Débat préalable au Conseil européen des 18 et 19 février 2016
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 18 et 19 février.
Orateurs inscrits
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - Le Conseil européen de jeudi et vendredi sera dominé par la question des relations de l'Union européenne avec le Royaume-Uni et par la crise des réfugiés. J'ai pris connaissance avec un grand intérêt de votre résolution, adoptée à l'initiative de votre commission des affaires européennes et de sa vice-présidente Fabienne Keller, rappelant l'attachement du Sénat aux principes fondamentaux de l'Union européenne, au bon fonctionnement de la zone euro, à « l'union sans cesse plus étroite entre les peuples », au rôle des parlements nationaux et à plus de solidarité et d'efficacité dans le traitement de la crise migratoire. Le Gouvernement partage vos préoccupations à la veille du Conseil européen.
L'intérêt de l'Europe, de la France et du Royaume-Uni est que celui-ci reste dans l'Union européenne, dans le plein respect des règles européennes. Tout en entendant les doléances britanniques, on ne saurait mettre en cause nos principes fondamentaux. Les propositions du président Tusk respectent trois de nos exigences : pas de révision des traités, pas de droit de veto du Royaume-Uni sur l'évolution de la zone euro, pas de remise en cause de libre circulation.
Il reste des interrogations. Bien sûr, les pays non membres de la zone euro doivent être respectés et informés ; ils ne doivent pas être contraints par les mêmes règles budgétaires. Mais ils ne sauraient empêcher ou freiner l'approfondissement de la zone euro.
S'agissant de la régulation financière, impossible d'en exempter Londres, car cela créerait une distorsion de concurrence en même temps que cela fragiliserait le système financier européen.
M. Tusk propose de clarifier les règles liées à la libre circulation et à l'accès aux prestations sociales, de lutter contre les abus et de créer un mécanisme de sauvegarde permettant de restreindre l'accès aux prestations aux nouveaux venus pendant une durée limitée. Les négociations vont se poursuivre sur ce point. Il convient en particulier de tenir compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.
Le Conseil européen reconnaîtrait aussi que le principe de « l'union sans cesse plus étroite » des peuples européens laisse ouvert des chemins d'intégration différents. Le « carton orange » accordé aux parlements nationaux, qui conduirait à un réexamen d'un projet législatif, pour tenir compte de leurs avis motivés sur le fondement du principe de subsidiarité, se situe à la limite de ce qui peut être accepté et ne remet pas foncièrement en cause les équilibres institutionnels.
Le volet relatif à la compétitivité ne pose, lui, aucun problème.
Deuxième grande question : les migrants. Accueil et identification des réfugiés dans les hotspots, plan d'action avec la Turquie, relocalisation au sein de l'Union européenne, soutien aux pays voisins,... Des progrès ont été enregistrés depuis le début de l'année, notamment lors de la Conférence de Londres le 4 février. L'objectif est de parvenir à un système européen de gardes-frontières d'ici la fin du semestre...
M. Gaëtan Gorce. - Et le trafic d'êtres humains ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Le dispositif maritime de l'Otan en mer Égée apportera une aide utile pour faire cesser le trafic d'êtres humains, qui occasionne beaucoup de naufrages et de victimes...
M. Gaëtan Gorce. - Ces personnes ont droit à une protection !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Le flux des migrants reste très important : plus de 2 000 personnes certains jours. (M. Gaëtan Gorce s'exclame derechef)
Il faut aussi s'assurer que des terroristes ne se glissent pas dans le flux des réfugiés. Ceux qui relèvent de l'asile doivent être distingués des immigrés illégaux, qui doivent être reconduits.
Le Conseil examinera aussi la situation en Syrie et en Libye, et endossera les recommandations relatives au semestre européen.
Quelle que soit l'issue des négociations avec les Britanniques, l'approfondissement de la construction européenne doit se poursuivre. Refusons la tentation du repli. Une réponse européenne est pour nous la seule envisageable. L'Allemagne et la France, dont la responsabilité est singulière, porteront des solutions communes, dans l'intérêt de l'Europe entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. André Gattolin applaudit aussi)
M. Jean-Claude Requier . - Depuis quelques mois, l'Union européenne a pris des décisions sur la question migratoire. L'engagement financier de l'Union européenne en faveur des populations de Syrie, trois milliards d'euros, doit être salué. On n'entrevoit pas l'issue de la crise en Syrie et l'afflux de réfugiés n'est pas près de se tarir...
L'Union européenne s'emploie à répondre collectivement à cet afflux - non sans mal. Ainsi des hotspots qui finiront bien par être opérationnels.
Reste la question de la relocalisation. M. le Premier ministre s'oppose au mécanisme permanent proposé par la Commission ; la majorité du groupe RDSE pense, elle aussi, qu'il faut être raisonnable et ne pas oublier que la France est un peu seule sur les théâtres de guerre qui alimentent les migrations...
L'euroscepticisme progresse, il faut débattre des contours de l'Union européenne. Les propositions de M. Tusk sur la place du Royaume-Uni pourraient ouvrir des brèches... Comment créer une minorité de blocage au Conseil sans freiner l'approfondissement de la zone euro ? Le mécanisme de sauvegarde envisagé ne remet heureusement pas en cause la libre circulation. Alors que nous voyons l'Europe comme une construction politique et un espace de solidarité, les Britanniques n'y voient qu'une zone de libre-échange... Pragmatisme So british ! (Sourires) Le maire de Londres, conservateur et eurosceptique, semble prêt à s'engager en faveur du Brexit... Il faut rechercher un bon accord.
À l'heure des petits arrangements entre amis, un mot sur la crise agricole. Le commissaire Hogan accuse le modèle français des fermes familiales. C'est un peu court ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)
Mme Fabienne Keller . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) À l'ordre du jour de ce Conseil, deux des principaux défis actuels de l'Union européenne : la crise migratoire d'abord, l'avenir de l'espace Schengen et le contrôle des frontières. Mes collègues y reviendront. La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ensuite. J'y consacrerai mon propos.
Pour moi, elle porterait un coup très dur à la solidarité européenne et à l'image de l'Europe. La recherche d'un compromis équilibré s'impose. Il faudra à la fois défendre nos principes et conforter le Premier ministre britannique vis-à-vis de ses concitoyens. Certaines de ses demandes sont loin d'être excessives. Mais de trop larges concessions inciteraient certains États membres à exiger ensuite, eux aussi, une renégociation...
