Sécurité publique (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la sécurité publique (procédure accélérée).
Discussion générale
M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur . - Nous débattons d'un texte dont chacun reconnaît l'importance. Je tiens à remercier les rapporteurs et le président Bas avec qui j'ai pu travailler dans un esprit constructif et républicain.
Important, ce texte l'est avant tout pour les policiers et les gendarmes qui sont en charge de la protection quotidienne de nos concitoyens, dans des conditions souvent éprouvantes. Depuis plus de deux ans, ils sont sur tous les fronts, contre le terrorisme, la délinquance du quotidien, la criminalité organisée, les trafics qui empoisonnent la vie de certains quartiers. Chaque jour, ils sont en première ligne pour garantir la paix publique, entretenir le lien de proximité avec les Français, les accueillir, écouter leurs angoisses, accomplir des interventions de toute nature. Ils font preuve d'un professionnalisme de chaque instant, en dépit d'accès de lassitude bien naturels face au caractère endémique de certaines formes de délinquance.
La sécurité est la condition de l'exercice de nos libertés fondamentales, mais aussi un enjeu de justice sociale, et c'est sur les épaules des policiers et des gendarmes que repose cette exigence.
Les forces de l'ordre sont au contact des pires noirceurs de la société et de plus en plus exposées à de violentes agressions : le simple fait de porter l'uniforme, d'incarner l'autorité publique fait d'eux des cibles.
Certes, le métier est par définition dangereux, mais un palier dans les violences a été franchi à Viry-Châtillon, le 8 octobre dernier, quand des délinquants en bande organisée ont attaqué quatre policiers en mission avec la volonté de les tuer. Les services de la police judiciaire ont progressé rapidement et plusieurs individus ont été mis en examen et incarcérés. Aucun fait de cette nature ne doit rester impuni.
Je pense aussi à l'assassinat du commissaire Jean-Baptiste Salvaing et de Jessica Schneider à Magnanville, ou au major de gendarmerie Christian Rusig, percuté délibérément par un automobiliste à Tarascon-sur-Ariège.
L'an dernier, 26 policiers et gendarmes sont morts en service, 16 000 ont été blessés. Les assaillants n'hésitent plus à utiliser des armes à feu.
Depuis 2012, le Gouvernement a renforcé les moyens humains, matériels et juridiques des forces de l'ordre. Ce projet de loi constitue l'ultime étape législative de ce processus.
N'occultons pas le contexte : à l'automne, de nombreux gardiens de la paix ont manifesté leur malaise, exacerbé par les sacrifices qu'ils consentent dans la lutte antiterroriste. L'attaque de Viry-Châtillon a été un déclencheur.
Le Gouvernement apporte deux réponses. Une grande consultation a été organisée dans chaque commissariat et au sein de la gendarmerie nationale pour recueillir les doléances et propositions. Je disposerai bientôt des retours et nous en tirerons les leçons.
Un grand plan de 250 millions d'euros pour la sécurité publique a été annoncé dès le 26 octobre, après dialogue avec les syndicats. Doté d'un volet matériel et d'un volet législatif, il correspond aux engagements pris envers les forces de l'ordre.
Ce texte cohérent répond à une situation précise et ajoute à notre dispositif global les derniers ajustements nécessaires. Ce n'est pas un texte fourre-tout. Je souhaite parvenir sur ce sujet crucial à un consensus. Ce texte équilibré tient compte des impératifs opérationnels des forces de l'ordre, dans le respect des libertés publiques et de l'État de droit. Il a été approuvé par le Conseil d'État et les instances représentatives des policiers et gendarmes.
