Débat sur le projet de programme de stabilité
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le projet de programme de stabilité, à ma demande et à celle de la commission des finances.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances . - Le projet de programme de stabilité 2016-2019 présente les hypothèses macroéconomiques et la trajectoire des finances publiques retenues par le Gouvernement. Il ne comporte pas de surprise majeure, le Gouvernement ayant maintenu ses hypothèses antérieures : la croissance serait de 1,5 % en 2016 et 2017, 1,75 % en 2018, 1,9 % en 2019. L'inflation prévisionnelle, elle, est ramenée à 0,1 %, au lieu de 1 % en loi de finances. Il aurait pu en être autrement : l'activité ne progressera que de 1,3 % selon la Commission européenne, 1,2 % selon l'OCDE, 1,1 % selon le FMI. En se situant « dans le haut de la fourchette » d'après le HCFP, cette prévision ne peut être dite prudente.
Les incertitudes sont en effet grandes, car les risques sont nombreux : ralentissement des économies émergentes dont les marchés financiers connaissent une évolution heurtée et où l'endettement privé progresse, baisse des prix du pétrole qui déséquilibre les pays producteurs, situation grecque, menace de Brexit...
Certes, les comptes provisoires publiés en mars par l'Insee font apparaître un déficit public réduit de 0,5 point en 2015 pour s'établir à 3,5 % du PIB ; en 2016, il serait inférieur de 0,3 point aux prévisions. Mais les bons résultats de 2015 sont dus pour près d'un quart à la situation financière des collectivités territoriales. La baisse de la charge de la dette y est pour 2,3 milliards d'euros, la chute des dépenses d'investissement pour 4,1 milliards.
L'heure n'est donc pas au triomphalisme, d'autant que notre pays est l'un de ceux de la zone euro dont le solde public est le plus dégradé. Le Gouvernement annonce 0,4 point de PIB d'ajustement structurel en 2016, c'est moins que l'objectif initial et moins que l'ajustement minimal prévu par le Pacte de stabilité et de croissance. La France est le seul pays en déficit excessif à avoir vu croître ses dépenses publiques entre 2011 et 2015, d'1,2 point de PIB, et elle affiche la plus forte augmentation de la part des recettes publiques dans la richesse nationale, de 2,7 points.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. - La droite s'y connaît !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les vraies réformes se font attendre : les économies réalisées l'ont été sur les dépenses les plus faciles à réduire.
M. Richard Yung. - C'est toujours ça !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Revalorisation du point d'indice de la fonction publique, plan d'urgence pour l'emploi, plan élevage, tout cela va coûter cher : près de 3,3 milliards d'euros en 2016, au moins 4 milliards l'an prochain. Au total, 7 milliards d'euros d'économies devront être trouvés en 2016 et 9 milliards en 2017.
Les mesures annoncées sont imprécises, et le programme de stabilité ne dit rien de la répartition des économies entre les différentes catégories d'administrations publiques en 2018-2019.
Quant aux prélèvements obligatoires, ils baisseraient de 5,5 milliards d'euros en 2016 - montée en charge du pacte de responsabilité, prolongation du suramortissement des investissements industriels, allègement des cotisations pour les agriculteurs - et de 5,7 milliards en 2017. Leur taux repartirait ainsi à la baisse mais s'élèverait toujours à 44 % du PIB en 2017, soit 1,4 point de plus qu'en 2011.
Enfin, le Gouvernement renonce à réduire, et même à stabiliser la part de la dette publique dans le PIB, passée de 89,6 % en 2012 à 95,7 % en 2015. Bref, ce programme de stabilité n'est pas à la hauteur. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC)
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances . - La France est certes l'un des sept pays européens faisant encore l'objet d'une procédure pour déficit excessif, mais ce programme de stabilité montre que nous devrions en sortir l'an prochain. D'ailleurs, il ne faut pas céder au fétichisme des chiffres : notre pays respecte ses engagements européens en consolidant ses comptes publics sans brider sa croissance.
Il faut lire le programme de stabilité avec le programme national de réformes qui détaille les mesures prises pour équilibrer nos finances, redresser notre compétitivité et notre productivité, améliorer le fonctionnement du marché du travail et promouvoir l'inclusion sociale et l'égalité des chances.
Nous ne pouvons que regretter une croissance faible. Mais avec 0,6 % entre 2012 et 2015, elle a été deux fois plus élevée que dans le reste de la zone euro. Bref, le rythme de l'ajustement budgétaire a épargné la croissance tout en réduisant le déficit public de 1,5 point depuis le début de la législature.
Des esprits chagrins reprocheront au Gouvernement d'avoir fait reposer une grande partie de l'ajustement structurel sur la fiscalité. Le taux de prélèvements obligatoires a certes augmenté de 1 point entre 2012 et 2014, mais il avait crû de 1,6 point entre 2009 et 2011...
Surtout, depuis 2012, les gouvernements successifs disent ce qu'ils font et font ce qu'ils disent. (On s'amuse à droite)
Le président de la République, faisant preuve de constance et de cohérence, a voulu redresser les comptes publics en deux phases : en augmentant les prélèvements obligatoires d'abord...
M. Roger Karoutchi. - ça c'est sûr!
Mme Michèle André, présidente de la commission. - ...en raison du moindre effet récessif de cette méthode et pour faire face à l'urgence.
M. Didier Guillaume. - Certains l'ont oubliée.
Mme Michèle André, présidente de la commission. - Puis en réduisant les dépenses publiques qui n'ont crû que de 1,2 % entre 2013 et 2015, après une croissance de 3,6 % entre 2002 et 2012. Toutes les administrations publiques, et surtout celles de l'État, sont concernées.
Le programme sans précédent de 50 millions d'économies entre 2015 et 2017 devrait assainir les finances publiques sans toucher aux priorités du Gouvernement - plans d'urgence pour l'emploi et l'élevage - et tout en réduisant la fiscalité. En effet, pour la première fois depuis 2009, les prélèvements obligatoires ont baissé en 2015, du fait du CICE et du pacte de responsabilité, qui prévoit d'alléger les prélèvements sur les ménages comme sur les entreprises ; du fait de son succès, le suramortissement a été prolongé d'un an. Ainsi notre économie pourra repartir sur ses deux jambes, l'offre et la demande. Le programme national de réforme évalue l'impact des réformes lancées par le Gouvernement à 4,8 points de PB et plus d'un million d'emplois à l'horizon 2020.
Nous aurons bientôt l'appréciation de la Commission européenne sur ces documents, qui démontrent selon moi que le Gouvernement s'est engagé dans une démarche de long terme pour consolider nos finances publiques sans handicaper l'activité économique et l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales . - Trois remarques sur la trajectoire proposée en matière de dépenses sociales. Le retour à l'équilibre annoncé pour 2016 résulte avant tout d'une augmentation des prélèvements à peine entamée par le pacte de responsabilité. Ces 23,8 % du PIB pèsent pour l'essentiel sur le travail. Plus encore que sur le marché du travail, c'est bien le financement de la sécurité sociale qui appelle une réforme d'ampleur.
L'équilibre financier du système des retraites n'est plus, selon le programme de stabilité, un enjeu majeur. Le Gouvernement se félicite paradoxalement de l'accord Agirc-Arrco en considérant la question du régime de base comme réglée. Quid de l'équité entre générations, et entre public et privé ? Que dire du financement du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) ? On ne peut évacuer la question des retraites aussi vite.
Sur l'assurance chômage, la dette de l'Unedic de plus de 25 milliards d'euros pèse lourd. On attend 1,6 milliard d'économies de l'accord en cours de négociation. Mais l'équation est très différente de celle des retraites, car le recours à l'endettement et l'implication de l'État réduit la portée de la gestion paritaire.
C'est donc une trajectoire moins favorable que celle que présente ce programme alors que s'ouvre une période électorale propice à toutes les dépenses...
M. Jean-Louis Carrère. - Vous parlez d'expérience !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Ne relâchons pas nos efforts ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et Les Républicains)
M. Éric Bocquet . - Quatre ans après l'adoption du TSCG, par voie parlementaire soit dit en passant, que reste-t-il du rêve européen ? Avec la croissance atone, le chômage de masse, l'augmentation des inégalités et de l'encours des dettes publiques, la politique européenne suscite une profonde aversion populaire porteuse d'instabilité en Espagne et en Irlande. Le référendum aux Pays-Bas contre l'association avec l'Ukraine et l'élection présidentielle en Autriche montrent des forces centrifuges progressant, comme au Royaume-Uni. Il est temps, plus que temps de réenchanter le rêve européen.
