Droit des étrangers en France (Procédure accélérée - Suite)

Mme la présidente.  - Nous reprenons la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France.

Discussion des articles (Suite)

ARTICLE 10

Mme Éliane Assassi .  - La commission des affaires sociales n'a pas été saisie au fond sur cet article, ce que nous regrettons puisqu'il porte en particulier sur la délivrance de titres de séjour pour motifs de santé. Nous dénonçons régulièrement les modes de discussion des textes ; nous continuons de croire utile le travail des commissions permanentes...

La loi Besson de 2011 a été une catastrophe humaine et sanitaire puisqu'elle a entraîné une baisse de 18 % des délivrances de titres de séjour pour raisons sanitaires.

Une campagne de soutien à deux Kosovars et un Géorgien menacés d'expulsion alors que leur état de santé exige des soins a été lancée en avril. La France s'est toujours trouvée grandie d'accorder sa protection et sa bienveillance aux étrangers. Derrière les dossiers, il y a des femmes et des hommes, ne l'oublions pas.

Mme la présidente.  - Amendement n°12 rectifié bis, présenté par MM. Karoutchi, de Legge et Gilles, Mme Canayer, M. Frassa, Mme Hummel, MM. Joyandet et B. Fournier, Mme Lopez, MM. Pierre et Vasselle, Mme Procaccia, MM. Charon, Cambon, Milon, Vogel, Chasseing et Dufaut, Mmes Giudicelli et Duchêne, MM. Dassault, D. Laurent, Houpert, A. Marc, de Raincourt, Chaize et Houel, Mme Mélot, MM. Nègre, J. Gautier, Savary, Danesi et Husson, Mme Gruny et MM. Lemoyne, Gremillet, Pellevat, Genest, Darnaud, Pointereau et Gournac.

Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° Le 7° est abrogé ;

M. Roger Karoutchi.  - Cet amendement n'a plus lieu d'être, je le retire.

L'amendement n°12 rectifié bis est retiré.

L'amendement n°74 est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°130, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 5, première phrase

Après le mot :

gravité

rédiger ainsi la fin de cette phrase :

et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.

M. Philippe Kaltenbach.  - Cet amendement, relatif aux étrangers malades, est capital. En mars 2013, l'IGA et l'Igas ont montré que les décisions d'admission ou non des étrangers malades ne tenaient pas assez compte des conditions de leur prise en charge dans leur pays d'origine. Elle dénonce ainsi la loi de 2011, trop rigide et inefficace, à tel point que le Gouvernement Fillon a dû envoyer moins de six mois après une circulaire aux ARS pour desserrer l'étau.

L'amendement rétablit le mécanisme adopté à l'Assemblée nationale. Sur un sujet aussi sensible, nous devions pouvoir dépasser les positions politiciennes, du moins je l'espère.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°165, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Archimbaud, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé.

Mme Esther Benbassa.  - Actuellement, afin de bénéficier d'un titre de séjour pour soins, l'étranger malade doit démontrer que son pays d'origine ne peut lui fournir les soins dont il a besoin, autrement dit, que les soins sont inexistants. Cet amendement vise à prendre en compte la réalité de l'accès aux soins et non une simple existence ou absence.

M. François-Noël Buffet, rapporteur.  - Avis défavorable. En 2014, 6 894 titres de séjour pour motif de santé ont été délivrés, volume constant depuis une décennie : voyez la courbe qui figure dans le rapport. L'Igas a souligné que le dispositif français est l'un des plus généreux au monde, et que la loi de 2011 n'a pas eu d'impact significatif sur la quantité de titres. Elle s'est dite très réservée sur une évolution législative, qui pourrait rendre très difficile la tâche de l'administration. Comment vérifier, par exemple, si le traitement est disponible à proximité du lieu de résidence de l'étranger ? Avis défavorable.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - La loi de 2011 s'est révélée inapplicable. La circulaire prise par François Fillon, alors Premier ministre, pour son application, demande d'ailleurs aux ARS... de ne pas l'appliquer. Avis favorable aux amendements identiques qui ne font que reprendre le contenu de cette circulaire en demandant que l'accès effectif aux soins du demandeur soit mieux pris en compte.

Le traitement ne doit pas seulement exister dans les pays d'origine ; il doit être effectivement accessible.

M. François-Noël Buffet, rapporteur.  - Ne polémiquons pas. Il est possible d'adapter les choses par voie réglementaire. User de cette souplesse serait de bonne méthode (Applaudissements à droite)

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Nulle volonté de polémique de ma part. Je rends hommage, au contraire, au Premier ministre Fillon qui a pris une mesure rationnelle dans un contexte qui ne l'était pas toujours.

Accueillons et soignons correctement les personnes qui le demandent et remplissent les conditions pour cela. C'est l'honneur de la France.

Les amendements identiques nos130 et 165 ne sont pas adoptés.

Mme la présidente.  - Amendement n°72, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Alinéa 5, deuxième et troisième phrases :

Rédiger ainsi ces phrases :

La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence, ou à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police. Le médecin de l'agence régionale de santé ou, à Paris, le chef du service médical de la préfecture de police peut convoquer le demandeur pour une consultation médicale devant une commission médicale régionale dont la composition est fixée par décret en Conseil d'État. 

Mme Éliane Assassi.  - En modifiant l'article L. 313-11 du Ceseda, l'article 10 confie l'évaluation médicale aux médecins de l'Ofii, désormais compétents pour accorder un droit au séjour pour raisons médicales.

Le Défenseur des droits a dénoncé un désengagement du ministère de la santé, au profit du ministère de l'intérieur, et donc la priorité donnée au contrôle des flux migratoires sur la prévention sanitaire. La circulaire du 10 mars 2014 allait déjà dans ce sens. Le Haut Conseil de la santé publique dénonçait pourtant dès 1993 une telle confusion, qui contrevient au principe déontologique de séparation entre médecine de prévention et de contrôle.

Les associations proposent la création d'une commission dédiée sous la tutelle du ministère de la santé. Cet amendement maintient par conséquent l'évaluation médicale aux médecins des agences régionales de santé.

Mme la présidente.  - Amendement n°166, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Archimbaud, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé.

Alinéa 5

1° Troisième phrase

Remplacer les mots :

d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État

par les mots :

d'une commission médicale nationale sous tutelle exclusive du ministère de la santé

2° Dernière phrase

Supprimer cette phrase.

3° Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :

L'avis peut être rendu de manière collégiale le cas échéant. La composition ainsi que les modalités de fonctionnement de la commission médicale nationale sont fixées par décret.

Mme Esther Benbassa.  - L'évaluation médicale a pour objectif exclusif de protéger la santé individuelle et la santé publique. En confier la responsabilité aux médecins de l'Ofii éloignerait le dispositif de son objectif.

L'amendement transfère la mission d'évaluation médicale des malades étrangers des médecins des ARS à une instance collégiale nationale sous tutelle exclusive du ministère de la santé. Les avis sur les demandes de titre de séjour pour soins doivent pouvoir être rendus, au besoin, de manière collégiale.

Mme la présidente.  - Amendement n°115, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 5, après la troisième phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Sauf si le comportement de l'étranger constitue une menace à l'ordre public ou s'il est établi que sa demande constitue un cas de fraude, l'avis du collège est conforme lorsqu'il conclut à l'impossible éloignement de l'étranger à raison de son état de santé.

M. Philippe Kaltenbach.  - L'amendement donne compétence liée à l'autorité administrative lorsque la nécessité d'une protection de l'étranger malade a été constatée par le collège, sauf menace à l'ordre public ou cas de fraude.

Qui mieux que les médecins peut apprécier la situation d'une personne malade ? Les médecins de l'Ofii agiraient sous tutelle du ministère de la santé, il n'y a pas d'inquiétude à avoir sur ce point.

Mme la présidente.  - Amendement n°22 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Vall, Requier et Hue.

Alinéa 5, dernière phrase

Supprimer cette phrase.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Le médecin soumis à une déontologie ne saurait être aux ordres.

Comme l'indique l'article 5 du code de déontologie médicale, transposé à l'article R. 4127-5 du code de la santé publique, « le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. »

Mme la présidente.  - Amendement n°73, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Lorsque l'avis du médecin est favorable, le préfet ne peut s'en écarter que pour des considérations autres que médicales.

Mme Éliane Assassi.  - Cet amendement de repli donne compétence liée à l'autorité administrative vis-à-vis de l'avis médical rendu dans le cadre d'une demande de titre de séjour pour soins.

M. François-Noël Buffet, rapporteur.  - Avis défavorable à tous ces amendements. Les médecins de l'Ofii sont présents sur tout le territoire, indépendants, et exercent une mission de santé publique à l'égard des primo - arrivants.

Les amendements nos115 et 73 ne sont pas utiles : les préfets suivent déjà l'avis des médecins, sauf exceptions invoquées dans l'objet de l'amendement.

Laissons les préfets apprécier la situation, il leur arrive de délivrer des titres de séjour malgré l'avis contraire des ARS, pour d'autres raisons.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Avis défavorable aux amendements nos72 et 166. Nous avons demandé un rapport à l'Igas sur les soins dispensés selon les zones, les ARS n'ayant pas toutes la même appréciation. Nous avons proposé à l'Ofii le dispositif contenu dans le projet de loi, qu'il semble le plus à même de mettre en oeuvre.

Les médecins de l'Ofii respectent la même déontologie que les autres médecins, respectent les cahiers des charges établis par le ministère de la santé, et ne reçoivent aucune instruction du ministère de l'intérieur ou de leur hiérarchie. Nous avons d'ailleurs levé toute ambiguïté sur ce point.

Je comprends la position de M. Collombat mais je ne peux revenir sur la position défendue par le Gouvernement à l'Assemblée nationale.

Le préfet ne se fonde pas uniquement sur des considérations de santé publique : lier sa compétence à l'avis des médecins comme le propose l'amendement n°115 n'est donc pas opportun.

M. Philippe Kaltenbach.  - En cas de fraude ou de trouble à l'ordre public, la compétence du préfet serait de nouveau discrétionnaire, c'est ce que prévoit mon amendement, que je maintiens.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Mon amendement serait satisfait, je le retire donc. Mais avouez que la rédaction n'est pas de la plus grande clarté.

L'amendement n°22 rectifié est retiré.

L'amendement n°72 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos166, 115 et 73.

L'article 10 est adopté.

ARTICLE 10 BIS

Mme la présidente.  - Amendement n°190, présenté par M. Buffet, au nom de la commission des lois.

Alinéa 2

Après les mots :

premier alinéa,

insérer les mots :

les mots : « sa présence » sont remplacés par les mots : « leur présence » et

L'amendement de coordination n°190, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°105 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mme Laborde et M. Requier.

Alinéa 2

Après le mot :

alinéa,

insérer les mots :

les mots : « peut être » sont remplacés par le mot : « est » et

Mme Françoise Laborde.  - L'autorisation de séjour pour les parents de mineurs malades a été créée à l'initiative d'Hugues Portelli en 2006. L'Assemblée nationale a assoupli le dispositif en étendant la délivrance de cette autorisation de séjour, de plein droit, aux étrangers exerçant l'autorité parentale sur un mineur malade, au deuxième parent. Seules 1 000 personnes sont concernées chaque année, ce qui est ridicule.

Pourquoi la commission refuse-t-elle de faire ainsi prévaloir l'intérêt supérieur de l'enfant ?

Notre amendement n°33 rectifié va plus loin, et précise que l'autorisation de séjour doit être valable pour la durée des soins. Le Défenseur des droits est régulièrement saisi par des parents d'enfants malades contraints à des démarches longues et répétitives en préfecture.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°131, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain.

M. Philippe Kaltenbach.  - Cet amendement prévoit une délivrance de plein droit de l'autorisation provisoire de séjour aux parents d'enfants malades.