D'abord, ce texte fixe un cadre commun d'usage des armes pour les policiers, les gendarmes, les douaniers et les militaires engagés dans l'opération Sentinelle. La légitime défense est maintenue - les forces de l'ordre l'ont intériorisée, et je rends hommage à leur sang-froid. Nous clarifions et modernisons les conditions d'usage des armes face à des violences croissantes. Ce texte s'inspire des préconisations de Mme Cazaux-Charles et respecte scrupuleusement les conditions posées par la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation : proportionnalité et absolue nécessité. Il vient compléter la loi du 3 juin 2016 qui autorisait les policiers à faire usage de leur arme en cas de « périple meurtrier » pour prévenir tout risque de réplique lors d'une tuerie de masse. Le Conseil d'État a salué le point d'équilibre qui a été trouvé, nous répondrons ensemble aux interrogations soulevées en commission.
Les policiers municipaux ne sont pas oubliés. Je pense à Clarissa Jean-Philippe tuée à Montrouge, ou à Aurélie Fouquet, tuée à Villiers-sur-Marne. Le Gouvernement a développé leurs moyens matériels et juridiques.
Mme Catherine Troendlé. - Très bien.
M. Bruno Le Roux, ministre. - Financement des équipements, rénovation du cadre d'emploi : trois lois et sept décrets ont renforcé la police municipale, notamment le décret du 28 novembre 2016 qui autorise le port de l'arme de poing à la ceinture sur le trajet vers le centre de tir et le décret du 23 décembre 2016 qui permet aux policiers d'utiliser des caméras embarquées à titre expérimental.
À Nancy, j'ai signé trente conventions de coordination avec des polices municipales de Meurthe-et-Moselle, dans une démarche de co-construction de la sécurité. De même, en Île-de-France, les policiers municipaux doivent intervenir au commandement de la police nationale. La police municipale agit en complémentarité, non en substitution des forces de l'État. Le Gouvernement est ouvert à de nouvelles dispositions visant à consolider son action des polices dès lors qu'il n'y a pas confusion dans les missions.
Autre point, les policiers et gendarmes pourront s'identifier par un numéro d'immatriculation administratif pour garantir leur anonymat dans les procédures pénales. Si la divulgation de l'identité de l'enquêteur est indispensable au respect des droits de la défense, le juge pourra en ordonner la révélation. Ce dispositif, qui existe ailleurs, est admis par la Cour européenne des droits de l'homme. L'administration est autorisée à ne notifier qu'une ampliation anonyme de l'acte, tout en aménageant les règles du contradictoire.
Nous doublons les peines encourues pour outrage à personne dépositaire de l'autorité publique, pour les aligner sur celles encourues pour outrage à magistrat. S'en prendre à un policier ou à un gendarme, c'est s'en prendre à la République !
Votre commission a identifié d'autres évolutions législatives, le Gouvernement les examinera avec intérêt.
Le projet de loi comporte en outre des dispositions d'ajustement de mesures en vigueur. Ainsi, l'article 4 complète la loi Savary du 22 mars 2016 pour tirer les conséquences des enquêtes administratives concernant les salariés des entreprises de transport.
Nous renforçons l'articulation entre procédures juridictionnelles et contrôle administratif des personnes ayant cherché à rejoindre un théâtre d'opération terroriste à l'étranger.
Nous ouvrons aussi la possibilité, encadrée, d'un armement des agents de sécurité privée exposés à un risque exceptionnel.
Les articles 8 et 9 relèvent du ministère de la justice ; l'article 10, qui concerne le service militaire volontaire, du ministère de la défense.
Les policiers, nationaux et municipaux, les gendarmes n'exercent pas un métier comme les autres. Ils acceptent d'exposer leur intégrité physique et leur vie au nom de l'intérêt général. Nous devons leur garantir une protection vigilante et juridiquement incontestable. Cela ne peut que renforcer la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs bancs au centre et à droite)
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice . - Ce qui donne sens et légitimité au contrat social, c'est la protection qu'il donne à ceux qui s'y engagent. La sécurité publique est donc une question éminemment démocratique et ce projet de loi, l'occasion d'anticiper de nouvelles réponses.
