Statut des quartiers généraux militaires de l'OTAN (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du Traité de l'Atlantique Nord (Procédure accélérée).
Discussion générale
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie . - Ce projet de loi autorise l'accession de la France au protocole de Paris sur le statut des quartiers généraux créés par le Traité Atlantique Nord. Il n'y a guère de place à la polémique, tant ce texte est technique : il ne modifie ni notre positionnement au sein de l'Otan ni l'attente à l'autonomie de notre politique de défense ou à notre souveraineté.
Ce protocole, signé en 1952, a été dénoncé par la France le 30 mars 1966 à la suite de la décision du général de Gaulle de quitter le commandement intégré de l'Otan. La décision du président Sarkozy de le réintégrer en 2009 imposait de revoir notre position.
Tous les membres de l'Otan sont parties au protocole de Paris. La France a recommencé à accueillir du personnel de l'Otan dans ses quartiers généraux militaires, sans que ces structures ni les personnes qui y servent bénéficient d'un statut international - à l'inverse des quartiers généraux implantés dans les pays alliés, dont le statut est unifié et homogène.
Le résultat est que les officiers alliés que nous accueillons sont confrontés à des difficultés administratives, juridiques et financières auxquelles ils ne sont pas confrontés dans les autres pays de l'Alliance et auxquelles nos propres officiers, en poste dans les structures de nos alliés, ne sont pas plus confrontés... Notre attractivité comme notre influence en pâtissent.
Le protocole de Paris est technique mais au fond très simple : il étend l'application de la convention entre les États parties au Traité de l'Atlantique Nord sur le statut des forces, dite Sofa Otan, signée à Londres le 19 juin 1951, aux quartiers généraux interalliés créés en vertu du Traité ou aux « organismes militaires internationaux », ainsi qu'à leurs personnels civils et militaires. Le protocole de Paris s'applique, lui, aux « quartiers généraux suprêmes » de l'Otan ainsi qu'à « tout quartier général militaire international créé en vertu du Traité de l'Atlantique Nord et directement subordonné à un quartier général suprême ». Il n'existe que deux quartiers généraux suprêmes, à Mons, en Belgique, et à Norfolk, aux États-Unis, celui-ci commandé par notre compatriote le général Denis Mercier. Il n'y a pas non plus de quartier général militaire international subordonné à un quartier général suprême en France et aucun projet d'en installer un.
En outre, en vertu de l'article 14 du protocole, un État membre peut demander au Conseil de l'Atlantique Nord, qui statue à l'unanimité, l'activation d'une de ses structures militaires, afin de lui voir appliquer les dispositions du protocole.
Les stipulations du protocole de Paris couvrent le privilège de juridictions, le règlement des dommages, les exonérations fiscales et douanières, la personnalité juridique des quartiers généraux eux-mêmes et l'inviolabilité des archives.
Quel intérêt a la France de réintégrer le protocole ? Non pour accueillir de nouveaux quartiers généraux militaires, mais pour corriger une anomalie, pour clarifier les règles applicables à ceux que nous abritons déjà, et ainsi restaurer notre attractivité. Ne conférons pas à ce texte une portée qu'il n'a pas. En aucun cas il ne remet en cause les conditions mises par notre pays lors de la réintégration, ne traduit un infléchissement de notre position dans l'Otan, n'affaiblit notre souhait d'une Europe de la défense forte ni ne porte atteinte à notre politique de défense ou à notre souveraineté.
Réintégrer ce protocole n'est que la conséquence logique de la décision prise en 2009 de réintégrer le commandement militaire intégré. L'influence de la France au sein de l'Alliance en sera renforcée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Roger Karoutchi applaudit aussi)
M. Jacques Gautier, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Je partage les analyses du ministre : ce texte est la suite logique du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan, en avril 2009, que le général de Gaulle avait souhaité qu'elle quittât en 1966.
La France a obtenu l'un des deux commandements stratégiques - assuré aujourd'hui par le général Denis Mercier -, symbole de son poids dans l'organisation.
Hubert Védrine, réservé sur l'avenir de la politique de la défense européenne, avait, dans le rapport que lui avait demandé le président de la République, approuvé le retour de notre pays dans le commandement intégré de l'Otan - position qu'on retrouve dans le Livre blanc de 2013.
Le protocole de Paris définit le cadre juridique applicable aux quartiers militaires et aux personnels qui y servent. L'adopter ne modifie en rien les conditions posées par la France à son retour dans le commandement intégré ; notre liberté d'appréciation reste totale comme notre indépendance nucléaire ; aucune force française ne se trouvera en permanence sous commandement Otan en temps de paix. Le protocole, en complétant la convention dite Sofa Otan, simplifiera considérablement la vie des militaires et de leurs familles, en matière civile et fiscale notamment.
Seuls 240 militaires de pays membres de l'Otan, affectés en France en ce moment, sont susceptibles d'en bénéficier ; ce sera aussi une avancée pour les conjoints des militaires français en poste dans les quartiers généraux - les Américains sont moins enclins à autoriser le travail du conjoint d'un militaire français à Norfolk qu'à autoriser celui du conjoint d'un militaire dont le pays a ratifié le protocole... L'organisation d'un séminaire a récemment donné lieu à une curieuse bataille entre Bercy et Balard sur les droits de douane et la TVA, ce qui n'a pas donné une image positive de la France...
L'article 14 permet au Conseil de l'Atlantique Nord d'étendre la charge d'application du protocole à tout quartier général international. La France pourrait demander l'activation de ces stipulations pour les quartiers généraux du Corps de réaction rapide-France de Lille, du Corps de réaction rapide européen de Strasbourg, de l'État-major de la Force aéromaritime française de réaction rapide de Toulon ainsi que du Centre d'analyse et de simulation pour la préparation aux opérations aériennes de Lyon-Mont Verdun - la liste est exhaustive. Peut-être pourra-t-on enfin créer un centre d'excellence certifié Otan...
Ce texte de simplification est le bienvenu, je vous invite à l'adopter. La réadhésion de la France au protocole de Paris ne porte nullement atteinte au contrôle politique permanent de l'emploi de nos forces. Notre pays contribue pour 211 millions au budget de l'Otan ; 12 % des commandes du projet Smart defence échoient à des entreprises françaises.
Avec ce texte, nous donnerons à nos alliés implantés en France une couverture juridique, administrative et fiscale identique à celle dont jouissent nos militaires à l'étranger. (Applaudissements des bancs du groupe socialiste et républicain à ceux du groupe Les Républicains)
Mme Leila Aïchi . - Ce texte s'inscrit dans la continuité de la décision que la France a prise en 2009 de réintégrer le commandement intégré de l'Otan. S'il faut effectivement clarifier le statut des quartiers généraux de l'Otan, les choix politiques et stratégiques faits alors nous interpellent.
En 2009, notre pays avait fait de l'émergence d'une politique européenne de défense la condition informelle de son retour. Pareille politique fait encore défaut, on a vu la France s'exposer seule en Syrie... Et les divergences d'intérêts entre les États membres de l'Alliance ont conduit à la paralysie.
La défense européenne ne saurait être déléguée à l'Otan, à laquelle la plupart des États membres de l'Union adhère. Ce n'est pas aux États-Unis de protéger l'Europe ou de présider aux choix de celle-ci en matière de défense. L'Europe doit être un acteur stratégique autonome, au service du système onusien de prévention et de résolution des conflits.
Si l'Otan est la seule coalition internationale où les armées travaillent ensemble, elle est aussi un frein durable au projet d'une Europe de la défense. C'est pourquoi le groupe écologiste s'abstiendra. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit)
M. Jean-Noël Guérini . - L'examen de ce texte nous renvoie au débat de mars 2009 sur la réintégration par la France du commandement militaire de l'Otan, où je persiste à voir une erreur politique, qui vide de son sens le projet de défense européenne, nous place sous la protection des États-Unis, nous entraîne dans leurs guerres d'influence et nous oblige à dépenser toujours plus pour l'Otan. Cette décision ayant été prise sur un coup de tête, on a oublié la question du statut des quartiers généraux et de la sécurité juridique des quelque 240 personnels de l'Otan exerçant en France. Si le Sénat avait été appelé à se prononcer sur la déclaration du Gouvernement d'alors, il n'aurait pas manqué de le lui rappeler...
Je voterai ce texte comme treize autres membres du groupe RDSE, les autres s'abstenant, mais cela ne revient pas à donner un chèque en blanc, car je fais mienne la devise gaullienne, qui est aussi celle des Baux-de-Provence : « Allié, mais pas vassal ». (On apprécie à droite) La défense anti-missile balistique doit être complémentaire et non substituable, comme l'a rappelé le président de la République, et nous devons aussi veiller aux intérêts militaro-industriels de la France et de l'Europe. Protégeons ce que nous sommes et les intérêts de la France, c'est ce qu'attendent les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Yves Pozzo di Borgo . - Texte de conséquence, ce projet de loi n'appelle guère de commentaires et c'est dommage, car nous ne pouvons faire l'économie d'un débat sur le rôle actuel de l'Otan. Créée pour lutter contre l'URSS et le communisme, l'Alliance atlantique est aujourd'hui une alliance sans adversaires, ou qui s'en crée de nouveaux artificiellement. Son fonctionnement n'est guère satisfaisant : face aux four eyes anglo-saxons - Canada, Australie, Grande-Bretagne, États-Unis - la France et les autres pays européens ne pèsent guère. Son programme stratégique fait la part belle aux intérêts économiques américains.
L'Otan est devenue un noeud de l'arc de crise global, qui ne contribue guère à apaiser les conflits en Ukraine, en Irak et en Syrie. Il est temps de la recentrer sur l'Europe, pour en faire l'un des piliers d'une défense européenne intégrée et autonome. Je regrette que l'Europe de la défense reste un simple slogan, et que nos voisins, Pologne, pays baltes, continuent à se reposer uniquement sur l'Otan. Nous devons nous ressaisir - notre commission a d'ailleurs auditionné Thierry Breton au sujet de la création d'un fonds européen de la défense. Nous devons aussi nous doter d'un véritable complexe militaro-industriel européen.
Je voterai contre ce texte, c'est-à-dire contre l'idée que l'Otan serait l'horizon indépassable de la défense européenne. Le groupe UDI-UC, lui, votera pour dans sa majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC ; M. Robert Hue applaudit aussi)
M. Jacques Gautier, rapporteur. - Quel talent !
Mme Michelle Demessine . - Le Gouvernement nous demande d'autoriser la réadhésion de la France au Protocole de Paris qu'elle avait dénoncé en 1966, en même temps qu'elle quittait le commandement militaire intégré de l'Otan, affirmant ainsi sa souveraineté et son autonomie stratégique tout en demeurant un allié loyal. Certes, ce projet de loi apparaît comme la conséquence logique de la décision prise par le président Sarkozy en 2009 de revenir dans le commandement intégré. Il ne pose, en lui-même, pas de problème particulier. Il prend cependant une signification particulière alors que se multiplient les crises où l'Otan est impliquée.
L'Otan, à nos yeux, n'a plus de raison d'être. Nous avions défendu en 2009 une motion de censure contre le gouvernement Fillon, et dénoncions, pour reprendre les termes d'un orateur socialiste, « l'agressivité d'une alliance militaire en passe de devenir l'organisation politique de l'Occident ». Nous n'avons pas changé d'avis.
Nous contestons la dangereuse politique d'élargissement et de renforcement des moyens de l'Otan en direction des pays anciennement situés dans la zone d'influence de l'Union soviétique. Elle a débouché sur la crise ukrainienne : là où la France et l'Allemagne s'employaient à éteindre les tensions, l'Otan les attisait. Voyez le plan de réassurance européenne défendu en février par le secrétaire d'État américain à la défense : plus de 3 milliards de dollars pour renforcer la présence américaine en Europe et prépositionner des troupes en Pologne et dans les États baltes. Nous ne voulons pas de cette stratégie agressive, qui va à l'encontre de la volonté affichée par le Gouvernement de trouver des solutions pacifiques aux conflits. Le groupe CRC votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Daniel Reiner . - Nous ratifions aujourd'hui un texte qui est la conséquence du retour de notre pays dans les structures militaires intégrées de l'Otan. Le geste d'indépendance du général de Gaulle en 1966 avait conduit au déménagement des installations militaires de l'organisation sur le territoire national et tout particulièrement en Lorraine, et au transfert du siège et du quartier général en Belgique. La France, cependant, était restée politiquement solidaire de ses alliés, comme on l'a vu lors de la crise des euromissiles. Quelque 200 officiers assuraient la liaison entre forces françaises et de l'Alliance sur le fondement de l'accord Ailleret-Leimnitzer de 1967. De même, notre pays fut le premier contributeur européen aux opérations menées en Bosnie et au Kosovo.
En 2009, l'une des raisons avancées pour la réintégration était la volonté de peser au niveau de notre contribution financière, qui représente 11 % du budget de l'Otan. De fait, la France a obtenu l'un des deux commandements majeurs, et 825 officiers français étaient appelés à évoluer dans les structures - la Cour des comptes relevait cependant en 2012 que 150 de ces postes n'étaient pas pourvus. Dans son rapport établi en 2012 à la demande du président Hollande, Hubert Védrine a écrit qu'une sortie du commandement intégré était désormais hors de question : outre son coût politique, il nous condamnerait à l'affaiblissement stratégique. Le débat est donc clos.
En réintégrant la structure intégrée de l'Alliance, la France a recommencé à accueillir au sein de ses états-majors des personnels de l'organisation sans qu'ils bénéficient d'aucun statut spécifique, sauf arrangements de circonstance, ce qui nuit à notre attractivité et à l'interopérabilité des forces au moment même où nous sommes engagés en commun sur plusieurs théâtres d'opérations. La France a donc introduit une demande de réadhésion au protocole de Paris qui a été approuvée à l'unanimité par le Conseil de l'Atlantique Nord en janvier 2015 - je m'étonne qu'il ait fallu attendre si longtemps pour régulariser la situation. Outre l'application de Sofa, le protocole définit le statut des quartiers généraux, qui bénéficient de la personnalité juridique et de l'inviolabilité de leurs documents et archives, ainsi que les garanties et privilèges dont bénéficient les personnels militaires et civils ainsi que les personnes à leur charge, entre autres des exemptions fiscales semblables à celles applicables aux fonctionnaires internationaux. Seront par exemple concernés le quartier général du corps de réaction rapide de Lille, celui du corps de réaction rapide européen de Strasbourg, celui de l'état-major de force aéromaritime française de réaction rapide de Toulon, ou encore le centre d'analyse de Lyon-Mont-Verdun.
Le texte fixant un cadre juridique cohérent à l'échelle de l'ensemble des États membres de l'Alliance, le groupe socialiste votera sa ratification. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Jean-Marie Bockel applaudit aussi)
M. Xavier Pintat . - Nous n'avons pas à revenir sur un débat vieux de sept ans, mais à tirer ses conséquences en ratifiant un protocole qui fixe le statut des quartiers généraux militaires interalliés en France et les garanties applicables à leur personnel ainsi qu'aux personnes à charge. Ce texte simplifiera la vie quotidienne et administrative des personnes concernées et améliorera le fonctionnement des centres opérationnels : le groupe Les Républicains le votera.
De 1966 à 2009, la France est demeurée l'un des tout premiers contributeurs de l'Alliance, entre 1966 et 2009. Elle a choisi de revenir dans ses structures de commandement intégré afin de peser sur ses choix stratégiques et sur la conduite des opérations, et je me félicite que nous ayons obtenu le commandement stratégique allié pour la transformation de Norfolk : pour la première fois depuis La Fayette, un général français dirige des troupes américaines sur le sol américain, l'inverse n'étant pas vrai.
N'opposons pas l'Otan et la défense européenne. Nous voyons bien que nos voisins, la Grande-Bretagne exceptée, traînent les pieds et investissent peu dans la défense. Il serait malvenu d'en faire le reproche à l'Otan. La question est celle de la volonté politique des exécutifs européens - j'appelle d'ailleurs de mes voeux la réunion d'un Conseil européen de défense dédié à l'européanisation de l'Otan.
Quant à la France, elle doit développer une stratégie d'influence en saisissant les opportunités offertes par le protocole. Car si notre pays ne dispose pas de quartiers généraux relevant de l'article 2, l'article 14 autorise l'extension du protocole à tout quartier général militaire international ou toute organisation militaire internationale instituée en vertu du traité de l'Atlantique Nord : pourraient être concernés le quartier général du corps de réaction rapide européen de Strasbourg et celui de l'état-major de la force aéromaritime française de réaction rapide de Toulon. Cela contribuerait au rayonnement de la France comme au dynamisme des collectivités concernées. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Robert Hue. - Je m'abstiendrai.
L'article unique du projet de loi est adopté.