Droit des étrangers (Nouvelle lecture - Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la nouvelle lecture du projet de loi relatif au droit des étrangers en France.
Discussion générale
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage . - Le Gouvernement déplore l'échec de la CMP. Ce projet de loi est l'ultime étape d'une grande réforme de la législation applicable aux étrangers, après la loi sur l'asile du 29 juillet 2015, votée à une large majorité et qui, en modernisant nos procédures, a permis de faire face à la grave crise migratoire que traverse l'Europe.
Le premier objectif du texte est de mieux accueillir les étrangers qui vivent légalement en France, de faire en sorte qu'ils disposent de tous les outils nécessaires à une bonne intégration, jusqu'à une naturalisation éventuelle. La France doit aider ceux qui souhaitent la rejoindre, s'approprier sa langue et ses valeurs, plutôt que les confronter à un parcours administratif du combattant.
Nous consacrons l'accès à un titre de séjour pluriannuel après une année, améliorons le parcours d'intégration - avec des cours de langues renforcés - et dotons les préfectures d'un droit à communication : les demandeurs n'auront plus à fournir certaines pièces dès lors que les préfectures peuvent les trouver ailleurs.
Avec le « passeport talents », titre unique de quatre ans renouvelable qui regroupe et élargit les titres existants, nous renforçons notre attractivité - c'est le deuxième objectif du texte - vis-à-vis des talents et étudiants que nous souhaitons voir venir en France. Nous simplifions aussi le passage du statut d'étudiant au statut de salarié, pour que les meilleurs étudiants puissent concrétiser les espoirs que la France a mis en eux.
Le troisième objectif est la lutte contre l'immigration irrégulière. Le Gouvernement entend faire preuve de fermeté : un étranger en situation irrégulière doit être reconduit à la frontière et les filières d'immigration clandestine démantelées. Il y va du respect de l'état de droit. La directive européenne « Retour » a été mal transposée. Et notre politique d'éloignement repose trop exclusivement sur la rétention, préjudiciable aux familles : ce projet de loi développe l'assignation à résidence et clarifie l'action des forces de l'ordre dans ce cadre. Les prêcheurs de haine pourront être expulsés plus facilement.
Enfin un équilibre a été trouvé sur le contentieux de la rétention et de l'éloignement. Le juge des libertés et de la détention se prononce sur la proportionnalité de la mesure, le juge administratif sur sa légalité. Quoi de plus normal que je juge judiciaire ait à connaître de la rétention ? Il se prononcera après 48 heures et non plus cinq jours ; une personne en rétention pourra voir un juge avant d'être éloignée.
Les Français ont aussi le droit d'être informés sur ce qui se passe dans les centres de rétention : les journalistes bénéficieront d'un droit d'accès encadré.
Ce texte rend la politique d'immigration plus efficace et plus conforme aux principes républicains. C'est pourquoi le Gouvernement regrette que votre commission des lois souhaite lui opposer la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois . - Ce texte revient au Sénat après l'échec, que je regrette, de la CMP. Le Sénat avait proposé des solutions alternatives à celles de l'Assemblée nationale pour concilier accueil des étrangers en situation régulière et fermeté absolue contre les autres, qui doivent être éloignés.
Nous souhaitions le maintien du régime du contentieux en rétention, avec l'intervention du juge après cinq jours. Nous avions rétabli la liberté du préfet pour délivrer, ou pas, des titres de séjour. Nous avions maintenu les conditions actuelles de délivrance des titres de séjour pour les étrangers malades, encadré plus strictement la délivrance de la carte de séjour de quatre ans. Nous avions revu les conditions du regroupement familial. Nous avions amélioré l'efficacité d'autres dispositifs tels que l'obligation de quitter le territoire (OQTF), raccourci le délai de départ volontaire à sept jours au lieu de trente et allongé l'interdiction de retour de trois à cinq ans. Nous avions renforcé les modalités d'assignation à résidence par un cautionnement et une attestation d'hébergement délivrée par le maire de la commune d'accueil. Nous avions également clarifié plusieurs dispositions relatives au titre pluriannuel de séjour et au contrat d'accueil et d'intégration afin de le cibler sur l'apprentissage de la langue.