Cette délivrance ne supprime pas toute marge d'appréciation à l'autorité administrative : l'article L. 311-12 précise que le préfet vérifie si la présence de l'étranger ne constitue pas une menace à l'ordre public.

Cette garantie étant posée, il importe de sécuriser la situation des parents et ce dans l'intérêt de l'enfant malade, conformément à la convention internationale des droits de l'enfant.

M. François-Noël Buffet, rapporteur.  - Avis défavorable. Nous contestons le principe de délivrance de titre de séjour de plein droit ; le préfet doit conserver une compétence discrétionnaire.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Le Gouvernement partage absolument votre souci de sécuriser le séjour des parents d'enfants malades. La délivrance d'une APS dans ce cas répond à l'intérêt supérieur de l'enfant tel que défini par la convention internationale des droits de l'enfant. Le pouvoir d'appréciation du préfet n'est en rien bridé puisque les conditions normales d'obtention d'un titre de séjour doivent être vérifiées.

Si la France n'est pas capable de faciliter le séjour des parents d'enfants malades sur notre territoire, alors la France n'est plus la France. Je vous demande de bien mesurer l'importance de votre vote.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - L'article L.311-2 du Ceseda rend possible le refus de titre de séjour à des parents d'enfants malades. Des préfets ont-ils prononcé de tels refus ? Sinon, pourquoi changer la loi ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Cela arrive en cas de menace de l'ordre public caractérisée. Mais il ne s'agit pas de cela ici : les parents d'enfants malades qui ne peuvent bénéficier de soins ailleurs ne présentent, jusqu'à preuve du contraire, aucun risque.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Vous n'avez pas répondu à ma question : la loi prévoit déjà que le préfet peut refuser des titres de séjour à des parents d'enfants malades. Nous avons tous le même souci d'humanité, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Alain Vasselle.  - C'est un dialogue de sourds et l'on vous fait un mauvais procès. Il ne s'agit que de maintenir une compétence discrétionnaire au préfet. Par les temps qui courent, on ne peut prendre le moindre risque (Protestations sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et écologiste)

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - La règle doit être la délivrance automatique du titre de séjour, ce serait conforme à nos engagements internationaux.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous revenons au débat de cet après-midi sur l'expression « de plein droit ». Pourquoi créer une incertitude pareille ? Les subterfuges stylistiques que l'on nous oppose n'ont pas le début du commencement d'un fondement.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Puisque nous sommes d'accord, adaptez la formulation la moins ambiguë !

M. Daniel Chasseing.  - Les parents d'enfants malades ne pouvant se faire soigner dans leurs pays doivent pouvoir être accueillis en France. Le préfet peut-il, dans les faits, le leur refuser ?

M. Philippe Bas, président de la commission.  - C'était le sens de la question que je posais au ministre !

M. Pascal Allizard.  - Il n'est pas question d'empêcher des parents d'enfants malades de les accompagner. Quel motif le préfet pourrait-il invoquer pour le faire ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - J'ai donné des instructions très claires aux préfets pour que les demandes des parents soient satisfaites, un autre ministre pourrait en donner d'autre. De tels refus se sont produits par le passé, et le juge ne contrôle alors que l'erreur manifeste. Sur de tels sujets, où la rationalité et l'humanité sont loin de toujours prévaloir, mieux vaut que la loi soit claire. Si vous êtes d'accord sur l'objectif, il n'y a aucune raison de refuser la rédaction du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Philippe Kaltenbach.  - M. le ministre a été clair, cela s'est produit par le passé. Peut-être le président Bas souhaite-t-il que M. Cazeneuve reste éternellement ministre de l'intérieur... Toujours est-il qu'il vaut mieux préciser la loi. Assez d'arguties, laissons parler notre coeur ! (Murmures à droite)

À la demande du groupe socialiste et républicain, les amendements identiques nos105 rectifié et 131 sont mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°6 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 157
Contre 183

Le Sénat n'a pas adopté.