Deux questions importantes relèvent du ministère de la justice. D'abord, la prise en charge des mineurs confrontés à la radicalisation violente, dans le cadre de l'assistance éducative. L'avenir de la société réside dans ses enfants. Leurs malheurs seront les nôtres. C'est pourquoi le dispositif de protection de l'enfance doit être opérationnel. L'État s'est donc rapproché des départements qui sont compétents en matière d'aide à l'enfance - et remercie l'ADF pour sa disponibilité. La convention internationale du 20 janvier 1989 stipule en effet, en son article 19, que l'État est responsable ; il doit donc prendre toute sa place, accompagner les départements dans la prise en charge de situations complexes et coordonner les approches.
La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) s'est fortement impliquée, aux côtés des départements, dans la prise en charge de ces mineurs, potentiellement nombreux. J'ai proposé une expérimentation de trois ans : le juge pourrait confier à la PJJ des enfants de familles radicalisées, en milieu ouvert, y compris lorsqu'ils ont été confiés à l'ASE, ce que ne permet pas le droit actuel. L'expérience des départements en est encore à ses prémices en matière de radicalisation violente : à ce jour, seuls 21 mineurs de retour de la zone irako-syrienne sont suivis.
Il faut amplifier leur suivi, pour les aider à surmonter les traumatismes et répondre au risque de prosélytisme, ou au contraire de repli.
Je tiens à ce que le procureur de la République soit le point d'entrée, le coordinateur du dispositif. L'État doit structurer l'offre d'accompagnement des collectivités locales. Il faut étendre les mesures éducatives en milieu ouvert ; une mesure judiciaire d'investigation spécifique pourra être prononcée.
Second sujet que je porte, la sécurité pénitentiaire, dans les établissements et lors des extractions. L'unité des corps des personnels pénitentiaires est précieuse. Sans la remettre en cause, j'ai créé par le décret du 17 janvier 2017 une sous-direction de la sécurité pénitentiaire, au sein de laquelle un bureau de la gestion de la détention et des missions extérieures comprendra seize équipes dont les agents seront armés.
La commission a inclus ces agents dans le cadre d'usage des armes. D'accord, mais je souhaite que la compétence de ces équipes ne porte que sur l'emprise pénitentiaire. D'accord également pour décliner le modèle des équipes de sécurité de la SNCF ou de la RATP. Cela entraînera une structuration plus opérationnelle dans les missions d'extraction.
Un plan pluriannuel de recrutement sera lancé pour assurer le déploiement progressif de ces équipes sur tout le territoire.
Enfin, je soumettrai un amendement de précision sur le renseignement pénitentiaire pour articuler la répartition des techniques de renseignement dans le code de procédure pénale et le code de sécurité intérieure.
Chaque jour on découvre des téléphones portables illicites dans les prisons. Il faut y mettre fin et envisager une judiciarisation. Je précise que seuls les détenus seront visés, non l'entourage ou le personnel. Je vous propose enfin de créer dans le code de sécurité intérieure un titre dédié, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, car nous avons grand besoin de renforcer le renseignement pénitentiaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs bancs à droite et au centre)
M. François Grosdidier, rapporteur de la commission des lois . - La commission des lois a été saisie de ce projet de loi déposé le 21 décembre 2016, jour même de son examen en Conseil des ministres. L'attaque planifiée, odieuse et lâche de Viry-Châtillon n'est malheureusement pas un acte isolé. Les agressions contre les forces de l'ordre se sont multipliées, leur violence s'est accrue, comme l'illustre le meurtre d'un couple de policiers à leur domicile.
Parallèlement, jamais les forces de l'ordre n'ont été autant sollicitées et exposées à la menace terroriste. D'où un malaise compréhensible.
L'article premier crée un régime d'utilisation des armes commun aux forces de l'ordre, non pour répondre à une demande conjoncturelle mais pour déterminer un cadre stable et cohérent.
Les gendarmes sont soumis à un décret de 1903 qui les autorise à faire feu après deux sommations, que la personne soit dangereuse ou non. Il n'est plus appliqué depuis longtemps, les gendarmes respectent les principes d'absolue nécessité et de proportionnalité édictés par la Convention européenne des droits de l'Homme.
