Débat sur l'orientation scolaire
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission d'information de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur l'orientation scolaire.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Deux chiffres : 140 000 jeunes quittent le système de formation initiale sans qualification chaque année et 620 000 se trouvent hors de tout dispositif de formation. Face à ces générations sacrifiées, nous ne pouvons rester les bras croisés. Notre commission s'est donc penchée sur cette préoccupation partagée.
Au-delà des causes sociales, économiques, culturelles, le collège unique n'est-il pas devenu le collège uniforme, qui oriente par l'échec ? Tout le monde n'a pas la chance de choisir son métier. L'écrivain Jean Teulé, orienté en fin de 3e en mécanique auto, n'a dû qu'à un professeur de dessin de choisir la voie de l'art.
Ce débat est important. Merci au président et au rapporteur de la mission d'information. Puissent leurs conclusions inspirer le gouvernement actuel et les gouvernements à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)
M. Jacques-Bernard Magner, président de la mission d'information . - Ensemble, nous avons beaucoup entendu le monde de l'orientation à travers de nombreuses auditions et nous nous sommes rendus dans les académies de Strasbourg et Clermont-Ferrand. Notre rapporteur va vous présenter le résultat fructueux de nos travaux. Dans le débat, je pourrai développer plus longuement le point de vue du groupe socialiste et républicain. (Applaudissements)
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la mission d'information . - Le 29 juin dernier, la commission de la culture autorisait la publication de mon rapport. Je suis heureux que nous ayons aussi rapidement l'occasion d'en débattre en séance publique.
Nous aborderons la semaine prochaine la question de l'entrée en master qui est l'un des aspects de ce vaste dossier de l'orientation. L'introduction d'une « sélection juste à l'université par l'édiction de prérequis » est l'une de mes préconisations. J'ai également plaidé en faveur du développement de l'offre de formation continue des universités afin que l'on puisse vraiment parler d'un droit à la poursuite d'études tout au long de la vie.
Toutes nos propositions cherchent à remédier à l'orientation par couperet lors de classes paliers, sur le seul fondement des notes. Au sein d'un système hiérarchisé, où trône la filière S au-dessus des filières générales, l'orientation se fait par l'échec. L'élève reste passif : son implication se borne à une brochure de l'Onisep, avec tout au plus des entretiens avec le conseiller d'orientation et le professeur principal, voire une observation du milieu professionnel. Les choix sont trop souvent facteurs du milieu social, du lieu de résidence, du sexe. L'orientation est un sujet d'anxiété pour bien des familles.
Nous avons souhaité faire de l'orientation un des objectifs. Il s'agit d'abord de simplifier en fusionnant, ou du moins en regroupant sur des sites uniques les acteurs.
Un stage professionnel pourrait être rendu obligatoire pour tout enseignant et le rôle du professeur principal revalorisé.
Un horaire dédié serait prévu en troisième, ainsi qu'au lycée - où, curieusement, alors que c'est le moment où les élèves acquièrent de la maturité et forment des projets professionnels, rien n'est prévu.
Le décalage entre le discours - égale dignité des voies - et la réalité - un enseignement professionnel méprisé - doit être résorbé. Nous proposons de faire du lycée polyvalent la norme et de créer dans chaque bassin d'emploi un réseau d'établissements, avec des passerelles facilitées entre eux, et entre les filières. Des rendez-vous avec les parents dès la sixième seraient à même de faire de l'orientation un choix.
Je conclurai par un regret : la sélection par tirage au sort que nous infligeons aux étudiants des universités est indigne d'une grande méritocratie comme la France.
Les travaux de notre mission se sont déroulés dans une très bonne ambiance, souhaitons que nos recommandations ne restent pas lettre morte. (Applaudissements)
M. Patrick Abate . - Saluons un travail de bonne foi et engagé. Mais l'essentiel de ses recommandations tient à une régulation des flux d'élèves, plutôt qu'à une modification des caractéristiques du système.