M. Roger Karoutchi. - Ah, ça...
M. Éric Bocquet. - Certes, la stagnation des années 2008-2012 est derrière nous. Mais la croissance de 1,2 % en France est insuffisante pour résorber le chômage. À 93,7 % du PIB et nonobstant cette comparaison hasardeuse entre un stock et un flux, la dette publique montre bien que l'austérité ne paye pas !
Les réformes structurelles prétendument indispensables vont à l'encontre de nos choix collectifs et entretiennent la précarité. Le Royaume-Uni compte-t-il moins de chômeurs que la France ? Avec des contrats à zéro heure, c'est facile ! Les taux d'intérêts sont très bas, certains États bénéficient de taux négatifs, la BCE, maintenant sa politique de quantitative easing, a placé son taux directeur à zéro. Pourtant, seuls les pays ayant connu un grand plongeon sont en croissance.
C'est l'austérité qui en est responsable en bridant la demande. L'amélioration apparente en France des comptes publics n'est due qu'à la chute de l'investissement public, notamment celui des collectivités territoriales. Les élus locaux ont passé leur temps à chercher des expédients.
Si 17 milliards de CICE créent 82 500 emplois seulement dont 30 % précaires - soit 200 000 euros par emploi ! -, il faut soit conditionner l'aide à la création d'emploi, soit préférer la création directe d'emplois publics dont nous manquons cruellement dans les écoles, les hôpitaux, la justice. (M. Jean Desessard approuve)
Il faut un new deal du XXIe siècle, qui mette enfin l'accent sur la satisfaction des besoins des peuples et la solidarité. Il est temps de restructurer les dettes publiques, et en premier la dette grecque. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; M. Jean Desessard applaudit aussi)
M. Richard Yung . - Ce débat, qui témoigne du dialogue entre la Commission européenne et notre pays dans le cadre du semestre européen, est important. Nous assistons au début de la coordination, voire de l'harmonisation budgétaire au sein de la zone euro. La Commission n'est pas toujours tendre, il est vrai ; ceci est la réponse du Gouvernement à la procédure de déficit excessif.
Je vous ai bien écouté, monsieur le rapporteur général. Je n'ai pas eu l'impression que vous parliez de la France, mais des Hurons de Voltaire. (Exclamations à droite) Vous ne parlez que de déficit, alors qu'il s'améliore (On s'esclaffe à droite). Vous réjouissez-vous du malheur de notre pays ? (Nouvelles exclamations) La croissance reprend, ainsi que nos exportations, la compétitivité de nos entreprises s'améliore. Vous en plaignez-vous ? Je ne parlerai pas d'emploi ; il faut être modeste en la matière, car l'incertitude est grande. (Rires à droite)
Le HCFP juge les objectifs du Gouvernement réalistes et atteignables.
Suppression de la C3S, réduction de l'impôt sur les sociétés, CICE, réduction des cotisations sociales patronales... : les baisses d'impôt dont bénéficieront les entreprises s'élèveront à 9 milliards d'euros supplémentaires cette année, 7 milliards l'an prochain. Je ne reviendrai pas sur les économies détaillées par la présidente André. La croissance est réévaluée à 1,5 % pour 2016, ce n'est pas extraordinaire mais c'est la bonne direction.
Certes, il y a des nuages...
M. Alain Gournac. - Dites plutôt un mur !
M. Richard Yung. - L'objectif d'inflation était de 1 %. Nous n'y sommes pas, avec 0,1 %, malgré la politique monétaire extrêmement active de la BCE - on peut d'ailleurs se demander où vont toutes ces liquidités...
La France doit soutenir ses investissements, selon la commission. Avec le suramortissement des investissements productifs, la loi Macron, les programmes d'investissements d'avenir et la stabilisation du CIR - 6 milliards d'euros tout de même -, les entreprises reconstituent leurs marges à hauteur de 34 milliards d'euros et recommencent à investir : + 3 % en glissement annuel.
La compétitivité s'améliore. Sur le coût salarial horaire, nous inversons la tendance de la décennie passée, en nous positionnant à nouveau devant l'Allemagne. Il y a de quoi espérer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean Desessard . - Félicitons-nous de pouvoir débattre cette année du programme de stabilité. Le Gouvernement n'a pas poussé la curiosité jusqu'à solliciter le vote du Parlement... (M. Philippe Dallier et Mme Fabienne Keller le déplorent aussi)
La stabilité n'est pas ce qui caractérise la politique sociale du Gouvernement. En 2013, l'assouplissement du licenciement avait été longuement négocié avec les partenaires sociaux, et François Hollande, aux lendemains de l'ANI, théorisait l'avènement d'une nouvelle démocratie sociale. Pourquoi avoir changé de méthode ? La société n'y a gagné ni en sérénité, ni en efficacité.
Le bilan de la politique budgétaire du Gouvernement n'est pas aussi radieux que le suggère ce programme : l'effet récessif de l'austérité est avéré. L'investissement public a chuté, les collectivités territoriales sont aux abois. La mission écologie a vu ses effectifs baisser de 20 %. Le déficit est réduit de 40 milliards d'euros par an, autant que ce qui est versé chaque année aux entreprises, dont le taux de marge est au plus haut depuis 1980, atteignant 39 %. La France est aussi le pays de la zone euro qui rémunère le mieux ses actionnaires, avec 47 milliards de dollars de dividendes versés en 2015. Pour un résultat bien peu satisfaisant : seulement 100 000 emplois créés. Les entreprises n'ont pas respecté leurs engagements, disait M. Valls. Que faites-vous de ce constat, monsieur le ministre ?
La stabilité dans l'erreur est dangereuse. Nous devrions plutôt profiter de la politique monétaire très accommodante de la BCE et de la baisse des cours du pétrole pour consolider notre modèle - car si la spéculation entretenue par les liquidités dont les marchés sont abreuvés aboutit à la formation de nouvelles bulles, les États ne pourront plus faire face. Une vraie loi de séparation bancaire reste à faire.
Vu le coût des importations de pétrole, l'approvisionnement énergétique est assurément un enjeu primordial de stabilité. Que n'investit-on davantage dans les renouvelables, en mettant fin à notre dépendance à l'atome ? Que n'anticipe-t-on les évolutions de la mobilité pour sauver notre filière automobile ? Félicitons-nous du moins que le refus des gaz de schiste nous ait évité la crise de surproduction actuelle.
Les concessions faites au Royaume-Uni sapent les principes européens et s'opposent étrangement à l'intransigeance dont on a fait preuve vis-à-vis de la Grèce. Faute d'avoir renégocié le pacte de stabilité, on s'est enfermé dans une vision de l'économie qui prévaut sur la politique et la démocratie. Les écologistes sont inquiets. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen)
M. Jean-Claude Requier . - Je veux avant tout saluer la tenue de ce débat, même s'il ne donnera lieu à aucun vote. François Mitterrand disait : « Dans la vie, il faut essayer d'aménager les cycles qui vont de la lassitude à l'enthousiasme ». Espérons que nous nous acheminons vers une fin d'année plus enthousiasmante, ce que laissent présager les bonnes nouvelles d'hier, chiffres du chômage et contrat avec l'Australie.
M. François Marc. - Il vaut la peine de les rappeler !
M. Jean-Claude Requier. - Le programme de stabilité peut paraître un exercice technique et formel. En fait, c'est la traduction d'un changement institutionnel majeur en Europe. Pour citer Jacques Chirac - au RDSE, nous sommes éclectiques - : « Nous commençons à voir le bout du tunnel ».
M. Michel Bouvard. - C'était Raymond Barre !
M. Jean-Claude Requier. - Même si l'intégration monétaire est malmenée par les soubresauts de la crise grecque et reste non optimale, cela reste le seul domaine où la politique économique européenne est devenue supranationale. À l'inverse, l'intégration budgétaire fait cruellement défaut. Le programme de stabilité marque un effort de coordination et représente l'embryon du gouvernement économique que nous appelons de nos voeux.
Le Gouvernement présente des objectifs inchangés de réduction des déficits. Cette constance est un gage de prévisibilité pour les acteurs économiques dans un environnement incertain. Plus prosaïquement, c'est aussi l'effet d'une conjoncture macroéconomique qui a peu évolué depuis un an. Malgré quelques signaux positifs, le contexte reste morose : l'investissement reste en berne, notamment celui des collectivités territoriales, et les prévisions pour 2018-2019 sont hypothétiques.
