Débat préalable au Conseil européen des 17 et 18 décembre 2015
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 décembre 2015.
Orateurs inscrits
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - Le Conseil européen des 17 et 18 décembre est une fois encore placé sous le signe de l'urgence et des crises. L'Europe devra faire la preuve qu'elle est capable de faire face aux défis historiques que représentent la question des réfugiés ou celle du terrorisme.
L'alternative est la suivante : soit une addition de réponses nationales non coordonnées donc inefficaces, qui feront exploser l'Europe ; soit une réponse collective, solidaire, responsable et crédible. En un mot, soit l'Europe se resserre, soit elle se défait.
Certes le flot de migrants se tarit - un tiers de moins en novembre - mais les questions de la répartition des réfugiés, des hotspots, renforcement de Frontex, du retour des déboutés dans leur pays, de la lutte contre les réseaux de passeurs, de la coopération avec les pays d'origine restent posées. La soutenabilité de l'espace Schengen dépendra de la mise en oeuvre de toutes les décisions prises ces derniers mois.
La Commission européenne a présenté aujourd'hui un paquet « Frontières » qui comprend une révision ciblée du code Schengen, avec un contrôle systématique des voyageurs, y compris européens, aux frontières extérieures ; la révision du mandat de Frontex, qui doit être doté d'une autonomie opérationnelle et de compétences accrues ; ou encore, la création d'une garde européenne aux frontières. Le sommet récent avec la Turquie a tracé des voies de coopération, nous verrons au printemps si Ankara a tenu ses engagements.
Autre défi : la menace terroriste. Avec les attentats du 13 novembre, toute l'Europe s'est sentie visée, comme l'ont montré les témoignages de solidarité que nous avons reçus, preuve que l'Europe est une communauté de valeurs. Mais cette solidarité d'émotion doit être convertie en solidarité d'action, dans le cadre de la résolution 22.49 de l'ONU, pour lutter contre Daech.
Après les attentats, nous avons sollicité l'assistance de nos partenaires européens, conformément à l'article 42.7 du traité sur l'Union européenne. Déjà, certains pays nous assistent au Sahel, au Levant, en Centrafrique.
Un accord a été trouvé en vue d'un PNR accessible et efficace, qui devrait être adopté par le Parlement européen prochainement. Il faut avancer de même sur le contrôle aux frontières, la lutte contre les trafics d'armes et améliorer le partage d'informations entre les services.
Enfin, l'Europe doit aussi avancer sur la croissance et l'emploi. Le Conseil examinera le rapport des cinq présidents. La France juge indispensable en particulier de renforcer l'union bancaire, d'approfondir la gouvernance de la zone euro, de renforcer le marché intérieur, d'achever le marché unique du numérique, l'union des marchés de capitaux, et l'union de l'énergie pour traduire en actes les engagements pris lors de l'adoption du paquet énergie-climat en octobre 2014 et lors de la COP21.
Celle-ci a été une grande victoire. Le Conseil devrait inviter la Commission à présenter une feuille de route sur la base des conclusions de la conférence.
Le Conseil devrait aussi examiner les demandes de M. Cameron avant le référendum britannique. Enfin, la situation en Syrie fera forcément l'objet d'échanges entre les partenaires européens. M. Fabius a reçu à ce sujet, hier, plusieurs représentants de pays membres du processus de Vienne, qui conviennent de lier cessez le feu et transition politique crédible.
L'Europe souffre de son inachèvement : une union monétaire sans union économique, une zone de libre circulation intérieure sans contrôle suffisant aux frontières extérieures communes, un marché intérieur sans harmonisation fiscale et sociale, sans action commune dans ces domaines d'avenir que sont le numérique et l'énergie. Répondre à l'urgence tout en parachevant la construction européenne, c'est la meilleure réponse à apporter à ceux qui veulent détruire le projet européen. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
M. David Rachline . - L'ordre du jour est presque le même que celui d'octobre dernier : preuve que les choses avancent bien lentement. C'est que les technocrates européens ont pour seule obsession, non pas de répondre aux attentes des citoyens, mais d'éviter de remettre en cause leur idéologie : si bien qu'ils passent leur temps à corriger les conséquences néfastes de leurs décisions passées.
À l'ordre du jour du Conseil européen, la crise des migrants et le terrorisme islamiste, un mot que les technocrates, eux, ne savent pas prononcer. Sur le premier sujet, il y a une solution très simple : des frontières ! Il nous faudra rétablir des frontières nationales, pour savoir et choisir qui vient chez nous. Ne pas le faire serait une insulte aux victimes du 13 novembre.
Autre sujet, le traité transatlantique, soutenu par la Commission, mais dont les peuples ne veulent pas. Nous refusons que l'Europe devienne un machin, pour reprendre le mot du général de Gaulle, obéissant aux lois du marché, subissant l'autoritarisme des institutions européennes, niant la souveraineté des nations.
Enfin, je m'étonne de l'annonce de la relance des négociations d'adhésion avec la Turquie, comme par hasard au lendemain des élections régionales... La Turquie est un partenaire - qui doit d'ailleurs clarifier ses liens troubles avec l'État islamique - mais elle n'a pas sa place dans l'Union européenne.
L'Europe me fait songer à l'URSS dans la deuxième moitié des années 80. On sait que ça ne fonctionne pas, et pourtant on veut aller encore plus loin. (Mme Fabienne Keller proteste) Rappelez-vous ce qu'il en est advenu !
M. Jean-Claude Requier . - Une nouvelle fois la crise migratoire et le contrôle des frontières sont à l'ordre du jour du Conseil européen. Nous devons éviter l'amalgame entre réfugiés et terroristes. Pourtant, force est de constater que les frontières se ferment : la Suède prend des mesures de restriction, le gouvernement néerlandais imagine un mini-Schengen, etc. L'espace Schengen est menacé. Tant que le conflit syrien ne sera pas réglé, la crise continuera. C'est pourquoi il importe à la fois de conserver des conditions d'accueil digne pour les réfugiés et de nous protéger, sans renoncer à nos valeurs.
Pas moins de cinq sommets européens ont eu lieu, définissant une politique de relocalisation. L'accord avec la Turquie va dans le bon sens, même si Ankara ne s'est pas engagée sur des objectifs chiffrés.
La principale menace n'est pas le démantèlement de la zone euro mais la restauration de frontières intra-européennes. Nous soutenons la création d'un corps de garde-frontières européens, l'élargissement du mandat de Frontex, et l'instauration de contrôles systématiques et coordonnés aux frontières extérieures.
Si solidarité et responsabilité ne se conjuguent pas très vite, c'est l'idée européenne qui sera menacée. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Très bien.
M. Pascal Allizard . - Crise ukrainienne, crise de la zone euro, attentats, crise migratoire : l'année 2015 a conduit l'Europe au bord du désastre. Les pessimistes déplorent que la seule Europe qui fonctionne soit celle des terroristes. Aux optimistes, dont je suis, de montrer une autre voie, avec courage.
L'Europe paie comptant ses renoncements et ses incohérences. Elle est violemment attaquée de l'intérieur. Les populations ont l'impression d'être abandonnées. L'Italie est submergée de réfugiés, une Grèce exsangue voit les migrants affluer, or les moyens manquent aux frontières extérieures pour les contrôler efficacement, relever les empreintes, détecter les faux documents d'identité. Comment accepter cette impuissance, voire cette anarchie ?
Où en est la création d'un corps de garde-frontières européens ? Quid de la participation de la France pour renforcer les hotspots ?
Comment distinguer les réfugiés des migrants économiques ? Si ces derniers ne sont pas éloignés rapidement, les hotspots seront vite congestionnés. La Grèce serait menacée d'exclusion de l'espace Schengen : quelle sera la position du Gouvernement ?
À ne pas voir à temps la réalité, on se condamne à l'urgence. L'opération navale Sophia se déroule en Méditerranée contre les réseaux, mais il faudrait agir aussi dans les eaux territoriales de la Libye. Où en est-on du projet de résolution aux Nations-Unies ? L'accord avec la Turquie est une bonne chose... si nous pouvons en contrôler l'application effective.
Il faut aussi renforcer le partenariat oriental au service de la stabilité européenne - sans négliger la Russie.
En ces moments difficiles, nous avons une chance historique pour affirmer la place et le rôle de l'Union européenne comme puissance politique et non comme simple supermarché. (Applaudissements à droite)
M. Yves Pozzo di Borgo . - L'ordre du jour de ce Conseil change peu par rapport à celui d'octobre. Sur le Brexit, évitons les caricatures : les demandes formulées par M. Cameron doivent être l'occasion d'une réflexion dynamique sur l'Union européenne et les cercles plus ou moins intégrés qui la composent. Pierre Fauchon, dans son rapport sur les frontières de l'Europe, avait déjà tracé les pistes d'approfondissement du projet européen : renforcement de la gouvernance de la zone euro, espace effectif de liberté, de sécurité et justice, politique climat et énergie... Monsieur le ministre, quelles sont les positions du Gouvernement sur ces sujets ?
Après les attentats, la France a demandé l'aide de ses partenaires en invoquant l'article 42.7. L'Allemagne, le Royaume-Uni ont répondu rapidement ; mais l'aide reste modeste. Il n'y a pas de véritable prise de conscience des États membres que tous auraient pu être touchés. Les attentats révèlent cruellement l'absence d'une politique de défense européenne. L'Otan ne suffit pas. Les frontières de Schengen ont été renforcées et nous fermons peu à peu nos frontières : c'est exactement ce repli qu'attendent les terroristes !
Les accords de Minsk se sont accompagnés de sanctions économiques à l'encontre de la Russie. Leur prolongement mérite débat. La Russie est désormais notre alliée en Syrie ! Demandons une levée des sanctions européennes et, réciproquement, des sanctions russes à l'égard de l'Europe, dont nos agriculteurs souffrent tant. Tout le monde y perdra si nous continuons à humilier les Russes. (Applaudissements sur plusieurs bancs au centre et à droite)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Très bien !
M. Éric Bocquet . - Depuis un mois, les mesures anti-terroristes s'accumulent. Attention toutefois à éviter les réactions précipitées. Quels garde-fous aurons-nous sur l'utilisation des données personnelles du PNR ? La refonte du code Schengen est également problématique. Les États sont déjà bien équipés pour contrôler les frontières. Pour vaincre Daech, l'approche militaire ne suffira pas, l'Europe doit aussi lutter contre la radicalisation sur son sol, par une stratégie commune.
On appelle à renforcer le contrôle des migrants, mais selon quels critères ? Les plus vulnérables seront-ils protégés, à commencer par les mineurs, très nombreux en Italie ? La Grèce est souvent mise en cause, considérée comme une passoire pour terroristes. Mais interrogeons-nous aussi sur nos relations avec la Turquie dans la gestion des flux...
Nos valeurs communes ne peuvent être fondées uniquement sur la finance. M. Draghi le concède lui-même, nos économies atones doivent être dynamisées, et la BCE a annoncé un assouplissement de sa politique monétaire : preuve que nous sommes loin d'être sortis de la crise. De nouvelles bulles spéculatives apparaissent tandis que l'austérité pénalise notre économie. Une politique de soutien à la demande est nécessaire, pas seulement à l'offre. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. Michel Delebarre . - Tous les États sont concernés par la menace terroriste. Établir un parallèle entre l'arrivée des migrants et le terrorisme est infondé. Déjà, Frontex a été renforcé, une aide financière accordée à la Turquie, les politiques de co-développement améliorées.
Il faut agir à la source. La libre circulation est un atout majeur de l'Union européenne. Schengen n'est pas un problème, mais une solution. On maîtrisera les flux en créant des garde-frontières européens. L'échange d'informations entre État est indispensable ; en particulier, le fichier du système d'information Schengen doit être rempli systématiquement par les États membres,... Je salue l'adoption du PNR en commission au Parlement européen. Je ne comprends pas d'ailleurs très bien la position de l'extrême droite qui a voté contre. Les actes sont loin des discours... Le vote en séance plénière aura lieu en janvier.
Le Parlement européen a obtenu des garanties sur l'usage des données personnelles - je regrette cependant qu'il n'en soit pas de même concernant leur transmission aux pays tiers. L'Europe doit montrer qu'elle veut avancer, sur tous les domaines. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
M. André Gattolin . - Face au terrorisme djihadiste et à la crise migratoire, l'Union européenne avance péniblement, ralentie par des contraintes budgétaires et les réticences nationales.
Outre ces deux urgences, d'autres questions inscrites à l'ordre du jour méritent notre attention. Le Royaume-Uni réclame un statut toujours plus dérogatoire. Une majorité des Britanniques, 52 %, soutiendrait un Brexit qui aurait des conséquences graves pour l'économie britannique - on parle d'une baisse de 14 points du PIB d'ici 2030 - et européenne. M. Cameron réclame une période de carence de quatre ans pour l'accès aux prestations sociales des travailleurs étrangers... et les familles britanniques seraient bientôt visées elles aussi. Le Royaume-Uni n'est pas l'eldorado que l'on décrit, les fractures y sont profondes.
M. Alain Gournac. - Mais 5,5 % de chômage seulement !
M. André Gattolin. - Pas du tout : si l'on intègre tous ceux qui ne sont pas indemnisés, le taux est le même qu'en France !
La Chambre des Lords s'est opposée à cette mesure, tandis que la Pologne ou la Bulgarie s'agacent que leurs ressortissants soient visés. M. Cameron remet implicitement en cause la liberté de circulation et de travail, ce sont des valeurs de l'Europe qu'il met ainsi à mal.
N'abdiquons pas face à cette stratégie périlleuse à laquelle s'emploie le Premier ministre britannique au lieu de défendre auprès des sceptiques l'intérêt de l'appartenance à l'Europe. Il se livre à un travail de sape à Bruxelles, en cherchant des alliés au Danemark, aux Pays-Bas. Ne cédons pas au chantage. Dans cette épreuve de feu, il serait temps, au contraire, de dénoncer le rabais britannique exorbitant.
L'Allemagne est très mobilisée sur le sujet et a créé une task force. Quelle est la position du Gouvernement ? La France participe-t-elle à cette réponse ? Céder aux revendications britanniques ouvrirait la boîte de Pandore et saborderait notre projet commun. Soyons fermes face au piège dangereux aujourd'hui tendu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances . - L'Europe traverse des temps de crise, décomposition de l'ordre mondial, répliques de la déstabilisation au Proche-Orient, crise économique. Or prenons-y garde : la construction européenne n'est pas un processus inéluctable, elle pourrait être rejetée, ce qui doit nous inciter à bâtir une union adaptée à la complexité des nouvelles relations internationales.
À l'heure où le prix du pétrole et du gaz s'effondrent, la Russie est menacée de voir ses difficultés économiques et budgétaires s'aggraver. Pourtant nous avons besoin d'elle en Syrie. La Russie s'est déclarée prête à restructurer le prêt de 3 milliards à l'Ukraine, mais le dossier achoppe à cause de l'opposition de certains pays européens et des États-Unis. Où en est-on ?
Quid aussi du rééchelonnement de la dette grecque ? Et dispose-t-on d'études sérieuses sur les conséquences d'un Brexit ?
Le Conseil européen examinera la question de la lutte contre le terrorisme. Le Gouvernement proposera-t-il d'aller plus loin dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, mise en place en mai dernier ? Nous pourrions nous inspirer du plan Sapin. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - Les attentats appellent une réponse ferme et coordonnée. La crédibilité de l'Union européenne est en jeu. Les flux de migrants doivent être maîtrisés, les réfugiés être accueillis avec clairvoyance.
Le contre-amiral Bléjean, la semaine dernière, nous a informés du déroulement de l'opération Sophia. Le Conseil de sécurité des Nations unies doit autoriser, enfin, une action maritime dans les eaux territoriales libyennes pour combattre les passeurs et la traite d'êtres humains.
Il faut soutenir les pays voisins de la Syrie, tout en appelant la Turquie à lutter contre les trafics en tout genre, pétrole, oeuvres d'art, à sa frontière avec la Syrie.
Il est crucial également de doter Frontex d'un statut adapté... et de moyens suffisants pour renforcer les contrôles aux frontières européennes.
Il faudra aussi relancer la construction européenne, protéger les acquis communautaires, renforcer la compétitivité du marché unique ; mais pas question d'être bloqué par le Royaume-Uni, qui conteste l'idée d'une union sans cesse plus étroite. Les coopérations doivent être renforcées, entre partenaires européens mais également avec les États-Unis ; les décisions de la zone euro ne sauraient cependant être bloquées par ceux qui n'en sont pas. La libre circulation est un acquis majeur. Non aux discriminations entre citoyens européens en fonction de leur nationalité.
Enfin, les accords de Minsk doivent être appliqués. La Russie a retrouvé sa place dans le concert des grandes nations en s'engageant dans la lutte contre Daech. La Russie, comme l'Ukraine, ont des pas à faire. Les sanctions sont-elles encore nécessaires ? Non, d'autant que notre agriculture en souffre, et que les sanctions individuelles semblent peu efficaces. Alors que nous avons noué une grande coalition contre Daech, il est temps de revenir sur ces sanctions.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État . - Les points de vue sont très convergents - à l'exception de M. Rachline. Rien n'empêche aujourd'hui de rétablir les contrôles aux frontières intérieures à l'espace Schengen, nous l'avons fait à la suite des attentats, et nous appelons à renforcer les contrôles aux frontières extérieures, comme la Commission européenne l'a aujourd'hui proposé.
C'est ainsi que nous saurons « qui vient chez nous », monsieur Rachline ! Dès que quelqu'un franchit une frontière de l'Union européenne, le contrôle doit être rigoureux, de manière à garantir notre propre sécurité. Mieux vaut deux contrôles qu'un seul ! Que chaque État qui constate l'entrée dans l'espace Schengen de personnes présentant un danger le signale au SIS, grâce à quoi tous les autres en seront immédiatement informés.
Les négociations en vue de l'adhésion de la Turquie ont été entamées en 1999. Un nouveau chapitre a été ouvert, sans en préjuger en rien l'issue - notre Constitution exige un référendum, pour toute éventuelle adhésion. La Turquie veut surtout renforcer sa coopération avec l'Union européenne, nous en avons besoin, car c'est un grand pays, frontalier de la Syrie - cette frontière doit d'ailleurs être mieux contrôlée, car trafiquants et terroristes la franchissent. La Turquie accueille aussi 2 millions de réfugiés syriens : mieux vaut qu'ils y restent, comme en Jordanie et au Liban, nous devons donc coopérer avec ces pays.
L'Union européenne, ce serait l'URSS d'aujourd'hui ? Dites-le donc aux Baltes ! (Applaudissements) Ensemble, nous sommes plus forts, face au terrorisme, dans la mondialisation... L'Union européenne est une grande réalisation de l'histoire du XXe siècle, comment la comparer à un régime totalitaire ?
Loin de démanteler Schengen, il faut le renforcer, comme l'a dit M. Requier, par des contrôles systématiques et coordonnés aux frontières extérieures.
C'est dans l'épreuve que l'on se révèle. L'idée d'un mini-Schengen est dénuée de toute pertinence, il faut au contraire renforcer ses moyens, M. Allizard a raison. Quant aux opérations en Méditerranée, nous souhaitons qu'un gouvernement libyen d'union nationale nous appelle à l'aide pour lutter contre les passeurs criminels.
Nous sommes défavorables à un éventuel Brexit, monsieur Pozzo di Borgo. Il est dans l'intérêt de l'Europe que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne, et c'est aussi dans l'intérêt de ce pays. M. Gattolin a souligné les effets économiques d'un Brexit. On peut combattre les abus dans le domaine des prestations sans remettre en cause les règles européennes. Que l'Europe puisse être rendue plus efficace, c'est certain, mais nous n'accepterons pas que l'on rétablisse la règle de l'unanimité dans les domaines où l'on a réussi à faire prévaloir celle de la majorité qualifiée. L'Europe est déjà différenciée - voyez les coopérations renforcées, Schengen, l'euro, la taxe des transactions financières. Cela ne confère aucun droit de veto pour un quelconque pays.
Nous ne sommes pas favorables à l'austérité, monsieur Bocquet. Le pacte de stabilité doit être appliqué intelligemment. Tous les outils de coopération contre le terrorisme, y compris le SIS, doivent être mobilisés, comme l'a justement dit M. Delebarre. M. Tusk mène les consultations avec le gouvernement Cameron, nous y restons attentifs, monsieur Gattolin.
M. le rapporteur général a rappelé la dette de l'Ukraine à l'égard de la Russie. Les sanctions à l'égard de ce pays seront levées dès lors que les accords de Minsk seront complètement appliqués.
Merci de cet échange fructueux. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, RDSE et du groupe socialiste et républicain)
Débat interactif et spontané
Mme Fabienne Keller . - La Grande-Bretagne souhaite, avant le référendum sur le Brexit, engager des négociations sur quatre sujets. Trois d'entre eux peuvent faire consensus : l'union toujours plus étroite, l'association des parlements et le marché intérieur. La libre circulation, en revanche, est un principe intangible. Quelle est la stratégie de négociation de la France ? M. Tusk, les Allemands, les Italiens ont tracé des pistes de compromis, mais la position de la France n'est pas très claire... Nous souhaitons tous que la Grande-Bretagne reste dans l'Union. Ce serait un mauvais signe qu'elle la quittât en ce moment !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État . - Cette négociation se mène à 28 et le président Tusk répond au nom de tous. La position de la France est parfaitement claire, elle a été répétée par le président de la République à Paris comme à Londres : nous souhaitons que la Grande-Bretagne reste dans l'Union européenne, c'est son intérêt et le nôtre alors que nous faisons face à des défis considérables. Les évolutions éventuelles doivent être pragmatiques, à traités constants. M. Cameron doit préciser ses demandes, et il n'est pas question de remettre en cause des principes tels que la libre circulation.
M. Richard Yung . - Nous aimons tous la Grande-Bretagne : un whisky, un bon feu de bois, un setter irlandais sur les genoux, quoi de mieux ? (Sourires) Mais les choses sont un peu plus compliquées... M. Cameron semble reculer sur la question de la libre circulation - en échange de quoi ?
Comme M. Gattolin, je ne crois pas qu'il faille aborder la négociation en annonçant que nous chercherons un compromis à tout prix. Nous ne sommes pas demandeurs !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - La Grande-Bretagne a choisi souverainement d'organiser un référendum sur une éventuelle sortie de l'Union européenne. Nous sommes prêts à aider les autorités britanniques à convaincre le peuple de ce pays que son intérêt est d'y rester. Nous sommes tout à fait prêts à discuter des questions soulevées par M. Cameron, non à remettre en cause de grands acquis comme la libre circulation.
Mme Nathalie Goulet . - Je ne vous interrogerai pas à nouveau, monsieur le ministre, sur la convention de sécurité intérieure signée avec la Turquie, enterrée à l'Assemblée nationale depuis quatre ans...
Selon le Home Treasury, la Suisse, le Lichtenstein et l'Espagne seraient en tête des pays où s'opère le blanchiment d'argent, source de financement dont profite Daech et le terrorisme en général. Qu'entend faire le Gouvernement français ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Nous plaidons pour un cadre renforcé de lutte anti blanchiment, et attendons des propositions concrètes de la part de la Commission européenne en janvier. Celles que la France a formulées le 2 décembre ont recueilli un large accord. M. Sapin a en outre réuni ses partenaires du Gafi au sein de l'OCDE récemment. Vu la menace terroriste, il ne peut plus y avoir de trou noir dans la finance mondiale.
M. Michel Billout . - Selon un texte en préparation, les industriels devront désormais s'assurer que les minerais qu'ils utilisent ne servent pas au financement du terrorisme. Cela concerne 600 000 entreprises européennes. Les négociations s'annoncent ardues. Quelle est la position du Gouvernement ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Nous sommes favorables à cette demande du Parlement européen, comme nous avons toujours soutenu ses positions en faveur de la responsabilité sociale des entreprises. Les multinationales doivent s'assurer qu'elles ne contribuent pas au financement des conflits. Nous soutiendrons cette proposition au Conseil.
Mme Colette Mélot . - L'Union économique et monétaire devait faire converger les économies européennes. La crise a crûment révélé une réalité tout autre... Les propositions formulées par les cinq présidents en matière économique, financière, budgétaire et politique sont pertinentes, mais l'harmonisation fiscale reste très insuffisante, malgré le projet BEPS et d'autres initiatives. Certes, la question touche à la souveraineté des États et la taxe sur les transactions financières montre qu'ils y restent sensibles. Mais une avant-garde devra montrer l'exemple. Le Gouvernement soutient-il cet objectif ? Comment associera-t-il les parlements nationaux ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Un marché unique sans convergence fiscale crée des distorsions de concurrence, nourrit l'optimisation fiscale... La pratique du rescrit fiscal doit être encadrée, et il faut avancer sur le projet d'assiette commune, y compris dans le cadre de l'OCDE.
Nous plaidons pour un serpent fiscal européen, comme on a réussi à le faire pour la TVA. Cela devrait pouvoir se faire aussi en matière d'impôt sur les sociétés. Nous y travaillons déjà avec l'Allemagne.
M. Jean-Yves Leconte . - La politique d'assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne aide plutôt au financement des dettes souveraines, en abaissant les taux, qu'elle ne sert l'économie réelle, quand elle ne crée pas des bulles... Conjuguée à la baisse de la croissance chinoise, elle crée les conditions d'une guerre des monnaies qui serait défavorable à tout le monde. L'introduction du yuan dans le panier de monnaies de référence en accroît le risque.
Les pays d'Afrique centrale dont la monnaie, le franc CFA, est liée à l'euro, auraient besoin d'une politique monétaire moins laxiste de la part de la Banque centrale européenne.
Quel premier bilan peut-on dresser de cette politique d'assouplissement quantitatif ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Cette injection de 60 milliards d'euros de liquidités par mois est efficace, puisqu'elle a permis le retour de la croissance. Elle doit être poursuivie. Alors que la croissance ralentit au Brésil et en Chine, l'Europe doit se soucier de ses moteurs internes de croissance. Bien sûr, il faut veiller à la prévention des bulles, c'est l'objet de nos règles prudentielles. Mais la priorité est le soutien à la croissance et à l'emploi. Cette politique d'assouplissement quantitatif doit aider les entreprises à se financer, donc à investir.
M. Robert del Picchia . - Mme Durrieu et moi-même nous sommes rendus à Moscou, où nous avons abordé la question des sanctions à l'égard de la Russie. Les choses vont mieux en Ukraine, pourquoi ne pas entamer une désescalade ? S'agissant des frontières, peut-être est-il temps de revoir les accords d'Helsinki.
Soutenez-vous la création d'un corps de garde-frontières européens, que le Sénat appelait déjà de ses voeux il y a huit ans ?
Mme Nathalie Goulet. - Très bonne question.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - En mars, le Conseil a lié la levée des sanctions à la mise en oeuvre complète des accords de Minsk. En juillet, les sanctions ont été prolongées jusqu'au 31 janvier 2016. Malgré des progrès importants, le calendrier a glissé. Lors de la réunion à Paris avec la Chancelière et le président de la République, les présidents russe et ukrainien sont convenus de se donner un peu plus de temps pour mettre en oeuvre les accords de Minsk. D'où la prolongation, de six mois seulement, des sanctions. Nous souhaitons que les relations entre la Russie et l'Ukraine se normalisent et que les sanctions puissent ainsi être levées.
M. Simon Sutour . - Mardi à 18 heures, c'est un horaire correct pour ce débat, mais nous regrettons que le temps dévolu aux groupes et au débat ait été réduit respectivement de huit à cinq minutes et de une heure à quarante-cinq minutes. Il est également dommage que la commission des lois ait été convoquée au même moment, contrairement à l'esprit du nouveau Règlement.
Mme la présidente. - Acte vous en est donné. Ce sera évoqué en Conférence des présidents.
M. Simon Sutour. - Pourquoi ne pas discuter avec le président russe et aller vers une graduation des sanctions ? L'Italie l'a demandé ; Baltes et Polonais l'ont refusé...
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - J'entends cette préoccupation largement partagée au Sénat. M. Renzi a fait des déclarations. Les sanctions ne sont pas une fin en soi, elles sont liées à la mise en oeuvre des accords de Minsk. J'insiste sur la nécessité de maintenir l'unité européenne.
M. Jean Bizet, président de la commission. - Je souscris à l'observation de M. Sutour. Moi aussi j'en parlerai en Conférence des présidents.
S'agissant des sanctions, l'unité européenne est certes importante. Mais pourquoi maintenir des sanctions personnelles à l'égard du ministre russe de l'agriculture, M. Tkatchev ? Je crois que M. Le Foll partage cette interrogation.
M. Marc Laménie . - Un mot sur les fonds structurels européens et la question de l'éligibilité des dossiers. Comment seront-ils instruits, à la suite du redécoupage régional ? Ces dossiers sont souvent très techniques, très lourds, et entravent les porteurs de projets.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Le décret sur l'éligibilité des dépenses devrait être publié avant la fin du mois. Les fonds européens, qui représentent plus de 2 milliards d'euros, seront désormais gérés par les régions, ce qui rapprochera les porteurs de projets de leurs interlocuteurs. Nous discutons de manière approfondie avec la Commission européenne afin de faciliter l'attribution de ces fonds.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - Le 6 décembre, dans les urnes, les Français ont exprimé leur désarroi. Je plaide pour la réindustrialisation de l'Europe, via une union énergétique permettant la maîtrise de l'approvisionnement et des coûts de l'énergie, le soutien au nucléaire qui est particulièrement vertueux dans l'esprit de la COP, ainsi qu'aux énergies renouvelables, et une réflexion sur l'uberisation de l'économie. Un débat devra avoir lieu avec les États du Nord, dont l'Allemagne sur un Nord Stream 2.
Autre dossier : l'Europe de la défense. Il est temps de passer du conceptuel à l'opérationnel, la France ne peut assumer seule la défense de l'Europe. Un Conseil européen de défense doit se réunir régulièrement.
Enfin, la sécurité intérieure doit être assurée. Concrétisons enfin le PNR européen. (Applaudissements à droite)
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - En effet, les Français ont exprimé des attentes en matière sociale, d'emploi et de sécurité. À nous de prouver que ce n'est pas en démantelant l'Union européenne mais en la renforçant que l'on répondra à ces attentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)