Réforme de la PAC
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « Restructuration et modernisation des principales filières agricoles dans le cadre de la réforme à mi-parcours de la PAC (Demande du groupe Les Républicains).
M. Jean Bizet, au nom du groupe Les Républicains . - La première modernisation à envisager est celle de la PAC. Nous sommes arrivés au bout du système, un système qui coûte 55 milliards d'euros par an. Chaque État aide ses agriculteurs comme il le peut mais de manière différente : certains ont une stratégie offensive, d'autres demeurent dans une attitude de « sauve qui peut ».
Je n'accuse personne, c'est inutile : la fin des quotas laitiers était programmée dès 1984. La France a toujours fait ce qu'elle a pu pour maintenir un succédané de réglementation. Nous l'avons fait, il y a quelques années en imposant la contractualisation - avec un succès mitigé. Nous continuons à le faire en activant un article du règlement PAC qui autorise les ententes entre producteurs. C'est une victoire française.
« Des prix, pas des primes », c'est un beau slogan de champ de bataille mais c'est un slogan de marchands d'illusions. Beaucoup d'agriculteurs pensent encore à la PAC à l'ancienne, avec ses prix administrés et ses garanties d'écoulement. Un bon ministre était un ministre qui ramenait de bons prix. Voilà pourtant 25 ans qu'il n'y a plus de prix officiel européen. Dans un système de marché, le prix est un rapport entre une offre et une demande, un rapport de force. Ce n'est pas le prix qu'il faut fixer, c'est le rapport de force qu'il faut changer.
Acceptons l'introspection, quitte à bousculer les habitudes et les mentalités françaises. Nous avons aujourd'hui deux piliers : le premier, centré sur l'aide au revenu et financé par l'Union européenne, représente les trois quarts de la PAC ; le deuxième, concernant le développement rural, en cofinancement entre les États et l'Union, un quart. Le partage évolue lentement. Pourquoi ? Parce que les Français, premiers défenseurs et premiers bénéficiaires de la PAC y tiennent plus que tout ; parce que les États qui nous ont rejoints en 2004 ont attendu dix ans pour y avoir accès à taux plein.
Mais il faudra bien se poser la question de la pertinence des aides directes. Les deux questions majeures sont celle de la justice et celle de l'efficacité. Un tiers des agriculteurs ne vivraient pas sans les aides directes et un tiers vivent mieux grâce à elles. Ce sont eux notre cible, et non le tiers qui n'en a pas besoin quand les prix sont élevés - et cela arrive.
A défaut d'être juste, le système est-il au moins efficace ? On peut en douter. Le premier pilier soutient mais ne prépare pas l'avenir. Un secteur, le secteur viticole, a renoncé aux aides directes et ne s'en porte pas plus mal. Une réforme s'impose. Ce n'est pas parce que les Anglais ont posé cette question qu'elle est forcément mauvaise.
Mais, dans l'immédiat, le prochain chapitre concerne le deuxième pilier. Ce régime méconnu est injustement décrié par nos agriculteurs qui y voient, comme moi autrefois, une concession au courant environnementaliste et même paysagiste. Pourtant, l'avenir de la PAC est dans ce deuxième pilier, cofinancé, multiforme et bien orienté.
Les stratégies régionales réussissent, comme en Allemagne, sans que cela empêche les Länder d'avoir des positions communes. Les grandes surfaces qui font aussi la loi outre-Rhin ont annoncé une baisse des prix du lait de 25 %. L'Allemagne commence à se rendre compte des dégâts occasionnés par la dérégulation et à entendre nos appels.
D'autres pays réussissent, souvent sur des bases régionales. L'Italie, que l'on entend pourtant peu sur les questions agricoles, réussit dans l'agroécologie ; ses performances à l'export, avec ses labels AOP et IGP, sont souvent meilleures que les nôtres. Nous devrions prendre modèle sur nos voisins, non pour les copier mais pour faire mieux.
S'interroger sur le deuxième pilier, c'est aussi s'interroger sur les financements. Les circuits doivent être simplifiés. Plusieurs élus régionaux font état des difficultés de procédure pour avoir accès aux fonds européens. Quelles sont les responsabilités ? Viennent-elles des régions, de l'Etat, des organismes payeurs ? Il faut un audit, monsieur le ministre.