Les policiers, eux, sont soumis au droit commun de la légitime défense, comme n'importe quel citoyen. Si les gendarmes sont formés à utiliser leur arme, les policiers, eux, apprennent plutôt à ne pas s'en servir. Tel jeune adjoint de sécurité a préféré se battre à mains nues contre une foule l'attaquant à coups de barres de fer, d'autres ont risqué de mourir carbonisés dans leur véhicule plutôt que de faire usage de leur arme.
Cette inhibition paralyse et démoralise : nous devons désinhiber les policiers, tout en se gardant de tout effet de balancier. Il faudra dégager une doctrine partagée entre l'Intérieur et la Chancellerie, dispenser une formation théorique et pratique, doublée d'un entraînement renforcé.
Ce nouveau régime, inspiré de celui en vigueur pour les gendarmes, qu'il rénove, est étendu aux adjoints de sécurité et réservistes.
Les policiers qui utilisent leur arme hors service, en cas d'agression subite, basculeront de facto dans le cadre de l'exercice de leur fonction et rentreront dans ce cadre.
Même si la jurisprudence reconnaît la légitime défense putative, il fallait sécuriser juridiquement les forces de l'ordre. Parmi les cas visés, l'usage d'arme en cas de menace par un individu armé ; pour défendre un site ou une personne ; pour arrêter un fugitif dangereux. Dans la rédaction du Gouvernement, l'agent devait apporter la preuve que le fugitif s'apprêtait à perpétrer un attentat.
Aujourd'hui, les gendarmes peuvent faire feu pour empêcher un terroriste de s'enfuir à bord d'un véhicule armé d'une kalachnikov ; avec une telle rédaction, ils le laisseront filer ! Nous l'avons donc revue, en nous inspirant des préconisations de Mme Cazaux-Charles.
L'extension de ce régime aux douaniers et aux militaires de l'opération Sentinelle est bienvenue. Nous l'avons également étendu aux agents de l'administration pénitentiaire, pour tenir compte de leurs nouvelles missions, et aux policiers municipaux. De plus en plus exposés, formés et entrainés, ils sont la troisième force de la République !
L'article 1er alinéa 1, le minimum minimorum, a fait l'objet d'un large consensus en commission, même si nous n'avons pas retenu la possibilité de tirer après sommation.
À l'article 2, sur l'identification par le numéro d'immatriculation administrative, nous supprimons la condition du quantum de peine.
À l'article 4, nous encadrons les délais pour ne pas pénaliser les entreprises.
L'article 6 autorise les agents de sécurité privés à être armés. Il fallait combler un vide juridique pour la protection des sites sensibles.
Nous avons introduit un article 6 bis et un article 6 ter, qui modifie la composition de la cour d'assises spéciale dans le sens suggéré par Michel Mercier.
L'article 7 aggrave les peines pour outrage à personne dépositaire de l'autorité publique ; nous renforçons la sanction de la rébellion et du refus d'obtempérer.
Il nous semblait également nécessaire d'élargir les prérogatives des agents pénitentiaires au-delà du strict domaine pénitentiaire, pour éviter par exemple le jet d'objets par-dessus les murs.
Comme chaque fois qu'il s'agit de la sécurité, le Sénat est au rendez-vous ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères et de la défense . - La commission des affaires étrangères et de la défense s'est saisie de l'article premier et de l'article 10. Nous sommes satisfaits de l'inclusion des militaires déployés dans les opérations Sentinelle et Vigipirate dans le dispositif de l'article premier, car ce sont des cibles. Ils pourront ainsi répliquer dans les mêmes conditions que les gendarmes et policiers. La réflexion devra se poursuivre sur la remontée du renseignement de proximité par les militaires.
L'article 10 concerne le service militaire volontaire (SMV), transposition expérimentée en métropole du service militaire adapté, qui a fait ses preuves en matière d'insertion des jeunes décrocheurs. L'expérimentation proposée, qui incarne le renouveau du lien armée-Nation depuis les attentats, crée un statut spécifique combinant celui de militaire et de stagiaire de la formation professionnelle. L'expérimentation court jusqu'au 31 décembre 2018 ; le législateur décidera alors s'il la pérennise ou non.
