Stabilisation du droit de l'urbanisme

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes sur la proposition de loi portant accélération des procédures et stabilisation du droit de l'urbanisme, de la construction et de l'aménagement.

Explications de vote

M. Jean-Pierre Bosino .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) Cette proposition de loi issue du groupe de travail sur la simplification du droit de l'urbanisme, de la construction et des sols, est cette fois, un vrai texte de simplification, qui nous satisfait globalement. Saluons le travail des auteurs de la proposition de loi, Marc Daunis et François Calvet, qui ne sont pas tombés dans la facilité d'élaguer toutes les normes de l'urbanisme. La norme est contraignante, mais elle protège.

Mon groupe se satisfait de ce que le texte ne reflète pas la proposition de résolution. J'étais sceptique sur le dispositif destiné à faciliter l'octroi de dommages et intérêts en cas de recours abusif prévu à l'article 2. J'ai entendu les arguments de chacun. Il y a, bien sûr, des recours abusifs et sévit un peu partout le syndrome « pas dans mon jardin » : à Paris, un projet de logements sociaux dans le 16ème arrondissement a été retardé pendant des années par des recours émanant de voisins, qui ont abouti à 8 millions d'euros de perte et 177 logements livrés avec quatre ans de retard. Les communes doivent garder la main.

Nous avions aussi émis des réserves sur l'article 6 à propos des ZAC. L'amendement de Joël Labbé lève nos craintes sur ce point.

Sur la forme comme sur le fond, la méthode employée à propos de l'article 8 et de l'article additionnel après celui-ci ne nous convient pas. Nous avons assisté à une volonté de « refaire le match » de la loi Création, Architecture et Patrimoine, de juillet 2016, puisque le Sénat a supprimé le monopole de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) sur les fouilles sous-marines, avec l'aval du Gouvernement, au prétexte d'une coquille ou d'un vide juridique. Pourtant, en février dernier, la ministre de la culture déclarait ici même qu'un opérateur unique (l'Inrap) garantissait la qualité tant technique que scientifique des fouilles...

Espérons que la navette permettra de revenir sur cette disposition regrettable à laquelle nous sommes fermement opposés.

L'intervention des Architectes des bâtiments de France (ABF) en amont est une bonne chose, de même que la non automaticité du PLUI en cas de révision partielle du PLU. Les communes sont mises à mal par les baisses des dotations - 11 milliards d'euros entre 2015 et 2017 - et les transferts sans compensation... Ce texte accélère les procédures de construction, c'est bien ; mais les collectivités territoriales pourront-elles investir ? Leur investissement a baissé, avec les conséquences que l'on sait pour le bâtiment.

Nous voterons ce texte ; nous proposons la même démarche pour les moyens des collectivités territoriales ; il y faudra de la volonté politique. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et écologiste ; M. Alain Bertrand applaudit aussi)

M. Jean-Claude Requier .  - L'inflation législative, à laquelle, outre le Gouvernement, nous ne sommes nous-mêmes pas totalement étrangers, est malheureuse. Nous jugeons avec Descartes que « la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu'un État est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort peu elles y sont fort étroitement observées ».

On le voit en matière d'urbanisme, ce trop-plein empêche de mener à bien les projets.

Nous approuvons la démarche de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation qui consiste à appliquer deux principes à l'initiative parlementaire, la simplification du droit et la stabilité de la norme. Ce sont les piliers de la sécurité juridique.

Il faut ici engager, selon les termes du rapport du Conseil d'État de 2006, « la lutte du système juridique contre lui-même ». Cela ne signifie pas forcément qu'il faille systématiquement supprimer une norme lorsque nous en ajoutons une, mais cela doit nous conduire à nous interroger régulièrement sur leur bien-fondé.

Sans une amélioration de la qualité de la loi dès sa conception, sans une étude d'impact complète et rigoureuse, nous offrons un terrain propice aux contournements de la loi et aux recours abusifs.

Les deux premiers articles de la présente proposition de loi renforcent la sécurité juridique et poursuivent la lutte contre ces recours abusifs en matière d'autorisations d'urbanisme. Certes, un grand travail a été réalisé par le rapport Labetoulle, l'ordonnance du 18 juillet 2013 et le décret du 1er octobre 2013 relatifs au contentieux de l'urbanisme.

Les auteurs de la proposition de loi vont plus loin en permettant au juge de s'autosaisir ou de condamner à verser des dommages et intérêts en cas de recours abusif. Ces derniers sont rares. L'augmentation du montant de l'amende annoncée par le Gouvernement rendra les juges prudents.

Nous appelons justement à une certaine prudence : le droit au recours et la garantie des droits fondamentaux doivent être préservés. Il ressort de la jurisprudence que la sanction des recours abusifs est loin d'être systématique et demeure plutôt rare.

Le droit doit protéger la liberté de faire sans entraver celle des autres. Il faudra établir le bilan de ces dispositions d'ici quelques années. L'articulation des documents d'urbanisme sera facilitée. Les collectivités territoriales ont besoin d'une pause, d'un point d'étape triennal.

Le dialogue entre les collectivités territoriales, les porteurs de projets et l'État est ainsi heureusement renouvelé. Cela remplacera le simple contrôle administratif par un véritable accompagnement. Peut-être les décisions seront-elles mieux motivées. La saisine des Architectes des bâtiments de France en amont va dans le même sens en favorisant le dialogue.

Le groupe RDSE voit dans ce texte une vraie simplification du droit, qui améliorera la visibilité pour les élus, les porteurs de projets et nos concitoyens, en apportant une réponse à des problèmes que rencontrent nos territoires ; nous le voterons unanimement. (« Très bien ! » et applaudissements)

M. le président. - Je salue à présent le président de la délégation aux collectivités territoriales, qui s'exprime au nom du groupe UDI-UC.

M. Jean-Marie Bockel .  - Merci, monsieur le président. La nécessité de stabiliser le droit de l'urbanisme ne fait pas débat. La délégation aux collectivités territoriales l'a bien vu dans les réponses à la grande consultation qu'elle a organisée, en partie, en salle des conférences : 64 % des élus concernés désignaient le droit d'urbanisme et le droit des sols comme objectifs prioritaires de la simplification.

Après un galop d'essai concluant dans le domaine réglementaire, avec la proposition de résolution tendant à limiter le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes relatives à l'urbanisme et à la construction, que le Sénat a adoptée le 13 janvier 2016, la délégation a confié à un groupe de travail sous la responsabilité de Rémy Pointereau, notre premier vice- président de la délégation, chargé de la simplification, l'élaboration de la présente proposition de loi.

François Calvet et Marc Daunis, co-auteurs, n'auraient pas pu aller au bout de leur tâche sans les appuis efficaces dont ils ont bénéficié au sein de cette assemblée : je tiens à remercier la commission des affaires économiques, son président et son rapporteur, ainsi que vous-même, monsieur le président. Loin d'un grand soir simplificateur, il s'agit d'un texte concret qui apporte une réponse aux 11 000 contributions à la consultation dont je vous parlais.

Le groupe de travail a également élaboré une liste de 45 propositions, non législatives, de niveau réglementaire ou de bonnes pratiques que M. le ministre s'est engagé à prendre en considération.

Je ne sais si cela suffira à remplir le tonneau des Danaïdes de la simplification. Nous développons avec le Conseil national d'évaluation des normes, présidé par Alain Lambert, une démarche vertueuse... Nous continuons dans ce sens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)

M. Joël Labbé .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste, ainsi que sur quelques bancs du groupe RDSE) Monsieur le président, vous avez souhaité suivre cette proposition de loi avec attention, merci aussi de lui avoir choisi un vote solennel pour son adoption. Nous pouvons nous réjouir de la qualité de ce texte et du niveau de co-construction à l'oeuvre.

Je ne fais pas partie des 42 co-signataires car j'avais quelques bémols à apporter ; mais je constate avec satisfaction que le Gouvernement s'est engagé à porter le texte au plus vite à l'Assemblée nationale.

Ce texte réduit les délais d'instruction des recours, c'est très utile pour contrer les recours dilatoires.

L'amélioration du dialogue entre collectivités territoriales et État répond à une demande forte, avec un référent juridique unique en matière d'urbanisme, d'aménagement et d'environnement. Les écologistes ont été entendus à travers l'adoption de deux amendements.

M. Éric Doligé.  - Mais ils ne nous entendent pas, eux.

M. Joël Labbé.  - La consultation des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) est indispensable pour que les élus puissent prendre des décisions éclairées.

En dépit des doutes que j'avais au début, je me réjouis de la manière exemplaire et très constructive avec laquelle les auteurs et la rapporteure Mme Lamure ont travaillé ensemble.

Nous comptons sur Mme la ministre du logement pour porter ce texte à l'Assemblée nationale, qui saura encore enrichir cette proposition de loi. Le groupe écologiste la votera. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et du RDSE)

M. le président.  - J'ai moi aussi beaucoup apprécié votre travail en commun, Messieurs Daunis et Calvet.

M. Marc Daunis .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Laissez-moi commencer par rendre hommage à François Calvet, avec qui nous avons travaillé pour le bien commun au service de notre pays, et par remercier la délégation, la commission et Mme la rapporteure Lamure pour son écoute attentive et exigeante. Les membres du groupe socialiste et républicain, sous l'impulsion d'Annie Guillemot, ont été attentifs, tout comme les groupes CRC et écologiste, qui ont fait leur miel de ces propositions, malgré leurs réticences initiales ; qu'ils en soient chaleureusement remerciés. Chacun a compris l'intérêt de s'inscrire dans un esprit constructif.

Nous souhaitions suivre une méthode exigeante et participative - notre base fut constituée des 11 000 réponses au questionnaire. Nous avons cherché à faire le tri entre niveaux législatif et réglementaire - en vous transmettant la substantifique moelle de nos travaux afin que vous puissiez, monsieur le ministre, demander aux administrations de s'en inspirer.

Il fallait lever un doute : celui des élus locaux, qui se méfient d'emblée de toute tentative de simplification - craignant qu'elle ne résulte finalement en une complexification. Notre travail fut de bout en bout un hymne à la confiance des élus locaux.

Simplifier, ce n'est pas déréglementer. Mais c'est une exigence majeure car combien de recours abusifs appuyés sur une réglementation trop complexe, empêchent l'action en faveur de l'intérêt général ; et avec quel coût ? Je ne doute pas que la navette fera prospérer le texte.

Le président de la République avait appelé à un choc de simplification (Rires et exclamations ironiques à droite), je suis fier que le Sénat y procède, dans un esprit collectif et transpartisan : nous servons l'intérêt de nos concitoyens, de notre pays ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur la plupart des bancs du groupe RDSE)

M. Rémy Pointereau .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) L'inflation normative est un fléau pour notre pays. (Plusieurs marques d'approbation à droite et au centre) Il représente trois points de PIB, 6 milliards d'euros et des délais deux fois plus longs que nos voisins européens pour tout projet. (Même mouvement)

Voix à droite. - Au moins !

M. Rémy Pointereau.  - Le législateur a ses responsabilités, mais il n'est pas seul responsable. (On en convient à droite) Je me réjouis que notre Haute Assemblée, sous l'impulsion de son président, prenne l'initiative en ce domaine. (On approuve derechef sur les mêmes bancs)

Nous avons avancé depuis mars 2015, avec notamment une proposition de loi constitutionnelle posant le principe d'une norme nouvelle pour une norme supprimée ou la non-surtransposition des normes européennes. Cette proposition de loi s'inscrit dans le même mouvement, pour simplifier la vie de nos élus et des porteurs de projets.

Nous avons adopté une démarche inclusive, pour que tous les groupes, toutes les commissions permanentes soient associés ; une démarche sectorielle sur l'urbanisme, conformément aux réponses du questionnaire ; nous répondons aux préoccupations exprimées par les maires en marge du congrès de l'AMF en 2014 qui nous ont dit à la grande majorité vouloir simplifier les normes qui ralentissent, renchérissent voire bloquent leurs projets urbains ou ruraux ; une démarche participative avec vingt auditions de 99 personnalités et une consultation nationale aux quelque 11 000 réponses. Merci à Mme Lamure qui a contribué à l'amélioration de ce texte.

Cette proposition de loi ne répond pas à tous les problèmes, mais c'est un premier pas. Le groupe Les Républicains appelle à la voter massivement. (Vifs applaudissements à droite, ainsi que sur quelques bancs au centre ; on applaudit aussi sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)

Scrutin public solennel

M. le président.  - Il va être procédé dans les conditions prévues par l'article 56 du Règlement au scrutin public solennel sur l'ensemble de la proposition de loi portant accélération des procédures et stabilisation du droit de l'urbanisme, de la construction et de l'aménagement, en salle des Conférences.

Je remercie nos collègues Mme Corinne Bouchoux, MM. Bruno Gilles et Jackie Pierre, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure.

La séance suspendue à 15 h 15, reprend à 15 h 45.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°40 sur l'ensemble de la proposition de loi portant accélération des procédures et stabilisation du droit de l'urbanisme, de la construction et de l'aménagement, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 341

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements)

Intervention du Gouvernement

M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification .  - Monsieur le président du Sénat, cher Gérard Larcher, monsieur le président de la commission, cher Jean-Claude Lenoir, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, (Voix ironiques : « Chers amis ». Sourires) Alain Lambert, notre ancien collègue, président du Conseil national d'évaluation des normes a fait lui aussi un travail utile. Comment vous dire avec quelle sympathie je ressens l'ambiance de cet après-midi à la Haute Assemblée : au-delà des querelles, la représentation nationale peut se rassembler au service du pays !

Vous avez excellemment travaillé, pour un résultat transpartisan, pour une communauté de vues tout à fait positive. Bien sûr, des positions divergentes, des nuances se font entendre : ici la protection des droits, là, la liberté d'entreprendre ou celle d'innover. Mais ce qui compte avant tout, c'est le tronc commun des constats, la volonté commune de simplifier la vie administrative des entreprises, et de nos concitoyens.

Nous avons eu des séances de travail parfois arides, ici au Sénat comme au ministère ; nous avons avancé sur tous les sujets, nous avons dialogué, fait des pas les uns vers les autres, en toute franchise. J'ai demandé au Conseil national de simplification de la vie des entreprises de continuer son travail jusqu'en juin, pour évaluer l'impact de ces mesures budgétaires. Mais aussi sur la vie pratique, un peu comme cela se fait en Allemagne.

Ce sujet ne sépare pas la droite et la gauche, mais ceux qui veulent changer et ceux qui résistent au changement.

Quid des 45 mesures réglementaires figurant dans votre rapport ? J'ai demandé à mes services de les étudier, nous vous répondrons le 5 décembre.

M. Marc Daunis.  - Très bien.

M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État.  - J'ai demandé aussi à instruire un projet de loi dans le calendrier très serré que vous connaissez.

Votre vote unanime nous oblige, je le devais au Premier ministre : c'est un bonheur pour moi de représenter le Gouvernement dans un moment aussi oecuménique et utile à la vie de nos concitoyens, de notre pays ! (Applaudissements)

La séance est suspendue à 15 h 55.

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

Secrétaires : Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles.

La séance reprend à 16 h 10.