Débat sur l'avenir du transport ferroviaire en France
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur l'avenir du transport ferroviaire en France.
M. Alain Bertrand, au nom du groupe RDSE . - TGV, Intercités, TER, fret, il y aurait beaucoup à dire ; je préfère parler de la desserte des territoires ruraux et hyper-ruraux. Car lorsque, d'un côté, on se demande quel record de vitesse battra le TGV entre telle métropole et telle métropole ; de l'autre, on ferme des lignes et des gares dans des territoires où l'on souffre d'un sentiment d'abandon - qui se traduit dans les urnes par les résultats détestables que l'on sait.
Les trains d'équilibre du territoire (TET), mis en place le 13 novembre 2010, devaient desservir la ruralité et l'hyper-ruralité. Or la feuille de route que le Gouvernement a annoncée en juillet dernier prévoit le transfert de la quasi-totalité d'entre eux aux régions. Seule la Normandie a signé un accord. Les TET qu'aucune collectivité ne pourra reprendre vont-ils disparaître ? Ce serait inacceptable, surtout de la part d'un gouvernement socialiste que je soutiens.
La solution serait la voiture individuelle ? Ni pour les aînés, les handicapés et les jeunes. Les cars Macron ? Ils ne desservent pas nos territoires : FlixBus a supprimé les arrêts de Guéret et de Montluçon, pas ceux de Nîmes et de Montpellier. Et la liste s'allongera.
Le rail est indispensable : là où il disparaît, c'est la République qui disparaît. Les régions n'ont pas les moyens d'entretenir les trains. Monsieur le ministre, vous avez décidé de garder dans le giron de l'État la ligne Paris-Clermont-Ferrand, mais les lignes qui la prolongent vers Béziers, « l'Aubrac », et vers Nîmes, « le Cévenol », sont quasiment condamnées. Le mois dernier, je vous ai proposé le « Trans-Massif central » : elle comporterait une partie commune entre Paris et Clermont-Ferrand, ligne sur laquelle vous avez entrepris le renouvellement du matériel roulant, puis se scinderait en deux axes, un vers l'Est et un vers l'Ouest - ces lignes sont déjà électrifiées. Quelle que soit l'idée retenue, l'État doit maintenir son engagement et demeurer chef de file. Si ce n'est pas le cas, les lignes seront fermées à terme.
Je ne méconnais ni les politiques d'aménagement du territoire menées sous la houlette du Premier ministre, ni le fait que les difficultés financières sont héritées de l'ancienne majorité, ni que la DETR a été doublée par MM. Valls et Baylet et que les contrats de ruralité ont été enfin créés à l'image des contrats de ville.
Les ruraux sont, le plus souvent, des citoyens simples et de bon sens. Et le bon sens me conduit à vous alerter, monsieur le ministre. Nous ne voulons pas être les humiliés, les sans-grades, les déclassés. Le train dont nous parlons tracte de nombreux wagons : l'accès aux services publics, à la santé, à la couverture mobile et à la couverture internet. Un seul exemple : chez nous, il faut quasiment grimper sur le clocher de l'église pour passer ses coups de fils...
Nous, les ruraux, sommes solidaires des autres politiques d'équité républicaine, celle de la ville, celle des banlieues, celle de l'équipement moderne dans les métropoles. Mais quelle ruralité pour l'avenir ? Quelle France pour demain ? Veut-on celle du nombre, de l'entassement ou bien une France équilibrée, dans tous ses territoires ?
Monsieur le ministre, c'est une question d'arbitrage politique : soit vous gardez ces TET pour seulement 300 millions d'euros sur 400 milliards de budget, soit vous les transférez aux régions et les condamnez à terme. Ce serait un délaissement programmé, volontaire, politique des Alpes, des Pyrénées, du Massif central, des Vosges et de la Bretagne... Et, s'il vous plaît, qu'on ne me déroule pas la litanie habituelle sur les mauvais chiffres des TET : pas de contrôleurs le plus souvent, sous-équipés en matériel, roulant sur des voies à demi-abandonnées à 30 kilomètres à l'heure.... De Paris à Mende, il faut compter 17 heures ! Qu'avons-nous fait pour mériter cette injustice ? Sommes-nous de mauvais citoyens ? Non ! Avons-nous versé moins de sang pour défendre notre pays ? Encore non ! Refusons-nous l'impôt? Non ! Refusons-nous notre rôle d'hinterland des urbains qui viennent chez nous se ressourcer ? Encore et toujours, non ! (Sourires)
Ne noyez pas le chien des TET : il n'a pas la rage ! On ne peut pas tuer une partie des territoires et une partie de la République ! (Applaudissements sur tous les bancs)
M. Ronan Dantec . - Plus on habite loin d'une gare, plus on vote FN. Le transport ferroviaire porte non seulement des enjeux de mobilité mais aussi d'inclusion. L'abandon de la gare, c'est la relégation du territoire et de ses habitants. Le RDSE a raison : nous devons avoir ce débat, même s'il n'est pas nouveau, quand on voit qui a voté pour le Brexit et pour Trump...
Cela fait trente ans que les gouvernements annoncent la préférence ferroviaire sans que cela ne se traduise dans les moyens financiers. Résultat, la SNCF a privilégié le transport de voyageurs sur celui de marchandises, les TGV sur les lignes secondaires ; elle a abandonné les wagons isolés, les trains de nuit et l'envisage pour les TET.
Le groupe écologiste s'oppose à l'orientation qui est prise. D'abord, parce que le rail est une urgence écologique et de santé publique : les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté l'an dernier en France. Le transport représente un quart des émissions, et la route 92 % d'entre elles. Ensuite, parce que nous défendons, au nom de l'aménagement du territoire, les transports du quotidien. Le tout TGV n'est pas la solution. La ligne nouvelle Bretagne-Pays de la Loire est un exemple à ne pas suivre. Les usagers l'ont dit ; leur priorité était plutôt Brest-Quimper, Nantes-Bordeaux ou Auray-Saint-Brieuc.
Entre 1995 et 2013, 110 000 kilomètres de route ont été construits, soit une hausse de 11 % en moins de vingt ans alors que le réseau ferroviaire s'est résorbé de 6 %. La ligne Brive-Aurillac, que je connais bien, est en travaux, quand rouvrira-t-elle ? La moitié des trains de nuit ont été supprimés à l'automne ; les PME ne s'installeront plus dans les villes moyennes qui ne sont plus desservies. Ce coût-là, on oublie souvent de l'intégrer.
Où trouver des financements ? Comment ramener les voyageurs de l'aérien vers le train ? L'avion est bien plus subventionné avec la détaxation du kérosène ; c'est une distorsion de concurrence. Il faut une péréquation nationale et régionale, les métropoles doivent mettre la richesse au service des villes moyennes. La dette ferroviaire devrait être dans le budget de la Nation puisque la SNCF remplit une mission de service public. Nous mesurons le coût de l'abandon de l'écotaxe... Oui, ce grand débat, nous devions le tenir aujourd'hui (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Yves Roux . - Je suis issu d'un des très rares départements de métropole qui n'est pas lié à la capitale par le train. Je ne pourrais donc pas détailler les dysfonctionnements de ma ligne ou me féliciter des initiatives locales qui ont amélioré la situation...
La dette, la régionalisation, l'ouverture à la concurrence, la montée en puissance des transports collaboratifs, le défi industriel d'Alstom, le défi environnemental de l'accord de Paris, un changement brutal de la stratégie nationale serait contre-productif, de même qu'un désengagement financier. La péréquation est une nécessité absolue. L'Arafer doit avoir les moyens de fonctionner. La loi sur le transport ferroviaire de 2014 a constitué une étape déterminante ; dans leur rapport sur son application, les députés demandent un plan pluriannuel d'investissement. Je souscris totalement à cette proposition.
Le plus grand danger est le désamour des usagers pour le rail. Une enveloppe de 2,6 milliards en 2016 a permis de supprimer des ralentissements. Le confort et le rapport qualité-prix doivent être améliorés pour que nos concitoyens ne se tournent pas davantage vers le covoiturage ou l'avion low cost.
Quatre-vingts ans après la création des congés payés, quelle tristesse de voir que le train est devenu trop cher. La gamme existante pour l'industrie ferroviaire est trop limitée ! Elle devrait prévoir des trains calibrés pour les lignes régionales.
Malgré l'engagement répété des pouvoirs publics, le fret ferroviaire ne progresse pas. L'Union européenne avait fixé un objectif d'une progression de 50 % à l'horizon 2050. D'après un rapport de la Cour des comptes de l'Union européenne, l'Allemagne a réussi à augmenter sa part de 5 % de mi-2014 à mi-2015, quand la France, elle, se maintient à 19 %.
Notre industrie ferroviaire dispose de grands atouts. Le prochain défi, c'est donner aux opérateurs les moyens de faire les investissements nécessaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE)