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Table des matières
Hommage aux victimes des inondations dans les Alpes-Maritimes
Hommage à une délégation parlementaire de Namibie
Modernisation du système de santé (Procédure accélérée - Suite)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
M. Manuel Valls, Premier ministre
Intempéries dans les Alpes-Maritimes (I)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
M. Manuel Valls, Premier ministre
Intempéries dans les Alpes-Maritimes (II)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
Policier blessé par un multirécidiviste
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
M. Manuel Valls, Premier ministre
70e anniversaire de la Sécurité sociale
Situation et avenir de l'agriculture
Mise au point au sujet d'un vote
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
Droit des étrangers en France (Procédure accélérée)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois
M. Bernard Cazeneuve, ministre
Ordre du jour du mercredi 7 octobre 2015
SÉANCE
du mardi 6 octobre 2015
3e séance de la session ordinaire 2015-2016
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : MM. Serge Larcher, Philippe Nachbar Mme Valérie Létard
La séance est ouverte à 15 h 15.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Hommage aux victimes des inondations dans les Alpes-Maritimes
M. le président. - (Mmes et MM. les Sénateurs ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent) Je veux, au nom du Sénat tout entier, dire notre émotion et notre compassion à l'égard des trop nombreuses victimes du déferlement des eaux survenu dans les Alpes-Maritimes. J'exprime la solidarité de la Haute Assemblée aux élus des territoires concernés et à nos collègues du département, que je réunirai ce soir pour faire le point de la situation. Ayons une pensée pour tous ceux qui ont vécu ce drame. (Mmes et MM. les Sénateurs ainsi que les membres du Gouvernement observent un instant de silence)
Hommage à une délégation parlementaire de Namibie
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent) Je suis particulièrement heureux de saluer la présence dans notre tribune d'honneur de M. Asser Kuveri Kapere, président du Parlement de Namibie, accompagné de son collègue, M. Johannes Nakwafila.
Leur présence parmi nous fait suite au déplacement, en 2013, d'une délégation du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique Australe présidé par notre collègue, M. Antoine Lefèvre. Ils sont accompagnés par ce dernier et notre collègue René Danesi.
Au cours de leur séjour, nos collègues namibiens auront de nombreux entretiens de haut niveau sur les thèmes sensibles des ressources énergétiques et de l'élevage. Ils visiteront notamment un centre de recherche sur l'eau, un parc éolien ainsi que des établissements d'élevage.
Nous connaissons tous les enjeux liés à la lutte contre le changement climatique et savons à quel point la Namibie est affectée par ses conséquences. Nous connaissons et apprécions aussi la détermination de ce pays pour remédier aux effets des dérèglements climatiques.
Nous souhaitons, dans ce contexte, la plus cordiale bienvenue et de fructueux travaux à M. Kapere et à la délégation qui l'accompagne. Nous espérons vivement pouvoir compter sur l'engagement du Parlement namibien à l'occasion du volet parlementaire de la Conférence des Parties/COP 21 qui se tiendra le 6 décembre 2015, sous l'égide de l'Union interparlementaire, au Sénat. (Applaudissements)
Modernisation du système de santé (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la modernisation du système de santé.
Explications de vote
Mme Laurence Cohen . - (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) Durant deux semaines, nous avons examiné un projet de loi ayant pour ambition de moderniser notre système de santé. L'enjeu est considérable au regard des besoins de la population. Or la logique qui nous a été imposée, trop partagée dans cet hémicycle, a été celle du redéploiement, de l'aménagement de l'offre de soins dans une enveloppe contrainte, partant du postulat qu'il faut réduire les dépenses de santé. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont un leurre, ils n'enrayeront pas les disparitions d'établissements. Nous passerons en quelques années de 1 300 hôpitaux à 150 groupements. C'est la mort de la psychiatrie de secteur, pourtant la première à travailler en réseau. C'est pourquoi nous avons voté contre l'article 13. Pourquoi ces regroupements à marche forcée - car les ARS les mettent déjà en place, avant même le vote de la loi ? Parce que cela entraînerait 400 millions d'euros d'économie... Comment, dans ces conditions, répondre aux besoins de la population ?
Opposer l'ambulatoire à l'hospitalisation sous prétexte de réduire les inégalités d'accès aux soins est illusoire, car elle suppose la disponibilité des proches. (Protestations à droite ; Mme Éliane Assassi demande le silence) Et cela revient à privatiser une partie de l'activité hospitalière tout en multipliant soins infirmiers et de kinésithérapie. Et pour lutter contre la désertification médicale, on permet aux hospitaliers d'exercer jusqu'à 72 ans... Tout cela dans un déni de démocratie et l'absence de contrepouvoirs aux directeurs des ARS. (Brouhaha)
Quelques dispositions sont positives, les salles à moindre risque, la suppression du délai de sept jours pour les IVG, la reconnaissance des centres de santé, une plus grande transparence des liens d'intérêt. Mais la majorité de droite a refusé des mesures qui allaient dans le bon sens, comme la généralisation du tiers payant et l'inscription de plans régionaux d'accès à l'IVG dans chaque région. Si nous sommes opposés à ce texte, nous n'oublions pas la responsabilité de la droite dans la casse de l'hôpital public (Protestations à droite ; applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen). Il faudrait partir des besoins...
Délai de réflexion supprimé, salles de shoot, transparence des données... Tout cela ne suffit pas pour faire de ce texte une vraie loi-cadre de santé. Nous demandons de renoncer aux GHT, de supprimer les franchises, forfaits et dépassements d'honoraires, d'affecter des moyens aux centres de santé, de créer un pôle public du médicament, de relancer la médecine préventive, scolaire et du travail ; une loi de santé mentale digne de ce nom, le passage progressif aux remboursements à 100 %. Cela suppose des moyens. Des moyens, il y en a : 87 milliards d'euros sont à récupérer avec la taxation des profits financiers au taux actuel des cotisations employeur. De manière plus pérenne, nous proposons de supprimer la CSG pour la remplacer par un système de modulation des cotisations employeurs en fonction de la politique des entreprises en termes d'emploi et de salaires. (Exclamations à droite)
Dans ce texte, je ne retrouve pas les marqueurs de la gauche. Le groupe communiste républicain et citoyen ne le votera pas ; et même dans un hémicycle qui s'apparente à un hall de gare voire à une cour de récréation... (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen)
Mme Catherine Génisson . - Merci à la ministre pour son écoute durant ces quinze jours. Merci aussi à certains sénateurs de la majorité sénatoriale de nous avoir suivis, par exemple sur les salles de consommation de drogue à moindre risque. Le groupe socialiste salue la réécriture de l'article premier avec l'introduction de la notion d'exposome, l'objectif de l'égalité hommes-femmes, les enjeux de santé environnementale, la consécration de la notion de prévention partagée. En revanche, il déplore la suppression de l'article 2 sur le rôle de l'école en matière de prévention.
Le paquet neutre doit être lié à une harmonisation des tarifs du tabac au sein de l'Union européenne et à des mesures de soutien aux buralistes. Nous regarderons avec attention les propositions du député Frédéric Barbier.
Il a été mis fin aux discriminations pour motif d'orientation sexuelle en matière de don du sang : nous nous en réjouissons. Si nous nous félicitons du maintien du pacte territoire santé, de la suppression du délai de réflexion de sept jours pour accéder à l'IVG, de la possibilité ouverte aux sages-femmes de pratiquer une IVG médicamenteuse, de la solution apportée par le Gouvernement pour le parcours de soins des personnes handicapées ou de la reconnaissance du droit à l'oubli après guérison d'une pathologie cancéreuse, nous regrettons le conservatisme du président-rapporteur (« Pas vous » ! à droite) sur les GHT. Nous déplorons de même le non-rétablissement du service public hospitalier, ainsi que le refus de la majorité sénatoriale des amendements sur le don d'organe.
C'est surtout sur la généralisation du tiers payant, mesure technique et de justice sociale, que l'opposition a été frontale.
M. le président. - Veuillez conclure...
Mme Catherine Génisson. - L'enjeu est essentiel, c'est en amont du cabinet du médecin que se joue le renoncement aux soins. Un rapport sera remis le 31 octobre qui devrait contribuer à lever les craintes d'une surcharge administrative qu'expriment les généralistes. Enfin, la médecine ambulatoire reste un exercice libéral dans un cadre socialisé. J'aurais pu aborder bien d'autres sujets. Au regard de tout ce que n'a pas accepté la majorité sénatoriale, le groupe socialiste s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Aline Archimbaud . - Les écologistes tirent de l'examen de ce texte un bilan en demi-teinte. D'un côté, nous nous réjouissons d'un débat très constructif : la version de la commission des affaires sociales a été nettement améliorée ; 25 de nos amendements ont été adoptés, à commencer par nos propositions sur la santé environnementale - la notion d'exposome fait son entrée dans la loi à l'article premier et le plan environnement santé sera au coeur de la stratégie nationale de santé. Même satisfaction sur l'amiante et le bisphénol A.
Ensuite, l'accès aux droits. Sur notre proposition, les bénéficiaires du RSA socle auront automatiquement accès à la CMU-C. C'était très attendu, 36 % des bénéficiaires potentiels n'ayant pas recours à celle-ci.
Le travail intergroupe sur le droit à l'oubli a porté ses fruits : la convention Aeras a désormais valeur législative ; au-delà de dix ans et de cinq ans pour les mineurs, l'assureur ne pourra plus demander d'informations aux anciens malades. Les programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins, la suppression du délai de réflexion de sept jours pour l'accès à l'IVG, la non-discrimination des personnes homosexuelles pour le don de sang, la reconnaissance des risques psychosociaux pour les aidants sont d'autres avancées notables.
Le don d'organe, sujet crucial quand 20 000 personnes sont en attente d'une greffe, sera, nous l'espérons, repris par les députés.
En revanche, nous regrettons le coup de canif porté à la loi Évin avec la promotion des terroirs. L'alcool fait 50 000 morts par an. (Huées à droite) Chacun doit prendre ses responsabilités. Idem sur le paquet neutre, alors que le tabac fait des ravages chez les jeunes. Le refus de la généralisation du tiers payant est enfin une erreur en temps de crise. Le groupe écologiste s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs des groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain)
M. Robert Navarro . - C'est avec plaisir que je voterai ce projet de loi santé tel qu'il sort des travaux du Sénat. Une fois de plus, nous faisons la démonstration de notre utilité. Nous ne sommes pas soumis à un Gouvernement pas plus qu'à je ne sais quel parti.
La prohibition n'est en rien efficace ; il faut distinguer, en matière d'alcool, entre publicité et informations touristiques ou de promotion des paysages. Le flou actuel n'était plus possible. Partout, dans le monde, la France est connue pour être le pays de la vigne et du vin. Je demande aux députés de ne pas revenir sur ce que nous avons voté. Ne scions pas la branche sur laquelle nous sommes assis ! (On approuve à droite)
Pourquoi cet excès de zèle sur le paquet neutre ? Il faut, comme le Sénat l'a choisi, une transposition stricte de la directive européenne. Nos concitoyens en ont assez des sur-transpositions.
Entre le tout et le rien, il y a, sur l'alcool comme sur le tabac, la prévention des comportements alimentaires ou toute activité, y compris celle de législateur, un point d'équilibre : la modération. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Gilbert Barbier . - Sous couvert d'un texte à l'intitulé ambitieux, le Gouvernement mène une attaque en règle contre le corps médical et le système libéral en particulier (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et républicain, marques d'approbation au centre et à droite) Que veut-il ? Une médecine étatisée ? (« Oui » à droite) Le retour aux officiers de santé d'antan ? Les médecins en ont assez (marques d'approbations au centre et à droite), s'ils se rebellent c'est qu'ils craignent qu'à coups de contraintes disparaisse le dialogue singulier entre le médecin et son patient. Les jeunes médecins sont de plus en plus nombreux à se détourner de l'exercice libéral. Rien ne sert de se lamenter sur les déserts médicaux sans revaloriser cet exercice. Le Gouvernement a voulu faire de la généralisation du tiers payant l'alpha et l'omega de la modernisation de notre système, au point de rendre inaudible le reste du texte. Rien sur le numerus clausus, rien sur la réorganisation de l'hôpital public, rien sur les inégalités territoriales... Nous sommes dans une idéologie dévastatrice...
Ce texte aux titres ronflants contient bien des contradictions : on veut lutter contre la drogue mais on autorise les salles de shoot. (« Très bien » sur plusieurs bancs à droite) On pourrait multiplier les exemples avec le cannabis, les fontaines à soda...
La commission des affaires sociales a profondément modifié le texte de l'Assemblée nationale. Je regrette toutefois que son texte soit un peu trop celui des rapporteurs ; un calendrier plus adapté aurait évité le dépôt de plusieurs centaines d'amendements en séance publique. Pourquoi s'en prendre aux experts médicaux ? Des sujets auraient mérité un débat approfondi, la bioéthique, l'IVG. À gauche, on a invoqué paradoxalement Simone Veil... oubliant qu'elle avait eu le soutien d'un président de la République et de deux de ses premiers Ministres. Pour le moins, il aurait fallu un texte examiné selon la procédure normale, et non la procédure accélérée.
Chacun au sein du groupe RDSE se déterminera selon sa conviction. Contrairement aux prédictions de Michel de l'Hospital, l'esprit de tolérance n'a pas fait beaucoup de progrès dans la société moderne... (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales . - Merci à nos rapporteurs, Mmes Doineau et Deroche, M. Reichardt, trop peu cités. Le groupe Les Républicains a clairement marqué sa position en faveur du texte de la commission des affaires sociales.
Face à un texte comportant en réalité diverses dispositions d'ordre sanitaire, nous avons fait le choix de nous concentrer sur l'organisation des soins. Les sujets de bioéthique ne doivent pas être discutés au milieu de mesures techniques. Nous avons également refusé les dispositions déclaratoires, les demandes de rapport - 53 ! -, ou encore les articles répétant la loi existante au motif qu'elle n'est pas appliquée. Ce serait décrédibiliser la loi. Faisons plutôt usage de notre pouvoir de contrôle.
Le groupe Les Républicains entend construire notre système de soins avec les professionnels de santé, et non contre eux - on sait la réaction des médecins au tiers payant généralisé. Pourquoi défaire les pôles de santé au profit des communautés hospitalières de soins ? Ils viennent juste de se mettre en place. Nous ne sommes pas contre le service public hospitalier mais il est nécessaire que les cliniques privées puissent exercer des missions de service public. Le groupe Les Républicains s'est inscrit dans la lignée de la loi HPST de 2009. Vous contestiez autrefois les ARS, vous renforcez leurs pouvoirs aujourd'hui...
De même, le droit à l'oubli ne date pas de 2015, mais de la convention Aeras de 1991...
Le groupe Les Républicains se satisfait du texte sorti de nos travaux, en nette amélioration par rapport à celui du Gouvernement qui avait fait l'unanimité des professionnels de santé contre lui. Mais on ne peut parler santé publique sans réformer dans le même temps le financement de l'accès aux soins pour tous, sans s'interroger sur l'architecture de la sécurité sociale. La discussion se poursuivra lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements au centre et à droite).
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Le groupe UDI-UC salue l'esprit de coconstruction qui a présidé à nos travaux - avec une mention spéciale à Mme Doineau dont c'était le premier rapport. (Applaudissements au centre)
La recherche de tempérance a conduit à mettre fin à la discrimination envers les homosexuels sur le don du sang, à consolider le droit à l'oubli pour les anciens malades du cancer. Autres exemples, le délai ménagé pour la fin des fontaines à soda dans les fast-foods et du bisphénol A dans les jouets ou le refus du paquet neutre qui n'aurait fait qu'encourager les trafics ; le tabac est certes un fléau mais la sur-transposition des directives n'est pas la solution, d'autant qu'il faut penser aux trafics transfrontaliers.
Demeurent des divergences de fond avec le Gouvernement. En particulier, la généralisation du tiers payant - ce qui pose la question de la place de plus en plus grande des complémentaires - à l'heure où nous allons fêter les 70 ans de la Sécurité sociale. Deux questions se posent : une fausse et une vraie. La fausse est d'ordre technique : les délais de remboursement aux médecins. La vraie : va-t-on insidieusement vers un salariat qui ne dit pas son nom ? Le doute est permis... Les médecins n'ont pas été rassurés. Comme le disait Michel Crozier, « on ne réforme pas la société par décret ». Cette remarque vaut aussi pour la lutte contre les déserts médicaux.
La question de la place de la famille dans le don d'organe doit être rapidement réglée. Des milliers de patients attendent, des milliers de vie sont en jeu.
Rapporteur général du PLFSS, je souhaite que les orientations les plus prometteuses de ce texte améliorent l'accès aux soins mais aussi nos comptes sociaux.
Le groupe UDI-UC votera ce texte imparfait mais équilibré. (Applaudissements au centre et à droite)
Scrutin public solennel
M. le président. - Il va être procédé dans les conditions prévues par l'article 56 du Règlement au scrutin public sur l'ensemble du projet de loi dont l'intitulé a été ainsi modifié : « projet de loi relatif à la santé ».
Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants. Je vous rappelle qu'il aura lieu en salle des Conférences, conformément aux dispositions du Chapitre XV bis de l'Instruction générale du Bureau.
La séance, suspendue à 16 h 10, reprend à 16 h 30.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°3 sur l'ensemble du projet de loi relatif à la santé, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 216 |
Pour l'adoption | 185 |
Contre | 31 |
Le Sénat a adopté le projet de loi.
(Applaudissements à droite et au centre)
Merci, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames les rapporteures, pour le travail accompli pendant ces semaines.
Intervention du Gouvernement
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes . - Veuillez excuser l'absence de Mme Touraine, qui participe aux célébrations des 70 ans de la Sécurité sociale.
Les débats ont été respectueux et de grande qualité et je vous en remercie. Ce projet de loi, voulu par le Gouvernement, modernise notre système de santé pour répondre aux grands enjeux que sont le vieillissement, le développement des maladies chroniques et les inégalités face à la santé - enjeux reconnus de tous, même si les moyens d'y faire face le sont moins.
Mme Touraine demandera à l'Assemblée nationale de réintroduire le tiers payant généralisé et le paquet neutre, mesures phares, que le Gouvernement entend mettre en oeuvre. Le débat se poursuit donc.
Je me réjouis, en tant que secrétaire d'État chargée du droit des femmes, que votre Assemblée ait adopté plusieurs mesures issues du plan IVG. Nous aurons bientôt l'occasion de renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs bancs au centre)
M. le président. - Souhaitons un bon anniversaire à la Sécurité sociale ! J'ai participé ce matin à la Mutualité à un colloque à ce sujet.
La séance est suspendue à 16 h 35.
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : MM. Serge Larcher, Philippe Nachbar
La séance reprend à 16 h 45.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle la séance des questions d'actualité au Gouvernement.
Cette séance du mardi est une première, je remercie le Gouvernement d'avoir compris notre démarche et de l'avoir acceptée.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat.
Les auteurs de questions disposent chacun de deux minutes, y compris la réplique.
La durée de deux minutes s'applique également à la réponse des membres du Gouvernement, sauf le Premier ministre, qui dispose d'une horloge spéciale... (Sourires)
Air France (I)
M. Vincent Capo-Canellas . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC) Monsieur le Premier ministre, les Français ont découvert des scènes ahurissantes lors de la réunion du comité central d'entreprise d'Air France. Ces images ont fait le tour du monde, des dirigeants molestés, presque lynchés, contraints de fuir, par une minorité de salariés. Les auteurs de ces violences doivent être poursuivis. Si Air France reste une fierté de notre pays, un étendard international des transports aériens, elle doit s'adapter à la nouvelle donne dans ce domaine, réduire ses coûts, renégocier son pacte social. Le principal syndicat des pilotes est justement pointé du doigt pour avoir refusé des efforts demandés à l'ensemble du personnel.
L'État, avec 17 % du capital, ne peut pas en rester à la condamnation des auteurs de délit. Allez-vous agir pour faire évoluer la rigidité spécifique de la réglementation des transports aériens dans notre pays. Souhaitez-vous y remédier et favoriser le dialogue ? (Applaudissements au centre et à droite)
M. Manuel Valls, Premier ministre . - Je veux d'abord, comme vous l'avez fait en ouverture de la séance cet après-midi, Monsieur le Président, rendre hommage aux victimes des intempéries dans les Alpes-Maritimes, où le président de la République et le ministre de l'intérieur se sont rendus ce dimanche. Je salue tous ceux qui ont soutenu les populations affectées, les sapeurs-pompiers, les policiers, les gendarmes, les agents de l'État et des collectivités territoriales, ainsi que les élus et les citoyens qui ont tout fait pour les secourir.
Air France est une très grande compagnie aérienne, la cinquième du monde. Cependant, elle n'est pas dans une bonne situation. Elle subit la concurrence du low cost et d'autres grandes compagnies. La seule voie possible est de restaurer sa compétitivité. Le statu quo n'est pas envisageable. L'État soutient cet effort indispensable.
Les discussions ont échoué mercredi soir : on demandait un effort aux pilotes pour un gain de productivité de 7 %. J'en appelle à la responsabilité, à la lucidité des pilotes : ils doivent s'engager, prendre leurs responsabilités, pour participer à l'effort de redressement.
Ce matin, j'étais à Roissy où j'ai rencontré les présidents d'Air France et Air France-KLM, les membres du comité de direction et les deux hommes qui ont été humiliés, agressés. Rien ne saurait justifier la violence : les exactions commises hier doivent être punies avec la plus grande fermeté. (« Très bien ! » et applaudissements sur tous les bancs, à l'exception des bancs des groupes communiste républicain et citoyen et écologiste)
J'ai aussi rencontré les représentants syndicaux, qui ont protégé les responsables molestés.
Il n'y aura aucune ambiguïté : un conflit social ne doit pas être confondu avec la violence physique. J'ai témoigné ma solidarité envers la compagnie et les règles.
La discussion doit reprendre, l'État, actionnaire à 17 % du capital, assumera son rôle. C'est pourquoi nous soutenons le plan A qui fait porter l'effort sur tous les salariés.
Je crois aux vertus du dialogue social, il est encore temps de redresser la compagnie. (Applaudissements sur tous les bancs, sauf sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
Intempéries dans les Alpes-Maritimes (I)
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Les dramatiques intempéries de ce week-end ont fait 21 morts et de lourds dégâts. Je veux exprimer toute ma tristesse devant les milliers de sinistrés et saluer l'action des services de secours qui ont évité que ce drame n'entraîne des conséquences encore plus lourdes.
Le président de la République, qui s'est rendu sur place, a annoncé que serait déclaré l'état de catastrophe naturelle. On se souvient que la procédure avait duré longtemps pour Draguignan et La Faute-sur-Mer. Seul l'État a la main pour venir en aide aux élus locaux en publiant rapidement les arrêtés interministériels et en mettant tout en oeuvre pour que la mobilisation des experts et des assureurs soit totale.
Les communes des Alpes-Maritimes peuvent-elles compter sur la parole de l'État et sa réactivité ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Face à un tel drame, aucune question taboue ne doit être éludée.
Quand l'État mènera-t-il une véritable politique de prévention des crues ? (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
La facture du déluge qui s'est abattu sur la Côte d'Azur pourrait atteindre 500 millions d'euros or le budget annuel consacré à la prévention des crues ne dépasse pas 300 millions d'euros !
Quand les pouvoirs publics cesseront-ils de tenir leur discours schizophrène dénonçant les ravages de la bétonisation tout en exigeant des communes qu'elles construisent toujours plus au péril de la vie des administrés ? (Même mouvement)
Les élus locaux ne cessent de subir la pression de l'État : durcissement de la loi SRU, loi ALUR avec la préemption des terrains et la surtaxe foncière ? (Les protestations s'amplifient à gauche)
M. le président. - Veuillez conclure...
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Il est temps, Monsieur le Ministre, de mettre un terme à l'application uniforme de telles lois et de tenir compte des spécificités de nos territoires... (Applaudissements à droite, ainsi que sur quelques bancs au centre)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Le président de la République a indiqué que l'état de catastrophe naturelle serait déclaré dès jeudi. L'engagement de l'État est total. Je réunirai dès demain l'ensemble des administrations concernées, ainsi que les représentants des collectivités et de la fédération française des sociétés d'assurances pour débloquer les fonds nécessaires et attribuer des avances en-deçà du délai de trois mois, pour mobiliser le fonds catastrophe naturelle, afin que les travaux de remise en état puissent être engagés par les collectivités territoriales.
Le temps des inspections sera réduit, les procédures simplifiées et les fonds d'indemnisation fusionnés, par souci d'efficacité.
Un mot sur l'urbanisme. Je me suis rendu sur place ; la loi SRU ne m'a pas semblé responsable, les bâtiments datant pour l'essentiel des années 70-80... (Applaudissements à gauche)
Fin de vie
M. Michel Amiel . - Alors que la loi sur la fin de vie revient à l'Assemblée nationale, la question de la tarification des soins palliatifs reste pendante. La tarification à l'activité, dite T2A, est trop rigide ; dès 2007, la Cour des comptes a souligné ses effets pervers : en 2015, elle démontrait l'absence de valorisation spécifique des services publics en moyen et long séjour. Seul un malade sur trois y a accès. Le forfait de 6 200 euros est dû même si le patient décède le premier jour ; cyniquement, mieux vaut pour l'établissement qu'il meure tout de suite ! Plus largement, nous souffrons de l'absence de culture palliative dans notre pays. Quels sont les projets du Gouvernement à cet égard ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UDI-UC)
M. Jean Bizet. - Très bonne question !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Veuillez excuser l'absence de Mme Touraine, qui participe aux célébrations du 70è anniversaire de la Sécurité sociale.
Vous avez contribué, avec M. Dériot et le Sénat tout entier, à l'amélioration du projet de loi : l'accès aux soins palliatifs doit être garanti sur tout le territoire.
Le T2A n'est pas adapté à ces soins, vous avez raison. Au-delà des mesures prises pour les tarifs des hôpitaux de proximité, la qualité des soins, le président de la République a voulu un plan triennal pour augmenter les fonds fléchés vers les soins palliatifs, et faire évoluer leur financement. Une réunion interministérielle se tiendra en outre bientôt pour évoquer les questions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Claude Malhuret applaudit aussi)
Fiscalité du diesel
M. Ronan Dantec . - Le scandale Volkswagen est très grave. Tous les ans, un rapport sénatorial l'a montré, après de nombreuses études épidémiologiques, des enfants et des hommes meurent de la pollution au diesel. Une entreprise, qui se voulait exemplaire, a contribué à cet état de fait en mentant. Il est urgent de réagir.
Le Gouvernement est-il favorable à la révision de la fiscalité sur le diesel, qui rend prohibitif l'achat de véhicules essence, par exemple par les taxis parisiens et à l'augmentation du bonus sur les petites cylindrées à essence, sur lesquels l'industrie française est très bien positionnée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget . - Cette question est parfaitement légitime à l'approche de la COP 21 et après le scandale Volkswagen. La fiscalité environnementale, qui représente 5 milliards d'euros, est diverse : contribution au service public de l'électricité (CSPE), contribution climat énergie, taxe sur les carburants que vous évoquez (TICPE)...
Bruxelles nous demande de revoir la CSPE.
M. Ronan Dantec. - Quel rapport ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Il y a un rapport : la CSPE ne porte que sur l'électricité, certains envisagent d'en étendre l'assiette. Les questions doivent être traitées de manière globale lors de l'examen de la loi de finances rectificative. Le Sénat, comme l'Assemblée nationale, y sera parfaitement associé. (Plusieurs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Ronan Dantec. - Ma question précise appelait une réponse précise. Vous n'avez parlé que de la CSPE. Je regrette que vous n'appuyiez pas la dynamique initiée par la ministre de l'écologie. (M. le secrétaire d'État indique du geste qu'il y a contribué ; Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et exclamations ironiques à droite)
Air France (II)
Mme Éliane Assassi . - Des violences inadmissibles, que nous condamnons sans réserve, ont eu lieu à l'encontre de dirigeants d'Air France. Leur dignité humaine a été bafouée, nous ne l'acceptons pas. La colère incontrôlée est une impasse, un piège pour les salariés. Les organisations syndicales, l'immense majorité des salariés le savent.
Mais ceux qui ont toujours combattu le monde salarial s'en donnent à coeur joie : le Medef, M. Sarkozy... (Exclamations à droite)
M. Roger Karoutchi. - C'est ça : c'est lui qui arrache les chemises !
Mme Éliane Assassi. - Pourquoi ne pas mettre en avant l'incurie de la direction, qui après avoir déjà sacrifié 5 500 emplois depuis 2012, annonce la suppression de 2 900 autres ? C'est une violence qui se déroule à l'abri des écrans, celle infligée par les décideurs qui servent non pas l'intérêt national mais celui des actionnaires privés.
Le choc, c'est celui des images d'hier, mais aussi le fait que la France ne puisse préserver sa compagnie nationale face à la concurrence de compagnies hors droit.
M. François Grosdidier. - C'est la cinquième compagnie mondiale !
Mme Éliane Assassi. - Comment l'État actionnaire compte-t-il redresser la situation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Hier, chacun a trouvé les mots justes pour qu'il n'y ait aucune confusion possible entre l'action syndicale et des violences inacceptables qui appellent une sanction pénale.
M. le Premier ministre a répondu sur le rôle de l'État actionnaire. La réalité, c'est que la compagnie perd de l'argent sur les longs courriers. Le projet consiste à supprimer une quinzaine d'avions, ce qui concerne 320 salariés. La compagnie a proposé une négociation, un effort partagé entre tous les salariés, y compris les pilotes. Ce n'est que quand ce dialogue a échoué que la compagnie a annoncé les 2 900 licenciements. (M. Pierre Laurent s'exclame).
L'État régulateur a modifié l'an dernier la redevance sur les passagers, pour apporter 90 millions d'euros de fonds publics à la compagnie. Avec la Commission européenne et l'aide de l'Allemagne, nous défendons la compagnie au niveau européen face aux compagnies du Golfe. Encore faut-il accepter le principe de réalité... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Éliane Assassi. - L'avenir de l'entreprise, qui contribue au PIB à hauteur de 1,4 %, est en jeu. L'État actionnaire à 17 % ne peut la laisser mourir. Il faut un vrai dialogue social. Le patronat n'a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses, disait Jaurès.
M. Manuel Valls, Premier ministre . - Nous en appelons au dialogue social, nous l'avons dit. Aux pilotes de rentrer dans ce dialogue, faute de quoi tous les salariés seront pénalisés. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, RDSE, UDI-UC et Les Républicains)
J'ai rencontré les trois organisations syndicales ce matin, elles disent la même chose. Au moment où ces images choquent le monde, choquent les Français, choquent les salariés, je ne confondrai pas les violences. S'attaquer à la dignité de ces hommes est intolérable. Il ne peut y avoir de confusion dans les propos (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, RDSE, UDI-UC et Les Républicains).
Intempéries dans les Alpes-Maritimes (II)
M. Marc Daunis . - Les Alpes-Maritimes ont connu ce week-end un véritable déluge : vingt morts, des écoles, des entreprises saccagées, des habitations endommagées, des femmes et des hommes traumatisés. Maire de Valbonne, je l'ai vécu sur le terrain. La solidarité qui s'exprime est remarquable, chaleureuse, réconfortante ; elle tranche avec certaines déclarations faites ici-même. Ayons la décence de ne pas nous adonner à la polémique politicienne stérile sur un tel sujet - d'autant qu'en matière d'urbanisme et de prévention des risques, l'arroseur pourrait se trouver arrosé ! (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste et républicain).
Le président de la République s'est rendu sur place, ainsi que vous-même, monsieur le ministre de l'Intérieur, et Mme Rossignol, pour constater l'ampleur de la catastrophe. Des mesures d'urgence ont été prises, je m'en félicite, mais l'inquiétude demeure forte. Comment comptez-vous procéder pour que les engagements soient scrupuleusement tenus, dans le moyen et le long terme, et pour répondre à la vive inquiétude des élus et des citoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Vous étiez présent, avec les élus de toute sensibilité, lors de la visite du président de la République. Nous avons pu constater sur le terrain leur belle unanimité, la volonté de tous d'exprimer leur compassion. Il y avait les valeureux pompiers des SDIS, dont le courage a sauvé des vies, les marins-pompiers de Marseille, les militaires des FORMISC, 300 policiers et gendarmes, ces hommes et ces femmes du service public qui donnent le meilleur d'eux-mêmes lors de telles épreuves, de tels drames, et auxquelles nous devons la plus grande gratitude.
Il faut désormais réparer au plus vite. Demain, le Conseil des ministres décrètera la situation de catastrophe naturelle ; l'arrêté sera publié jeudi. Le fonds d'indemnisation des catastrophes naturelles sera mobilisé dans la foulée. Je réunis ce soir les compagnies d'assurance ; je veillerai à ce que les avances sur indemnités soient versées très rapidement et à ce que les délais d'inspection soient réduits. C'est ainsi que nous serons à la hauteur des engagements pris dimanche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Marc Daunis. - Merci.
Policier blessé par un multirécidiviste
M. François Baroin . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Ma question s'adresse au Premier ministre. À cette heure, un policier de 36 ans est entre la vie et la mort. Il a d'ores et déjà payé, avec sa famille et ses collègues, un lourd tribut. Au nom de mon groupe, j'adresse mes pensées les plus émues à ses proches et à l'ensemble des forces de l'ordre qui s'efforcent de garantir notre sécurité face au terrorisme.
Le meurtrier aurait fait l'objet d'une fiche « S » au titre de la sécurité de l'État. Est-ce le cas ? Il aurait obtenu une permission de sortie le 27 mai et ne serait pas rentré. Est-ce le cas ? Quand son casier est long comme le bras, qu'il fait objet d'une surveillance pour ses relations avec des groupes islamistes ? Comment les juges d'application des peines collaborent-ils avec la DGSI, et que compte faire le Gouvernement pour répondre à l'incompréhension des Français et à la colère qui gronde ? (Applaudissements à droite et au centre)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Je me suis rendu hier en Seine-Saint-Denis, auprès des collègues du policier blessé, pour leur témoigner ma solidarité et mon soutien, comme je l'avais fait en janvier, et à chaque fois que des agents des forces de l'ordre tombent au feu. C'est un devoir de l'État.
Quelle est la situation ? Dans des conditions précisées par la Garde des Sceaux et dans le cadre des dispositions législatives en vigueur, (Mouvements à droite), un individu a bénéficié d'un droit de sortie de prison à l'occasion du décès de son père, pour accomplir les formalités nécessaires. Je n'ai pas à me prononcer sur une décision de justice, en vertu du principe de séparation des pouvoirs. (Exclamations à droite)
M. François Grosdidier. - Le procureur a-t-il fait appel ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Partout, le droit doit s'appliquer.
Ce n'est qu'après son évasion que cet individu a été signalé par le renseignement comme étant radicalisé et qu'une fiche « S » a été établie. À partir de ce moment, toutes les forces de l'ordre ont été mobilisées pour procéder à sa récupération. Celles qui l'ont neutralisé hier ont payé un lourd tribut. Je leur rends hommage. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, communiste républicain et citoyen et RDSE).
M. Christian Cambon. - Hors sujet !
Rentrée universitaire
Mme Corinne Féret . - Ma question s'adresse au secrétaire d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche.
Cette rentrée universitaire témoigne de l'attractivité renouvelée de notre enseignement supérieur. La hausse du nombre d'étudiants était de 30 000 en 2014, ils sont 65 000 de plus en 2015. Preuve que le double mouvement de démocratisation de notre enseignement supérieur et d'élévation des qualifications est désormais engagé. Depuis trois ans, qualité des enseignements, soutien à la vie étudiante et amélioration des qualités d'accueil des étudiants sont des priorités.
Les étudiants manifestent néanmoins pour demander une meilleure lisibilité des formations en Sport et la fin du tirage au sort faute de places en nombre suffisant. Une journée de mobilisation de tous les acteurs aura lieu le 16 octobre prochain.
La stratégie nationale pour l'enseignement supérieur fixe à l'horizon de 10 ans un objectif de 60 % d'une classe d'âge diplômée du supérieur. Comment ? Avec quels moyens ? Question centrale alors que les investissements destinés à l'enseignement supérieur et à la recherche baissent.
Le Premier ministre a annoncé à Avignon que les fonds de roulement des universités ne seraient pas ponctionnés en 2016, comme ils l'avaient été en 2015, et que le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche serait augmenté de 100 millions d'euros pour 2016.
M. le président. - Veuillez poser votre question.
Mme Corinne Féret. - La voici. Sont-ce des crédits nouveaux ? Le résultat de la non-ponction sur les fonds de roulement ? Cette somme est-elle uniquement destinée au programme 150 ?
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - La rentrée 2015 confirme et amplifie la tendance amorcée depuis 2012. Une augmentation sans précédent du nombre d'étudiants, c'est une chance pour notre pays, le diplôme étant la meilleure protection contre le chômage.
L'année 2015-2016 marquera une nouvelle étape dans l'amélioration des conditions de vie des étudiants, après les 500 millions d'euros mobilisés pour abonder les bourses sur critères sociaux depuis 2012.
Le président de la République a annoncé un plan national pour la vie étudiante pour simplifier les démarches et garantir l'accès aux droits et à la santé. Nous poursuivons les constructions, avec 40 000 nouveaux logements étudiants prévus d'ici fin 2016. Les moyens renforcés traduisent une action volontaire. La dotation des établissements de l'enseignement supérieur progressera de 165 millions d'euros en 2016, pour financer mille créations d'emploi, accompagner les universités dans la rénovation des sites pour faire face à la hausse du nombre d'étudiants et favoriser la réussite en premier cycle.
Il nous restera à améliorer le développement professionnel continu à l'université et à répondre aux difficultés d'orientation ; c'est ainsi que nous atteindrons l'objectif fixé par le président de la République de 60 % d'une classe d'âge diplômée du supérieur. (Exclamations à droite ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Migrants
Mme Natacha Bouchart . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains). Ma question s'adresse au Premier ministre. La justice vient d'infliger un nouveau camouflet aux Calaisiens. Ce week-end, pour la énième fois, des migrants se sont rués sur le site d'Eurotunnel ; 113 migrants ont réussi à s'introduire par effraction, 23 ont été interpellés et placés en garde-à-vue. À la surprise générale, le procureur de la République a décidé de ne pas engager de poursuites pour ces faits graves, qui concernent un site sensible, estimant que les personnes interpellées ne pouvaient être considérées comme les instigateurs.
De qui se moque-t-on ? La justice refuse de sanctionner ces personnes et renonce à les faire quitter le territoire. Quand prendra-t-elle enfin au sérieux les troubles à l'ordre public occasionnés par l'afflux de clandestins en Calaisis ? Nous n'admettons plus ce laxisme. C'est une catastrophe pour l'économie locale : le tourisme souffre, les entreprises se délocalisent, les investisseurs fuient. Les Calaisiens ont droit, eux aussi, à la justice. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Vous le savez, les forces de l'ordre mobilisées à Calais augmentent continument. J'ai délégué l'équivalent de 7,5 unités de forces mobiles et 550 forces supplémentaires pour combattre les violences et les trafics, et décidé d'augmenter encore les effectifs ce week-end compte tenu des intrusions. Ces violences posent un risque pour les infrastructures mais surtout pour les migrants eux-mêmes. (Exclamations à droite) Nous avons démantelé 190 réseaux de passeurs cette année, dont une trentaine à Calais et à Dunkerque, représentant 3 300 personnes. Nous agissons.
M. François Grosdidier. - Il n'y a pas de justice !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Dans un état de droit, il n'appartient pas au ministre de l'intérieur de commenter des décisions de justice. (Exclamations à droite ; applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Où est Mme Taubira ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - J'ai demandé à la préfète de se mettre en contact ce matin même avec le procureur de la République, dans le respect de l'indépendance de la justice, pour que nous puissions judiciariser avec fermeté les fauteurs de trouble à Calais et dans les infrastructures de transport. Je suis convaincu que la fermeté dont témoigne le ministère de l'Intérieur sur ce sujet sera suivi d'effet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain).
Mme Natacha Bouchart. - Les policiers font un travail remarquable, je les salue. Mais ils sont épuisés, car le représentant de la justice porte des jugements subjectifs. Ne pourrait-on pas saisir une instance spécifique ? Relâcher des personnes en flagrant délit, des immigrés clandestins qui vont se dissoudre dans la nature, est-ce de la fermeté ?
M. Manuel Valls, Premier ministre . - (Exclamations à droite). Un seul mot : dans le strict respect de l'indépendance de la justice, chacun doit agir en pleine responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. François Grosdidier. - ll n'y a plus de politique pénale !
70e anniversaire de la Sécurité sociale
M. Yves Daudigny . - Ma question s'adresse à Mme Marisol Touraine...
Voix à droite. - Elle est absente !
M. Yves Daudigny. - En effet, car elle fête un extraordinaire anniversaire : les 70 ans de la Sécurité sociale. Cette longévité confirme la justesse de la vision de ses pères fondateurs. Elle offre la meilleure couverture des risques, de la manière la plus juste, au plus grand nombre, au même coût. Elle coûte trois fois moins chère qu'aucune autre assurance, et le reste à charge est parmi les plus faibles de l'OCDE. Cela mérite d'être dit en ces temps difficiles, où les voix conservatrices se font entendre, au point de susciter des désaffiliations.
À l'occasion de cet anniversaire, seront récompensés les lauréats du concours « les jeunes et la sécurité sociale ». L'absence d'une vraie sécurité sociale lors de la grande dépression d'avant-guerre a été un facteur aggravant alors qu'elle contribue à lutter contre l'affaiblissement du lien social et l'exclusion, ont écrit des lycéens.
Afin que vive la Sécurité sociale, votre Gouvernement en a proposé une nouvelle approche de long terme à travers la stratégie nationale de santé.
M. Alain Gournac. - Question téléguidée !
M. Yves Daudigny. - Merci de détailler ce projet d'avenir pour ceux qui entendent la modernité comme l'expression de la justice, de la solidarité et de la responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Nous voulons non seulement célébrer la Sécurité sociale mais aussi la défendre et la promouvoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) C'est une valeur fondamentale de notre société.
Depuis 2012, nous avons agi pour que les prestations cessent de reculer, pour l'égalité d'accès aux soins et aux prestations. Nous avons également avancé sur de nouveaux droits, sur les retraites avec le compte pénibilité et sur la modernisation des prestations familiales. Nous développerons en outre dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 la protection universelle maladie, dans la lignée de l'ANI, pour assurer une vraie prise en charge de tous nos concitoyens.
Mais nous avons aussi diminué les déficits de la sécurité sociale de près de 40 % depuis 2012 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE). Construisons, modernisons, défendons notre sécurité sociale en lui donnant un financement et une gestion qui garantissent son avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE).
La séance, suspendue à 17 h 35, reprend à 17 h 50.
Situation et avenir de l'agriculture
M. le président. - L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la situation et l'avenir de l'agriculture, en application de l'article 50, alinéa 1, de la Constitution.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - Le Sénat a légitimement souhaité ce débat, alors que la crise frappe nos agriculteurs et, en particulier, les élevages laitiers, bovins et porcins. La crise du lait est d'ampleur mondiale, celle du porc et du boeuf d'ampleur européenne, à la suite notamment de l'embargo russe, à la fois diplomatique et sanitaire. Je dois d'ailleurs me rendre en Russie dans deux jours pour reprendre des contacts.
M. François Marc. - Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Le marché du lait souffre d'une surproduction, conséquence d'une demande chinoise plus basse que prévue en 2015. Résultat : les prix ont baissé. Sur ce marché, des décisions importantes ont été prises en 2008 lors du bilan de la PAC, en particulier la suppression des quotas laitiers. Un retour à la gestion de l'offre au niveau européen ne règlera pas tout. Le prix de la poudre de lait et du beurre est désormais largement déterminé par la situation en Asie et l'offre néo-zélandaise.
Le budget de la politique agricole commune a baissé de 12 %, mais de 2 % seulement pour la France. Le président de la République a défendu notre agriculture, salué par les syndicats professionnels.
Le verdissement du premier pilier est un choix que j'assume, destiné à éviter le dumping environnemental. J'ai aussi engagé un débat sur le découplage des aides, auquel j'ai toujours été hostile. Les aides couplées ont été maintenues et augmentées de 13 % pour le premier pilier, le Parlement européen y a ajouté une aide spécifique pour le développement des activités fromagères.
La compétitivité... Nous perdons des parts de marché depuis 2003. Les dernières mesures prises par la majorité précédente datent de 2006, ce sont les exonérations de charges « Fillon », toujours en vigueur ; mais le CICE et le Pacte de responsabilité, ce sont 4 milliards d'euros pour les filières agricoles et agroalimentaires, soit le double de ce qu'elles représentaient lors de notre arrivée aux affaires. C'était nécessaire.
L'abattage-découpe est un maillon extrêmement faible, il souffre d'une concurrence inégale liée à l'utilisation abusive des travailleurs détachés en Allemagne. Nous sommes en train de rattraper le retard avec une enveloppe de 50 millions d'euros pour l'investissement afin de rendre notre abattage compétitif et productif. C'est un changement et un choix stratégique. Il faudra néanmoins un peu de temps pour rattraper notre retard qui s'est creusé avec l'Allemagne et l'Espagne.
La filière volailles est en voie de redressement, l'interprofession va se mettre en place. Comme pour la filière porcine, une procédure d'enregistrement a été mise en place il y a trois jours pour faciliter les investissements.
Quant à la production porcine, nous sommes autosuffisants à 107 % mais nous valorisons seulement 60 % des carcasses. C'est une faiblesse pour l'abattage et une faiblesse globale pour toute la filière. Comment relever le prix payé au producteur ? Les négociations avaient abouti à une hausse sur le marché de Plérin, mais les unions d'acheteurs en ont décidé autrement... Chacun prendra ses responsabilités. Toujours est-il que nous faisons tous nos efforts pour structurer la filière. La caisse de sécurisation doit permettre aux industriels comme aux producteurs de passer les moments difficiles. La grande distribution doit avoir sa part dans ces grands choix stratégiques, l'objectif étant de mieux valoriser les carcasses. Sur la viande bovine, se tiendra le 22 octobre une réunion sur la modification des cotations, les critères qualitatifs et les nouvelles possibilités de contractualisation.
Nous négocions des certificats sanitaires pour accélérer la reprise de nos exportations. C'est aussi le rôle du logo « viande de France » lancé en 2014 au Salon de l'agriculture qui répond à la demande des consommateurs. Nous ne pouvons attendre une nouvelle directive sur l'étiquetage.
L'approvisionnement local dépend de l'État comme des collectivités territoriales - des projets alimentaires régionaux se mettent en place. Un guide a été mis à disposition des collectivités territoriales ; les bonnes pratiques, comme celles de l'expérimentation Agrilocal menée dans la Drôme, sont diffusées.
À cela s'ajoutent des réponses conjoncturelles. Le plan pour l'élevage réduira encore les charges pesant sur les éleveurs, à commencer par les remboursements d'emprunts. Une année blanche leur permettra de reprofiler leur dette ; il semble qu'il y ait des difficultés de mise en oeuvre du côté des banques, mais nous ferons en sorte qu'elle s'applique partout.
De nombreuses mesures fiscales ont été prises : sur la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB), la taxe d'habitation pour les fermiers, le report et les remises d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés ainsi que les encaissements anticipés de TVA : 8 000 dossiers sont à l'étude auprès des cellules d'urgence, guichet unique mis à disposition des exploitants. Les baisses de cotisations maladie, de 400 euros par an pour les très petites exploitations, entreront en vigueur dès cette année.
J'entends parler de prix « politiques », décidés par le Gouvernement. Mais ils correspondaient à la demande des producteurs ! Le résultat a été moins bon que prévu sur le porc. Je poursuivrai la même démarche pour la filière bovine : le 22 octobre les cotations seront complètement modifiées et de nouveaux indices élaborés, notamment pour le steak haché.
À notre initiative, un conseil européen extraordinaire a été réuni le 7 septembre. L'Union européenne a débloqué 500 millions d'euros. J'aurais préféré qu'on prenne des mesures de marché et en particulier qu'on augmente le prix d'intervention du lait, plutôt que de verser des aides directes ou de favoriser le stockage. Seuls quatre pays ont suivi la France... Toujours est-il que notre pays recevra 63 millions d'euros, qui s'ajouteront au plan national de 150 millions, pour aider à mettre en place l'année blanche.
Pour l'investissement, 30 millions d'euros supplémentaires pour soutenir l'investissement dans l'abattage, soit deux fois les investissements faits entre 2002 et 2012.
M. Éric Doligé. - Tout va bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Non, parce qu'on en a trop peu fait par le passé ! Il était temps de réagir...
Les Groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), qui ont fait débat ici même, nous aident à préparer l'avenir ; ils sont déjà 128 et seront 210 à la fin de l'année, 250 000 hectares couverts. Pas moins de 6 000 Groupements agricoles d'exploitation en commun (Gaec) auront été agréés en 2015. Créer des dynamiques collectives, c'est le choix stratégique que nous faisons. On compte 23 000 dossiers de mesures agroenvironnementales, 1,5 million d'hectares couverts - 800 000 sous la précédente PAC.
Il nous faut aussi lutter contre la volatilité des prix. Le prix du lait a baissé de 30 % en huit mois. C'est cela, la réalité du marché ! Les agriculteurs, grâce aux contrats socles en termes d'assurance, mettront de l'argent de côté lorsque les prix seront élevés pour traverser plus facilement les mauvaises passes. Les caisses de sécurisation répondent au même besoin.
Mon rôle était d'être à l'écoute. J'aurais pris conscience de la crise trop tardivement ? Dès 2013, une médiation avait été lancée sur le prix du lait, avec un relèvement de 30 centimes par litre. Dès 2014, je me suis engagé sur les secteurs bovins et porcins. Mais pour redresser durablement notre agriculture, il faut être capable de prendre des réformes structurelles, d'apporter des réponses collectives, de chercher la valeur ajoutée et pas seulement la compétitivité-prix. C'est ainsi que nous serons fidèles à la belle idée de l'agriculture française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Didier Guillaume . - Nous nous faisons tous une belle idée de notre agriculture. Certains secteurs fonctionnent bien, les prix y sont rémunérateurs (Exclamations d'étonnement à droite) : ainsi, cette année, de la viticulture, de l'arboriculture, de la volaille. Nos éleveurs, en revanche, souffrent.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - C'est la profession où il y a le plus de suicides !
M. Didier Guillaume. - Merci à M. le ministre d'avoir été à leurs côtés, tout au long de l'été.
Quelques orientations simples devraient nous rassembler. Tout d'abord, si des mesures conjoncturelles sont nécessaires, la crise vient de loin. Les lois votées par les majorités successives devaient tout régler, mais c'est plus compliqué... Les critiques faites à ce Gouvernement sont exagérées.
M. François Marc. - Infondées !
M. Didier Guillaume. - La compétitivité est la seule issue. N'opposons pas les agricultures, le bio en circuit court et le circuit long pour l'export, toutes sont nécessaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE)
C'est de fond en comble qu'il faut repenser l'agriculture française. CICE, année blanche, plan de 3 milliards d'euros, nous espérons que ces mesures porteront leurs fruits. La plupart des demandes de la profession ont été satisfaites par le Gouvernement ; il n'y a rien d'autre sur la table. Nous sommes prêts à nous associer à votre proposition de loi en préparation, monsieur le président du Sénat, pour « répondre sans naïveté » aux enjeux de demain. Oui, les agriculteurs veulent vivre du fruit de leur travail, pas des subventions. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire...
À l'issue des négociations sur la nouvelle PAC, la France a obtenu 9,1 milliards d'euros, personne ne s'y attendait.
Le budget atteint 4,5 milliards, la baisse de 2 % du budget ne portant que sur le fonctionnement. Il faut le saluer. Sans naïveté, monsieur le Président, vous recevrez le commissaire Phil Hogan, à qui il faudra faire prendre conscience de son aveuglement, notamment sur le prix du lait ! (Applaudissements sur divers bancs)
M. Bruno Retailleau. - C'est au Gouvernement de le faire !
M. Didier Guillaume. - Nous ne pouvons accepter ce libéralisme à tout crin.
La crise du porc, du boeuf et du lait n'est sûrement pas terminé. Nous devons réorganiser les filières, sans quoi nous ne nous en sortirons pas. Les prix annoncés par le ministre, acceptés par la profession, ont ensuite été diminués à nouveau... La réponse est française, mais aussi européenne. Partons à la reconquête des marchés, discutons avec la Russie et l'Iran.
Je veux finir par une note d'optimisme. Les agriculteurs aiment leur métier et leur territoire.
M. Jean-François Husson. - Mais ils n'en vivent pas !
M. Didier Guillaume. - Ils travaillent beaucoup, sept jours sur sept, mais ils peinent à s'en sortir. Aidons-les ensemble à vivre de leur métier. Face à cela, il y a deux postures : celle qui consiste à dire « y'a qu'à faut qu'on » et « ce n'est pas assez » ; l'autre revenant à chercher ensemble un chemin... Et le chemin, ce n'est pas de taper sur la tête du ministre. Réunissons les acteurs pour trouver un accord qui n'existe pas encore.
Le groupe socialiste et républicain soutient sans réserve l'action du Gouvernement. (On ironise à droite) N'est-il pas surprenant que les parlementaires de droite ne le soutiennent pas, quand le président de la FNSEA lui tope dans la main ?
Vous nous trouverez à vos côtés pour dessiner l'avenir de notre agriculture, monsieur le président, sans naïveté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. le président. - La parole est à M. Labbé.
M. Bruno Sido. - Ah ! Les belles fleurs et les petits oiseaux...
M. Joël Labbé . - L'heure est trop grave pour se laisser aller à des provocations, même si les belles fleurs et les petits oiseaux, c'est important....
Moi aussi, j'ai eu une belle idée de l'agriculture. En son nom, ne laissons plus l'agro-business et le syndicat majoritaire dicter leurs lois. Le modèle productiviste a fait faillite. J'ai pris l'initiative de réunir, ici, au Sénat, jeudi, les syndicats minoritaires.
La détresse morale est profonde dans nos campagnes : il y a 20 % de plus de suicides chez les agriculteurs que dans le reste de la population, plus de 20 000 exploitations au bord de la faillite. Rendons l'espoir à celles et ceux qui ont la noble fonction de nous nourrir, en retissant des liens étroits avec le territoire, en réconciliant l'agriculture avec un sol fertile, riche en matière organique, respectueux du vivant et régulateur du climat.
Le bilan du modèle actuel est accablant. En 40 ans, le nombre d'exploitations a été divisé par quatre, les agriculteurs ne représentent plus que 3 % de la population active, 20 000 emplois disparaissent chaque année dans les fermes françaises. Et certains voudraient étendre l'agro-business à la planète entière ! Ils voient des bouches à nourrir comme des parts de marchés, alors que l'agriculture familiale et paysanne représente encore plus de 80 % en valeur de la production mondiale. Protégeons et renforçons cette agriculture résiliente, force majeure dans l'adaptation au changement climatique. Elle est touchée de plein fouet, au Nord et surtout au Sud. Condamner les paysans à produire toujours plus, à se mécaniser, à se robotiser, est-ce cela l'agriculture « intelligente » voire « climato-intelligente » ? De qui se moque-t-on ?
Évitons les grands discours simpliste d'un côté comme de l'autre.
M. Bruno Sido. - Très bien !
M. Joël Labbé. - Beaucoup d'outils sont inscrits dans la loi d'avenir pour encourager l'agroécologie. Accélérons la mise en oeuvre du plan sur les protéines végétales, pour nous libérer du soja américain. La loi d'avenir doit marquer la reprise en main de l'agriculture par les politiques que nous sommes. Enfin, mettons en place une gouvernance mondiale de l'alimentation, salutaire pour la planète (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)
M. David Rachline . - La crise actuelle est le résultat de la politique agricole menée depuis trente ans. Le traité transatlantique aurait des conséquences désastreuses, mettons fin aux négociations. Abrogeons la directive sur le travail détaché, qui est un fléau, et finissons-en avec les normes européennes absurdes. Favorisons les produits français dans les marchés publics par des normes sociales et environnementales. Créons aussi des labels pour acheter français (M. Le Foll s'exclame que cela existe)
Pour cela il faudra d'abord se libérer du carcan européen. Les 244 millions de la Commission européenne pèsent peu face aux milliards de débouchés perdus en Russie. Mettons enfin un terme à la politique agricole commune : la France ne reçoit que 13 milliards d'euros sur les 22 versés. Sectoriser les agricultures entre pays a tué la spécificité française, les immenses exploitations ont été favorisées au détriment des petites qui animaient nos campagnes. La logique imposée par la grande distribution a conduit le monde agricole à ne vivre plus que de subventions... Il faut inverser le système et lutter contre les ententes sur les prix. C'est au producteur de fixer le prix de sa production.
Écoutons la détresse de ceux qui travaillent sans relâche pour un salaire de misère. Vous mentez à la France, vous mentez à nos agriculteurs en leur faisant croire que vous pouvez arranger la situation. Ce qui tue notre agriculture, c'est l'Europe. Vous ne voulez pas le voir. (M. Stéphane Ravier applaudit et fait un signe de victoire)
M. Jacques Mézard . - La France doit donner à son agriculture et à son industrie agro-alimentaire les moyens de vivre. Notre agriculture, les femmes et les hommes qui s'y consacrent avec passion, jouent un rôle important dans des territoires comme le mien dont ils forment la substance même. Ceux qui veulent supprimer nos communes arriveront à leurs fins si les exploitations agricoles disparaissent. Oui, je le répète à cette tribune, une lumière qui s'éteint dans une ferme, chez nous, c'est la vie qui s'en va. (Marques d'approbation sur divers bancs)
Ne demeure qu'un grand ranch. L'école ferme ses portes, l'agence postale également. Le médecin n'est pas remplacé, la gendarmerie, puis la trésorerie, n'existent plus. C'est la responsabilité, non pas de ce Gouvernement, mais d'une décentralisation ratée. Choiseul disait « Quand le feu est à la maison, on ne s'occupe plus de la grange ». Monsieur le Ministre, j'ai salué votre négociation de la PAC, favorable aux éleveurs français.
M. Bruno Retailleau. - Pas tous !
M. Jacques Mézard. - Mais les situations de trésorerie sont parfois alarmantes. On demande aux agriculteurs de faire toujours plus en gagnant de moins en moins.
M. Bruno Sido. - Exact.
M. Jacques Mézard. - Et le Gouvernement colmate les brèches de plan d'urgence en plan d'urgence, dans la précipitation... Il faudrait mieux anticiper les crises de marché, comme les conséquences des crises diplomatiques, comme celle provoquée par l'embargo russe. De nombreuses exploitations sont désormais au bord de la cessation d'activité. C'est un problème de long terme.
Longtemps seconde nation agricole, la France se trouve aujourd'hui au cinquième rang. Le monde paysan, composé de femmes et d'hommes passionnés, a besoin d'un cadre normatif équitable, clair et sécurisé. Or ce n'est pas vraiment le cas. (On renchérit à droite) Est-ce équitable d'imposer des normes environnementales à nos producteurs quand, ailleurs, on ne les respecte pas ? Est-ce équitable de supprimer les normes de régulation en Europe quand les États-Unis et le Canada en imposent ? On se fait hara kiri, d'autant que ce sont les mêmes technocrates qui négocient l'accord commercial transatlantique, dit Tafta !
Il est indispensable de développer le système assurantiel, de réagir au plus tôt. Il est du temps qui ne se rattrape plus, à défaut d'anticiper. Nous avons subi ainsi l'épidémie de fièvre catarrhale, face à laquelle les vaccins ont manqué. Vous vous en rendrez compte au sommet de l'élevage de Cournon.
Nous connaissons votre engagement, monsieur le ministre. Tout doit être fait, en France, pour soutenir l'agriculture, y compris dans l'urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, au centre et à droite)
M. Jean-Claude Lenoir . - Merci au président Larcher pour avoir organisé ce débat sur l'agriculture. (Applaudissements au centre et à droite) Vous connaissez, Monsieur le Ministre, l'engagement du Sénat aux côtés des agriculteurs. Dès les premiers jours de la crise, notre commission des affaires économiques a voulu vous entendre. Depuis le 1er juin, votre discours a changé : vous semblez avoir pris la mesure de la situation. Quoique, vous êtes sortis satisfaits de votre rencontre avec le commissaire Phil Hogan, quand il n'y a même pas été question, ai-je lu par ailleurs, de l'élevage français. Cessons les polémiques...
M. Claude Bérit-Débat. - Commencez donc !
M. Jean-Claude Lenoir. - Il est un peu simple de renvoyer la responsabilité au Gouvernement précédent.
Débattons, cela est utile. Si des mesures ont été prises - pour alléger la taxe foncière, faciliter le recours à la MSA, aider les plus endettés... - nous manquons, en un mot, d'une stratégie claire.
Un autre mot, qui a été prononcé, a toute son importance : la compétitivité. Reconnaissons-le, nous sommes passés à côté durant le débat sur la loi d'avenir à force de se perdre dans les considérations environnementales. (M. Bruno Retailleau applaudit)
Un agriculteur m'a appelé tout à l'heure, il me lisait ce qu'il a trouvé sur l'agroécologie sur le site du ministère : il y était question de « capacité de renouvellement », de « haut niveau de production », de « sécurisation des coûts », de « haute performance écologique »...
M. Joël Labbé. - C'est très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. - Je le dirai vertement : les agriculteurs ont la tête ailleurs ! Première préoccupation, l'accroissement des normes. M. Daniel Dubois s'est vu confier un groupe de travail à ce sujet. Le groupe Les Républicains élabore une proposition de loi, grâce à vous, monsieur le Président Larcher, qui y avez travaillé avec nous tout l'été, car vous n'êtes pas le seul à avoir travaillé cet été, monsieur le ministre.
Quels sont ses objectifs ? Plus de transparence sur les produits carnés, un accès facilité à l'investissement - via des déductions pour aléa et amortissement - ou encore à une transposition stricte des directives. Sur les normes et les charges excessives, nous ferons des propositions.
J'étais le week-end dernier à Alençon, en pays sarthois, où se tenait un salon de l'agriculture local intitulé « Ferme en fête ». Les excellents produits qui y sont présentés obtiennent souvent des récompenses au salon international de l'agriculture. Si les agriculteurs sont tristes, ils sont aussi déterminés. Comme le disait le président Larcher ce matin, nous sommes de ceux qui veulent les aider. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Daniel Dubois . - (Applaudissements au centre) Je souscris au constat : la crise conjoncturelle s'est muée en crise structurelle, l'Europe ne joue pas son rôle de régulateur.
Au sein de la commission des affaires économiques, j'anime un groupe de travail sur les normes agricoles. D'emblée, il nous est apparu que les éleveurs, avec la suppression des quotas laitiers, deviennent des acteurs économiques à part entière, confrontés à une vive concurrence mondiale. Faisons-leur confiance plutôt que les présumer suspects d'atteintes à l'environnement !
Faire confiance, c'est consulter avant de décider de nouvelles normes. C'est simplifier les procédures pour leur éviter l'indigestion administrative - je pense notamment aux documents d'avances-PAC.
Plutôt que de se contenter d'un moratoire, annoncé par le Premier ministre, d'ici à mars 2016, remettons à plat notre réglementation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC) Traquons les cas de surtransposition de directives - les seuils Installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) pour les boucheries, les élevages de vaches laitières ou les phytosanitaires par exemple...
M. Bruno Sido. - Bien sûr !
M. Daniel Dubois. - Je regrette que le Parlement, qui a voté deux textes importants sur l'agriculture, ne se soit pas penché sur la compétitivité. J'aurais voulu que l'observatoire des prix et des marges soit aussi celui de la compétitivité.
Faire confiance aux agriculteurs, c'est aussi mettre en place un système de régulation interne pour anticiper les crises. Le système assurantiel a ses limites. En agriculture, il y a de bonnes et de mauvaises années. Des exonérations fiscales des bénéfices réalisés les bonnes années pourraient aider à passer les mauvaises. En toute matière, la prévention doit primer le curatif.
Monsieur le Ministre, j'espère que vous regarderez d'un oeil bienveillant la proposition de loi qui sortira du Sénat. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Michel Le Scouarnec . - Le combat des agriculteurs pour les quelque 800 000 emplois de ce secteur vital pour notre pays est juste et légitime. Le tableau est bien sombre : dérèglementation, consécration du principe de libre négociation entre producteurs et acheteurs laissent les producteurs désemparés devant les grandes plateformes qui concentrent désormais 80 % des ventes.
J'ai vu Bigard et Cooperl refuser de se rendre au marché au cadran de Plérin...Les marges des producteurs ne cessent de baisser, les résultats financiers de la grande distribution de progresser. Alors que Carrefour a réalisé 1,2 milliard d'euros de bénéfices en 2014, on ne reprend pas la loi Chatel.
Pourquoi ne pas adopter le système du coefficient multiplicateur qui existe depuis des années au Canada ?
Monsieur le Ministre, tout l'été, vous avez annoncé des mesures d'urgence. Si c'est mieux que rien, cela ne réglera pas la crise qui est structurelle. Le budget de l'agriculture a fondu de 756 millions d'euros si l'on regarde les choses dans le long terme.
Un mot sur la canne à sucre réunionnaise. Quelque 20 000 emplois seraient détruits prochainement avec l'abandon de la régulation. Que comptez-vous faire ?
Le libéralisme nous conduit droit dans le mur : l'accord de libre-échange avec les États-Unis mais aussi celui qui nous liera au Canada nous emmènent loin de l'agroécologie que vous prônez. Examinons ces questions dans la durée.
Mieux vaudrait promouvoir les lois, assurer la traçabilité des produits et privilégier les circuits courts. Pourquoi acheter un poireau chez un grossiste espagnol quand l'agriculteur du coin peine à vendre le sien ? (Sourires)
Nos agriculteurs sont parfaitement conscients des contraintes environnementales.
Il faudra également exiger un prix minimal européen et le retour des quotas.
Nous croyons à un nouveau modèle agricole fondé sur l'aide à l'installation et au renouvellement des agriculteurs, leur juste rémunération, la traçabilité des produits, les enjeux économiques et écologiques ainsi que ceux relatifs à l'alimentation de la planète (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe écologiste)
M. Henri Cabanel . - Sénateur paysan, j'ai des rêves pour notre agriculture...
M. Claude Bérit-Débat. - Un agriculteur parle aux agriculteurs !
M. Henri Cabanel. - Entre les rêves et la réalité, il y a la volonté ; la volonté de changer la donne en ne se voilant pas la face, en ne tombant pas dans les querelles politiques stériles.
Changement climatique, évolution des besoins des consommateurs, émergence de nouveaux acteurs, les défis sont nombreux. Face à cela, le ministre a eu un mot : agriculture durable, inscrite dans le temps. Il n'est pas responsable d'utiliser le mal-être des agriculteurs pour faire valoir des postures politiciennes, pour s'opposer au Gouvernement.
Sous une autre majorité, on a supprimé les quotas laitiers : je regrette que la FNSEA défende le libéralisme tout en réclamant le soutien de l'État ; déclare vouloir exporter tout en exigeant une garantie de prix hauts sur le marché national, car tout cela est, à l'évidence, contradictoire...
La seule issue est l'amélioration de la qualité. L'agriculture durable, c'est, entre autres, l'agroécologie, les circuits courts. Il est choquant que plus de 80 % des produits consommés en cantine scolaire ne soient pas français.
Je veux croire à l'agriculture. La viticulture languedocienne a réussi sa mutation. Cela devrait redonner espoir aux éleveurs.
En 1976, le Languedoc-Roussillon réalisait 45 % de la production viticole française. J'avais 21 ans quand mon exploitation familiale a été touchée par la crise. Il a fallu faire des choix douloureux, les assumer, arracher des vignes, renoncer à notre potentiel de production. Chute de la consommation du vin - passée de 165 litres par an et par personne en 1965 à 44 litres aujourd'hui -, concurrence des vins européens et du Nouveau Monde ont provoqué un formidable séisme sur les prix.
En quelques années, nous avons opéré une véritable révolution par des réencépagements et avec l'appellation IGP vins de Pays d'Oc. Il y a eu des conséquences humaines à ce changement de modèle. Il faut les anticiper. En 2015, la production sera de 13 millions d'hectolitres, soit une baisse de 60 %. Le parti pris de la qualité paie toujours.
Le Gouvernement a pris des mesures d'urgence portées à 3 milliards d'euros d'aides en trois ans. Au-delà, notre agriculture doit engager la mutation qu'a connue la viticulture languedocienne. Cela ne se fera pas sans les filières. On ne peut pas tout attendre de l'État.
Sénateur paysan, je veux conserver mes rêves et continuer d'être fier de mes racines (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste)
M. Jean Bizet . - Les agriculteurs français sont désabusés, parfois en colère. Ils ont le sentiment qu'on leur reproche de ne jamais en faire assez. Les quotas laitiers étaient le dernier symbole d'une régulation dont nos partenaires ne veulent plus.
La PAC plaisait aux Français parce qu'elle avait été conçue par eux et pour eux. Nos partenaires n'en veulent plus. Quand nous sommes tournés vers le passé, les autres Européens avancent à grands pas vers l'avenir et adaptent leur modèle agricole. Désolé, Monsieur Le Scouarnec, il ne sert à rien de demander le rétablissement des quotas laitiers. Il n'en a jamais été question dans les discussions.
En revanche, utilisons mieux les contrats laitiers. (M. Michel Raison applaudit) Nous allons négocier la deuxième génération de ces contrats. Soyons vigilants.
Deuxième remarque, il nous manque un cap. Nous voulons une stratégie qui ne soit pas un fourre-tout. Oui, il faudra faire des choix douloureux ! J'ai entendu parler de compétitivité, passons aux actes ! Osons des regroupements techniques et industriels, expérimentons, comme le préconisent MM. Raison et Haut dans leur rapport pour le Sénat et comme le font déjà certains pays.
Troisième observation, la PAC, même rénovée, est à bout de souffle. On dépense 50 milliards d'euros par an pour des résultats bien maigres et tous les États membres en sont mécontents. Dépassons les idéologies dévastatrices. Je l'ai dit : paiement unique, paiement inique.
Évoluons vers une PAC assurantielle, sur le modèle américain, avec des aides directes contra-cycliques. Cela sera possible si le traité transatlantique est d'aventure signé. J'ai entendu le mot de compétitivité dans la bouche du ministre, j'ai vu les mains tendues de M. Guillaume. Pourquoi pas ? L'agriculture est trop importante pour être sacrifiée à des querelles politiques. (Applaudissements au centre et à droite, ainsi que sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Jacques Lasserre . - Changeons de regard sur les agriculteurs. De grâce, arrêtons d'opposer les solutions entre elles : agriculture bio et de masse doivent se développer de pair. À nous de régler leurs difficultés, toutes en ont, comme toutes présentent des handicaps. Réconcilions l'agriculture et l'opinion. Des propos démagogiques ont détruit notre industrie agricole.
L'agroalimentaire est un fleuron de notre économie. Or il y a un véritable risque de rupture d'approvisionnement de l'industrie laitière et de la filière viande. Donnons leur chance aux contrats ! La régulation de la grande distribution doit fuir les excès du marketing pour s'appuyer sur de vrais labels de qualité dans lesquels les consommateurs se retrouveront enfin.
Nous devons sauvegarder nos outils de production. Il y a urgence. Sur l'hydraulique, sortons des clichés émotionnels sur l'utilisation de l'eau. (Applaudissements au centre)
Idem sur les bâtiments d'élevage : les normes rendent pratiquement impossible leur existence. Enfin, et si la compétitivité n'était pas un gros mot ? Charges sociales, fiscalité, tout doit être revu. Monsieur le président Larcher, nous serons à vos côtés pour préparer votre proposition de loi très attendue ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Gérard Bailly . - Merci au président Larcher de ce débat très intéressant. J'espère des réponses du ministre à nos questions.
L'agriculture est en crise : 25 000 exploitations d'élevage sont au bord de la faillite, d'après le site même du ministère, à cause d'un prix de vente inférieur au prix de production. Un éleveur me le disait hier : il n'y a pas de demande. Beaucoup d'animaux, peu de fourrages à cause de la sécheresse, c'est la désespérance chez les paysans. Ils font les frais de l'embargo russe, de la baisse de la demande chinoise, mais aussi de la campagne de promotion de l'alimentation végétarienne !
M. François Bonhomme. - Il ne manquait plus que cela !
M. Gérard Bailly. - C'est terrible... La course au prix bas, c'est mon dada, est un fléau. Voyez la publicité des centres Leclerc qui s'étalait hier encore en pleine page dans la presse ! Toujours plus bas !
Vous devez taper sur la table, monsieur le ministre ! Mais peut-être les prix bas arrangent-ils le Gouvernement, à cause du pouvoir d'achat ? Eh oui, il n'est pas besoin de revaloriser les pensions, ni les salaires, pendant ce temps... Il y a certes un médiateur et un observatoire des prix, mais que font-ils, au juste ?
Les agriculteurs attendent une réponse sur l'aide de l'Europe. Quand sera-t-elle perceptible dans les exploitations ? En Rhône-Alpes, on me dit que les dossiers font 24 pages : c'est beaucoup trop !
Quand aurons-nous des vaccins en nombre suffisant ? Cela impacte nos exportations.
J'ai souvent évoqué le feuilleton du loup à cette tribune. Les éleveurs concernés par la Convention de Berne sont découragés. Quand la reverra-t-on ?
Le budget de l'agriculture a baissé de 2,8 %. Comment financer toutes nos priorités, photovoltaïque, outils de transformation, adaptation de la fiscalité... ?
Quand les salaires seront-ils harmonisés en Europe ? Nous payons deux fois plus cher en France pour transformer nos produits. L'Espagne va distribuer 300 euros par vache laitière à ses éleveurs. L'Europe le permet-elle ? Si oui, qu'attendons-nous ?
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Gérard Bailly. - Un mot pour évoquer le problème du stockage de la viande et du lait.
L'Europe, qui s'est faite autour de la PAC, est bien éteinte en matière de soutien à l'agriculture. Notre élevage agonise. À vous, à nous, de réagir plus vigoureusement. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC.)
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains). Ce débat a tout son sens au Sénat, compte tenu de l'impact de l'agriculture sur l'aménagement du territoire. L'enjeu alimentaire n'a de plus jamais été aussi important.
S'il est un secteur stratégique en matière d'aménagement du territoire, c'est bien l'élevage. Il faut pouvoir donner des perspectives économiques aux exploitants? Les conséquences de la situation du secteur pour nos concitoyens sont fondamentales. Quel en sera le coût pour la société, pour la vie locale rurale, racine de notre pays ?
Alors que nous avions besoin de clarifier les compétences des uns et des autres, de l'État et de l'Europe, la réforme territoriale confie la compétence économique aux régions.
M. Claude Bérit-Débat. - C'est déjà le cas.
M. Daniel Gremillet. - C'est une perturbation significative, car leur capacité d'intervention aux côtés de l'État au niveau financier et stratégique est mise en doute.
Si vous avez un peu de temps, monsieur le ministre, relisez les articles 38 et 39 du Traité de Rome du 25 mars 1957 : « la politique européenne doit assurer un revenu équitable à la population agricole ». Aujourd'hui pourtant, nous vivons une rupture : pour la première fois depuis que l'Union européenne existe, les agriculteurs sont seuls face au marché.
M. François Marc. - Que proposez-vous ?
M. Daniel Gremillet. - C'est simple. L'accord issu de la récente table ronde sur le secteur laitier ne traite que de 16 % des produits. Pour les 84 % restants, la baisse des prix a été confirmée, puisque vous demandez à la grande distribution le statu quo pour 2016...
Quand vous dites vouloir associer la grande distribution à l'interprofession, soyez prudent, monsieur le ministre, car les agriculteurs sont dans une grande fragilité.
Le prix ne fait pas forcément le revenu - voyez l'Allemagne : 2 % de chiffre d'affaire sur le dossier TVA ! La solution ne passe pas uniquement par les circuits courts ou la restauration collective, il faut des réformes structurelles.
Que 57 % seulement des agriculteurs renvoient leur dossier PAC montre bien leur ras-le-bol.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Daniel Gremillet. - Il faut favoriser les installations, assurer un renouvellement des générations, imaginer des prêts sur une plus longue durée.
La France sera-t-elle encore demain un grand pays laitier, demandaient Michel Raison et Claude Haut ? Monsieur le ministre, vous êtes devant un rendez-vous historique. La France doit avoir de l'ambition pour son agriculture et faire confiance aux femmes et aux hommes sur le terrain. (Applaudissements à droite et au centre).
M. Stéphane Le Foll, ministre . - Je me félicite de ce débat.
En allégeant les charges, en mobilisant 350 millions par an, avec un effet de levier de 1 milliard sur trois ans, nous apportons des réponses à la fois conjoncturelles et structurelles à la crise que traversent actuellement les éleveurs.
Oui, l'accord sur le lait concernait entre 25 et 30 % des produits...
M. Daniel Gremillet. - 16 % !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Car nous avons visé les produits laitiers prioritaires, la crème fraîche, les yaourts nature - à la demande de la fédération... Fallait-il relever les prix pour les industriels qui possèdent des marques ? Certaines grandes laiteries ont fait, ces derniers mois, des bénéfices, pas les producteurs. Cette stratégie a été convenue avec les professionnels ! J'ai dit qu'on ne pouvait pas tout demander à la grande distribution, que les industriels eux-mêmes devaient faire un effort, de même que les banques, car il y aura une année blanche : elles ont intérêt à pérenniser l'activité pour se voir rembourser les prêts qu'elles ont consentis.
La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP) a marqué la fin des quotas, auxquels on a substitué un système de contractualisation. Mais c'est la loi d'avenir qui a renforcé le rôle des organisations professionnelles en leur permettant de recourir au tribunal si les prix ne sont pas respectés. Il faudra franchir une nouvelle étape dans la contractualisation en associant la grande distribution à la négociation avec les contrats tripartites, intégrant des éléments de rémunération du producteur. Veut-on se priver d'un tel outil ? Trois fois non !
Favoriser l'origine française des productions passe par un accord de valorisation. Pour répondre au sénateur non inscrit qui est intervenu, je ne l'ai pas attendu pour lancer le label « Viande de France » dès février 2014. C'est la première fois que l'on assure la traçabilité, même sur les produits transformés. Certains, en Bretagne, me demandent de rendre ce label obligatoire, alors qu'ils n'usent pas de cette facilité. À chacun d'assumer ses responsabilités.
Dire que nous n'avons plus besoin de PAC, c'est oublier que si l'industrie agroalimentaire française est la première du monde, c'est parce qu'elle exporte ! Abandonner les règles européennes nous condamnerait.
Monsieur Bizet, vous avez le mérite de la cohérence. Mais quelles conclusions tirez-vous de votre analyse ? Dans le Gers, je connais une exploitation de 5 000 hectares regroupant 35 exploitants. Nous sommes favorables aux regroupements ! 5 000 hectares, vous avez bien entendu - le ministre n'a pas perdu la tête, il sait parfaitement où il va. La stratégie collective ne remet pas en cause la place des éleveurs, mais repose sur une dynamique de groupe. Faites donc le saut culturel nécessaire !
Sera remis d'ici la fin de l'année un rapport « Innovation 2025 », qui traitera de l'innovation scientifique, technique mais aussi de l'innovation dans le domaine social, car la condition de l'appropriation de l'innovation technique passe par là.
L'agriculture de demain passe aussi par l'autonomie fourragère, pour prévenir la hausse des prix des protéines végétales. Réfléchissez ! C'est cela qui assurera la compétitivité de notre élevage demain, quand les Danois ou les Allemands sont obligés d'importer.
Le choix des groupements agricoles d'exploitation en commun, l'organisation collective de la production permettra demain de renouveler le capital agricole en partageant la part du capital qui revient à chacun et en facilitant l'installation des jeunes.
Je ne suis pas satisfait pour autant, car la crise est là, et elle est forte.
M. Bailly a cité les aides versées en Espagne. Les éleveurs de Galice s'intéressent précisément à notre système de médiation et ont demandé à leur ministre de faire ce que nous avons fait en France. Les exploitations espagnoles ont entre dix et quinze vaches : les aides ne sont pas très élevées. Baisser les charges, apporter des aides ? Ce n'est pas un problème : nous faisons mieux qu'ailleurs, ce qui nous vaut d'être beaucoup imités.
Sur la question des normes, seul M. Dubois a été précis. Sur les veaux de boucherie et les vaches laitières, les normes ont été adoptées en 2011 - à la satisfaction de la FNSEA. C'est vous qui les avez fixées, c'est nous qui allons les assouplir, comme nous le ferons sur le porc et la volaille. Nous progressons donc ; il est faux de prétendre qu'il y a eu surtransposition.
Les difficultés sanitaires liées à la fièvre catarrhale ovine (FCO) tiennent au fait que le vaccin n'existait plus : il a fallu en produire 3 millions. Les vaccins disponibles permettent de vacciner 900 000 bêtes - nous en exportons 600 à 700 000. Relancer des contrats de production prend du temps. J'ai rencontré mes homologues pour renégocier les contrats sanitaires : cela se passe bien avec l'Espagne, moins bien avec l'Italie ou la Turquie. Face à ces difficultés, il faut apporter des réponses avec célérité et transparence, pour conserver la confiance des acheteurs. J'ai aussi engagé des discussions avec l'Europe pour obtenir que la réglementation sur la FCO soit assouplie ; la maladie est peu contagieuse et n'a aucune conséquence sur la qualité de la viande. Bruxelles est prête à discuter, je poursuis mes efforts pour dégager un peu de marge.
Je ne crains pas d'aborder la question de la compétitivité. Un grand colloque est en préparation sur l'innovation scientifique, technique, écologique, génétique, économique... Je suis ouvert à tout, car il faut une stratégie globale. Malgré la crise, notre responsabilité est de nous projeter. Ce que je souhaite le plus ardemment, c'est de redresser la barre pour l'ensemble des agriculteurs, de donner un sens et un avenir à notre agriculture, afin qu'elle reste la première en Europe. C'est une fierté, ainsi qu'un enjeu économique, social et territorial, qui mérite que l'on se mobilise. (Applaudissements à gauche)
La séance est suspendue à 20 h 15.
présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 50.
Mise au point au sujet d'un vote
Mme Esther Benbassa. - Lors du scrutin n°3, j'ai été notée votant pour alors que je souhaitais m'abstenir.
Mme la présidente. - Je vous donne acte de cette rectification. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.
Rappel au Règlement
Mme Esther Benbassa . - Le 16 septembre, lors du débat sur la question des réfugiés, j'ai évoqué le retard pris par le Gouvernement pour faire face à cette grave crise humanitaire. À court d'arguments, monsieur le ministre, vous avez cherché à m'humilier publiquement, m'avez qualifiée de marionnette courant les plateaux de télévision pour y débiter des inexactitudes et des mensonges, histoire, avez-vous dit, de faire avancer mon petit plan de communication personnel. Vous m'avez reproché de théoriser dans la presse sur ce « Waterloo moral » qui vous gêne tant, oubliant que la formule était de Cécile Duflot.
Avec une grossièreté que je ne vous connaissais pas, vous avez achevé ainsi : « je pense même que, le soir, certains qui ne passent pas à la télévision après avoir fait de telles déclarations parlent aux caméras de surveillance de leur parking pour être sûrs de figurer sur un écran. » Le directeur des études politiques du Parti socialiste, l'historien Alain Bergougnioux, jugeait récemment que « les problèmes qui se posaient en Méditerranée étaient suffisamment graves pour agiter les consciences. » il ajoutait : « on aurait peut-être dû être plus actifs ». Comptez-vous le ridiculiser à son tour ?
Avec une petite sénatrice écologiste, on pourrait donc tout se permettre... Mais je ne suis pas prête à renoncer à mon droit de critique et je respecte, comme tous ici, le métier de parlementaire. J'aurais aimé qu'un éminent représentant de l'exécutif l'eût aussi. C'est le seul moyen de débattre en démocratie. Monsieur le ministre, vos paroles, ce 16 septembre, ont été peu dignes de votre fonction et peu respectueuses de notre Haute Assemblée. Je pense que cela justifie des excuses.
Mme la présidente. - Acte vous est donné de ce rappel au règlement.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Pendant des semaines, j'ai dû subir des propos réitérés qui étaient autant de contrevérités. J'ai éprouvé le besoin de rétablir une certaine forme de vérité... J'ai estimé qu'on ne pouvait en permanence mettre en cause l'action du Gouvernement avec des arguments qui n'étaient pas justes et que mon droit était d'y répondre. Si rétablir la vérité est une insulte, alors il n'y a plus de place pour le débat démocratique. Aussi longtemps que j'entendrai des propos qui mettent en cause l'honneur du Gouvernement, je me ferai un devoir d'y répondre.
Droit des étrangers en France (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France.
Discussion générale
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Ce texte sur les droits des étrangers en France, qui a fait l'objet d'un débat approfondi en commission des lois, vient après le texte sur l'asile. Trois principes nous guident : mieux accueillir et mieux intégrer les étrangers en France ; accueillir plus de talents ; lutter résolument contre l'immigration irrégulière, car sans reconduite à la frontière des personnes qui n'ont pas vocation à rester sur le territoire national, il n'y pas de politique d'immigration soutenable.
Avant toute chose, je veux corriger certains propos, excès, outrances, amalgames qui convoquent les instincts plutôt que la raison, attisent les peurs et donnent de l'action des pouvoirs publics une image fausse.
La réalité des flux migratoires d'abord. Assiste-t-on à une hausse sensible des demandeurs d'asile, à un déferlement sur notre territoire ? La demande d'asile en 2014 a baissé de 2,34 %. Elle n'a pas augmenté depuis le début de l'année, car les flux de migrants, sous l'emprise des réseaux de passeurs, se dirigent plus volontiers vers l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, quand ce n'est pas vers la mort : en août 2014, 3 000 personnes ont perdu la vie.
L'immigration légale explose-t-elle ? Depuis des décennies le nombre de personnes bénéficiant d'un titre de séjour en France est stable et n'excède pas 200 000 personnes ; 90 000 relèvent de la politique familiale, dont 20 000 seulement au titre du regroupement familial - imaginer que cantonner le regroupement familial pour maîtriser les flux migratoires est illusoire ; 65 000 sont des étudiants - nous avons abrogé la circulaire Guéant, trop restrictive, qui n'était pas conforme à l'image de notre pays. Les étudiants étrangers sont une chance pour notre économie, pour l'innovation. Quelque 20 000 personnes sont accueillies pour des raisons de santé.
Le nombre d'étrangers en France représente 6 % de la population française, comme au début du XXe siècle, loin derrière d'autres pays de l'Union européenne. Ces chiffres incontestables, établis par l'Insee en toute indépendance, montrent qu'il n'y a pas de vague migratoire, contrairement à toutes les peurs entretenues par certains.
Parallèlement, notre lutte contre l'immigration irrégulière s'est durcie. Je ne conteste pas les chiffres donnés par le rapporteur mais leur présentation biaisée. Il met dans le même ensemble les ressortissants hors union européenne reconduits forcés, mais aussi ceux qui, Roumains ou Bulgares, touchaient la prime au retour - dispositif coûteux et inefficace que nous avons supprimé -, et ceux qui repartent de manière volontaire auxquels on délivre une obligation de quitter le territoire français (OQTF)... Le nombre des reconduites forcées à la frontière est passé de 13 000 en 2009 à 17 000 cette année, soit une hausse de 13 %...
Nous démantelons aussi les filières de l'immigration clandestine : nous avons démantelé 25 % de filières de plus en 2014 qu'en 2013 et encore 25 % de plus cette année ; 190 filières depuis le début de 2015. Nous avons mis hors d'état de nuire 3 300 personnes contre 1 800 en Allemagne pour un flux approchant outre-Rhin le million de personnes. Une fois encore, les chiffres sont là. Alors que 13 000 postes ont été supprimés dans les forces de police et de gendarmerie entre 2007 et 2012, notre politique de fermeté s'accompagne de créations de postes, notamment pour reconstituer des unités mobiles qui avaient été supprimées.
Madame Benbassa, nous avons également amélioré les conditions d'accueil des réfugiés en France avec la création de 18 500 places en centres d'accueil de demandeurs d'asile (Cada), auxquelles s'ajoutent 11 500 places d'hébergement d'urgence ; 250 postes ont été créés à l'Ofpra pour réduire les délais de traitement des dossiers de 24 à 9 mois.
Le Gouvernement n'a pas attendu la publication de clichés de la presse pour agir. C'est à son honneur.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Si vous le dites...
M. Philippe Kaltenbach. - Nous en sommes fiers.
M. Roger Karoutchi. - Tout va bien alors !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Non, tout ne va pas bien... Mais dans une situation difficile nous travaillons. J'appelle chacun à ne pas céder aux sirènes de la facilité, à éviter les commentaires aussi faux que simplistes.
Le Gouvernement s'efforce de trouver des solutions qui n'ont pas été mises en oeuvre, de mobiliser des moyens budgétaires qui n'ont pas été prévus par le passé et de prendre des dispositions législatives qui n'ont pas été prises.
Le présent texte a trois objectifs. D'abord, mieux accueillir et mieux intégrer. Chaque année, 5 millions de passages sont enregistrés dans les préfectures pour obtenir ou renouveler un titre de séjour. Autant de temps perdu pour s'intégrer ou apprendre le français. C'est pourquoi nous créons un titre pluriannuel de séjour, que l'étranger peut obtenir après un an de présence en France. Fort heureusement, et contrairement à ce qui avait été annoncé, la commission des lois ne l'a pas supprimé.
Nous rehaussons aussi le niveau de langue requis et celui du contrat d'intégration créé par François Fillon en 2003. Les moyens de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) sont renforcés pour ce faire.
Nous créons ensuite un passeport talent de quatre ans pour attirer les artistes, les intellectuels, les chercheurs, les ingénieurs ; nous entendons faciliter l'accès à l'emploi des étudiants étrangers de niveau master.
Nous voulons aussi être plus efficaces dans la lutte contre l'immigration irrégulière. D'abord, par une stricte application de la directive retour. Conformément aux recommandations du rapport de M. Buffet et de Mme Assassi, nous substituons l'assignation à résidence, plus digne, à la rétention, compliquée lorsqu'il s'agit de familles.
Nous clarifions aussi les compétences du juge administratif et du juge judiciaire : le second devient seul compétent en matière de rétention, le premier en matière d'éloignement. Je regrette que la commission des lois soit revenue sur ce point et sur le délai de 48 heures donné au juge judiciaire pour statuer. Une clarification est pourtant nécessaire.
Ensuite, la présence de la presse dans les lieux de rétention, disposition que la commission a supprimée. Le Gouvernement est attaché à la transparence. La France n'a aucune raison d'avoir honte de ce qu'elle met en oeuvre.
Enfin, l'accueil des personnes malades. C'est l'honneur de notre pays d'apporter protection à ceux qui ne peuvent pas se soigner dans leur pays.
M. Stéphane Ravier. - C'est dans la déclaration de 1789, ça aussi ? (Mme Natacha Bouchart proteste)
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Je comprends que cela ne fait pas partie de vos préoccupations, monsieur Ravier... Chacun a le droit d'être soigné en France. Quand le traitement contre sa maladie n'existe pas mais aussi quand on n'y a pas accès. Le Gouvernement a suivi les conclusions d'un rapport de l'Igas et de l'Iga, un dispositif uniforme piloté par l'Ofii. Les médecins qui relèvent de l'Intérieur, madame Assassi, ont les mêmes règles déontologiques que leurs confrères. Nous agissons avec humanité. Et le Parlement a des pouvoirs d'investigation et de contrôle...
Je souhaite que le débat s'apaise, que le sujet ne soit pas instrumentalisé à des fins de politique intérieure, qu'on ne joue pas sur les peurs. Ma seule préoccupation est la rigueur des faits, des chiffres, des procédures. Cette question d'intérêt national ne devrait pas nous diviser. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe du RDSE)
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois . - Je pars dans ce débat avec un handicap : il est difficile de traiter cette question en dix minutes... La procédure accélérée a été engagée, alors que le texte a été préparé dès 2013 ; nous avons regretté et regrettons toujours qu'il n'ait pas été présenté conjointement avec le texte sur l'asile.
Comme vous, monsieur le ministre, je tiendrai un discours de vérité et de rigueur. Ce texte n'apporte des améliorations qu'à la marge. Depuis les années 1980, l'immigration a fait l'objet en moyenne d'un texte par an... Je vous proposerai de simplifier.
Vous avez évoqué les statistiques. Je m'appuierai sur les données de la police de l'air et des frontières, et sur la réponse du ministère au questionnaire budgétaire. En 2014, 92 257 titres de séjour ont été délivrés pour un motif familial ; 16 280, soit 17,85 %, au titre du regroupement familial. L'immigration familiale représente la moitié de l'immigration régulière.
M. Philippe Bas, président de la commission. - C'est bien de le dire !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'immigration économique, elle, ne représente que 9 % des titres délivrés en 2014 ; 14 000 personnes ont été accueillies au titre de l'asile. Tels sont les chiffres.
Je n'ai jamais dit que les reconduites à la frontière avaient diminué, j'ai dit qu'elles n'avaient pas augmenté. Le taux d'exécution des éloignements est constant et très faible : 15 % pour les étrangers hors Union européenne, 50 % pour les citoyens de l'Union européenne. Bref, vous n'avez pas mieux fait que les autres.
M. Bruno Retailleau. - Vexant...
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Il n'y a eu aucun progrès depuis 2010. C'est pourquoi la commission des lois souhaite renforcer l'éloignement. Notre commission des lois a adopté 120 amendements. Elle a restreint les conditions d'octroi de la carte pluriannuelle de séjour, renforcé les moyens de contrôle de l'administration, prévu un débat annuel au Parlement. Le titre pluriannuel ne doit pas devenir la règle, mais rester l'exception. Le pouvoir d'appréciation du préfet a été maintenu pour éviter toute attribution d'un titre de séjour automatique. En matière d'accueil des étrangers malades, nous avons rétabli le critère de l'existence de soins dans le pays d'origine.
Nous avons renforcé l'effectivité des mesures d'éloignement en précisant les dispositions relatives à l'assignation à résidence, en soumettant les attestations d'hébergement au maire et en prévoyant une caution financière. Le juge des libertés aura toujours cinq jours pour se prononcer. Nous avons aussi rétabli le forfait de l'aide médicale d'État.
Bref, nous avons redonné du corps à ce texte pour une immigration régulière contenue et une immigration irrégulière combattue. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Le texte de la commission des lois est équilibré. Deux points ont retenu l'attention de la commission de la culture, en premier lieu l'apprentissage de la langue française. La langue est vecteur d'histoire, de culture, de valeurs. Être laxiste sur ce sujet ne rend service à personne. Comment trouver un emploi sans maîtriser la langue ? Si on n'y insiste pas, on risque de favoriser le repli sur soi, le communautarisme, de contribuer à faire régresser la condition des femmes. Le niveau exigé, A1.1, est ridiculement bas, le plus faible parmi les pays européens.
Apprendre le français est un droit, mais aussi un devoir. Les étrangers doivent passer un à un les degrés. Le Gouvernement entend relever les exigences par décret, le niveau A2, conversation simple, sera exigé pour obtenir la carte de résident. Mais il faut aller plus loin. Ne peut-on exiger de l'étranger qu'il puisse mener une « conversation simple » pour obtenir une carte pluriannuelle de séjour ? Qu'il sache « exprimer ses idées » en français pour accéder à une carte de résident ? Qu'il soit considéré comme un interlocuteur indépendant pour prétendre à la naturalisation ? Cela me semble le bon sens. Nous devons tous avoir à l'esprit l'adage selon lequel « quand on n'a pas les mots, on a la violence »...
Nous nous félicitons de l'amélioration de l'accueil des talents. Il faut cependant être plus volontariste, cibler les filières d'avenir et les spécialités déficitaires. Cinquième au monde, nous ne cessons de perdre du terrain - nous étions encore troisième il y a peu. Il faut donner la priorité à certaines filières, différencier les zones géographiques de provenance des étudiants, renforcer le suivi et le contrôle de la scolarité.
Ce texte manque d'ambition et de hauteur. Ayons le courage de sortir d'une logique de guichet pour bâtir une politique volontariste de recrutement des étudiants talentueux. Nous avons tous à y gagner. (Applaudissements au centre et à droite)
Question préalable
Mme la présidente. - Motion n°11, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (n° 717, 2014-2015).
Mme Éliane Assassi . - Notre groupe a déposé cette motion afin de rejeter l'ensemble du projet de loi revu par la majorité de droite de la commission des lois. Il suffit d'écouter le rapporteur pour savoir que la nouvelle mouture du texte présentée par la commission des lois aggravera les conditions d'accueil en France et la précarité des étrangers, qu'ils soient en situation régulière ou irrégulière. Nous ne pouvons pas l'accepter.
Après le projet de loi sur le droit d'asile, vous renforcez encore les contrôles sous couvert d'une multiplication des demandes abusives. Pourtant, les décisions de protection sont assez stables : sur 37 500 demandes, 8 800 ont abouti en 2007 ; en 2013, 11 400 personnes ont obtenu le titre de réfugié, sur 65 900 demandes.
La question de l'asile et de l'immigration ne se limite pas aux notions de flux et de stocks. C'est une question de géopolitique internationale avant tout. Notre monde est un monde de réfugiés : 163 millions, ils seront demain un milliard à cause du réchauffement climatique. Qu'allons-nous faire ? Contrairement à ce qu'affirment agressivement Marine Le Pen, et les tenants de la « forteresse Europe », « aucune frontière ne vous laisse passer facilement ; elles blessent toutes » comme l'écrit le romancier et dramaturge Laurent Gaudé dans Eldorado.
Nous devons repenser notre ordre mondial. La mondialisation financière, au fond, c'est la mise en concurrence des peuples et des individus, et in fine, c'est la guerre. (Protestations à droite)
Pour notre part, nous pensons qu'il faut combattre l'anarchie libérale, fonder un modèle égalitaire entre les pays du Nord et du Sud comme le préconise le juriste Robert Charvin.
Sans cela, nous continuerons de laisser toute la place au Front national.
M. Stéphane Ravier. - Je confirme !
Mme Éliane Assassi. - Ne faut-il pas plutôt présenter l'immigration comme une chance ? La question « trop ou pas assez d'immigrés » ne se pose pas.
M. Stéphane Ravier. - Moi, j'ai la réponse : il y en a trop ! (M. Roger Karoutchi rit)
Mme Éliane Assassi. - Sur l'accueil des étrangers malades, si un médecin de l'Ofii, dépendant du ministère de l'intérieur, vaut sans doute un médecin de l'ARS, dépendant du ministère de la santé, ce changement de compétence entretient la confusion entre accueil pour raisons médicales et maîtrise sécuritaire de l'immigration.
Le Premier ministre a annoncé la création de 900 postes dans les forces de l'ordre pour lutter contre l'immigration irrégulière. Et la responsabilité du patronat qui utilise cette main-d'oeuvre ? La question est économique ; c'est celle du chômage et des salaires. Sans se faire d'illusion sur le sort de cette question préalable, nous insisterons dans les débats sur les libertés fondamentales. Aucune entorse ne doit être faite aux principes. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen)
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Même avis.
M. Philippe Kaltenbach. - Le groupe socialiste pense qu'il y a lieu de débattre de ce texte qui crée un titre pluriannuel de séjour, améliore les conditions d'accueil des étrangers en France et renforce la lutte contre l'immigration clandestine. Nous voterons contre la motion.
À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°11 est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°4 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 19 |
Contre | 321 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (Suite)
Mme Esther Benbassa . - Ce texte visait à l'origine à améliorer les conditions d'accueil et d'intégration des étrangers en France et à lutter plus efficacement contre l'immigration irrégulière dans le respect des directives européennes.
Entre autres dispositions satisfaisantes, le titre pluriannuel de séjour. En revanche, ce texte restreint la liberté de circulation de certains ressortissants de l'Union européenne qui sont jugés en abuser. Le défenseur des droits l'a dit, cette disposition vise les Roms.
Il reste des marges de manoeuvre pour améliorer ce texte. Hélas, la droite a remis sur le tapis tout ce dont on discutait il y a dix ans : remise en cause du regroupement familial et j'en passe. Comme si la droite, dont le capital électoral est mince...
M. Roger Karoutchi. - Ah ! En comparaison de celui des écologistes ?
Mme Esther Benbassa. - ...s'efforçait de reprendre les idées de Marine Le Pen.
Notre pays est loin de compter, comme on le dit, trop d'immigrés. Ils représentent 0,3 % de la population ; c'est moins que la moyenne dans les pays de l'OCDE. Le FN, chers collègues du groupe Les Républicains, doit vous remercier, comme il a des raisons de le faire sur le regroupement familial.
Dans les chiffres que vous citez, il y a des Français qui font venir leurs conjoints étrangers. L'encre de la disposition sur les étrangers malades était à peine sèche que la commission des lois du Sénat l'a supprimée.
Ceux qui voient les immigrés comme des intrus savent-ils ce qu'est l'immigration ? Vous en débattez sous les lambris dorés de la Haute Assemblée. La France n'attire plus les talents. Aux États-Unis, les lauréats des prix Nobel et autres médailles Fields ont des noms à consonance étrangère. C'était le cas avant en France... (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) Mesdames et messieurs, qui ramassera vos poubelles, qui fera votre ménage, gardera vos enfants ou petits-enfants ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain et citoyen) (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Ravier. - Des Français !
Mme Esther Benbassa. - Arrêtez de voir dans les immigrés des ennemis !
Mme Natacha Bouchart. - Cessez de dire n'importe quoi ! Un peu de respect !
M. Stéphane Ravier . - Une déferlante migratoire et il y a encore des idiots utiles qui, dans des cercles parisiens, prêchent la xénophilie. Cela nous coûte 70 milliards d'euros par an ! La fraude est massive. L'immigration économique n'est que de 9 %.
Ce n'est pas parce que la France est le pays de Molière qu'elle doit ouvrir les bras à tous les malades imaginaires. L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) le dit : ceux qui demandent un titre de séjour pour des raisons médicales sont dans leur majorité - 90 % à Metz - des déboutés du droit d'asile.
Après des décennies d'inaction, agissons : des expulsions dans les 24 à 48 heures, l'exigence de cautions, de la fermeté, en somme. Mieux accueillir et mieux intégrer, d'accord, mais pour les Français d'abord. Ils souffrent. Combien sont en fin de droit de chômage, peinent à boucler leurs fins de mois ? Occupons-nous d'eux plutôt que de dépenser des milliards pour accueillir toute la misère du monde.
Mme Cécile Cukierman. - Eh bien !
M. Jacques Mézard . - L'heure ne favorise pas un débat serein. Nous venons d'en avoir la démonstration. (M. Stéphane Ravier proteste) Les polémistes, en droite ligne des ligues de la IIIe République, se sont emparés successivement de ce dossier, damant le pion aux représentants de l'intérêt national que nous sommes. Il est vrai que les majorités successives ont été incapables de montrer le chemin collectif de la raison.
Monsieur le ministre de l'intérieur, nous vous soutiendrons sans ambigüité. Car vous alliez un discours de dignité et de fermeté.
L'actualité nous met face à nous-mêmes. « Étrangement, l'étranger nous habite. De le reconnaître en nous, nous nous épargnons de le détester en lui-même, écrivait Julia Kristeva. Oui, l'altérité nous place face à nous-mêmes et à nos responsabilités.
Nous aurions aimé un texte apaisé, et non électoraliste. Il suffit pour cela de ne pas céder aux sirènes du populisme qui nous rendent étrangers à nos valeurs républicaines de tolérance.
Nous pouvons et devons accueillir des étrangers, pourvu que le creuset républicain puisse fonctionner, sans cela ce sera le communautarisme.
Dignité et fermeté, c'est la ligne suivie par ce texte : création d'un titre pluriannuel de séjour, droit d'accès aux centres de rétention pour les journalistes, assignation à résidence plutôt que rétention. Autant d'avancées. Cependant, il aurait fallu aller plus loin : sur les mineurs étrangers, et notamment sur les mineurs isolés ; en prévoyant la délivrance automatique d'une carte de dix ans après expiration de la carte pluriannuelle de quatre ans, pour éviter de multiplier les exceptions.
Cela n'étonnera personne : nous ne voulons pas de la nouvelle sanction pénale créée par la commission des lois qui surchargera des prisons déjà encombrées.
La proposition n° 50 du candidat François Hollande d'accorder le droit de vote des étrangers a-t-elle rejoint le cimetière de l'oubli où gisent tant d'autres promesses électorales ? Pourtant, avant même l'élection présidentielle, le 8 décembre 2011, une proposition de loi constitutionnelle avait été votée par le Sénat, avec l'indispensable soutien d'une large majorité des membres du groupe RDSE.
Dans le même temps, fleurissent tant de projets qui n'avaient jamais été évoqués pendant la campagne et dont l'on aurait pu se passer, comme la réforme des collectivités territoriales... À l'heure où l'étranger renvoie à une image fallacieuse du moi désemparé, espérons que nous ne revivrons pas le débat sur l'identité nationale ! Le Sénat doit rester fidèle à sa tradition de sagesse et de défense des libertés, à l'heure où l'on tente de remettre en cause le bicamérisme de nos institutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs bancs au centre)
M. Michel Mercier . - Il y a cinquante ans, Jacques Chaban-Delmas ouvrait les débats budgétaires, à l'Assemblée nationale, en invoquant cette trilogie : liturgie, litanie, léthargie...
Ne pourrait-on faire de même, s'agissant du droit des étrangers, domaine régi par un seul texte, l'ordonnance du 2 novembre 1945, jusqu'en 1980. Nous en sommes à la 22è loi en trente-cinq ans... Preuve de l'impuissance du législateur.
Monsieur le ministre de l'intérieur, vous nous avez expliqué, et je suis enclin à vous croire, par respect et amitié, que vos résultats étaient bons : plus de reconduites à la frontière, une immigration stable, plus de filières démantelées. Mais alors, pourquoi ce texte qui ne renverse pas la table ? Pour réussir, vous n'en avez pas besoin. Le rapporteur en a fait une analyse honnête : certaines mesures sont bonnes, d'autres moins.
Faut-il donc se préparer à un nouveau texte dans deux, trois ou quatre ans ? Certainement...
Posons-nous les bonnes questions. La France a-t-elle besoin d'immigration ? Oui (M. Bernard Cazeneuve, ministre, acquiesce) Disons-le clairement. Un Français a-t-il le droit de faire venir un étranger qu'il aime dans notre pays ? Oui, c'est le socle du regroupement familial et cela ne doit pas changer.
Avec mon groupe UDI-UC, je vous propose de réfléchir, de renverser la vapeur en s'interrogeant non sur l'immigration irrégulière, mais sur l'immigration régulière, catégorie par catégorie. La France n'attire plus les talents, c'est un véritable problème. C'est au Parlement qu'il revient de se prononcer sur des niveaux d'immigration. Je n'aime pas plus que vous ou le président de la République, le mot « quota ». On ne peut pas traiter l'immigration avec toujours les mêmes mots, ou en se jetant à la figure les mêmes préjugés, en préconisant toujours les mêmes solutions, avec les résultats que l'on sait... Sortons des sentiers battus, trouvons enfin d'autres chemins ! (Applaudissements au centre, ainsi que sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain et à droite)
M. Christian Favier . - Ce texte, sur lequel a été engagée la procédure accélérée, est malvenu à la veille des élections régionales, alors que les populismes se déchaînent sans vergogne, Marine Le Pen évoquant les invasions barbares, Nadine Morano des atteintes à la prétendue « race blanche ».
Hélas, le Gouvernement a oublié les valeurs de gauche qu'il défendait autrefois. Il facilite l'éloignement et déroule le tapis rouge pour les talents ; aucune avancée, donc, toutes les associations et le Défenseur des droits le disent.
L'immigration autorisée est maintenue dans un étroit carcan administratif. Des mesures visent les Roms, une première en Europe et une grave atteinte à la liberté de circulation au sein de l'Union. Quant à l'accent mis sur l'assignation à résidence, le but est, en réalité, de rendre plus efficace les procédures d'éloignement. Les médecins de l'Ofii qui dépend du ministère de l'intérieur seront en charge de l'accueil des étrangers malades, comment ne pas y voir une volonté de maîtriser les flux ? Pourquoi maintenir un régime spécifique pour les collectivités territoriales d'outre-mer ?
Après avoir combattu « l'immigration choisie » de Sarkozy, voici que le Gouvernement crée un passeport « talents » et des salariés jetables à la merci de leur employeur.
En réalité, la commission des lois s'est inscrite dans la ligne de la loi du 16 juin 2011 mieux connue sous le nom de loi Besson : refus de délivrer certains titres de séjour de plein droit, suppression de la délivrance de plein droit d'un visa pour un conjoint de Français, suppression de la délivrance de plein droit d'une autorisation de séjour pour les parents d'un enfant malade, sanction pénale en cas de manquement à l'obligation de pointage, et j'en passe. La fuite du rapport de M. Buffet dans Le Figaro illustre la manipulation politicienne de ce dossier.
Contre une vision frileuse et rabougrie, le groupe CRC continuera de le dire : l'immigration est un atout pour la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen)
M. Philippe Kaltenbach . - Nous examinons maintenant un projet de loi relatif, non plus aux droits des étrangers, mais à la maîtrise de l'immigration, titre choisi par la commission des lois qui en dit long sur sa volonté d'affichage politique. MM. Retailleau et Buffet, dans L'Opinion, ont publié une tribune où ils affirment qu'avec ce texte le Gouvernement ouvre grand les vannes de l'immigration.
M. Jean-Pierre Sueur. - Belle manière d'aborder ce débat ! C'est scandaleux ! (On approuve sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Philippe Kaltenbach. - Il faut dépassionner ce débat, si M. Ravier nous en laisse la possibilité.
M. Roger Karoutchi. - Entreprise vouée à l'échec !
M. Philippe Kaltenbach. - Les chiffres sont là ! La population immigrée est stable en France...
M. Roger Karoutchi. - Ca ne veut rien dire !
M. Philippe Kaltenbach. - Les données citées, incontestables, (M. Roger Karoutchi en doute), montrent que les marges de manoeuvre sont faibles, sauf à interdire aux Français de se marier à un étranger ou à enjoindre aux universités de refuser les étudiants non français, mesures que seule peut envisager Marine Le Pen...C'est pourquoi j'encourage nos collègues du groupe Les Républicains à ne pas courir derrière le Front national, et nous avons vu que M. Ravier va loin.
Ce texte facilite l'insertion des étrangers avec la création d'un titre pluriannuel de séjour. Depuis 2012, des efforts avaient déjà été faits pour diminuer les files d'attente en préfecture qui se forment dès trois heures du matin.
Le texte du Gouvernement était équilibré : il renforçait les garanties données aux étrangers en situation irrégulière et veillait à ce que les mesures d'éloignement des clandestins soient mises en oeuvre dans des conditions dignes.
Le groupe socialiste est prêt à un débat serein. Ce n'est peut-être pas le cas du groupe Les Républicains. Ce matin, M. Karoutchi présentait des amendements revenant sur le regroupement familial et le droit du sol, contraires à nos engagements internationaux.
Fermeté, dignité et humanité dans notre politique migratoire, oui, cela est possible ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Roger Karoutchi . - Je suis sidéré d'entendre tout et son contraire : on reproche presque à la majorité sénatoriale de faire des amendements, de travailler en commission, sur un texte qu'elle n'a pas demandé !
Pourquoi d'ailleurs un tel texte aujourd'hui, à deux mois des élections régionales ? N'est-ce pas notre rôle de dire que ce texte préparé il y a 18 mois n'est pas adapté à la situation, qui a bien changé ? Le rôle du politique n'est-il pas d'abord de s'adapter aux réalités ? Il aurait fallu retirer ce texte, déjà dépassé, et en redéposer un autre après les régionales.
En matière de délinquance, de terrorisme, vous avez pris des mesures fortes et changé la politique - au sens noble - de l'État. C'était normal, et nous vous avons soutenu. Pourquoi ne pas évoluer sur ce thème ? On ne lutte pas contre l'immigration irrégulière avec des incantations. Il faut des moyens, cela coûte cher. Or Bercy ne vous suit pas, le bleu budgétaire que je présenterai demain en commission des finances montre que les crédits des chapitres 303 et 104 ne bougent pas !
Comment se fait-il, en France, dès lors que l'on parle d'immigration, on soit suspecté d'extrémisme ? Le problème s'est toujours posé en France. Les vagues migratoires du début du siècle, ou pendant les trente glorieuses, accompagnaient la croissance de notre pays ou comblaient un déficit de natalité. À l'époque, nous avions les capacités matérielles, économiques, sociales, de les intégrer. Il y a toujours eu des débats au Parlement et dans l'opinion, lors des arrivées massives de Polonais, d'Italiens et de Portugais, sur la baisse de la démographie vis-à-vis de l'Allemagne et la volonté de réarmer le pays.
Quand on a le sens à la fois de l'histoire et de l'avenir, il n'y a rien d'indigne à demander que le Parlement définisse un plafond des entrées sur le territoire national ; notre souveraineté est en jeu. La France de 2015 n'est pas celle de 1975, de 1930, encore moins de 1890. Les Français ont le droit de savoir comment on fait l'avenir.
Je le dis et le redis en commission des finances : nous ne mettons pas les moyens nécessaires à l'intégration, à l'apprentissage du français - aucun examen pour apprécier le niveau, aucun moyen nouveau pour l'éducation civique, pour l'Ofii, pour l'intégration. Inculquons d'abord nos valeurs républicaines aux immigrés réguliers et aux réfugiés.
M. Philippe Kaltenbach. - C'est prévu !
M. Roger Karoutchi. - L'immigration doit être un sujet comme un autre. On devrait pouvoir fixer le plafond, les conditions d'entrée, etc...
Les mesures prises après la guerre ou sous le Gouvernement Chirac étaient liées à la situation économique, sociale, sociétale du pays.
M. Philippe Kaltenbach. - Le regroupement familial !
M. Roger Karoutchi. - Ces mesures sont acceptables dès lors qu'elles sont décidées par le Parlement. Regardez autour de vous, dans nos quartiers, nos zones rurales : la société française est fragilisée, sous tension. Il faut définir ensemble notre capacité à accueillir l'immigration régulière, et à la limiter pour réussir l'intégration, pour éviter que des personnes en situation régulière ne se sentent quand même exclues de la société française.
Au centre de rétention administrative du Mesnil Amelot, les effectifs policiers ont continué à baisser depuis 2012. Les fonctionnaires n'en peuvent plus.
M. Philippe Bas, président de la commission. - C'est vrai.
M. Roger Karoutchi. - La question n'est pas de savoir si l'immigration est une chance ou non. La France d'aujourd'hui n'est plus la France des trente glorieuses. Résultat : on accueille les clandestins, mais on n'intègre pas bien les étrangers en situation régulière ou qui ont obtenu le droit d'asile. Au premier semestre 2015, l'Ofpra a accordé l'asile à 14 800 personnes - autant que pour toute l'année 2014. Nous devons gérer le problème sans tension et sans angélisme. C'est avec de la responsabilité, des moyens, non de l'incantation que l'on luttera contre l'immigration irrégulière et maitrisera l'immigration régulière. (Applaudissements à droite)
Mme Natacha Bouchart . - Ma ville de Calais concentre les problématiques les plus cruciales en fait d'immigration clandestine, et fait régulièrement la une de l'actualité. Je suis déçue par le texte voté par l'Assemblée nationale, qui ne fera qu'aggraver les flux migratoires, créant un appel d'air pour les milliers, voire les millions de personnes qui attendent de passer en Europe depuis l'Afrique ou du Moyen-Orient. Je connais la situation dramatique qui les pousse à fuir leur pays, mais assouplir les règles ne réglera pas le problème.
Ce texte est un contresens. Comment peut-on en conscience renforcer l'attractivité de la France pour les migrants alors que jamais la pression n'a été si forte ? Je le constate tous les jours à Calais : notre politique migratoire est en situation d'échec. Ce texte sonne le glas de l'immigration choisie face à une immigration subie, perçue comme une fatalité. J'invite les tenants de l'angélisme qui refusent ce parler vrai à venir à Calais : 4 000 hommes, femmes et enfants - contre 3 000 en juin - y attendent un hypothétique passage en Angleterre.
Grâce à une contractualisation avec la ville, qui a mis à disposition un centre d'accueil de jour, et une aide financière de l'État, la situation sanitaire des camps s'est améliorée. Mais à côté, un campement sauvage s'est installé, véritable bidonville. Impossible d'aider ces personnes, qui ne sont pas identifiées. Cela génère de la violence, et un développement de trafics en tout genre, soutenus par les extrémistes No Borders, que la justice laisse faire. L'humanité ne peut aller sans la fermeté. Notre pays doit rester fidèle à sa tradition d'accueil et d'asile, mais en fixant des règles. L'humanité, c'est aussi pouvoir accueillir de façon décente les immigrés : leur proposer un toit, un travail, une formation, les assimiler un jour dans la communauté nationale.
Ce texte faciliterait l'émergence de jungles partout en France, comme à Calais. Que dire des gestes désespérés des migrants dans le tunnel sous la Manche et dans le port de Calais ? Des activistes qui les instrumentalisent dans le but de nuire à l'ordre public ? Des conséquences sur l'économie locale ? Des réseaux de passeurs qui se nourrissent de la misère humaine ? De la montée de la violence ? De l'impuissance des forces de l'ordre, source de dépressions voire de suicides ? Est-ce cela, l'humanité de la politique migratoire du Gouvernement ? Non, c'est un désastre moral, conséquence d'un État qui baisse la garde.
La politique européenne, définie il y a trente ans, n'est plus adaptée. Ce dimanche, à Calais, 23 hommes ont été interpellés en flagrant délit. Pourtant le procureur de la République a fait savoir qu'il ne les poursuivra pas, estimant qu'il ne serait pas juste de ne poursuivre qu'une partie des coupables ... Le parquet aurait-il reçu des instructions, pour se rendre ainsi complice des manipulations des No Borders ? La coupe est pleine. Un tel laxisme est effarant : c'est une incitation à continuer ! Face à ces intrusions sur le site d'Eurotunnel, il faut renforcer les sanctions. J'ai déposé un amendement dans ce sens.
Le laxisme de la justice est le premier pas de l'abaissement de l'autorité de l'État. Ce texte en est l'aboutissement. Quatre déboutés sur cinq ne sont pas reconduits à la frontière. Il est temps de rétablir l'autorité de l'État.
Telle est notre divergence de fond avec votre texte. Calais est un laboratoire des dysfonctionnements de l'État. Qu'il cesse donc de se défausser ! Il faut prendre systématiquement les empreintes digitales des migrants pour pouvoir les suivre ; autoriser la détermination de l'âge osseux par radiographie afin de priver les délinquants de l'excuse de minorité.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Natacha Bouchart. - Mes valeurs sont claires.
Monsieur le ministre, vous garant de l'État de droit, vous devez imposer une concertation à Mme Taubira sur la réponse pénale à apporter. La limite de l'État de droit, c'est les tas de droits, disait un excellent juriste. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Yves Leconte . - Première grande réforme du Ceseda depuis 2012, ce texte crée un titre pluriannuel de séjour au terme de la première année sur le territoire, tourne la page de la circulaire Guéant, sécurise les droits des migrants en clarifiant le rôle du juge administratif et du juge judiciaire et rend plus opérationnelle la lutte contre l'immigration irrégulière.
N'en déplaise à M. Karoutchi, l'admission au séjour en France est globalement stable. Nos marges de manoeuvre sont donc faibles, sauf à refuser les étudiants étrangers, à refuser le droit d'aimer et de vivre en famille en France...
J'ai vécu vingt ans à l'étranger. J'avais quitté une France obnubilée par l'égalité ; je l'ai retrouvée, en 2011, obnubilée par l'origine des gens. Le nombre d'étrangers est pourtant stable. Constat d'échec de l'intégration, qui passe par le respect, pas par l'obligation d'assimilation. Vouloir faire de l'étranger qui arrive un pré-Français déjà intégré, c'est le meilleur moyen de rater l'intégration. On devient Français parce qu'on se sent libre d'aimer, de travailler, de circuler en France. Cette liberté est au coeur de notre identité depuis 1789.
C'est un atout pour la France dans un monde global. Notre attractivité nous permet de peser sur les affaires du monde, de propager nos valeurs. Quelle tristesse de voir la classe moyenne marocaine se tourner vers Istanbul pour un week-end plutôt que vers Paris.
Le jeune et dynamique continent africain se détourne de la France, pour des questions de visas. Veillons à ne pas handicaper notre attractivité en réduisant trop notre réseau consulaire. La politique de séjour reste une prérogative nationale, quand les visas de court séjour sont gérés au niveau européen. La politique européenne mérite plus de cohérence, poursuivons la réforme de Schengen.
Ce n'est pas avec des déclarations martiales, des quotas, des passe-droits qu'on luttera contre l'immigration irrégulière, mais avec des critères clairs, comme ceux énoncés par la circulaire Valls.
Le rapport de M. Buffet revient sur des principes affirmés à l'Assemblée nationale et empêchera ce texte de remplir les objectifs souhaités par le gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale.
M. Philippe Bas, président de la commission. - C'était le but.
M. Jean-Yves Leconte. - M. Karoutchi, à voir ses amendements, a la nostalgie des années Sarkozy : diviser l'immigration par deux en cinq ans, financer sur fonds publics des bus vers la Roumanie, remettre en cause la rétention des étrangers : des déclarations martiales alors que les élus demandent en masse des régularisations ! Ce n'est pas acceptable. Il faut plutôt réduire les zones grises, clarifier les droits. C'est ainsi que la France sera digne de son histoire et abordera l'avenir avec confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Colette Giudicelli . - Les drames humains se multiplient aux portes de l'Europe. Notre commission des lois s'est rendue à Menton, à Calais - où l'action de Mme Bouchart nous a épatés - mais aussi au centre d'accueil de Mineo, près de Catane. Nous y avons entendu l'innommable. Un réfugié m'a dit : « vous vous êtes émus de l'image de ce petit garçon échoué sur une plage. Moi, j'ai vu cela tous les jours et plus ». Nombre de migrants économiques se mêlent aux réfugiés politiques. Les passeurs n'hésitent pas à faire payer la traversée 2 000 à 3 000 euros pour un adulte et 1 000 euros pour un enfant, mais si la mer est agitée, ils jettent les gens par-dessus bord.
S'il faut répondre à ces situations de détresse, nous devons aussi faire preuve de fermeté. Au moment où le nombre de réfugiés s'accroît, l'immigration clandestine progresse. Les migrants refusent de se laisser prendre les empreintes digitales, préférant se rogner la peau des doigts. Les centres de rétention les laissent alors partir, ils deviennent clandestins.
M. Jean-Yves Leconte. - Hors sujet !
Mme Colette Giudicelli. - En huit mois, 20 450 personnes ont été interpellées à Menton. Certes, les contrôles ont été rétablis, mais nous craignons le développement de filières visant à utiliser le dispositif de mineurs isolés étrangers, qui coûte fort cher aux départements, dont les Alpes-Maritimes, le droit européen n'autorisant pas la reconduite à la frontière des mineurs isolés.
La lutte contre l'immigration clandestine doit être une priorité européenne. Frontex ne suffit pas : les conditions ont changé, le texte du Gouvernement n'est pas à la hauteur des enjeux.
Tous les immigrés, réguliers ou clandestins, doivent être traités dignement. Cela ne signifie pas pour autant laxisme et faiblesse. Donner la priorité à l'assignation à résidence, est-ce réaliste ? Cela permettra-t-il davantage de reconduites ?
Selon la Cour des comptes, 1 % seulement des 50 000 déboutés du droit d'asile font l'objet d'une décision d'éloignement. Peut-être serait-il temps de revoir les avantages offerts aux étrangers en situation irrégulières, notamment l'Aide médicale d'État (AME) ? De supprimer la circulaire de novembre 2012 qui assouplit les critères de régularisation des sans-papiers ?
La commission des lois a eu raison d'accentuer les dispositions sur la lutte contre l'immigration non maîtrisée. Une politique migratoire humaine mais ferme est possible. (Applaudissements sur les bancs Les Républicains)
Mme Catherine Tasca . - Après la réforme du droit d'asile, ce texte est le deuxième volet d'une réforme visant à rendre plus efficace et plus humaine notre politique migratoire. Les drames en mer ont créé un émoi qui doit être suivi d'actions déterminées. Je salue la réactivité du président de la République et du Gouvernement dans cette crise.
Ce projet de loi sécurise le parcours des étrangers en situation régulière, crée un titre de séjour pluriannuel, améliore l'attractivité de notre pays et renforce la lutte contre l'immigration clandestine. Le bilan du gouvernement, quoi qu'on en dise, est bon : les éloignements ont augmenté de 13 % entre 2012 et 2015. Accuser la gauche d'être immigrationniste est infondé et démagogique. L'exécution des OQTF sera facilitée : délais abrégés, modalités procédurales adaptées. L'interdiction de retour sur le territoire est généralisée. En contrepartie, dans le respect des droits des migrants, l'assignation à résidence est privilégiée et le placement en rétention des mineurs rendu quasiment impossible. En contrepartie, les moyens des forces de l'ordre sont accrus.
La carte de séjour pluriannuelle de quatre ans est une avancée, qui évitera aux étrangers les longues files d'attente, humiliantes et fastidieuses, en préfecture. Un système de contrôle vérifiera que l'étranger continue à remplir les conditions, les pouvoirs de l'administration étant encadrés néanmoins par l'Assemblée nationale.
Citons aussi la carte pluriannuelle Passeport talents, ainsi que l'autorisation de séjour pour les étudiants justifiant d'un niveau master et désireux de créer une entreprise.
Bref, le texte de l'Assemblée nationale était cohérent et équilibré.
Je salue la qualité du travail de notre rapporteur. Hélas, le texte de la commission des lois a brisé l'équilibre initial, en complexifiant les procédures pour les étrangers en situation régulière, notamment en supprimant toute délivrance de plein droit d'un titre de séjour ou rendant plus difficile le regroupement familial, quitte à aller à contre-courant d'un droit considéré comme acquis.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Catherine Tasca. - Dommage que la commission des lois ait cédé à l'idéologie, soumettant les étrangers en situation régulière à des brimades inutiles. C'est à contre-courant de l'esprit de ce texte, et ce n'est pas rendre service à la France. Ce débat vaut mieux que la démagogie : nous attendons qu'il fasse évoluer le regard de nos concitoyens sur l'étranger. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Dominique Gillot . - Merci, monsieur le ministre, de proposer à la représentation nationale ce texte très attendu. La politique migratoire est l'objet d'approches manichéennes et caricaturales, dans une logique de dénigrement et de fuite en avant, dont tous les étrangers, en situation régulière ou non, sont les victimes. La France a de longue date fait appel à la main d'oeuvre étrangère, mais, comme souvent en temps de crise, la xénophobie est de retour, comme l'illustre le texte de la commission des lois, qui fait fi d'un engagement du président de la République.
M. Roger Karoutchi. - Ça...
Mme Dominique Gillot. - Les enjeux de l'immigration sont trop importants pour qu'on joue à convoquer des instincts primaires afin de jeter dans le creuset du populisme notre histoire commune. J'avais déposé une proposition de loi sur ce sujet, reprise en partie dans la loi ESR, en partie ici.
Le savoir et le capital humain sont des enjeux centraux. Nos universités doivent pouvoir attirer les meilleurs étudiants. L'enseignement supérieur contribue à l'influence d'un État, à la diffusion de ses idées, de sa langue, de sa culture. Campus France a été créée en 2010. Malheureusement, la circulaire Guéant du 31 mai 2011 a abîmé notre image à l'étranger, détournant de brillants étudiants francophones. En affirmant la vocation des étudiants étrangers à rentrer dans leur pays, elle illustrait la contradiction entre la volonté d'attirer les cerveaux et la peur du risque sécuritaire. Résultat, la France a été détrônée par l'Australie auprès des étudiants, et n'occupe plus que le quatrième rang mondial.
Depuis 2012, le Gouvernement a changé la donne. L'abrogation de la circulaire Guéant a rétabli notre image, mais il reste beaucoup à faire. La complexité du parcours administratif, l'installation d'un climat généralisé de suspicion a eu des conséquences dommageables.
La carte pluriannuelle de séjour pour les étudiants en licence évitera une attente en préfecture souvent perçue comme vexatoire. Le redoublement ne doit pas être un motif pour mettre un terme au contrat d'intégration.
La carte « compétence et talent » a été un échec, symbolique des errements de la politique migratoire précédente.
Mme la présidente. - Concluez.
Mme Dominique Gillot. - Le nouveau passeport Talents, mieux conçu, restaurera l'image de la France. Notre politique d'accueil va gagner en cohérence et sortir de la logique du soupçon.
Il n'y a pas d'immigration subie. La France ne doit pas être refermée sur elle-même. Elle doit s'ouvrir à tous les talents, à la création, à l'excellence, aux amoureux de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Bernard Cazeneuve, ministre . - À entendre l'opposition, le contexte aurait changé et le projet de loi n'aurait plus d'intérêt. En creux, elle suggère que le Gouvernement mène une politique laxiste, qui n'est pas à la hauteur des enjeux.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. - Oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - En réalité, nous avons anticipé la dégradation de la situation.
En 2011, il y a eu une crise migratoire à la suite des événements en Tunisie. Qu'a fait le Gouvernement de l'époque ? Quels moyens nouveaux ? Quels effectifs pour les forces de l'ordre, pour l'accueil des demandeurs d'asile, combien de places en centre d'accueil des demandeurs d'asile, combien de postes créés à l'Ofii ou à l'Ofpra pour traiter des dossiers dont le nombre doublait ?
Depuis que nous sommes aux responsabilités, le nombre de demandeurs d'asile est stable. Est-ce le signe d'un laxisme absolu ? Nous créons 18 500 places en Cada, nous augmentons de 200 les personnels de l'Ofpra, de l'Ofii et des préfectures pour la mise en place d'un guichet unique, nous créons 5 500 postes de policiers et de gendarmes, dont 900 pour faire face aux flux migratoires... Bref, nous corrigeons bien des manquements des politiques passées. Ne faites pas comme si nous n'avions rien fait ! Vous aviez supprimé 15 000 postes dans les forces de l'ordre.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. - Vous n'avez pas de vision, vous ne faites que regarder dans le rétroviseur !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - La politique, c'est avant tout l'art de regarder la réalité, ce n'est pas un exercice de rhétorique politicienne. Le taux d'exécution des OQTF est de 20 %, quelle que soit la période, dit le rapporteur. Toutefois, dans ces chiffres, nous ne tenons plus compte des retours volontaires, des aides au retour versées à des migrants européens, des OQTF flash : plus de politique de gribouille ni de gonflette statistique. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 13 000 reconduites à la frontière en 2009, 15 161 en 2014, 17 000 cette année.
Je regrette vos propos Madame Bouchart. Le Gouvernement agit.
Laxisme, manque de détermination du gouvernement à Calais ? C'est faux. Trente filières ont été démantelées à Calais depuis le début de l'année, cela représente 750 personnes. J'ai affecté 550 policiers supplémentaires, et ce week-end encore des forces mobiles supplémentaires. Je salue leur travail et leur rends hommage. Ils ne sont pas laxistes, mais exécutent mes instructions.
Mme Natacha Bouchart. - C'est la justice qui est laxiste.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Depuis le début de l'année, 1 600 migrants en situation irrégulière ont été reconduits à la frontière : ce chiffre n'a cessé de croitre depuis 2012.
Si la lande été occupée par les migrants, c'est parce que, à votre demande, nous avons évacué les squats en centre-ville. Vous saviez que nous procéderions à l'aménagement de la lande. Les moyens ? 12 millions d'euros d'aide européenne sur Jules Ferry, 18 millions pour la lande. Nous allons héberger 1 500 migrants, pour 18 millions d'euros, et créer 2 000 places en Cada, pour 14 millions. Peut-on dire que l'État abandonne Calais, quand il y investit 44 millions d'euros ? Je n'ai pas été inspiré par des raisons politiciennes. Quand j'étais maire de Cherbourg et que M. Sarkozy décidait de fermer Sangatte en 2002, je n'ai pas eu droit au moindre soutien. Venir ensuite vous accuser, à la tribune du Sénat, de créer un appel d'air en ouvrant un centre d'accueil de jour humanitaire à Jules Ferry, ce n'aurait pas été très digne, sur le plan humanitaire ou politique. Cela aurait traduit un certain sectarisme, un comportement bien politicien... Je ne change pas de position, et continuerai à tenir mes engagements. L'État continuera à créer des places en Cada pour des raisons humanitaires et non politiques.
Citez-moi un article de ce projet de loi de nature à aggraver la situation à Calais ! Clarifier les compétences du juge judiciaire et du juge administratif facilitera les éloignements. Je continuerai d'appeler à un débat serein et sincère, qui ne soit pas préempté pour des raisons liées au calendrier électoral. Il y a à Calais des personnes en grande détresse ; j'en suis informé, vous le savez, y compris par vos textos.
Certes, les régionales approchent mais mettre en cause ma disponibilité à la tribune du Sénat n'est pas convenable, compte tenu des engagements de l'État à Calais, engagements que j'ai l'intention de maintenir et d'intensifier. Je ne ferai jamais de la politique de cette manière ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Prochaine séance, aujourd'hui, mercredi 7 octobre 2015 à 14 h 30.
La séance est levée à minuit cinquante.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus analytiques
Ordre du jour du mercredi 7 octobre 2015
Séance publique
À 14 h 30, le soir et la nuit
Présidence :
M. Claude Bérit-Débat, vice-président
Mme Françoise Cartron, vice-présidente
Secrétaire :
Mme Catherine Tasca
Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (n°655, 2014-2015).
Rapport de M. François Buffet, fait au nom de la commission des lois (n°716, 2014-2015).
Texte de la commission (n°717, 2014-2015).
Avis de M. Guy-Dominique Kennel, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n°2, 2015-2016).
Analyse des scrutins publics
Scrutin n°3 sur l'ensemble du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de modernisation de notre système de santé.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :347
Suffrages exprimés :216
Pour :185
Contre :31
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Pour : 142
Contre : 1 - M. Serge Dassault
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat, qui présidait la séance
Groupe socialiste et républicain (110)
Contre : 1 - M. Jean-Claude Frécon
Abstentions : 109
Groupe UDI-UC (42)
Pour : 39
Contre : 1 - Mme Sophie Joissains
Abstentions : 2 - Mme Nathalie Goulet, M. Michel Mercier
Groupe communiste, républicain et citoyen (19)
Contre : 19
Groupe du RDSE (17)
Pour : 1 - M. Gilbert Barbier
Contre : 5 - MM. Yvon Collin, Pierre-Yves Collombat, Philippe Esnol, Jean-Noël Guérini, Robert Hue
Abstentions : 11
Groupe écologiste (10)
Pour : 1 - Mme Esther Benbassa
Abstentions : 9
Sénateurs non-inscrits (6)
Pour : 2 - MM. Philippe Adnot, Robert Navarro
Contre : 4
Scrutin n°4 sur la motion n°11, présentée par Mme Éliane Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant à opposer la question préalable au projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :340
Suffrages exprimés :340
Pour :19
Contre :321
Le Sénat n'a pas adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Contre : 142
N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat, M. Michel Bouvard
Groupe socialiste et républicain (110)
Contre : 110
Groupe UDI-UC (42)
Contre : 41
N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Jacqueline Gourault, Présidente de séance
Groupe communiste, républicain et citoyen (19)
Pour : 19
Groupe du RDSE (17)
Contre : 17
Groupe écologiste (10)
Contre : 10
Sénateurs non-inscrits (6)
Contre : 1
N'ont pas pris part au vote : 5 - MM. Philippe Adnot, Jean Louis Masson, Robert Navarro, David Rachline, Alex Türk