression est une nouvelle étape dans la rupture du lien entre la représentation nationale et les territoires, après l'interdiction du cumul des mandats et avant l'introduction de la proportionnelle. C'est la conséquence d'une doctrine : pour vous, les parlementaires doivent être tout à leur mission de législation et de contrôle, et abandonner toute responsabilité vis-à-vis de leur territoire d'élection. Leur rôle d'intermédiaires entre la population et un État tout-puissant serait un vestige du passé... Certains nouveaux députés ont refusé, sous ce prétexte, d'assister à des manifestations locales.
M. Bruno Retailleau. - C'est vrai !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Cette approche éthérée, qui fait des représentants de la Nation de purs esprits, libres de toute attache avec le territoire, est délétère et irréaliste. Nous la combattons, nous qui défendons les collectivités territoriales et, je le dis avec gravité, la démocratie. Les Français ont besoin de parlementaires proches d'eux, des médiateurs face à l'État qui est souvent le pot de fer de la fable...
M. Bruno Retailleau. - Le Léviathan !
M. Philippe Bas, rapporteur. - C'est dans cette proximité que les élus puisent l'expérience des réalités sans laquelle il n'est de bonne loi ni de contrôle indépendant du Gouvernement. Nous combattons l'instauration d'un régime de démocratie d'opinion, ouverte à tous les vents, qui serait un jour balayée par les vents mauvais de l'extrémisme.
M. Christian Cambon. - Très bien.
M. Philippe Bas, rapporteur. - La démocratie s'enracine dans la vie des territoires, et ce sont ces racines qu'on est en train de couper ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Je suis contrarié de l'hypocrisie à l'oeuvre dans ce débat. Considérer que la mission du parlementaire doit le tenir éloigné des préoccupations locales, c'est pire encore que l'accusation de clientélisme, facile à écarter. La réserve est légale, transparente, accessible à toutes les communes. Le Gouvernement supprime un dispositif utile mais refuse notre proposition de le remplacer par un autre encore mieux encadré. C'est un indice de plus de sa médiocre considération pour les collectivités locales, qui ne peut que susciter notre opposition.
De nombreux fonds d'intervention aux mains de l'État, en matière sportive, culturelle ou touristique, donnent lieu à des interventions de parlementaires - sans la transparence que revêt la réserve parlementaire - et profitent surtout aux parlementaires qui soutiennent le Gouvernement. Je ne vous ai pas vus vous attaquer à cette opacité-là. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et socialiste et républicain)
Votre texte, suppressif plus qu'abrogatif, manque singulièrement de substance. Soit il limite le droit d'amendement du Gouvernement, et il se heurte à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui réserve aux articles 40, 41 et 45 de la Constitution les limites au droit d'amendement, soit il n'a pas de portée normative, et c'est alors un neutron législatif auquel le Conseil constitutionnel réservera le sort qu'il mérite.
Nous userons de nos prérogatives cet automne pour que les collectivités territoriales ne soient pas les grandes oubliées de votre nouvelle République. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, Union centriste et RDSE ; Mme Delphine Bataille et M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.)
M. Alain Richard . - Ce projet de loi organique a fait l'objet d'un seul désaccord, sur un article qui a donné lieu à une abondance de déclarations quelque peu disproportionnées. En réalité, cette disposition est inachevée. Comme l'a souligné le président Bas, l'effet juridique de la phrase incriminée est ambigu. Le Gouvernement a à de multiples reprises annoncé cette mesure et promis que les fonds utiles continueraient à bénéficier aux mêmes fins d'intérêt public ; associations, Français de l'étranger, petites communes. On peut agir sur le contenu des lois de finances en modifiant la LOLF mais il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas proposé ici le dispositif de remplacement qu'il avait annoncé.
Je comprends donc que mes collègues maugréent et partage une partie de leur réserve. Mais d'un autre côté...
M. Bruno Retailleau. - ... « en même temps ! ». (Sourires)
M. Alain Richard. - ... j'entends des exclamations d'autosatisfaction qui convainquent peu en dehors de cet hémicycle. Ce qui porte à critique, c'est le caractère individuel, personnel de la décision d'attribution. La réserve parlementaire, pour être mieux défendue, aurait dû prendre un caractère collégial et délibératif, comme le pratiquent certains collègues, et non discrétionnaire.
J'ai écouté avec respect la dénonciation tendancielle d'une nouvelle République. Mais il y a une petite méprise : personne ici n'imagine que notre rôle territorial, notre fonction d'accompagnement, de soutien et de conseil, se résume à l'usage de la réserve parlementaire.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Heureusement ! Qui aurait dit le contraire ?
M. Alain Richard. - Vous-même !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Du tout !
M. Alain Richard. - Un Gouvernement maléfique, diabolique, serait en train d'arracher les racines territoriales des parlementaires ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Lui et son prédécesseur !
M. Alain Richard. - Ceci est aussi excessif qu'inopérant. De quoi parle-t-on ? Les 140 millions d'euros de la réserve parlementaire, dit le Gouvernement, nous les retrouverons. Nous avons obtenu de nombreuses avancées dans ce projet de loi organique. Le bilan est largement positif. J'observe, avec un certain sourire, qu'après tant de protestations, nous allons voter massivement pour ce projet de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe La République en marche)
M. Richard Yung. - Excellent !
Mme Éliane Assassi . - Nous examinons, un vendredi après-midi d'août, ce projet de loi organique en nouvelle lecture à cause de la seule question de la réserve parlementaire. Je le regrette et j'en impute la faute au calendrier trop resserré imposé par le Gouvernement. L'Assemblée nationale s'est prononcée hier ; comment exercer dans de telles conditions notre droit d'amendement ? Il est désolant de constater, chez les promoteurs d'un monde nouveau, un tel mépris pour le Parlement et ses travaux. Le nouveau président de l'Assemblée nationale dit vouloir se passer de séance publique ou s'en tenir à une seule lecture... Cet antiparlementarisme basique, sous les habits du renouveau politique, est tout bonnement affligeant. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Bruno Retailleau. - C'est vrai.
Mme Éliane Assassi. - Le pouvoir est concentré entre des mains de moins en moins nombreuses, alors que nous prétendons le partager avec le peuple.
Nous aurions dû reprendre l'examen de cette loi en octobre - je ne reviens pas sur l'insuffisance de l'étude d'impact. Ce texte méritait un examen approfondi, à la hauteur de la défiance qui s'exprime à chaque élection et de la colère sociale, aggravée par la loi d'habilitation - colère qui prendra de l'ampleur à l'automne, je l'espère...
M. Loïc Hervé. - Comment peut-on l'espérer ?
Mme Éliane Assassi. - Croyez-vous rétablir la confiance avec des ordonnances ? Ce n'est pas de la modernité, mais un déni de démocratie !
Nous soutenons plusieurs des mesures : le quitus fiscal pour les membres du Gouvernement et du Parlement, inspiré par l'affaire Thévenoud, ou l'encadrement strict des activités de conseil. Nous regrettons le rejet de nos amendements interdisant toute activité rémunérée pour les parlementaires et imposant la publicité des clients de ces activités. Nous proposons un véritable statut de l'élu pour une réelle représentativité et plus de diversité : fermons nos institutions aux puissances de l'argent et aux lobbies !
L'Assemblée nationale s'est prononcée pour une suppression sèche de la réserve parlementaire en 2024, le Sénat pour un dispositif aménagé, plus encadré et plus transparent, fléché vers les collectivités locales. La question de la légitimité des parlementaires à attribuer des subventions est à la fois éthique et politique : les avis divergent, y compris au sein de mon groupe où certains ont souligné le rôle vital de la réserve parlementaire pour les collectivités et les associations. Pour d'autres, dont je fais partie, elle ne saurait remplacer l'action publique. Les membres de mon groupe ont toujours utilisé la réserve parlementaire au bénéfice de l'intérêt général. Mais aucun d'entre nous ne saurait accepter ce nouveau coup porté aux territoires auxquels, rappelons-le, votre politique d'austérité va imposer une nouvelle saignée de 13 milliards d'euros. Et le Gouvernement enfonce le clou, avec le récent décret supprimant 216 millions d'euros de crédits de paiement dans la mission Relation avec les collectivités territoriales. L'association des maires ruraux parle de rupture de confiance : un comble !
C'est dans ce contexte que la suppression de la réserve parlementaire suscite les foudres des élus, d'autant que la promesse de sanctuarisation des crédits en loi de finances est bien floue.
Ce projet de loi est une occasion manquée de rétablir la confiance. C'est pourquoi le groupe CRC s'abstiendra à nouveau. « Quand la confiance est absente, la méfiance danse... » Je crains qu'elle ne danse encore longtemps. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et Union centriste ; Mme Claudine Lepage applaudit également.)
M. Gilbert Barbier . - Ce dimanche, j'assisterai à une fête patronale à Abergement-le-Grand, village de 55 âmes du Jura. Un tableau représentant le baptême du Christ, qui croupissait au fond de la sacristie, sera accroché dans l'église. Classé aux monuments historiques, il a été restauré - ô scandale ! - grâce à un apport de 746 euros de ma réserve parlementaire, sur cinq ans.
M. Christian Cambon. - Quelle honte ! (Sourires)
M. Gilbert Barbier. - J'ai choisi cet exemple parmi des dizaines de dossiers de ce type au cours d'une vie parlementaire certainement trop longue à vos yeux. (Sourires)
Même s'il y a pu y avoir des abus, faut-il pour autant supprimer ces aides qui profitent essentiellement aux communes modestes ? En les rendant publiques, le Sénat en a régulé l'utilisation. Le Sénat a proposé en première lecture un processus encore plus clair et plus contraignant. La majorité de l'Assemblée nationale s'enferre dans un dogmatisme aveugle et consternant. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) S'y ajoute le coup de rabot aux dotations, dont les communes rurales seront les premières victimes.
« L'humilité épargne les affres de l'humiliation », écrivait Bernanos. Ce texte n'est qu'un agrégat de mesures de colmatage qui reprend la ritournelle de l'antiparlementarisme, loin de la modernité attendue et promise par Emmanuel Macron.
Pas question de tourner le dos aux réformes institutionnelles qui s'imposent. En seize ans de mandat, j'ai pu constater la capacité réformatrice de notre assemblée. Dommage que nos propositions sur le pantouflage des hauts fonctionnaires n'aient pas été reprises ; il est regrettable que le débat se soit concentré sur quelques emblèmes de l'ancien monde politique et que le Gouvernement ait refusé d'approfondir le sujet de la prévention des conflits d'intérêts. De l'ambiguïté découle un affaiblissement de l'autorité...
Je salue néanmoins les travaux de la CMP qui ont restauré un certain parallélisme entre les exigences de probité imposées à l'exécutif et au législatif. La grande majorité du groupe RDSE souhaite préserver l'apport de la réserve parlementaire aux petites collectivités, qui soutient l'investissement local et garantit la réactivité. La supprimer serait une erreur. Ce texte portera-t-il ses fruits à long terme ? Il a en tout cas suscité crispations et caricatures. Vivons-nous le moment de bascule entre l'ancien et le nouveau monde politique ? D'expérience, je sais que la transformation s'inscrit dans le temps long. Il ne faut pas confondre l'écume des lois et la marée législative, disait Braudel.
L'antiparlementarisme ambiant ne peut que faire craindre le triomphe des extrêmes, quand le taux d'abstention aux législatives atteint 56,4 %...
Malgré ces réserves, la majorité du groupe RDSE votera ce texte, amélioré par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, Union centriste et RDSE)
M. Loïc Hervé . - Ce texte était attendu ; c'était un engagement de campagne du président de la République. Il était nécessaire, après les polémiques qui ont émaillé la campagne présidentielle.
Notre Haute Assemblée a travaillé dans un esprit d'ouverture et de dialogue avec le Gouvernement et l'Assemblée, pour trouver le bon équilibre entre les intentions du Gouvernement et les réalités.
Mon groupe se félicite des convergences qui ont permis l'adoption de la loi ordinaire. Il n'en a pas été de même pour la loi organique. Certes, la réserve parlementaire a pu donner lieu à des dérives, mais y voir une bourse à la corruption des grands électeurs est un mythe. L'accréditer, c'est alimenter l'antiparlementarisme. Je regrette l'attitude de la présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale : déclarer que le Gouvernement ne veut pas de la réserve, sous quelque forme que ce soit, ne saurait être un argument suffisant !
Le débat en CMP n'a pas été à la hauteur des enjeux. Quelles sont les raisons qui justifient cette obstination ? La réserve parlementaire n'est pas un instrument népotique : aucun parlementaire ne se promène dans son territoire, carnet de chèques à la main ! Modeste - 146 millions d'euros répartis entre 900 parlementaires - la réserve n'en est pas moins nécessaire. Oui, de grandes associations en bénéficient : Secours catholique, Fondation Jean-Jaurès, mais elle sert surtout à concrétiser des projets en zone rurale, des investissements si petits qu'ils ne sont éligibles à aucun autre financement.
Combien d'églises, de monuments essentiels à notre patrimoine local ont été sauvés grâce à la réserve parlementaire ?
Des efforts de transparence ont été faits : les crédits sont consultables en ligne, et beaucoup de sénateurs, dont je fais partie, rendent public leur engagement au service de tel ou tel projet local.
Comment expliquer de plus que l'on supprime des leviers d'action aux mains des élus alors que la ventilation de la DETR et du Fonds de soutien à l'initiative locale (FSIL) appartient aux préfets ? Cela en dit long sur la suspicion à notre égard...
Enfin, on voit mal à quelle disposition constitutionnelle cet article d'une loi organique se rattache ; le Conseil constitutionnel en jugera.
Les parlementaires de l'après-cumul doivent conserver un outil d'intervention propre, rénové et transparent, au service de l'investissement local et des associations. C'était l'objet du dispositif proposé par le Sénat. Nous avons trouvé des solutions, ensemble, sur la prise en charge des frais de mandat, la fin des emplois familiaux, le statut des collaborateurs parlementaires ; ne pourrait-il en aller de même ici ? Alors que nous posons la première pierre d'une réforme institutionnelle qui se poursuivra bientôt par une révision de la Constitution, je ne doute pas, madame la ministre, que vous saurez faire preuve d'ouverture et de sens du dialogue. (Applaudissements sur les bancs des groupes Union centriste et Les Républicains ; M. Gilbert Barbier applaudit aussi.)
M. Jean-Yves Leconte . - Mesurons la gravité de la situation. Mardi, nos collègues de La République en marche de l'Assemblée nationale n'ont rien su nous dire d'autre que « non, parce que non ». C'est pourtant par l'argumentation que l'on restaurera la confiance ! Bien sûr, l'Assemblée nationale a le dernier mot, mais cela ne la dispense pas de s'expliquer. Cet usage du rapport de force est une remise en cause du bicamérisme. Notre rapporteur a, lui, témoigné d'un sens du compromis que je salue.
Toutes les exigences liées au rétablissement de la confiance reposeraient donc sur les élus... Je le conteste. C'est tout le service public qui doit accepter d'évoluer pour une démocratie plus efficace. Bruno Le Roux a d'ailleurs déposé, en février 2017, une proposition de loi fixant les exigences déclaratives des membres du Conseil constitutionnel qui restent pour le moment dans le flou le plus total.
La réserve parlementaire n'est plus ce qu'elle était : elle est désormais transparente, grâce aux élus et aux citoyens qui se sont battus pour la faire évoluer. La confiance ne se décrète pas, elle se construit en faisant les bonnes choses au bon moment, et en expliquant ce qui est possible ou non.
La rédaction de l'article 9 vaut le détour : « Il est mis fin à la pratique dite de la "réserve parlementaire", consistant en l'ouverture de crédits en loi de finances par l'adoption d'amendements du Gouvernement reprenant des propositions de membres du Parlement en vue du financement d'opérations déterminées ». Quelle est en effet la base textuelle de la réserve parlementaire ? Un amendement du Gouvernement en loi de finances. Pour y mettre fin, il suffit qu'il n'y ait pas d'amendement ou qu'il soit rejeté ! Mais pourquoi diable limiter le droit constitutionnel d'amendement du Gouvernement, et par loi organique encore ?
La majorité de l'Assemblée nationale estime la réserve parlementaire inconstitutionnelle. Le Conseil constitutionnel, saisi chaque année de la loi de finances, n'y a pourtant jamais rien trouvé à redire.
Le Conseil de l'Europe s'est étonné de cette pratique il y a quelques années mais c'était avant sa réforme ! La commission des lois a proposé d'améliorer encore son fonctionnement. On aurait pu aussi imaginer que ces 0,05 % du budget de l'État soient répartis selon une procédure faisant appel à la participation citoyenne. Mais non !
On en est pourtant au point où un ambassadeur vous demande une part de réserve parlementaire pour financer le changement des ampoules de sa résidence...
M. François Bonhomme. - Ce n'est pas une politique très éclairée ! (Sourires)
M. Jean-Yves Leconte. - Ces sommes ne représentent rien par rapport aux crédits ministériels, et sont pourtant décisives pour de nombreuses petites communes comme pour nos écoles françaises à l'étranger, pour financer des travaux de sécurisation ou l'accompagnement d'élèves à besoins particuliers, par exemple. Et pendant ce temps, nos demandes d'explications sur des opérations immobilières considérables ne reçoivent aucune réponse.
M. François Bonhomme. - Pas très transparent, cela...
M. Jean-Yves Leconte. - Bien sûr, notre mission est de voter la loi, pour rendre la société meilleure, mais aucune action générale n'est possible sans connaissance des cas particuliers, du terrain. Je songe à telle association soutenue grâce à la réserve, et dont l'action patiente a permis la libération de deux Français - alors que l'ambassade, elle, ne pouvait pas se fâcher avec le gouvernement local. Comment fera-t-on demain ?
Je ne suis pas déçu, je suis en rage. C'est notre capacité de créer du lien, de donner confiance que l'on amenuise.
Le groupe socialiste votera la rédaction équilibrée de la commission. J'espère que nos efforts n'auront pas été inutiles, car ce qui est en jeu, c'est un outil essentiel à notre connaissance du terrain et aux liens que nous tissons avec nos territoires et nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, RDSE, Union centriste et Les Républicains ; Mme Delphine Bataille applaudit également.)
M. Bruno Retailleau . - Madame la ministre, vos observations ne nous ont pas convaincus. La confiance ne se décrète pas ; il faudra beaucoup plus qu'un texte pour la restaurer. Pensez-vous qu'il suffise de supprimer la réserve parlementaire ? Non, il faudra des résultats concrets en termes d'emploi, de pouvoir d'achat, de sécurité, plutôt que des facilités cédant à l'esprit du temps. (Applaudissements à droite)
M. Christian Cambon. - Très bien !
M. Bruno Retailleau. - Sur la réserve parlementaire, nous n'avons pas compris votre intransigeance. Le Sénat s'est pourtant montré plus que disponible pour participer à l'examen des deux textes sur la confiance dans la vie publique, il s'est montré à l'avant-garde sur de nombreux sujets. Il n'a attendu personne pour encadrer le champ d'attribution et les modalités d'attribution de la réserve, soumise au double contrôle du ministère de l'intérieur et des préfectures, et dont les montants et destinataires sont rendus publics chaque année en open data.
Vous vouliez aller plus loin. Notre rapporteur Philippe Bas s'est voulu coopératif et a proposé un dispositif intelligent pour continuer à soutenir l'investissement local, précisant et durcissant les critères d'attribution et imposant le contrôle du Bureau de chaque assemblée : vous avez dit non, un non « de principe », que nous ne comprenons pas.
Il y a au fond entre nous une divergence sur le rôle que nous assignons aux élus et au politique. Ce qui menace notre pays, avec la fin du cumul des mandats, c'est la dissociation entre le local et le national ; faire de nous des parlementaires suspendus, cantonnés aux questions générales de législation et de contrôle, ne fera qu'accroître cette fracture.
Et puis, il y a deux poids deux mesures. Vous refusez que les parlementaires siègent dans les commissions d'attribution de la DETR, comme si un haut fonctionnaire était plus éclairé pour attribuer des fonds publics qu'un élu de la Nation. Tout à votre rêve technocratique, vous préférez, comme eût dit Saint-Simon, « l'administration des choses au gouvernement des hommes ». Le président de la République a d'ailleurs dit ici même qu'il y avait trop d'élus locaux...
En France, l'État jacobin reprend toujours d'une main ce qu'il a accordé de l'autre aux collectivités par les lois de décentralisation. Ce sont elles qui ont le plus contribué à faire baisser les dépenses publiques au cours du précédent quinquennat. Mais votre Gouvernement se surpasse avec la suppression de la taxe d'habitation et surtout la baisse des dotations aux collectivités territoriales, après que le président de la République eut annoncé lors de la Conférence des territoires qu'il n'y aurait pas de coupes sombres... Rétablir la confiance, cela commence par ne pas se déjuger, par respecter la parole donnée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Qui paiera les pots cassés de la suppression de la réserve parlementaire ? Les collectivités les plus fragiles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) N'oublions pas que l'investissement local, c'est de l'emploi local. Dans la France périphérique, où l'on a souvent l'impression que Paris ne voit pas au-delà de ses frontières, il y aura encore moins de moyens pour les services publics, l'investissement public.
Enfin, madame la ministre, être maire d'une petite commune est une tâche difficile, où l'on est sans cesse confronté aux injonctions contradictoires de ses concitoyens, qui veulent moins d'impôts mais plus de services publics, comme de l'État qui appelle les collectivités à dépenser moins mais ne cesse de se défausser sur elles : la réforme des rythmes scolaires en est la meilleure illustration. Les élus sont souvent découragés, vous les découragerez encore, eux qui incarnent la démocratie de proximité, eux qui sont chargés de « réparer les vivants » et qui font que, malgré les crises, la France tient encore debout. (Vifs applaudissements au centre et à droite ; M. Richard Yung applaudit aussi.)
M. François Bonhomme . - La CMP n'a pas trouvé d'accord sur ce texte. Les choses avaient pourtant bien commencé. Ce texte lacunaire entendait jeter le doute sur les élus ; le Sénat l'a rééquilibré, mais un désaccord a persisté sur le sort de la réserve parlementaire. Je regrette que la voix de nos collectivités territoriales n'ait pas été écoutée.
Que n'a-t-on pas entendu sur la réserve parlementaire. Que de balivernes, approximations et fantasmagories. La dotation d'action parlementaire n'est pas une somme distribuée arbitrairement, (M. Jean-François Rapin applaudit.) ce sont des crédits servant essentiellement à soutenir l'investissement local, après instruction du ministère de l'intérieur et des préfectures. Sans ces aides, bien des projets locaux ne verraient jamais le jour. L'attribution des crédits est parfaitement transparente : la liste des projets financés par les sénateurs est consultable en ligne, et l'on peut voir qu'il s'agit souvent de rendre des bâtiments accessibles aux personnes handicapées, de restaurer le patrimoine culturel, de rénover des crèches... Liste à la Prévert sans doute, mais il n'y a là rien de dégradant.
Nous avions proposé la création d'un fonds de soutien à l'investissement des collectivités répondant à des critères stricts et des exigences de transparence renforcées. La chronique parlementaire retiendra nos efforts pour trouver un compromis et la fin de non-recevoir qui nous a été opposée... Et cela, dans un contexte qui n'a jamais été aussi difficile pour les collectivités, qui se sont vu retirer 11 milliards d'euros en trois ans, et auxquelles on annonce encore 13 milliards d'euros de baisses de crédits, la suppression de la taxe d'habitation et le gel de 80 % de leurs crédits d'investissement. Comment le Sénat l'accepterait-il ?
Que dire de l'attitude des députés en CMP ? Leur position était « non négociable », ont-ils répétés.
En réalité, la suppression de la réserve parlementaire est un totem. Il suffisait que le Gouvernement s'abstienne de déposer un amendement en loi de finances... Cette préférence pour l'affichage de bonnes intentions est une forme d'infantilisme, car la maturité se mesure à notre capacité de résister aux symboles, disait Kundera. Je vous donne rendez-vous à l'automne, madame la ministre, après la décision du Conseil constitutionnel qui censurera sans aucun doute cette disposition sans portée normative. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et Union centriste ; Mme Delphine Bataille et M. Gilbert Barbier applaudissent également.)
La discussion générale est close.