Les contours de l'accord se sont précisés. Premier thème : la compétitivité. Les demandes britanniques correspondent largement, sur ce point, aux orientations de la Commission.
Sujet plus délicat : les rapports entre la zone euro et les États membres. Quoi qu'en pense le Royaume-Uni, l'euro est la monnaie de l'Union européenne. Il serait inimaginable d'accorder au Royaume-Uni un droit de veto sur les décisions des membres de la zone euro.
La souveraineté, ensuite : une meilleure association des parlements nationaux est indispensable pour assurer « l'union toujours plus étroite » des peuples européens. La proposition de M. Tusk est pertinente dans la mesure où elle s'inscrit dans le cadre existant : il est légitime que 55 % des parlements nationaux puissent obliger la Commission à revoir ses propositions ; un « carton vert », plus constructif, une possibilité d'action positive des parlements, pourraient aussi être envisagés, selon le voeu de la chambre des Lords.
La libre circulation, enfin, ne doit évidemment pas déstabiliser le marché du travail ou les systèmes sociaux nationaux, mais doit être préservée.
Bref, sans être fermés, nous restons vigilants. Pouvez-vous nous dire où en sont les négociations, monsieur le ministre, alors que François Hollande s'est entretenu hier avec David Cameron ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, au centre et à droite)
M. Claude Kern . - Une nouvelle fois, l'ordre du jour du Conseil européen est vampirisé par deux questions : la crise migratoire et le Brexit. Jamais on n'a tant parlé d'Europe que depuis qu'elle va de mal en pis...
La crise migratoire fragilise la libre circulation dans l'espace Schengen. Elle ne peut avoir qu'une réponse multiple. Des marges existent cependant, par exemple sur le renforcement de la coopération avec la Turquie : la relance des négociations d'adhésion pourrait être conditionnée au respect des engagements de la Turquie en matière migratoire. Le pays devrait aligner son régime de visas sur celui de l'Union européenne et supprimer l'exception en faveur des étrangers musulmans.
La perspective du Brexit révèle, elle aussi, le manque cruel d'une Europe politique. Sans le Royaume-Uni, l'Europe ne serait plus vraiment l'Europe, certes. Mais le chantage au Brexit est inadmissible...
Mme Nathalie Goulet et M. Jacques Legendre. - Très bien !
M. Claude Kern. - C'en est trop ! Je fais miens ces propos de l'ancien député européen Jean-Louis Bourlanges : « Les jours pairs, les Britanniques demandent aux Européens de l'aide, les jours impairs, ils l'insultent. Les Britanniques veulent participer à tout sans être engagés par rien ».
Mme Nathalie Goulet et M. Jacques Legendre. - Très juste !
M. Claude Kern. - Depuis plusieurs années, M. Cameron cède aux sirènes de l'euroscepticisme en faisant pression sur l'Union européenne pour obtenir des dérogations.
Les conditions mises au maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne sont, pour la plupart, inacceptables. Le président Tusk a fait des propositions censées assurer un équilibre : il serait possible de priver d'aides sociales des immigrés européens, et le Royaume-Uni pourrait s'opposer à un approfondissement de la zone euro.
Rendons-nous à l'évidence : le Royaume-Uni refuse systématiquement de prendre sa part des efforts communs - dans la crise migratoire par exemple. Refusons ce chantage.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Claude Kern. - Sauvons le soldat Royaume-Uni, mais pas à n'importe quel prix ! C'est un coup de bluff auquel se livre David Cameron. Toute entorse à ses principes fragiliserait l'Europe, située à un tournant de son histoire. L'Europe unie est le seul vecteur d'une mondialisation plus humaniste et plus progressiste. Seule une Europe-puissance pèsera dans les affaires du monde. À quand une Europe intégrée pour les États qui veulent aller plus loin ? (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Éric Bocquet . - La problématique migratoire pèsera lourd dans le référendum britannique. C'est du moins le pari que fait David Cameron, selon qui le Brexit déplacerait dans le Kent la jungle de Calais... La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne mettrait fin au traité du Touquet de 2003.
Est-il digne d'accueillir ceux qui fuient la guerre dans de telles conditions, au lieu de les renvoyer chez eux, où ils risquent leur vie ? Ayons le courage de construire une véritable Europe solidaire ! L'histoire nous a montré où menait le repli sur soi et le rejet de l'autre
C'est de l'avenir même de l'Union européenne qu'il faudrait débattre. Les décisions fondamentales devraient faire l'objet d'une révision des traités, associer les parlements nationaux, plutôt que de résulter d'une négociation intergouvernementale...
Oui, nous plaidons pour une Europe sociale et solidaire. Le droit à la libre circulation nous paraît intangible, et nous refusons le frein d'urgence. La limitation de l'accès aux prestations sociales doit être fermement rejetée ; l'Union européenne devrait plutôt encourager la mise en place d'un système complet de sécurité sociale dans tous les États membres. Il n'y a pas d'argent, dit-on ? Un géant du meuble a soustrait au fisc plus d'un milliard d'euros...
Mme Nathalie Goulet. - C'est vrai !
M. Éric Bocquet. - L'harmonisation fiscale en est à ses balbutiements, alors que la BCE continue d'injecter 60 milliards d'euros chaque mois dans les marchés financiers.
Assouplissement quantitatif qui ne fait qu'encourager la constitution d'une nouvelle bulle financière... Pourquoi la BCE ne prête-t-elle pas aux États, pour financer des politiques de développement ambitieuses ? Serait-ce tabou ? Ce ne serait pas moins « non conventionnel » que l'assouplissement quantitatif... (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; M. André Gattolin applaudit aussi)
Mme Patricia Schillinger . - Crise grecque, crise migratoire, terrorisme, autant de crises qui révèlent les fragilités d'une Europe en proie au repli sur soi et plongée dans une crise existentielle.
Faute de solidarité des États membres, l'Europe s'est montrée incapable de respecter sa feuille de route et d'être fidèle à ses principes humanitaires : premières victimes, les enfants. Ce sont en effet 10 000 enfants migrants, selon Europol, qui sont portés disparus, cibles idéales pour les groupes criminels qui vivent de la traite des êtres humains.