Le rapport réclame une carte des formations plus réactive ; mais quand on sait que les entreprises sont incapables d'anticiper, cela peut-il vraiment être utile ? Un tiers des emplois de demain n'existent pas encore.
La complexité croissante du travail implique une élévation des niveaux des connaissances ; ne pas le prendre en compte, c'est entériner l'échec des moins bien préparés. Mon groupe s'interroge ainsi sur l'opportunité d'allonger l'instruction obligatoire jusqu'à 18 ans.
M. Jacques Grosperrin. - Pourquoi pas 25 ? (Sourires à droite)
M. Patrick Abate. - Quant à la régionalisation des CIO, on ne peut pas ignorer le risque d'un creusement des inégalités que cela ferait courir. Le rapport minore l'importance des facteurs psychiques et sociaux dans l'orientation. Un projet d'orientation doit être en lien avec la construction de l'identité - ce n'est pas ici un gros mot - de l'élève, en particulier à l'adolescence.
La question devrait être davantage posée en termes d'émancipation. Nous refusons la mise en berne du corps des conseillers d'orientation, au profit d'enseignants non formés pour cette mission. Quelle est l'utilité du stage obligatoire en entreprise des enseignants ? Nous préconisons, quant à nous, un corps unique de psychologues, de la maternelle au secondaire, avec des recrutements, afin d'éviter qu'un conseiller d'orientation ait, comme aujourd'hui, la responsabilité de 1 400 à 1 600 élèves sur plusieurs établissements.
Je ne partage pas la majorité des préconisations de ce rapport, qui n'aborde pas la question des moyens financiers et humains. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
Mme Françoise Laborde . - Cette mission a été mise en place car notre système d'orientation aboutit plus à une orientation par l'échec qu'à une orientation choisie, ce qui entretient la ségrégation sociale plutôt qu'elle ne la réduit. Les élèves en difficulté sont orientés vers la filière professionnelle, cela explique la dépréciation de celle-ci reléguée dans l'inconscient collectif.
Les recommandations du rapport sont utiles, mais le bon sens plaide pour une réorganisation. La clef de la réussite est dans l'anticipation. Ce n'est qu'avec un travail pédagogique en primaire que les mentalités changeront, non pas pour former des salariés préfabriqués mais les citoyens de demain, conscients des possibles qui s'offrent à eux. Des rencontres avec les parents ou les professionnels que les enfants rencontrent dans leur quartier ne coûteraient rien, mais aideraient à faire tomber les barrières. Les lycées professionnels sont une bonne idée pour lutter contre les préjugés.
Je soutiens la proposition de faire de l'orientation une discipline scolaire, préfigurant le passeport formation. Il est impossible de faire des séries télévisées sur tous les métiers pour les valoriser comme ceux de la gastronomie l'ont été ces dernières années... Plus sérieusement, comment demander à des collégiens de savoir précisément ce qu'ils veulent faire ?
Les membres du groupe du RDSE veilleront à ce que les recommandations du rapport ne restent pas lettre morte. (Applaudissements à gauche)
Mme Marie-Christine Blandin . - L'orientation est un paradoxe : centrale dans la vie des élèves, elle est abordée avec angoisse par les parents. Le Parlement en parle, comme le ministère. Pourtant elle est laissée pour compte dans la réalité ; les enseignants n'y sont pas formés et les stages en entreprises continuent à reproduire les différences sociales... Interroger le rôle des algorithmes est une urgence : ils peuvent faire le contraire de ce que nous voulons. La pondération des critères est le piège inconnu dans ce labyrinthe. Les algorithmes données par le logiciel Pronote classent, notent, sans les nuances nécessaires. Un futur mésusage est possible : Orwell n'est pas loin si l'on connecte Pronote et Affelnet.
Les acteurs autorisés nous ont surpris par leur réticence à faire entrer dans les enseignements les travaux manuels. Nous sommes loin de la pensée d'Howard Gardner sur l'intelligence collective.
L'année de césure après le bac, que le rapport propose, existe en Suède - la commission de la culture y avait constaté les bénéfices qu'en retiraient les jeunes. En période de tension sur le marché de l'emploi, « se caser » est devenu une injonction sociale. Chaque personne a le droit à une seconde chance. Je le sais bien pour avoir mis en place à Roubaix un lycée de toutes les chances. Il faut du cousu main, du temps de dialogue avec les parents et des professionnels qui doivent être bien choisis. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Agnès Canayer . - L'enjeu est de taille. Cet excellent rapport le rappelle, l'échec scolaire est massif en France, avec 140 000 jeunes décrocheurs. Insérer les jeunes dans une société en pleine mutation n'est pas aisé. J'ai rencontré des décrocheurs issus de Bléville, un quartier « politique de la ville » du Havre : orientés contre leur gré en comptabilité, ils ont naturellement décroché. L'école devant préparer l'insertion professionnelle, le décloisonnement entre monde enseignant et monde de l'entreprise est indispensable.
L'orientation positive doit se construire avec le jeune et sa famille : le jeune doit découvrir tous les métiers, quelle que soit son origine sociale.
L'entreprise crée l'emploi et l'école forme le salarié de demain. En Seine-Maritime, l'Union des industries et métiers de la métallurgie a développé une formation de deuxième chance pour les décrocheurs. L'orientation professionnelle satisfait ainsi les besoins du bassin local de main-d'oeuvre et les jeunes apprennent un savoir-faire d'excellence.
Des relations plus étroites entre missions locales et école permettraient de régler le problème des pré-décrocheurs. La prévention du décrochage doit en toute hypothèse primer les dispositifs curatifs.
La souplesse, la connaissance réciproque, l'attention aux besoins sont les clefs de la réussite. (Applaudissements à droite)
M. Claude Kern . - Notre assemblée a toujours fait de la réussite de nos enfants une priorité ; le rapport en témoigne. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour prendre en compte ses recommandations. Outre l'indignité des classements internationaux de la France, l'existence de décrocheurs est insupportable. Notre système génère en outre des inégalités croissantes.
Les douze recommandations de la mission vont dans le sens d'une orientation réussie, et je les soutiens avec force.
Les filières professionnelles et l'apprentissage font malheureusement l'objet d'un dédain généralisé. Pourtant, l'apprentissage, c'est la voie de la réussite, pas la voie de garage réservée aux cancres. L'orientation plus tardive est une absurdité. Frontalier, je connais bien le système dual allemand, à la fois à l'école et dans l'entreprise, et ses contenus définis par les Länder et les partenaires économiques et sociaux. Je sais que nos acteurs économiques aimeraient comme en Allemagne participer à cette formation. Nombreux louent l'excellence de notre formation technique, avant la dernière réforme du lycée. L'initiative du député européen Jean Arthuis en faveur d'un Erasmus de l'apprentissage est à saluer : 145 jeunes apprentis, dont 75 français, préparent leur départ pour l'étranger.
Ayons l'ambition de créer de vrais lycées des métiers. Donner des objectifs en termes d'insertion professionnelle à notre système éducatif, associer les parents d'élèves, intégrer les entreprises, entre autres, sont des propositions que je soutiens.
Le stage en entreprise, monsieur Abate, est très enrichissant pour les enseignants. Une autre formule pourrait être aussi très utile : l'échange des fonctions pour une journée entre le professionnel d'entreprise et l'enseignant. Je souhaite que ce rapport devienne votre livre de chevet, madame la ministre. (Sourires et applaudissements à droite et au centre)
M. Jacques-Bernard Magner . - Dresser l'inventaire des dispositifs d'orientation, en dresser le bilan et proposer des modifications, tel était l'objectif de cette mission.
L'orientation intéresse tout le monde. Le chômage des jeunes est toujours trop important, en particulier pour les jeunes sans qualification. Une orientation réussie doit conduire chacun à réaliser son potentiel. L'idéal serait que chacun ait la conviction de l'avoir choisie. Il faudra des années pour que les récentes réformes portent leurs fruits.
Le constat est connu depuis le rapport du Haut Conseil de l'éducation de 2008 : l'orientation au collège et au lycée dépend du niveau des élèves en primaire ; elle dépend de leurs résultats dans des disciplines abstraites, s'appuie sur des notes ; l'origine sociale et le niveau de diplôme des parents sont des facteurs déterminants ; une mauvaise orientation est difficile à rattraper.
L'orientation par les algorithmes est un progrès, même si elle ne permet pas de remédier à la rigidité de l'offre.
Des dispositifs de réorientation des classes passerelles devraient être prévus. Mais l'orientation ne doit pas être chargée de tous les maux : elle n'est jamais la seule responsable.
L'offre de formation s'adapte difficilement aux besoins du marché, il faut des années pour créer une formation. On assiste ainsi à des orientations forcées, générant des abandons.
L'orientation a trop tendance à fonctionner en circuit fermé. La proposition de loi de notre collègue Jean-Léonce Dupont adaptant le deuxième cycle universitaire au système LMD a donné lieu à un amendement du groupe socialiste insérant un droit à la poursuite d'études. Après une concertation de très grande qualité, le Gouvernement a donné une réponse à toutes les difficultés par un accord...
M. Jacques Grosperrin. - Historique !
M. Jacques-Bernard Magner. - ...entre tous les acteurs concernés.
M. Jean-Léonce Dupont a proposé l'évaluation du dispositif par un organisme indépendant, ce qui est de nature à rassurer tout le monde. Il faut un accompagnement des étudiants de licence pour préparer l'entrée en master. Cela supprimera l'injustice que représentait la sélection clandestine entre première et deuxième année de master.
Les membres de la mission d'information ont fait douze recommandations principales pour une orientation réussie de tous les élèves. Comme eux, compte tenu de la qualité de leurs travaux, je forme le voeu qu'elles ne restent pas lettre morte. (Applaudissements à gauche)
M. Jacques Grosperrin . - Le rapport porte sur un sujet important s'il en est : l'orientation scolaire. Les classements Pisa pointent régulièrement les mauvais résultats de notre système scolaire, accréditant l'idée de sa décadence. La situation est en fait plus contrastée.
On ne peut cependant ignorer ces résultats. Le Gouvernement actuel n'est pas responsable de tout. Quels remèdes ? Développer l'expérimentation, rompre avec l'uniformisation par l'égalitarisme, recentrer l'école de la République sur ses missions fondamentales que sont la transmission des savoirs et l'insertion sociale et professionnelle : celles-là mêmes que s'assignaient les hussards noirs. L'ascenseur social est aujourd'hui en panne, pis, l'école aggrave les inégalités.
La professionnalisation passe par le renforcement de l'orientation. L'école doit aider les élèves à identifier leurs aptitudes et à les cultiver pour mieux s'insérer professionnellement. Mais elle ne peut pas tout, les parents ont aussi leur rôle.
Je m'interroge sur la suppression du redoublement en troisième, et la scolarité obligatoire jusqu'à 18 ans : pourquoi maintenir à l'école un jeune qui ne s'y plaît plus ?
Le rapport de notre collègue préconise de renforcer la formation des enseignants et de faire en sorte qu'au cours de leur cursus, ils puissent découvrir l'entreprise. Il est également préconisé de renforcer le lien entre le lycée et l'enseignement supérieur.
L'affectation mérite aussi toute notre attention, particulièrement à l'entrée au lycée. Le recours aux algorithmes ne fait pas tout.
J'aurais aimé vous entendre condamner certains agissements à l'école, madame la ministre, la violence n'est pas étrangère à la faible attractivité du métier d'enseignant.
Enfin l'université, face à la massification de l'enseignement supérieur, il faut poursuivre l'autonomisation des universités entamée par l'excellente loi Pécresse, permettre aux établissements de développer des stratégies pour attirer les meilleurs bacheliers et les meilleurs enseignants, de trouver de nouveaux financements, de sélectionner leurs étudiants - ce n'est pas un gros mot. Les filières les plus demandées, au lieu de pratiquer un tirage au sort absurde et illégal, doivent pouvoir imposer des prérequis. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Je veux d'abord saluer la qualité de ce rapport, sur un sujet ô combien important puisqu'il concerne l'avenir de nos enfants et, partant, celui de notre pays. La scolarité a pour horizon l'insertion professionnelle et citoyenne des élèves; ce n'est pas le seul horizon, mais il cristallise l'attente des familles et l'inquiétude des élèves.
Nous abordons cette question de l'orientation avec responsabilité, bien sûr, car l'école a un rôle majeur, mais aussi avec humilité car elle ne peut pas tout. Les parcours d'excellence dans lesquels des étudiants ou des salariés volontaires se font les tuteurs d'élèves en luttant contre l'autocensure, par exemple, jouent un rôle important.
En tant que ministre, je m'appuie sur l'article liminaire du code de l'éducation, qui dispose que « le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté ». Cela veut dire, monsieur Abate, que l'orientation n'est pas un tri ; cela signifie aussi qu'il faut sortir de l'alternative stérile entre une école adéquationniste qui aurait pour seul but de pourvoir les besoins du marché, et une école qui dispenserait des savoirs éthérés. L'école doit penser son offre de formation en fonction des perspectives à long terme du monde professionnel. Cinq cents nouvelles formations professionnelles ont d'ailleurs été lancées sur la base des travaux de France Stratégie sur les filières de demain ; mille enseignants les animeront dès la rentrée 2017.
L'orientation ne doit pas être imposée à un carrefour de vie, elle doit être progressive. Penser l'orientation comme un parcours est un véritable changement de paradigme, qui force à mettre la scolarité elle-même en cohérence ; d'où la révision du socle commun et des programmes des neuf ans de cycle obligatoire ; d'où également la réforme du collège, qui insiste sur l'interdisciplinarité, la créativité, l'oral, la collaboration des élèves entre eux, l'apprentissage plus précoce des langues vivantes.
Auparavant, il fallait attendre la troisième pour réfléchir à l'orientation. Depuis 2012 ont été mis en place les parcours avenir, qui offrent aux collégiens, tous les ans, des expériences en monde professionnel : visites d'entreprises, réception d'entrepreneurs, création de mini-entreprises...
M. Jacques Grosperrin. - Quel est le volume horaire de ce parcours ? C'est de l'incantation.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Le dispositif est original. Le parcours avenir est conçu comme une ouverture au monde professionnel, en lien avec les contenus disciplinaires. Les conseillers d'orientation-psychologues y participent activement - au passage, je vous confirme la création d'un corps unique de la maternelle au lycée.
Ce choix d'une orientation progressive se manifeste par des mesures concrètes à ces moments charnières que sont le passage en seconde et le passage dans le supérieur. Vous avez raison de dire que l'orientation subie provoque le décrochage. L'enseignement professionnel, disons-le, est souvent perçu à tort comme une voie de relégation. D'où une décision importante, passée inaperçue : pour la première fois cette année, les élèves de seconde professionnelle ont désormais la possibilité jusqu'aux vacances de la Toussaint de changer d'orientation, soit au sein de la filière professionnelle, soit vers l'enseignement général ou technologique.
Deuxième moment charnière : le passage du lycée à l'enseignement supérieur. Admission post-bac (APB) n'est pas un outil d'orientation mais d'expression des voeux. Le projet lui-même s'élabore bien en amont, par la découverte des métiers et des offres d'enseignement supérieur. Dès la première, nous cherchons à renforcer le conseil en orientation.
Mais le fonctionnement de l'outil APB doit être bien compris par les familles, les élèves et les enseignants. L'an passé, nous avons expérimenté dans cinq académies un nouveau dispositif qui, compte tenu de ses résultats, sera généralisé, visant à apporter un accompagnement beaucoup plus étroit aux lycéens dont les choix semblent problématiques. Nous sommes bien sûr tous opposés au tirage au sort. Depuis l'an passé, nous avons d'ailleurs réussi à réduire de 60 % le nombre de filières qui sélectionnent ainsi leurs élèves.
Nous veillons aussi à la cohérence des parcours entre lycée et enseignement supérieur. Les lycéens professionnels sont par exemple les seuls à être formés en alternance ; il est logique qu'ils continuent à être formés sur ce mode, en BTS notamment, où leur taux de réussite est huit à dix fois plus élevé qu'en licence. Des places leur sont désormais ainsi réservées, et nous nous sommes engagés à ouvrir 10 000 places nouvelles en BTS en cinq ans.
Le rapport plaide pour une meilleure répartition des rôles entre les acteurs de l'orientation. Aujourd'hui, l'État définit nationalement la politique d'information et d'orientation, et la met en oeuvre avec l'appui des CIO, de l'Onisep et des Services communs d'information et d'orientation (SCIO). La région, pour sa part, est en charge du service régional de l'orientation tout au long de la vie. Ouvrir à nouveau le chantier du transfert des CIO aux régions serait contre-productif, alors que les inquiétudes suscitées par le désengagement départemental viennent à peine d'être apaisées. L'organisation actuelle favorise d'ailleurs les partenariats entre l'État et les collectivités. Je reconnais cependant que toutes les régions n'ont pas pris en main leurs nouvelles compétences.
Nous associons davantage que par le passé les parents au processus d'orientation. Je comprends bien sûr la demande de transparence des procédures d'affectation, nous y travaillons. Nous avons publié l'algorithme d'APB. S'agissant d'Affelnet, un cadrage national est en cours d'élaboration.
Le principe de co-éducation associant parents et enseignants nous a conduits à faire l'expérience de donner à la famille le dernier mot en matière d'orientation dans 445 établissements scolaires de 20 académies. Lorsque les familles sont associées, l'orientation est mieux préparée ; nous incitons par conséquent d'autres acteurs à rejoindre le dispositif.
Je suis très attachée au lien école-entreprise. Vous l'ignorez peut-être mais j'ai créé des pôles de stages dans chaque bassin d'emplois. Il en existe 330. J'ai en outre décidé d'obliger les futurs chefs d'établissement à effectuer un stage en entreprise, stage que tout autre membre du personnel de l'éducation nationale pourra réaliser.
Il y a de plus en plus, parmi les candidats aux concours d'enseignants, des personnes en reconversion professionnelle. C'est nouveau et évidemment lié au rétablissement de la formation initiale des enseignants réticents jusqu'alors, et on les comprend, à se jeter dans une classe comme une frite dans l'huile bouillante. Cela contribue aussi à resserrer les liens entre l'école et l'entreprise.
Je suis très heureuse de vous avoir entendus évoquer la réforme du master, qui me tient à coeur. L'accord est en effet historique. Le texte sécurise enfin l'accès et les études en master. Les étudiants retenus en M1 pourront désormais poursuivre leurs études en M2 : c'est une formidable avancée.
M. Jacques Grosperrin. - Cela fait treize ans que nous l'attendons !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Quatorze ans, même !
Les chiffres du décrochage semblent une fatalité depuis tant d'années qu'on en oublie les bonnes nouvelles : les décrocheurs ne sont plus que 110 000 en flux annuel ; quant au stock, c'est-à-dire au nombre de jeunes de moins de 25 ans qui se retrouvent ainsi sans solution, il n'est plus de 620 000 mais de 492 000.
M. Jacques Grosperrin. - Ça va mieux !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Je suis très heureuse qu'un travail aussi considérable ait été accompli par votre Haute Assemblée. Vous montrez ainsi que l'orientation n'est pas seulement l'affaire de l'école, mais de toute la société. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Claude Kern et Mme Françoise Laborde applaudissent aussi)
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 19 octobre 2016, à 14 heures.
La séance est levée à minuit dix.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus