Égalité réelle outre-mer (Procédure accélérée)
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
À l'ouverture de cette séance consacrée à la discussion générale du projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer, je voudrais rappeler le profond attachement du Sénat à nos outre-mer, et l'attention particulière que nous portons aux atouts des territoires ultramarins mais aussi à leurs difficultés et à la prise en compte de leurs spécificités.
Dès 2011, notre assemblée a créé une délégation à l'outre-mer, dont tous reconnaissent la qualité des travaux, sous la conduite de ses présidents successifs : nos collègues Serge Larcher et, depuis octobre 2014, Michel Magras.
Afin de nous permettre de délibérer en toute connaissance de cause, la Conférence des présidents a voulu que le Sénat puisse recueillir l'avis du Conseil économique, social et environnemental sur ce projet de loi de programmation, conformément à notre souhait de renforcer nos liens avec cette institution. Nous entendrons donc dans quelques instants M. Christian Vernaudon, rapporteur du Conseil sur ce texte.
Madame la ministre, le Sénat examinera avec la plus grande attention le projet de loi qui lui est soumis, en gardant toujours à l'esprit que les outre-mer constituent, comme le rappelaient dans leur rapport de 2009 Serge Larcher et Éric Doligé, « un défi pour la République [et] une chance pour la France ».
Conformément à l'article 69 de la Constitution et à l'article 42 de notre Règlement, huissiers, veuillez faire entrer M. Christian Vernaudon, rapporteur de la section de l'aménagement durable des territoires du Conseil économique, social et environnemental. (Les huissiers font entrer M. Christian Vernaudon) Je lui souhaite la bienvenue.
Discussion générale
Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer . - Merci, monsieur le président, de ces mots à l'attention des outre-mer.
Il y a plus de 70 ans, Aimé Césaire, Léopold Bissol, Gaston Monnerville et Raymond Vergès défendaient avec passion l'inscription des outre-mer au coeur de la République. Le 19 mars 1946, la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion et la Guyane devenaient officiellement des départements.
Les outre-mer s'inscrivent fièrement dans la communauté de valeurs et d'idéaux qui définissent la France car la France est avant tout un principe. Être Français, c'est vouloir participer aux destinées de ce pays ; c'est défendre une certaine conception de l'homme, de sa dignité et de ses droits fondamentaux ; c'est désirer vivre ensemble, par-delà les différences ; c'est continuer à construire une France ouverte à tous qui rayonne magnifiquement dans les trois océans. Voilà pourquoi notre Nation porte en son coeur les valeurs de l'universel.
Malheureusement, les promesses de la République ne sont que partiellement honorées. Malgré une hausse de l'emploi privé neuf fois supérieure à celle de l'Hexagone depuis 2012, le taux de chômage y est deux fois plus élevé, trois fois plus à Mayotte. Le taux de décrochage scolaire y est également le double. Le taux de mortalité infantile y équivaut à celui de l'Hexagone il y a 23 ans. Peut-on tolérer plus longtemps que trois millions de nos concitoyens soient davantage exposés à l'échec scolaire, à la pauvreté et au chômage ?
A ceux qui considèrent cette situation avec désinvolture, trouvant « amusant » l'examen de ce projet de loi, je veux dire avec gravité combien leur comportement est vexant tant pour les parlementaires qui se sont mobilisés que pour les populations ultramarines. Quel que soit le territoire où ils vivent, nos compatriotes doivent disposer des mêmes droits, des mêmes opportunités de développement et d'épanouissement. C'est cela l'égalité réelle !
Je me réjouis que ce texte soit parvenu à rassembler Parlement, Gouvernement et société civile, à partir du rapport de Victorin Lurel, remis au président de la République en mars 2016. Je veux à cet instant saluer l'engagement constant de Bernard Cazeneuve et de M. Valls avant lui ; je veux aussi saluer le travail du Conseil économique, social et environnemental et celui de nombreux citoyens qui se sont investis sur ces thématiques. Près de 2 000 internautes ont ainsi remis une contribution en ligne.
Je souhaite mener avec vous un important travail de co-construction - ce fut le cas, déjà, en commission. Je salue le travail approfondi du rapporteur de la commission des lois Mathieu Darnaud...
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Excellent rapport !
Mme Ericka Bareigts, ministre. - ...ainsi que ceux de M. Magras, Mmes Deseyne, Lopez, MM. Mayet et Canevet, rapporteurs pour avis.
Ce texte renouvelle les politiques publiques outre-mer en les concevant à partir des réalités locales. Grâce à l'outil des plans de convergence, les stratégies de développement seront définies au plus près du terrain. Car les priorités de Mayotte, de la Polynésie française ou de la Guadeloupe ne sont pas nécessairement les mêmes. Mettons fin à la logique assimilationniste pour adopter une méthode innovante et participative grâce à laquelle les acteurs pourront avancer ensemble.
Renouveler nos politiques, c'est également créer les conditions de l'égalité réelle. Cette longue marche vers le respect et la dignité a commencé avec François Mitterrand qui a obtenu l'alignement des allocations familiales en 1993 (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE), et a été poursuivie par Jacques Chirac avec l'harmonisation du SMIC en 1996. (Applaudissements)
Mais il reste beaucoup à faire : les montants de nombreuses prestations sociales, lorsqu'elles existent outre-mer, diffèrent trop grandement par rapport à l'Hexagone. Accepterait-on qu'il existe de tels écarts entre les Vosges et la Haute-Vienne ? Les prestations seront harmonisées à terme, pour lutter plus efficacement contre la pauvreté. Dès avril 2017, 2 400 familles modestes supplémentaires bénéficieront du complément familial. L'alignement progressif de l'assurance vieillesse pour les parents au foyer, l'AVPF, garantira à 5 000 personnes de plus une continuité dans leurs droits à la retraite. A Mayotte, département le plus pauvre de France, le rythme des convergences des allocations familiales sera accéléré et de nouvelles prestations, dont le complément familial, seront déployées.
M. Roland Courteau. - Très bien !
Mme Ericka Bareigts, ministre. - Il y a plus d'un siècle et demi, Victor Schoelcher plaidait pour que la République n'exclue personne de son immortelle devise. A nous de réaliser pleinement son voeu.
Renouveler nos politiques outre-mer, c'est aussi élargir notre conception de la mobilité. Quelque 15 000 jeunes ultramarins poursuivent leurs études dans l'Hexagone. Plus de la moitié y demeurent six mois après la fin de leur formation. Or les territoires ont besoin de ces talents. Aussi entendons-nous aider les jeunes diplômés à revenir dans leur territoire d'origine s'ils le souhaitent cinq ans après leur formation. Plus qu'un progrès, c'est un changement structurant pour les outre-mer.
Un article de ce projet de loi renforce en outre la lutte contre les discriminations pour cause de domiciliation bancaire hors de la Métropole.
Enfin, le dispositif cadre d'avenir à Mayotte, inspiré d'une mesure portée par Michel Rocard en Nouvelle-Calédonie, permettra d'élever le niveau de compétences local.
Ce projet de loi appellera sans doute d'autres mesures ; le combat pour l'égalité ne s'achève pas ici et maintenant.
Le général de Gaulle affirmait, dans son discours de Basse-Terre : « La politique la plus coûteuse, la plus ruineuse, c'est d'être petit ». N'ayons pas peur de la grandeur pour les outre-mer et soyons fiers de ce que nous allons accomplir pour eux et la République tout entière. La France n'est la France que lorsqu'elle lutte pour l'égalité et s'accepte telle qu'elle est : océanique et riche de sa diversité. (Vifs applaudissements à gauche, ainsi que sur plusieurs bancs au centre et à droite)
M. Christian Vernaudon, rapporteur de la section de l'aménagement durable des territoires du Conseil économique, social et environnemental . - Monsieur le président du Sénat, je veux d'abord saluer votre initiative. Merci d'avoir invité le Conseil économique, social et environnemental à présenter l'avis qu'il a adopté, le 12 juillet 2016. Il porte uniquement sur l'étude d'impact et le titre premier. Bien que le projet de loi se soit considérablement étoffé depuis, celui-ci reste d'actualité.
Nous avons d'abord relevé l'extrême hétérogénéité des territoires d'outre-mer, tant par leur géographie, leur histoire que par leur situation démographique, environnementale, économique, sociale, culturelle et sociétale. Cette diversité, qui est remarquable au sein même des collectivités ultramarines, est également une diversité de statut, raison pour laquelle on parle des outre-mer, et non de l'outre-mer. Les unit toutefois un même attachement à la France, conformément à l'article 72.3 de la Constitution.
Pourquoi une nouvelle loi de programmation pour les outre-mer ? Parce que des écarts de développement importants persistent entre les outre-mer et la Métropole, surtout en matière d'accès à l'éducation, aux services publics, aux soins et au travail. Les taux d'illettrisme, de jeunes sans diplôme, de chômage, de pauvreté, en particulier, sont significativement supérieurs à ceux de l'Hexagone.
Qu'est-ce que l'égalité réelle et comment l'appliquer dans les outre-mer ? Selon Alain Christnacht et Pierre Steinmetz, que nous avons auditionnés, appliquer les mêmes moyens à des situations inégalitaires aux causes différentes ne permet pas d'atteindre l'égalité ; il peut arriver un moment où l'égalité formelle devient contraire à l'égalité réelle. D'où notre recommandation : concilier le principe d'égalité avec celui de libre administration des collectivités territoriales et une autonomie de gestion renforcée pour favoriser les logiques d'adaptation législative et d'expérimentation.
L'étude d'impact promeut une « intervention transverse de long terme » matérialisée par des études d'impact et plus de convergence : cela nous semble cohérent. Diagnostic partagé, plans stratégiques de convergence et développement durable, contrats de convergence, suivi et évaluation des politiques mises en oeuvre : voilà une méthode opportune ; celle-ci doit faire place à la participation des populations et s'accorder avec les engagements internationaux pris par la France, notamment à la COP 21. Il faudra assurer l'articulation des plans de convergence avec les autres outils de programmation que sont les contrats de plan État-région et les contrats de développement.
Des indicateurs communs pour la mesure de la convergence sont indispensables, de même que des indicateurs de suivi de chaque politique publique mise en oeuvre dans chaque territoire.
Dans un monde en plein bouleversement, les défis à relever outre-mer sont immenses, comme l'est la richesse de ces territoires. L'enjeu de ce texte est de rappeler que les ultramarins ont droit à l'égalité réelle mais aussi de définir avec clarté la bonne méthode et les bons outils pour y parvenir.
Je terminerai en citant la conclusion de notre rapport sur l'état de la France de 2016 : « Le pays doit assumer ses contradictions, développer ses atouts pour les transformer en richesses futures, croire toujours en la France et l'aimer ». (Applaudissements sur tous les bancs)
M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois . - Éric Doligé et Michel Vergoz, dans leur rapport de 2014 sur le niveau de vie outre-mer, résumaient la situation en ces termes : « Ilots de prospérité dans leur environnement régional grâce à la politique menée depuis la Libération, les outre-mer accusent parfois un retard dont la résorption a ralenti, voire qui s'accroît de nouveau ».
Cette injustice est d'autant plus mal perçue que les ultramarins bénéficient des mêmes droits que les Français de métropole. Les incidents de 2008 aux Antilles, de 2011 à Mayotte et de 2012 à La Réunion, en témoignent. Est-il acceptable que 3 millions d'ultramarins ne jouissent pas des mêmes droits économiques et sociaux ? Bien sûr que non.
Il était temps de bâtir un socle juridique et économique opérationnel, à partir duquel les ultramarins puissent bâtir leur voie de développement.
Attentif aux recommandations de Victorin Lurel, le Sénat partage l'objectif de ce projet de loi tout en regrettant qu'il arrive si tard, à l'approche de grandes échéances électorales. Nous nous sommes efforcés de lui redonner un peu du souffle qu'il avait perdu à l'Assemblée nationale. Les députés l'ont affaibli par des dispositions cosmétiques, satisfaites par le droit en vigueur ou soulevant des questions juridiques, voire constitutionnelles. Nous les avons rejetées, de même que seize des dix-huit demandes de rapport. Dotons-nous plutôt d'outils statistiques opératoires...
L'article 17 relatif à la discrimination en matière de domiciliation bancaire mettrait en cause la récente harmonisation des critères de discrimination dans les champs civil et pénal. D'où sa suppression de même qu'à titre conservatoire, les articles 19 et 29 bis. Concernant le premier, le Small business act outre-mer pose un problème constitutionnel, merci au Gouvernement des réponses qu'il a apportées et à M. Magras de son amendement. Quant au second, on ne combattra pas le fléau de l'orpaillage clandestin par des mesures d'affichage ; confiscations et destructions relèvent exclusivement de la compétence des autorités judiciaires. Mieux vaut supprimer également l'article 48 : quel intérêt fiscal y a-t-il à cadastrer l'ensemble du territoire guyanais ?
Nous avons simplifié l'architecture des plans de convergence à l'article 4, en nous inspirant des travaux de Victorin Lurel. Pour concilier programmation et souplesse, il sera prévu, dès la signature des plans, le choix du dispositif contractuel, les actions à entreprendre ainsi que la programmation financière ; à charge pour les signataires, de les préciser dans des contrats de plus courte durée.
Enfin, à l'heure où nous parlons d'égalité réelle, la différenciation territoriale, chère à notre collègue Magras, fait la richesse de notre pays. Le défi est de tenir compte des spécificités des territoires ultramarins pour tirer le meilleur parti de leurs atouts tout en corrigeant leurs faiblesses.
Moins de postures, plus de dispositions efficaces, voilà l'esprit dans lequel a travaillé la commission des lois. Je veux remercier la ministre pour son écoute, nos collègues qui ont contribué à nos travaux, le président de la commission des lois et le président du Sénat, qui a voulu la création d'une délégation à l'outre-mer.
M. Jean-Louis Carrère. - Elle a été créée sous le président Bel !
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Plus que jamais, le Sénat a montré qu'il était la voix de tous les territoires. (Applaudissements à droite, au centre ; M. René Vandierendonck applaudit également)
M. Michel Magras, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements à droite) Madame la ministre, nous vous sommes particulièrement reconnaissants de ce projet de loi, signe de la force de votre engagement pour les outre-mer. La commission des affaires économiques a cherché à donner cohérence, réalité et efficacité aux 25 articles dont elle a été saisie.
Pas moins de six commissions ont été saisies au Sénat sur ce texte qui, après son passage à l'Assemblée nationale, a changé de volume et de nature. Pour notre part, nous avons mis l'accent sur l'adaptation aux réalités et à la différenciation.
Nous avons approuvé, parfois avec quelques modifications rédactionnelles, les dispositions sur l'échange de courriers, la continuité territoriale et l'aide à la formation des jeunes ultramarins.
La formation des prix outre-mer représente un enjeu fondamental. Il fallait remettre de la cohérence entre des dispositions contradictoires, les unes contre la vie chère, les autres contre les denrées alimentaires à bas prix. L'aide à l'agriculture locale passe par la lutte contre les ravageurs et les normes qui pénalisent nos territoires. Le Sénat a d'ailleurs adopté en ce sens une résolution européenne, qui fait son chemin à Bruxelles.
Les pouvoirs conférés au préfet afin de maîtriser les prix à la consommation nous semblent excessifs. En même temps, souvenons-nous que le sujet est explosif : l'Etat doit y être attentif et pouvoir utiliser au bon moment des moyens d'actions efficaces et bien ciblés sans pour autant tomber dans l'interventionnisme systématique.
Nous proposons de faire preuve d'audace en retenant le principe d'un Small business act. Le risque constitutionnel est limité par le caractère temporaire du dispositif - cinq ans - et par l'existence de nombreuses possibilités d'adaptations ; je vous renvoie à l'article 349 du TFUE et à l'arrêt Mayotte. Il serait dommage que le législateur s'autocensure en retenant une interprétation trop stricte de l'égalité devant la commande publique. Nos outre-mer auraient tout à gagner d'une concurrence fortifiée par des micro-entreprises, à l'exemple de celles qui ont fait la croissance dans le nord de l'Italie.
(Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales . - La commission des affaires sociales a été saisie de 29 articles, dont 25 au fond. Il est difficile d'en donner un aperçu global, tant les sujets abordés sont nombreux sans être toujours assortis d'études d'impact. Ainsi mieux aurait valu remettre à plat le complément familial plutôt que de décider des revalorisations partielles et ciblées.
Notre commission a supprimé les nombreuses dispositions non normatives ou satisfaites par le droit en vigueur. Que l'on n'y voie pas une posture politique, nous avons accepté les amendements qui enrichissent le texte et proposé une convergence sur dix ans des taux de cotisations sociales sur les boissons alcooliques. S'il y a bien un domaine où seule l'égalité parfaite est acceptable, c'est bien celui de la santé.
La notion d'égalité réelle, si elle figure dans un autre texte déposé par le Gouvernement, me laisse perplexe. Qu'est-ce que l'égalité si elle ne se traduit pas dans les faits ? Le terme dénote un aveu d'impuissance. Loin des concepts d'affichage, privilégions des approches claires qui rencontrent quelque réalité sur le terrain. Nous devons prendre en compte les différences et définir une dynamique de convergence, plus qu'une égalité parfaite, au reste inatteignable.
Je veux enfin saluer le travail et l'écoute de la ministre, avec qui nous partageons une forte ambition pour les outre-mer. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Vivette Lopez, rapporteur pour avis de la commission de la culture . - La commission de la culture s'est saisie pour avis de sept articles dont aucun ne figurait dans le texte initial. Trois d'entre eux proviennent d'amendements gouvernementaux. Les articles 13 C et 13 E ne posent pas de difficultés particulières. Nous proposons de les adopter, moyennant une modification rédactionnelle à l'article 13 C.
L'essentiel des débats a porté sur l'article 13 bis. Rendre, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, l'instruction obligatoire pour les enfants de trois à dix-huit ans dans les départements et régions d'outre-mer constitue une réponse symbolique à l'illettrisme et au décrochage scolaire. Sans méconnaître ces problèmes, notre commission a estimé que cette mesure n'était pas pertinente.
Nos débats vont surtout porter sur l'article 13 bis, relatif à la lutte contre l'illettrisme et le décrochage scolaire. Nous avons considéré que l'obligation d'instruction des enfants de trois ans à dix-huit ans n'était pas pertinente. Pour les plus jeunes, le premier obstacle est la faiblesse de l'offre, non son caractère facultatif ; c'est particulièrement le cas à Mayotte. Quant à imposer une scolarisation des seize-dix-huit ans, cela ne nous paraît guère réaliste : scolariser à tout prix des jeunes en décrochage scolaire est une disposition d'affichage tout à fait impraticable.
À l'article 21, notre commission a supprimé des dispositions dans un souci de cohérence. Elle n'a rien contre la possibilité d'éditer des documents d'état-civil en français et en langue régionale, pourvu que seule la version française fasse foi. Elle est favorable à la création d'un grand conseil des populations amérindiennes et bushinenguées.
Bref, notre commission a cherché à améliorer ce projet de loi en le simplifiant et en le rendant plus concis. (Applaudissements à droite)
M. Jean-François Mayet, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a analysé les dispositions la concernant dans la continuité de ses travaux de 2015, en particulier le rapport d'information de MM. Bignon et Cornano sur les outre-mer face au risque climatique.
Les dispositions du projet de loi ne sont pas à la hauteur de ses ambitions affichées. Savez-vous que l'outre-mer renferme 80 % de la biodiversité nationale, 98 % de la faune de notre territoire et 96 % des plantes vasculaires spécifiques à la France ? Quatre des cinq points chauds de la biodiversité sont dans les outre-mer et le projet de loi ne comporte aucune disposition pour sa reconquête. Seuls quatre articles portent indirectement sur la protection du patrimoine naturel, et ils sont anecdotiques.
Les initiatives locales ne manquent pourtant pas, comme le programme de lutte contre les espèces exotiques envahissantes mené par la Polynésie française, ou l'Institut de la biodiversité insulaire créé par la Réserve nationale naturelle de Saint-Martin.
Les régions insulaires des énergies renouvelables parmi les plus avancées - hydroélectricité, photovoltaïque, éolien, ou biomasse issue de la bagasse de canne à sucre. Et pourtant, la consommation d'énergie primaire des territoires ultramarins reste très dépendante des énergies fossiles. Le projet de loi n'y fait pas référence alors que 12 000 Guyanais doivent produire eux-mêmes leur électricité avec des groupes électrogènes.
Le développement des infrastructures de transport, troisième axe du projet de loi, est fondamental. En outre-mer, il y a moins de 2 kilomètres de voirie par habitant contre 5,8 kilomètres dans l'Hexagone. Le projet de loi ne prévoit aucune mesure concrète, seulement des demandes de rapport !
Même chose pour le traitement des déchets. Ainsi, l'article 22 n'emporte pas d'effets réels, non plus que l'article 24 bis, supprimé par la commission des lois.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable se montre réservée. Malgré son manque d'ambition, elle est quand même favorable à l'adoption du projet de loi. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Michel Canevet, rapporteur pour avis de la commission des finances . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC) La France possède le deuxième domaine maritime au monde, grâce à ses onze territoires d'outre-mer. Voilà un potentiel économique conséquent. Ce projet de loi est opportun pour développer les différents territoires ultramarins, et enclencher une convergence avec l'Hexagone.
Les textes de loi se succèdent depuis trente ans : les lois Pons ont été complétées en 2001 par les lois Paul, en 2003 par les lois Girardin... La France fait un effort de 7 milliards vers les outre-mer chaque année, dont 800 millions dans le domaine de compétence de la commission des finances, par défiscalisation.
De 15, on est passé à 116 articles à l'Assemblée nationale. Il faut corriger cette inflation législative. Toutes ces dispositions supplémentaires inscrites par les députés font du texte un éventail très large de mesures ; il faut aller à l'essentiel et être efficace. Notre assemblée corrige ces dispositifs dans le sens d'un réel développement économique de l'outre-mer. Je pense aux entreprises et au logement, notamment. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Aline Archimbaud . - Les territoires d'outre-mer sont marqués par des inégalités que la France peine à réduire. Le chômage y est deux fois supérieur à l'Hexagone. La difficulté d'accès à l'emploi y est régulièrement dénoncée.
Qu'est-ce que l'égalité réelle ? Une égalité pourrait-elle être irréelle ? Le Gouvernement aurait emprunté ce concept à Amartya Sen, qui demandait comment l'accès aux biens et aux services est converti en « capabilités », c'est-à-dire en opportunités et en capacités d'action. En outre-mer, les capacités d'action sont en effet délicates. Ainsi, dans des communautés amérindiennes de Guyane, nous avons rencontré des habitants préoccupés par l'épidémie de suicide des jeunes. Que leur propose-t-on ? La mission locale de Maripasoula est fermée depuis un an, pour une durée indéterminée.
La République est une et diverse. Il n'est pas possible de calquer en outre-mer les politiques hexagonales. Mme la ministre a insisté sur ce point.
Nous avons notamment déposé des amendements sur les langues autochtones, sur les pouvoirs du Grand Conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenguées, sur la création d'un observatoire sur le suicide des jeunes en Guyane.
Nous souhaitons réintégrer l'article sur la journée de commémoration de l'esclavage, et réintroduire des moyens de lutte contre l'orpaillage illégal, cette catastrophe écologique et humaine.
Alors que les ressources naturelles sont énormes en outre-mer, pourquoi ne pas y développer les énergies renouvelables ? Pourquoi n'encourage-t-on pas davantage l'aquaculture et la pêche ? Des menaces pèsent sur la biodiversité. Coraux, forêt amazonienne...
La lutte contre le chômage et la vie chère passe aussi par le développement endogène, seul susceptible de réduire les importations - et donc les prix élevés - et de soutenir l'emploi local. (Applaudissements sur divers bancs à gauche)
M. Thani Mohamed Soilihi . - Ce texte est d'une extrême importance pour l'outre-mer, en visant la réduction des écarts avec l'Hexagone, qui persistent malgré la politique volontariste de ce Gouvernement. Jusqu'à 80 % de PIB par habitant en moins : les inégalités restent patentes.
Certains s'interrogent sur le terme « égalité réelle ». Il s'agit de concilier notre conception républicaine de l'égalité avec la diversité des territoires, en s'inspirant du rapport remis en mars 2016 par le député Victorin Lurel, pour répondre aux revendications de longue date des populations. L'objectif affiché est d'abord une convergence des droits sociaux vers les standards nationaux d'ici dix à vingt ans, à travers des plans propres à chaque territoire. Enfin, le texte vise à développer les opportunités économiques et à renforcer la concurrence et l'investissement dans le capital humain et à lutter contre la vie chère.
Le projet de loi a été enrichi d'une centaine d'articles à l'Assemblée nationale, portant sur des sujets très variés. Nous proposons de l'enrichir encore.
Je parlerai de Mayotte que je connais le mieux. Je me félicite que la commission des lois ait adopté quatre de nos amendements. Je regrette que trois amendements relatifs à la fiscalité et au droit du sol aient été rejetés. Je les défendrai à nouveau en séance.
Il faudra de la patience pour mettre en oeuvre toutes ces dispositions de façon échelonnées sans surcharger le budget de l'État.
Le groupe socialiste votera en faveur de ce projet de loi. Merci à la ministre pour son écoute et aux rapporteurs pour leur travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
Mme Gélita Hoarau . - Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les habitants des quatre « vieilles colonies » - Guyane, Guadeloupe, Martinique et La Réunion - étaient dans une misère effroyable du fait du statut colonial. Les progressistes de ces pays, Césaire, Bissol, Monnerville et Vergès ont fait voter à l'unanimité la loi du 19 mars 1946 qui mettait fin au régime colonial et donnait à ces colonies le statut de départements. Elle proclamait qu'au 1er janvier 1947 les droits sociaux de leurs habitants seraient identiques à ceux de l'Hexagone. Cette loi n'a cessé d'être bafouée pendant cinquante ans, le temps qu'il fallut pour obtenir l'alignement du smic et des allocations familiales.
L'égalité est encore loin d'être réalisée. L'écart est considérable, tant à l'aune du produit intérieur brut par habitant, de l'indice de développement humain que de l'indicateur synthétique d'inégalité de salaires, de revenus, de niveau de vie.
Ce projet de loi, malheureusement, ne donne pas la définition de l'égalité réelle. Le taux de chômage est de 30 % à La Réunion. Cela correspondrait à onze millions de chômeurs dans l'Hexagone. Il faudrait créer 13 000 emplois par an à la Réunion pour converger ; or le territoire n'en crée que 3 000. La moitié de la population de La Réunion vit sous le seuil de pauvreté.
Comment croire que ce qui n'a pas été réalisé pendant soixante-dix ans le sera en dix ans, alors que s'ajoutent le réchauffement climatique, une démographie galopante et la mondialisation ? Toute la filière sucrière est menacée, alors qu'elle représente plusieurs milliers d'emplois.
La loi n'est pas en mesure de régler les problèmes présents. Nombreux sont ceux qui voient dans l'autonomie la réponse appropriée, pour relever le défi du développement durable, de l'économie, de la culture...
L'histoire nous a liés avec la France et l'Union européenne. Nos pays ne peuvent toutefois pas se couper des grandes transformations. Ils doivent pouvoir passer directement des accords avec leurs voisins.
Ce projet de loi reste dans le schéma classique de la loi d'intégration de 1946 ; il ne met pas en place le nouveau modèle de développement des outre-mer que François Hollande appelait pourtant de ses voeux.
Malgré toutes nos réserves, nous voterons néanmoins ce texte si les avancées qu'il contient ne sont pas remises en cause.
Selon le projet de loi, l'égalité réelle serait atteinte grâce à l'élaboration des plans de convergence élaborés sur la base des articles 37-1, 72 et 73 de la Constitution. Or La Réunion est la seule des collectivités régies par l'article 73 à ne pouvoir y prétendre : elle ne peut ni adapter les lois, ni produire ses propres lois. D'où une question de constitutionnalité : si La Réunion ne peut disposer des outils nécessaires à l'élaboration de ces plans de convergence, cette loi s'applique-t-elle à elle ? La prudence recommande donc l'abstention sur ces articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Guillaume Arnell . - L'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclame que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Pourtant les inégalités demeurent. Comment appréhender le concept d'égalité réelle ? Faut-il accepter que nos territoires soient différents ? « Il n'y a pas d'égalité adaptée, il n'y a pas d'égalité globale, l'égalité est ou n'est pas » a dit Aimé Césaire lors de la discussion de la loi de 1946 instaurant la départementalisation.
Je regrette qu'un thème d'une telle importance soit abordé dans le cadre d'un examen en procédure accélérée.
Après la loi de 1986, la loi pour le développement économique des outre-mer, voici ce projet de loi, inspiré du rapport de Victorin Lurel. Il a été substantiellement modifié à l'Assemblée nationale et porté de 15 à 116 articles. Il a aussi été profondément modifié en commission au Sénat.
Logement, mobilité, continuité territoriale, fiscalité... : dans tous ces domaines, il y a urgence à agir contre les inégalités. Le PIB par habitant est inférieur d'un tiers ou de la moitié à ce qu'il est dans l'Hexagone. Un quart des ménages touchent le RSA-socle, contre 4 % dans l'Hexagone. 9,9 % des jeunes ont des difficultés de lecture en métropole ; ils sont 27,7 % à La Réunion et 74,5 % à Mayotte.
Même si des inégalités persisteront après ce texte, toute amélioration est bonne à prendre. L'objectif n'est pas d'aboutir à une égalité chimérique, mais de tendre vers la convergence.
Il existait déjà dans le passé des inégalités entre Saint-Martin et la Guadeloupe. Elles persistent. Saint-Martin manque cruellement d'infrastructures, qu'il s'agisse d'accueil des personnes âgées, des personnes privées de liberté, des handicapés ou des lycéens.
Le territoire compte 30 % de chômeurs dont 60 % sont des femmes. Le BTP est en difficulté depuis 2009 en raison d'une carence de la commande publique. C'est pourquoi je défendrai des amendements en faveur de mon merveilleux territoire qui possède malgré tout un grand potentiel. Avec joie, je constate que de plus en plus de mes collègues se soucient des problématiques ultramarines. Le groupe RDSE votera ce texte en plaidant pour plus d'égalité et d'harmonie entre les territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, des écologistes ainsi que du groupe socialiste et républicain)
M. Didier Robert . - Je ne serai pas complice d'une loi de pur affichage qui maintiendra l'inégalité. Comment faire croire que l'outre-mer est une priorité quand la seule loi qui le concerne arrive en toute fin de mandat, qui plus est par le passage en force qu'est la procédure accélérée ?
Cette loi fourre-tout a été bricolée à la hâte, sans aucune étude d'impact. Madame la ministre, vous avez manqué de pédagogie pour ce projet de loi qui ne convainc personne, sauf peut-être vous. Ce projet de loi ne répond en rien aux problèmes des habitants d'outre-mer.
Je reprends à mon compte la magnifique formule de Fernand Braudel : « la France se nomme diversité ». L'idéologie égalitariste avait déjà été dénoncée par Montesquieu et Tocqueville. Sans doute des efforts de rattrapage sont-ils à réaliser, dans l'éducation, l'accès aux médias, la préparation aux concours... Mais nous ne sommes pas dupes de l'indigence de vos propositions, telles que les plans de convergence, aux articles 4 et 5. Il ne fait aucun doute qu'ils seront pilotés par l'État, faisant des collectivités territoriales des figurants. C'est inconstitutionnel. Quant à la continuité territoriale, objet de mesures éparses dans ce texte, elle a été détruite par votre Gouvernement et tout au long du quinquennat : les crédits ont baissé de 25 %.
Il faut croire que les lointaines populations d'outre-mer sont priées d'y rester. Les 320 000 Corses bénéficient de 186 millions d'euros au titre de la continuité territoriale, quand les 2,5 millions d'Ultramarins n'ont que 40 millions !
Tout en proclamant de généreux principes, vous amoindrissez l'effort envers l'outre-mer. Celui-ci n'a jamais été la priorité du Gouvernement, voilà la vérité. Le vide sidéral de ce texte n'est pas masqué par vos affirmations creuses.
Le nouveau modèle de développement que nous revendiquons repose non sur une prétendue égalité, mais sur une véritable liberté pour les entreprises et les collectivités territoriales afin qu'elles aménagent leur territoire. Libérons-les du carcan des normes et d'un cadre juridique dépassé dont la loi Montagne est l'exemple le plus récent.
Je fais le voeu d'une loi privilégiant les mesures concrètes aux articles incantatoires. Ce ne sera pas pour cette fois. (Applaudissements au centre et sur certains bancs à droite)
La séance, suspendue à 16 h 30, reprend à 16 h 45.