La commission des lois a adopté plusieurs de nos amendements pour améliorer l'articulation, entre les statuts. Il faudra veiller à ce que le SMV demeure un dispositif militaire et ne connaisse pas le même sort que l'établissement public de la défense. Vu son coût, il faudra s'assurer de son efficacité sur le long terme. Rendez-vous fin 2018 pour le bilan. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Bruno Le Roux, ministre. - En accord avec la commission des lois et en application de l'article 44, alinéa 6 du Règlement du Sénat, le Gouvernement demande la réserve de l'examen des articles 8 et 9 et de l'amendement n°40 portant article additionnel après l'article 9, afin qu'ils soient examinés après l'article 11.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - La commission des lois est d'accord.
La réserve est ordonnée.
M. David Rachline . - Je rends d'abord hommage à celles et ceux qui travaillent à préserver notre sécurité. Il est facile de discuter à loisir, dans le confort de nos fauteuils, des conditions d'usage de la force ; sur le terrain, confrontés à des situations de stress et de violence, les agents, eux, doivent réagir en une fraction de seconde.
Ce texte, rédigé dans la précipitation, vient tenter de calmer la colère légitime des forces de l'ordre après l'attaque de Viry-Châtillon. Les policiers eux-mêmes dénoncent une occasion ratée, mais peu importe, du moment que le Gouvernement donne l'illusion aux citoyens qu'il agit ! Vous faites de la com', une fois de plus !
Nous réclamons, nous, une présomption de légitime défense. Pas un permis de tuer, mais le droit pour les forces de l'ordre de se battre à armes égales, en utilisant la force légitime. Il est temps que la peur change de côté ! Ces faits relèveraient d'une juridiction spécialisée.
Il faudrait aussi développer la formation et l'entraînement au tir des policiers, aujourd'hui réduit à la portion congrue.
Dans votre exposé de motifs, vous insistez partout sur la conformité du texte à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Mais la justice est rendue au nom du peuple français, et c'est le Parlement qui vote la loi !
Il est temps de se libérer de ce gouvernement des juges, surtout lorsqu'ils ne sont même pas français. (Mmes Éliane Assassi et Esther Benbassa protestent) Cela passe par une volonté politique et le retour à une souveraineté pleine et entière.
Mme Esther Benbassa . - Le 8 octobre 2016, une quinzaine de personnes incendiaient deux voitures de police à Viry-Châtillon, blessant grièvement deux policiers. Cette attaque a déclenché un mouvement de protestation sans précédent des forces de l'ordre ; éreintées par des mois d'état d'urgence et de plan Vigipirate.
Réponse législative du Gouvernement à la mobilisation des policiers, ce texte vise à assurer leur protection et la sécurité juridique de leurs interventions.
Je salue le courage de ces femmes et de ces hommes qui assurent quotidiennement notre protection, en dépit d'un manque criant de moyens.
Ce texte précise les conditions d'usage des armes par les forces de l'ordre. Est-ce suffisant pour assurer leur protection, comme il prétend le faire ? Les droits des citoyens sont-ils suffisamment garantis ? Le sentiment du groupe écologiste est mitigé. Il y a des avancées certaines, comme le cadre commun aux différentes forces de sécurité ou l'inscription dans la loi des principes d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité.
Mais les risques de dérives sont nombreux. Certains spécialistes craignent que le texte n'accroisse même l'insécurité juridique. Le sociologue Olivier Cahn s'inquiète que les policiers soient davantage incités à ouvrir le feu, faute de message clair, alors qu'ils sont toujours soumis à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Pour maître Laurent-Franck Lienard, avocat spécialisé dans la défense des policiers, si des policiers tirent sur une voiture en fuite, ils seront condamnés : la réforme est, à ses yeux, dangereuse pour les policiers comme pour les citoyens.