Je tiens cependant à féliciter le Gouvernement pour ses efforts contre la fraude et l'évasion fiscales. Les dernières révélations doivent nous inciter à faire encore davantage.
Deux questions enfin. Quelle place, monsieur le ministre, donnez-vous à l'inflation ? Quand j'étais jeune, c'était un fléau majeur. M. Draghi semble plutôt disposé à l'encourager. Quel état des lieux et quelles perspectives pour le plan d'économies de 50 milliards d'euros ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et socialiste et républicain)
Mme Fabienne Keller . - Le projet de programme de stabilité s'inscrit dans une actualité positive sur le front de l'emploi : 60 000 chômeurs de catégorie A en moins, c'est une bonne nouvelle, comme l'est le contrat remporté par DCNS. Mais les chômeurs de catégorie B et C augmentent de 50 000... Sur le terrain, les entreprises ne nous parlent pas de développement et de confiance en l'avenir.
Dans son récent rapport, la Commission européenne exprime son inquiétude sur la situation de notre économie, avec des risques d'entraînement sur les autres économies européennes.
La Commission européenne émet des réserves sur la portée des réformes structurelles retenues par le Gouvernement. Sa stratégie relève, dit-elle, du coup par coup, avec des actions manquant d'ambition et à la mise en oeuvre incertaine, l'ensemble donnant l'impression d'un processus de réforme constant mais aux résultats limités.
Le rapport considère que la croissance devrait rester modérée, inférieure à la moyenne de la zone euro, n'en déplaise à M. Yung.
M. Jacques Chiron. - C'était pire entre 2007 et 2012 !
Mme Fabienne Keller. - Nous sommes très en retrait des autres États membres de la zone euro, notamment sur la reprise de l'investissement ou la réforme du marché du travail, incapable en l'état de restaurer la confiance des entreprises. La Commission note que la contribution des exportations au PIB restera négative jusqu'en 2017 ; l'amélioration observée depuis 2014 tient plus à l'euro faible qu'à une dynamique structurelle.
La Commission européenne pointe encore la pression réglementaire et fiscale qui pèse sur les entreprises, le mécanisme de formation des salaires, un coût de la main d'oeuvre supérieur à celui de la moyenne de l'Union européenne.
En matière de trajectoire budgétaire, le redressement de la situation a été plus lent en France que dans le reste de la zone euro...
M. Jacques Chiron. - Nous faisons mieux que l'Espagne ou le Portugal.
Mme Fabienne Keller. - Notre ratio de dépenses publiques est le deuxième plus élevé après la Finlande. Résultat : notre pays fait partie de l'avant-dernier groupe des États européens...
La présentation du programme de stabilité a été très « communicante »...
M. Robert del Picchia. - C'était le but !
Mme Fabienne Keller. - Reste que la dépense publique a continué à augmenter de 2011 à 2015, masse salariale oblige. Comment croire que la tendance sera inversée ? Nous savons bien que ce sont les baisses de la charge de la dette et de l'investissement qui ont amélioré notre solde budgétaire... La perspective de réduction de la dette, elle, comme l'horizon, ne cesse de s'éloigner, et la France reste parmi les quatre plus mauvais élèves de la zone euro.
Cela montre toutes les limites de vos propositions, or il y a pourtant une urgence absolue à redresser nos comptes, ainsi qu'à restaurer la confiance des salariés et des chefs d'entreprises - confiance dans un cadre fiscal stable, dans un cadre social simplifié, encourageant l'embauche ; soutien aux acteurs économiques qui innovent. Il faut un rétablissement structurel et non des mesures de dissimulation de court terme pour que les Français retrouvent fierté et confiance dans un pays qui offre du travail à ses enfants. Un nouveau départ est nécessaire, avec un État recentré sur ses fonctions régaliennes, ainsi que l'ont fait nos partenaires européens.
M. Alain Richard. - Que de généralités creuses !
Mme Fabienne Keller. - Ce programme - exercice difficile, certes - ne porte pas d'ambition réelle de redressement ; il n'assure pas notre rang en Europe et dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Vincent Capo-Canellas . - Distinguons ce qui nous divise de ce qui peut nous rassembler. Sur le soutien à la croissance, le rythme de réduction des déficits, fonction de la conjoncture, le débat est légitime. Il faut choisir entre des scenarii plus ou moins pessimistes, toutes les majorités s'y sont confrontées. Nous mesurons la difficulté de la tâche, et le chemin restant à accomplir.
Nous pensons néanmoins que la situation économique actuelle est le produit de décisions récentes, souvent mauvaises et corrigées à la marge et un peu tard. Résultat : nous sommes parmi les plus mauvais élèves de la zone euro, du point de vue de la croissance comme de la réduction des déficits.
Je ne nie pas les efforts accomplis - CICE, tentatives de réformes, parfois inabouties - mais ils n'ont pas été à la hauteur des enjeux. En 2009, quatorze États étaient en procédure pour déficit excessif, ils ne sont plus que sept, et nous en faisons partie. La France est à la traîne en termes de croissance : seule l'Italie fait moins bien que nous. Depuis la crise, la France a été plus lente à réduire ses déficits que le reste de la zone euro. Résultat, la dette publique recule en zone euro, mais augmente chez nous : 95,7 %, contre 92,1 % dans la zone euro et 86,6 % dans l'Union européenne.
Certes, pour la première fois, le taux de dépenses publiques se réduit légèrement, après avoir atteint un record en 2014, mais à 57 %, nous restons au deuxième rang des pays de l'OCDE.
Cette situation nuit à notre croissance et à notre compétitivité. Avec un niveau de prélèvements obligatoires qui atteint 45 % du PIB, la France est encore deuxième des pays de l'OCDE : sept points de plus que l'Allemagne, onze de plus que la moyenne. Seul le Danemark fait mieux - ou pire, selon le point de vue.
Certes, il y a des mieux ; vous avez atteint certains objectifs, il est vrai peu ambitieux. Vous avez corrigé certaines hypothèses et êtes revenus sur un certain nombre de décisions depuis le début du quinquennat, dont acte, mais les résultats sont encore absents.
Je comprends que le Gouvernement se montre optimiste, à la veille des élections, mais la Commission européenne, elle, prévoit une croissance inférieure de 0,3 point à la prévision, ce qui imposera de trouver 25 milliards d'euros d'économies... En vérité, des facteurs exogènes comme les taux d'intérêt et le prix du pétrole sont pour beaucoup dans l'amélioration de la situation. Il faudra de vraies réformes, sur le marché du travail et la taxation du travail notamment. En matière de fiscalité, nous restons sur notre faim.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Vincent Capo-Canellas. - Vous avez modifié la prévision d'inflation, pourquoi pas ; nous verrons en loi de finances rectificative si ce programme de stabilité est d'affichage ou s'il sera suivi d'effets. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC et du groupe Les Républicains)
M. Yves Daudigny . - Le programme de stabilité concerne toutes les administrations publiques. Les administrations de sécurité sociale (Asso) représentent près de la moitié des dépenses, environ 570 milliards en 2014 : elles sont donc un levier majeur d'équilibre des comptes. Les commissions des affaires sociales doivent ainsi s'associer aux travaux du semestre européen. En 2012, le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, pris à la suite du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), m'avait alerté sur le risque de mise à l'écart des lois de financement de la sécurité sociale. Il faudra y veiller.
Le programme de stabilité se caractérise par le maintien des prévisions initiales de la loi de finances initiale, hors inflation, et par la poursuite de la stratégie associant rétablissement des comptes publics, avec un objectif de baisse des dépenses de 50 milliards d'euros, et mesures en faveur de la croissance.
Est-ce la bonne stratégie ? Le déficit est ramené à 3,5 % du PIB, en deçà de la prévision de 3,8 %. La progression de la dépense publique est limitée à 1 %. La dette est stabilisée, les comptes des administrations de sécurité sociale s'améliorent, toutes branches confondues. Si le FSV voit son déficit augmenter de 100 millions d'euros, celui du régime général est ramené à 6,6 milliards, quand on attendait 9 milliards. Le déficit du régime général a ainsi été divisé par trois en quatre ans, et cela sans conséquence sur la couverture des administrés ! L'assainissement des comptes n'a de sens qu'au service d'un projet de société de progrès et de mieux-vivre pour tous.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Très bien.
M. Yves Daudigny. - Le programme 2016-2019 confirme ce choix d'équilibre en ne portant pas les objectifs d'efforts structurels au niveau demandé par la Commission européenne, qui entraînerait 26 milliards d'euros d'économies mais détruirait 150 000 emplois et coûterait un point de PIB.
Le plan de réduction des déficits est cohérent et mesuré, sur la base d'hypothèses validées par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), nonobstant les fragilités bancaires de certains pays, la menace du Brexit et la crise migratoire. Un ajustement sera nécessaire pour compenser les pertes liées à la faible inflation, le plan emploi, le financement des mesures d'urgence pour les agriculteurs et en faveur des jeunes.
Selon le comité d'alerte, l'Ondam pour 2016 sera respecté, mais les dépenses de soins de ville sont déjà plus élevées que prévu et les dépenses de médicaments aléatoires. La loi de modernisation de notre système de santé concrétise le virage ambulatoire, promeut les génériques, renforce la pertinence des soins, les mutualisations hospitalières, bref amorce les réformes structurelles nécessaires. Félicitons-nous enfin de la généralisation du tiers payant : loin d'être inflationniste, elle témoigne d'un rattrapage à l'égard de nos voisins européens. Avançons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Nicole Bricq. - Très bien !
M. Michel Bouvard . - Ce débat n'est pas sanctionné par un vote...
Mme Nicole Bricq. - Dommage !
M. Michel Bouvard. - Il sera néanmoins nécessaire. Il faudra, avec les grands rendez-vous électoraux de 2017, s'interroger sur la place du Parlement dans le débat autour d'un programme de stabilité qui engage notre pays et affecte l'exécution budgétaire : pour atteindre les objectifs, il faut récupérer de l'argent en cours d'année sur la réserve de précaution, mobiliser les crédits de report, sans passer par un collectif... Ceux qui aspirent aux fonctions les plus importantes devront se prononcer sur l'opportunité de modifier la loi organique, votée avant que ne soit instituée cette procédure, pour permettre un tel vote du Parlement.
Je me réjouis de la réduction du déficit en 2015 et de la progression limitée de la dépense publique, de 0,9 % seulement, même si c'est hors crédits d'impôts.
C'est la règle, mais j'incite toutefois à la vigilance sur la dépense fiscale qui mine les recettes et participe au déséquilibre budgétaire.
Sans entrer dans la bataille des hypothèses macroéconomiques, notons la contribution significative des stocks à la croissance depuis trois ans, qui risque de ne pas durer ; notons que si le Gouvernement table sur une croissance de 1,5 % pour 2016 et 2017, les organisations internationales, elles, retiennent une hypothèse de 1,1 % et 1,2 %. Expression de volontarisme ou élément de fragilité ?
Observons encore que les ajustements structurels des autres pays soumis à la procédure pour déficit excessif sont plus rapides que chez nous. Nous sommes le seul pays dans lequel les dépenses publiques ont crû ces cinq dernières années, le seul à avoir accru les prélèvements obligatoires.
Les efforts structurels sont insuffisants. Difficile, certes, d'arbitrer entre l'austérité budgétaire et la nécessité de ne pas casser la croissance ni brutaliser le corps social. Reste que la baisse du déficit procède essentiellement de la baisse de l'investissement public et d'effets d'aubaine : la baisse des taux d'intérêt et les bons résultats de la lutte contre la fraude fiscale. Que se passera-t-il quand les taux d'intérêt remonteront ? Une hausse de 1 % représente un surcoût de 2 milliards d'euros la première année, de 3,5 milliards dès la seconde...
Notre dette a une maturité de sept à huit ans. France Trésor a émis des obligations à très long terme. Cette stratégie sera-t-elle poursuivie ?
L'investissement public a reculé ente 2010 et 2015, puis à nouveau, de 5 %, l'an dernier, à 75,3 milliards d'euros. Or nos voisins et concurrents font l'inverse, investissent dans les infrastructures, la recherche et l'éducation.
Mme Fabienne Keller. - C'est vrai.
M. Michel Bouvard. - A-t-on quelque assurance que les 10 milliards d'euros supplémentaires annoncés sur le plan d'investissement d'avenir ne serviront pas uniquement à compenser les dépenses budgétaires ? Que les 4 milliards d'euros de dépenses engagées depuis le début de l'année seront gagées sur des économies structurelles ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC)