Disponible au format PDF Acrobat
Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Tuberculose en Seine-Saint-Denis
Raffinerie de Châteauneuf-les-Martigues-La Mède
Menaces sur l'industrie du Pas-de-Calais (I)
Menaces sur l'industrie du Pas-de-Calais (II)
Téléphonie mobile et internet dans le Cantal
Prolongement de l'itinéraire autoroutier Île-de-France - Haute-Saône - Territoire de Belfort
Avancée du dossier du « barreau » de ligne à grande vitesse Limoges-Poitiers
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont
Conditions d'indemnisation des victimes de terrorisme
Ponction des fonds de roulement des universités
Enseignement des langues régionales au collège
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique
Hommage aux victimes de l'accident en Gironde
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois
CMP (Demandes de constitution)
Surveillance des communications électroniques internationales (Procédure accélérée)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois
Ordre du jour du mercredi 28 octobre 2015
SÉANCE
du mardi 27 octobre 2015
14e séance de la session ordinaire 2015-2016
présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président
Secrétaires : M. Philippe Adnot, M. Jackie Pierre.
La séance est ouverte à 9 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions orales
M. le président. - L'ordre du jour appelle vingt-quatre questions orales.
Collecte du sang à Épernay
Mme Françoise Férat . - En avril, j'ai saisi Mme Touraine de la question de la fermeture du site de collecte de sang d'Épernay. Elle m'a répondu que le contrat d'objectifs et de performance 2015-2018 de l'Établissement français du sang prévoyait la poursuite de la rationalisation de la collecte. Mais, chose incompréhensible, la fermeture du site d'Épernay aurait des effets contraires à ceux que l'on dit rechercher. Les bénévoles devront se rendre dans une unité mobile, dans une salle disponible une fois par mois ! La fatigue des patients sera aggravée par leurs déplacements à Reims. Comment les malades d'hémochromatose seront-ils accompagnés ? Comment compte-t-on faire face à la baisse des dons du sang ?
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire . - Veuillez excuser Mme Touraine, qui est allée en Gironde rendre hommage aux victimes de la catastrophe de la semaine dernière.
Le contrat d'objectifs et de performance 2015-2018 de l'Établissement français du sang, signé le 10 juillet 2015, tend à rationaliser la collecte pour renforcer la qualité et le volume du sang mis à disposition des patients. L'accent est mis sur les centres de collecte urbains, en raison du glissement de la population vers les grandes villes et pour pouvoir collecter des sangs rares.
Épernay, un poste de transfusion sanguine jusqu'en 1995, est depuis lors une unité de collecte. On y a prélevé 1 278 doses de sang en 2014, soit pas davantage qu'en 2013. La transformation de cette unité en équipe mobile ne signifie en rien l'arrêt des collectes à Épernay mais des jours et heures d'ouverture plus adaptés, en lien avec les centres hospitaliers et des associations de donneurs. Ils pourront toujours être étendus en cas de succès.
Mme Françoise Férat. - Cette réponse me confirme dans mon impression : c'est une décision administrative, prise loin du terrain. La ruralité est une fois de plus laissée pour compte, avec des effets bien réels pour les patients.
Tuberculose en Seine-Saint-Denis
Mme Evelyne Yonnet . - La tuberculose, qui régresse constamment sur l'ensemble du territoire, stagne en Seine-Saint-Denis. Nous avons aussi sept fois plus d'infection au VIH que la moyenne nationale, une mortalité infantile importante, une espérance de vie inférieure de deux ans et demi à celle des Hauts-de-Seine.
La prévention sanitaire et sociale est donc pour nous une priorité. Or nous craignons une nouvelle baisse des subventions pour l'année 2015, alors que nous avons besoin d'un financement pérenne. Le désengagement de la Caisse primaire d'assurance maladie fin 2013 a été compensé en partie par l'ARS en 2014. Cette baisse a été justifiée par une stabilisation des cas mais le nombre de cas recensés est reparti à la hausse passant de 390 à 434 cas en 2014.
L'État a-t-il l'intention de compenser la perte des subventions pour l'année 2014 qui s'élevait à 300 000 euros ?
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire . - La lutte contre la tuberculose est une priorité, via des actions de proximité et de prévention. Depuis 2004, le département de Seine-Saint-Denis a choisi de conserver sa compétence en matière de prévention ; il bénéficiait pour ce faire d'une aide de la Caisse primaire d'assurance maladie, supprimée en 2014 mais compensée par l'ARS pour un an. Tout est mis en oeuvre pour pérenniser les actions menées en Seine-Saint-Denis. Les discussions engagées entre le président du conseil départemental et l'ARS vont se poursuivre, dans la perspective d'une reconduite au plus tôt de la convention.
Mme Evelyne Yonnet. - Puissent ces discussions aboutir rapidement !
Prison de Draguignan
M. Pierre-Yves Collombat . - J'espère que l'absence de Mme la garde des Sceaux ne présage pas de la réponse du Gouvernement...
À la suite des inondations catastrophiques en 2010 dans le Var, la Chancellerie a décidé de fermer la prison de Draguignan jugée dangereuse, tant pour ses occupants que pour la ville. On a donc commencé à construire une nouvelle prison et à fermer l'actuelle - mais les travaux de démolition se sont brusquement arrêtés. Une ruine dangereuse en cas d'inondation demeure ainsi au milieu de la ville. Quand sa démolition sera-t-elle achevée ?
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire . - Mme la garde des Sceaux accompagne le président de la République et tient à rendre hommage au personnel de la prison et aux magistrats, qui ont fait en sorte que les détenus soient mis à l'abri lors de l'inondation, sans que se produise le moindre incident.
Les travaux de démolition ont été engagés le 20 février 2015. Ceux de sécurisation nécessaires ont été accomplis en août 2015. La démolition totale, elle, a été retardée en raison des contraintes budgétaires car ce chantier coûte cher : 4 millions d'euros au total, 3 millions d'euros pour le désamiantage.
Démolition et reconstruction des prisons de Draguignan, des Baumettes, extension de celle d'Aix... Les projets de la Chancellerie dans la région sont ambitieux, et visent d'abord à accroître le nombre de places pouvant accueillir dignement les détenus. Le maire de Draguignan a été reçu au cabinet de la garde des Sceaux le 8 octobre dernier pour évoquer l'avancement des travaux, qui devraient se conclure en 2016.
M. Pierre-Yves Collombat. - Les magistrats et le personnel pénitentiaire ont réagi remarquablement lors des inondations de 2010, c'est vrai. Mais que le Gouvernement achève ce qu'il a commencé. Cette ruine est dangereuse ! Si un accident se produit, que ferez-vous ? Vous rendre aux obsèques ?
Projet Scorpion
M. Claude Nougein . - Le programme Scorpion prévoit pour moderniser notre armement, la livraison à partir de 2018 d'un nouveau véhicule blindé multi-rôle (VBMR) et d'un engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC), outre la modernisation des chars Leclerc. Quel est le calendrier prévu ? Combien de blindés seront livrés en 2018 ? À quel rythme se feront les livraisons ? Quelles bases de défense seront équipées ? Quand le 126e régiment d'infanterie de Brive-la-Gaillarde le sera-t-il ?
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire . - Le programme Scorpion répond aux besoins des groupements tactiques interarmées. Grâce à lui, l'armée de terre sera dotée du système d'information de combat unique, et équipée de 780 VBMR lourds et 200 VBMR légers. L'objectif est de projeter dès 2021 le premier groupement tactique interarmées - le premier équipé de Jaguar AES 2023.
Le marché de développement des Griffon et des Jaguar a été notifié fin 2014, et celui de rénovation des chars Leclerc en mars 2015. La production des véhicules sera commandée en 2017 pour les Griffon et Jaguar et en 2018 pour le char Leclerc. Après quoi les livraisons de Griffon devraient se monter à une centaine d'exemplaires par an. Pour les Jaguars, ce devrait être une vingtaine d'exemplaires par an après 2020. Les premiers chars Leclerc rénovés seront attendus en 2020 avec par la suite une livraison moyenne de 25 exemplaires par an. Ce plan de livraison prévisionnel tient compte des capacités de production, de qualification, d'adoption et de financement. La montée en puissance des unités Scorpion et le plan d'équipement ont été anticipés par l'armée de terre en cohérence avec le calendrier des infrastructures
Le régiment de Brive-la-Gaillarde sera équipé à partir de 2021, une fois son infrastructure prête, ce qui confirme son caractère prioritaire. D'autres régiments ne le seront qu'à compter de 2024, voire 2025.
M. Claude Nougein. - Nos équipements sont vétustes, le programme Scorpion est crucial.
Raffinerie de Châteauneuf-les-Martigues-La Mède
M. Jacques Mézard . - Veuillez excuser M. Amiel, que je supplée.
Malgré une production française insuffisante dont témoignent nos 47,5 milliards d'euros d'importations, la direction générale de Total a annoncé, le 16 avril 2015, de nouvelles réductions de capacités de raffinage. Les raffineries de Châteauneuf-les-Martigues-La Mède et de Donges seraient touchées.
Concernant la raffinerie de Châteauneuf-les-Martigues-La Mède, la restructuration envisagée par la direction du groupe Total concerne la suppression de l'unité de raffinage brut et la création d'une nouvelle unité de production, en bio-carburant. Pourtant, ce site, qui produit encore un raffinage brut de près de 153 000 barils par jour, semble voué à disparaître au profit d'un projet de production dont ne sont connus ni les tenants, ni les aboutissants. Alors que les premières générations de bio-carburants sont décriées et que la concurrence se renforce, le doute ne peut être admis sur l'avenir des centaines d'emplois directs et indirects.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire . - Depuis 2009, huit raffineries ont fermé en Europe, dont quatre en France. Le Gouvernement reste très attentif à l'avenir de ce secteur stratégique. Mais le site de La Mède était déficitaire, le plan de la direction ne prévoit aucun licenciement mais, au contraire, le développement d'une nouvelle unité de production de bio-gazole.
Un recours est pendant devant le tribunal administratif de Marseille. J'espère qu'un accord sera trouvé pour préserver l'avenir du site. Le développement de bio-gazole est cohérent avec nos engagements européens comme avec la loi de transition énergétique.
M. Jacques Mézard. - Lorsqu'on dit « aucun licenciement », on oublie les départs volontaires et autres... Alors que le Diesel est très décrié, on peut s'attendre à une restructuration d'ampleur de notre outil de production.
Délais de paiement
M. Martial Bourquin . - La longueur des délais de paiement et le niveau anormalement élevé du crédit inter-entreprises sont des maux dont chacun reconnaît la gravité. Les rapports de l'Observatoire des délais de paiement ne sont plus disponibles depuis 2013, c'est dommage... Mais les derniers chiffres indiquent que 15 milliards d'euros sont dus par les plus grandes entreprises aux plus petites. Autrement dit, celles-là se servent de la trésorerie de celles-ci pour obtenir du crédit gratuit ! Seulement 38 % des entreprises françaises paient leurs fournisseurs en temps et en heure, contre 75 % en Allemagne. Un quart des faillites s'expliquent ainsi ; et la pratique s'accroît à proportion des effectifs de l'entreprise.
Certes, des outils existent ainsi qu'un médiateur inter-entreprises. Mais les incitations ne suffisent plus. En 2012, Jean-Marc Ayrault m'avait confié une mission sur les relations entre donneurs d'ordres et sous-traitants, dont sont issues plusieurs mesures de la loi Hamon. Mais les décrets d'application se font attendre. Il y a urgence.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire . - Selon la loi Hamon, lorsque le montant de la transaction dépasse un certain seuil fixé par décret, un contrat écrit sera désormais obligatoire. Une large concertation est nécessaire avant de fixer ce seuil, car il ne faut pas handicaper certains secteurs par un excès de formalisme. Le médiateur vient de rendre son rapport. Les choses vont aller vite. Nous veillons à ce que toutes les mesures de la loi relatives aux rapports entre donneurs d'ordre et sous-traitants soient appliquées.
M. Martial Bourquin. - La loi Hamon permet au commissaire aux comptes de saisir la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression de fraudes en cas d'anomalie. Les retards de paiement sont une façon de gérer sa trésorerie, des sanctions exemplaires s'imposent, publiées dans la presse. Il faut mettre le holà aux pratiques de certains grands groupes, qui asphyxient nos PME, lesquelles sont les vraies créatrices d'emplois pérennes.
Menaces sur l'industrie du Pas-de-Calais (I)
M. Dominique Watrin . - Les fermetures d'usines de papier se multiplient notamment dans le Pas-de-Calais : Stora Enso à Corbehem, ArjoWiggins à Wizernes... Manifestement, les grands groupes papetiers internationaux ont mis au point une stratégie, visant à faire remonter les prix en fermant les unités de production en Europe.
On recherche des repreneurs. Le Gouvernement compte-t-il allonger le délai pour ce faire, afin de donner toutes ses chances à la reprise ?
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire . - La crise de l'industrie papetière s'explique avant tout par la numérisation. La consommation de papier et de carton des Français a baissé de 25 % depuis dix ans. En outre, la demande s'étant déplacée vers les pays émergents, la production a suivi.
Il n'y a pas de fatalité. Nos usines ont un avenir si elles se spécialisent dans le haut de gamme. Les projets innovants sont ainsi éligibles au programme d'investissement d'avenir.
La puissance publique est aussi intervenue pour soutenir le groupe Sequana. Bpifrance vient de soutenir la création de la société Ecocis pour réindustrialiser l'ancien site papetier de Voreppe, dans l'Isère.
Nous avons confié à M. Raymond Redding une mission sur la filière papier-cellulose, afin d'accompagner la montée en gamme.
M. Dominique Watrin. - Réponse un peu générale, qui ignore les stratégies financières des grands groupes...
Les usines d'ArjoWiggins, Stora Enso se situent toutes deux dans des vallées industrielles sinistrées. Veuillez transmettre à M. Macron ma demande d'allongement du délai de recherche d'un repreneur, car il faut tout faire pour sauver les emplois.
Menaces sur l'industrie du Pas-de-Calais (II)
M. Jean-Claude Leroy . - L'usine Aperam, à Isbergues, spécialisée dans la fabrication de tôle en acier inoxydable, emploie actuellement 700 salariés. Après une mise à l'arrêt de son atelier de tôlerie classique - qui avait déclenché un plan de sauvegarde de l'emploi en 2011 - l'entreprise redémarre une partie de ses activités de tôlerie classique. Ainsi, elle a remis en marche la ligne « Inox 2 », de façon temporaire. Parallèlement, elle investit pour moderniser sa ligne de fabrication de tôles inox la plus moderne au monde : un investissement de 11 millions d'euros est prévu pour porter la capacité de production à 330 000 tonnes par an.
Si elle bénéficie d'un regain de dynamisme du secteur, l'entreprise doit faire face à la concurrence croissante de la Chine et de Taïwan, qui ont conquis 16 % du marché européen des inox à coup de dumping. La Commission européenne a décidé, en mars 2015, d'imposer des taxes anti-dumping sur certains produits en inox importés de ces pays, pour une durée de six mois. Si ces droits de douane n'étaient pas prorogés, les récents investissements destinés à gagner en compétitivité seraient mis à mal, ce qui aurait de graves conséquences économiques et sociales pour l'ensemble du bassin artésien.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire . - La Commission européenne a été saisie de deux plaintes pour dumping, visant la Chine et Taïwan. L'importation des produits concernés a été soumise à enregistrement, par les autorités nationales, jusqu'à l'issue de la procédure. Un droit anti-dumping provisoire a également été mis en place. Mais l'enquête n'a pas mis en évidence de pratiques déloyales. Il a donc été mis fin à l'obligation d'enregistrement, sans compensation.
Le Gouvernement a accompagné la société Aperam tout au long de la procédure. Il a soutenu la proposition de la Commission d'instaurer des mécanismes anti-dumping et ainsi contribuer à ce qu'une majorité soit trouvée. Le nouveau règlement qui les instaure a été publié le 26 août 2015.
M. Jean-Claude Leroy. - Dont acte.
Téléphonie mobile et internet dans le Cantal
M. Jacques Mézard . - Au-delà des déclarations de principe, la desserte du territoire cantalien en matière de téléphonie mobile et de service internet se pose toujours avec autant d'acuité. Face à la dégradation des services internet et de téléphonie mobile, les opérateurs n'apportent pas les réponses techniques adéquates. Cela a des conséquences très négatives tant pour les entreprises que pour les particuliers. Imaginez la réaction des parents qui ne peuvent joindre par téléphone leurs enfants en village de vacances !
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire . - L'État consacre des moyens très importants à la modernisation de nos réseaux mobiles : 3,3 milliards d'ici 2022, dont 80 % déjà inscrits en loi de finances. Les comités interministériels pour la ruralité de mars et septembre ont décidé de mesures spécifiques pour la couverture en téléphonie mobile de ces territoires. Dans le cadre du plan France très haut débit, 89 départements ont conçu des projets visant à déployer la fibre dans 6 millions de foyers. Les réseaux existants doivent, avant tout, être entretenus : c'est le sens de la proposition de loi Chassaigne reprise par le Gouvernement.
S'agissant des réseaux mobiles, la couverture des centre-bourgs sera obligatoire dès 2016 ; les manquements seront sanctionnés par l'Arcep. Hors des centre-bourgs, le développement des réseaux est aussi à l'ordre du jour : toutes les communes rurales devront être couvertes fin 2016 ; elles le seront ministre-2017 pour l'internet mobile. L'Arcep, doté, de nouveaux pouvoirs, y veillera.
M. Jacques Mézard. - Il ne s'agit pas de cela ! Je vous interroge sur la dégradation du service actuel, vous me parlez du développement futur des réseaux ! Avant d'installer partout la fibre optique, il faudrait rétablir le téléphone mobile et le réseau internet existants !
La réalité, c'est qu'Orange nous dit que, depuis l'arrivée d'un quatrième opérateur, il ne peut honorer ses engagements. Sans compter que SFR lui réclame 540 millions d'euros devant le tribunal. Voilà les vrais problèmes, voilà la réalité de terrain !
Prix du lait
M. Alain Vasselle . - Merci monsieur Le Foll de vous être déplacé en personne pour répondre à ma question. Les producteurs des filières bovine, porcine et laitière sont dans une situation difficile. Le secteur laitier a été très fragilisé par la disparition des quotas laitiers. Leur suppression entraîne une production sans aucun plafonnement, une hausse importante des importations de lait provenant d'autres pays européens, une instabilité du prix et une radicalisation de la compétition entre la filière française et les grands producteurs d'Europe du Nord.
Je sais que vous rencontrerez bientôt les producteurs. Quelles mesures comptez-vous prendre pour les rassurer ? S'ils devraient bénéficier à terme de la libéralisation, ils traversent une période conjoncturelle difficile. En attendant des temps meilleurs, ils devraient au moins bénéficier de prix plancher couvrant leurs coûts de production.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - La fin des quotas date de 2008 ; au Parlement européen, à l'époque, j'avais voté contre.
Sur les 24 milliards de litres produits en France, une quinzaine sont exportés, en Europe et au-delà, sous forme de poudres de lait et de beurre. Résultat, le prix du lait sur le marché international dépend beaucoup du prix de la poudre de lait. Or la demande chinoise s'est contractée alors que, États-Unis et Nouvelle-Zélande en tête, suivis par les pays d'Europe du Nord, s'étaient mis en tête de conquérir ce fameux marché ! D'ailleurs, les pays du Nord ont été sanctionnés à hauteur de 800 millions d'euros pour ne pas avoir respecté leurs engagements de volume de production à la fin des quotas. C'est cet argument qui a servi à financer le plan d'aide européen de cet été.
Ce qui me préoccupe, c'est l'absence de coordination des productions laitières à l'échelle européenne, parce que certains se vantent de ne croire qu'au marché.
Avec sa superficie et son climat, la France a des atouts que les autres n'ont pas et une certaine autonomie fourragère. Nous devons nous organiser pour en faire le meilleur usage. Les GIE environnementaux ont été créés dans ce but. On le voit bien, les exploitations les plus résilientes sont celles qui ont l'autonomie fourragère la plus importante. Les stratégies à mettre en oeuvre doivent miser sur l'image positive que sa haute valeur ajoutée apporte à notre pays.
Nous travaillons sur une évolution du système contractuel pour garantir et la collecte et les prix pour tous. Ceux-ci ont baissé de 25 % en un an ! C'est par des contrats tripartites que nous pouvons espérer limiter cette volatilité insupportable. Voilà de quoi il sera question lors de la réunion de cet après-midi. Nous continuerons à nous battre pour tous les éleveurs.
M. Alain Vasselle. - Merci pour cette réponse. Conserver notre capacité de production fourragère est important, c'est vrai.
Sur la contractualisation, vos prédécesseurs s'y sont déjà essayés, pour les céréaliers, les betteraviers. Sans grand succès... J'espère que cette fois-ci, les résultats seront au rendez-vous.
Attaques de loups
M. Didier Guillaume . - Certes, la biodiversité est indispensable ; le loup est protégé par la convention de Berne. Mais le désarroi des éleveurs est grand. La présence du loup dans nos territoires est un problème. Il faut le dire : le pastoralisme et le prédateur sont incompatibles. Et, entre les deux, je choisis l'éleveur contre le prédateur.
M. Loïc Hervé. - Très bien !
M. Didier Guillaume. - Ces dernières années, 10 000 brebis ont été égorgées. Pardon d'entrer dans ce genre de détails mais les éleveurs doivent passer des nuits blanches à veiller leurs troupeaux. Ce n'est plus possible.