La stratégie du Gouvernement français est la bonne : les décisions de relocalisation doivent être appliquées sans délai ; les centres d'accueils financés, le renforcement des frontières extérieures et le bon accueil des réfugiés, partagé entre tous les Gouvernements. Il est illusoire de penser pouvoir assumer ces flux seuls, comme il est illusoire de pouvoir y remédier en fermant nos frontières. Nous n'avons d'autre choix que de le faire ensemble.
Il y a extrême urgence. Il nous parait essentiel que le Conseil européen qui s'ouvre demain, non seulement confirme les décisions prises depuis septembre, mais établisse également un calendrier de mise en oeuvre des engagements forts des États membres d'ici au mois de juin.
D'ici là, un corps de gardes-frontières devra être créé. Le rétablissement de Schengen suppose que chaque État prenne ses responsabilités et tienne ses engagements.
Le Brexit doit être évité mais pas à n'importe quel prix. Face au risque d'éclatement, le Président du Conseil européen, Donald Tusk, a présenté, le 2 février, un projet d'accord sur la base de ce que la Grande-Bretagne considère comme des améliorations du fonctionnement de l'Union européenne.
Même si cette proposition est considérée comme l'offre maximale possible de l'Union européenne, les conséquences d'un tel accord seraient, en l'état, loin d'être anodines.
Instaurer un traitement différencié des citoyens européens constituerait une rupture d'égalité dans une Europe à la carte. Aucune réciprocité non plus de la part du Royaume-Uni. Quant aux résultats des scrutins britanniques, ils restent bien incertains.
Le mécanisme de carton rouge existe déjà. Plutôt qu'un droit de s'opposer, nous préférons un droit de propositions au profit des parlements nationaux.
Le Royaume-Uni a déjà obtenu des dérogations aux politiques européennes. Les nouvelles demandes s'attaquent au coeur du projet européen.
Le dialogue, toutefois, doit être une opportunité non pour détricoter l'Europe, mais la renforcer.
Persévérance, tel est le mot à retenir de la dernière intervention de Jean-Claude Juncker. Seule l'Europe peut nous protéger contre les crises. Ce qui nous réunit est plus fort que ce qui nous divise : monnaie, marché intérieur, frontières, libre circulation, Erasmus, etc...
Les crises sont souvent le résultat de politiques encore non abouties : Schengen et la zone euro.
Nous devons poursuivre le renforcement de la zone euro qui passera par la mise en place d'une réelle convergence fiscale et sociale, d'une véritable coordination des politiques économiques, la création d'un Parlement de la zone euro qui soit doté d'une capacité budgétaire et d'investissement. L'année 2016 pourrait également être une année clé pour le renforcement de la dimension sociale de l'union économique et monétaire avec la présentation par la Commission européenne des « paquets » législatifs mobilité sociale (le 8 mars) et socle de droits minimaux. Nous souhaitons que la nouvelle initiative franco-allemande annoncée pour une plus grande intégration de la zone euro soit présentée au plus tôt. L'Europe en a besoin. Face aux défis migratoires, sécuritaires et économiques, dans un environnement mondialisé et multipolaire, ceux qui prennent des risques, sont tentés par une autre aventure que celle de l'Europe.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. André Gattolin applaudit aussi)
M. André Gattolin . - Le sommet du Conseil européen sera le point d'orgue des négociations menées depuis des semaines entre David Cameron et M. Tusk.
Les écologistes souhaitent le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Sa sortie ouvrirait la boîte de Pandore de tous les souverainistes.
Pour autant, nous refusons un accord qui se paierait au prix fort d'une déconstruction de l'acquis communautaire, cette voie apparemment alternative, conduirait à terme au même résultat que celui que nous cherchons ici à éviter : imaginez un instant que d'autres États membres emboîtent le pas, et négocient un statut tout aussi particulier. L'Union verrait se multiplier en son sein, des forces centrifuges difficilement contrôlables.
Comme le dit un proverbe africain « si en te baignant, tu as échappé aux crocodiles, prends garde au léopard qui t'attend sur la berge ». (Sourires)
Les propositions de M. Tusk vont loin. La position de la France est prudente. Sur la gouvernance économique, on prévoit un mécanisme permettant à un certain nombre d'États non membres de la zone euro, de « discuter » des décisions prises par les États concernés.
On nous affirme qu'il ne s'agit pas d'un droit de veto, mais cela en a tous les contours. Les discussions aboutiront nécessairement à la recherche d'un compromis qui affaiblira les décisions. Et puisque l'intégration est l'horizon vers lequel nous tendons, les tensions risquent d'aller crescendo.
Monsieur le Ministre, la France a dernièrement exprimé des réserves sur les concessions en matière de réglementation financière et de supervision européenne des acteurs financiers.
Donald Tusk semble reconnaître le principe d'une Europe à la carte. C'est inacceptable.
De même, en matière de prestations sociales, le mécanisme d'alerte et de sauvegarde s'apparente à une discrimination en fonction de la nationalité, ce qui signerait la mort du principe de libre circulation. La logique de M. Cameron est sur ce point fausse et hypocrite : les travailleurs qui migrent vers le Royaume-Uni sont plus diplômés que la moyenne britannique, perçoivent moins d'allocations, tandis que les Britanniques installés à l'étranger, selon le Guardian, sont plus nombreux à percevoir des allocations globalement plus généreuses...
M. Cameron joue en fait une partie de poker menteur dangereuse. Il se contente d'appuyer ses propos tantôt sur les études produites par le think tank Open Europe, connu pour son euroscepticisme, tantôt sur des chiffres systématiquement contestés par les experts.
Depuis son entrée dans l'Union européenne, le Royaume-Uni a bénéficié de nombreuses dérogations. Ce n'est pas en les généralisant qu'on avancera en Europe.
De plus, si le Royaume-Uni quittait l'Europe, il traverserait une crise institutionnelle profonde, un nouveau référendum de dévolution en Écosse, très attachée à l'Union européenne, ne laisserait aucun doute quant à son résultat.
Attention aussi à la perte d'attractivité de la City : HSBC a menacé de déplacer 20 % de ses activités marché et banque d'affaires vers Paris en cas de Brexit. Le PIB britannique chuterait de 2 à 4 %, 45 % des exportations du pays étant destinés à l'Union... À chacun de prendre ses responsabilités et à la Commission de faire preuve de fermeté. Autrement, soixante ans après le traité de Rome, nous nous réveillerons dans le coma d'une Europe déconstruite ! (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche)
M. Jean Louis Masson . - L'Europe se porterait sans doute mieux si le Royaume-Uni n'en faisait pas partie. L'intérêt de la France et de l'Europe continentale est de se reposer sur un axe franco-allemand fort. Ce référendum britannique est bienvenu, ne serait-ce que parce qu'il donne la parole au peuple. Les autres États devraient s'inspirer de cette leçon de démocratie. Mais les partis dominants ont peur du suffrage universel : en France, on a la fâcheuse manie de contourner le résultat d'un référendum s'il ne convient pas !
Cela dit, c'est grâce au Royaume-Uni que l'Europe des nations résiste encore un peu à la tendance à la supranationalité ; il défend le droit de chaque pays de faire ses propres choix. On lui impute la responsabilité de la situation à Calais ? Il a le droit de refuser d'accueillir des migrants. Si nous avions fait de même, nous n'en serions pas là ! Quel que soit le résultat du référendum, c'est une excellente idée qu'a eue M. Cameron. Que les dirigeants européens s'en inspirent !
Pour conclure, je dirai un mot de la politique étrangère européenne, que la France suit : c'est avant tout une politique antirusse, dont les premières victimes sont nos agriculteurs. Certes, M. Poutine soutient M. Assad ; si nous en avions fait autant, il n'y aurait pas tant de morts et de réfugiés aujourd'hui ! Même chose quand les États-Unis sont allés renverser Saddam Hussein. Comme dictateur, M. Sissi en Égypte n'est pas mal, qui a fait condamner 3 000 personnes parce qu'elles manifestaient ! Mais il est vrai, il achète nos Mistral...
M. Roland Courteau. - Tout ce qui est excessif est insignifiant.
M. Jean Louis Masson. - En Arabie Saoudite, c'est encore pire ! (Mme Nathalie Goulet s'exclame)
Les évènements de Cologne donnent un bon aperçu des conséquences de la crise migratoire. (Marques d'impatience sur divers bancs). Non-inscrit, je dois me contenter d'un temps de parole restreint... mais j'aurai l'occasion d'en reparler ! (M. David Rachline applaudit)
M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères . - (M. Hervé Marseille applaudit) Le Conseil européen devra examiner le paquet Tusk, sous la menace de l'épée de Damoclès du référendum britannique, annoncé pour le 23 juin. M. Cameron oblige les États européens à se prononcer en trois semaines sur des réformes importantes, pré-vendues à l'opinion britannique. Sur ce coup de dés, l'Europe risque gros.
Ce débat illustre les faiblesses d'une Europe dont les pieds d'argile se fissurent contre les vagues des crises : l'euro est malmené par le dollar, la PAC est au point mort, Schengen n'est plus, le chômage de masse perdure et l'Europe est submergée par le flux migratoire. L'Europe n'a pas besoin d'un Brexit, alors que nous sortons à peine de la crise de la dette. Il est plus facile de détruire que de construire, et nous sommes loin hélas de la vision et du souffle des pères fondateurs de l'Europe !
La commission des affaires étrangères a adopté à l'unanimité une résolution qui prend acte de la demande britannique et se prononce pour le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne mais pas à n'importe quel prix.
Les principes essentiels de non-discrimination et de libre circulation ne peuvent être remis en cause, sans ébranler les murs porteurs de l'édifice européen.
Oui à la convergence fiscale et sociale, à l'approfondissement du marché unique, à un rôle accru pour les parlements nationaux, à un carton orange sur la subsidiarité. Oui, pourquoi pas, à une restriction provisoire des prestations sociales, mais à la condition de ne pas entraver l'intégration européenne. Un Brexit serait douloureux pour l'Europe et pour nos amis anglais.
Le Royaume-Uni est un partenaire pragmatique, fiable. On le constate régulièrement au conseil de sécurité des Nations unies et en matière de défense, dans le cadre des accords de Lancaster House.
La commission des affaires étrangères souhaite que le Conseil trouve une issue rapide. Monsieur le ministre, votre feuille de route est de trouver un compromis respectant les principes fondateurs de l'Union pour relancer la marche vers l'Europe, nécessaire pour la paix et le développement économique. (Applaudissements sur de nombreux bancs).
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - La commission des affaires européennes a adopté une proposition de résolution, entérinée par la commission des affaires étrangères. Nous voulons que ce grand pays reste dans l'Union européenne, alors que celle-ci fait face à des menaces majeures : crise économique, menace terroriste, crise migratoire. L'Europe doit replacer la sécurité au coeur de ses préoccupations. Les conséquences d'un Brexit seraient désastreuses. Nous sommes attachés au respect des principes fondateurs de l'Union européenne ; les régimes dérogatoires ne sauraient devenir la règle. L'intégrité de la zone euro, en particulier, ne saurait être remise en cause.
La répartition des compétences est déterminée par le principe d'attributions, leur modalité d'exercice obéit aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. Oui à un rôle accru des parlements nationaux. Oui à la préservation des principes d'égalité des salariés et de libre circulation des personnes. Oui au renforcement du marché unique, à celui du marché des capitaux, à la création d'un marché unique du numérique et de l'énergie. L'Europe a besoin d'outils de régulation et de transparence efficaces, de renforcer sa convergence fiscale et sociale.
Le Sénat demande depuis longtemps un corps européen de gardes-frontières, le renforcement de Frontex ou de la lutte contre les réseaux de passeurs. La mise en place de hotspots est une priorité. Le rétablissement des frontières intérieures coûterait 10 milliards d'euros par an. L'Europe doit faire preuve de solidarité envers les réfugiés ; pour autant elle ne peut accueillir tous les migrants économiques. Appliquons la convention de Genève de 1951, rien que la convention de Genève.
Je suis sceptique sur la volonté de la Turquie de contribuer au règlement du problème. Nous attendons du Conseil européen qu'il envoie un message clair : pas de soutien sans contreparties.
Enfin, j'attire aussi votre attention sur les drames humains en Libye ou au Maghreb (M. Charles Revet approuve). Avec l'effondrement des cours du pétrole, de nouveaux flux de migrants sont à attendre, ce qui impose de repenser l'Union pour la Méditerranée, que nous avions sans doute mal vendue à notre partenaire allemand. Il est temps d'y penser, dès maintenant. (Applaudissements à droite, au centre et sur quelques bancs à gauche).
M. Harlem Désir, secrétaire d'État . - il y a une grande convergence d'analyses sur les enjeux de la négociation avec le Royaume-Uni : il faut aménager la maison commune sans en ébranler les murs porteurs.
La feuille de route qui se dégage est claire : trouver un compromis, tout en approfondissant l'intégration européenne pour ceux qui le souhaitent, autour de l'harmonisation fiscale et sociale, de projets communs, de la dimension politique.
S'agissant de la gouvernance économique, nous respectons le choix du Royaume-Uni de ne pas rejoindre la zone euro ; nous acceptons la transparence : les pays non membres ne doivent pas être soumis aux mêmes contraintes, mais n'ont pas à se voir octroyer un droit de veto.
De fait, l'Europe est déjà différenciée ; le Conseil européen va le confirmer. Le projet d'accord de M. Tusk apporte des réponses sur l'immigration, ou la lutte contre les abus sociaux.
Un accord est aussi possible sur la compétitivité ou la souveraineté. Le premier objectif nécessitera l'approfondissement du marché unique de l'énergie, du numérique, des capitaux. Le second aboutira nécessairement à une Europe différenciée. Des dérogations, des clauses d'opt-out existent déjà. Nous les respecterons. Si nous voulons éviter la déconstruction de l'Europe, il faudra par ailleurs faire preuve d'une volonté de franchir de nouvelles étapes.
Cet accord doit donc aider M. Cameron face à son opinion publique, tout en laissant ouvertes les perspectives pour les pays de la zone euro.
Monsieur Requier, la crise agricole est une crise européenne. Les quotas ont disparu et l'offre est toujours plus excédentaire alors que les prix se sont effondrés. M. Hogan rencontrera le Premier ministre à Paris le 25 février. La France a transmis un mémorandum proposant un relèvement temporaire du prix d'intervention sur le lait, un prolongement de l'aide au stockage privé, des mesures exceptionnelles de promotion, des discussions sur les débouchés, dont une levée de l'embargo sanitaire russe. Monsieur Masson, l'embargo russe répond à une crise sanitaire en Afrique qui ne concerne pas la France ; quant aux sanctions européennes, leur levée dépend du respect des accords de Minsk.
La situation internationale, notamment en Syrie, appelle une réaction commune des pays européens, confrontés à la crise des réfugiés et au terrorisme. La Russie doit cesser de bombarder des civils et des hôpitaux et concentrer son action contre Daech plutôt que contre l'opposition modérée à Assad. Nous devons avoir avec elle un dialogue franc et exigeant. Nous ne menons pas une politique antirusse !
J'en reviens à l'agriculture. Nous souhaitons des mesures structurantes pour éviter la surproduction agricole et les moyens d'avancer sur l'étiquetage des produits transformés. (Mme Nathalie Goulet approuve). Nous y travaillons au plan européen. Au plan national, le Premier ministre a annoncé aujourd'hui à l'Assemblée nationale des mesures importantes, dont l'allégement des charges.
Monsieur Kern, vous avez raison : la Turquie doit revoir sa politique de visas et son exception au profit des pays du Maghreb.
Monsieur Bocquet, des progrès sont en cours pour plus d'harmonisation fiscale et sociale. M. Moscovici a fait des propositions pour lutter contre l'optimisation fiscale des multinationales. Nous travaillons à l'harmonisation fiscale, en commençant par l'assiette de l'impôt sur les sociétés.
Mme Schillinger s'inquiète d'une discrimination entre citoyens européens. Les restrictions sur les allocations versées aux citoyens européens au Royaume-Uni ne peuvent qu'être temporaires, pour lutter contre les abus, et ne doivent pas entraver la libre circulation des travailleurs. Le droit dérivé est un instrument suffisant dans bien des cas ; les récents arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne vont d'ailleurs dans ce sens.
Monsieur Gattolin, la France veillera à ne pas être dévorée par le léopard sur la berge. (Sourires) Permettre à M. Cameron d'apporter les réponses qu'attend l'opinion publique britannique sans mettre en danger la construction européenne, c'est la ligne de crête que nous tenons.
Enfin, je n'ai pas compris la position de M. Masson, qui a affirmé son attachement au couple franco-allemand. Souhaite-t-il un referendum dans tous les pays ? Si oui, appellerait-il à voter pour ou contre le maintien dans l'Union européenne ?
S'il faut respecter le choix souverain du gouvernement britannique d'organiser un referendum, l'Union européenne ne doit pas pour autant modifier ses traités pour satisfaire un pays. Nous devons convaincre les Britanniques que leur place est dans l'Union européenne, sans mettre en cause l'intégrité de la zone euro et l'avenir de l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain).
Débat interactif et spontané
M. Cyril Pellevat . - Face au drame humain de la crise migratoire, l'Europe est débordée : 430 000 demandes d'asile en 2013, 626 000 en 2014...
Difficile de distinguer entre les réfugiés, protégés par la convention de Genève, et les migrants économiques, qui sont désormais majoritaires selon Frontex. La ligne de partage entre ces deux catégories n'est pas nette. Faut-il adapter la convention de Genève ? Dans les hotspots, la situation est critique. Comment l'Union européenne compte-t-elle faciliter l'identification des réfugiés ? Faut-il donner plus de moyens à Frontex ? Comment faciliter la relocalisation des réfugiés en Europe ou le retour au pays d'origine ? Quelles demandes portera la France sur les opérations de retour communes ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État . - Les crises sécuritaires se cumulent en effet, provoquant un afflux de réfugiés. Ils ont d'abord rejoint les pays voisins : ils sont deux millions en Turquie, un million en Jordanie, un million au Liban ; compte tenu de la situation dans les camps, ils sont tentés de rejoindre l'Europe. Les filières illégales se sont organisées - le trafic est rentable - et organise les flux vers la Grèce puis la route des Balkans. Mais il y a deux ans déjà, les migrants arrivaient en nombre en Italie depuis la Libye, qu'ils fuyaient pour des raisons essentiellement économiques.
Nous devons donc venir en aide à la fois aux réfugiés politiques, conformément à la Convention de Genève, tout en renforçant les hotspots, en luttant contre les filières illégales, en renforçant le contrôle aux frontières, en organisant l'accueil et en faisant respecter les voies légales d'immigration.
M. Jean-Yves Leconte . - Je veux dire à cet instant notre solidarité à l'égard de la population d'Ankara, victime à nouveau d'un attentat meurtrier.
Terrassée par ses fantasmes, l'Europe risque de mourir de ses peurs. Un espace de 400 millions d'habitants ne pourrait accueillir un million de réfugiés ? La Jordanie à elle-seule en accueille autant, tout comme le Liban ; la Turquie, le double ! En leur faisant la leçon, nous nous rendons ridicules.
Les bombardements russes font des victimes par centaines et des réfugiés par dizaines de milliers. L'Europe doit aussi prendre en compte la situation intérieure en Turquie, qui ne peut être considérée comme un pays d'origine sûre.
Mme la présidente. - Concluez !
M. Jean-Yves Leconte. - Comment faire pour que la Grèce ne devienne pas un vaste camp ? Que la Turquie, la Jordanie, le Liban bénéficient de notre solidarité ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Je veux à mon tour exprimer la solidarité du Gouvernement à l'égard d'Ankara.
La Turquie est le pays accueillant le plus de réfugiés : deux millions. Ils ne pourront rentrer chez eux de sitôt. Un fonds de 3 milliards d'euros a été mis à sa disposition afin de soutenir leur insertion professionnelle et la scolarisation des enfants. En contrepartie, la Turquie a demandé l'ouverture de nouveaux chapitres de négociation - même si cela ne préjuge pas de la fin du processus - et la reprise de la discussion sur la libéralisation des conditions d'octroi des visas. Elle demande à être soutenue dans la lutte contre les réseaux ; l'OTAN contribuera à l'identification des bateaux des passeurs dans les eaux territoriales turques. La Turquie devra respecter les engagements pris.
Mme Nathalie Goulet . - Pendant ce temps, on ne compte plus les morts au Yémen et les massacres de Kurdes se poursuivent.
Vous avez décrit une Europe forte, déterminée et solidaire. Cela me fait penser à cette phrase du doyen Vedel : « le Plan parle à l'indicatif, parfois au futur, jamais à l'impératif »... Quand l'Union européenne va-t-elle enfin intervenir pour faire cesser les massacres au Yémen ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC ; M. Reichardt applaudit également)
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - La situation au Yémen est dramatique : 80 % de la population a besoin d'assistance humanitaire.
La France soutient le Haut Représentant de l'Union européenne, qui s'est prononcé pour le respect sur droit international humanitaire. Nous demandons l'arrêt des attaques contre les civils et contre les hôpitaux et un accès sans entrave des humanitaires à toutes les populations.
Une aide humanitaire de 200 millions d'euros a été débloquée en 2015. Il faudra sans doute aller plus loin.
Au plan politique, nous soutenons toute solution qui pourra être trouvée sur la base de la résolution 2216 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il faudra organiser rapidement une nouvelle session de pourparlers. Cette guerre est l'une des plus graves et des plus mortelles que nous connaissons aujourd'hui. Toute une région s'est embrasée, sur fond de lutte entre sunnites et chiites, avec l'intervention des grandes puissances régionales. La pacification de la péninsule arabique doit être une priorité.
M. Patrick Abate . - L'Europe étant une grande famille, elle ne peut se désintéresser du sort de ses voisins.
Quid du respect des droits de l'homme en Turquie ? Selon Reporters sans frontières, quarante journalistes sont derrière les barreaux. Quid du sort réservé au peuple kurde par le Gouvernement de M. Erdogan ? L'Europe ne peut rester muette. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain et citoyen)
M. André Reichardt. - Bravo !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Ces questions n'ont cessé d'être évoquées dans le cadre des négociations d'adhésion avec la Turquie. Les chapitres 23 et 24, que la France souhaite ouvrir, ont précisément trait aux droits de l'homme, aux droits des minorités, aux valeurs que nous avons en commun. Dans le sud-est du pays, en proie à une quasi-guerre, il faut reprendre le dialogue politique avec les Kurdes. Nous condamnons les actions du PKK, parti terroriste, mais soutenons l'insertion des Kurdes dans la vie politique du pays, pour trouver la voie du dialogue et du retour à la paix civile.
Mme Hermeline Malherbe . - Les maires ont joué le jeu de l'accueil des migrants, quelle que soit leur appartenance partisane. Où en est-on de la répartition entre pays européens ? Quelles projections ? Je me félicite de l'engagement financier de l'Union européenne pour aider les populations en Syrie, mais quid de la coopération européenne sur le conflit en Syrie où la France agit bien seule... ? Seule sa résolution endiguera la crise migratoire. L'Europe doit montrer sa force politique, pour contrer la montée des nationalismes et l'euroscepticisme.
M. David Rachline. - Légitime !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Des engagements ont été pris pour la relocalisation, pour accueillir de façon solidaire 160 000 réfugiés au cours des deux prochaines années. Les procédures ont toutefois pris du retard, et moins de 500 personnes ont été relocalisées à ce jour. La France est le deuxième pays d'accueil. Il faudra aller plus vite, plus loin. La Grèce et l'Italie enregistrent les arrivants, mais ne peuvent les garder sur leur territoire.
Des fonctionnaires de la Police aux frontières (PAF) et de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) participent au fonctionnement des hotspots, et au contrôle des documents identitaires - d'autant plus nécessaire que les terroristes de Daech se sont procuré des stocks de passeports syriens et irakiens.
La France s'est engagée à accueillir 30 000 personnes.
En Syrie, le Gouvernement demande l'arrêt des bombardements contre les populations civiles et un accord politique.
M. David Rachline . - C'est extraordinaire ! Jamais la moindre remise en question ! La concurrence déloyale, l'embargo russe, l'asphyxie fiscale des agriculteurs, la crise économique... Rien ne marche, mais rien n'est remis en cause ! La crise migratoire, l'Europe passoire, Schengen ? C'est une catastrophe, mais ce n'est pas grave, allons plus loin, dans la voie de l'ouverture des frontières... L'absence de patriotisme économique, la concurrence déloyale érigée en règle, la politique monétaire calamiteuse, qui produisent du chômage de masse... tout cela fonctionne si bien ! Et bientôt, le traité transatlantique ! Renforcer les parlements nationaux ne servira à rien quand 80 % des textes sont des transpositions du droit européen.
Je ne parle même pas de la politique étrangère, inexistante : al-Nosra fait du bon boulot, nous dit le ministre des affaires étrangères. Oui au référendum britannique : nous ferions bien de nous en inspirer.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Les caricatures et les citations tronquées ne font pas avancer le débat. Faites donc des propositions ! Révision du code frontières de Schengen, gardes-frontières européens, union bancaire, Mécanisme européen de stabilité financière (MESF)... nous avançons. Point d'autosatisfaction toutefois, mais la preuve que c'est par la solidarité et la coopération que nous trouverons des solutions pragmatiques : il n'y a pas 28 réponses différentes à la crise syrienne, à la crise agricole, qui est une crise internationale des marchés. Au contraire, c'est en renforçant la politique européenne que nous pourrons soutenir nos agriculteurs. Nous opposons la solidarité au repli nationaliste et à la démagogie. (« Très bien ! » et applaudissements à gauche)
Mme Pascale Gruny . - Un mot sur Calais. Le Royaume-Uni n'est pas membre de l'espace Schengen, il se repose sur la coopération avec la France pour qu'elle gère sur son territoire le flux de migrants. Bref, il veut le meilleur des deux mondes, comme le dit son Premier ministre ! M. Cameron établit un lien direct entre le Brexit et l'éventualité d'une dénonciation par la France des accords du Touquet. On ne peut prêter à la France une telle volonté de chantage. Ces propos sonnent comme un aveu : celui que dans un contexte de pression migratoire, les accords du Touquet sont déséquilibrés et que la France répond seule à la crise. Comptez-vous renégocier ces accords, pour que le Royaume-Uni joue tout son rôle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Les accords du Touquet ont fait l'objet d'aménagements au fur et à mesure que la situation à Calais se dégradait. M. Cazeneuve a rencontré son homologue à plusieurs reprises pour renforcer la sécurisation du tunnel et du port. J'ai moi-même observé le travail des agents britanniques sur place.
La réponse n'est pas de remettre en cause les accords. Nous ne pouvons laisser les migrants risquer leur vie dans le tunnel en sachant qu'ils ne seront pas accueillis outre-manche. Nous continuons à offrir aux migrants un accueil au titre de l'asile s'ils peuvent en bénéficier, ou à les reconduire à la frontière dans le cas contraire. Tout se fait, quoi qu'il en soit, en partenariat avec le Royaume-Uni.
M. Richard Yung . - Mes sentiments sur le Brexit sont mitigés. Curieuse négociation, dans laquelle nous ne demandons rien et n'avons rien à offrir. Nous négocions de plus avec un bras dans le dos : nous sommes prêts à accepter toutes les conditions pour maintenir le Royaume-Uni dans l'Union. Bref, nous avons le sentiment que tout est joué... Que ferons-nous le 23 juin au soir ? Fêter le résultat ou le déplorer ? Le déplorer, je le crains. Pensons à l'avenir, à la refondation d'une Union européenne plus restreinte, avec les partenaires qui veulent aller de l'avant : le système des deux cercles concentriques esquissé par le président Mitterrand. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ainsi que sur plusieurs bancs à droite et au centre)
Mme Nathalie Goulet. - La sagesse même !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Nous veillons à ne pas ébranler les fondements de la maison Europe, à ne pas renoncer à nos principes : pas de droit de veto sur l'évolution de la zone euro, pas de remise en cause du principe de libre circulation. N'anticipons pas. Il faudra d'abord réussir la négociation, prendre acte du résultat. Celui-ci aboutira de toute façon à une Europe différenciée. Mais les faits, les crises, les exigences du moment nous imposent de prendre de nouvelles initiatives allant dans le sens d'un approfondissement de l'Union européenne.
M. Jean-François Longeot . - Sur la crise agricole, rien de concret n'a été annoncé. Quand nous donnerez-vous un calendrier des rencontres envisagées et une liste des mesures à l'étude ? La crise est grave ; il faut agir pour sauver nos emplois et nos territoires.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Des mesures concrètes ont été annoncées par le Premier ministre, notamment la baisse des charges et le soutien aux exploitations. Le commissaire Phil Hogan sera à Paris le 25 février. Le mémorandum que nous avons transmis propose des mesures de régulation des marchés, de soutien aux prix, au stockage, de soutien aux débouchés - via la levée de l'embargo sanitaire avec la Russie - ainsi que des mesures de promotion des produits à l'exportation. Nous discutons avec les organisations agricoles et restons mobilisés pour que la PAC s'adapte à la crise, qui est européenne et mondiale.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Le Sénat a adopté à l'unanimité notre proposition de résolution européenne sur les conséquences du TAFTA pour l'agriculture et l'aménagement du territoire. L'Union européenne négocie également un accord avec le Canada, en cours de toilettage juridique. Quand nous sera-t-il soumis ? En mai, en juin ? Les indications géographiques seront-elles suffisamment protégées ? S'agira-t-il bien d'un accord mixte, qui devra être ratifié par les parlements nationaux ? Tout cela manque de transparence. Le Parlement sera-t-il informé et associé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - La transparence dans la négociation avec les États-Unis est une de nos priorités. À la demande du Gouvernement français, le mandat de négociations a été rendu public. Les parlementaires ont accès aux documents américains confidentiels, même s'ils ne peuvent les consulter que sur place sans pouvoir faire des copies. Nous sommes également vigilants sur le fond de la négociation.
Le mécanisme de règlement des différends ne nous convenait pas, nous avons demandé sa modification. Nous refusons l'arbitrage privé. Sur les indications géographiques protégées, nous avons obtenu gain de cause dans nos négociations avec le Canada, et avons bon espoir d'avancer avec les États-Unis. Il faut examiner toutes les conséquences de ces accords sur l'ensemble du secteur agricole et alimentaire, notamment en matière de normes sanitaires.
Sur les marchés publics ou la convergence réglementaire, les négociations se poursuivent.
Mme Colette Mélot . - L'Union européenne connaît une crise migratoire sans précédent. On peut craindre que la relative accalmie hivernale soit de courte durée. La dispersion des multiples îles grecques rend leur surveillance certes très difficile. La situation reste inquiétante en Grèce. Je ne veux pas l'accabler mais en dépit des aides bruxelloises, la Grèce reste le maillon faible du continent : les migrants ne sont pas systématiquement enregistrés et le système Schengen renseigné occasionnellement...