M. Charles Revet. - Essentiel !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Nous avions encadré de façon plus cohérente l'accès des journalistes aux centres et locaux de rétention administrative. Nous avions enfin supprimé les dispositions relatives à la nationalité, qui n'ont rien à faire dans ce texte. (M. Jean-Claude Lenoir approuve)
L'Assemblée nationale n'a rien retenu de nos propositions. (On le déplore vivement à droite) Le rapporteur de l'Assemblée nationale avait pourtant laissé la porte ouverte mais nos espérances ont été déçues. Le travail du Sénat a été balayé d'un revers de main.
Mais l'Assemblée nationale a ajouté des dispositions nouvelles, notamment sur proposition du Gouvernement. Cette procédure est douteuse au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui interdit, après la CMP, toute mesure sans relation directe avec les dispositions restant en discussion, sauf coordination ou correction d'erreurs matérielle. L'Assemblée nationale a ainsi ouvert le service civique aux étrangers ; et supprimé l'assignation à résidence sous surveillance électronique - où est la logique ? - au motif de l'absence de textes réglementaires d'application... Sous prétexte de coordination, et en contradiction avec la loi du 25 juin 2015, le Gouvernement a aussi introduit par amendement la possibilité pour l'autorité administrative d'opposer l'irrecevabilité à une demande d'asile formulée en rétention au-delà des cinq premiers jours - faculté aujourd'hui réservée à l'Ofpra. Trop c'est trop. Que chacun prenne ses responsabilités.
Je propose au Sénat de voter la question préalable. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Pierre-Yves Collombat . - Puisque la question est entendue, je n'entre pas dans le détail. Le groupe RDSE n'avait pas voté le texte du Sénat qui transformait une loi sur le droit des étrangers en loi sur le contrôle des étrangers, comme si l'objectif était de se protéger des étrangers, considérés comme indésirables. L'échec en CMP n'est pas étonnant.
Le texte de l'Assemblée nationale, pas plus que celui du Sénat, ne répond aux problèmes de fond et à l'urgence. L'immigration qualifiée d'ordinaire ne pose aucun problème, vu la stabilité des flux ; 240 000 entrées pour 100 000 sorties et le fait que ces immigrés sont, pour beaucoup, issus de l'ancien empire colonial français - ce qu'oublient volontiers les anciens partisans de l'Algérie française...
La vraie question est celle des réfugiés, phénomène de grande ampleur qu'a pu mesurer en Grèce la délégation de la commission des lois : en 2015, 911 000 réfugiés syriens, irakiens, afghans, pakistanais, maghrébins ont rejoint l'Europe, jusqu'à 10 000 par jour en mer Égée l'été dernier...
La réponse humanitaire a été à la hauteur, mais une fois les réfugiés nourris, soignés, identifiés et mis en fiches, la plupart se perdent dans la nature, en route vers l'Allemagne, la Suède ou la Grande-Bretagne via les Balkans. Que se passera-t-il quand les portes de l'Eldorado se fermeront ? La situation à Calais illustre les dégâts du « Chacun pour soi et à la grâce du sort »... Le débat sur le bon dosage entre intégration et contrôle est d'une parfaite irréalité. Le problème est ailleurs et les solutions aussi.
Le groupe RDSE s'abstiendra sur la motion, en déplorant que les vraies questions ne soient pas abordées et que le temps des décisions qu'impose la gravité de la situation ne soit pas venu. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Michel Mercier . - Qu'est-ce qui a opposé le Sénat et l'Assemblée nationale ? Avant tout, la délivrance de plein droit d'une carte pluriannuelle de séjour pour quatre ans, alors que le Sénat souhaitait préserver le pouvoir d'appréciation du préfet chaque année. L'échec était inévitable. Et la question préalable logique.
L'Assemblée nationale a certes retenu des amendements rédactionnels du Sénat, mais les logiques sont radicalement différentes. Elle aura le dernier mot. Mais nous pensons qu'il ne faut pas désarmer l'autorité administrative dans le contexte que nous connaissons. Ce n'est pas faire offense aux étrangers et n'empêche pas l'intégration.
C'est pourquoi le groupe UDI-UC suivra le rapporteur et votera la question préalable. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Éliane Assassi . - La version du texte revue par la droite sénatoriale a été rejetée à l'Assemblée nationale parce qu'elle aggravait la précarité des étrangers en situation régulière et renforçait le contrôle de ceux-ci tout en facilitant l'éloignement.
Le projet de loi initial manquait d'ambition. Si la droite sénatoriale « court après l'extrême droite », comme disent les sénateurs socialistes, les mêmes approuvent le parachèvement de la loi Besson...
Nous ne sommes pas mécontents que les députés aient rejeté les mesures sécuritaires ou restrictives votées par le Sénat - comme sur l'Aide médicale d'État (AME). Nous nous félicitons aussi de l'extension aux étrangers du service civique. Mais l'Assemblée nationale s'est bien gardée de renoncer à la possibilité de revenir à tout instant sur la délivrance d'un titre de séjour...
Les articles 8 et 25 créent les conditions d'un contrôle renforcé avec levée du secret professionnel. Toutes sortes d'organismes, Pôle emploi, les écoles et universités, les établissements de santé publics et privés, les banques, les fournisseurs d'énergie auront désormais l'obligation de transmettre aux préfectures toutes pièces que celles-ci jugeront utiles. Sans commentaire...
Pour nous, les étrangers ont besoin de droits pour s'intégrer, et non l'inverse.
Monsieur le rapporteur, vous dénoncez le laxisme de l'Assemblée nationale et l'aveuglement du Gouvernement. Quand le Premier ministre assène à Munich vouloir « faire passer un message d'efficacité et de fermeté » et que « l'Europe ne peut accueillir davantage de réfugiés », cela devrait vous rassurer ! Propos édifiants et révélateurs d'un glissement politique : la peur du monde et des mouvements du monde est érigée en dogme en Europe. Tous les défenseurs des droits de l'homme ont été scandalisés par la loi récemment votée au Danemark, qui prévoit notamment la confiscation des biens des migrants. Les dérives identitaires, les replis nationaux ne sont pas dignes de notre vieux continent et de notre République.
« C'est par la différence, dans le divers que s'exalte l'existence », écrivait Victor Segalen. Puissent ces mots nous inspirer pour en finir avec ce climat nauséabond ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Jean-Yves Leconte . - Il s'agit ici du droit des étrangers en situation régulière, non de l'accueil des réfugiés. Ce texte attendu depuis longtemps apporte de notables améliorations à notre droit : il sécurise le parcours d'intégration, contribue à l'attractivité de la France et garantit l'effectivité des droits en même temps que l'efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière. Il offre une solution pragmatique à l'engorgement des préfectures - devant lesquelles des files d'attente se forment dès 3 heures du matin... Intégrer, c'est aussi simplifier.
Je me félicite aussi de l'octroi d'un titre de séjour de plein droit aux membres de la famille de Français. Mais les relevés biométriques devraient être facultatifs si nous voulons renforcer notre attractivité auprès des étudiants étrangers, car certains consulats sont difficilement accessibles - par exemple au Japon ou au Brésil.
Le droit des étrangers malades mériterait d'être renforcé. Sanctionner un étranger qui ne se rend pas à une convocation sans motif légitime pose également problème. J'avais proposé une carte de séjour permanente après quinze ans, et l'interdiction de la rétention des mineurs. S'agissant du titre de séjour pour les enfants placés à l'aide sociale à l'enfance, la récente circulaire ne règle pas tout.
Je regrette certaines dispositions nouvelles introduites à l'Assemblée nationale, par surprise, comme la compétence de l'autorité administrative pour prononcer l'irrecevabilité d'une demande d'asile. Le principe de la compétence exclusive de l'Ofpra est dangereusement battu en brèche.
M. Charles Revet. - Tout le monde est contre !
M. Jean-Yves Leconte. - Je regrette que la question préalable nous prive d'y revenir.
Pas d'intégration sans égalité des droits : voilà l'esprit de la réforme. Nous considérons que dans certaines situations des droits doivent être reconnus de plein droit ; la majorité sénatoriale entend laisser à l'autorité administrative une liberté d'appréciation...
M. le président. - Veuillez conclure...
M. Jean-Yves Leconte. - La mise en place de quotas...
M. le président. - C'est terminé...
M. Jean-Yves Leconte. - ... est contraire au respect des droits. La droite sénatoriale a fait de la provocation...
M. Charles Revet. - Vous dites le contraire des députés socialistes !
M. Jean-Yves Leconte. - ... ce qui a rendu impossible tout accord entre les deux assemblées. Il est dommage que le Sénat se prive de cette nouvelle lecture en votant la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. le président. - Il est dommage aussi de ne pas respecter son temps de parole. C'est peu respectueux de vos collègues...
M. Roger Karoutchi. - Et de la présidence !
Mme Esther Benbassa . - Le Sénat avait considérablement durci ce projet de loi, jusqu'à en changer le titre : projet de loi portant diverses mesures relatives à la maîtrise de l'immigration.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Cela résumait son ambition.
Mme Esther Benbassa. - À la question du droit des étrangers, la droite répond : « maîtrise de l'immigration »... Tout est dit. Tout au long du débat, il s'est attaché à limiter l'octroi du titre pluriannuel, à restreindre l'accès à l'AME, à durcir les conditions du regroupement familial, à conditionner le droit au séjour pour raisons médicales...
Si le projet de loi initial était loin de nous satisfaire, son adoption sera un moindre mal. Les articles 8 et 25 imposent à une longue liste d'administrations et d'entreprises de fournir à la préfecture toutes les pièces qu'elle jugera utiles pour contrôler la sincérité de la demande de séjour et l'exactitude des déclarations. Comme le relève la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), cette mesure est une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale ; le Défenseur des droits l'a jugée comme la disposition la plus contestable du texte.
L'article 19 légalise la rétention de mineurs, pratique indigne de notre pays. L'enfermement de mineurs en centre de rétention administrative, considéré par la CEDH comme un traitement inhumain et dégradant, a concerné 5 692 enfants en 2014, dont 5 582 à Mayotte. Nous n'aurons, hélas, pas l'occasion d'en débattre...
Je suis soulagée, cependant, de ne pas avoir à revivre les postures que nous avons vues en première lecture, particulièrement violentes...
M. Roger Karoutchi. - Des deux côtés !
Mme Esther Benbassa. - Lorsqu'il est question d'immigration, certains ont du mal à résister à la tentation de l'amalgame et de la diabolisation des étrangers... Au moins ces discours nous seront-ils aujourd'hui épargnés ! (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche).
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) D'évidence, les dispositions introduites en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement seront censurées par le Conseil constitutionnel : le Gouvernement s'est fourvoyé.
Voir revenir de l'Assemblée nationale un texte désossé, les députés n'ayant rien retenu de notre travail, c'est désagréable... Puisque l'on nie le rôle du Sénat, autant voter la question préalable.
Le Gouvernement manque ici une belle occasion. Quand Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, a annoncé ce projet de loi, il parlait bien d'immigration - mais il semble que la question de l'immigration soit taboue. Pourtant, en parler - ici même au Parlement - est le meilleur moyen de dissiper les fantasmes !
M. Philippe Kaltenbach. - Eh bien, débattons-en !
M. Roger Karoutchi. - Proposer des quotas, en quoi est-ce raciste ou sectaire ? Il faut tenir compte de la réalité.
M. Jean-Yves Leconte. - Déni de réalité !
M. Roger Karoutchi. - Notre situation démographique, budgétaire et et économique n'est pas celle de l'Allemagne. Il nous faut pouvoir dire combien d'entrants nous pouvons accepter et dans quelles conditions nous pouvons les accueillir.
J'ai toujours protesté contre la faiblesse des moyens de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) consacrés à la formation à la citoyenneté. Croyez-vous digne de refuser tout contrôle de l'immigration et de ne rien faire pour que ceux qui sont ici s'intègrent ? Ce n'est pas cela, la République ! C'est un mensonge permanent à l'égard des étrangers comme des Français ! (Protestations à gauche)
Ayons une politique migratoire digne de ce nom, contrôlée. Ceux qui entrent, intégrons-les, éduquons-les, donnons-leur un emploi et un logement décent, sinon cela n'a pas de sens ! La tradition de tolérance, d'ouverture, de liberté, d'intégration à la nation française exige que l'on fixe des règles pour l'accès à la citoyenneté. La première des libertés, c'est la dignité et elle est de notre côté ! (Vifs applaudissements à droite et au centre)
M. André Reichardt . - Quelle déception que le Gouvernement et sa majorité refusent une fois de plus d'entendre le Sénat... Sur l'immigration, notre position se résume en trois points : une politique juste à l'égard des étrangers en situation régulière, la fermeté contre l'immigration irrégulière et la préservation de nos valeurs.
Dès 2004, la Cour des comptes a souligné la situation plus que préoccupante d'une bonne partie de la population issue de l'immigration la plus récente, à l'origine de tensions sociales et raciales lourdes de menaces. Depuis, l'immigration clandestine n'a cessé de progresser : on le constate au nombre de bénéficiaires de l'AME, qui a augmenté de 35 % en trois ans, et au nombre de déboutés du droit d'asile - dont 50 000 deviennent chaque année des clandestins.
La France ne peut plus laisser se maintenir sur le territoire national des personnes qui y entrent et y demeurent illégalement. Mais le Gouvernement refuse de voir la réalité en face et de prendre les bonnes mesures. Le Sénat entendait maintenir les équilibres de la loi de 2011. Le Gouvernement, lui, continue à assouplir la naturalisation, supprime le droit de timbre pour l'accès à l'AME...
M. Jean-Yves Leconte. - Égalité des droits !
M. André Reichardt. - En s'opposant à nos positions réalistes, il a fait échouer la commission mixte paritaire. Bien plus, il a fait introduire en nouvelle lecture de nouvelles dispositions sans lien avec le texte, ce qui est peu constitutionnel...
L'Union européenne a enregistré 1,83 million d'entrées irrégulières sur son territoire cette année, six fois plus qu'en 2014. De simples garde-frontières ne suffiront pas à endiguer ces flux ! Le simple contrôle aux frontières est une fiction.
Ce texte ne répondant pas aux exigences du moment, je voterai la question préalable. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Evelyne Yonnet . - L'immigration sera un enjeu majeur des décennies à venir, quand plus de 250 millions de personnes fuiront le réchauffement climatique. Les réfugiés climatiques, au nombre de 83 millions entre 2011 et 2014, sont déjà deux fois plus nombreux que les réfugiés de guerre... Les étrangers contribuent positivement à l'économie française, s'implique dans le monde associatif et culturel : ils nous ouvrent sur le monde. Face à la tentation du repli sur soi, les migrations nous rappellent que nous ne sommes qu'une partie d'un tout.
Après la réforme du droit d'asile, le Gouvernement s'est attaché, par les circulaires de 2012 et 2014, à améliorer l'accueil des étrangers en préfecture. Merci au rapporteur de l'Assemblée nationale d'avoir rétabli le texte initial. Ce projet de loi contient de nouvelles avancées : titres pluriannuels, meilleur encadrement de la rétention en cas de présence de mineurs...
Restent des interrogations, sur le transfert de compétences de l'ARS à l'Ofii par exemple, sur l'accès au regroupement familial pour les bénéficiaires de l'AAH ou sur les tests osseux dont la marge d'erreur est de deux ans au moins. Nous en reparlerons dans la loi relative à la protection de l'enfant. Enfin, l'extension du recours à la force publique à l'article 18 ne nous satisfait pas.
Nous nous opposerons à la question préalable, souhaitant faire avancer les droits des étrangers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Abdourahamane Soilihi . - Ce débat témoigne des difficultés d'intégration des étrangers et de l'urgence qu'il y a à endiguer les flux migratoires. La situation est particulièrement grave à Mayotte, comme le relevait récemment la Cour des comptes qui appelle à définir clairement les étapes d'une départementalisation réussie. L'accueil et l'intégration des étrangers relèvent de la coresponsabilité du département et de l'État. L'extension du Ceseda à Mayotte, en 2014, n'a apporté aucune réponse et je regrette que la commission des lois s'oppose une nouvelle fois à mon amendement. Les outils pour résorber le flux migratoire qui nous étouffe sont mal déployés, la charte conclue avec les Comores ne produit aucun résultat.
L'intégration des étrangers à Mayotte est un problème à résoudre avec les élus mahorais. La maîtrise des flux migratoires est une tâche avant tout régalienne. Demandant que le Sénat apporte son soutien à la résolution de cet épineux problème, je voterai la question préalable. (Applaudissements au centre et à droite)
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Buffet, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France (n° 339, 2015-2016).
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Je propose au Sénat de décider qu'il n'y a pas lieu de poursuivre l'examen de ce projet de loi.
En première lecture, le Sénat avait adopté des solutions différentes de celles de l'Assemblée nationale, en maintenant notamment les équilibres de la loi du 16 juin 2011. Le Sénat avait aussi fait le choix, pour certaines dispositions, de s'inscrire dans la logique du texte, en poursuivant les efforts de clarification et de simplification entrepris. Ainsi, sans remettre en cause le principe d'une procédure accélérée de contestation des obligations de quitter le territoire français (OQTF) prises sur certains motifs, le Sénat avait circonscrit cette procédure aux seuls étrangers déboutés du droit d'asile, considérant que cette catégorie pose les difficultés les plus grandes en matière d'éloignement.
S'alignant sur la directive Retour, le Sénat avait étendu la durée maximale des mesures d'interdiction de retour à cinq ans au lieu de trois, sans durée maximale en cas de menace grave à l'ordre public. Au regard de la menace actuelle, cette dernière mesure avait toute sa justification.
Enfin, constatant la volonté du Gouvernement de promouvoir l'assignation à résidence, le Sénat avait créé deux mécanismes renforçant les garanties : la validation par le maire de l'attestation d'hébergement et la possibilité d'un cautionnement par l'étranger.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture ne prend en compte aucune des préoccupations exprimées par le Sénat, même lorsqu'il s'agissait de garantir l'efficacité des mesures proposées.
Des dispositions nouvelles, sans relation directe avec les dispositions restant en discussion ont été introduites par les députés. Ainsi de la modification du code du service national pour faciliter l'accès des étrangers au service civique, ou de la possibilité pour l'autorité administrative d'opposer l'irrecevabilité à une demande d'asile déposée au-delà du délai de cinq jours, qui déroge au principe selon lequel seul l'Ofpra peut déclarer irrecevable une demande d'asile. Un tel procédé est contraire à l'article 45 de la Constitution.
Mettons l'Assemblée nationale face à ses responsabilités. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Philippe Kaltenbach . - Axé sur l'accueil, l'attractivité et la lutte contre l'immigration clandestine, ce projet de loi, initialement équilibré, a été dénaturé par le Sénat. Lorsque l'on fonde une opposition stérile sur des raisonnements simplistes, que l'on agite le chiffon rouge, comment s'étonner de l'absence de consensus ?
Heureusement, le texte a été corrigé et retrouve son humanisme et sa fermeté, les deux fils conducteurs de la politique du Gouvernement depuis 2012. Dans sa sagesse, l'Assemblée nationale a refusé un débat annuel au Parlement pour fixer des quotas.
Mme Isabelle Debré. - Très dommage !
M. Philippe Kaltenbach. - M. Hortefeux lui-même y avait renoncé, convenant que c'était inutile et contreproductif. L'immigration de travail est en effet, depuis 1974, devenue marginale, puisqu'elle est conditionnée par le défaut de nationaux susceptibles d'occuper les emplois visés. Aujourd'hui, l'immigration tient au regroupement familial, aux mariages, au droit d'asile et aux étudiants : les quotas d'immigration économique ne sont pas utiles, vous ne les avez proposés que par affichage politique.
L'Assemblée nationale a aussi voté des mesures de fermeté, comme la possibilité pour l'autorité administrative de déclarer irrecevable une demande d'asile dilatoire, ou la procédure accélérée de contestation d'une ODTF.
Cette motion nous empêcherait de poursuivre le débat, de chercher à convaincre.
Le rapporteur déplore que l'Assemblée nationale n'ait pas retenu... des mesures de pur affichage !
M. Philippe Bas, président de la commission. - Encore faut-il le démontrer !
M. Philippe Kaltenbach. - Le Sénat n'avait pas voulu du titre pluriannuel de séjour, coeur de ce projet de loi, mesure de bon sens pour résorber les queues devant les préfectures. Il avait systématiquement restreint les nouveaux droits des étrangers, réduit le nombre de personnes éligibles. Dans ces conditions, on comprend - même si je le regrette - que l'Assemblée nationale n'ait pas souhaité s'engager dans un débat de fond. Les ajouts de l'Assemblée nationale relèvent du bon sens : pourquoi être vent debout contre l'ouverture aux étrangers du service civique, facteur d'intégration ?
Avec cette question préalable, vous éludez le débat. Le groupe socialiste votera contre : nous avons été élus pour débattre, et ce n'est pas rendre service au Sénat que de l'enfermer dans une opposition systématique. Le débat n'est jamais inutile, comme le montre la reprise par l'Assemblée nationale de plusieurs amendements que j'avais défendus ici, sans succès, notamment sur l'extension de plein droit de la carte de résident lors du renouvellement ou l'accès des associations aux zones d'attente. Et nous entendions continuer à faire des propositions.
Au lieu d'une opposition frontale entre deux conceptions du droit des étrangers, nous aurions pu rechercher des compromis. Vous continuez à instrumentaliser la question des étrangers, à les présenter comme un danger, de nourrir la thèse fallacieuse de l'envahissement, qui profite à l'extrême-droite...
Pourtant, dans un monde globalisé, il faut tirer le meilleur parti de l'immigration, qui est incontournable.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Philippe Kaltenbach. - Le quart des prix Nobel américains étaient des personnes issues de l'immigration ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État . - Veuillez excuser M. Cazeneuve, retenu à l'Assemblée nationale.
Vous regrettez, monsieur le rapporteur, que les députés aient balayé votre texte d'un revers de main, ce n'est pas le cas. Si les points de vue étaient difficilement conciliables, des améliorations que vous aviez apportées ont été conservées et permis d'améliorer encore le texte en nouvelle lecture.
Sur le fond, vous avez voulu vous en tenir au statu quo de la loi du 16 juin 2011, alors que l'ambition du texte était de moderniser le droit des étrangers. Vous limitiez à la portion congrue le titre pluriannuel et mainteniez les tracasseries administratives ; vous revendiquiez le statu quo sur le régime du contentieux de la rétention, pourtant doublement insatisfaisant. Faut-il rappeler les échecs de la politique d'éloignement menée par la précédente majorité, mal dissimulés par les statistiques ?
Les quotas ne sont conformes ni à nos valeurs républicaines, ni à nos principes constitutionnels, ni à nos engagements internationaux. Cependant, des améliorations du Sénat ont été maintenues - et je vous remercie de ces contributions. L'Assemblée nationale a ainsi maintenu l'article 8 bis A, inséré par le Sénat, sur la réserve d'ordre public en matière de délivrance et de renouvellement du titre de séjour ; de même, à l'article 15, le prolongement de l'interdiction de séjour au-delà de cinq ans en cas de menace à l'ordre public ; à l'article 16, la pérennisation du régime dérogatoire en Guadeloupe et à Saint-Barthélemy ; à l'article 22 bis A, l'information des étrangers en rétention sur l'exercice de leurs droits - mesure qui figurait dans le rapport de M. Buffet et Mme Assassi ; enfin, à l'article 23 bis, à l'initiative du groupe socialiste du Sénat, le droit d'accès des associations aux zones d'attente. Vous avez entouré de garanties la rétention de familles avec enfants et sécurisé la procédure d'escorte à l'article 18.
L'Assemblée nationale a précisé certains points en nouvelle lecture, dans un esprit de rigueur et d'apaisement et dans le plein respect des procédures parlementaires - notamment pour améliorer la coordination et l'articulation avec la loi du 29 juillet 2015. C'est pourquoi je vous appelle à rejeter la question préalable - en vous remerciant encore pour vos améliorations, qui demeureront. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Michel Savin . - Le Sénat a beaucoup travaillé en première lecture, mais le Gouvernement et la majorité à l'Assemblée nationale ne nous ont pas suivis, détricotant le texte, à l'envers de l'attente de nos concitoyens. Nous sommes déçus que notre travail ait trouvé si peu d'écho.
Le Sénat avait opté pour la simplification. Sur les titres pluriannuels, les préfets doivent garder leur capacité d'appréciation et ces titres ne doivent pas être généralisés ; la condition de maîtrise de la langue française doit être remplie.
Ensuite, le Parlement doit être associé à la détermination du nombre d'étrangers admis sur notre territoire.
Enfin, rien dans ce texte sur les sportifs étrangers mineurs, sujet pourtant d'actualité : d'origine majoritairement africaine, ils sont abandonnés à eux-mêmes dans les clubs.
Je suivrai le rapporteur et voterai la motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
À la demande de la commission des lois, la motion n° 1 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°156 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l'adoption | 187 |
Contre | 138 |
Le Sénat a adopté la question préalable.
En conséquence, le Sénat n'a pas adopté le projet de loi en nouvelle lecture.
La séance est suspendue à 19 h 30.
présidence de M. Hervé Marseille, vice-président
La séance reprend à 21 h 35.