Le Gouvernement a pris des mesures fortes. Mais autoriser le prélèvement de 36 loups, ce n'est pas assez. Il faut donner plus de moyens aux équipes sur le terrain, ou autoriser les bergers à y contribuer pour atteindre l'objectif.
Si nous ne faisons pas évoluer les choses et la convention de Berne elle-même, la situation des éleveurs sera directement menacée.
M. Loïc Hervé. - Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - Depuis 2012, j'ai pris la mesure de la situation et du désarroi des éleveurs. Avec Ségolène Royal, nous avons pris des mesures fortes. Autoriser le prélèvement de 36 loups, c'est inédit. Mais l'efficacité du dispositif était contestable, j'en conviens : c'est pourquoi nous avons mis en place des outils réactifs. En particulier, les chasseurs, qui connaissent le terrain, pourront être accrédités. Dans la Drôme, le préfet avait autorisé un tir de prélèvement renforcé, qui a été contesté par les associations ; le tribunal a confirmé la légalité de l'arrêté, ce qui prouve que le dispositif est stable.
À cela s'ajoute la protection passive contre le loup, et les indemnisations des éleveurs pour les pertes - ce n'est pas ce à quoi ils aspirent, j'en conviens.
S'il faut modifier le droit, mieux vaut viser la directive Habitat que la convention de Berne. Le loup n'est plus une espèce en voie de disparition, il devrait donc quitter la classe 1. Ségolène Royal et moi-même en sommes parfaitement conscients. Nous discutons avec nos partenaires en ce sens.
M. Didier Guillaume. - Merci. Effectivement, l'on n'a jamais autant fait contre le loup. Mais la concertation ne suffit pas.
Je me suis rendu récemment dans une petite commune, Les Prés, où j'ai vu des hommes de 60 ans, éleveurs depuis l'âge de quinze ans, pleurer ! Cela fait mal aux tripes. Il faut revoir la directive Habitat. Le loup n'est plus menacé, c'est lui qui menace l'élevage.
Prolongement de l'itinéraire autoroutier Île-de-France - Haute-Saône - Territoire de Belfort
M. Bruno Sido . - L'itinéraire autoroutier Île-de-France - Haute-Saône - Territoire de Belfort s'interrompt au sud-ouest de Langres. Or le contournement de Langres en direction de Vesoul revêt une importance majeure pour les acteurs économiques du sud de la Haute-Marne, en particulier pour les échanges entre les entreprises des secteurs de la plasturgie et de l'automobile. Les délais de livraison et les durées d'acheminement sont des variables déterminantes pour l'activité, donc pour l'emploi.
Deux opérations majeures sous maîtrise d'ouvrage de l'État sont prévues : la déviation de Port-sur-Saône et la déviation de Langres.
Si la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) a prévu d'ouvrir l'autoroute A 319 entre Langres et Vesoul, la période de réalisation annoncée est comprise entre 2030 et 2050. Les entreprises régionales ne peuvent pas attendre aussi longtemps.
Surtout, cette décision n'est pas définitive. Si elle n'était pas prise, le Gouvernement devrait prendre l'engagement d'un doublement de la RN19 entre Port-sur-Saône et Langres...
Les études préalables à la déclaration d'utilité publique du contournement de Langres, prévues au projet de contrat de plan État-région 2015-2020, doivent être engagées de manière prioritaire. Je proposerai au conseil départemental de répondre favorablement à la demande de cofinancement adressée par l'État, sous réserve du respect d'un calendrier adapté. Pouvez-vous nous le préciser ?
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Veuillez excuser l'absence de M. Vidalies, qui participe à l'hommage rendu aux victimes de l'accident de car de Puisseguin.
La déviation de Port-sur-Saône est une priorité, vous l'avez dit. Elle a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique en 2013. Le président de la République a rappelé à Vesoul le 15 septembre dernier que les études s'achèveront prochainement, pour un début des travaux en 2016 sur le Viaduc de Scyotte. Les crédits nécessaires, 126 millions d'euros, figurent au CPER de la région Franche-Comté, dont 93,5 millions d'euros pour l'État. Le contournement du sud-Langres n'a pas reçu l'accord de la Commission européenne quand la France lui a présenté son plan de relance autoroutier en 2013. Pour autant, ce projet n'est pas remis en cause ; 5 millions d'euros ont été inscrits au CPER 2015-2020 de la région Champagne-Ardenne, dont 3 millions d'euros apportés par l'État, pour les études préalables et les premières acquisitions. Ces études de faisabilité seront achevées fin 2015, après quoi la concertation démarrera en 2016.
Le conseil général de Haute-Marne devrait apporter les 2 millions d'euros nécessaire pour financer la phase préalable à la DUP, je m'en réjouis.
M. Bruno Sido. - Merci pour votre réponse. Un financement de 126 millions d'euros pour Port-sur-Saône, c'est important. Mon inquiétude portait plutôt sur la déviation sud-Langres pour laquelle 5 millions d'euros seulement sont programmés. Je prends acte de l'échéance que vous annoncez, fin 2015. Les entreprises travaillent à flux très tendus ; les retards pénalisent aussi l'emploi. J'espère que les travaux seront lancés le plus tôt possible.
Avancée du dossier du « barreau » de ligne à grande vitesse Limoges-Poitiers
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Les avances gouvernementales sur la réalisation des lignes à grande vitesse Bordeaux-Tours et Bordeaux-Dax - en dépit de l'avis défavorable de la commission d'enquête publique - confirment bien que, si la mise à niveau des axes ferroviaires traditionnels et la modernisation du matériel roulant restent un impératif absolu, les besoins en développement du réseau à grande vitesse en certains points du territoire restent incontournables.
Après avoir reçu un avis positif, la ligne Paris-Limoges pourra être lancée. L'engagement sans faille du monde socioéconomique atteste de l'importance du projet pour ce bassin de 3 millions d'habitants et 900 000 emplois.
Où en est le projet, monsieur le ministre, et quel en sera le calendrier ? La constitution des grandes régions rend cette réalisation encore plus urgente.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - La poursuite des grands projets est une priorité pour le Gouvernement. Celui-ci a confié au préfet de région la réalisation d'un schéma directeur sur les améliorations aux TET et les infrastructures. Les opérations de renouvellement bénéficieront de 500 millions d'euros d'ici 2020, celles de modernisation de 90 millions.
Quant à la ligne nouvelle Poitiers-Limoges, le Gouvernement s'en tient aux conditions fixées dans la feuille de route Mobilité 21. Le décret déclarant l'utilité publique a été signé le 10 janvier 2015. Les recours sont en cours d'examen par le Conseil d'État.
L'État, SNCF Réseau et la région Limousin cofinancent le projet à hauteur de 42 millions d'euros, dans le CPER 2015-2020. Les études en cours préciseront les coûts du projet.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Merci. L'avancée des consultations et des négociations foncières et le coût très modique du projet doivent en faire une priorité.
Conciliateurs de justice
M. Yannick Botrel . - Les conciliateurs de justice évitent de nombreux contentieux. Leur rôle est fondamental pour nos concitoyens et, parfois, pour les maires. Les affaires dont ils ont à connaître ne défraient pas la chronique mais n'en sont pas moins importantes : troubles de voisinage, différends entre propriétaires et locataires, créances impayées, malfaçons...
Leur mission est bénévole ; les 232 euros qu'ils touchent par an en remboursement de frais de fonctionnement ne couvrent même pas leurs dépenses de carburant...
Les rapports successifs mettent l'accent sur la conciliation. La Garde des sceaux a repris cet axe dans son projet Justice 21. Ne faudrait-il pas augmenter le plafond de remboursement ?
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Veuillez excuser la garde des Sceaux.
La conciliation est un outil essentiel pour rendre la justice plus proche et plus lisible. Le projet sur la justice du XXIe siècle la rend obligatoire dans certaines affaires de faible importance. Quelque 1 800 conciliateurs de justice sont recensés sur notre territoire ; 600 de plus sont nécessaires. Des mesures sont à l'étude pour affermir leur place - ils seront par exemple intégrés dans les conseils de juridiction et dans le Conseil national de l'accès au droit et à la justice - et leur statut sera revalorisé. Le remboursement de leurs dépenses de fonctionnement, 232 euros aujourd'hui, et de leurs frais de déplacement, en moyenne 449 euros par an, sera également doublé.
Une subvention de 40 000 euros a été attribuée en 2015 à l'association nationale des conciliateurs de justice. Le Gouvernement veut donner toute son importance à la médiation. Vous en reparlerez dans le cadre du projet de loi en cours d'examen par votre Haute Assemblée.
M. Yannick Botrel. - Il est bon d'entendre rappeler l'importance des conciliateurs de justice par la bouche d'un ministre. L'évolution de leur statut est une bonne chose. Je me réjouis que leurs frais soient pris en charge de façon plus réaliste.
Conditions d'indemnisation des victimes de terrorisme
M. Hervé Marseille . - Le fonds de garantie des victimes du terrorisme (FGVT) a indemnisé 4 000 victimes depuis sa création par la loi du 9 septembre 1986. Il est abondé à 75 % par un prélèvement de 3,30 euros sur les contrats d'assurance de biens, ce qui porte son budget à 407 millions d'euros.
Il ne manque donc pas de ressources. Si les victimes obtiennent réparation, le montant de l'indemnisation varie beaucoup. Les deux ex-otages français, détenus en l'an 2000 sur l'île de Jolo, ont reçu 350 000 euros auprès des tribunaux, après 140 jours de captivité. Après 1 139 jours de détention, un ex-otage au Sahel s'est vu proposer 50 000 euros, puis 500 000 avant que cette somme ne soit réduite à 300 000 euros au motif que son entreprise avait souhaité l'indemniser. Il a dû finalement prendre un avocat !
Le FGVT est administré pour moitié par des hauts fonctionnaires et son conseil d'administration pourvu à plus de la moitié par les ministères. Les règles d'indemnisation doivent être rendues plus claires et plus transparentes. Que compte faire le Gouvernement ?
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Le FGVT, qui indemnise les victimes d'acte de terrorisme, dispose de fonds suffisants. L'article L. 422-1 du code des assurances garantit la réparation intégrale des dommages, calculée sur la base d'une expertise médicale contradictoire.
L'ex-otage au Sahel auquel vous faites référence avait effectivement reçu une première provision de 50 000 euros, puis une proposition de 500 000 euros ramenés à 300 en raison d'une indemnisation concomitante de l'employeur. Il lui revient d'établir l'existence et l'ampleur du préjudice, et le tribunal administratif de Créteil a confirmé que l'absence d'une expertise médicale faisait obstacle à l'évaluation du préjudice. J'ajoute que les victimes peuvent toujours, en cas de refus des conditions d'indemnisation, saisir le juge civil pour réclamer une indemnisation de droit commun. La jurisprudence va dans le sens d'une évaluation au cas par cas du préjudice.
M. Hervé Marseille. - Voilà une réponse bien administrative pour des personnes dont la vie a été brisée, et qui ont parfois suscité une émotion nationale.
Les questions que j'ai posées à la garde des Sceaux sont restées sans réponse... Des médiations seraient utiles pour éviter des contentieux durant des années.
M. Jean-Claude Carle. - Absolument.
Ponction des fonds de roulement des universités
Mme Valérie Létard . - Ma question porte sur la décision de ponctionner de 100 millions d'euros les fonds de roulement d'une dizaine d'universités et d'une vingtaine d'écoles de l'enseignement supérieur, établissements dont le fonds de roulement est supérieur à la norme prudentielle fixée à 65 jours. Or, ces réserves ont été constituées grâce à une gestion rigoureuse, afin de pallier le désengagement financier de l'État. Les établissements de la région Nord-Pas-de-Calais subissent cette année une ponction particulièrement lourde, 35 millions d'euros, qui représentera plus d'un tiers du total prélevé, alors même que le nombre des étudiants atteint seulement 7 %. Or, cette région n'est certainement pas la mieux dotée et certaines des universités concernées, telle que celle de Lille II, sont notoirement sous-dotées en personnel. Il y a là une double pénalisation : celle des établissements vertueux qui ont fait le plus d'efforts pour se constituer des réserves et celle d'une région qui connaît, avec la crise, un regain de difficultés économiques et sociales.
Ne pouvez-vous, monsieur le ministre, reconsidérer votre décision pour 2016 ? Des investissements sont nécessaires pour améliorer la qualité de l'accueil des étudiants. La situation de l'université Lille II est particulièrement grave. Un écrêtement de la dotation de l'ordre de 8 millions d'euros par an pendant trois ans a rendu sa situation très fragile. Son manque de personnel et la vétusté de ses locaux sont criants. Comment comptez-vous répartir l'effort en 2016 ?
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Le prélèvement de 100 millions d'euros est prévu par la loi de finances en cours d'application. Les fonds de roulement demeurent supérieurs au seuil prudentiel de 72 jours. Il a été tenu compte de tous les projets d'investissement. Une méthodologie spécifique et prudente a été employée. Les calculs ont été faits en lien avec les services des universités, en dépit de leur manque d'enthousiasme.
Les dotations de fonctionnement ont augmenté en 2015. Lille II a bénéficié en 2014 de 2,28 millions d'euros supplémentaires. Son sous-encadrement relatif est en voie de compensation. Le prélèvement sur son fonds de roulement ne sera pas reconduit en 2016, et la dotation budgétaire, qui s'élèvera à 165 millions, dépend notamment du taux d'encadrement et des efforts faits pour augmenter la capacité d'accueil.
Mme Valérie Létard. - Merci pour ces précisions. Notre région est candidate à l'appel à projets lancé dans le cadre du programme Idex, et dans cette aventure il faudra des fonds propres, pour prétendre à des fonds européens complémentaires. Nous avons des défis à relever !
Il y a quelque paradoxe à récompenser une démarche vertueuse... en prélevant nos fonds propres ! Sans universités en ordre de marche, nous ne pouvons pas relever non plus les défis de la reconversion économique. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, qui connaissez les territoires.
Enseignement des langues régionales au collège
Mme Hermeline Malherbe . - La loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l'école tout comme la réforme ambitieuse du collège donnent des lettres de noblesse à l'enseignement des langues régionales. Cependant, les professeurs s'inquiètent de le voir déclassé.
Hasard du calendrier, ma question orale vient avant l'examen du projet de révision constitutionnelle autorisant la ratification de la charte des langues régionales. Si le français est notre langue commune, ces langues régionales représentent un patrimoine immatériel et culturel à chérir et à préserver. Quelle place comptez-vous lui faire dans notre République et dans notre école ?
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Le socle d'apprentissage, autour duquel est bâtie la réforme du collège, comprend les langues régionales. Il ne remet nullement en cause la circulaire du 5 septembre 2001 ni l'arrêté du 12 avril 2003 qui organisent l'enseignement bi-langues. L'apprentissage d'une langue régionale pourra commencer dès la classe de 5ème avec un volume d'heures en hausse de 25 %, soit 54 heures supplémentaires. Les enseignements techniques interdisciplinaires permettront aussi de s'initier à une langue régionale, dans une approche comparative, et d'élaborer des projets pour valoriser ce savoir linguistique.
Vous le voyez, l'enseignement des langues régionales, loin d'être fragilisé, se renforce dans la réforme récente et bénéficie de moyens accrus.
Mme Hermeline Malherbe. - Merci pour cette réponse. Elle réjouira ceux qui, comme moi, pensent que les langues régionales sont un atout dans la scolarité et pour notre République.
Canalisateurs
M. Jean-Claude Carle . - Depuis un an et demi, on constate sur l'ensemble du territoire national une baisse d'activité d'une ampleur inédite dans le secteur des travaux publics.
Selon les métiers et les régions, la diminution va de 5 à 70 %. En Rhône-Alpes, après une baisse de 8 % sur douze mois à la fin 2013, le chiffre d'affaires des canalisateurs a décru de 29 % à la fin de l'année 2014. Sur les six premiers mois de 2015, la diminution est déjà de plus de 17 %. Dans mon département de Haute-Savoie, elle est de 25 % fin 2014, et de près de 14 % au premier semestre 2015.
La clientèle des travaux publics est très largement publique : chez les canalisateurs, plus de 93 % de l'activité émane de donneurs d'ordre publics. Or les communes et intercommunalités ont massivement freiné les appels à projets. En Haute-Savoie, cette année, les projets lancés par les communes ont diminué de 20 %, ceux des intercommunalités de 10 %. Ceux de la région ont dévissé de 69 %.
Cette chute de l'activité est directement liée aux réformes territoriales, à la baisse des dotations de l'État et à la montée en puissance du mécanisme du fonds de péréquation. Tout cela se traduit hélas par des licenciements.
Parallèlement, en France, chaque année, 20 % de l'eau traitée est perdue du fait des fuites sur les réseaux, soit 1,3 milliard de mètres cubes, ou 432 000 piscines olympiques vidées. En outre, 800 millions d'euros seulement sont investis chaque année dans le renouvellement des canalisations - il en faudrait 2 milliards d'euros pour assurer un remplacement accompli sur la durée de vie des équipements, soit trente à quatre-vingts ans. Ainsi, à ce rythme, il faudra cent soixante-dix ans pour renouveler l'ensemble des canalisations.
En revanche, de 2011 à 2014, les taxes dont les consommateurs doivent s'acquitter sur l'eau du robinet ont augmenté de 14,5 % et le prix moyen de 0,8 %.
Que compte faire le Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique . - Ces chiffres sont exacts. En revanche, les budgets eau et assainissement sont des budgets annexes, il n'est donc pas possible de les soutenir par le budget principal et la baisse des dotations a peu d'impact - ils sont équilibrés par le niveau des redevances. Les retards s'expliquent surtout par le fait que, lorsqu'on rénove des canalisations, il faut aussi refaire la voirie...
Le Gouvernement agit : hausse de 180 millions d'euros de la dotation de solidarité urbaine, de 117 millions de la dotation de solidarité rurale, aide exceptionnelle de 1 milliard d'euros à l'investissement local, notamment pour le logement et les équipements liés. Nous proposerons aussi en loi de finances un ralentissement de la progression du fonds national de péréquation des ressources (Fpic) - ce ne sera pas une bonne nouvelle pour tout le monde...
Au-delà, la dotation d'équipement des territoires ruraux continuera à augmenter, le fonds de compensation pour la TVA sera étendu au patrimoine des collectivités, et l'amortissement sera accéléré.
Nos entreprises doivent aussi comprendre que, si les collectivités ont moins de moyens, c'est que nous avons choisi de rétablir leurs marges via le CICE !
M. Jean-Claude Carle. - Je note la volonté du Gouvernement de soutenir l'investissement. Je crains que cela ne rassure pas les entrepreneurs qui sont totalement tributaires de la commande publique. Il est dangereux d'hypothéquer la relance de l'investissement des collectivités territoriales par le Fpic, et je me réjouis de vos annonces à ce sujet, madame la ministre. Je le dis d'autant plus sereinement que ce fonds a été créé par l'ancienne majorité. Une petite commune de Haute-Savoie doit payer 3 milliards d'euros ! Oui à la solidarité, mais pas à un niveau insupportable.
Mineurs isolés étrangers
Mme Colette Giudicelli . - Depuis plusieurs années, les Alpes-Maritimes sont confrontées à une vague exceptionnelle d'arrivées de migrants mineurs isolés.
Le budget du département qui leur est consacré est passé de 3,3 millions en 2011 à 6,2 millions en 2014, et 3,3 millions d'euros sur les six premiers mois de 2015.
Plusieurs départements sont confrontés au même phénomène. Ils ne peuvent plus, raisonnablement, assurer seuls une charge qui n'a rien à voir avec la protection de l'enfance mais relève de la solidarité nationale.
Quelles mesures prendra le Gouvernement ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - Le loi du 5 mars 2007 assure protection à tous les mineurs privés de leur famille. Le 31 mai 2013, un protocole d'accord a été signé avec les départements pour une meilleure répartition des flux.
L'État apporte son concours à cette politique à hauteur de 250 euros par jour et par enfant dans la limite de cinq jours, soit 9,5 millions d'euros en 2015. L'autorité judiciaire peut ordonner toute mesure d'information pour vérifier que les intéressés sont mineurs. Dans les Alpes-Maritimes, alors que 453 jeunes avaient demandé protection entre le 1er juin et le 4 septembre 2015, il s'est avéré que seuls 100 d'entre eux étaient mineurs ; à la date du 9 septembre, 32 d'entre eux étaient mis à l'abri dans un internat scolaire, 7 accueillis dans d'autres départements.
Cette situation a conduit à une reprise de contact fructueuse avec le département des Alpes-Maritimes, qui ne nous communiquait plus les chiffres depuis janvier. Il est donc faux de dire que l'État ne fait rien.
Mme Colette Giudicelli. - Cette réponse n'est guère satisfaisante. Je n'attendais certes pas l'annonce de mesures d'ampleur, mais il faudra bien en reparler.
Expulsion des gens du voyage
Mme Chantal Deseyne . - La loi du 5 juillet 2000 impose aux communes de plus de 5 000 habitants et aux établissements publics de coopération intercommunale qui exercent la compétence d'aménagement, d'entretien et de gestion des aires d'accueil, d'organiser l'accueil des gens du voyage. Or malgré la mise à disposition d'aires d'accueil, des élus de petites communes ou des particuliers sont confrontés à l'installation illégale des gens du voyage sur des terrains publics ou privés. Élus locaux et administrés disposent de peu de moyens légaux pour les expulser. Les coûts de l'eau consommée, de l'électricité utilisée, des déchets laissés après leur départ et des éventuelles dégradations sont inévitablement répercutés sur les impôts des contribuables. Les maires ont un sentiment d'impuissance et d'abandon, je peux en témoigner. Ils sont pris à partie, parfois agressés par les gens du voyage, j'en ai fait l'expérience deux fois cette année.