Malgré les injonctions du Gouvernement, le groupe écologiste a déposé quelques amendements ; leur sort conditionnera notre vote sur le texte. Si nous sommes majoritairement contre, ce n'est pas par défiance envers les forces de l'ordre mais parce que nous pensons que ce texte ne renforcera pas leur sécurité, ni celle de nos concitoyens.
M. Jean-Noël Guérini . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Depuis deux ans, nous vivons une situation à laquelle la France n'était pas préparée.
Des fanatiques guidés par des barbares nous attaquent depuis 2015 par des actes qui nous ont plongés dans un état de sidération. Nous devons approfondir nos discussions théoriques sur leurs causes, sans oublier que notre pays n'est pas le seul à être touché : Belges, Maliens, Turcs, Allemands ont aussi été frappés.
La réponse des forces de l'ordre est coûteuse : 4 000 perquisitions, une centaine d'arrestations, dix-sept attentats déjoués, militaires en patrouille, contrôles aux frontières. D'aucuns, prisonniers des sirènes électoralistes appellent à faire plus. Ce sont souvent les mêmes qui ont imposé des coupes claires dans les effectifs et les budgets. D'autres, brandissant la glorieuse bannière des droits de l'homme, en veulent toujours moins et de fortes voix promettent sans ciller des économies en réalisant des coupes dans les agents de la fonction publique. Tous oublient que la politique suivie depuis quatre ans n'a jamais sacrifié les attentes de la population en écoutant les policiers. Restons vigilants envers l'équilibre entre sécurité et libertés individuelles.
Depuis Thomas Hobbes, cette tension est au coeur de la pensée politique : la sécurité est la condition de la liberté, mais aussi sa limite. Je serais trop conciliant avec les socialistes ? (Sourires) Il faut pourtant bien reconnaître les mérites de Bernard Cazeneuve et de Bruno Le Roux.
Policiers et gendarmes sont fatigués. Les agressions qui les frappent ajoutent à leur mal-être. L'unification dans un même article des règles d'usage des armes, en rappelant les principes d'absolue nécessité et de proportionnalité, est une bonne chose. Ce texte est l'expression d'un État sûr de ses valeurs. Laissons là les vaines polémiques : les gouvernements peuvent changer, mais les menaces demeureront, hélas. Le groupe RDSE votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs RDSE)
M. Michel Mercier . - Débattre de ce texte, c'est pour le Parlement, et singulièrement pour le Sénat, une façon de rendre hommage aux 26 policiers et gendarmes morts dans le cadre de la lutte antiterroriste, et de dire notre reconnaissance aux policiers, gendarmes et militaires de l'organisation Sentinelle.
Revoir les règles d'usage des armes, c'est permettre aux policiers de se défendre, mais cela ne peut pas être céder au laxisme. Ce texte a su créer cet équilibre. Les forces de l'ordre doivent respecter les principes d'absolue nécessité et de proportionnalité. Cela remplace avantageusement le régime obsolète pour les gendarmes et le droit commun pour les policiers. Nous adhérons particulièrement à l'inclusion des polices municipales. Le numéro d'identification administrative est une bonne chose.
Conjuguer une mesure de placement dans le cadre de l'Aide sociale à l'enfance et une mesure judiciaire dans celui du projet de loi est très positif.
Ce texte est un bon texte. Vous avez bien voulu ajouter à l'article 6 ter les dispositions réclamées par le président Hayat au sujet de la cellule spéciale de Paris.
Le Sénat a toujours su, quand il s'agit de la sécurité du pays, faire abstraction des questions électorales. Il n'est jamais trop tard pour bien faire. Nous voterons ce bon texte car le pays en a besoin. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Éliane Assassi . - Encore une fois, nous sommes appelés à examiner des mesures lourdes dans l'urgence. Après l'agression de Viry-Châtillon, qu'on ne peut que condamner, ce texte arrive dans un contexte anxiogène d'inflation législative. Son coeur est de refondre l'usage des armes des forces de l'ordre, dans la continuité de la loi antiterroriste du 3 juin 2016 qui prévoit déjà que les policiers, militaires de Sentinelle, gendarmes et douaniers puissent faire usage de leur arme en cas de « périple meurtrier ».
Ainsi glisse-t-on encore des lois d'exception vers un droit commun de plus en plus dicté par le tout sécuritaire. Espérons que ces mesures ne serviront pas à réprimer la délinquance ordinaire plutôt que le terrorisme.
L'idée d'ouvrir l'usage des armes aux policiers est un leitmotiv du Front national, repris par certains syndicats de policiers et Nicolas Sarkozy. La mesure a fait l'objet de cinq initiatives parlementaires, quatre à l'initiative du groupe Les Républicains, une de Jean Louis Masson. Elles ont toutes été repoussées.
En 2013, déjà, la commission des lois du Sénat contredisait l'idée qu'il y avait là un problème réel. Il y aura eu très peu de dossiers judiciaires sur ces sujets : 120 procédures de l'IGPN pour des cas de légitime défense et un nombre de condamnations marginal. De toute manière, nous devons aussi nous conformer à la Convention européenne des droits de l'homme. L'Europe a déjà condamné des gendarmes ayant fait un usage excessif de leur arme.
Les revendications des policiers portent en réalité sur les moyens et sur le paiement des heures supplémentaires en attente. Mais une fois de plus, le Gouvernement élude cette question car il n'a plus les moyens.
L'IHESJ préconise la nomination d'un magistrat par Cour d'appel référent sur l'usage des armes. Laurent-Franck Lienard, avocat spécialiste de la défense des policiers s'inquiète aussi de l'absence de formation des gendarmes et des policiers, « la honte de notre pays ». Les policiers nationaux ne sont soumis qu'à trois séances de tir par an - et je ne parle même pas des policiers municipaux.
Quelle sera la prochaine étape ? Le rétablissement de la maréchaussée ? Cessons de faire la loi dans l'émotion. La peur sert de prétexte à un mode de gouvernement, comme nous l'enseignent Patrick Boucheron et Corey Robin dans Exercice de la peur. Usages politiques de l'émotion. Toutes ces mesures pourront être utilisées par un futur Gouvernement de droite dure. Nous ne voterons pas. Soyons modestes vis-à-vis d'un scénario du pire... (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. François-Noël Buffet . - Les actes terroristes ont révélé la nécessité de donner aux forces de l'ordre les moyens de prévenir et à la justice ceux de punir. Le Sénat n'a jamais failli ; il a pris toutes ses responsabilités. Le groupe Les Républicains avait souhaité aller plus loin et plus vite. Le Gouvernement nous a finalement suivis, concernant les sites de propagande terroriste par exemple.
Hors de toute polémique, notre conscience citoyenne nous impose de continuer à travailler. Nous n'avons cessé de rappeler la nécessité de donner des moyens aux forces de l'ordre et de rétablir leur autorité. Nous ne pouvons pas nous contenter de communiqués de presse comme celui de la semaine dernière.
Nous devons aux Français un discours de vérité, celle que les personnes revêtues de l'autorité publique connaissent. Oui, la violence gangrène les rapports sociaux.
Sans remettre en cause la compétence des agents, tous nos services doivent pouvoir échanger avec les magistrats antiterroristes.
L'action volontariste des policiers n'a malheureusement pas toujours été suivie d'effet. Les policiers ne sont pas entrés dans ce métier pour être des cibles, comme à Viry-Châtillon ! Saisir la crosse de son pistolet, c'est trop souvent le début d'un long marathon procédural et judiciaire pour les policiers. La question de l'armement n'est pas nouvelle pour la sécurité privée. Le juge constitutionnel n'a jamais invalidé les règles qui s'y appliquent. La sécurité privée est en pleine mutation.
Nous devons accompagner les forces de l'ordre - c'est dommage que ce texte ne prévoie aucune action de formation.
Le « spectre des revenants » n'est pas qu'un mirage, loin s'en faut. François Molins parle à juste titre de « bombes à retardement ». La majorité à laquelle j'appartiens n'a eu de cesse d'appeler à traiter ces cas que l'Uclat évalue à 700. Les enfants doivent aussi être pris en charge.
Grâce au travail précis de notre rapporteur, le Sénat adoptera un bon texte. Le groupe Les Républicains le votera avec confiance. Mais n'oublions pas que la lutte contre le terrorisme n'avancera qu'avec une politique de lutte contre la délinquance ferme. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jacques Bigot . - Ce texte satisfait semble-t-il l'essentiel des sénateurs - M. le ministre de l'intérieur a bien fait de le faire examiner par le Sénat en premier.
Les menaces que subissent les policiers, les difficultés de leur métier sont trop souvent incomprises. La loi du 3 juin dernier avait trouvé un équilibre, avons-nous cru. Mais cela ne suffisait pas ; il fallait agir sur le code de la sécurité intérieure et pas seulement dans le code pénal. Ce texte veut surtout rassurer les policiers, qui ont l'impression que les magistrats ne comprennent pas leurs difficultés - ce qui n'est pas vrai.
Il ne s'agit pas seulement du terrorisme : Viry-Châtillon fut l'oeuvre de délinquants. L'étude d'impact qui détaille la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Convention européenne des droits de l'homme est beaucoup plus nuancée qu'on ne le dit. Les policiers de la base le disent : les difficultés viennent parfois de leur hiérarchie.
Il faut sans doute prévoir des formations, le Conseil d'État a eu raison de le rappeler.
Ce texte apporte une clarification pour l'ensemble de ceux qui sont appelés à prendre les armes au nom de la justice.
Monsieur le rapporteur, votre proposition sur les policiers municipaux nous satisfait. Nos sénateurs pourront ainsi constater que les policiers municipaux sont amenés à assister les forces de l'ordre nationales.
Nous déposons un amendement qui corrige une curiosité : les policiers municipaux ne peuvent pas procéder à une palpation, alors que les agents de sécurité privée le peuvent.
L'article 2 sur l'anonymisation présente une difficulté : le procureur de la République ne devrait-il pas en donner l'autorisation ? Il faut sécuriser les procédures pour éviter qu'un dossier n'arrive un jour devant la Cour de cassation ou la Cour européenne des droits de l'homme et que celles-ci concluent que la procédure n'était pas conforme.
On ne peut pas envisager de laisser l'administration pénitentiaire assurer la sécurisation sur la voie publique - il faut la cantonner à l'emprise foncière des établissements. Nous l'avons vu lors de la mission sur le redressement de la justice : le transfèrement des détenus qui a été confié au ministère de la justice, a suffisamment chargé le personnel.
Je n'ai qu'une inquiétude : que ceux qui nous reprochent aujourd'hui de ne pas en avoir fait assez reviennent sur les efforts indispensables consentis par notre majorité : recrutements de magistrats, de policiers et de gendarmes. Il faut maintenir ces moyens sinon nos lois seront vaines. Montrons-nous modestes, constructifs, à l'écoute du personnel mais aussi de la hiérarchie. (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)
M. Bruno Le Roux, ministre . - Merci pour ces propos unanimes d'hommage aux forces de l'ordre. Tout dans ce texte répond à des nécessités opérationnelles et au respect de l'État de droit.
Monsieur Guérini, merci pour le soutien du groupe RDSE. Ce texte est nécessaire comme les six qui l'ont précédé sur ces sujets, et ce n'est pas fini. Nous n'agissons pas dans l'émotion.
M. Rachline a-t-il demandé aux policiers et aux gendarmes si c'était un texte de communication ? Ses interventions, quant à elles, font semblant de s'intéresser aux policiers et à la sécurité des Français.
Mme Sophie Primas. - Très bien !
M. Bruno Le Roux, ministre. - Merci aux rapporteurs pour l'esprit dans lequel ce débat commence. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
La discussion générale est close.
La séance est suspendue à 20 h 05.
présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 35.