Débat sur la stratégie nationale de l'enseignement supérieur
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la stratégie nationale de l'enseignement supérieur.
Mme Dominique Gillot, au nom du groupe socialiste et républicain . - Depuis juillet 2013, la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, d'ouverture et de transformation, s'est déjà traduite dans les faits pour des étudiants toujours plus nombreux - ils étaient 2,5 millions à la dernière rentrée - et la recherche.
Ce texte prévoit la définition d'une stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES), par un comité indépendant à la parole libre ; mis en place par Geneviève Fioraso, il a travaillé un an et remis son rapport ; le président de la République a souhaité que ses propositions deviennent la feuille de route du Gouvernement « pour une société apprenante », titre judicieux du rapport. Je tiens à souligner la qualité du travail du comité et à saluer son président ici présent. Depuis septembre 2015, vous avez ouvert plusieurs chantiers - avec à coeur de réduire les inégalités d'accès au savoir et de renforcer la démocratisation, conformément à la StraNES. En cinquante ans, la proportion d'une classe d'âge d'étudiants a octuplé et l'enseignement supérieur devrait en accueillir encore 340 000 de plus d'ici 2024 : c'est un défi immense pour réaliser la promesse républicaine du progrès partagé.
Ensuite, l'innovation, au sens large, vise les savoirs autant que les enseignements et touche directement au statut de l'enseignement : devenu collaboratif, il rebat les cartes de la pédagogie et des moyens à mobiliser. L'université est le laboratoire de la société de demain et le levier de construction de l'avenir du lien social.
Ces nouvelles méthodes de transmission des savoirs exigent que les enseignants eux-mêmes fassent les recherches sur leur enseignement, outre le savoir, le savoir-faire, mais aussi le savoir-être deviennent primordiaux.
L'étudiant doit être acteur de sa formation, réussir, essayer, reprendre éventuellement des études après une césure ; le droit à une formation (DIF) tout au long de la vie convie à un rapprochement avec le monde économique et suggère une redistribution des fonds de la formation vers l'université - nous le proposerons dans la loi Travail. Oui, l'université fédérative de demain, capable de se mesurer aux standards internationaux, est en marche.
Reste, encore, les très nombreux éléments de l'environnement des étudiants - des espaces collaboratifs aux logements, en passant par les emplois du temps, trop peu adaptés à leurs contraintes et aspirations : l'optimisation est possible, elle est nécessaire, même, pour faire face aux progrès démographiques et abandonner la détestable pratique du tirage au sort en cas d'une trop grande affluence.
Monsieur le ministre, vous avez proposé cinquante mesures de simplification, elles seront très utiles ; je me réjouis de l'adoption par le Sénat du projet de loi pour la République numérique, qui va dans le même sens ; je regrette cependant la frilosité de la majorité sénatoriale sur le TDM (fouille de textes et de données, si importante pour les chercheurs).
Les étudiants se dirigent davantage vers les MOOCs, signe de ce que toute la chaîne éducative est en mouvement, depuis la maternelle jusqu'à l'université.
Le rapport StraNES propose que l'Europe se dote d'une stratégie pour l'enseignement supérieur comme elle l'a fait pour la recherche : l'enseignement supérieur est un investissement, dont le rapport serait du sextuple...
Oui, la stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES) adresse un message ambitieux de réussite : c'est un véritable message de confiance adressé au jeune ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur ceux du groupe RDSE)
M. Jacques Grosperrin . - L'épais volume du rapport (250 pages !) indique bien des erreurs commises par le Gouvernement en matière d'enseignement supérieur mais il est contestable par sa méthode et d'abord par la composition de son comité où les universitaires sont minoritaires ; puis par sa logique - une stratégie contraignante alors que les universités sont censées être autonomes - et par son langage, une novlangue qu'aurait appréciée Orwell et dont témoigne son titre : « pour une société apprenante ».
La plus grande de ses faiblesses est d'avoir cédé au pédagogisme qui ruine, lentement mais sûrement, le système éducatif français. (Mme Dominique Gillot proteste)
Son contenu, ensuite, présente bien des lacunes et des curiosités, loin des réalités concrètes de l'université, mais emblématiques de sa bureaucratisation, qui épuise les universitaires, grands absents, je l'ai dit, de ces considérations. Les mesures recommandées sont souvent démagogiques, quantitatives ou faites pour flatter les revendications de syndicats d'étudiants.
La liberté constitutionnelle des universitaires est davantage écornée encore.
La stratégie préconisée, qui consiste, en résumé, à distribuer des diplômes à tour de bras est mauvaise. Nous aurions préféré une stratégie, osons le mot, de l'excellence, pour notre université et notre enseignement supérieur, plutôt que la poursuite de cet objectif de l'université de masse, qui est celui du Gouvernement, mais pas, heureusement, de ma famille politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Daniel Percheron . - Je suis d'une génération qui, historiquement, respecte l'université : dépendance, grands professeurs, citadelle intellectuelle, l'université portait l'universalisme français. Mais voici la stratégie universitaire, ses financements. ..
Monsieur le ministre, vous êtes à la place de Jules Ferry, d'Edgar Faure, de Jean-Pierre Chevènement, de Lionel Jospin, et nous sommes de la même famille, la social-démocratie. Jules Ferry savait ce qu'il voulait : l'élection des maires au suffrage universel, l'école laïque, la devise républicaine. Mona Ozouf a raison.
Jean-Pierre Chevènement a fait le pari de la massification de l'enseignement, qui serait aussi sa démocratisation. Et Lionel Jospin a entendu l'ambition des territoires. Dans le Pas-de-Calais, un million d'habitants, territoire situé sur l'axe de l'Europe selon Jacques Attali - un prophète peut-il se tromper - nous avons eu les nouvelles universités « Jospin », comme celle d'Artois, elles ont le plus grand nombre de boursiers en France.
Vous êtes en première ligne, monsieur le ministre, de l'illusion d'une mondialisation heureuse, qui fait croire que nous serions au-dessus du lot, alors que la compétition est là ; il nous faut figurer au classement de Shanghai, quel succès de communisme de marché ! (Sourires) C'est l'objet même du PIA : viser les meilleures places !
Une prévision peut échouer. L'Europe peut reconstruire un coeur de mondialisation autour de sa colonne vertébrale qui va de Londres à Cologne, c'est aussi la carte des lumières de l'Europe vue du ciel, la nuit.
Mais cette colonne vertébrale est tout en déséquilibre. Les territoires accusent des différences gigantesques : on eut ainsi la tristesse de voir un président d'université devoir baragouiner en anglais devant le jury des PIA présidé par Louis Schweitzer pour obtenir le pain et le vin de l'avenir de son établissement...
Monsieur le président. - Veuillez conclure !
M. Daniel Percheron. - Tournons la page, en 2017-2018, nous poursuivrons le dialogue, sur la base d'un plan établi entre l'État et les collectivités territoriales, rendons-leur les universités, que l'État confère son label et nous retrouverons toute notre place au classement de Shanghaï ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur ceux du RDSE)
Mme Marie-Christine Blandin . - La volonté stratégique de la loi 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, nous satisfait dans son principe. Le choix d'une approche à moyen et long terme est une nécessité.
Le rapport du comité, « Pour une société apprenante », est de grande qualité. Oui, il faut non seulement transmettre mais aussi coproduire nos savoirs. Un plan d'action est esquissé pour parvenir à 60 % de diplômés dans une classe d'âge, c'est le président de la République qui a fixé cet objectif. Cependant, cela suppose des moyens importants, à l'université comme pour la vie étudiante elle-même, en particulier le logement. Nous y serons très attentifs en loi de finances.
La Cour des comptes est déçue par les résultats des politiques de soutien à la recherche : quand liera-t-on le CIR à l'emploi des doctorants ? Nous le demandons, au groupe écologiste, depuis 2006...
À quand des concours réservés aux docteurs, comme le prévoit depuis 2013 le code de la recherche ? Leur absence envoie un signal de découragement aux chercheuses et chercheurs, dont nous avons tant besoin pour connaître, créer, innover, inventer demain.
Le président de la République veut que l'accord de la COP21 soit « effectif et exemplaire » : il ne le sera pas sans une mutation de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la transition énergétique, de l'efficience à l'écoconception, de la troisième révolution industrielle à la démocratie sociale en période de non-croissance.
Quels sont les défis ? Mieux former aux conflits d'intérêts dans les carrières médicales, à la pédagogie inclusive dans les Espe, permettre les retours d'expériences par l'alternance, ce qui ne se fait pas encore.
Comment pensez-vous y parvenir, compte tenu de l'autonomie des universités ?
Qui dit autonomie, dit moyens. Ceux que pourraient apporter la formation continue sont convoités. Cette belle mission de l'université demandera néanmoins de la créativité, et non la simple transposition des cours de formation initiale. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et communiste républicain et citoyen)
Mme Françoise Laborde . - La stratégie nationale ne manque pas d'ambition. Le président de la République a posé le double objectif de la réussite des étudiants, et du décloisonnement. 50 mesures ont été présentées pour simplifier, décloisonner, c'est bien ; mais pour la réussite des étudiants, il faut aller plus loin.
L'inégalité est aussi territoriale, il faut y remédier. Le principe de la gratuité des cours en ligne doit être maintenu, mais cette révolution numérique n'est pas suffisante : nous devons conduire un aménagement universitaire du territoire.
Le groupe RDSE s'inquiète particulièrement de l'avenir des antennes universitaires délocalisées qui dispensent des formations très spécialisées, prisées par les entreprises locales.
La France consacre 1,49 % de son PIB à l'enseignement supérieur, ce n'est pas suffisant quand les exigences augmentent ainsi que le nombre d'étudiants.
La sélection entre master I et II, via un décret pris 30 ans après la loi Savary, a fait couler beaucoup d'encre, nous en reparlerons dans la loi Égalite.
Le budget enseignement supérieur a été épargné ; mais il reste insuffisant. Notre pays a choisi un financement public de l'université - j'y suis favorable -, mais cela ne doit pas interdire le recours au mécénat d'entreprise : comment répondre à de nouveaux défis sans nouvelles ressources ?
Les classements internationaux ne doivent pas se transformer en obsession, la priorité doit demeurer à l'acquisition des savoirs et l'accès à l'emploi. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Dans un monde toujours plus complexe, nous devons chercher à comprendre, pour inventer de nouvelles solutions. Nous avions salué, lors de la loi ESR, la définition d'une stratégie nationale tous les cinq ans. Déposée en septembre 2015, cette stratégie ne nous a cependant été présentée par le Gouvernement... qu'hier soir, juste avant ce débat : c'est loin de l'esprit de la loi, et c'est dommage.
L'objectif de 60 % d'une classe d'âge, diplômée contre 42 % aujourd'hui, c'est dix points de mieux que la stratégie de Lisbonne en 2000 : nous devrons changer de braquet.
Je regrette que le rapport ne dise rien du lien entre CIR et emplois de docteurs.
L'intérêt de la StraNES est qu'elle comporte une « programmation pluriannuelle des moyens » qui manquait à la loi Fioraso. Mais les moyens manquent précisément à l'appel. Au-delà des incantations, l'une des pistes pour investir dans la société apprenante passe par l'Europe : il s'agirait d'exclure les dépenses de l'enseignement supérieur et de la recherche du calcul du déficit public par la Commission européenne. Sans cela, l'ambition de porter le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche à 2 % du PIB connaîtra le même sort que celle fixée dans la stratégie de Lisbonne en 2000.
Je regrette que le document de synthèse du Gouvernement reste flou sur ce sujet ; celui-ci, y lit-on, « portera avec ses homologues la discussion sur cet objectif ». La loi relative aux libertés et responsabilités des universités et le passage aux « responsabilités et compétences élargies » ont entraîné d'importantes difficultés financières. En 2012, la moitié des universités était en déficit. La situation a heureusement évolué depuis, mais au prix d'une détérioration des conditions de travail du personnel et d'apprentissage des étudiants.
Le groupe CRC est contre la sélection déguisée des étudiants, notamment sur dossier.
Enfin, le rapport de la StraNES souligne le problème de la situation sociale des étudiants ; le salariat étudiant, première cause de l'échec à l'université, renforce les déterminismes sociaux. Précarité sociale que les bourses au mérite ne combattent pas, pas plus que les lacunes de l'accès aux soins, le manque de places en cités-U, l'insuffisance des logements : et notre débat d'une heure sera le seul temps d'échange sur ces sujets importants, j'appelle le Gouvernement au ressaisissement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mmes Marie-Christine Blandin et Catherine Morin-Desailly applaudissent également)
M. Jean-Léonce Dupont . - Sur quelque banc que nous siégeons, nous savons que l'avenir de notre pays se joue dans les établissements d'enseignement supérieur.
La France se dote d'une stratégie nationale : c'est bien. Le rapport nous propose cinq axes stratégiques, trois leviers et quarante propositions... Tout cela est parfait, qui pourrait s'opposer au développement d'une société apprenante ou à la volonté de répondre aux aspirations de la jeunesse ? Mais par pragmatisme, nous sommes moins attachés à l'esthétique de l'action publique qu'à la réalisation de ces objectifs. En fait, je m'inquiète de la capacité à mener une telle stratégie. Le président de la République a écrit au président de la Conférence des présidents d'université que « l'augmentation continue des effectifs appellera des ajustements budgétaires » et qu'il les prescrira le moment venu... Combien ? Quand ? Le flou est total... Dans la dernière période, nous assistons à des emplettes électorales, à l'achat de la paix politico-sociale avec des mesures démagogiques.
L'enjeu est la qualité du parcours étudiant qu'on est capable de garantir au plus grand nombre. Votre réponse au Conseil d'État sur les masters est un peu courte. Par insistance idéologique, vous préparez l'inverse de ce que réclament les étudiants : une régulation claire dès l'entrée du cycle Master. Ils savent, ils sentent que la valeur du diplôme dépend de sa rareté.
Il était proposé de vérifier les prérequis à l'entrée en licence pour limiter les redoublements... Vous n'en voulez pas. Traiter cette difficulté en assumant une forme de sélection, le mot ne nous fait pas peur, ce n'est pas exclure, c'est intégrer. L'échec en L1 et en L2, là est la véritable exclusion universitaire et sociale. Tenter de le prévenir en demandant de cocher une case sur un site internet n'est pas à la hauteur. Faire de l'orientation active, c'est admettre une forme de préalable ou d'interdit. J'attends sur le sujet du choc démographique votre réponse à mes questions écrites de juin et octobre dernier...
Affirmer que le déploiement du numérique et de l'innovation pédagogique facilitera la réussite généralisée en licence, c'est caresser une douce et dangereuse utopie. Les enseignants chercheurs en L1 et L2 se résignent mal à ne plus faire que colmater les lacunes du plus grand nombre. Ce n'est pas leur rôle mais c'est la réalité de l'université d'aujourd'hui.
Rapporteur de la loi LRU en 2004, je regrette que les universités ne soient pas considérées comme les leviers de la StraNES. Je me suis réjouis que leur autonomie ne soit pas formellement remise en question - mais ce n'était qu'un leurre. Les moyens ne sont pas au rendez-vous malgré les promesses, les critères de performance semblent écartés. Les outils innovants prévus par la LRU ne sont pas utilisés par des établissements tétanisés par vos services...
La dévolution du patrimoine immobilier marque le pas, les Comue n'ont pas les résultats escomptés et sont perçues comme une couche de plus... La visibilité internationale fait défaut.
La StraNES est une belle promesse, mais la boîte à outil est bien faible. Depuis 2012, je ne vois pas où est l'État stratège. (Applaudissements au centre)
M. Daniel Gremillet . - Le rapprochement entre universités et entreprises est nécessaire ; dans une société du savoir concurrentielle, celles-ci devraient pouvoir tirer avantage de notre système d'enseignement supérieur. L'insertion professionnelle à bac+5 des étudiants des universités est plus lente que celle des étudiants des grandes écoles, dont les formations sont plus professionnalisantes. Les premiers trouvent un emploi à 89 %, trente mois après avoir obtenu leur diplôme, contre 92 % pour les seconds entre douze et quinze mois après leur sortie de l'école.
Nous devons repenser les interactions entre monde universitaire et monde économique, qui se sont ignorés trop longtemps. L'enjeu est double : repenser la formation dans une société transformée par le numérique - je pense à l'e-learning - et former les étudiants au plus près de la production.
La stratégie contient des dispositions intéressantes. Les politiques de site issues de la loi de juillet 2012 ou le plan en faveur de l'entreprenariat étudiant vont dans le bon sens. Mais ce plan vise 5 000 étudiants sur 2,5 millions : on est loin du compte... Je m'interroge : comment libérer les forces créatrices trop souvent bridées ? La génération du numérique n'a pas tant besoin de formation directe que d'espace pour réaliser ses potentialités.
La solution passe, non par de nouveaux dispositifs législatifs, mais par le rapprochement université-entreprise au travers des pôles d'excellence. L'enjeu est important en termes de compétitivité et d'attractivité des territoires. Les grandes régions doivent être les préfigurations de ces nouvelles dynamiques qui touchent aussi au financement. Dans le Grand Est, il est fondamental de penser ce rapprochement à l'échelle d'un vaste bassin d'emplois, avec le Luxembourg, la Sarre et la Suisse. Les nouvelles compétences des régions plaident en ce sens. Je suis convaincu de même que nous résoudrons le problème des déserts médicaux par la territorialisation des formations.
L'enseignement supérieur doit continuer de dispenser des formations académiques de qualité et contribuer aussi à la construction des atouts de demain.
Mme Nicole Duranton . - Bonne initiative que ce débat. Nous allons enfin pouvoir nous occuper de la jeunesse, que le candidat François Hollande présentait comme une priorité ; peu de jeunes ressentent cette priorité et les dernières promesses du quinquennat n'y changent rien...
Ces jeunes se demandent s'ils ont un avenir dans leur pays : s'ils en avaient la possibilité, 51 % des 25-30 ans aimeraient le quitter... Je crains qu'en plus d'être menacés par le déclin industriel nous ne soyons menacés par le déclin intellectuel si nous ne rompons pas avec quelques tabous...
La loi LRU a desserré l'étreinte de l'État. Nous avons tenu bon face à la rue et aux conservatismes. Nous voulions faire confiance au monde universitaire. Huit ans après, il nous faut aller plus loin. Comment être autonome sans lisibilité financière ni maîtrise des ressources humaines ? Pour une sanction disciplinaire contre un membre du personnel, par exemple, le président de l'université doit passer par le recteur, sinon le ministre... Des réorganisations internes s'imposent.
Notre système d'enseignement supérieur est devenu trop complexe. Vous avez annoncé un renouveau des relations entre les établissements et l'État : est-ce refuser de reconnaître la diversité des talents de notre jeunesse ? Vous semblez préférer la médiocrité pour tous, confondez égalité et égalitarisme, socialisme et idéal républicain... Notre jeunesse étudiante est notre espoir.
Enfin, ne craignons pas d'ouvrir l'université à l'entreprise, et ce, dès le premier cycle. Faisons preuve d'ouverture et de bon sens. (Applaudissements à droite)
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Chacun a à l'esprit l'importance de ce débat. L'histoire de notre République, c'est d'abord un combat pour l'éducation, premier moyen d'action pour l'émancipation et la justice : école gratuite d'abord, ouverture du lycée alors réservé aux plus aisés, accès le plus large possible au baccalauréat dans les années 1980 et maintenant, élévation du niveau de qualification de notre jeunesse avec un objectif : 60 % d'une classe d'âge diplômés de l'enseignement supérieur d'ici dix ans.
La StraNES s'inscrit dans cette longue histoire. Elle prend en compte les tendances lourdes au niveau international. C'est la feuille de route que le président de la République a fixée au Gouvernement. Merci au groupe socialiste et républicain d'avoir proposé cette séance ; et merci à tous pour vos contributions.
Le rapport de la StraNES n'est pas indicatif ; c'est une stratégie, le résultat d'un travail remarquable qui a été soumis au Cneser et adopté très largement par la communauté de l'enseignement supérieur et de la recherche. La Conférence des présidents d'université, la Conférence des grandes écoles, celle des écoles d'ingénieurs l'ont approuvé. Le document lie la communauté universitaire et le Gouvernement dans sa mise en oeuvre.
Cette discussion ne concerne pas le sexe des anges mais la matrice de notre réflexion stratégique. Sauf dans la bouche de M. Grosperrin, je n'ai pas constaté de désaccord de fonds.
Nous souhaitons démocratiser encore plus l'accès à l'enseignement supérieur. Nous ne voulons pas de sélection par l'argent - le sujet est mondial. Un cabinet anglo-saxon, de tendance plutôt libérale, a constaté qu'un diplômé britannique commençait sa vie professionnelle avec une dette de 55 000 euros, 40 000 euros aux États-Unis ; un boulet aux pieds et une injustice...
Notre souhait de démocratisation est exigeant, nous voulons que les jeunes soient nombreux à accéder dans les meilleures conditions à l'enseignement supérieur, qu'ils réussissent, qu'ils obtiennent des diplômes de qualité. Ces orientations ne sont pas celles d'un Gouvernement qui prône le nivellement par le bas. La communauté universitaire, les partenaires sociaux les ont approuvées. Et ceux qui voudraient en changer radicalement feraient face à un blocage total.
Il faut certes atteindre ces objectifs : une nation qui s'en fixe s'oblige. Vous avez tous raison : il faudra budgétairement accompagner cet effort « le moment venu », dit le président de la République, c'est-à-dire en loi de finances. Il faudra accompagner plus nettement la vie étudiante, dont les crédits sont malgré tout en très forte augmentation depuis le début du quinquennat. Le plan du logement étudiant - 40 000 d'ici 2017, du jamais vu ! - avance, 22 000 étaient livrés et habités en 2015. La feuille de route, dont je discutais avec le ministre du logement en début de semaine, montre que l'objectif sera tenu.
L'État s'est aussi doté de moyens exceptionnels avec le programme d'investissement d'avenir sur lequel M. Percheron a mis l'accent. Le Gouvernement ne veut pas tourner la page de ce programme. Mais un peu de lucidité ne nuit pas... Reconnaissons que quelques questions se posent après l'attribution du label Idex à trois pôles seulement, Bordeaux, Aix-Marseille et Strasbourg. Pas besoin de consulter des experts internationaux pour savoir que cela ne reflète qu'une petite partie de l'excellence française. Nous devrions sans doute revoir nos critères. Le label Idex n'est pas ouvert aux seules universités fusionnées. Des organisations fédérales peuvent le porter, ce qui peut être particulièrement utile dans les villes qui comptent des universités et des grandes écoles. L'indépendance du jury qui juge des projets est une règle du jeu classique que j'accepte. Mais il faut coordonner tout cela, un pilotage : il ne peut y avoir deux ministères, l'un pour l'excellence et l'autre pour le reste... Je souhaite mettre en place un comité de pilotage de ces investissements, et pas seulement de suivi.
L'autonomie... C'est parce que les universités sont autonomes qu'il faut une stratégie ; sinon c'est le bazar... Il n'y a plus de principes nationaux ni de valeur nationale des diplômes, plus de règle nationale d'accès à l'enseignement supérieur mais une concurrence mortifère des établissements entre eux.
L'autonomie doit être confortée. La dévolution immobilière a été coûteuse pour l'État - pour trois universités seulement, il ne peut pas faire plus. Nous lancerons avant l'été sur quatre à cinq sites une expérimentation pour trouver un nouveau modèle économique, avec le retour aux universités du produit de leurs cessions ou la possibilité, encadrée, d'emprunter par exemple pour des travaux de rénovation thermique.
Ce n'est pas parce que la StraNES fixe des objectifs audacieux que les établissements doivent attendre tout de l'État, qui finance aujourd'hui 80 % de leur budget ; il faut une stratégie de développement des ressources propres.
Douze universités expérimentent des formes nouvelles de conquête du marché de la formation continue et professionnelle ; nous les avons dotées des moyens humains pour le faire. La valorisation des recherches peut être aussi une piste. D'autres seront présentées d'ici l'été.
Je suis pour l'orientation active. Ce que nous avons fait cette année sur APB, c'est le minimum. Je pense même que l'orientation devrait devenir une matière à part entière en classe de terminale...
Ce n'est pas le numérique qui va sauver l'université française. Mais dans le monde d'aujourd'hui, si la France ne s'y met pas, les étudiants apprendront par internet à partir de programmes d'universités américaines sans jamais y avoir mis les pieds... Un plan sera lancé le 29 mai pour doter notre pays d'une ambition et d'une méthodologie en la matière.
L'architecture des formations, c'est la traduction concrète de l'exigence de démocratisation. Je ne pense pas que les 1 400 masters soient la panacée. Mais pourquoi a-t-on laissé pendant 14 ans des universités pratiquer une forme de sélection hors de tout cadre légal ? Nous avons légalisé ces pratiques. J'aurais aussi aimé que la réforme des formations doctorales fût décidée plus tôt... Idem pour l'examen national que les avocats demandent depuis trente ans ; il aura lieu à la rentrée 2017.
La StraNES est un cadre, le résultat du travail conjoint du monde universitaire. Cette stratégie est engagée et nous oblige tous. Le mouvement de transformation sera long, profond, nous nous donnons des moyens à la hauteur de nos objectifs. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
Le débat est clos.