Que fera le Gouvernement ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - L'objectif de la loi du 5 juillet 2000 est de trouver un équilibre entre droits et devoirs des gens du voyage et des élus, entre liberté d'aller et venir et droit de propriété. La contrepartie de l'obligation de créer des zones d'accueil est la possibilité de faire évacuer les terrains illicitement occupés. La procédure d'expulsion est régie par les articles 9 et 9-1 de la loi de 2000. Le Gouvernement entend remédier aux difficultés actuelles. La proposition de loi de Dominique Raimbourg adoptée le 9 juin 2015 par l'Assemblée nationale résoudra bien des problèmes. J'invite le Sénat à l'inscrire à son ordre du jour.
Mme Chantal Deseyne. - Même quand une procédure est engagée, il faut composer avec les délais et les occupations illicites se poursuivent... Il me semble que les gens du voyage ont plus de droits que de devoirs.
M. le président. - Autre difficulté, les gens du voyage se sédentarisent dans les aires d'accueil et l'on manque de place pour ceux qui arrivent...
Forces de l'ordre à Hendaye
M. Georges Labazée . - Lors de sa visite récente à Hendaye, le ministre a pu apprécier la qualité du travail effectué par les forces de l'ordre, le dévouement des personnels et la bonne coopération avec les polices espagnoles.
Hendaye est une ville frontière de plus de 17 000 habitants, dans une agglomération transfrontalière de plus de 100 000 habitants. Le commissariat de la ville, supprimé en 2011, a été transformé en poste de police rattaché au commissariat de Saint-Jean-de-Luz. La police de l'air et des frontières assure les contrôles frontaliers mais ne s'occupe pas de la sécurité publique. Quant à la brigade anti-criminalité, autrefois présente à Saint-Jean-de-Luz, elle a été rattachée à Bayonne.
Comment accepter que l'on ne puisse pas déposer plainte la nuit à Hendaye ? Certains jours, il n'y a que deux agents circulants pour toute la zone côtière couverte par le commissariat, regroupant six communes et 50 000 habitants. Le Gouvernement doit rehausser les effectifs de la police.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - Le Gouvernement, qui a fait de la sécurité une de ses priorités, a créé 500 postes de gendarmes et policiers chaque année depuis 2012. À comparer avec la suppression de 13 700 postes sur la précédente mandature... À cela s'ajoutent les renforts exceptionnels pour lutter contre le terrorisme et l'immigration irrégulière : 1 000 postes supplémentaires en 2016, dans la seule police nationale.
L'effectif du commissariat de Saint-Jean-de-Luz, malgré une légère baisse, est très proche de l'effectif de référence : 61 agents au lieu de 62. La police aux frontières, elle, a vu ses effectifs passer de 199 en 2012 à 208 en 2015, de 164 à 174 à Hendaye. Ces agents, par leur action, contribuent également à assurer l'ordre public.
M. Georges Labazée. - Le maire d'Hendaye a déposé un dossier à la suite de la visite du ministre de l'intérieur. Espérons que ma question l'aidera à aboutir.
Aide au logement temporaire
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Le décret de décembre 2014 relatif à l'aide versée aux gestionnaires d'aires d'accueil des gens du voyage a réformé les modalités de calcul et d'attribution de l'aide au logement temporaire. Ce décret, précisé par une instruction ministérielle du 4 février 2015, instaure un nouveau type de conventionnement avec la société gestionnaire du site.
La ville de Nice a confié la gestion de cette aire à un prestataire privé. Un décret à paraître prochainement devrait préciser les modalités d'application de la réforme et trancher définitivement le flou juridique de la définition du gestionnaire de l'équipement, et, par conséquent, du bénéficiaire de l'ALT : la collectivité ou le prestataire.
Les nouvelles modalités ne vont pas sans créer de difficultés pour les collectivités dans leurs relations contractuelles avec leurs prestataires de service. L'ALT était à l'origine une subvention mensuelle de fonctionnement versée à la collectivité en charge de la compétence accueil des gens du voyage. Désormais un tiers de cette participation sera modulée en fonction de l'occupation des aires d'accueil et le signataire de la convention sera le gestionnaire opérationnel direct de l'aire, soit la commune ou l'intercommunalité en cas de régie directe, soit l'opérateur en cas de gestion déléguée, soit l'opérateur en cas de gestion confiée dans le cadre d'un marché public.
La modulation du tiers de l'aide selon le taux d'occupation, se soldera par une perte de recettes. La signature de la convention d'aide à la gestion n'est pas compatible avec les marchés publics en cours. Au moment de la conclusion de ces marchés, ces nouvelles dispositions n'étaient évidemment pas connues.
Au vu de ces difficultés d'application, quelles modifications entend apporter le Gouvernement ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - La réforme de l'ALT, que la Cour des Comptes a recommandée, vise à inciter les gestionnaires d'aires à rendre celles-ci plus attractives. De fait, de nombreuses aires étaient peu occupées, voire pas du tout. Concernant la signature de la convention, le décret se borne à rappeler l'état de droit. Le Gouvernement a voulu préserver une part forfaitaire de l'ALT pour tenir compte des frais fixes tout en prévoyant une modulation d'un tiers en fonction de l'occupation effective.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Soit, mais cela est dommage car vous mettez en difficulté des villes, comme Nice, qui avaient fourni de gros efforts pour aménager des aires d'accueils. Les nôtres sont très occupées.
Péréquation
Mme Patricia Morhet-Richaud . - Le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), créé en 2012, constitue un mécanisme de péréquation horizontale du bloc communal. Après une montée en charge progressive depuis trois ans, l'année 2015 a vu une explosion des montants prélevés au moment même où les dotations aux collectivités territoriales diminuent.
Les communes de montagne sont très touchées. Le département des Hautes-Alpes est contributeur à hauteur de 2 461 285 euros et 1 217 019 euros sont redistribués. Le FPIC vient accentuer les difficultés financières des collectivités locales et les prive de toute capacité d'investissement. De fait, le principal critère qui conditionne les volumes prélevés repose sur le potentiel financier par habitant. Or celui des Haut-Alpins est supérieur à la moyenne nationale en raison de la valeur du foncier bâti en zone touristique. S'agissant des critères d'attribution qui reposent sur le revenu par habitant et l'effort fiscal, là encore ce département de montagne est pénalisé puisque le revenu fiscal par habitant y est aussi supérieur au revenu moyen national. Ne faut-il pas revoir ce mécanisme ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - Vous contestez le mode de calcul du FPIC, pourtant fondé sur un critère objectif, le potentiel financier agrégé, qui neutralise les choix fiscaux des collectivités.
Les zones de montagne seraient maltraitées ? Les chiffres démentent cette impression, puisque les 538 intercommunalités de montagne présentent un solde équilibré au titre du FPIC, avec 103 millions d'euros prélevés et 98 millions reversés. Les communes de montagne classées en ZRR présentent même un bénéfice net de 3,8 millions d'euros. Le prélèvement moyen, dans les EPCI de montagne, est de 16,05 euros par habitant, contre 20,98 euros en moyenne nationale, le reversement de 22,63 euros par habitant quand la moyenne nationale s'établit à 22,66 euros.
Quant aux charges spécifiques, elles n'ont pas à être prises en compte dans le FPIC, d'autant que les stations de ski ont la taxe sur les remontées mécaniques.
Mme Patricia Morhet-Richaud. - La direction générale des collectivités locales ne fournit pas les mêmes chiffres que vous. Des communes des Hautes-Alpes devront même augmenter leurs impôts pour faire face à cette situation.
Conservatoires
M. Jean-Claude Luche . - Dans mon rapport pour avis sur le programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » sur la loi de finances initiale pour 2015, j'avais alerté le Gouvernement sur le désengagement de l'État dans l'enseignement des arts. Il y aura bien 8 millions de plus mais ce n'est pas assez.
Je voudrais savoir comment ces nouveaux crédits seront ventilés entre les conservatoires par les Directions régionales des affaires culturelles (Drac) ? Les crédits accordés à chaque Drac nouvelle correspondront-ils à la simple addition des crédits précédemment accordés aux anciennes Drac, sachant qu'il y aura plus de conservatoires pour une même Drac. Quand les critères d'intervention de l'État seront-ils précisés ? Les conservatoires ont besoin de visibilité budgétaire. L'accent sera-t-il mis sur des critères de fonctionnement ou sur des critères d'action ? Prendra-t-on en compte des critères plus qualitatifs comme la présence sur le territoire, ce qui intéresserait le conservatoire départemental d'Aveyron ? Si les crédits sont accordés uniquement aux conservatoires agréés, quand les conservatoires concernés connaîtront-ils leur label ? Quel est le calendrier du Gouvernement ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - Ce Gouvernement est attaché à la culture pour tous.
Premier axe de la réforme des conservatoires : un réengagement de l'État avec plus de 8 millions d'euros qui s'ajoutent aux 15 millions d'euros existants. Deuxième axe : un pilotage mettant l'accent sur l'innovation pédagogique. Troisième axe : la conciliation avec les collectivités territoriales qui sont les premiers acteurs de l'enseignement artistique. Le réengagement financier de l'État en 2016 est bien l'occasion d'une revitalisation de l'enseignement artistique.
M. Jean-Claude Luche. - Vous l'avez dit, la culture est essentielle pour les territoires. La France ne se résume pas à l'Île-de-France, nous avons besoin d'une vraie péréquation.
Échec en CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la santé n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.
La séance est suspendue à midi vingt-cinq.
présidence de M. Thierry Foucaud, vice-président
La séance reprend à 14 h 45.
Hommage aux victimes de l'accident en Gironde
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que Mme la garde des Sceaux) C'est avec beaucoup d'émotion que nous avons appris le terrible accident qui a eu lieu vendredi matin dans le département de la Gironde. Nous avons tous été bouleversés par cette catastrophe, la plus meurtrière depuis la catastrophe de Beaune de 1982.
M. le président du Sénat, qui est aujourd'hui en déplacement à Strasbourg, a eu l'occasion de saluer par un communiqué de presse, en notre nom à tous, le courage de ceux qui sont intervenus sur place pour éviter un bilan humain encore plus lourd.
Le Sénat tout entier, au premier rang duquel nos collègues sénateurs de la Gironde, Alain Anziani, Françoise Cartron, Gérard César, Marie-Hélène Des Esgaulx, Philippe Madrelle et Xavier Pintat, adresse ses plus sincères condoléances aux familles et aux proches des victimes.
Je vous demande d'observer un moment de recueillement en hommage aux victimes. (Mmes et MM. les sénateurs observent un moment de recueillement)
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Discussion générale
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice . - Il me revient l'honneur et le plaisir de vous présenter ce projet de loi constitutionnelle visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée le 5 novembre 1992 et entrée en application le 1er mars 1998. La France l'a signée le 7 mai 1999, assortissant sa signature d'une déclaration interprétative.
Vingt-cinq pays membres du Conseil de l'Europe l'ont déjà ratifiée, parmi lesquels l'Allemagne, l'Espagne, le Royaume-Uni - le projet de ratification italien est prêt à être déposé.
Le présent projet de loi crée un article 53-3 dans la Constitution, avec une référence explicite à la déclaration interprétative ; il tire ainsi les enseignements de la décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999 selon laquelle une modification de la Constitution est nécessaire pour ratifier la Charte.
Plutôt que de solliciter le Parlement deux fois, la rédaction autorise directement la ratification de la Charte. Il a déjà été procédé ainsi pour ratifier le traité instaurant la Cour pénale internationale, signé par la France le 18 juillet 1998.
La ratification de la Charte honorerait la signature de la France. Le Préambule de la Constitution de 1946 énonce que la France, fidèle à sa tradition, se conforme à ses engagements internationaux, suivant le principe pacta sunt servanda.
Ce projet de loi est solide juridiquement et respectueux du droit international.
Constitutionnellement, la France est une République indivisible et sa langue est le français. Ce principe n'empêche pas la reconnaissance des langues régionales, comme le fait l'article 75-1 de notre Constitution, selon lequel elles appartiennent au patrimoine national.
M. Philippe Dallier. - Cela suffit !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Le constituant est souverain. La ratification du traité de Maastricht n'a pas entamé le principe de souveraineté, pas plus que la reconnaissance de la citoyenneté calédonienne n'a remis en cause l'indivisibilité de notre République, pas plus que l'inscription de la parité dans la Constitution n'a altéré le principe de l'égalité des citoyens devant la loi.
Au regard du droit international, le texte procède par la méthode du renvoi. D'où la référence à la déclaration interprétative, indétachable de la Charte. Il a été procédé à la ratification du traité relatif à la Cour pénale internationale selon le même mécanisme.
On dit que les locuteurs d'une langue régionale pourraient imposer l'usage de celle-ci dans leurs relations avec les autorités administratives. Or l'article 10 de la Charte ne figure pas parmi les 39 mesures retenues par le Gouvernement français en 1998.
On dit aussi que la Charte conférerait des droits spécifiques aux locuteurs d'une langue régionale. Cette interprétation est erronée et contredite par le rapport explicatif même de la Charte. En 1998, le regretté Guy Carcassonne indiquait déjà que la Charte n'attachait aucun effet de droit à la reconnaissance des groupes qu'elle mentionne. D'autres études, comme celle de Ferdinand Mélin-Soucramanien, ont réfuté l'existence de tels droits collectifs.
La déclaration interprétative, que la France a annexée à sa signature, lui permet de préciser la portée qu'elle accorde aux mesures qu'elle a retenues. L'argument consistant à dire que la ratification de la Charte mettrait la France en situation de déloyauté au regard du droit international n'est ni démontré, ni pertinent.
Après ces arguments juridiques, venons-en au débat politique, car c'est là que nous nous opposons. Doit-on craindre la reconnaissance, la vitalité de langues régionales qui contribuent à la consistance, à la pétulance du dynamisme culturel national ? Ou plutôt : que craignent ceux qui s'y opposent ? Une menace sur la langue française ? Une dérive communautariste ? Une balkanisation linguistique, qui préfigurerait une balkanisation politique ? Une remise en cause de la notion de peuple français, du modèle républicain, parce que nous ferions respirer le patrimoine linguistique national ?
M. Philippe Dallier. - Tout est dit !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Prenons la vraie mesure de ce terrible danger. Les locuteurs bretons seraient 250 000, contre un million en 1910. À cette époque, Alsaciens et Corses étaient tous réputés maîtriser leur langue ; les locuteurs corses ne sont plus que 170 000... Les locuteurs occitans sont passés de 10 millions à 2 millions, il y aurait 80 000 locuteurs flamands... Voilà le terrible danger qui mettrait en péril la langue française...
Loin de moi la volonté de nier la légitimité de certaines critiques ou la portée symbolique de certaines inquiétudes. La vraie question est celle de notre conception de la Nation. À mes yeux, celle-ci doit être capable de construire de l'harmonie sans étrangler sa diversité.
La conception d'un pouvoir central seul détenteur de la souveraineté ne remonte pas à la Révolution mais à l'Ancien Régime - je vous renvoie aux Six livres de la République de Jean Bodin, qui date de 1576... À la Révolution, les prérogatives du prince sont transférées à la Nation. Se met alors en place une homothétie entre égalité et uniformité. Les citoyens sont considérés comme identiques pour être soumis aux mêmes lois. L'écrêtement de la diversité culturelle et identitaire conduit à l'uniformisation et celle-ci à l'exclusion. Subrepticement, l'égalité cesse d'être une ambition et devient la transformation du tout en un même. La diversité, la richesse des appartenances sont niées. Victor Segalen, au début du XXe siècle, évoquant le « divers rétréci », ne disait pas autre chose.
Ne réduisons pas le débat actuel à une opposition entre girondins et jacobins, aucun de nous ne risque plus ce qui se jouait à l'époque... C'est en 1539 que l'ordonnance de Villers-Cotterêts a imposé le français - contre le latin ! - comme langue administrative exclusive. Certains linguistes se réfèrent plus volontiers aux serments de Strasbourg de 842 - d'autres à la stabilisation de la langue française au XVIIIe...
Le fait n'est pas que français : l'acte d'union entre l'Angleterre et le pays de Galles, en 1536, a imposé l'anglais comme seule langue officielle. De même, en 1707, Philippe V décida que le castillan sera la seule langue du royaume.
En 1793, l'abbé Grégoire défend l'interdiction des « jargons locaux » et des patois, et en appelle à extirper les « idiomes grossiers ». En 1794, Barère appelle la Convention à révolutionner la langue, après les institutions, les moeurs et la pensée : « le fédéralisme et la superstition parlent breton, l'émigration et la haine de la République parlent allemand, le fanatisme parle basque et la contre-révolution italien ». Ceux qui pratiquent une langue régionale risquent six mois de prison et les fonctionnaires, la destitution.
Pourtant, dès 1714, Fénelon se demandait dans sa lettre à l'Académie « si nous n'avons pas gêné, appauvri la langue française depuis au moins un siècle en cherchant à la purifier ».
La beauté et la richesse de la langue française provient du travail des écrivains, des poètes, des scientifiques, des chercheurs, de tant d'ouvrages aussi écrits en langue étrangère. Mais vient un moment où le lexique visité ne suffit pas. L'Académie française fait même la différence entre la néologie, bienvenue, et les néologismes « vicieux ».
Mais cette beauté et cette richesse doit aussi aux langues régionales : l'amour aux troubadours provençaux, guignol aux Lyonnais, le cadet à l'occitan, le maquis aux Corses... Et on sait combien la gastronomie est prodigue en vocabulaire autant qu'en saveurs... La Vendée le sait bien avec ses gâches, ses fouaces et ses lises... Frédéric Mistral a même fait chavirer les coeurs en recevant en 1904 le prix Nobel pour une oeuvre en langue provençale. Je pourrais aussi vous parler d'écrivains basques, martiniquais, guadeloupéens, mahorais...
Nous avons eu suffisamment de générations de linguistes pour savoir que ce n'est pas la diversité des langues mais la domination voire la persécution des langues qui génère des perturbations et des difficultés d'expression, ce qu'Édouard Glissant appelle le « tourment du langage » - un « impossible à exprimer ».
Il nous faut consentir à l'enrichissement réciproque entre les langues qui nous fait cheminer vers l'altérité, un épanouissement puisant dans l'imaginaire qui héberge les cultures, les savoirs, les arts, les paysages. La résidence de la langue n'est pas seulement le sol, c'est l'être, l'être qui transporte sa langue dans ses voyages, l'être qui bouge, l'être qui entre en relation et en partage, l'être qui crée la vie commune par le dialogue et l'offrande. (Applaudissements à gauche)
La France peut ainsi s'apporter à elle-même, apporter à l'Europe, aux territoires de la francophonie, au monde un patrimoine culturel riche, vivant, vivace, vigoureux. Ainsi, à regarder l'histoire, on peine à comprendre les craintes que la Charte inspire. (Applaudissements sur les mêmes bancs)
Les lois de décentralisation ont d'ailleurs contribué à rapprocher les citoyens des centres de décision, à les faire participer à la vie publique à l'échelle des territoires. Reconnaître les langues régionales procède de la même logique démocratique.
Pierre Mendès France disait déjà en 1954 : « Connaissons notre pays comme il est : immense et divers, c'est la République française telle que proclamée à travers nos lois. Sur toute l'étendue de son territoire s'exercent les mêmes principes de progrès et de liberté ». (Applaudissements prolongés à gauche)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements au centre et à droite) Madame la ministre, je vous ai écoutée avec attention et même avec plaisir. Je me disais : quelle érudition, quel talent, quelle culture historique, littéraire, linguistique ! Combien de bons auteurs pour témoigner de votre attachement sincère à la langue française et aux langues régionales ! Je n'ai rien à retirer à vos propos : je partage, comme nous tous, votre amour de la langue française, que je manie avec moins de talent que vous, le même souci de défendre et de promouvoir cette richesse que sont les langues régionales. J'entends moins faire respirer ce patrimoine que le faire vivre, le développer, l'enrichir, prévenir son dépérissement.
Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur l'action du Gouvernement depuis trois ans. Aucun plan n'a été lancé depuis 2012 pour développer les langues régionales ou minoritaires.
M. Jean-Claude Lenoir. - Sauf la langue de bois ! (Rires sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Philippe Bas, rapporteur. - Les crédits ont baissé en 2015, ils baisseront encore en 2016. Force est de constater que la parole tend à remplacer l'action !
C'est en 2003 que la Constitution a été révisée pour disposer que la République est décentralisée, pour introduire un droit à l'expérimentation - que vous n'avez guère cherché à développer - ; en 2008 ensuite, pour reconnaître les langues régionales comme appartenant au patrimoine de la Nation. Bref, nous n'avons pas de leçon à recevoir ! (Applaudissements au centre et à droite)
Je pense à nos compatriotes d'outre-mer ; il est urgent de développer des méthodes pédagogiques de sorte que les enfants puissent passer par le créole pour les apprentissages fondamentaux et l'acquisition des savoirs.
Nous avons d'ailleurs déposé une proposition de loi pour consolider le socle juridique des langues régionales. J'espère, lorsqu'elle viendra en discussion, que le consensus sera au rendez-vous...
Un consensus qui existe, j'en suis sûr, sur les principes fondamentaux de notre pacte républicain. Vous n'avez pas osé les modifier frontalement ; c'est donc que vous êtes pour l'égalité devant la loi, pour l'unité et l'indivisibilité de la République, que vous reconnaissez que le français est la langue de la République, que les langues régionales font partie de notre patrimoine culturel. Contrairement à ce que vous avez dit, il n'y a entre nous de désaccord sur aucun de ces points, mais sur le respect de notre constitution et de la signature de la France.
La signature de la France n'est pas une question seconde. Lorsque notre pays ratifie un pacte, c'est qu'il est décidé à l'appliquer loyalement, non en fonction de l'interprétation que nous faisons, mais de celle qu'en font les États parties - surtout lorsque le pacte exclut expressément les réserves d'interprétation, comme c'est le cas de la Charte en son article 21.
Notre désaccord est grave et irréductible. Cette révision constitutionnelle ne purge pas la constitutionnalité de la Charte ; et ratifier celle-ci ne sert à rien, puisque nous appliquons déjà les 39 engagements que nous entendons appliquer. En revanche, le préambule de la Charte crée un droit imprescriptible à pratiquer une langue régionale dans la vie publique ; sa première partie interdit que les circonscriptions administratives ne correspondent pas aux aires géographiques de pratique des langues régionales, et suppose de créer des instances représentatives des groupes de locuteurs. Sur tous ces points, contraires à nos principes constitutionnels, la déclaration interprétative est muette - la décision du Conseil constitutionnel lui est postérieure mais vous n'avez pas pris le temps de la revoir...
M. Didier Guillaume. - Assez de leçons !
M. Philippe Bas, rapporteur. - La révision impliquerait ainsi l'obligation de ne pas respecter la Charte, la signature du Président de la République n'étant pas encore sèche...
La charge symbolique de la Charte est forte, mais elle est inutile. Il est temps de développer une politique des langues régionales ambitieuse.
En adoptant ce texte, nous méconnaîtrions et la Charte et la Constitution : il ne faut donc pas le faire.
J'ajoute que le président de la République est, aux termes de la Constitution, le garant du respect de celle-ci ainsi que des traités : en rejetant ce projet de loi, vous le renverriez à sa mission.
En créole antillais, on dit qu'on n'achète pas un chat dans un sac, car il vous sauterait au visage. Cette révision constitutionnelle en est un, je ne l'achèterai donc pas ! (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Frédérique Espagnac . - Ce texte est inscrit à notre ordre du jour car le président de la République, attaché à notre histoire, à nos histoires, s'y est engagé.
François Mitterrand, en 1981 déjà, appelait de ses voeux une reconnaissance des langues régionales, refusant que la France demeure le seul pays d'Europe à maintenir son patrimoine culturel dans l'ombre. Jacques Chirac s'est déclaré ouvert à la signature de la Charte dès le 19 mai 1996.
M. Philippe Bas, rapporteur. - C'est lui qui a saisi le Conseil constitutionnel...
Mme Frédérique Espagnac. - Vingt-cinq pays ont déjà ratifié la Charte. En France, blocages, peur et mépris dominent les débats depuis trop d'années.
Ce projet de loi écarte tous les risques d'incompatibilité entre la Charte et notre Constitution. La déclaration interprétative du 7 mai 1999 écarte tout heurt avec les articles premier et 2 de notre loi fondamentale. Les principes fondamentaux de la République ne sont pas remis en cause.
M. Didier Guillaume. - Évidemment !
Mme Frédérique Espagnac. - Le bilinguisme n'est pas l'ennemi de la République ; c'est l'école de la tolérance et de l'ouverture à l'autre.
Il est inacceptable de lire que la Charte est le faux-nez du communautarisme. Certains ont même ramené la question au phénomène migratoire...
Dans mon territoire se côtoient le basque, le béarnais, l'occitan dans les cours d'école et la vie quotidienne. Certains ont encore de douloureux souvenirs de la persécution dont ils étaient l'objet jadis et craignent de voir leur langue disparaître.
Les langues régionales ne sont pas les vestiges du passé. Dans une économie mondialisée, elles sont des racines, des richesses. Elles peuvent exister sans nuire à la qualité du service public. Les jeunes générations le comprennent.
Nos concitoyens attendent de nous un signal positif pour l'ensemble des langues de France. Une avancée a été faite en 2008, mais elle est insuffisante. Achever le processus, dépasser les clivages traditionnels : qu'attendons-nous pour concrétiser une reconnaissance juridique ?
M. le président. - Veuillez conclure !
Mme Frédérique Espagnac. - Jaurès lors d'un voyage à Saint-Jean-de-Luz, s'émerveillait de voir subsister « l'antique langage des Basques ». Soyez donc à la hauteur du débat ! (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
M. Ronan Dantec . - « Memez, ar brezonegh zo eur yezh flour ». Cette phrase m'accompagne depuis plusieurs décennies. Elle m'interroge sur la marche du monde, sur le droit redoutable que peuvent s'arroger ceux qui décident pour autrui ce qui sera bon pour lui. Elle est fort simple : elle dit « quand même, la langue bretonne est une bien belle langue ». Elle me fut adressée par la maîtresse de maison de la ferme où je faisais un stage. Dans « flour », il y a l'idée de douceur... La force de cette phrase est dans « memez », dans ce « quand même ». Pour la génération de cette femme, ce « quand même » dit le désarroi, le questionnement sur les raisons de cet abandon de la langue natale. Pourquoi l'avoir abandonnée ? Sur injonction de l'instituteur, prompt à vous punir quand il vous surprenait à parler breton ? Sous la pression des parents, pour qui le français était le passage obligé vers l'avenir ? Par intégration des contraintes du modèle économique libéral, exigeant de la main d'oeuvre mobile et à langue commune ? Un peu de tout cela... Ce « quand même » dit aussi l'incompréhension, la culpabilité, la colère de ceux qui n'ont pas appris leur propre langue, à leurs enfants.
Ratifier enfin la Charte, c'est dire que nous n'avons plus peur des diversités, que nous avons tourné la page des temps de déracinement et d'émigration massive vers les centres urbains, de ceux de la condescendance vis-à-vis du monde rural de Bécassine, tourné la page des haines nationalistes et des mépris colonialistes. Ratifier la Charte, c'est dire notre confiance en l'avenir. Notre responsabilité est politique et collective.
La ratification aurait dû faire consensus, le seul débat aurait dû être de savoir s'il faut ou non ratifier au-delà des 39 articles choisis par la France. Hélas, pour des raisons de tactique politique à visées immédiates, le texte est sous la menace d'une question préalable. J'en suis atterré.
Le préambule de la Charte reconnaît, conformément à la Charte des Nations unies et à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, le droit imprescriptible à pratiquer sa langue, la valeur du plurilinguisme, stipule que la promotion de la diversité contribue à la constitution d'une démocratie européenne... Tout y est ! On ne met pas un quart de siècle à rendre effectif un droit imprescriptible reconnu par les Nations unies, surtout pour un pays qui s'autoproclame patrie des droits de l'homme.
C'est, de plus, un préalable pour rejoindre l'Union européenne !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Non ! C'est inexact !
M. Ronan Dantec. - L'argumentaire du rapporteur est faible et tient du sophisme. Une fois l'article 53-3 adopté, la déclaration interprétative prévaudra, c'est la logique de notre droit. Le président Bas a inventé des contentieux qui n'ont existé nulle part ailleurs... Son propos n'a d'autre objet qu'échapper à un débat dont la droite ne veut pas, par calcul politique et par peur d'étaler, comme à l'Assemblée nationale, ses divisions.
Or une fois adoptée, c'est la déclaration interprétative qui primera : inventer des risques de contentieux est un procédé de contournement médiocre. L'immobilisme semble être la seule boussole de la majorité sénatoriale ; à moins que le communautarisme ne soit utilisé pour concurrencer l'extrême-droite ?
En juillet, le Comité des droits de l'homme de Genève a une nouvelle fois invité la France à renoncer à ses clauses interprétatives. J'aurais aimé que le rapporteur se préoccupe plus de la dégradation de l'image de la France que de la cohésion de son groupe. (Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois, proteste)
Vous dites que la promotion des langues régionales est l'affaire des régions. Au contraire, voter cette Charte, c'est dire que tous les citoyens ont droit à la protection de leur langue : approche bien plus républicaine.
Bruno Retailleau disait que la Vendée avait développé une identité très forte à partir d'une tragédie. Voir réprimer sa langue est aussi une tragédie ! N'encourageons pas les divisions.
Les autres pays n'ont pas la même peur de leur diversité : l'Afrique du Sud de l'après-apartheid reconnaît onze langues officielles, le Maroc deux, sans parler du Canada, où nous-mêmes sommes très attentifs à l'avenir du français. Et je ne veux pas vous effrayer en citant les 22 langues reconnues par la constitution indienne. À contretemps du monde, votre logique égarée confond égalité avec ressemblance et similitude, pour reprendre une expression de Mona Ozouf.
En commission des lois, un sénateur disait : « il n'y a pas que des lettrés en France et ce sera une catastrophe ». Quel mépris ! Les ploucs qui baragouinent le français vous remercient !
Mme Catherine Morin-Desailly. - Oh !
M. Ronan Dantec. - Envoyons un message fraternel, aussi, à tous ceux qui n'ont pas pour ancêtres les Gaulois, contre ceux qui refusent la créolisation du monde chère à Édouard Glissant. Le vivre ensemble ne peut reposer sur la négation de la diversité. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et sur quelques bancs RDSE)
Mme Jacqueline Gourault. - Ces propos sont excessifs.
M. Robert Navarro . - Voilà des années que je défends les langues régionales et la ratification de la Charte. En juin 2011, un débat historique a eu lieu au Sénat, le premier depuis 1959 ! Je me félicite que le groupe Les Républicains ait en partie repris nos propositions...
En 2012, j'ai déposé une proposition de loi constitutionnelle ayant le même objet que le présent texte, conformément à un engagement de François Hollande. Pourquoi le Gouvernement a-t-il attendu fin 2015 et l'approche des élections régionales ? C'est minable, mais je soutiendrai tout de même ce texte, comme celui de nos collègues Les Républicains quand leur proposition de loi sera à l'ordre du jour...
La diversité de la France se reflète dans cet hémicycle. Les soldats de l'an II, quelle langue parlaient-ils ? Et ceux de 1914 se réunissaient, après l'assaut du soir, autour d'une soupe claire et d'un patois... Nos aînés aimaient-ils moins la République ? Les langues régionales ne sont ni de droite ni de gauche, nous entendons les défendre.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Mais oui !
M. Robert Navarro. - La France est grande parce qu'elle a su dépasser ses clivages. Les langues régionales ne sont pas les adversaires de la République. Notre pays protège bien ses mouvements, pourquoi pas son patrimoine linguistique ? Le français restera le ciment de la République.
Je ne voterai pas la question préalable. Les tergiversations n'ont que trop duré. Si la proposition du Gouvernement ne convient pas juridiquement, souvenons-nous du droit fondamental des parlementaires, celui d'amender... C'est pourquoi j'avais proposé de compléter l'article 2 de la Constitution en mentionnant le respect des langues et cultures régionales qui appartiennent au patrimoine de la nation. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste)
M. Jacques Mézard . - Madame la ministre, j'aime vos discours, même quand la garde des sceaux ne parle pas de droit. Mais cet amour ne saurait me rendre aveugle. Comme plusieurs membres de mon groupe, je voterai contre ce projet de loi. Mme Malherbe exprimera une approche différente, selon le principe de liberté qui prévaut au RDSE. Seuls 25 pays sur 47 ont, à ce jour, ratifié la Charte, initiative du Conseil de l'Europe et non de l'Union européenne. Faut-il rallumer cette querelle, sur une question non primordiale ? Nos concitoyens ont bien d'autres préoccupations. Quant à la date de ce débat, c'est sans doute un hasard de calendrier...
Homme du Sud-Ouest, je comprends l'attachement de nos concitoyens à leurs traditions, aux sonorités de langage en harmonie avec les territoires. Mais ce projet de loi est irrecevable, incohérent par rapport à la Constitution, au droit ; il est contraire aux intérêts fondamentaux de la nation, il remet en cause l'égalité devant la loi et heurte l'essence même de la République qui s'est voulue indivisible, laïque et sociale. (Applaudissements sur plusieurs bancs au centre et à droite)
Ce texte est incompatible avec les articles premier et 2 de la Constitution. Le débat était déjà ouvert en 1999, entre Jacques Chirac et Jean-Pierre Chevènement d'un côté, Lionel Jospin de l'autre - fervent défenseur de la Charte malgré le plasticage d'un bâtiment de Cintegabelle par l'armée révolutionnaire bretonne... La République des bonnets rouges n'est pas la mienne !
La Charte crée un droit imprescriptible à l'utilisation des langues régionales dans la vie privée mais aussi publique. Selon l'article 9, l'utilisation des langues régionales devra être possible dans les procédures pénales, civiles, administratives. Dans les services publics, les agents au contact du public devront employer la langue régionale ou minoritaire ! Idem dans les médias, etc. Tout cela, c'est une idéologie de destruction des États-nations, pour construire une Europe des grandes régions. Voyez ce qui se passe en Catalogne.
Pas étonnant, donc, que le Conseil constitutionnel ait jugé la Charte contraire à la Constitution. Il a estimé qu'il lui revenait d'apprécier la constitutionnalité des traités indépendamment des déclarations interprétatives. Nombre de dispositions, comme celles de l'article 7, a-t-il relevé, sont contraires à nos principes constitutionnels - sans que la déclaration interprétative en écarte l'application.
L'exécutif s'assied sur l'avis rendu par le Conseil d'État en juillet dernier, qui souligne pourtant d'une contradiction dans l'ordre juridique interne, ainsi qu'entre l'ordre juridique interne et l'ordre juridique international. On ne peut pas bafouer ainsi les principes du droit !
M. Ronan Dantec. - Oh !
M. Jacques Mézard. - Quand 10 % au moins des Français souffrent d'illettrisme, la priorité est d'assurer la maîtrise du français et d'au moins une langue étrangère : est-il raisonnable de voter ce projet de loi qui met à mal nos principes constitutionnels ? Je dis non et voterai contre le texte ! (Applaudissements au centre, à droite et sur plusieurs bancs du groupe RDSE)
Mme Jacqueline Gourault . - Certains voudraient nous persuader que le débat se résume à un positionnement pour ou contre les langues régionales : vous l'avez fait brillamment, madame le ministre, dans votre très belle intervention.
M. Philippe Dallier. - Position absurde.
Mme Jacqueline Gourault. - Mais la date de ce débat est-elle un hasard ? « Toute ressemblance avec des personnages et des situations réelles est purement fortuite... » (Sourires au centre)
Mon groupe a toujours défendu les langues régionales, et notamment les initiatives concrètes en faveur des langues régionales. Mais nous sommes tout aussi attachés à l'unité de la République, dont la langue est le français aux termes de l'article 2 de la Constitution. Je regrette aussi que le Gouvernement n'ait pas mis la même énergie à défendre les racines de la langue françaises, donc l'enseignement du latin... (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Claude Lenoir. - Et du grec !
Mme Jacqueline Gourault. - Dès la signature de la Charte par la France en 1999, le Conseil constitutionnel a relevé qu'elle était en contradiction avec nos principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français. Lionel Jospin avait alors produit cette déclaration interprétative pour contourner l'obstacle. Mais sa solution est inopérante, comme l'ont souligné le Conseil constitutionnel comme le Conseil d'État. L'article 21 de la Charte exclut toute réserve. On ne peut pas introduire dans le même article de notre Constitution deux références qui se contredisent ! Sans parler de la contradiction entre l'ordre interne et l'ordre international, source de contentieux. Le Conseil d'État s'interroge sur les intentions du Gouvernement, soulignant que le projet de loi ne permet pas d'atteindre les objectifs poursuivis.
Je vote rarement des questions préalables, mais il s'agit ici de notre Constitution et des langues régionales, auxquelles je suis aussi attachée que M. Dantec, quoique mon expression soit moins excessive... Ce projet de loi est une mauvaise manière faite à l'une comme aux autres et une mauvaise manoeuvre. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Ronan Dantec. - Et ça, ce n'est pas excessif ?
Mme Éliane Assassi . - Ce débat est récurrent depuis une vingtaine d'années. Débat difficile, polémique, mais aussi passionné, car nous parlons d'êtres humains. C'est par le travail que l'on peut parvenir à démêler les situations inextricables et apaiser les tensions.
Mon groupe est profondément attaché à la diversité culturelle et linguistique.
Qu'apporte la Charte par rapport à l'article 75-1 de la Constitution, selon lequel les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ? Elle accorde des droits spécifiques aux groupes de locuteurs et impose la reconnaissance des langues régionales dans la vie publique, y compris dans les services publics, contrairement à nos principes constitutionnels.
Certains articles de la Charte sont contraires à nos principes, qui peuvent obliger les parties à utiliser des langues régionales au cours de procédures judiciaires et administratives. En Europe de l'est, où existe une profonde diversité linguistique, ce genre de reconnaissance institutionnelle a peut-être sa raison d'être. Chez nous en revanche, ce serait remettre en cause l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 - prise par un roi, il est vrai.
M. Gérard Longuet. - Un grand roi !
Mme Éliane Assassi. - Cela mérite plus d'un après-midi de débat. Il appartiendrait même au peuple d'en décider. L'administration, l'enseignement sont aussi concernés.
Quelle est la portée de la déclaration interprétative ? Soit elle s'impose et la Charte est vidée d'une grande partie de son sens - la France se trouvant alors en porte-à-faux par rapport à ses partenaires - soit elle n'a pas de valeur et la ratification de la Charte contrevient à nos principes constitutionnels.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Exactement !
Mme Éliane Assassi. - L'avis du Conseil d'État est limpide : le projet de loi constitutionnel introduirait dans notre Constitution une contradiction interne, en faisant référence à deux textes peu compatibles entre eux. Il y aurait aussi une contradiction entre l'ordre interne et l'ordre international. Rappelons que les traités internationaux prévalent sur les normes internes.
M. Alain Anziani. - Pas sur la Constitution !
Mme Éliane Assassi. - Nous sommes nombreux, au sein du groupe communiste républicain et citoyen, à défendre à la fois les langues régionales et le français contre la domination de l'anglais, symbole de la mondialisation et de la domination des puissances financières.
Oui, les langues régionales sont en danger, le comité consultatif mis en place en 2013 le constate, y compris dans les régions frontalières. Mais où sont les moyens ? Revivifier notre patrimoine linguistique exigerait de rompre avec le dogme de la réduction des dépenses publiques, bien partagé dans cet hémicycle. Il faut aussi des moyens pour assurer la maîtrise du français, car les deux vont de pair. Si nous n'abordons pas cet aspect-là, la discussion flottera dans la stratosphère...
L'essor du français a exigé un effort considérable. Qui est prêt ici à faire le même effort pour les langues régionales ? La diversité linguistique est une richesse, sa valorisation participe à la résistance au rouleau compresseur d'une monoculture liée à un impérialisme culturel consumériste.
M. Urvoas, dans son rapport sur la proposition de loi constitutionnelle tendant à ratifier la Charte, confessait que les 39 engagements auxquels la déclaration interprétative ne s'oppose pas pouvaient être mis en oeuvre, hors ratification et sans heurter nos principes constitutionnels. (M. Jacques Legendre le confirme) Pourquoi donc réviser notre Constitution ?
M. Philippe Dallier. - Parce que les régionales approchent !
Mme Éliane Assassi. - Pas seulement. Vous êtes mal placé du reste, monsieur Dallier, pour une telle dénonciation : en témoigne la proposition de loi déposée récemment sur le bureau du Sénat. Pourquoi cette démarche dont l'échec prévisible aura un effet boomerang sur la promotion des langues régionales ?
La France est en crise, minée par le chômage de masse et la précarité. La Constitution doit être porteuse d'unité et de vivre-ensemble.
Au sein du groupe communiste républicain et citoyen, des divergences se sont exprimées sur les moyens de promouvoir les langues régionales. J'attends vos éclaircissements, madame la garde des Sceaux et c'est pourquoi je ne voterai pas la question préalable.
Sortons enfin des postures politiciennes, prenons des décisions concrètes et efficaces. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) On voit que ce débat transcende les clivages habituels ; mais en lisant le compte rendu de la réunion de la commission des lois, je constate que la raison le cède parfois aux passions - et c'est normal, sur un tel sujet ! La question des langues régionales n'a rien de folklorique. Elle a d'abord une dimension universelle. « Au commencement était la parole ».
M. François Marc. - Le verbe !
M. Bruno Retailleau. - Citer cette phrase, ce n'est pas un acte de foi, c'est reconnaître l'importance du langage pour l'homme. Adam s'appropriait son univers en nommant les espèces. George Steiner, dans Après Babel, démontre que Babel est une bénédiction : certaines langues anciennes dans le désert du Kalahari possédaient un subjonctif aux nuances beaucoup plus subtiles que le grec d'Aristote. La perte d'une langue, c'est une voie qui se ferme pour la pensée.
M. Jean-Claude Lenoir. - Très bien !
M. Bruno Retailleau. - C'est laisser place à l'uniformisation, dans la globalisation.
La question linguistique a également une dimension spécifique à la France, celle de Giono, de Mauriac, de Per Jakez Hélias, de Frédéric Mistral. Jules Michelet décrivait la France comme « ces anciennes provinces qui s'étaient combattues et avaient fini par s'aimer ». Lisez donc le beau livre Composition française de Mona Ozouf, la petite Bretonne, ou Penser la Révolution française de François Furet : l'unité de la République s'est construite grâce au français - qui est, depuis des siècles, la langue de la diplomatie et de la justice. C'est pourquoi votre exemple espagnol, madame la garde des Sceaux, n'est pas éclairant.
La question n'est pas de savoir si l'on est pour ou contre les langues régionales, mais si la ratification de la Charte est le meilleur moyen d'aider la diversité linguistique sans porter atteinte à notre modèle républicain. À cette question, je réponds non.
Notre opposition à ce projet de loi constitutionnelle s'explique d'abord par une raison de droit : la déclaration interprétative, c'est du bricolage juridique. Elle est sans portée normative, dit le Conseil constitutionnel, contraire à la Charte, dit le Conseil d'État.
Autre raison : ratifier cette Charte, c'est favoriser le communautarisme. (Mme Frédérique Espagnac se récrie) Dès 1999, le Conseil constitutionnel notait qu'elle heurtait les principes d'indivisibilité de la République et d'unicité du peuple français. Conférer des droits spécifiques à des groupes spécifiques, c'est la définition même du communautarisme.
Mme Frédérique Espagnac. - Oh !
M. Bruno Retailleau. - Dans une France déchirée, qui connaît un malaise identitaire, ce qui est en jeu est notre conception du vivre-ensemble.
M. Ronan Dantec. - Exactement !
M. Bruno Retailleau. - Certes, l'universalité du citoyen doit se conjuguer avec les spécificités de l'homme concret, avec l'enracinement cher à Simone Weil. Vaclav Havel, avant sa mort, déplorait le dilemme mortifère entre l'enfermement ethnico-identitaire et la dilution dans la globalisation.
Notre groupe votera très majoritairement la question préalable. Comment le président de la République peut-il en janvier appeler à l'unité nationale, et en fin d'année introduire dans notre Constitution les germes de la fragmentation ? (M. Didier Guillaume proteste) Mieux vaudrait augmenter le budget dévolu à la promotion des langues régionales, qui baisse cette année encore dans le projet de loi de finances.
Ce projet de loi est une manoeuvre politique, à quelques semaines des élections régionales. Je préfère rester fidèle à mes convictions régionales, dussé-je perdre quelques voix ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jacques Bigot . - Ce débat vient au moment où le président du Sénat se trouve à Strasbourg, capitale de l'Europe et de l'Alsace, ville qui a accueilli au lendemain de la Seconde Guerre mondiale le Conseil de l'Europe. Dans notre histoire, la construction des États est passée par la répression de la diversité culturelle. Mais dans l'Europe issue de la guerre, il est apparu que le respect de la diversité était la condition pour que les vieux conflits ne se réveillent pas. Voilà le sens de la Charte.
Une déclaration interprétative n'est pas une réserve. La Charte n'impose nullement de faire coïncider frontières administratives et linguistiques. Elle n'impose d'offrir un enseignement des langues régionales qu'à la demande des familles, et si un nombre suffisant d'élèves se présentent. En déposant une question préalable, vous cherchez à éviter le débat de fond.
Sénateur alsacien, je sais quel fut le drame des enfants punis en cour de récréation parce qu'ils avaient parlé alsacien.
M. Philippe Bas, rapporteur, et Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission. - Nous n'en sommes plus là !
M. Jacques Bigot. - Il y a un an, les sénateurs alsaciens de la majorité sénatoriale votaient contre la réforme territoriale et voulaient que l'Alsace demeurât seule. Double discours... Les langues sont des véhicules de contact, non des frontières. Mais vous créez des frontières artificielles, je le déplore. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Hermeline Malherbe . - La Charte fait l'objet d'une longue saga depuis seize ans, faite de revirements et de renoncements. Saisissons l'occasion pour fixer un cadre juridique sécurisé et une protection définitive. J'entends les arguments des uns et des autres. Mais rappelons le contexte : si rien n'est fait, les langues régionales tomberont dans les oubliettes de la République. Il est urgent d'agir pour les protéger. Non, il ne s'agit pas de constitutionnalité des droits collectifs pour des groupes déterminés, ce qui bafouerait l'article 2 de notre Constitution. La Charte protège des droits objectifs - l'apprentissage des langues - et non les droits subjectifs qui seraient ceux des locuteurs de ces langues. Nous ne devons pas nous intéresser aux Basques, aux Catalans, aux Alsaciens, mais aux Français qui parlent basque, catalan ou alsacien.
Ne rien faire n'est pas acceptable. Soyons innovants comme nous y invitait Christian Bourquin. Nous sommes le pouvoir constituant, faisons vivre la Constitution. À une question préalable, j'aurais préféré une proposition concurrente.
Certains ont évoqué le passé avec beaucoup de talent ; je parlerai du présent, pour saluer le travail remarquable de tous ceux qui mettent quotidiennement en pratique l'apprentissage de ces langues. Ils ne sont pas un danger. Ceux qui enseignent le catalan jouent un rôle crucial dans le développement des enfants. Ils leur donnent un bagage pour l'avenir. Déjà 25 pays ont ratifié cette Charte, dont des nations comptant des régions à forte identité culturelle.
Notre débat est passionné, car il touche à notre République, généreuse, plurielle. Ainsi, certains membres du groupe RDSE voteront contre la motion, pour une France unie dans la diversité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur certains bancs CRC)
M. Hugues Portelli . - Je me situerai sur le terrain exclusivement juridique. Après tout, c'est d'une révision constitutionnelle qu'il s'agit !
Le Conseil de l'Europe est une machine à fabriquer des traités, que les États reprennent ou non à leur compte. D'où vient cette Charte ? La réflexion la concernant a commencé dans les années 1980, alors que des États unitaires comme l'Espagne et la Belgique craquaient sous une poussée régionaliste et engageaient des révisions constitutionnelles vers une forme fédérale. Elle a été finalisée en 1992 après la chute du communisme et le retour à la démocratie d'États est-européens dont plusieurs ont d'importantes minorités nationales. Tel est le contexte qui explique cette Charte. Elle n'a pas été faite pour la France, État unitaire aux plans constitutionnel, législatif et même réglementaire, et de plus sans minorités nationales.
En France, on a commencé à s'y intéresser à la fin des années 1990. D'un côté, les plus hautes autorités juridictionnelles et constitutionnelles y voyaient un texte contraire à nos principes constitutionnels et même à nos principes supraconstitutionnels, comme l'a souligné mon ami Guy Carcassonne. D'autres voulaient ménager la chèvre et le chou. Guy Carcassonne, grand juriste et grand tacticien du droit constitutionnel, a alors inventé la « déclaration interprétative ». Le Conseil constitutionnel y a répondu par la négative. Et voilà que l'on ressort ce texte du placard sans le changer d'un iota. Le Conseil d'État émet donc le même avis qu'en 1999.
Ce texte pose deux problèmes juridiques. D'abord, un traité ne peut être modifié par un État que sous la forme de réserves, ce que ne permet pas cette Charte. La déclaration interprétative ne s'oppose à personne, notamment aux voisins de la France qui ont donné à certaines régions frontalières un statut constitutionnel. En tout état de cause, le seul pouvoir habilité à formuler des déclarations interprétatives, c'est le chef de l'État. Demander son autorisation au Parlement reviendrait à lui transférer ce pouvoir.
Le juge français placé face à ce texte fera ce qu'il voudra comme fit la Cour de cassation sur la garde à vue, lorsqu'elle a déclaré inapplicable même la partie de la loi non censurée par le Conseil constitutionnel, la jugeant contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. Pour elle, un traité reste supérieur à la Constitution. La déclaration interprétative n'est dès lors qu'un chiffon de papier.
Regardons plutôt ce que le droit administratif et constitutionnel permet déjà de faire pour les Français qui parlent des langues régionales. (Applaudissements à droite et au centre, ainsi que sur certains bancs du RDSE)
Mme Catherine Morin-Desailly . - L'article 75-1 le dit, les langues régionales appartiennent au patrimoine culturel de la France, auquel nous sommes tant attachés. Si nous rejetons le projet de loi, c'est qu'il pose de graves problèmes juridiques. Sans s'y risquer, nous voulons faire vivre les langues régionales par des mesures concrètes.
Cela fait des années que l'on ne peut plus dire qu'elles seraient marginalisées, au moins depuis la loi du 30 septembre 1986 sur l'audiovisuel : en 2013, 785 heures en langues régionales ont été diffusées sur France 3 et plus de 1 000 sur France 3 Corse, tandis que soixante stations de radio émettent en langue régionale.
La loi de refondation de l'école reconnaît l'enseignement bilingue et autorise les professeurs à utiliser les langues régionales. En 2012, 272 000 élèves apprenaient une langue régionale, mobilisant 3 000 enseignants. Colette Mélot le relevait dans son rapport de 2011. Elles sont florissantes, mais nous pouvons encore les renforcer, c'est le sens de la proposition de loi que j'ai cosignée avec le président Bas. Évitons la gesticulation juridique et l'inscription dans notre Constitution d'un droit-créance opposable, d'ailleurs inadapté à la diversité des langues régionales : on ne peut mettre sur le même plan le créole, langue vivante, et le cauchois qui n'est plus guère parlé - le président Bas ne le démentira pas.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Certes.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Les collectivités locales ont les moyens de mener une politique dynamique en cette matière, comme l'Alsace. Faisons-leur confiance ! L'article premier de la loi Maptam confie aux conseils régionaux la préservation de leur identité et la promotion de leur langue. L'Alsace s'y emploie déjà.
L'apprentissage des langues étrangères souffrira de la suppression des classes bi-langues et européennes par ce Gouvernement. (Applaudissements à droite) N'oublions pas la langue française : 2,5 millions de nos concitoyens maîtrisent mal le français. La France est en passe de devenir elle-même une langue régionale. Si, comme disait Rivarol, « Tout ce qui n'est pas clair n'est pas français », votons la question préalable pour dire aux langues de France que nous refusons leur instrumentalisation ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Serge Larcher . - Je suis très heureux de prendre la parole au nom des deux millions de créolophones, mais aussi des peuples autochtones, Amérindiens de Guyane et Kanaks de Nouvelle-Calédonie. Les citoyens considèrent souvent nos institutions comme lointaines. En rejetant le jacobinisme, nous devons les amener à respecter tous les territoires dans leur diversité, que le Sénat devrait représenter.
Je suis extrêmement déçu, monsieur le rapporteur, par votre rapport.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Vous m'en voyez désolé !
M. Serge Larcher. - Je suis heureux de défendre un texte porteur du message d'humanisme que la France doit continuer de porter, d'autant que, élu de la Martinique, je suis locuteur et défenseur de deux langues, le français et le créole. L'ouverture à l'autre et la défense de l'identité, l'universel et le particulier, ne sont pas incompatibles, bien au contraire.
La France est une République décentralisée, Elle reconnaît en son sein des territoires et des peuples...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Des territoires, oui, des peuples, non !
M. Serge Larcher. - Soit, des populations.
La France pourrait ratifier la Charte des droits fondamentaux et non cette Charte, demeurant le mauvais élève de l'Europe ? Si les déclarations interprétatives ne sont pas opposables, comment expliquer les décisions allemandes des 16 septembre 1998 et 17 mars 2003 ?
Votre combat, celui du français comme citadelle assiégée, est un combat d'arrière-garde, une attitude frileuse.
Vous avez conclu votre intervention sur un proverbe créole, cette langue difficile et subtile, monsieur le rapporteur. Je ne vous ferai pas une leçon ce soir...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je suis prêt à en prendre !
M. Serge Larcher. - ... mais vous êtes tombé à côté.
M. René Danesi . - Après 1945, l'État français a mis en cause la spécificité linguistique de l'Alsace. L'alsacien et l'allemand, son expression écrite, étaient interdits. Pour beaucoup d'Alsaciens, leur langue maternelle avait pris une connotation négative. Leur loyalisme envers la France retrouvée s'est accompagné du renoncement à la langue maternelle. Il était chic de parler français.
Dans les années soixante, ils se sont rendu compte que beaucoup s'exprimaient mal en alsacien, mal en français et mal en allemand. On prit conscience que l'alsacien était un élément identitaire et un atout pour bien maîtriser l'allemand. Les collectivités locales ont alors engagé une politique d'encouragement, d'autant plus utile que 63 000 frontaliers travaillent en allemand, en Allemagne ou en Suisse alémanique. En juin 2015, le préfet de région a signé une convention-cadre sur la politique régionale linguistique, aux termes de laquelle chaque signataire apporte un million d'euros par an pour soutenir l'enseignement des langues régionales.
Où en sommes-nous ? En Alsace-Moselle, de nombreuses associations travaillent à la promotion des langues régionales. Pour 91 % des habitants, parler l'alsacien n'est plus mal perçu ; 17 % des étudiants suivent un cursus franco-allemand. L'école où l'on m'interdisait de parler alsacien est devenue l'école la plus bilingue de France. Comme d'autres Alsaciens, je suis le cheminement de cette Charte, allant de déception en déception, avec le choix de 39 engagements seulement, la déclaration interprétative, et le long silence sur la Charte après la décision du Conseil constitutionnel.
Aujourd'hui, certains militants sortent l'encensoir, d'autres ont découvert le pot aux roses : l'impossibilité d'adopter cette Charte sans réviser la Constitution. Or on peut très bien appliquer les 39 engagements retenus en 1999 sans modifier la Constitution. En Alsace, nous avons mis en place en 2014 une charte régionalisée, plus efficace. L'association Culture et bilinguisme d'Alsace-Moselle, qui l'a rédigée, a repris la Charte européenne en en supprimant tout ce qui concerne l'État. Les collectivités locales sont invitées à choisir 35 des engagements énumérés.
La révision de la Constitution qui est proposée est à ce point dépourvue de toute portée juridique et pratique que le Comité fédéral pour la langue et la culture régionales en Alsace-Moselle propose d'amender le texte gouvernemental en ajoutant la phrase : « La République encourage l'usage des langues régionales de France et ne s'oppose pas à leur utilisation à titre complémentaire par les services publics ».
Selon l'éminent juriste René Schickele-Gesellschaft, l'inclusion dans la Constitution de la déclaration interprétative serait une catastrophe, car elle est très restrictive.
Le Gouvernement prend pour des naïfs les régionalistes sincères comme moi. Qu'il donne un vrai statut aux langues régionales. Si le Conseil constitutionnel juge cela contraire à la Constitution, qu'il propose une révision ; s'il s'y refuse, qu'il passe à autre chose ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Jacques Lasserre . - La signature de la Charte fut une véritable avancée. Depuis, de réelles dispositions sont prévues, notamment dans l'Éducation nationale ou pour les collectivités locales, ou des avancées sont permises pour le monde associatif, malgré une loi Falloux pénalisante. L'adoption de la Charte n'aura pas d'influence notable ; je comprends ceux qui ne veulent pas la voter pour cette raison. Mais ce n'est pas mon point de vue ; comme les Bretons, les Basques s'inquiètent de ne pas voir le nombre de locuteurs augmenter. Cela ne se décrète pas mais requiert plutôt de la sensibilité. Nous devons à la société civile la plupart des progrès que nous votons. Mais nous avons besoin d'envoyer des signes.
M. Ronan Dantec. - Exactement !
M. Jean-Jacques Lasserre. - Il s'agit de patrimoine vivant, et non de vieilles pierres. Les locuteurs classiques, ruraux âgés, doivent être relayés par de nouveaux, urbains. Cela passe par les usages.
Tous les acteurs nous regardent : refuser d'en débattre les affaiblirait. La réforme du collège affaiblit aussi les langues régionales en les réduisant aux enseignements pratiques interdisciplinaires.
Je suis favorable à l'examen de ce texte, notamment pour sortir du flou qui règne autour de la déclaration interprétative, commodité rassurante et fragile.
Mme Nicole Bricq. - Certes, mais...
M. Jean-Jacques Lasserre. - La question porte sur l'exclusivité de l'usage du français dans les services publics. Il faut en débattre : je voterai donc contre la question préalable. (Applaudissements à gauche et sur certains bancs du centre)
M. Yannick Botrel . - Les raisons exposées pour refuser le débat ne sont pas sérieuses. Nous n'empêcherons pas les Français d'en débattre dans le cadre des élections régionales.
M. André Reichardt. - C'est le but !
M. Yannick Botrel. - Certains évoquent des décisions du Conseil constitutionnel, des avis du Conseil d'État, le rapport Carcassonne de 1998 alors que la déclaration interprétative fournit des assurances. Adopter la Charte ne conduit pas à reconnaître les minorités linguistiques mais à imposer les langues régionales dans la sphère publique.
Cela tient en réalité à une conception obsolète de la France qui n'est plus celle du XIXe siècle. Est-il opportun de se servir de ce débat à des fins politiciennes, alors que la France reconnaît déjà les langues régionales ?
Ce projet de loi ne menace pas l'unité de la nation ni les institutions. Il ne s'agit pas de contraindre qui que ce soit à parler ces langues. Le basque, cet isolat linguistique ou le breton, dernière langue celtique continentale, méritent d'être sauvegardées.
Vous parlez de communautarisme, monsieur Retailleau ; ce n'est pas au niveau du débat. C'est en Bretagne bretonnante que le FN fait ses plus bas scores et que nous accueillons le plus grand nombre de réfugiés, comme autrefois les Espagnols.
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Yannick Botrel. - Il ne s'agit que de reconnaître ce fait.
Mme Nicole Bricq. - Et oui ! (Applaudissements sur les bancs écologistes et du groupe socialiste et républicain)
M. Alain Marc . - Ce texte doit être replacé dans son contexte, celui de la libération de pays à fortes minorités nationales, telle la minorité hongroise en Roumanie, loin de la situation française. Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'était pas conforme à la Constitution, car donnant des droits particuliers à des groupes, ce qui porte atteinte aux articles 1er, 2 et 3 de la Constitution. Dès lors, la ratification a été interrompue jusqu'à ce projet de loi, déposé le 31 juillet 2015.
Ce texte risque d'alimenter de nombreux contentieux et nous amènera à une impasse juridique. Philippe Bas et Hugues Portelli l'ont démontré. Quelles sont nos estimations ? Pourquoi maintenant, seize ans après la décision du Conseil constitutionnel, alors que la Charte est inutile pour promouvoir les langues régionales ?
Cette ratification est un symbole et un leurre, à la veille des élections régionales. La défense des langues régionales n'exige en rien cette ratification. Nous ne vous avons d'ailleurs pas attendu, comme avec la loi Haby de 1975, la loi Toubon de 1994, ou plus récemment en 2004 ou encore notre proposition de loi pour donner une assise juridique plus claire de pratiques existantes.
M. Didier Guillaume. - Avant les régionales ?
M. Alain Marc. - En Aveyron, des élèves apprennent l'occitan dans des calandretas, des sections bilingues publiques, d'autres sont sensibilisés dès la maternelle. En tout, 92 % des petits Aveyronnais. Cela sans ratification de la Charte. J'aimerais que tous les représentants d'exécutifs départementaux ici présents soient aussi exemplaires.
Mme Hermeline Malherbe. - Nous le sommes !
M. Alain Marc. - Les obstacles au développement des langues régionales sont l'opposition de certains inspecteurs d'académie à la création de classes bilingues et la réduction du temps d'antenne dévolu aux langues régionales sur France 3. La proposition de loi que nous avons déposée lève ces obstacles et crée des enseignements dans les ESPE. Réglons la question sans toucher à la Constitution, d'autant que le présent texte soulève des risques juridiques.
Comme dit le président Larcher, la Constitution ne doit pas être une variable d'ajustement pour les gouvernements en échec. (Applaudissements à droite et au centre ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président
M. Roland Courteau . - Point d'ambiguïté : je défends l'occitan : les langues régionales sont une richesse.Or elles ont été trop longtemps négligées ou combattues. Nous soutiendrons donc ce texte. J'ai même déposé une proposition de loi ici même en 2010 pour sécuriser leurs statuts.
N'hésitons pas à reconnaître la diversité linguistique. Si la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen a été rédigée en français, c'est en occitan qu'a été créé le personnage de Marianne. La République est une et indivisible, mais elle est aussi diverse, c'est ce qui fait l'attractivité de son territoire et la rend unique. La Charte est nécessaire à l'élaboration d'un cadre législatif permettant aux langues régionales de s'épanouir.
Pour ses adversaires, rien n'y fait : ni que nos partenaires l'aient ratifiée, ni que des juristes éminents l'aient défendue, ni que l'Unesco la soutienne... D'aucuns soutiennent que les langues régionales sont mortes, arriérées, dépassées... La vérité, c'est qu'elles constituent un patrimoine humain et culturel exceptionnel, bien vivant. N'y a-t-il pas lieu plutôt de lutter contre la colonisation culturelle et linguistique de l'anglais ? Un véritable Waterloo linguistique nous menace. Protégeons notre patrimoine, en encourageant la valorisation des langues régionales. Nul risque communautariste derrière la ratification de la Charte, ce serait au contraire une sécurisation des pratiques actuelles.
Réconcilions la langue de la République et la République des langues. Il est dommage, très dommage que de tels enjeux ne nous rassemblent pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
présidence de M. Thierry Foucaud, vice-président
M. André Reichardt . - Je suis le troisième sénateur alsacien à intervenir et à dire mon attachement à ma langue régionale. L'Alsacien n'est toutefois pas ma langue maternelle. Je l'ai apprise au contact de mes amis, de mes relations professionnelles et l'ai aimée progressivement ; j'en ai découvert la finesse et la richesse, la multiplicité de ses accents. Élu, je n'ai cessé de la défendre, en promouvant son enseignement, sa pratique au théâtre, en finançant des plaques de rues bilingues ou des dictionnaires professionnels franco-alsaciens. Je ne saurais donc passer pour hostile aux langues régionales.
Notre régime local d'assurance maladie et notre régime des cultes sont les plus connus de nos particularismes, mais notre langue gagnerait à être mieux connue. Savez-vous qu'il existe plus de 80 expressions en alsacien pour dire des mots doux à une femme ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Seulement ? (Sourires)
M. Loïc Hervé. - Des exemples !
M. André Reichardt. - De même, il y a 40 expressions pour dire « marquer un but » au football... C'est une langue pleine de subtilité, que nous voulons préserver et promouvoir.
Malgré l'attachement que j'ai pour cette langue, je ne peux me résoudre à voter ce texte. Parce que c'est inutile et parce que c'est impossible.
Inutile en effet : elle n'apporte rien par rapport à ce que nous faisons déjà. Nous n'avons pas attendu la Charte pour encourager la pratique de la langue. L'office pour la langue et la culture s'y emploie depuis 1994 avec le soutien financier massif du conseil régional. René Danesi a parlé de la Charte alsacienne de 2014. La Charte européenne peut d'ores et déjà se décliner dans nos territoires, dans tous nos territoires si les populations et les élus le veulent...
Cette ratification reste impossible, le rapporteur l'a dit ! Même affublée de cette déclaration interprétative, la Charte est contraire à la Constitution.
Reste le symbole. Mais depuis la révision de 2008, l'article 75-1 de la Constitution reconnaît déjà l'appartenance des langues régionales à notre patrimoine.
Préférons à ce projet de loi une proposition de loi donnant un véritable statut aux langues régionales et votons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Jean-Claude Luche applaudit aussi)
M. Christian Manable . - La République est une et indivisible. C'est son patrimoine qui fait sa richesse, sa diversité. Les langues régionales font partie de ce patrimoine ; une République forte n'a pas à craindre la diversité linguistique.
Parlementaire, je représente la nation française, non une spécificité locale. Et pourtant, je suis un ardent défenseur des langues et cultures régionales. N'évitons pas ce débat important au moyen de je ne sais quelle acrobatie juridique.
J'ai entendu parler du breton, du basque, du normand, laissez-moi vous parler du picard.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Oui, cela manquait !
M. Christian Manable. - Car le picard est bien une langue, que parlaient la nation picarde, les universitaires de la Sorbonne au XIIIe siècle. En 1999, le Premier ministre Jospin a demandé à Bernard Cerquiglini d'établir la liste des langues de France : le picard en fait partie. En 2013, Aurélie Filippetti avait installé un comité consultatif des langues régionales, destiné à éclairer les pouvoirs publics sur l'application des 39 mesures de la Charte. Le rapport cite le picard, tantôt en le rattachant aux langues d'oïl, tantôt en en faisant une variété dialectale du français. En Picardie, cela a nourri les inquiétudes... Aucun spécialiste du picard n'était au comité. Le nombre de locuteurs avancé nous paraissait en outre fantaisiste.
La vérité, c'est que le picard est parlé dans cinq départements et jusqu'à Tournai en Belgique. Il s'écrit depuis le Moyen-Âge, deux millions de personnes sont capables de le comprendre. Il existe une littérature originale et de nombreuses méthodes d'apprentissage pour le milieu scolaire. Au reste, le chti est un picard qui a réussi mais n'a pas d'autonomie, puisqu'il est formé à partir du picard des soldats des tranchées de 1914-1918... On publie régulièrement en picard : Astérix par exemple, s'écoule à 100 000 exemplaires, bien plus que dans d'autres langues régionales... Le picard est un élément fort de notre grande région, que certain candidat aux prochaines élections ne semble connaître qu'au travers des vitres du TGV...
Si la révision de la Constitution aboutissait, la langue picarde devrait être promue.
M. le président. - Vous avez largement épuisé votre temps de parole, veuillez conclure.
M. Christian Manable. - Marius Touron, en 1910, interpellait le ministre en picard lui demandant de ne pas laisser mourir sa langue. Je fais mienne sa requête. (Applaudissements à gauche)
Mme Colette Mélot . - L'article 75-1 de la Constitution fait des langues régionales des composantes de notre patrimoine. Le temps des guerres linguistiques est révolu. Le français, langue de la vie publique, pilier de l'unification nationale, doit garder sa prééminence. Mais les langues régionales ne la menacent aucunement. Le pluriel masque d'ailleurs une grande hétérogénéité : quoi de commun entre le corse, le basque, le picard, le créole, le tahitien, le kanak ? Le nombre de locuteurs varie, sans compter qu'il faudrait distinguer entre compréhension passive et expression active, maîtrise de l'oral et de l'écrit.
En métropole, les langues régionales ne survivent que grâce à l'école... À ce propos, je me félicite du sérieux témoigné par l'éducation nationale et l'enseignement supérieur à l'égard des langues régionales.
La loi de refondation de l'école de la République prévoit même un enseignement tout au long de la scolarité par convention avec l'État. Le maire ne peut même s'opposer à la scolarisation d'enfants dans une autre commune que la sienne lorsque l'apprentissage d'une langue régionale est en jeu. Le schéma d'accompagnement de la valorisation des langues ultramarines de 2012 va dans le même sens.
La ratification de la Charte ne va toutefois pas sans difficultés. Certes, elle pourrait empêcher la réduction du nombre d'options dans l'enseignement secondaire, défendue de longue date par la Cour des comptes. Il faudrait aussi encourager la promotion des langues régionales dans les médias, et sécuriser la signalétique bilingue des lieux publics - comme l'entendait la proposition de loi votée par le Sénat en 2011, que j'ai eu l?honneur de rapporter et jamais inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. La toponymie bilingue est déjà un outil puissant de valorisation des langues régionales.
Nous poursuivrons notre action par le dépôt d'une proposition de loi. Nul besoin de voter cette Charte pour défendre la diversité linguistique. J'espère que les partisans de l'adoption du présent texte seront aussi prompts à voter notre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Georges Labazée . - Un collègue de mon département avait chanté dans sa langue natale à l'Assemblée nationale. Je ne l'imiterai pas, mais dirai seulement... (L'orateur prononce l'adresse en béarnais)
Je ne reviendrai pas sur l'historique. Seize ans ont passé depuis que la France a signé la Charte, rien n'a été fait. Cette Charte serait-elle un caillou dans la chaussure de la France ?
Les nouveaux membres de l'Union européenne ont dû la ratifier, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne l'ont fait... Elle ne menace en rien l'unité de la Nation, ni ne crée des droits collectifs. La République ne doit simplement pas être oublieuse de ceux qui l'ont constituée et de ceux qui la constituent aujourd'hui.
Que veut-on au juste ? Voir les minorités linguistiques mourir lentement ?
M. Ronan Dantec. - Absolument !
M. Georges Labazée. - Si rien n'est fait, elles disparaîtront d'ici vingt ans, dit l'Unesco. L'occitan a plus de mille ans d'existence, et le basque davantage... Ou veut-on qu'elles s'épanouissent ? Exclure ces langues de la République, c'est l'amputer d'une partie d'elle-même. Enfant, je n'ai parlé que béarnais avec mes parents ; cela ne m'a pas empêché de poursuivre une carrière d'enseignant au service de l'Éducation nationale, puis de parlementaire.
De nombreux écrivains béarnais, comme Bernard Manciet, ont connu un certain succès. (Marques d'impatience à droite)
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Georges Labazée. - Je vous dirai, monsieur le président de la commission des lois, que vous vous moquez un peu de nous... Patrick Chamoiseau, prix Goncourt 1992, parlait du temps où « la langue créole avait de la ressource » et « fascinait (...) par son aptitude à contester (...) l'ordre français régnant dans la parole. Elle s'était comme racornie autour de l'indicible, là où les convenances du parler perdaient pied dans la mangrove du sentiment. Avec elle, on existait rageusement, agressivement, de manière iconoclaste et détournée ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Bas, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (n° 662, 2014 - 2015).
M. Philippe Bas, rapporteur . - Le débat a été riche d'enseignements. Il confirme notre engagement collectif de promouvoir les langues régionales. Mais ce n'est pas l'effet qu'aurait la Charte.
On ne saurait mettre sur le même plan les opinions, aussi stimulantes soient-elles, d'universitaires, qui peuvent être contredits par d'autres universitaires, et des avis ou des décisions rendus par nos juridictions suprêmes. Nous vivons, fort heureusement, dans un État de droit : Le débat constitutionnel est tranché depuis 1999. Ceux qui s'étonnent de l'absence de ratification depuis lors doivent comprendre que le Conseil constitutionnel y avait fait obstacle : la présente procédure de révision ne permet pas davantage d'y faire échec non plus qu'à la France d'honorer ses engagements internationaux.
Je rappelle que ce projet de loi autorise la ratification de la Charte, complétée de la déclaration interprétative annoncée il y a quinze ans. Cette déclaration interprétative n'a pas de valeur constitutionnelle - elle peut être complétée, réduite, modifiée - et a d'autres défauts : incomplète, elle n'a pas pris en compte les obstacles relevés postérieurement à sa rédaction par le Conseil constitutionnel... Elle n'empêcherait nullement l'application des stipulations de la Charte prévoyant, par exemple, le droit imprescriptible de s'exprimer dans la vie publique en langue régionale ou la création d'instances représentatives de groupes de locuteurs. Ce ne sont pas des arguties...
Ce projet de révision conduirait aussi la France à se mettre en infraction vis-à-vis de ses engagements internationaux, car la Charte exclut en son article 21 toute réserve. Or la déclaration interprétative, ce sont en réalité des réserves. Comme les parties IV et V de la Charte organisent la surveillance du respect par les parties de ses stipulations, le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe ne pourrait que constater que la France y contrevient et lui demander de se mettre en conformité.
Ce projet de loi constitutionnelle est donc une double impasse, constitutionnelle et conventionnelle. Renvoyons-le au président de la République, en lui demandant de remplir les missions qui lui sont confiées par l'article 5 de la Constitution, veiller au respect de la Constitution et des engagements internationaux de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC)
M. Alain Anziani . - Beaucoup d'opinions ont été émises en effet. Ce projet de loi attenterait à l'unité de la République, favoriserait le communautarisme, bafouerait les fondements de notre droit... J'affirme que ce ne sont que des opinions.
La Charte est-elle compatible avec notre Constitution ? La réponse est oui. Mais quel est notre pouvoir de constituant et, au-delà, celui du peuple souverain ? Est-il subordonné au pouvoir judiciaire ? Au droit européen ? Notre droit affirme la suprématie de la Constitution sur les traités européens - tous les manuels de droit public, dont celui du professeur Portelli, le disent.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Belle découverte !
M. Alain Anziani. - En conséquence, toutes les dispositions de notre bloc de constitutionnalité primeront la Charte.
Des précautions ont en outre été prises. La France n'a pas pris la totalité de la Charte, elle n'a souscrit qu'à 39 engagements sur 98, écartant tout ce qui paraissait contraire à nos règles - y compris le droit imprescriptible qu'a évoqué le président Bas.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Ce n'est pas dans la déclaration interprétative...
M. Alain Anziani. - La question ne saurait se poser en ces termes, dit-on, l'important serait ce que la France n'a pas accepté. Sur les conseils de Guy Carcassonne, la France a justement déposé une déclaration interprétative, soit la lecture qu'elle fait de la Charte. La déclaration écarte la reconnaissance de droits particuliers aux locuteurs de langues régionales. Ce n'est d'ailleurs pas une spécificité française, tous les pays en ont déposé une, l'Allemagne en a même déposé deux.
La déclaration interprétative est-elle une réserve ? J'affirme que non. La Charte est précédée d'un rapport explicatif, dont personne ne parle, qui précise que la Charte a une vocation culturelle et ne remet pas en cause les principes de souveraineté nationale et d'intégrité territoriale des États... La déclaration ne peut être une réserve puisqu'elle est en accord avec ce rapport.
M. Philippe Bas, rapporteur. - C'est inexact.
M. Alain Anziani. - Je vous renvoie à l'ouvrage du professeur Gicquel...
Le Conseil constitutionnel a tranché. Il a jugé qu'une révision constitutionnelle était nécessaire. C'est l'objet du projet de loi, qui intègre la déclaration interprétative dans notre loi fondamentale et lui donne une force nouvelle. Le Conseil constitutionnel n'aura pas à s'interroger sur la constitutionnalité du texte, puisqu'il s'interdit un tel contrôle. Quant au Conseil d'État, il met en avant des incertitudes juridiques. Mais dès lors que tout est dans la Constitution, le juge rejettera la requête d'un Basque ou d'un Corse qui voudrait plaider dans sa langue...
Un mot sur la situation à l'étranger : ni l'anglais, ni l'allemand ne s'effacent. Pour une raison simple : l'article 5 de la Charte stipule que rien ne peut remettre en question le principe de souveraineté nationale et d'intégrité territoriale. La Charte, encore une fois, n'a qu'une visée culturelle.
Plus des trois cinquièmes des députés, 71 %, ont voté une révision constitutionnelle de cette nature.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Pas celle-ci !
M. Alain Anziani. - À vous de dire si vous accédez à l'aspiration légitime des territoires ou cédez à la tentation jacobine. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste ; Mme Hermeline Malherbe et M. Michel Le Scouarnec applaudissent également)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Merci à tous pour la belle tenue et la hauteur de ce débat.
Je reviendrai sur les arguments juridiques ; répéter les plus contestables ne les rend pas irréfutables... J'ai expliqué la genèse de ce projet de loi et les principes qui sous-tendent sa rédaction. Je demeure surprise de la façon dont vous, les constituants, sous-estimez votre pouvoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Fragiliserait-on par ce texte les principes fondamentaux de la Constitution, l'indivisibilité de la République, l'unicité du peuple français, l'égalité des citoyens devant la loi ? Vous avez raison, monsieur le président Bas, les opinions des constitutionnalistes, indispensables, ne doivent pas être mises sur le même plan que les avis de nos juridictions. Le Conseil constitutionnel estime donc que la Charte, « en ce qu'elle confère des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires », attente à ces principes. Mais ces droits spécifiques n'existent pas. Le rapport explicatif annexé à la Charte est clair : elle vise à protéger les langues minoritaires, non les minorités linguistiques, et ne crée pas de droits individuels ou collectifs.
M. Jacques Mézard. - Ce n'est pas ce que dit la Charte.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Guy Carcassonne l'a dit aussi, la Charte ne donne aucune existence juridique à de tels groupes.
Passage en force, monsieur le président ? Impossible, puisque c'est le constituant qui se prononcera.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je vous en donne acte.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - J'entends dire que la déclaration interprétative serait une réserve. Pas ici, dans une assemblée aussi experte - dont j'ai apprécié les travaux dès l'époque où j'étais députée. Il n'y a pas de confusion possible, une réserve exclut les conséquences juridiques de stipulations, tandis que la déclaration interprétative précise leur portée.
Sur la hiérarchie des normes, il n'y a pas d'ambiguïté, depuis les décisions du Conseil d'État de 1998 et plus récemment de la Cour de cassation. Pas d'inquiétude donc.
M. Hugues Portelli. - Dans l'ordre interne uniquement !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Au-delà des questions juridiques, il faut oser parler du fond des choses. André Reichardt s'est fait minnesänger. J'ai entendu un auteur de chant d'amour adressé à l'alsacien. La variété sémantique et syntaxique des langues, la pluralité des expressions artistiques et littéraires sont une telle richesse que je comprends mal vos réticences. Pourquoi refuser un cadre plus large, favorable à l'émulation ? C'est là que l'on pourrait soupçonner le communautarisme.
Notre patrimoine a perdu un peu de sa force, pour mille et une raisons. L'enjeu est de le revigorer, pour nous enrichir mutuellement.
L'unité du même, cela n'existe pas. L'unité est celle d'un monde complexe et pluriel - ce qu'est la société française, comme les autres.
La laïcité, principe de concorde, nous permet d'avoir, malgré nos appartenances, nos croyances diverses, un destin commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Bruno Sido. - Ce n'est pas du droit !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - La question des moyens a été évoquée. Ne confondons pas les sujets, même si les lois doivent effectivement être appliquées, madame Assassi. Je comprends mal, ayant entendu votre attachement aux langues régionales, pourquoi vous refusez une norme constitutionnelle. Vous préférez une loi contraire à la Constitution ? Les langues régionales relèvent pour l'essentiel du règlement. C'est le Gouvernement qui a fait introduire des dispositions dans la loi - celle de la refondation de l'école - et qui propose aujourd'hui d'aller au-delà en révisant la Constitution.
Le budget dédié à la promotion du français et des langues régionales a augmenté sous ce Gouvernement : 2,850 millions d'euros en 2015, contre 2,497 millions en 2010 et 2,6 en 2013. Le délégué interministériel a codifié, à la demande du Gouvernement, toutes les normes relatives aux langues régionales dans un code Dalloz. Un programme « Dis-moi » est déployé dans toutes les écoles. Quant à la mesure prévue par l'article 10 de la Charte, elle ne fait pas partie des 39 retenues par le Gouvernement.
Selon notre droit pénal, les personnes doivent déjà être jugées dans une langue qu'elles comprennent, d'où le recours à des interprètes. La Charte n'implique nullement une nouvelle obligation en cette matière.
« J'écris en présence de toutes les langues du monde », disait Glissant. C'est lorsqu'on a combiné en soi des langues, des expressions différentes, que l'on peut se mouvoir dans toutes les cultures. L'enracinement profond permet à l'individu de se stabiliser et de se hisser ainsi à la hauteur du monde, écrivait Césaire, qui n'a jamais écrit en créole, et pour qui « le seul vrai trésor est celui qui fait la richesse des autres ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste).
M. Jacques Legendre. - Ce débat était-il nécessaire ? Nous aimons tous les langues de France et nous aurions pu parler de mesures concrètes pour les promouvoir. Au lieu de cela, nous voilà pris dans un débat juridique sans doute intéressant - il met en lumière les risques juridiques - mais qu'il serait temps d'abréger. Coupons court et votons la question préalable.
Avec cette révision, la Constitution interdirait de respecter des engagements rendus pourtant impératifs par la ratification de la Charte : ce serait inédit.
Au lieu d'être des diseux, soyons des faiseux et votons une grande loi pour les langues régionales. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. François Marc. - « De quoi ont-ils peur ? »
M. Philippe Bas, rapporteur. - De rien !
M. François Marc. - Cette question est posée depuis qu'il est apparu que la majorité sénatoriale voterait une question préalable. Madame la ministre, merci des éclairages utiles que vous avez apportés. Surtout, vous avez élevé le débat, cité le grand Victor Segalen et dit qu'honorer l'homme dans sa diversité doit être notre leitmotiv.
La position de la droite sénatoriale n'est pas comprise dans le pays. « Bricolage » dit l'un de nos collègues du groupe Les Républicains : il est bien plutôt dans leur refus de voter ce texte et dans le dépôt précipité d'une proposition de loi.
Mme Nathalie Goulet. - Quinze ans de mécano !
M. François Marc. - Selon l'Unesco, 90 % des langues disparaîtront au XXIè siècle.
M. Bruno Retailleau. - Ce n'est pas avec cette Charte que cela changera !
M. François Marc. - Il est temps d'agir et de ratifier la Charte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Christian Favier. - La présidente Assassi a rappelé que nous soutenons sans ambiguïté la promotion des langues régionales, profondément populaires ; cette action n'est nullement contraire à nos principes républicains. La Charte va beaucoup plus loin, même si un débat existe sur sa portée. Ce débat, monsieur le rapporteur, ne vous en privez pas ! Nous voterons contre la question préalable, tout en soulignant qu'il faut parler des moyens, insuffisants. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe socialiste et républicain)
M. François Zocchetto. - Il ne s'agit pas de dire si l'on est pour ou contre la diversité linguistique, nous y sommes tous attachés. Il s'agit de réfléchir au meilleur moyen de la défendre.
Ce projet de loi constitutionnel n'apporte aucune plus-value, tout en créant beaucoup d'incertitude juridique. On ne peut ignorer l'avis du Conseil constitutionnel, selon lequel la Charte contrevient à nos principes fondamentaux. Évoquer le rapport explicatif, c'est méconnaître la hiérarchie des normes. Plusieurs d'entre nous, issus de territoires régionalistes, peuvent se sentir pris en otage par votre projet partisan, à quelques semaines des élections régionales.
Dans leur grande majorité les membres de notre groupe voteront la question préalable. (Applaudissements sur plusieurs bancs au centre et à droite)
M. Ronan Dantec. - Encore un triste épisode... Depuis la loi Deixonne en 1951, chaque fois que l'occasion se présente de défendre les langues régionales, la droite, malgré de belles déclarations d'intention, trouve des arguties juridiques. Comme pour laisser le temps aux langues régionales de s'éteindre. Le président Bas aurait dû d'emblée nous dire qu'il refusait que l'on change quoi que ce soit à notre loi fondamentale. « Touche pas à ma Constitution ! » nous a-t-il dit en substance. La droite n'évolue pas.
M. Bruno Sido. - Quelle mauvaise foi !
M. Ronan Dantec. - Je suis heureux, en revanche, que la gauche ait beaucoup progressé dans son intelligence du monde (MM. Rémy Pointereau et Bruno Retailleau s'esclaffent) et de la diversité. Quand la droite agite le spectre du communautarisme, cela annonce sur quels thèmes elle entend revenir au pouvoir... Le clivage a été net entre la gauche et la droite, et je suis fier d'appartenir à la première ! (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
M. Jacques Mézard. - Vous avez tort de tenir ces propos clivants, voire simplistes : ce débat transcende les lignes de partage traditionnelles, le vote de mon groupe en témoignera.
Le Gouvernement nous reproche de ne pas faire entendre la voix des territoires. Mais quand nous la portons, à l'occasion de la réforme territoriale par exemple, il refuse de nous écouter !
Mmes Nathalie Goulet et Éliane Assassi. - Très bien !
M. Jacques Mézard. - Madame la garde des Sceaux, vous dites tout bonnement que le Conseil d'État s'est trompé. C'est assez grave...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Assez grave pour que je réponde !
M. Jacques Mézard. - Reconnaître des droits aux groupes de locuteurs est contraire à nos principes fondamentaux, quelques changements que l'on puisse apporter à la Constitution. Dites clairement, comme M. Dantec, que c'est ce que vous souhaitez ! Vous avez parlé de laïcité : à quand le projet de loi annoncé sur cette question ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je ne me suis pas prononcée sur l'avis du Conseil d'État, me contentant de lire la décision du Conseil constitutionnel et de rappeler la teneur du rapport explicatif annexé à la Charte. Je crois avoir toujours été respectueuse des institutions. Mais je m'étonne de vous entendre, monsieur Mézard, vous qui êtes si subtil, brandir l'avis du Conseil d'État comme s'il liait le Gouvernement. Je n'ai nullement mis en cause le Conseil ni son avis.
M. Philippe Bas, rapporteur. - La droite et le centre sont pour la diversité, ils l'ont prouvé en 2003, puis en 2008 lors de la révision de la Constitution, puis, en 2011 lorsqu'il s'est agi de créer une collectivité d'Alsace à statut particulier.
M. André Reichardt. - Très bien !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il y a une fausse habileté à contourner une décision du Conseil constitutionnel par le biais d'une déclaration interprétative. Mieux aurait valu prévoir expressément une dérogation aux principes des articles 1er et 2 de la Constitution, en assumant franchement votre volonté. (Applaudissements au centre et à droite ; Mme la garde des sceaux s'amuse)
La motion tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°30 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l'adoption | 179 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi constitutionnelle n'est pas adopté.
M. le président. - Les explications de vote et le scrutin public sur ce texte, prévus mardi, n'ont plus lieu d'être. L'ordre du jour du mardi 3 novembre sera modifié en conséquence. Le président du Sénat prendra contact avec le Gouvernement pour étudier, avec le président de la commission des lois et les présidents de groupes, si l'examen du projet de loi sur l'indépendance et l'impartialité des magistrats peut commencer avant les questions d'actualité de 16 h 45.
CMP (Demandes de constitution)
M. le président. - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre deux demandes de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion, d'une part, du projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public et, d'autre part, du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la prévention des risques.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à ces deux commissions mixtes paritaires selon les modalités prévues par l'article 12 du Règlement.
La séance est suspendue à 19 h 35.
présidence de M. Hervé Marseille, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Surveillance des communications électroniques internationales (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales.
Discussion générale
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense . - Cette proposition de loi parachève notre travail global sur le renseignement depuis 2012. Je remercie, après Patricia Adam et Philippe Nauche, ses auteurs, vos commissions des lois et des affaires étrangères et leurs présidents et rapporteurs qui ont sensiblement enrichi le texte. Sur l'essentiel, nous sommes parvenus à un terrain d'entente.
Cette proposition de loi répond à un besoin urgent. La loi sur le renseignement établissait un régime de surveillance des communications électroniques internationales censuré par le Conseil constitutionnel car il renvoyait excessivement au règlement sur les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés, ainsi que sur le contrôle exercé par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), de la légalité des autorisations et de leur mise en oeuvre. C'est le rôle de cette proposition de loi : la surveillance ne concerne que des personnes situées à l'étranger - nous ne recherchons donc pas un moyen détourné d'espionner les Français.
La proposition de loi fixe les données maximales de conservation et les modalités de destruction des données. Elle détaille les prérogatives de la CNCTR en cette matière. Enfin, elle organise un contrôle juridictionnel en prévoyant une saisine éventuelle du Conseil d'État. L'ensemble des garanties que le Gouvernement prévoyait de préciser dans un décret sont donc intégrées à la loi.
Un accord émerge entre les deux assemblées, les apports de votre commission des lois étant essentiellement d'ordre légistique et rédactionnel.
Votre texte supprime la délégation de signature du Premier ministre, ce qui me paraît contraire au principe de séparation des pouvoirs auquel je sais le président Bas attaché. Le Conseil d'État, cependant, n'y voit pas de violation de la Constitution ; dans ces conditions, soit.
Votre commission a également réduit de 12 à 10 mois la durée de conservation des données. L'équilibre choisi demeure plus favorable aux intérêts de la défense que le régime des surveillances intérieures. L'écart temporel entre interception et utilisation s'explique par le fait que des réseaux restent parfois dormants pendant très longtemps. En outre, les communications interceptées sont généralement en langue étrangère, parfois une langue rare. Le Gouvernement toutefois ne fera pas de ce raccourcissement un point de blocage.
Vous avez également souhaité que les opérateurs des communications aient l'assurance que les opérations matérielles rendues nécessaires par les autorisations seront effectuées par leurs agents lorsque ce sera pertinent. Le Gouvernement y est favorable, et proposera de renvoyer à l'article L. 871-7.
Cette proposition de loi fixe un cadre essentiel à la protection des intérêts français dans le respect des libertés fondamentales. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, Les Républicains et UDI-UC)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois . - Le Conseil constitutionnel avait considéré que nous législateurs, n'avions pas épuisé nos prérogatives, que nous ne pouvions nous en remettre au Gouvernement pour déterminer le régime de la collecte de renseignements dans le domaine des communications électroniques internationales. Cette proposition de loi comble le vide juridique que cette décision crée. L'initiative de Patricia Adam et Philippe Nauche était donc bienvenue.
Pour parer à tout risque d'inconstitutionnalité, j'ai utilisé la possibilité donnée par l'article 39 au président du Sénat de saisir le Conseil d'État d'une proposition de loi que j'ai déposée, très proche de celle-ci. Cela a permis de lever tous les doutes sur sa constitutionnalité de même que sur sa conventionalité, y compris à l'égard de la Cour européenne des droits de l'homme.
Le Conseil d'État a estimé que la mise en oeuvre d'un dispositif différent en France et à l'étranger ne créait pas de déséquilibre. Si cette surveillance ne donne pas lieu aux mêmes voies de recours, le Conseil d'État a relevé qu'il existait toutefois des recours : auprès de la CNCTR d'abord, puis auprès du Conseil d'État par trois membres de cette commission. Je n'ai jamais rencontré à l'étranger de système aussi protecteur des libertés.
Ce régime est dérogatoire : les utilisateurs ayant un identifiant étranger sont moins protégés, mais ils le sont par leur propre législation, comme les Français le sont à l'étranger. Chacun chez soi et tout ira bien, dit l'adage manchois. (Sourires)
Les deux assemblées devraient pouvoir s'entendre sur un dispositif simple. Les informations prises dans des flux d'échanges interceptés qui ne relèvent pas de ce régime ne pourront être utilisées.
Une autorisation doit être donnée pour des flux mixtes. Si le flux concerne deux terminaux étrangers, le régime est facilité et soumis à une autorisation du Premier ministre, laquelle peut porter sur des zones géographiques ou des personnes, de manière notamment à respecter des conventions internationales.
Je me suis rendu deux fois dans les locaux de la DGSE. Autant que j'aie pu m'en rendre compte, c'est bien ce qui est mis en oeuvre. J'appelle donc à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les mêmes bancs)
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - La commission des affaires étrangères, toujours soucieuse de trouver le juste équilibre entre libertés et sécurité, m'a demandé de vérifier si cette proposition de loi respectait les exigences du Conseil constitutionnel et si la réponse ne réduisait pas à l'excès les possibilités des services de renseignement qui assurent la sécurité nationale. L'initiative du président Bas a facilité les choses : le Conseil d'État a considéré que sa proposition de loi répondait aux exigences du Conseil constitutionnel. Les différences substantielles par rapport au régime de surveillance sur le territoire national correspondent à la différence corrélative des techniques employées.
Le Conseil d'État estime que le texte parvient à une juste conciliation entre les impératifs de la sécurité nationale et la sauvegarde de la vie privée. La surveillance des communications électroniques internationales correspond, dans une société démocratique, aux nécessités de la sécurité nationale et de la prévention des infractions pénales, au sens de l'article 8 de la CEDH. De même, l'absence d'un régime indifférencié selon la nationalité ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle ou conventionnelle.
La procédure de recours, quant à elle, concilie selon le Conseil, d'une façon qui n'est pas manifestement disproportionnée, le droit au recours effectif et l'exigence constitutionnelle de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation, dont participe le secret de la défense nationale. La CNCTR connaîtra toutes les autorisations, aura un accès élargi aux informations et pourra donc procéder à toutes les vérifications nécessaires.
L'existence d'un régime différent d'autorisation et de traitements automatisés était nécessaire pour reconstituer les réseaux. Le Conseil d'État considère que la formulation maintient les mesures prises pour la surveillance des communications par voie hertzienne pour la défense. Il était indispensable que les données de conservation soient plus longues : les données sont souvent en langue étrangère, il faut du temps pour les traduire comme pour identifier des réseaux d'ennemis dont il ne faut pas sous-estimer l'intelligence.
La commission des affaires étrangères a donné un avis favorable à l'adoption de cette proposition de loi. Les ajouts de la commission des lois ne constituent pas des différences insurmontables ; ils ne me semblent pas devoir changer le sens de l'avis de ma commission.
Avec cette législation, la France témoignera de la maturité de sa démocratie et pourra s'en prévaloir sur la scène internationale. (Applaudissements sur les mêmes bancs)
Mme Esther Benbassa . - Cette proposition de loi corrige des dispositions de la loi sur le renseignement censurées par le Conseil constitutionnel au motif que les garanties apportées aux citoyens n'étaient pas suffisantes. Le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée, ouvrant la voie à un examen expéditif. Or ce texte menace les droits, notamment ceux des étrangers, et en particulier le secret de la correspondance.
Le président Bas a déposé une proposition de loi similaire dont il a souhaité que le Conseil d'État fût saisi. Beau paradoxe : tandis que la gauche suit la pente glissante que nous savons, c'est la droite sénatoriale qui se soucie de nos libertés !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Et oui !
Mme Esther Benbassa. - Le groupe écologiste considère que la proposition de loi laisse trop de marge de manoeuvre aux services de renseignement, impliquant la collecte par défaut des communications de personnes dont les identifiants sont français, mais qui transitent par des opérateurs étrangers comme Google ou Skype, que nous utilisons tous les jours. Et je ne dis rien des durées de conservation : jusqu'à huit ans pour les données chiffrées !
Des associations comme Amnesty international et le président du comité national consultatif des droits de l'homme ont critiqué ce texte que son flou rend difficile à amender et qui fait de chaque citoyen un suspect.
Les écologistes voteront donc contre ce texte au potentiel liberticide patent, car pouvant servir un jour à d'autres fins que la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Jean-Pierre Sueur. - Quelle modération !
M. Yves Détraigne . - Notre pays attendait depuis longtemps la loi sur le renseignement. L'exercice était difficile, car les craintes légitimes étaient nombreuses. Mais nous sommes arrivés à un texte équilibré.
Les sages de la rue Montpensier ont censuré la forme et non le fond du régime spécifique à la surveillance des communications électroniques internationales. Nous devons énoncer les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des données ainsi que les modalités de contrôle par la CNCTR. Il est essentiel que notre appareil juridique soit complet. Les interventions de nos forces armées au Sahel et au Proche-Orient ont accru l'agressivité de nos adversaires. Avec cette proposition de loi, nos services pourront surveiller les Français engagés auprès de Daech, hélas de plus en plus nombreux. Les garde-fous demeurent.
Ainsi, les procédures sont détaillées : seul le Premier ministre, selon le texte de la commission, pourra donner une autorisation. La durée de conservation, forcément plus longue que pour les données recueillies en France, a été ramenée par la commission de douze à dix mois, montrant l'attachement de notre Haute Assemblée aux libertés fondamentales.
Ce texte vient combler le vide juridique issu de la censure du Conseil constitutionnel. Les sénateurs du groupe UDI-UC le soutiendront dans leur majorité.
Mme Cécile Cukierman . - Cette proposition de loi a un parcours législatif singulier. Ayant pour source la censure du Conseil constitutionnel, elle est la parade que le Gouvernement a trouvée pour répondre aux menaces qui pèsent sur notre pays. Mais nous regrettons le choix de cette procédure, sur un sujet aussi clairement régalien.
Notre hostilité ne porte pas sur la forme, mais sur le fond, sur la façon dont le texte répond à des problèmes réels : la collecte massive de données entraîne une surveillance de masse, selon une méthode que les services appellent « pêche au chalut ». Nous changeons ainsi de logique de renseignement au profit d'un système qui ne distingue pas ses cibles et est d'une efficacité douteuse. Une grande partie du trafic internet mondial passant par des câbles sous-marins français, la France se place dans un système de surveillance mondial. Selon le rapporteur, la durée de conservation est rendue nécessaire par une interprétation difficile des données : cette technique est-elle dès lors efficace ?
Je m'interroge sur la fiabilité de cette utilisation d'algorithmes propres peut-être à identifier ce que l'on cherche, mais dans une masse de données considérable, exploitées dans des conditions discutables. Cela me fait penser au programme Skynet utilisé par les États-Unis pour abattre, au moyen de drones, des individus soupçonnés de terrorisme au Pakistan, sur la base d'une très complexe analyse algorithmique de données collectées par les compagnies de téléphone mobile. Passons sur la légitimité éthique de telles pratiques, reste qu'en matière de lutte contre le terrorisme les résultats de ce programme sont loin d'être efficaces et qu'il y a eu beaucoup d'erreurs de cibles et de « dommages collatéraux » irrémédiables.
La collecte massive de données personnelles est tout à fait aléatoire alors qu'en la matière la réussite tient avant tout à la capacité d'analyse.
Ma seconde critique porte sur le fait que cette loi étendrait la surveillance de masse dans un flou et une absence de garantie, ou de recours, extrêmement dangereux pour les libertés fondamentales et individuelles. Ce texte pourrait d'ailleurs se heurter à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a suspendu l'application de l'accord Safe Harbour au motif que le régime de protection des données n'était pas satisfaisant.
La CNCTR ne pourrait agir qu'après la décision unique du Premier ministre. Les communications reçues à l'étranger, depuis le territoire national vers un identifiant étranger, le serveur Google par exemple, pourront être surveillées sur la base du régime défini dans la proposition de loi. Puisque chacun utilise quotidiennement ces outils, toutes les communications sont concernées !
Cette proposition de loi déséquilibrée légitime des pratiques que nous jugeons contraires aux droits humains ; nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs écologistes et du groupe communiste républicain et citoyen)
M. André Reichardt . - Ce texte parachève la loi sur le renseignement, qui renvoyait à un décret des dispositions relevant de la protection des libertés publiques, et donc de la loi : rendons un hommage appuyé à la démarche du président Philippe Bas.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Merci !
M. André Reichardt. - Il a fait le nécessaire pour que nous bénéficiions d'un avis du Conseil d'État. L'analyse de celui-ci ne nous dispense certes pas d'examiner le texte, mais elle nous rassure sur sa constitutionnalité et sa conventionalité.
Ne sont concernées que les communications électroniques internationales dont la source et la réception sont étrangères. Une interception de sécurité vise une personne en particulier, sur le territoire national, en vertu d'éléments connus. Ce n'est pas le cas de la surveillance des communications électroniques internationales, qui vise des individus dont on ne connaît pas les noms ou des zones et des groupes terroristes.
Outre quelques amendements rédactionnels, la commission des lois a confié au Premier ministre la faculté de déterminer les réseaux concernés, ramené de douze à dix mois la durée de conservation des correspondances interceptées, et précisé le régime des opérations matérielles lorsqu'elles sont réalisées par les opérateurs de communications électroniques.
Au vu de la menace et des ramifications internationales des réseaux djihadistes, je ne peux que me féliciter de cette proposition de loi, qui reprend des dispositions que la commission d'enquête sur la lutte contre les réseaux djihadistes, que j'ai présidée avec Mme Goulet, et dont M. Sueur était rapporteur avait recommandées. Le terrorisme s'est mondialisé, de même que les trafics en tout genre. Nous avons rencontré à Washington M. John Brennan, directeur de la CIA, qui a exprimé la formidable attente des États-Unis à l'égard de la France, au sujet de l'échange de données - la convention n'avait pas encore été conclue. Toutes les garanties sont offertes pour sauvegarder les libertés publiques.
Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi importante et consensuelle. Il ne s'agit certes que d'une clarification juridique, sans rien de fondamentalement nouveau. Il n'en était pas moins indispensable de doter nos services de renseignement d'un panel large et complet d'outils, au service des intérêts fondamentaux de la Nation. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UDI-UC et socialiste et républicain)
M. Jean-Pierre Sueur . - Rappelons d'abord l'horreur du terrorisme, sans quoi on ne comprend pas les motifs de ces textes successifs. Notre commission d'enquête sur les filières djihadistes, M. Reichardt l'a dit, a souligné que le renseignement était notre meilleure arme contre le terrorisme qui peut frapper quiconque, partout, n'importe quand. Les démocraties doivent réagir, sans renoncer aux libertés - ce serait donner gain de cause aux terroristes. Je rends hommage à nos services de renseignement qui oeuvrent dans des conditions extrêmement difficiles - qui a siégé à la délégation parlementaire au renseignement le sait...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. - Cette proposition de loi, nécessaire, vient compléter la loi sur le renseignement. Il faut donc l'adopter dans le même esprit. Les finalités de la surveillance des communications électroniques internationales relèvent strictement de l'article 811-3 du code de la sécurité intérieure, soit de l'article 2 de la loi sur le renseignement.
J'ai entendu dire que ce texte « liberticide » créait un « climat social délétère ». N'est-ce pas plutôt le terrorisme ? Je salue les garanties offertes, qu'il s'agisse des autorisations, des conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des données.
L'esprit n'est pas le même qu'à la CIA. Nous mettons en oeuvre des procédures extrêmement respectueuses des libertés, tout en veillant à l'efficacité de nos services.
Enfin, la plateforme nationale de cryptage sera contrôlée par la CNCTR. La DGSE fonctionnait auparavant sans l'encadrement que nous proposons aujourd'hui. N'est-ce pas l'absence de contrôle qui créait une situation délétère ? Et les professions sensibles sont protégées. La CNCTR disposera d'un accès permanent, complet et direct, au dispositif de traçabilité, aux renseignements collectés, aux transcriptions.
Certains se disent : à quoi bon lutter contre le terrorisme dès lors qu'il peut frapper partout et n'importe quand... C'est presque un travail de Sisyphe. Mais Camus écrivait, à la fin de La Peste : « Mais il savait cependant que cette chronique (...) ne pouvait être que le témoignage de ce qu'il avait fallu accomplir et que, sans doute, devraient accomplir encore, contre la terreur et son arme inlassable, malgré leurs déchirements personnels, tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant d'admettre les fléaux, s'efforcent cependant d'être des médecins ». (Applaudissements)
M. Daniel Reiner . - Ce texte, je l'espère, est le dernier jalon de la modernisation d'un cadre législatif jusque-là plutôt léger. La loi de 1991, obsolète, ne couvrait plus le champ des innovations technologiques. La loi sur le renseignement a enfin pris en compte le cyberespace, tiré les conséquences de menaces plus que jamais transnationales, fixé un cadre législatif et garanti l'équilibre entre impératif de sécurité et libertés publiques. Aux yeux de tous, il y a désormais un continuum entre sécurité intérieure et extérieure.
Selon le Conseil constitutionnel, s'agissant des communications électroniques internationales, le législateur n'a pas épuisé ses compétences pour garantir l'État de droit. Avec cette proposition de loi, c'est chose faite : extension des communications rattachables au territoire national - sauf pour les personnes déjà visées par une autorisation d'interception de sécurité, durée de conservation des données précisée, rôle du Premier ministre, contrôle de la CNCTR, droit de saisine des justiciables. Ainsi, l'État de droit se trouve consolidé, dans un domaine où il était presque inexistant.
En conciliant sécurité et libertés publiques, la France fait oeuvre utile pour elle-même comme pour d'autres, tout en évitant les excès du Patriot Act américain. Saluant les apports de la commission des lois, le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, UDI-UC et Les Républicains)
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. - Très bien.
M. Jacques Mézard . - Alors qu'on reproche souvent au Parlement d'empiéter sur le pouvoir réglementaire, il nous est aujourd'hui proposé de remédier à une censure pour incompétence négative. Ce motif pourrait suffire à ce que je souscrive à cette proposition de loi, tant je suis soucieux des prérogatives du Parlement.
Sur le fond, les grandes lignes du régime de surveillance des communications électroniques internationales - qui diffère de celui des interceptions de sécurité - ont été fixées par la loi de juin dernier, selon un régime différent des interceptions de sécurité ; le champ opérationnel a été aménagé en conséquence.
L'Assemblée nationale, puis la commission des lois du Sénat ont conservé l'essentiel des dispositions de l'article L. 851-1 tout en répondant strictement aux griefs du Conseil constitutionnel. Je me réjouis du renforcement en commission de la protection des professions protégées et des mandats parlementaires, et de la saisine ouverte à la CNCTR du juge administratif, même si je regrette que cela conforte au détriment du juge judiciaire son rôle de juge de droit commun de la voie de fait. Toutes ces mesures dessinent un projet global pour garantir la sécurité de nos concitoyens. On ne peut que les soutenir.
La prévention du terrorisme ne représentait en 2013 que 28 % des interceptions ; mais quoi qu'il ne soit que l'une des sept finalités prévues, elle est un axe majeur de notre politique de sécurité nationale.
Le Gouvernement a fait du renseignement une priorité. Si je partage le souci d'encadrer juridiquement nos activités de renseignement, mes réserves demeurent. Je ne méconnais pas la difficulté qu'il y a à concilier efficacité et protection de la vie privée. Mais les garde-fous auraient pu être renforcés. N'aurait-on pas pu lier davantage le Premier ministre aux recommandations de la CNCTR ? Car il y a le droit et la pratique...
Jean-Marie Delarue, que j'ai auditionné dans le cadre de la commission d'enquête, estime que la loi sur le renseignement et les techniques employées n'apportent pas les garanties d'un contrôle suffisant. Je n'en dirai pas plus...
Vous connaissez l'attachement du RDSE aux principes républicains, dont le respect des libertés publiques. Pour jouir de ses libertés sans entrave ni risque, encore faut-il être en sécurité.
Parce que la voie est étroite entre le possible et le souhaitable, la majorité d'entre nous votera cette proposition de loi, pour la majorité d'entre nous.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. Alain Duran . - Lors de l'examen du projet de loi sur le renseignement, j'avais notamment déposé un amendement pour restreindre le champ des communications pouvant être rattachées au régime de la surveillance internationale, au motif que ce régime comprenait moins de garanties ; c'est ce point, censuré par le Conseil constitutionnel, qui nous revient aujourd'hui.
Il ne s'agit pas d'empêcher les services de renseignement de mettre en oeuvre des techniques de surveillance lorsqu'ils ont les raisons légitimes de le faire, lorsque les intérêts fondamentaux de la Nation sont menacés ; mais, au regard de l'atteinte à la vie privée, de s'assurer d'une stricte proportionnalité dans l'usage de ces techniques et de prévenir des usages dévoyés. Tous les citoyens français sont concernés dès lors qu'ils se connectent à un site hébergé à l'étranger ou échangent un mail avec une personne installée dans un autre pays. Le contrôle est allégé et a posteriori. Sous ce régime, les professions sensibles peuvent faire l'objet d'une surveillance. Et l'utilisation des algorithmes n'est plus cantonnée à la seule lutte contre la menace terroriste. Elle permet la recherche de comportements suspects grâce à des traitements automatisés des données de citoyens qui ne sont pourtant pas identifiés comme présentant une menace.
Nos amendements remédient à ces difficultés.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Duran, Mmes Bonnefoy et Bataille, MM. Cabanel et Durain, Mme Jourda, MM. Lalande et Leconte et Mmes Lienemann et Lepage.
Alinéa 8
Après les mots :
communications transitent
insérer les mots :
ou sont stockées
M. Alain Duran. - Une part considérable des communications des citoyens français, y compris franco-françaises, sont en effet stockées sur des serveurs installés à l'étranger : cloud, webmail, réseaux sociaux. Conformément à l'esprit du texte, ces communications doivent être également exclues du régime de la surveillance internationale.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Retrait. L'alinéa 8 englobe le stockage.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Même avis.
L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°7, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Alinéas 10 à 23
Supprimer ces alinéas.
Mme Esther Benbassa. - Ces alinéas autorisent des mécanismes d'interception massive de données, qui ne seraient plus limités à la détection de menaces terroristes et n'étaient nullement prévus dans l'article de la loi relative au renseignement censuré par le Conseil constitutionnel. C'est un détournement. L'exploitation non individualisée de données de connexion associées à des communications internationales est plus large que celle associée aux communications nationales, ce qui n'est pas acceptable.
M. le président. - Amendement n°2 rectifié, présenté par M. Duran, Mmes Bonnefoy et Bataille, MM. Cabanel et Lalande et Mmes Lienemann et Lepage.
Alinéa 15
Avant les mots :
Le type
insérer les mots :
Pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme,
M. Alain Duran. - Serait désormais autorisé le traitement automatisé de données à des fins autres que la prévention du terrorisme, ce qui n'était pas prévu dans la loi sur le renseignement. Ce traitement par algorithmes pourra notamment porter sur les données des citoyens français.
De tels dispositifs n'ont été admis par le Parlement, au regard des dérives possibles, que face à la gravité des menaces terroristes. Dès 1978, la loi Informatique et libertés avait prévu qu'aucune « décision de justice impliquant une appréciation sur le comportement d'une personne ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé de données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de sa personnalité. »
M. le président. - Amendement n°6 rectifié bis, présenté par MM. Leconte et Duran et Mmes Lienemann et Bonnefoy.
Après l'alinéa 22
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Cette autorisation peut prévoir l'exclusion de certains numéros d'abonnement ou identifiants techniques de toute surveillance ou, pour certains numéros ou identifiants, des conditions particulières d'accès aux communications.
M. Jean-Yves Leconte. - L'autorisation d'exploitation de communications ou de données de connexion interceptées doit pouvoir exclure certains numéros d'abonnement ou identifiants techniques ou prévoir des conditions particulières d'accès. Cette disposition a été supprimée par la commission des lois.
N'oublions pas le principe de réciprocité, au fondement des relations internationales.
M. le président. - Amendement n°8, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
I. - Après l'alinéa 23
Insérer six alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 854-2-1. - Sur demande motivée des ministres, ou de leurs délégués, mentionnés au premier alinéa de l'article L. 821-2, le Premier ministre, ou l'un de ses délégués, autorise la surveillance individualisée d'une personne.
« L'autorisation désigne :
« 1° La ou les finalités poursuivies parmi celles mentionnées à l'article L. 811-3 ;
« 2° Le ou les motifs justifiant cette surveillance ;
« 3° Sa durée de validité ;
« 4° Le ou les services mentionnés à l'article L. 811-2 en charge de cette surveillance.
II. - Alinéa 38, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et à l'article L. 854-2-1.
Mme Esther Benbassa. - Si la surveillance individualisée est prévue par la proposition de loi, aucun encadrement ni aucune mesure d'autorisation ne sont prévus, contrairement aux mesures de surveillance non individualisées. Dès lors, le contrôle a posteriori prévu par la CNCTR sera très difficile, voire impossible.
C'est inacceptable. Nous demandons que l'autorisation comporte le motif, la durée et le service en charge de la surveillance.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Avis défavorable à tous les amendements. L'amendement n°7 remet en cause l'objet même du texte : donner un cadre légal à l'interception de très nombreuses communications, pour se rapprocher progressivement, au moyen d'une sorte de zoom, d'informations essentielles à la protection de nos intérêts fondamentaux. Restreindre les techniques à la lutte contre le terrorisme, comme le prévoit l'amendement n°2 rectifié, c'est empêcher la France de défendre des intérêts, alors même que des contrôles sont prévus et le dispositif très encadré.
Le Premier ministre peut naturellement exclure certains identifiants, notamment pour respecter les stipulations de la convention de Vienne sur les correspondances diplomatiques. L'amendement n°6 rectifié bis est superflu et prêterait au raisonnement a contrario.
L'amendement n°8 est la conséquence de l'amendement n°7, défavorable.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - M. Duran et Mme Benbassa ont raison de souligner que l'exploitation de données de connexion non individualisées est permise plus largement pour les communications internationales que pour les communications nationales. Et que les communications internationales peuvent être surveillées à d'autres fins que la prévention du terrorisme.
Le Gouvernement assume, la commission des lois aussi : l'équilibre entre besoins des services et protection des libertés est ici plus favorable aux premiers. Mais la situation des personnes concernées n'est pas la même, comme l'a dit le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères...
Le cantonnement de la surveillance à la lutte contre le terrorisme serait malvenu, songez au routage des réseaux. Avis défavorable aux amendements nos7 et 2 rectifié.
Le Gouvernement entendait donner un avis favorable à l'amendement n°6 rectifié bis mais s'en remettra à la sagesse du Sénat.
Avis défavorable à l'amendement n°8.
M. Alain Fouché. - Il faudra empêcher les dérives. Je m'abstiendrai sur l'amendement n°2 rectifié et voterai l'amendement n°6 rectifié bis : cela va mieux en le disant.
Mme Nicole Bonnefoy. - L'utilisation de traitements automatisés serait donc autorisée, au-delà même de la lutte contre le terrorisme. Lors de l'examen du projet de loi sur le renseignement le 3 juin, vous disiez pourtant, monsieur le ministre, que cet objectif seul justifiait de telles pratiques...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Au niveau national !
Mme Nicole Bonnefoy. - Les algorithmes pourront être utilisés pour la surveillance des communications de tous les citoyens français, dès lors qu'ils se connectent à un site hébergé à l'étranger, appellent ou échangent un email avec un correspondant étranger. L'argument selon lequel « les autres pays le font » ne suffit pas...
On nous dit que le Conseil constitutionnel a validé la loi sur le renseignement, que le Conseil d'État n'a pas trouvé à redire à la proposition de loi du président Bas. À quoi sert donc le Sénat ?
M. Alain Richard. - Depuis sa création, la Cnil a toujours pris en compte l'impératif de sécurité nationale. Et quand M. Leconte parle de réciprocité avec nos partenaires étrangers, il me semble que son expérience pourrait être complétée...
L'amendement n°7 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos2 rectifié, 6 rectifié bis et 8.
M. le président. - Amendement n°5 rectifié, présenté par M. Leconte, Mme Lepage, M. Yung et Mme Conway-Mouret.
Alinéa 24
1° Remplacer les mots :
en France
par les mots :
soit en France soit à l'étranger pour le compte d'intérêts français
2° Après le mot :
communications
rédiger ainsi la fin de la phrase :
que dans les conditions les concernant sur le territoire national prévues au titre II du présent livre
3° Compléter cet alinéa par trois phrases ainsi rédigées :
La captation des communications des personnes qui exercent soit en France soit à l'étranger pour le compte d'intérêts français un mandat ou une profession mentionné à l'article L. 821 - 7 doit faire l'objet d'une information de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement dans un délai de vingt-quatre heures. La Commission transmet alors un avis au Premier ministre qui, soit autorise la poursuite de cette captation soit ordonne la destruction immédiate de l'ensemble des données collectées relatives à ces personnes. La Commission et le Premier ministre ont respectivement chacun vingt-quatre heures afin de rendre leurs avis et décision.
M. Jean-Yves Leconte. - Que le régime de surveillance des communications internationales ne soit pas le même, soit. Mais qu'en est-il des communications sur Skype, les réseaux sociaux ou certaines messageries ? Des Français qui travaillent régulièrement à l'étranger ?
Notre amendement protège les personnes exerçant à l'étranger un mandat ou une profession dite sensible pour le compte d'intérêts français. Il aligne en outre pour ces personnes le régime relatif à la surveillance individuelle des communications internationales sur celui des communications émises ou reçues sur le territoire national.
Le dispositif soumet enfin à l'information de la CNCTR et à l'autorisation du Premier ministre la captation de communications internationales englobant celle d'une personne exerçant en France une profession protégée dans le cadre d'une communication internationale, ou une profession protégée en France mais exerçant à l'étranger pour le compte d'intérêts français, je pense aux avocats inscrits dans un barreau français exerçant aussi à l'étranger.
M. le président. - Amendement n°9, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Alinéa 24
Après le mot :
communications
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
qu'après une autorisation préalable du Premier ministre, délivrée après l'avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement mentionné à l'article L. 821 - 1. Elles ne peuvent faire l'objet d'une surveillance individuelle de leurs communications à raison de l'exercice du mandat ou de la profession concernée.
Mme Esther Benbassa. - Cet amendement prévoit la protection des personnes exerçant en France la profession de parlementaire, d'avocat, de magistrat ou de journaliste. Ces personnes ne doivent pas être soumises aux mesures de surveillance internationale sans avis préalable de la CNCTR, dès lors qu'elles exercent habituellement sur le territoire français. Il s'agirait sinon d'un véritable détournement de procédure.
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Duran, Mmes Bonnefoy et Bataille, M. Lalande et Mme Lienemann.
Après l'alinéa 24
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes exerçant en France ou hors du territoire national un mandat ou une profession mentionné à l'article L. 821-7 ne peuvent faire l'objet d'une surveillance qu'après une autorisation préalable du Premier ministre, délivrée après l'avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement mentionné à l'article L. 821-1.
M. Alain Duran. - Les services de renseignement ne doivent certes pas être empêchés de surveiller des personnes exerçant des professions dites sensibles : journaliste nord-coréen, avocat proche de Daech ou parlementaire d'un pays belliqueux. Des garanties n'en sont pas moins nécessaires.
Comment distinguer, comme le fait l'alinéa 24, les communications privées des communications professionnelles ? Cet amendement institue un contrôle renforcé de la CNCTR lorsque les techniques de renseignement visent, à l'international comme sur le territoire national, des personnes exerçant des mandats et professions sensibles. Cela n'empêchera pas le Premier ministre de délivrer une autorisation.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Avis défavorable. Si ces personnes utilisent des terminaux correspondant à des identifiants français, elles tombent dans le régime de droit commun ou dans celui qui suppose une autorisation spécifique. Ces amendements sont donc superflus. Pis, ils auraient des effets pervers : une protection excessive se retournerait contre ces professions. Même avis négatif à l'amendement n°9, la protection est déjà robuste, n'en rajoutons pas.
L'amendement n°3 a été rejeté par la commission pour des raisons analogues.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Avis défavorable aux trois amendements. Je ne vois pas pourquoi nous protégerions spécifiquement les avocats ou journalistes n'exerçant pas en France, ni pourquoi nous enfreindrions pour eux la règle générale selon laquelle la CNCTR, s'agissant des communications internationales, n'intervient pas en amont.
M. Alain Fouché. - Ayant longtemps exercé le métier d'avocat, je ne vous cacherai pas mes inquiétudes. Des affaires récentes d'écoutes ont rappelé la nécessité de préserver la confidentialité de certaines informations.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Nous parlons d'international !
M. Alain Fouché. - Les écoutes téléphoniques existent depuis longtemps. Il faudra un contrôle très fort et un bilan.
M. Jean-Yves Leconte. - La protection devrait concerner des personnes et non des communications, comme le texte le précisait. Sinon, il faudrait d'abord intercepter les communications pour savoir si elles doivent être protégées ! Protéger des professions, y compris à l'étranger, c'est protéger ceux qui travaillent pour la France.
M. Alain Richard. - Comment s'appliquerait cet amendement ? Les services n'auraient aucun moyen de sélectionner les communications des avocats ou des journalistes établis à l'étranger, sauf à ce que ces derniers fassent une déclaration à la CNCTR.
L'amendement n°5 rectifié n'est pas adopté, non plus que les amendements nos9 et 3.
M. le président. - Amendement n°10, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Alinéa 27
Après la première occurrence du mot :
leur
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
recueil, pour les correspondances ;
Mme Esther Benbassa. - Cet amendement réduit la durée de conservation des données de correspondances prévues : rien ne justifie un délai de quatre ans, surtout si on le compare à la durée de conservation pour les correspondances recueillies sur le territoire national - entre trente jours et quatre mois.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Avis défavorable. Le contexte est différent. Les renseignements sont beaucoup plus nombreux et il faut les traduire.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Même avis.
L'amendement n°10 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°13, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 36
Remplacer la référence :
à l'article L. 871-6
par la référence :
aux articles L. 871-6 et L. 871-7
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Cet amendement rappelle - car cela résulte d'une exigence constitutionnelle - que les surcoûts éventuellement subis par les opérateurs du fait de la mise en oeuvre des mesures prévues par le chapitre IV du titre V du livre VIII font l'objet d'une compensation de la part de l'État.
M. Alain Fouché. - Encore heureux !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Favorable.
L'amendement n°13 est adopté.
M. le président. - Amendement n°4 rectifié, présenté par M. Duran, Mmes Bonnefoy et Bataille, MM. Lalande et Leconte et Mmes Lienemann et Lepage.
Alinéa 38, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
dans un délai rapproché suivant leur délivrance, qui ne peut excéder sept jours
M. Alain Duran. - Le texte prévoit un dispositif de contrôle allégé, sans avis préalable, contrairement à la procédure applicable aux mesures de surveillance menées sur les communications franco-françaises.
Dans le cadre de la surveillance internationale, le contrôle de la CNCTR est uniquement effectué a posteriori. Il convient dès lors de préciser que les autorisations de surveillance délivrées par le Premier ministre sont transmises à la CNCTR dans un délai rapproché, afin que celle-ci puisse procéder rapidement à des vérifications de conformité. La loi ne saurait, par omission, autoriser une rétention de l'information sur laquelle doit s'exercer le contrôle.
M. Philippe Bas, rapporteur. - On peut craindre effectivement, si l'on prévoit un délai « maximum » de sept jours, que les services attendent systématiquement le septième jour. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Cet amendement ne sert pas son intention affichée, car le dispositif prévu implique une communication immédiate ou quasi immédiate des autorisations. Avis défavorable.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Même avis donc.
L'amendement n°4 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°11, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Après l'alinéa 38
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement reçoit communication des accords de coopération ou d'échange d'informations et de données entre les services mentionnés à l'article L. 811 - 2. Elle dispose d'un accès permanent, complet et direct aux informations et échanges d'informations opérés dans le cadre de ces accords.
Mme Esther Benbassa. - L'importance croissante de la coopération entre les services de renseignement implique un contrôle de la part de la CNCTR qui doit également disposer d'un accès direct, complet et permanent aux informations collectées ou échangées.
M. le président. - Amendement n°12, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Après l'alinéa 38
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement reçoit communication des accords de coopération ou d'échange d'informations et de données entre les services mentionnés à l'article L. 811 - 2.
Mme Esther Benbassa. - Amendement de repli qui prévoit une information systématique sur tout nouvel accord.
M. Philippe Bas, rapporteur. - La mission de la CNCTR est de vérifier la légalité des autorisations délivrées par le Premier ministre. Ici, il s'agit de tout autre chose : contrôler les accords avec les autres États, dont il n'est pas nécessaire de rappeler le caractère secret. Ce n'est pas le rôle de cette commission, sa composition n'a pas été prévue pour cela. Avis défavorable.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je n'ai pas la même interprétation de cet amendement. Il s'agit selon moi de contrôler les accords entre services nationaux du premier cercle. Mais l'autorisation est donnée à un service spécifique, de tels échanges entre services seraient illégaux ! Avis défavorable, donc.
L'amendement n°11 n'est pas adopté non plus que l'amendement n°12.
L'article premier, modifié, est adopté.
L'article 2 est adopté.
La proposition de loi est adoptée.
Prochaine séance demain, mercredi 28 octobre 2015, à 14 h 30.
La séance est levée à 23h45.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus analytiques
Ordre du jour du mercredi 28 octobre 2015
Séance publique
À 14 h 30, le soir et, éventuellement, la nuit
Présidence : M. Claude Bérit-Débat, vice-président Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente Mme Françoise Cartron, vice-présidente
Secrétaires : M. Jean DesessardM. Christian Cambon
- Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à l'adaptation de la société au vieillissement (n° 694, 2014 2015).
Rapport de MM. Georges Labazée et Gérard Roche, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 101, 2015 2016)
Texte de la commission (n° 102, 2015 2016).
Analyse des scrutins publics
Scrutin n° 30 sur la motion n°1, présentée par M. Philippe Bas au nom de la commission des lois, tendant à opposer la question préalable au projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :340
Suffrages exprimés :334
Pour :179
Contre :155
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Pour : 134
Contre : 2 - MM. Jean-Jacques Panunzi, Philippe Paul
Abstentions : 4 - MM. Michel Bouvard, François Commeinhes, Robert Laufoaulu, Michel Magras
N'ont pas pris part au vote : 4 - MM. François Calvet, Alain Chatillon, Alain Marc, Mme Brigitte Micouleau
Groupe socialiste et républicain (110)
Contre : 110
Groupe UDI-UC (42)
Pour : 33
Contre : 6 - M. Michel Canevet, Mme Françoise Gatel, MM. Jean-Jacques Lasserre, Nuihau Laurey, Yves Pozzo di Borgo, Mme Lana Tetuanui
Abstentions : 2 - MM. Loïc Hervé, Claude Kern
N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Chantal Jouanno
Groupe communiste républicain et citoyen (19)
Contre : 19
Groupe du RDSE (17)
Pour : 9
Contre : 8 - MM. Guillaume Arnell, Joseph Castelli, Jean-Noël Guérini, Robert Hue, Mmes Mireille Jouve, Hermeline Malherbe, MM. Jean-Claude Requier, Raymond Vall
Groupe écologiste (10)
Contre : 10
Sénateurs non-inscrits (6)
Pour : 3
N'ont pas pris part au vote : 3 - MM. Robert Navarro, David Rachline, Stéphane Ravier