M. Cazeneuve s'y est rendu récemment pour proposer l'aide de la France : laquelle ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Les arrivées des migrants ont baissé, en effet, mais il faudra vérifier le rôle que le climat a pu jouer dans cette diminution.
Les hotspots sont en cours de mise en place en Grèce. Nous avons apporté de l'aide matérielle et humaine. L'article 26 du code des frontières Schengen nous autorise à rétablir des contrôles pour des raisons de sécurité. C'est notre priorité, ainsi que le renforcement de Frontex et des contrôles aux frontières extérieures. Nous avons mis à disposition des agents de l'Ofpra et de la police aux frontières à cette fin. Notre priorité est d'aider la Grèce à renforcer ses capacités de traiter les demandes d'asile, l'accueil des réfugiés, en renforçant la sécurité.
M. André Reichardt . - Une délégation de la commission des lois en déplacement à Lesbos a constaté sur place en fin de semaine dernière la faiblesse des moyens informatiques. Il est impossible de faire des recoupements avec le fichier Eurodac. Sur cinq hotspots annoncés, un seul est opérationnel en Grèce. Comment sont traités les migrants sans papiers ? Certaines personnes, bien que non susceptibles de bénéficier de l'asile se voient remettre des récépissés : faute de contrôle et de raccompagnement dans leur pays d'origine, ces migrants grossissent les rangs des immigrés en situation irrégulière en Europe...
Trois milliards d'euros d'aide sont promis à la Turquie : avec quelles contreparties ? Quand le pays se dotera-t-il de ses propres hotspots ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Les bornes Eurodac permettent à terme de contrôler l'identité des personnes et de centraliser les données du système d'information Schengen (SIS). Ensuite, la Grèce accepte désormais de garder les migrants sur son territoire, avant de les raccompagner avec l'aide de Frontex, vers leur pays d'origine ou vers la Turquie. Cela limitera le trafic en mer, particulièrement meurtrier.
M. Daniel Chasseing . - Les agriculteurs français sont au bord de la ruine. D'accord pour une Europe fiscale et sociale, mais nous en sommes loin : le coût horaire est de 5 euros en Pologne, 13 euros en Espagne et 20 euros en France. Sans parler du coût de l'embargo russe : 400 millions d'euros pour la filière porcine !
M. Le Foll nous assure agir en Europe, mais il faut aussi agir en France, avec des réformes structurelles : baisses de charges, TVA sociale peut-être. Le CICE ne profite pas aux agriculteurs souvent payés bien en deçà du smic... (M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit)
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Je vais vous apporter des précisions sur les mesures annoncées aujourd'hui par le Premier ministre. Un décret fera baisser les charges sociales de sept points, soit plus que le CICE, équivalent à six points, et plus que la TVA sociale de 2011... (Protestations à droite) Cette baisse s'ajoute à celle de trois points des cotisations familiales en vigueur. Il s'agit donc au total d'une réduction de dix points.
Depuis le début de la crise en 2015, les baisses cumulées de charges de personnel pour les agriculteurs atteignent ainsi 730 millions d'euros. Sans parler de l'année blanche sociale, mesure qui sera la plus sensible dans l'immédiat et qui sera reconductible jusqu'à trois ans. Nous discutons avec la Commission européenne de la simplification des normes.
M. Jean-François Husson. - Après les avoir complexifiées !
M. Daniel Gremillet . - Ce n'est pas parce qu'un accord aura été trouvé avec les Russes que nos exportations repartiront aussi sec...La crise se prolongera pour nos agriculteurs, ce qui exige d'autres actions de la part des pouvoirs publics. Il n'en reste pas moins que ces mesures de politique étrangère à l'égard de la Russie n'ont pas été accompagnées comme il aurait fallu.
Le Sénat a proposé à l'article 3 de la proposition de loi que nous avons adoptée de mettre la France en position de force dans la négociation au niveau européen : pourquoi l'avoir repoussée ? Qu'attendez-vous pour agir ? On ne s'en sortira pas en Europe sans un couple franco-allemand solide. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - M. Valls a rencontré M. Medvedev samedi, à Munich, pour évoquer la levée de l'embargo.
Sur l'étiquetage des produits transformés, nous avançons au niveau européen et un décret est sur le point d'être publié. Nous veillons donc à sa compatibilité avec le droit européen, même s'il n'y a pas de directive européenne sur le sujet.
Le problème de l'absence de salaire minimum en Allemagne a été réglé, mais il reste des cas de distorsion de concurrence due à l'emploi de travailleurs détachés faiblement rémunérés. En étroite collaboration avec notre premier partenaire, et avec les autre pays européens attachés à la PAC, Stéphane Le Foll continue de promouvoir nos intérêts. Ce sera l'objet de la rencontre avec Phil Hogan.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - Je veux saluer la qualité des échanges, mais pointer les inquiétudes suscitées par les annonces du Gouvernement. Le ministre de l'agriculture se réjouit d'avoir entraîné douze états membres derrière lui : douze sur vingt-huit, cela ne suffit pas, il nous faut davantage d'alliés !
Depuis quelques années, le couple franco-allemand ne marche plus, car nous manquons de crédibilité aux yeux de nos partenaires d'outre-Rhin. J'ai rencontré le directeur des services vétérinaires russes à Moscou. La Russie est prête à lever son embargo sanitaire à l'égard de certains pays seulement, mais la Commission européenne veut qu'elle le fasse pour la totalité des États membres. Si nous avions de meilleures relations avec l'Allemagne, celle-ci pourrait nous soutenir.
Vous déplorez que la France ne se soit pas engagée dans la politique d'intervention. L'Espagne s'y est engagée à hauteur de 21 %, l'Allemagne de 29 %, nous à hauteur de 2,1 % seulement. Mais lorsque le coût du porc français, avec les charges, est à 230 avec un indice 100 hors charges, il est de 180 en Allemagne !
La politique d'intervention ne marche pas en France ; il nous faut des réformes structurelles. (Applaudissements au centre et à droite)
La séance est suspendue à 20 h 30.
présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président
La séance reprend à 22 heures.