Le deuxième pilier est un menu dans lequel les régions peuvent choisir pour financer leurs priorités. On peut parfaitement imaginer un système à deux niveaux : un premier avec des cofinancements régionaux, un deuxième avec une forte implication de I'Etat cofinançant des actions qu'il considère stratégiques. C'est l'intérêt de la ferme France et de notre filière agroalimentaire.
La réforme à mi-parcours de la PAC est assez avancée pour qu'on y voie plus clair. Onze États membres ont choisi de transférer du financement vers le deuxième pilier. La France n'a fait que transférer 3,3 % de son aide du premier pilier, soit 30 % de moins que les Pays-Bas, 50 % de moins que l'Allemagne et 70 % de moins que le Royaume-Uni. Le transfert maximal autorisé est de 1,1 milliard. D'après les professionnels, il faut dégager 3 milliards par an pour moderniser nos exploitations. Le plan Juncker pourrait être davantage mobilisé vers l'agriculture, M. Lenoir et moi avons interpellé le commissaire Phil Hogan sur ce point.
La France doit assumer la mutation de son agriculture. Il faut urgemment un programme commun agricole avec ses partenaires européens. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Michel Le Scouarnec . - Pourvu que ce débat n'engendre pas une maigre moisson pour des exploitants qui attendent des actes ! La PAC, qui représente un des postes les plus importants de l'Union européenne, constitue une ligne de fracture entre les États membres.
Loin de se résumer à l'aménagement des paysages, l'agriculture nourrit les peuples. Cela légitime une régulation qui assure un revenu digne aux agriculteurs. C'est pourquoi, la réforme et la consolidation de la PAC doivent constituer une priorité de l'UE, en particulier dans la perspective inquiétante de hausse des prix agricoles et des négociations autour du TAFTA.
De six États membres, nous sommes passés à 28. Les distorsions de concurrence sont inévitables. Les pays de l'Est, dont les pays baltes, sont les premiers à protester contre cette distorsion de concurrence que représentent les aides directes. Nos voisins allemands n'ont recouplé aucune aide directe. Ainsi, un éleveur laitier de Savoie et de Bavière ne reçoit pas la même aide. Ces différences sont encore plus notables au sein du second pilier.
Les orientations de la PAC, de moins en moins régulatrice, aggravent cette situation. Surtout, la PAC joue de moins en moins son rôle. Ce n'est plus une politique agricole commune mais un système hyper-concurrentiel avec les travailleurs détachés, générant un dumping social terrible. Les chèques nationaux ne compenseront jamais une PAC juste, durable et efficace socialement pour les paysans.
Quelques mots sur l'agriculture biologique. En trois ans, les soutiens pour la conversion et l'agriculture biologique sont passés en France d'un pilier de la PAC à un autre. Cette instabilité a entraîné de nombreuses difficultés. Le retour de la mesure « conversion à la bio » dans le pilier développement rural a apporté un peu plus de cohérence, la pérennité est toutefois loin d'être assurée.
De plus, la distinction des mesures bio des autres paiements environnementaux était préconisée par la Cour des Comptes européenne, afin de diffuser l'agriculture biologique sur tout le territoire.
Le groupe CRC souhaite une PAC au service d'une agriculture de qualité, garantissant un revenu digne. Pour récolter, il faut semer. Remplaçons les coûteux systèmes actuels par un système de paiement simplifié. Cessons de soutenir l'agriculture intensive tout en taxant la pollution, mettons du bon sens dans notre réglementation. Notre agriculture a besoin de signes pour avoir confiance en son avenir.
M. Franck Montaugé . - Ce débat est bienvenu. L'agriculture française est confrontée à des enjeux de sécurité et de qualité alimentaires, économiques, environnementaux, territoriaux et de résilience.
La PAC post 2020 doit être construite autour de la croissance, de l'emploi et de la compétitivité ; de la contribution aux enjeux climatiques ; du développement de la ruralité ; et, enfin, de la gestion des risques pour une agriculture résiliente et durable. Je m'en tiendrai au dernier point dans la perspective du débat que nous aurons à la fin du mois sur la proposition que j'ai cosignée avec Didier Guillaume et Henri Cabanel.
Ces agriculteurs veulent des prix et pas des primes ; ils ont raison. Cela nécessite des marchés justes en quelque sorte. Mais les mécanismes de régulation soit ont disparu - les quotas - soit sont embryonnaires. Depuis la réforme de la PAC de 1992, les principes du « libre marché autorégulé » modèlent l'agriculture de nos nations ; ils ont fait souffrir, parfois jusqu'à l'insupportable, nos paysans. Dans cette situation, qui est éminemment politique, la résignation n'est pas de mise. Montrons-nous pragmatiques et solidaires à l'égard du monde paysan.
Partons d'une réalité : les agriculteurs n'ont pas de pouvoir de marché. Et lorsque les prix augmentent, c'est avant tout l'amont et l'aval qui en profitent.
La PAC n'intègre pas de mécanisme de gestion des risques économiques. L'observation des dispositifs mis en oeuvre dans les grands pays producteurs hors de l'Union est riche d'enseignements. Pour les risques individuels de type usuel, la gestion relève de choix privés soutenus par des aides publiques. Quand l'aléa est maîtrisable, interventions collectives et publiques se complètent. Enfin, lorsque le risque est systémique ou que l'aléa est catastrophique, c'est au public d'intervenir pour rééquilibrer les marchés avec des aides contracycliques
A partir de cette typologie des risques, quel constat poser ? D'abord, l'Etat intervient sur les baisses de charges, sur le lissage de la fiscalité, dans le financement des assurances récoltes avec le contrat-socle et du Fonds de mutualisation sanitaire et environnremental ; il encourage également les organisations collectives - coopératives, GAEC, GIEE. Il pourrait utilement approfondir la mise en oeuvre des articles 36 à 39 du règlement 1305/2013 de l'UE qui traitent de la gestion des risques. C'est l'objet de notre proposition de loi.
Quant à l'Union européenne, dans la perspective de la PAC post-2020, il lui faudra être en mesure d'évaluer finement les pertes de revenus agricoles. Que de retard dans le big data agricole ! Elle devra favoriser la création de comptes d'épargne de précaution mais aussi soutenir des tests de terrain pour valider ou non les méthodes nouvelles. A elle aussi de prévoir un financement suffisamment flexible pour les outils de gestion des risques en utilisant les réserves spéciales de l'Union et de superviser la gestion des risques. Enfin, le premier pilier devra être restructuré et la question des aides découplées, posée. Enfin, une question : la PAC peut-elle être efficace, réactive aux situations aléatoires, dans le cadre d'un cycle budgétaire annualisé ?
Les scientifiques nous inviteraient à changer de paradigme mais un tel système ne saurait être rayé d'un trait de plume. Expérimentons, certains y sont prêts et associons les agriculteurs à cette mutation. Monsieur le ministre, je sais que vous y veillez déjà. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
M. Jean Desessard . - La crise agricole met à rude épreuve les filières, et notamment l'élevage. Les réponses européennes sont multiples - doublement des plafonds d'intervention sur le lait et le beurre, stockage pour le porc, relance de l'investissement, dérogations au droit de la concurrence et aides financières pour les producteurs laitiers - mais ne traitent pas le fond. Le Gouvernement y ajoute l'année blanche et le plan d'investissements de 3 milliards d'euros sur trois ans mais, là encore, il s'agit de simples pansements.
Si la nouvelle PAC est davantage tournée vers les petites exploitations et le bio, la répartition demeure insatisfaisante. L'avalanche de demandes d'aides à la reconversion en bio a amené des régions à plafonner les aides. Cela pourrait être généralisé pour éviter que seules les plus grandes exploitations en profitent.
Pour nous, écologistes, il faudrait transférer une partie des aides du premier pilier de la PAC vers le deuxième. Cela n'est pas un problème strictement français, puisque l'Allemagne connaît le même phénomène de pénurie des aides à la conversion. C'est dire à quel point avait été sous-estimé le dynamisme de la filière bio, qui apparaît aujourd'hui comme un rempart contre la crise et l'assurance de pouvoir vendre ses produits à un prix couvrant enfin les coûts de l'exploitation quand pas moins de 60 % des exploitations françaises ont un revenu négatif.
Autre point : l'échec des aides largement insuffisantes aux légumineuses fourragères, qui occupent 150 000 hectares contre 700 000 hectares prévus, alors qu'il s'agissait d'éviter des importations souvent d'OGM.
Malheureusement, une partie de la profession veut encore et toujours financiariser l'agriculture, standardiser les produits à outrance et défendre des aberrations environnementales comme la ferme de mille vaches. Si l'on poursuit cette logique, 15 % d'agriculteurs auront disparu en 2020, laissant la place à des exploitations toujours plus grandes, consommant pesticides et antibiotiques, en contradiction avec les objectifs de la PAC.
Il faut imaginer dès à présent la PAC d'après 2020, une PAC tournée vers l'agroécologie, le stockage du carbone avec le projet « 4 pour 1 000 », l'autonomie fourragère et la polyculture élevage. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Raymond Vall . - Près de 40 % du budget de l'Union européenne est absorbé par la PAC ; il faudrait qu'elle soit un tant soit peu efficace. Or, et le député Eric Andrieu dans son rapport d'avril dernier l'a montré, la PAC n'a créé aucun emploi et n'a pérennisé aucune exploitation agricole. Merci, monsieur le ministre, pour vos efforts et votre déplacement dans le Gers ; vous avez su redonner confiance à nos agriculteurs.
L'Europe est touchée par une crise de surproduction, la France encore plus. Pensez-vous, monsieur le ministre, pérenniser les allègements de charge ? La question de la contractualisation et celle des organisations des producteurs est également à approfondir.
Les dispositifs nationaux s'inscrivent dans un cadre communautaire sur lequel nous devrions être plus exigeants.
Première exigence, reconnaître que la stabilité des marchés est une condition de survie pour de nombreux marchés agricoles. La proposition de loi de MM. Cabanel, Guillaume et Montaugé est bienvenue.
Deuxième exigence, la régulation. Monsieur le ministre, pour surmonter la crise laitière, vous avez demandé son activation. Faut-il opposer marché et régulation ? Américains, Brésiliens et Chinois protègent bien leurs agriculteurs. L'Union européenne doit faire preuve de pugnacité dans les négociations sur le TAFTA, l'accord avec le Canada ou encore sur les sanctions frappant la Russie.
Troisième exigence, la PAC devrait être plus solidaire. Nous ne rivaliserons pas avec des géants comme le Brésil ou l'Argentine aux prix de production imbattables. Les exploitations de taille modeste sont un atout sur le segment de la qualité. La nouvelle architecture des paiements directs de la PAC a d'ailleurs permis d'effectuer des choix ciblés. Ceux de la France peuvent être partagés : soutien à l'élevage, aux jeunes agriculteurs, aux zones de montagne, à la modernisation. L'étiquetage de l'origine des viandes et du lait a fait débat. Quand la Commission européenne rendra-t-elle ses conclusions sur le projet de décret français ?
La crise de l'agriculture nous oblige à repenser les outils de régulation. Le groupe RDSE vous soutiendra, monsieur le ministre, pour porter la voix de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Claude Lenoir . - J'ai été frappé, en écoutant les orateurs qui se sont succédé à la tribune, par les convergences entre nous. Cela paraît naturel vu l'ampleur de la crise. Il y a quelques mois pourtant, nous nous opposions sur les raisons de cette crise et les mesures à prendre. Le monde agricole attend de nous que nous dépassions nos clivages, employons-nous-y.
Comme beaucoup dans cet hémicycle, j'entends la détresse du monde agricole. Certains me demandent pourquoi certaines productions sont en retrait en France alors qu'elles explosent, contrairement à ce qu'on aurait pu imaginer il y a quelques années, en Allemagne ou en Irlande.
Il y a donc des convergences entre nous sur les mesures qu'il convient de prendre et, peut-être et surtout, sur le fait qu'il nous faut penser autrement la PAC. Longtemps, nous n'avons pas voulu changer notre manière de concevoir ce qui était bon ou mauvais pour notre agriculture. Dorénavant, nous acceptons que notre agriculture doive être rendue plus compétitive pour faire face à la concurrence. C'était l'objet de ma proposition de loi.
L'Union européenne n'est pas l'institution qui empêche, mais qui permet. En orientant les aides européennes vers l'élevage, le Gouvernement a effectué un premier pas. Allons plus loin : la viticulture a renoncé aux aides directes pour moderniser ses exploitations. Les résultats sont là. (M. Roland Courteau renchérit).
Il y a également des dispositions à prendre en Europe sur l'assurance. Jean-Jacques Lasserre a fait d'excellentes propositions, dans la commission des affaires économiques que je préside. Elles figurent d'ailleurs dans la proposition de loi qui sera débattue le 30 juin.
M. Daniel Raoul. - Allons bon ! C'est une OPA...
M. Jean-Claude Lenoir. - L'Union européenne a desserré quelque peu l'étau lors de la crise laitière en activant l'article 122 du règlement de l'OCM unique. Pourquoi ne pas aller vers un système assurantiel européen ?
Jean-Paul Fournier voulait vous alerter, monsieur le ministre, sur la riziculture. Les autres pays européen ont consommé les aides à leur filière alors que la filière française est dans une situation catastrophique. N'oublions pas que la Camargue est la plus grande zone humide de France.
Dans les traités de libre-échange avec le Canada et les États-Unis - voyez que je n'utilise pas l'acronyme TAFTA utilisé par ceux qui y sont opposés, il faudra défendre l'excellence française. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Jacques Lasserre . - Merci pour ce débat. La semaine dernière, les ministres européens de l'agriculture se sont réunis à Amsterdam, la PAC d'après 2020 se joue dès maintenant.
Certains points avaient été discutés dès 2013. D'abord, le principe de la convergence concernant la redistribution des aides. II a été choisi d'abandonner le plafonnement des aides directes en contrepartie de l'application du principe de dégressivité. La convergence externe et interne devrait conduire à plus de justice.
Nous ne pouvons qu'être favorables à une distribution plus juste des aides, les plus grandes exploitations bénéficiant de 80 % des aides directes.
Concernant l'élevage, le taux pour les aides couplées a été renforcé, passant de 10 à 13 % avec une possibilité supplémentaire de 2 % pour la production de protéines végétales. C'est insuffisant ; il faut à tout prix utiliser les mesures disponibles pour accorder le soutien maximum aux exploitations bovins-viande : couplage, compensations de handicaps, mesures adaptées de soutien en deuxième pilier et préservation du niveau des DPU des systèmes naisseurs et engraisseurs.
Autre point fondamental, le verdissement. Une agriculture écoresponsable est souhaitable et souhaitée. Mais regardons effectivement les efforts des agriculteurs pour l'environnement. Nous sommes très réservés quant à l'augmentation des sommes consacrées au verdissement et demandons que les exigences soient adaptées selon les caractéristiques agronomiques des départements.
On ne peut plus accepter que la prime herbagère agroenvironnementale et les indemnités compensatoires de handicaps naturels soient distribuées de façon toujours plus restrictive.
Il faut soutenir les jeunes agriculteurs, c'est primordial.
Enfin, les risques. Si risques climatiques et économiques sont liés, il faut traiter chacun d'entre eux en tant que tel. Il faut généraliser l'assurance pour les premiers. Pour les seconds, et je le dis à mes collègues socialistes, penser réguler les prix exclusivement par des fonds publics est illusoire. Il faut surveiller scrupuleusement la régulation des échanges internationaux et encadrer la circulation des produits dans l'espace communautaire.
Le caractère contracyclique de la PAC est audible si son champ est défini précisément. Les flambées des prix, qui concernent surtout les grandes cultures, justifient une redistribution plus affinée des aides européennes ; ce pourrait être la base de l'épargne de précaution obligatoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Henri Cabanel . - La crise agricole a des raisons conjoncturelles mais aussi structurelles : concurrence, perte de débouchés, volatilité des prix. La PAC a perdu son rôle modérateur.
Comment faire pour que la PAC continue de remplir ses objectifs : assurer un bon niveau de vie aux agriculteurs, sécuriser nos approvisionnements, stabiliser les marchés ? Il faut un modèle de long terme, celui de la viticulture.
Une fois n'est pas coutume, je suis d'accord avec M. Lenoir pour prendre la viticulture comme modèle. À partir de 2008, l'OCM vin a fait l'objet d'une vaste réforme. Le régime d'arrachage volontaire sur trois ans a permis d'éliminer les vins ne correspondant plus au goût du consommateur.
Le montant des paiements de l'enveloppe 2014-15 du programme quinquennal français de l'OCM vitivinicole a été consommé selon une stratégie voulue par la filière : 103 millions d'euros pour les investissements des entreprises, 101 millions d'euros pour la restructuration et reconversion du vignoble, 45 millions d'euros pour la promotion sur les marchés des pays tiers et 34 millions pour les prestations viniques. Cette priorité donnée à l'investissement permet au secteur de rester dynamique. Les négociations sur la partie PAC doivent s'en inspirer.
L'Europe ne peut plus fonder sa politique agricole sur les aides directes. Il faut passer à une gestion des risques mutualisés telle que décrite dans notre proposition de loi, qui constitue la suite de la proposition de résolution européenne de Didier Guillaume que nous avions adoptée à l'unanimité le 6 avril dernier.
Les récentes catastrophes climatiques montrent la nécessité d'ouvrir le débat. Le basculement d'une partie des aides découplées vers la gestion des risques est inéluctable. Le programme national de gestion des risques doit être consolidé. À Amsterdam, monsieur le ministre, vous avez insisté sur cette question ainsi que sur l'idée d'une épargne de précaution obligatoire, pour donner à la PAC un caractère contracyclique. Nous vous soutenons. Vous avez aussi défendu les aides au verdissement. Là encore, nous vous soutenons.
Il faut des règles ; encore faut-il qu'elles soient applicables. Espérons que vous convaincrez vos collègues européens de la nécessité de construire un projet à moyen et long terme pour que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur métier. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Michel Raison . - Quels objectifs fixons-nous à l'agriculture française, à l'agriculture européenne ? Nous serons d'accord sur un point : la ferme France comme la ferme européenne doivent rester fortes et exportatrices.
Qu'est-ce qu'une agriculture moderne ? Ne cédons pas à la nostalgie ; ce n'était pas mieux avant. Le ministère vient de publier une petite brochure très bien faite sur son action en matière sanitaire : supprimer les produits de traitement, les avancées scientifiques en agriculture serait revenir au XIXe siècle et aux épidémies.
La crise est là. Elle dure, hélas ! D'autres sont à craindre. Tous les leviers doivent être activés pour la modernisation. L'agriculteur est le premier : au risque de choquer, je dirais que certains ont des progrès à faire en matière de gestion... L'État ensuite a son rôle à jouer. L'Europe, enfin, avec la PAC qui devra être bouleversée pour que son premier pilier ressemble plus ou moins au farm bill américain (marques d'approbation à droite) afin d'accompagner les politiques nationales et les fluctuations du marché.
L'Europe doit mettre en place un système de régulation plus performant ; une solution serait de mobiliser une partie des aides du premier pilier pour aider les agriculteurs à passer un cap difficile.
Et décentralisons les aides du deuxième pilier : lorsque les routes ou les collèges ont été décentralisés, cela a mieux marché ! Régionalisons donc, cela sera plus efficace.
L'agriculteur moderne est un agriculteur qui ne renonce ni au progrès scientifique, ni aux méthodes ancestrales, assolement intelligent, légumineuses. Les aides peuvent aussi servir à orienter... (Applaudissements à droite)
M. Daniel Gremillet . - Il est intéressant de dresser le bilan de la PAC à mi-parcours. La dégradation est sans précédent. Nous sommes à mi-2016, on ne peut que constater que les engagements pris auprès des agriculteurs n'ont pas été tenus. La France et l'Union européenne leur doivent de l'argent. Du jamais vu.
Le niveau de sur-administration de la PAC est préoccupant, incompréhensible. Les surfaces non-agricoles... Demain un paysan sera accusé pour avoir coupé un arbre... Plus grave, la fin des déclarations papier d'assolement ; tous les agriculteurs n'ont pas internet... Et on leur explique qu'ils doivent se déplacer à la DDA... Ils se sentent rejetés. Ils ont besoin d'être encouragés et accompagnés.
La gestion des marchés et des risques... Nous sommes tous d'accord sur l'assurance récolte. Nous suggérons dans notre proposition de loi un certain transfert de dépenses entre les deux piliers.
L'organisation des marchés a atteint ses limites. A l'inverse des pays asiatiques ou des États-Unis, l'Union européenne a renoncé à toute stratégie offensive. Rien n'est prévu dans la politique extérieure de l'Europe pour défendre nos agriculteurs, qui sont en première ligne. Revenons à l'esprit du traité de Rome : garantir un revenu décent et équitable aux agriculteurs.
M. Jean Bizet. - Oui !
M. Daniel Gremillet. - La question de la compétitivité de notre industrie agroalimentaire ne doit pas plus être négligée, le taux de pénétration de nos produits est fragilisé.
L'Europe a été une chance pour notre agriculture. Revenons à l'esprit des origines. L'Europe peut redevenir une chance si la France y retrouve une place stratégique et donne envie à ses partenaires de la suivre. Ce n'est pas le cas aujourd'hui... (Applaudissements à droite)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - Certains ont mis en doute ma sensibilité à la question agricole... Voilà plus de quatre ans que je suis ministre de l'agriculture. Je suis né dans un village de 250 habitants où mes grands-parents étaient agriculteurs. J'ai passé un BTS agricole. Si je n'étais pas sensible à la question agricole, monsieur Raison, je ne serais pas resté aussi longtemps dans mes fonctions...
Revenons à la crise. La hausse des prix du porc est liée à la reprise du marché chinois, je ne m'en attribue aucun mérite. Cela ne doit pas nous dispenser de consolider la filière grâce à la contractualisation, pour monter en gamme. Les enjeux de la structuration sont cruciaux. La crise laitière... Certains doutent de la capacité de la France à entraîner les autres pays européens. Mais c'est la France qui a demandé et obtenu un conseil extraordinaire en septembre, obtenu la mobilisation de 500 millions d'aides ! Qui d'autre a alerté sur la profondeur de la crise ? Le commissaire européen a reconnu plus tard avoir été trop optimiste et que nous avions raison. Qui a dit que les 500 millions ne suffiraient pas en l'absence de mesures structurelles, sinon la France ? Qui a proposé l'article 222 dont M. Lenoir a parlé ? La France, encore ! Et elle continue de peser - je ne dis pas le ministre de l'agriculture... À Varsovie, jeudi prochain, j'espère obtenir un engagement de l'Allemagne et de la Pologne sur l'utilisation concrète de l'article 222.
On ne va pas refaire le débat sur les quotas, monsieur Bizet, mais des décisions prises par d'autres gouvernements ont des conséquences aujourd'hui... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) On a doublé le plafond des interventions en début d'année mais il a été atteint en six mois, 218 000 tonnes de poudre de lait... Il faut faire un choix entre le marché et l'intervention... Si on ne rééquilibre pas l'offre et la demande, les crises se répèteront. L'Allemagne commence à bouger. Je ne cesse d'alerter mes homologues sur les risques. Mais il a fallu sept à huit mois pour que le Copa et la Cogeca bougent...
Le président de la République a obtenu la stabilisation des fonds de cohésion et de la PAC, la hausse de 60 % du deuxième pilier. Cessons de diminuer le poids de la France, nous nous affaiblissons nous-mêmes ! Les autres nous écoutent... et en profitent.
La France pèse et a pesé. Cela a aussi été le cas sur la définition des objectifs de la prochaine PAC.
Nous avons proposé un texte organisé autour de trois grands axes. Nul autre ne l'a fait et d'autres pays nous suivent désormais, qu'ils soient gouvernés par la gauche, par la droite ou par une coalition. Je ne vais pas m'en plaindre... Quels sont ces axes ? D'abord, le caractère contracyclique des politiques. Certains évoquent le farm bill. Mais les États-Unis sont un État fédéral : le budget est annuel, voté par le Congrès, et peut être augmenté ou diminué selon la conjoncture. Dans l'Union européenne, le budget est pluriannuel, financé par les contributions des États - et chacun calcule son taux de retour, en particulier le Royaume-Uni... On oublie parfois la solidarité européenne... Ceux qui profitent d'ailleurs le plus du marché solvable qu'est le marché européen, des politiques de cohésion sont les pays exportateurs, au premier rang desquels l'Allemagne... En Grèce aussi on achète des Mercedes... Ce qui veut dire qu'on ne peut pas faire du contracyclique dans le cadre actuel.
Il faut trouver d'autres solutions, arrêter de faire du farm bill un modèle. Le système assurantiel américain est cher et terriblement complexe.
Autres enjeux, l'innovation, l'emploi, l'organisation des filières. Une partie des aides couplées pourraient être utilisées pour organiser les filières. Nous avons un vrai débat autour de la conception que les uns et les autres se font de l'agriculture. Les pays du Nord développent une agriculture hors-sol, industrielle - ils ont peu de terres ; aux Pays-Bas c'est le modèle de l'agriculture verticale, produite dans des bulles stérilisées et éclairées - on y produit des tomates jour et nuit... Notre modèle, c'est une agriculture du sol et de plein air.
Autre thème, le verdissement. Celui-ci doit se faire à l'échelle européenne, qu'il s'applique de la même manière partout. L'Allemagne voulait l'intégrer au deuxième pilier, mais ses critères privilégiaient les plus gros producteurs, d'où des distorsions de concurrence. Il faut aussi tenir compte du réchauffement climatique : la France a proposé la règle des 4 pour 1 000 à l'échelle mondiale. Les terres agricoles sont un puits à carbone. J'ai proposé d'élargir certains critères, d'intégrer la couverture des sols pour favoriser l'agroécologie, le développement des cultures fourragères et des légumineuses.
La simplification... J'ai proposé la création de zones homogènes d'objectifs autour de trois critères : la couverture des sols, la biodiversité, le taux de matière organique dans les sols. D'une logique de moyens, on passerait à une logique de résultat, différenciée selon les zones. Et on contractualise. Nous présenterons tout cela le 23 juin.
Troisième axe enfin, la résilience de l'agriculture. Comment faire face à la volatilité des prix ? Le marché international est là, avec ses fluctuations. En trois ans, le prix des céréales a chuté... Ce n'est pas la faute du ministre...
La régulation, des filets de sécurité, la mutualisation, la contractualisation, voilà des pistes. Et l'État est toujours là pour colmater les brèches... La France propose une épargne de précaution en haut de cycle : une partie des aides du premier pilier pourrait être retenue afin que les agriculteurs puissent l'utiliser lors d'un retournement de cycle, au lieu de s'endetter en anticipant les aides - et de souffrir quand il faut rembourser en période de crise. Là encore, c'est la France qui a lancé le débat - débat ouvert d'ailleurs dans votre proposition de loi. Lorsque la crise est globale, c'est au système de mutualisation de prendre le relais.
Utilisons aussi notre capital foncier comme un outil de compétitivité au maximum de son potentiel. La saison est longue chez nous, à la différence par exemple de la Russie où dès novembre tout est à l'arrêt... Allégeons les besoins d'investissement en optimisant notre potentiel foncier. C'est ce qu'a fait la Nouvelle-Zélande qui a misé sur la gestion des parcelles en herbe. Beaucoup de régions françaises pourraient suivre son exemple.
Autre atout, les indications géographiques protégées (IGP) sur lesquelles la France ne cédera jamais dans les négociations avec les États-Unis, d'autant que les Chinois reconnaissent désormais 45 appellations bordelaises : César est venu, César a vu, César...
M. Gérard César. - ... a vaincu !
M. Jean Bizet. - Bravo !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Nous avons 600 IGP, la Chine 2 000.... Voilà un allié de poids face aux pays anglo-saxons...
Enfin, monsieur Lenoir, sur le riz on a mis en place une mesure agro- environnementale de 300 euros à l'hectare. La riziculture est fondamentale pour lutter contre la salinisation des sols en Camargue. Il faut trouver un équilibre entre la production et les grands enjeux environnementaux.
Merci à vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et socialiste et républicain)
Prochaine séance, mercredi 8 juin 2016, à 14 h 30.
La séance est levée à 23 h 15.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus