Débat sur la France et l'Europe face à la crise au Levant
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la France et l'Europe face à la crise au Levant, à la demande de la commission des affaires étrangères et de la mission d'information sur la position de la France à l'égard de l'accord de mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en oeuvre de cet accord.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères . - Merci d'avoir permis ce débat à une période préoccupante. Jamais, depuis que je suis le spectateur des affaires du monde, la situation n'a été aussi dégradée, et le Levant conjugue toutes les crises.
On voit aujourd'hui les dirigeants russes chercher à l'extérieur des satisfactions qu'ils n'obtiennent pas à l'intérieur, vu la situation économique du pays. Nous sommes partis au Levant avec les Américains, et nous nous retrouvons plutôt avec les Russes.
Alep, malgré la trêve, est ruinée, blessée, meurtrie. Vous avez eu raison, monsieur le ministre, d'y dénoncer des crimes de guerre. Demain, ce sera peut-être le tour de Mossoul. Sur ce dernier front, la France est très présente et visible, alors qu'elle ne représente que 5 à 20 % des frappes en Syrie.
Ce conflit a déjà fait 300 000 morts, 5 millions de réfugiés, 8 millions de déplacés. Il exerce sur nous des effets réactifs profondément néfastes. Que deviendront les 700 Français qui font la guerre dans les rangs de Daech, lorsqu'ils voudront revenir en France ? À moins qu'ils ne veuillent aller porter le fer en Libye, voire en Tunisie...
La Méditerranée est notre première frontière, notre première ligne d'intérêt. Nous ne la protégerons pas seulement par les armes. Bien sûr, il faut agir avec force contre le terrorisme. Mais je n'oublie pas les mots de Jacques Chirac, en 2003 : « La guerre appelle le terrorisme, la brutalité appelle la brutalité, les tensions appellent les tensions ». La vraie solution, c'est le développement, et d'abord en Tunisie, en Algérie et au Maroc ! (Applaudissements nourris au centre et droite ; M. Jacques Mézard applaudit aussi)
Nous apprécions les efforts humanitaires de la France, ses efforts pour relancer le processus politique en Syrie. Le projet de résolution français au Conseil de sécurité a eu le mérite de révéler qui avait la volonté d'avancer. Mais il faut aller plus loin, en réaffirmant le rôle de notre pays, la nécessité d'une armée puissante et d'une force de dissuasion propre. Nous sommes aux côtés de nos soldats qui se battent devant Mossoul, comme de nos forces de sécurité. N'oublions pas cependant que l'issue de la crise sera politique.
Le mot d'ordre de notre politique étrangère, ce doit être la volonté d'indépendance, celle-là même qui nous permet de parler avec les États-Unis comme avec la Russie ou la Chine. Nous n'avons pas apprécié le récent imbroglio humiliant avec M. Poutine. (M. Hubert Falco renchérit) Nous ne trouverons pas de solution sans la Russie, et il ne nous appartient pas de juger les dirigeants d'un grand pays comme celui-là. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Jacques Mézard applaudit également)
Bien sûr, nous condamnons les bombardements d'Alep. Mais si nous voulons la paix, nous devons discuter avec la Russie comme avec les États-Unis qui, s'ils étaient avec nous sur la ligne de départ, se sont rapidement retirés nous plaçant dans une situation de fragilité.
Cette politique d'indépendance nationale est indissociablement liée à une politique de paix. On ne peut que se féliciter des contrats conclus récemment par nos industries de défense, et saluer l'action de M. Le Drian à cet égard, mais si l'Australie achète nos sous-marins, l'Égypte nos Rafale, c'est qu'elles ne croient guère en la paix...
À cela s'ajoute la question des migrants. Nous attendons un sursaut des Européens, qui devront revoir les règles de Schengen pour mieux protéger leurs frontières. Les migrations pèsent lourd politiquement, comme on le voit avec le Brexit et la montée des populismes. C'est une question dont nous devons mieux débattre, loin des postures. La France doit maîtriser ses flux migratoires, se montrer accueillante mais aussi faire respecter ses règles avec toute l'autorité nécessaire.
Les désordres du monde appellent la France à prendre la parole, avec le souci de l'indépendance nationale et celui de la paix ! (Applaudissements au centre et à droite ; Mme Leila Aïchi et M. Jacques Mézard applaudissent également)
M. Jacques Legendre, président de la mission d'information sur la position de la France à l'égard de l'accord de mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en oeuvre de cet accord . - L'accord du 18 mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie, qualifié de déclaration, avait pour but d'endiguer le flux de réfugiés et de migrants transitant de la Turquie, via les îles grecques et les Balkans, vers le nord et l'est de l'Europe : 860 000 avaient emprunté cette route en 2015, beaucoup étaient morts dans des naufrages, et la fermeture unilatérale de la route des Balkans menaçait la Grèce d'une grave crise humanitaire.
Depuis, les flux se sont taris, puisqu'on est passé d'environ 2 000 arrivées par jour en février à 50 cet été et 100 actuellement. Paradoxalement, ces résultats ont été obtenus alors même que le principal dispositif de l'accord, soit le renvoi provisoire en Turquie de tous les migrants, ne fonctionne pas : début octobre, seuls 633 migrants avaient été renvoyés. Ils ne sont pas moins de 15 000 à attendre dans des hotspots, en raison de l'engorgement de la procédure grecque d'asile et de la réticence de la Grèce à considérer la Turquie comme un pays sûr.
Aucune route alternative d'envergure n'a été identifiée, mais des flux irréguliers persistent entre les îles grecques et le continent comme aux frontières terrestres turco-grecque, turco-bulgare et gréco-macédonienne.
La réussite de l'accord est tributaire de la bonne volonté de la Turquie. Or celle-ci a obtenu des contreparties politiques qui posent problème, vu la situation politique intérieure turque : relance des négociations d'adhésion à l'Union européenne et libéralisation des visas. La mission plaide pour une dissociation du volet politique et de celui qui concerne les réfugiés. À nous d'honorer sans plus tarder nos engagements sur ce plan, en versant l'aide financière promise pour améliorer le sort des réfugiés en Turquie, et en accélérant l'implantation des réfugiés syriens en Europe.
La mission recommande aussi de débloquer rapidement le traitement des demandes d'asile dans les hotspots grecs. Il y a urgence, le récent incendie à Lesbos l'a montré. Seulement, 40 experts de l'European Asylum Support Office (EASO) travaillent sur place alors que 400 avaient été promis. La France pourrait en fournir une centaine. Nous disposons à l'Ofpra des compétences nécessaires, le Gouvernement devrait inviter l'Office à reconsidérer sa position.
Autre recommandation : renforcer, avec Frontex, la protection des frontières extérieures de l'Union européenne. Le problème n'est pas réglé, les filières se réorganisent à une vitesse surprenante.
La question migratoire se pose à nous pour longtemps, car le phénomène est structurel. C'est devenu une question de politique étrangère à part entière, que notre diplomatie doit intégrer. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Michel Billout, rapporteur de la mission d'information . - En avril dernier, lors de la signature de l'accord entre l'Union européenne, l'inquiétude dominait : les négociations semblaient avoir été conduites par l'Allemagne, on critiquait le chantage exercé par la Turquie et les atteintes portées dans ce pays aux droits fondamentaux, ainsi que la solution consistant à renvoyer en Turquie tous les migrants et à échanger les Syriens contre les autres ; on déplorait enfin l'absence de ratification parlementaire. C'est ce qui a conduit à mettre en place la mission d'information dont je fus le rapporteur.
Depuis, certaines de nos préventions à propos de la conduite des négociations ont été levées. Ceux qui craignaient une atteinte au droit d'asile constatent que le système de sous-traitance à la Turquie ne fonctionne pas. L'accord était nécessaire pour des raisons humanitaires. Sept mois après, il tient malgré l'échéance de juin pour les visas, les soubresauts de la politique intérieure turque et la période estivale, plus propice aux traversées.
La situation des réfugiés en Turquie progresse, grâce aux compléments apportés au cadre juridique de la protection internationale comme à l'aide financière européenne : sous l'égide du Programme alimentaire mondial (PAM) et du Croissant rouge turc, un « filet de sécurité sociale d'urgence » permettra à plus d'un million de réfugiés de percevoir une somme mensuelle pour couvrir leurs besoins de base. Il n'en demeure pas moins que 500 000 enfants restent non-scolarisés, que 8 000 permis de travail seulement ont été accordés, que le sort des non-Syriens mérite notre vigilance. Plus préoccupant, la frontière entre la Syrie et la Turquie est désormais fermée et plusieurs dizaines de milliers de réfugiés s'y entassent.
Plusieurs hypothèques pèsent aussi sur la mise en oeuvre de l'accord, à commencer par les exigences politiques de la Turquie. Il n'est pas question de céder sur le respect des critères de la feuille de route : l'État de droit, le pluralisme, les droits de l'homme ne sont pas négociables.
En revanche, les Européens doivent s'appliquer à mettre en oeuvre leurs propres engagements au sujet des réfugiés, qu'il s'agisse de l'aide financière ou de la réinstallation : 1 614 personnes avaient été réinstallées fin septembre, au lieu des 72 000 envisagées. De même, il importe de mettre en oeuvre le plan de relocalisation des migrants arrivés en Grèce avant l'accord.
La Grèce mérite aussi notre soutien : les efforts qu'elle consent doivent être pris en compte lors de la renégociation de sa dette. Les 46 000 migrants arrivés avant l'accord doivent bénéficier de l'aide humanitaire promise, la priorité étant de mettre à l'abri les 2 200 mineurs isolés.
Ce type d'accord n'a, selon nous, pas vocation à se reproduire. Développons plutôt une politique migratoire européenne ambitieuse, en soutenant le développement des pays d'origine, en ouvrant de nouvelles voies légales de migration et en luttant implacablement contre les passeurs qui exploitent la misère humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et quelques bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission, applaudit aussi)
Mme Nathalie Goulet . - L'usage du singulier dans l'intitulé de ce débat est optimiste, compte tenu de la multiplicité des crises... Il n'en est pas moins tout à fait intelligent de relier la situation au Levant à la crise migratoire. Un remarquable colloque s'est tenu ici le 7 octobre, et plusieurs de nos commissions travaillent sur le sujet.
Nul ne sait comment mettre fin au déluge actuel de sang, de larmes et de réfugiés. Faisons donc un peu d'histoire. Cent ans après les accords Sykes-Picot, l'Orient reste compliqué, comme disait le général de Gaulle, et beaucoup ont sur lui des idées trop simples : on oppose les bons et les méchants, les démocrates et les dictateurs... Ce furent cent ans de politique binaire et post-colonialiste. Des accords Sykes-Picot au Grand Moyen-Orient de George Bush, combien de feuilles de route pour stabiliser enfin la région, mettre enfin en ordre ce Rubik's Cube ? On traite les effets sans traiter des causes, pour ne pas avoir à s'interroger sur ses propres responsabilités.
Des guerres ont nourri le terrorisme qu'elles étaient censées combattre. L'embargo sur l'Irak a fait 500 000 morts : « cela en valait la peine », disait Mme Albright... Nos interventions militaires ont aussi alimenté les flux migratoires. Les historiens le savent : chaque fois que Bagdad est détruite, la carte du monde a dû être redessinée. L'Irak est aujourd'hui un État failli, une zone de non-droit où prospèrent tous les trafics.
Le rapporteur a abordé quelques éléments techniques. À l'aube du soixante-quinzième anniversaire de l'Agence française de développement (AFD), comment renforcer notre aide au développement en Méditerranée ?
Je suis allée avec notre commission visiter les camps de Gaziantep en Turquie, pays où transitent 2,7 millions de migrants. Quid de la convention de sécurité intérieure du 1er août 2012, qui n'a jamais été appliquée ?
Apportons tout notre soutien à ces pays fragiles que sont la Jordanie, avec ses 937 000 réfugiés, le Liban qui accueille 1,5 million de personnes, l'Égypte qui deviendra un nouveau foyer d'émigration sans développement économique, ou encore la Tunisie dont la stabilité est menacée par les attentats et la situation économique. Nous avons besoin, en Méditerranée, d'une stratégie efficace et ciblée, qui mette l'accent sur le développement - je pense aux projets d'électrification chers à Jean-Louis Borloo.
Nous n'en sommes pas encore au pic de la crise, attaquons-nous donc à ses causes. Et n'oublions pas que, derrière les chiffres, il y a des femmes, des hommes et des enfants dans la détresse. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite)
Mme Leila Aïchi . - Le 29 juin 2016, Claude Malhuret, Claude Haut et moi-même présentions le rapport : « La Turquie, une relation complexe mais incontournable ». Nous soulignions alors que la situation évoluait vite : nous ne croyions pas si bien dire...
En juin, M. Erdogan amorçait un virage diplomatique en exprimant des regrets à la suite de l'abattage d'un avion militaire russe. Depuis, le tourisme russe en Turquie a repris, le commerce énergétique aussi, des visites officielles ont été échangées. MM. Poutine et Erdogan partagent une même conception de l'exercice du pouvoir, refusant le modèle occidental libéral.
Le 25 juillet 2016, un putsch raté et inattendu entraînait en Turquie une répression tous azimuts dont s'inquiète le Conseil de l'Europe. Que les autorités turques aient eu l'impression que les Européens tardaient à réagir n'a fait qu'aggraver les malentendus.
Le 24 août 2016, l'opération militaire turque rebattait les cartes dans la région. L'un des objectifs d'Ankara était d'empêcher le parti kurde syrien de consolider ses positions à la frontière turque.
Malgré ces événements, notre rapport conserve sa pertinence. Après dix ans de développement économique, de stabilité politique, d'ouverture diplomatique, la Turquie connaît aujourd'hui une hausse des violences internes comme des tensions avec ses partenaires européens et américains. Si cette évolution géostratégique se confirme, ce serait un véritable tournant.
La Turquie est un pivot, partenaire stratégique incontournable dans la lutte contre Daech et pour l'accueil des réfugiés. Aidons-la pour qu'elle soit une lueur d'espoir et un aiguillon pour le monde musulman.
L'accord du 18 mars a eu des effets positifs, mais nous ne devons pas transiger sur les critères à satisfaire avant toute libéralisation des visas. La Turquie a besoin de nous comme nous avons besoin d'elle. Après le Brexit, l'Europe devra être refondée en cercles concentriques, ce qui pourrait poser la question de l'adhésion de la Turquie en termes différents...
Un intellectuel turc disait : « Si l'élargissement vers les pays d'Europe de l'Est a intégré l'autre Europe, l'élargissement vers la Turquie intègrera l'autre de l'Europe ». Ayons des échanges à tous les niveaux. En Syrie, malgré nos divergences, nous partageons avec les Turcs le souci de l'unité territoriale du pays. Monsieur le ministre, deux interrogations : quelles furent les répercussions du coup d'État en Turquie sur notre collaboration avec les Turcs ? Quel est l'agenda de la France pour renforcer ces relations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs au centre et à droite)
M. Gaëtan Gorce . - Les nations européennes font face à un paradoxe : elles ont du mal à s'adapter à un système international qui correspond pourtant à ce qu'elles ont longtemps appelé de leurs voeux : un monde libéré de la logique des blocs comme de la superpuissance américaine.
La crise au Levant est la conséquence de ces évolutions. Évitons de simplifier en ramenant toujours les conflits qui y font rage à des guerres de religion. Tirons aussi les leçons de nos erreurs : l'intervention désinvolte des États-Unis en Irak, la nôtre en Libye ont gravement déstabilisé ces pays.
On voit se nouer de nouvelles alliances. C'est ainsi que la Turquie se rapproche de la Russie, laquelle a pour but d'empêcher l'essor des forces islamistes dans le Caucase comme de consolider son statut international retrouvé. Efforçons-nous de comprendre les stratégies de chacun au lieu de nous contenter de jugements moraux. Les droits de l'homme ne sont plus une règle acceptée par tous.
Face à cela, que doit faire l'Europe ? Elle doit être déterminée, forte et savoir où elle veut aller. Certes, face à la crise migratoire, l'Europe a défini des objectifs et des moyens, elle a consacré des moyens à des interventions humanitaires, elle s'est engagée pour l'accueil et la relocalisation des réfugiés, et une réflexion est en cours pour réformer Schengen. Mais faute de volonté politique suffisante, les États sont contraints de prendre l'initiative. Où en serions-nous si Mme Merkel avait fermé la porte aux réfugiés ; si elle n'avait pas pris les devants pour négocier avec la Turquie ? Seule l'Europe, néanmoins, est en mesure de résoudre la crise en profondeur, en mettant au point une politique de gestion des flux qui passe par l'aide au développement des pays d'origine. Tant que l'aide publique au développement rapportera moins à ces derniers que ce qu'ils perçoivent de leurs ressortissants sur notre sol, nous n'en sortirons pas.
Si la France est courageuse, elle n'est peut-être pas toujours parfaitement lucide : va-t-on construire une Syrie démocratique où 80 % des forces rebelles sont acquises au djihad ?
La France n'a pas à rougir, elle concilie ses valeurs avec des ambitions fortes. Qu'elle les fasse partager à ses voisins européens - et notamment l'Allemagne - pour rebâtir une stratégie politique, au-delà de la morale et de l'émotion. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur le banc de la commission)
M. David Rachline . - Je rends hommage à tous nos soldats qui combattent dans des conditions très rudes, ainsi qu'aux populations civiles d'Alep et de Mossoul. La crise est protéiforme : économique, humanitaire et, aujourd'hui, diplomatique. Politiques et médias caricaturent. Obnubilés par le soi-disant succès des printemps arabes, les gouvernements français, sous d'amicales pressions venues d'outre-Atlantique et de la péninsule arabique, ont apporté leur soutien aux opposants à des gouvernements légitimes, avec le résultat que l'on sait... Où est passée la voix de la France ? À croire que notre diplomatie s'élabore non plus sur les bords de la Seine mais sur ceux du Potomac...
Certes, le régime syrien a commis des actes condamnables. Mais il y a quelques années encore, les minorités vivaient en paix en Syrie, à commencer par les chrétiens. La France a fourni des armes à des opposants soi-disant modérés, qui se sont empressés de les livrer à Al-Nosra ou à Daech. On a même entendu dire qu'Al-Nosra ferait « du bon boulot ». En décapitant des enfants ?
En Irak, la coalition obtient quelques résultats. C'est beaucoup moins vrai en Syrie. À Alep, il y a des morts - le lot de toute guerre - à l'Est comme à l'Ouest. Arrêtons la désinformation. La trêve a d'ailleurs été rompue par les rebelles islamistes.
Je n'ai guère le temps d'évoquer l'accord entre l'Union européenne - ou plutôt l'Allemagne - et la Turquie, qui est loin d'avoir favorisé les intérêts français. Notre politique étrangère doit être dictée par les seuls intérêts de la France et des Français, sans être inféodée aux Américains ou aux Saoudiens, ni à l'idéologie droit-de-l'hommiste. C'est alors que la voix de la France sera entendue.
Mme Michelle Demessine . - Je salue la tenue de ce débat, permettant à chacun de clarifier ses positions. Le groupe CRC est favorable à un examen attentif des demandes d'asile, tradition française. À ce propos, je rends hommage à tous les élus locaux, pleinement investis pour accueillir les réfugiés.
L'action de la France doit être nationale, européenne et mondiale. Au niveau national, le Gouvernement doit lancer un vaste plan d'action pour accueillir dignement les réfugiés sur tout le territoire. Appeler à constituer des « zones sans migrants », c'est tourner le dos aux valeurs de la République. C'est en s'enfonçant dans une telle logique que l'on a laissé se constituer la jungle inhumaine de Calais, où je me suis rendue avec mes collègues Pierre Laurent, Éliane Assassi et Dominique Watrin.
Au niveau européen, la France devra participer à des solutions partagées, communes, efficaces pour accueillir les réfugiés, depuis le dispositif médico-social jusqu'à leur insertion professionnelle et scolaire.
Face à cet enjeu historique, la décision de certains pays comme la Hongrie est une honte. Malgré les critiques que nous portons à son encontre, une dislocation de l'Union sur la question des réfugiés conduirait à une disparition pure et simple de l'Europe, regrettable à notre sens.
Nous n'oublions pas que l'Union européenne s'est construite sur des valeurs de paix, comment comprendre qu'elle tourne le dos aux réfugiés ? La fermeture de la route des Balkans a abouti à un blocage que la Grèce et la Turquie ont dû gérer seules. L'accord du 18 mars dernier et l'aide d'urgence de 300 millions d'euros ne suffiront pas.
Enfin, il faut revoir notre diplomatie sur la Syrie, l'Irak, la Libye. L'opération en cours pour libérer Mossoul sera une avancée si elle ne crée pas de nouveaux foyers de guérilleros.
Nous avons deux inquiétudes : d'abord l'augmentation de l'APD de 18 millions d'euros ne saurait cacher une baisse de 500 millions sur l'ensemble du quinquennat. Ensuite, Syrie, Libye, Irak, où sont les possibilités d'alternance ? En Libye, la France discute avec le gouvernement de Tripoli, comme avec celui de Tobrouk... Cette situation est encore compliquée par les ingérences turques contre les kurdes, comme à Rojava, iraniennes par le biais d'Hachd al-Chaabi ou encore russes en Syrie.
La priorité est de reprendre le message de paix de 2003 et de parler avec tous. Comme le disait un ancien ministre des affaires étrangères avec lequel nous n'avons pas toujours été d'accord : « La France est un vieux pays d'un vieux continent, qui a connu les guerres et la barbarie, et qui pourtant n'a cessé de se tenir face à l'Histoire et devant les hommes, fidèle à ses valeurs ».
La priorité est à présent le dialogue entre Moscou et l'Europe, d'une part, la Russie et Washington, d'autre part.
En attendant une solution politique, l'accueil de tous les demandeurs d'asile est un devoir moral et d'humanité. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; M. Yves Pozzo di Borgo applaudit aussi)
présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président
M. Robert Hue . - La mission d'information vient de rendre ses conclusions sur la position de la France sur l'accord de mars 2016 entre la Turquie et l'Union européenne.
La question des migrants est la conséquence de la crise au Levant dont nous débattons alors qu'a commencé la bataille de Mossoul, que le ministre de la défense a qualifié « d'émettrice d'idéologie ». Si son issue ne fait pas de doute, combien de temps durera-t-elle ? Combien de victimes civiles ? Quand nous aurons délogé l'État islamique de la ville, nous n'en aurons pas fini avec les djihadistes. On le voit avec le Fatah al-Cham. Aussi devons-nous reprendre le dialogue.
Notre diplomatie n'est certes pas restée inerte, comme en témoigne la proposition de cessez-le-feu faite au Conseil de sécurité des Nations unies. Son exclusion des discussions de Lausanne, samedi dernier, est regrettable.
Pour le groupe RDSE, il n'y aura de solution au Levant comme ailleurs que politique. En attendant, les migrants continuent d'affluer aux portes de l'Europe. Certes, l'accord entre l'Union européenne et la Turquie a ralenti les flux.
Il a été critiqué, notamment au regard des conditions politiques internes en Turquie, mais il a le mérite d'exister, de créer un pont avec Ankara, partenaire incontournable, tout comme la Russie ; et sans lui, qu'aurions-nous fait ?
Tout indique que les flux migratoires sans précédent vont reprendre, notamment en provenance du Sahel. Nous devons ouvrir des voies légales d'immigration, bâtir une politique migratoire commune. Comment un ensemble de 500 millions d'habitants a-t-il pu accueillir un million de réfugiés seulement quand la Turquie en reçoit 2,7 millions et le Liban, un million ?
Hélas, dès que la solidarité est mise à l'épreuve, les réflexes souverains finissent par l'emporter comme l'a illustré la remise en cause de l'espace Schengen.
Nous devons repenser l'Europe dans ses fondements mêmes, au-delà des outils techniques, alors qu'émerge de plus en plus une Europe à la carte en lieu et place du principe de solidarité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; ainsi que sur plusieurs bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Claude Malhuret . - Nous débattons non de la France face à la crise au Levant mais de la France et de l'Europe face à la crise au Levant. Pour ma part, c'est de ce deuxième terme de l'intitulé dont je veux parler ici, en me livrant au « jeu des sept erreurs » pour que nous ne les reproduisions pas, car cette crise n'est qu'un prodrome des crises à venir.
Première erreur, la politique de l'autruche. Après l'Irak, la Libye et j'en passe, nous aurions dû réagir. Les migrations sont un phénomène ancien, qui n'a fait que s'amplifier.
Deuxième erreur, le chacun pour soi. La Grèce et l'Italie ont été purement et simplement abandonnées à leur sort. Elles ont laissé filer les réfugiés puis les frontières ont été bloquées. Tout cela sous le regard des caméras de télévision donnant quasiment chaque soir l'impression d'une marée humaine, ce qui a plongé les populations dans une alternance de pitié culpabilisée et de panique horrifiée.
Troisième erreur, l'incapacité de l'Union européenne à agir rapidement, comme l'ont montré les deux réunions du Conseil européen de septembre 2015 qui n'ont abouti qu'à l'accueil de 120 000 Syriens seulement. En conséquence, l'Europe s'est fragilisée entre Est et Ouest, aboutissant - c'est la quatrième erreur - au « Un pour tous » : la chancelière allemande ayant décidé unilatéralement d'accueillir un million de réfugiés sur son sol, provoquant un afflux nouveau, l'effacement de la France, et le court-circuitage des institutions européennes.
Cinquième erreur, à nouveau conséquence de la précédente, la négociation dans l'urgence et sous le coup de la panique avec une Turquie au bord de la guerre civile, négociation strictement germano-turque, qui lie de manière aberrante réfugiés et visas pour les citoyens turcs, donne un blanc-seing de démocratie à la dictature Erdogan, dans un pays au bord de la guerre civile. Bref, l'Europe s'assoit sur ses valeurs. La prochaine vague de réfugiés, si les visas sont accordés, sera turque : 500 000 Kurdes, chassés par la guerre civile du Kurdistan, sont déjà réfugiés à l'ouest de la Turquie, qui formeront, à n'en pas douter, la prochaine vague de demandeurs d'asile en Europe. Beaucoup d'autres suivront.
Sixième erreur, une Commission européenne prête à signer n'importe quoi avec la Turquie pour lui accorder des visas contre l'accueil des réfugiés, au prix du mensonge : selon elle, seules 10 des 76 conditions sur les visas étaient remplies en mars 2016 ; sur 26 autres, la Turquie était estimée « en bonne voie » ; or elle en dénombre 67 deux mois plus tard alors que le régime s'est, à l'évidence, considérablement durci : c'est de l'enfumage, ni plus ni moins. C'est aussi un argument de poids donné aux eurosceptiques qui ne cessent de dire, hélas à raison en l'occurrence, que l'Europe est un processus opaque et non démocratique.
Septième erreur, la répétition de toutes ces erreurs avec la Turquie d'Erdogan alors que cette crise n'est qu'une répétition générale. Les migrations économiques, climatiques et politiques ne font que commencer. Après le Brexit, l'explosion de Schengen, la montée des populismes, quels dirigeants politiques auront le courage de relever ce défi majeur ? (« Très bien ! » et applaudissements à droite et au centre)
M. Didier Marie . - Merci au président et au rapporteur pour les auditions et les travaux menés au sein de la mission d'information.
Alors que les flux migratoires atteignaient 10 000 arrivées par jour en décembre 2015, l'accord du 18 mars dernier a atteint son but : nous n'en sommes plus qu'à 100 arrivées par jour. Pour autant, cet accord est controversé parce qu'il semble céder à un chantage de la Turquie, après la répression qui a suivi le coup d'État manqué en Turquie le 15 juillet dernier. Et parce que les contreparties politiques ne sont pas en lien direct avec la question des réfugiés.
Cet accord est aussi insatisfaisant, parce que le dispositif de renvoi est inopérant, 633 migrants seulement ayant été renvoyés après le 20 mars, alors que 20 000 étaient en situation de l'être. J'ajoute que l'accueil des migrants en Grèce se dégrade : les hotspots sont déjà au double de leur capacité.
Il faut renforcer le soutien à la Grèce et les frontières demeurent poreuses. Grâce à cet accord, le traitement des migrants en Turquie s'est toutefois amélioré, au moyen de l'aide alimentaire notamment. Pour autant, ce pays ne leur accorde pas le droit d'asile et leur accès au marché du travail reste limité. Le statut des réfugiés syriens est insuffisamment protecteur, et seuls 1 614 des 72 000 prévus ont été accueillis en Europe.
Si la Turquie ne facilite pas la mise en oeuvre de l'accord, nous n'en devons pas moins accélérer le versement de l'aide financière. Notre dialogue avec la Turquie doit être franc et « donnant-donnant » : l'Europe doit veiller à la démocratie. La Turquie n'est pas prête à intégrer l'Europe si nous n'avançons pas, en particulier sur les chapitres 23 et 24 relatifs aux droits de l'homme et à la justice et à la sécurité.
Cet accord ne peut être un modèle, il a eu le mérite de mettre un terme aux naufrages tragiques en mer Égée, qui ont coûté la vie à plus de 800 personnes. L'UE doit accroître significativement son aide au Liban et à la Jordanie qui accueillent la part la plus importante de réfugiés rapportée à leur population. À moyen terme, cet accord ne peut se substituer à la construction d'une politique commune d'immigration et d'asile. On ne peut pas se contenter d'externaliser le traitement de l'asile. Oui, l'Europe doit se ressaisir pour demeurer fidèle à ses valeurs et ouverte sur le monde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jacques Legendre . - L'Europe a déjà fait face à de grands mouvements de population, que l'on a trop vite oubliés, souvenez-vous de l'après-Seconde Guerre mondiale. Mais les outils que l'Europe avait conçus dans les années 1990 n'étaient pas faits pour la tempête. Certes, elle a réagi depuis un an mais la gestion chaotique de la crise migratoire risque de faire éclater la pierre angulaire qu'est l'espace Schengen. En conséquence, elle a délégué la gestion de la crise à une Turquie qui connaît un tournant autoritaire, en contrepartie d'une libéralisation des visas.
Les arrivées reprendront par la Méditerranée, en provenance d'Afrique en particulier, car ce continent passera de 750 millions d'habitants actuellement à 1,2 milliard en 2050 ; les mouvements migratoires sont donc inévitablement appelés à durer.
Ne faisons pas preuve, face à cette évolution d'ores et déjà prévisible, de la cécité qui nous a aveuglés dans la crise syrienne. Des garde-côtes européens ne suffiront pas à contenir ces flux. Tournons résolument notre regard, en particulier, vers l'Afrique, dont la démographie, je l'ai dit, est très dynamique. Une sécheresse dans le Sahel, la persistance d'une dictature brutale dans la Corne de l'Afrique se traduira immanquablement par l'arrivée sur nos côtes de gens qui rêvent d'Europe et n'ont plus rien à perdre chez eux.
La question migratoire est existentielle pour l'Europe, comme pour la France, il est plus que temps d'en prendre pleinement conscience ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Bariza Khiari applaudit aussi)
M. Bernard Fournier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Cinq ans de guerre en Syrie, 300 000 morts et 5 millions de déplacés, sans parler de l'extension du territoire contrôlé par Daech, jusqu'à l'intervention de la coalition en janvier 2015, l'Irak et la Syrie en ruines, Alep rasée, le Liban et la Jordanie qui tiennent malgré tout avec beaucoup de courage et auxquels nous devons apporter tout notre soutien...
La crise au Levant déstabilise aussi nos pays. Le Brexit est un vote de peur, nous ne l'avons pas assez souligné. Que voulons-nous faire ? J'ai été abasourdi devant les hésitations du président Hollande à recevoir le président Poutine.
M. René-Paul Savary. - Très bien !
M. Gérard Longuet. - Ah ! Les états d'âme du président Hollande !...
M. Bernard Fournier. - Notre désunion européenne et la position incohérente des États-Unis ont fait de ce pays un acteur incontournable de la crise. Comment mettre fin à cette guerre sans la Russie ? Est-elle notre ennemi ?
Or la chancelière Merkel négocie seule, l'accord conclu avec le président Erdogan en est la preuve. La France et l'Europe sont tout bonnement inaudibles.
Lors de déplacements en Jordanie et au Liban, avec l'association des chrétiens d'Orient, j'ai entendu chrétiens, catholiques et orthodoxes, tout comme les musulmans nous avertir que l'Europe se trompait, était aveugle : « il ne s'agit pas d'une guerre civile, c'est une guerre internationale ». Écoutons-les. Parfois, la realpolitik peut sauver des vies ! (« Très bien ! » et applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international . - Merci d'avoir pris l'initiative de ce débat, que vous m'aviez annoncé lors de ma dernière venue devant votre commission, vous savez que je suis à l'entière disposition du Sénat.
L'Europe et le Levant, avec le trait d'union de la Méditerranée, ont un destin commun. C'est pourquoi la crise au Levant nous affecte tous. L'onde de choc de la crise en Syrie se propage chez ses pays voisins, la Jordanie, l'Irak, le Liban, la Turquie, mais aussi au coeur de l'Europe, nous posant, à nous Européens, deux défis majeurs, sécuritaire et migratoire. N'oublions pas pour autant la persistance du conflit israélo-palestinien, qui demeure crucial.
La crise au Levant est née de la réaction à l'aspiration des peuples à l'émancipation, qu'ont révélée les printemps arabes. Cette vague de rejet des régimes autoritaires est venue de l'intérieur, reflétant de profonds bouleversements politiques, économiques et sociologiques accentués par la mondialisation. La Syrie de Bachar el-Assad n'y a pas échappé. Le régime dominé par la minorité alaouite a lancé une répression sauvage contre sa population.
Avec l'appui des Russes et de l'Iran, le Gouvernement syrien a mis à feu et à sang son pays, quasiment détruit après cinq ans de guerre civile, ravivant les lignes de faille entre sunnites et chiites qui ne datent pas d'aujourd'hui.
La Syrie est devenue le réceptacle de toutes ces tensions. Les pays arabes, l'Iran, la Turquie, la Russie se sont progressivement impliqués dans ce conflit, qui a rebattu les cartes du pouvoir dans la région, notamment la dimension kurde. Daech menace ses voisins, l'Europe mais aussi la Libye et l'Afrique, avec Boko Haram. Al-Qaïda a également repris des couleurs, à l'image de sa branche syrienne, Jabhat al-Nosra, aujourd'hui Jabhat Fatah al-Cham. Nous appelons l'opposition modérée à se distinguer clairement de ce groupe dont nous condamnons les activités avec la plus grande fermeté.
Non, monsieur Gorce, les forces rebelles ne sont pas à 80 % des djihadistes. Sur les 10 000 combattants présents à Alep, nos services de renseignement estiment à 200 ou 300 le nombre de membres du Fatah al-Cham. (M. Gaëtan Gorce s'exclame) Nous pouvons recouper ces informations. Avec les Russes, nous estimons la part totale de djihadistes au maximum à10 % des combattants.
La guerre en Syrie est aussi une crise humanitaire sans précédent, avec plus de 5 millions de réfugiés, plus de 6 millions de déplacés à l'intérieur de la Syrie ; ce sont au total plus de 13 millions de personnes qui ont besoin d'une aide humanitaire. Un chiffre terrible ! Les migrants sont accueillis dans les pays voisins, fragilisés : au Liban bien sûr, où ils représentent près de 25 % de la population, mais aussi en Jordanie et en Turquie. En Europe également, car l'Europe a un devoir de solidarité. Dans une période de doutes et de difficultés économiques, cet afflux met à l'épreuve nos sociétés et nos systèmes politiques.
Face à cette crise multiforme, la France agit ; militairement d'abord, car Daech nous a déclaré la guerre. La France s'est engagée pleinement dans la coalition internationale. À la demande des autorités irakiennes, l'opération Chammal a été lancée le 3 septembre 2014 en Irak. Depuis lors, la France n'a cessé d'intensifier ses efforts et les a étendus, le 7 septembre 2015, à la lutte contre Daech en Syrie.
Le 22 juillet dernier, le président de la République a annoncé le renforcement de notre soutien en perspective de la bataille de Mossoul. Nos pilotes, nos instructeurs participent à la formation des forces de sécurité irakienne. Le groupement tactique d'artillerie soutient les forces irakiennes engagées dans la reprise de Mossoul, ainsi que les marins et pilotes des Rafale du groupe aéronaval autour du porte-avions Charles de Gaulle, déjà déployé en 2015 et à nouveau sur zone depuis le 29 septembre dernier.
La libération de Mossoul sera une étape importante mais nous devons préparer la paix. Nous nous y attèlerons dès la semaine prochaine en réunissant les parties à Paris, notamment mon homologue irakien, sous la présidence du président de la République. Ne répétons pas les erreurs commises en Irak : le futur Gouvernement syrien devra être inclusif.
La France lutte aussi contre le financement du terrorisme, dans notre pays mais aussi dans le monde. En témoigne la résolution 2199 du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous avons pris toutes dispositions pour nous-mêmes et appelons nos partenaires à se mobiliser.
Tous ces efforts portent leurs fruits : Daech a perdu 55 % de son territoire en Irak et 25 % de son territoire en Syrie. Il faut continuer : Raqqa doit être reprise.
Pour autant, la solution est et ne peut être que politique. C'est en ce sens que la France ne cesse d'agir également par sa diplomatie, qui suit une ligne cohérente et constante, nullement inspirée par l'idéologie, mais par la conviction que seule une transition politique pourra assurer une paix durable. Or on ne négocie pas sous les bombes : les bombardements sur Alep doivent cesser.
La Russie était isolée dans son refus de notre projet de résolution, seul le Venezuela la suivait. Peut-on imaginer qu'une Syrie divisée offre une perspective de paix ? Non et j'aurais aimé vous entendre à la tribune refuser la reconquête d'une « Syrie utile ». On ne peut pas trouver une solution avec Bachar el-Assad qui fait fuir 65 % de sa population et massacre ses derniers opposants. À cet égard, les propos de certains candidats à la primaire de la droite me choquent.
La France agit, je l'ai dit, en toute indépendance et notre action implique que nous parlions à tout le monde. Nous parlons avec la Russie ! Nous n'avons jamais cessé de le faire. Mais nous voulons continuer à parler de la Syrie avec elle. Je me suis rendu à Moscou, j'ai rencontré mon homologue Sergueï Lavrov, nous nous rencontrerons à Berlin demain soir en format Normandie pour débattre de l'Ukraine. Cela n'empêche pas de dire ce qui doit l'être, en particulier sur l'entêtement à soutenir Bachar el-Assad envers et contre tout. (Protestations à droite)
Quant à la visite du président Poutine à Paris, nous voulions évoquer la crise syrienne, non participer à des mondanités, exposition de tableaux ou inauguration d'église. C'est le président Poutine qui a annulé cette visite. (On se récrie à droite)
La France agit aussi au Liban, victime des forces contraires qui déchirent le Proche-Orient. Par ses contacts avec toutes les parties, la France est prête à faciliter l'élection d'un nouveau président, dont dépend l'indispensable déblocage de l'impasse institutionnelle actuelle.
La France apporte son appui aux pays voisins de la Syrie. Elle participe pleinement à l'effort collectif de l'Union européenne qui s'est engagée le 4 février dernier à débloquer trois milliards d'euros supplémentaires. La France lutte dans l'urgence mais aussi pour des solutions durables : déploiement de garde-côtes et de garde-frontières ou encore modification du code Schengen pour un contrôle d'identité systématique aux frontières extérieures, afin de protéger tous les Européens.
L'Europe agit en responsabilité et de manière solidaire et la France n'est pas effacée. C'est elle, avec l'Allemagne, qui a proposé nombre de ces mesures.
Il nous faut donc dialoguer, sans relâche, avec la Turquie, qui est acteur de la crise en Syrie où elle se défend, elle-aussi, contre le terrorisme. C'est dans cet esprit de partenariat que je me rends à Ankara, la semaine prochaine. Membre du Conseil de l'Europe, elle doit respecter ses valeurs. La perspective de la libéralisation des visas n'adviendra que lorsque les 72 critères seront remplis. Quant aux négociations sur l'adhésion à l'Union européenne, elles sont conduites sans préjuger du résultat.
Je ne veux pas conclure ce débat sans évoquer le conflit israélo-palestinien. Certains estiment que les bouleversements en Syrie ont rebattu les cartes et les priorités. Ce n'est pas la position de la France.
Si nous ne faisons rien, il sera bientôt trop tard. Penser que le Levant pourra retrouver la paix sans un règlement de ce conflit est une illusion.
Beaucoup se sont résignés. Ce n'est pas le cas de la France. En rassemblant une trentaine de délégations, à Paris, le 3 juin dernier, nous avons permis que s'exprime la volonté de la communauté internationale de s'engager à nouveau en faveur de la solution des deux États. (Mme Bariza Khiari applaudit) Nous avons insufflé une nouvelle dynamique : des groupes de travail se mettent en place.
Au Levant, la France agit avec trois principes : lucidité, approche collective et détermination pour aboutir à une paix durable reposant sur la préservation de l'unité des États et la perspective de la création d'un État palestinien.
L'enjeu est essentiel : assurer la paix et la prospérité de cette région, plus que jamais cruciale pour notre propre équilibre et notre propre sécurité. La diplomatie française est mobilisée à cette fin. Je compte sur vous pour nous aider à y parvenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; MM. Robert del Picchia et Jean-Jacques Lasserre applaudissent aussi)
La séance est suspendue à 16 h 30.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 16 h 45.