Accueil des réfugiés en France et en Europe
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur l'accueil des réfugiés en France et en Europe, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe du RDSE) Ce débat est l'occasion de convoquer nos valeurs, de réfléchir à la politique extérieure de l'Union européenne et de faire le point sur la crise migratoire que traverse l'Europe. Cette situation dramatique procède du désordre du monde, de la décomposition de la Libye, proie des groupes terroristes ; de la situation en Irak également.
On connaît la situation en Syrie, entre le régime de Bachar Al-Assad et le terrorisme pratiqué par Daech. La France restera fidèle à ses valeurs humanistes, à sa mission d'accueil des personnes persécutées, pour quelque raison que ce soit, comme elle l'a été depuis 1793.
La France est engagée en Irak, et désormais en Syrie, ainsi qu'en Afrique, au Mali et en République centrafricaine.
Nous agissons également dans notre propre pays, afin de hisser notre système migratoire et d'asile à la hauteur des enjeux.
La France n'a pas attendu la crise migratoire pour agir. Dès le 30 août 2014, je m'étais rendu à la demande du président de la République dans les capitales des pays européens pour plaider en faveur d'une politique migratoire en Europe.
En 2014, 200 000 migrants sont arrivés en Europe, par la Méditerranée, via l'Italie ou la Grèce. Beaucoup de migrants fuyaient la misère de l'Afrique de l'Ouest, espérant un meilleur avenir en Europe, grâce aux promesses des passeurs. Nous souhaitions, par un partenariat avec les pays de départ, contenir ces flux, éviter que ces personnes ne se retrouvent aux mains des passeurs, au risque de perdre la vie, comme près de 3 000 autres hommes, femmes et enfants en Méditerranée.
L'opération Mare Nostrum, organisée par l'Italie, avait la vertu d'être essentiellement humanitaire, mais de plus en plus de migrants se sont embarqués sur des embarcations de plus en plus fragiles. C'est pourquoi elle a été remplacée par Frontex, sous la maîtrise d'ouvrage de l'Union européenne, pour mieux protéger les vies des migrants, tout en sécurisant nos frontières.
Cinq pays seulement sur vingt-huit accueillaient 75 % des demandeurs d'asile. Nous pensions qu'il était normal que l'Europe développe une politique commune pour être à la hauteur des enjeux posés par les drames humanitaires qui se profilent, pour affirmer ses valeurs, qui sont aussi celles de la France.
Nous proposions aussi l'organisation d'un système en lien avec le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) pour accueillir les migrants, créer des centres d'accueil, faciliter le retour des migrants dans leur pays.
Ensuite, au cours des derniers mois, nous avons harmonisé nos positions avec l'Allemagne, avant de les présenter au Conseil européen et de les mettre en oeuvre dans un esprit de solidarité et de responsabilité.
Ainsi, 40 000 réfugiés seront répartis entre les 28 pays membres de l'Union européenne, comme l'a acté le conseil Justice et affaires intérieures de lundi dernier.
Avec l'Allemagne, nous avons indiqué être prêts à accueillir 120 000 réfugiés supplémentaires au titre du processus de relocalisation, pour répondre à notre obligation politique et morale.
La hausse du flux de migrants, en raison de la dégradation de la situation internationale et particulièrement de la situation politique en Libye et en Syrie a conduit le Gouvernement allemand à décider de rétablir des contrôles aux frontières et de fermer sa frontière avec l'Autriche, afin de faire respecter les règles de Dublin et de Schengen, parce qu'il n'y a pas de solidarité sans responsabilité des pays de l'Union européenne les uns par rapport aux autres. J'avais d'ailleurs pris de telles mesures il y a trois mois à la frontière franco-italienne. Le Premier ministre a indiqué que nous n'hésiterions pas à les renouveler si nécessaire. Tous les services relevant du ministère de l'intérieur sont prêts, au cas où nous devrions faire face à une situation de cette nature. Bref, la France a été constamment en action en Europe.
Je veux insister sur nos principes, auxquels nous ne dérogerons pas et que nous avons tenu à réaffirmer au sein de l'Union européenne : en premier lieu, la non négociabilité du statut de réfugié, plein et entier, pour les personnes qui réclament l'asile à juste titre. Il y aurait un manquement au principe même du droit d'asile à vouloir accueillir, sélectionner les réfugiés en fonction de leur religion. N'oublions jamais nos principes, l'humanité est en jeu.
La générosité ne suffit pas. Il ne suffit pas d'énoncer des principes. C'est pourquoi nous avons réformé notre système d'accueil.
Je salue le travail bicaméral, majorité-opposition, conduit par Mme Valérie Létard, et M. Jean-Louis Touraine, ainsi que par M. Arnaud Richard à l'Assemblée nationale, mais aussi MM. Philippe Bas et François-Noël Buffet au Sénat.
Afin de mettre notre système d'asile en conformité avec le droit européen et de le laisser aux meilleurs standards internationaux, nous avons réduit de 24 à 8 mois le délai d'examen des dossiers de demande d'asile. 196 emplois ont été créés à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) ainsi que dans les services des préfectures mobilisés.
Nous avons créé 13 000 places en Centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) auxquelles s'ajoutent 5 000 nouvelles places pour satisfaire au mécanisme d'accueil européen ; soit 18 500 au total à cinq ans, contre 2 000 places sous la précédente législature. Nous avons aussi autorisé les demandeurs d'asile à être accompagnés d'un conseil devant l'Ofpra pour garantir leurs droits.
Résultat : les délais de traitement ont baissé de 20 % et le nombre de cas traités a augmenté de 20 %, dans une approche plus humaine.
Si nous voulons accueillir tous ceux qui demandent l'asile à juste titre, c'est aussi pour reconduire ceux qui ont été déboutés au terme d'une procédure juste et équitable. Autrement le système ne serait pas soutenable.
Certains prétendent qu'on ne reconduit à la frontière que 17 % des déboutés. Mais les reconduites ont augmenté de 20 % cette année. C'est nécessaire et j'entends poursuivre dans cette voie.
Les reconduites forcées ont augmenté de 13 % en 2014, passant de 13 000 à 16 000 en deux ans. Il n'y a pas d'incompatibilité entre volonté d'accueil et fermeté ; il n'y a pas d'humanité sans responsabilité ni respect du droit. J'ai cité la hausse des places d'accueil des demandeurs d'asile, je tiens à mentionner également celle des moyens affectés à mes services. Nous avons en effet renforcé les effectifs des forces de l'ordre.
Là aussi, il fallait remettre à niveau notre dispositif après la suppression de 15 unités de forces mobiles avant 2012. Elles nous manquent aujourd'hui, pour assurer tant Vigipirate que la sécurité en banlieue ou protéger nos frontières. C'est pourquoi 900 policiers et gendarmes seront affectés dans les deux ans à venir à la lutte contre l'immigration irrégulière, après une hausse d'effectifs de 1 500.
En attendant, depuis le début de l'année, 177 filières ont été démantelées et 3 300 personnes interpellées, dont une bonne part ont été judiciarisées.
Le nombre de passeurs interpellés a augmenté de 25 %, y compris à Calais - dont la sénatrice Natacha Bouchart est maire.
Nous poursuivons, pour éradiquer ces filières de la traite des êtres humains, ces hordes de délinquants qui envoient les malheureux à la mort. La loi sur le séjour nous donnera de nouveaux outils, notamment en clarifiant les compétences respectives des juges administratifs et judiciaires.
L'articulation entre la loi asile et la loi séjour sera fructueuse. Au Conseil justice et affaires intérieures, la France a soutenu la mise en oeuvre, décidée lundi, de hot spots (centres d'accueil et d'enregistrement) sous maîtrise d'ouvrage européenne, pour fournir une prise en charge rapide des migrants.
Nous devons aussi, et ce sera le rôle de la haute représentante Mogherini, passer rapidement des conventions de retour avec les pays de provenance, faute de quoi le système restera insuffisant. Nous souhaitons que l'aide aux camps de réfugiés du HCR au Liban, en Turquie, en Serbie, soit accrue afin d'éviter une hausse des flux. Nous devons également aider la Serbie qui abrite des camps de transit.
Il faut aussi augmenter les moyens de Frontex. L'Europe ne peut fonctionner à la carte, sans solidarité, en oubliant les valeurs qui ont animé ses pères fondateurs.
Sur ce sujet, j'invite chacun à la rigueur. Certains responsables politiques seront tentés d'exploiter ce thème pour gagner des voix. Ainsi, certains ont appelé à la création d'un statut de réfugié de guerre. Mais celui-ci existe déjà sous la forme de la protection subsidiaire, ou transitoire dans un texte de 2001. Il est toujours plus sûr de proposer des choses qui existent déjà ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste et républicain) C'est néanmoins curieux de la part de responsables politiques ayant occupé les fonctions qui sont actuellement les miennes... (Applaudissements sur les bancs socialistes)
D'autres proposent un système Schengen 2, soit, ai-je compris, une sorte de Schengen 1 dont on respecterait les règles... Là encore, le consensus peut être atteint à peu de frais... (Sourires sur les mêmes bancs) Quant à la mise en place de contrôles aux frontières européennes pour refouler aux portes de l'Europe ceux qui ne sont pas des réfugiés, n'est-ce pas là, en quelque sorte, le rôle des hot spots ?
Une autre proposition a été avancée, tendant à rétablir des contrôles aux frontières à l'intérieur de l'Union européenne, pour ceux qui ne sont pas Européens. Cela devient plus compliqué : comment distinguer les uns des autres, sans contrôler tout le monde ? La technologie avance mais aucun dispositif ne permet encore de telles sélections sans contrôle, sans remettre en cause le fonctionnement de l'Union européenne, le marché intérieur.
J'espère vivement que ce débat permettra d'avancer et de clarifier les enjeux. Si cela ne devait pas être tout à fait le cas ce soir, je suis prêt à revenir devant vous dès la semaine prochaine... (Applaudissements et sourires sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; on applaudit aussi sur quelques bancs au centre)
Mme Esther Benbassa . - L'accueil des réfugiés est un devoir pour les démocraties. Cela nous rappelle que la démocratie est un mode de gouvernement inégalé, malgré ses défauts.
M. Bruno Sido. - Quels défauts ?
Mme Esther Benbassa. - N'est-ce pas cela que les réfugiés viennent chercher ? Hélas, nos dirigeants et responsables politiques, à droite, mais aussi à gauche...
M. Bruno Sido. - Ah !
Mme Esther Benbassa. - ...ont tergiversé et n'ont pas su prendre la mesure du phénomène. Alors que les dirigeants allemands, portés par un enthousiasme populaire, ont ouvert la porte aux migrants, en accueillant 20 000 en un week-end, nous nous contorsionnions pour en accueillir 24 000 en deux ans, comme si le populisme instillé par le Front national et une certaine droite dite républicaine faisait effet ! En fait, les petits calculs politiciens ont prévalu sur le devoir de solidarité, bafouant un principe simplement constitutionnel, en vertu du préambule de la Constitution de 1946 et de l'article 53 de la loi fondamentale de la Ve République : le droit d'asile.
Il aura fallu la diffusion de la photo du petit Aylan Kurdi, mort sur une plage turque, et l'émotion qu'elle a suscitée, pour que l'exécutif, au plus haut niveau, consente enfin à bouger. Je ne sais s'il pourra ainsi, perdu en circonvolutions, sauver son honneur. Heureusement l'opinion publique soutient l'accueil des réfugiés. Je n'oublie pas celles et ceux de la Chapelle.
Même dans sa dernière conférence de presse, le président de la République n'a pas su donner toute la solennité qui était de mise pour ce virage de dernière minute. Tout le monde n'est pas Jaurès, appelant, à la fin du XIXe siècle, à cesser les exactions contre les Arméniens en Turquie. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Didier Guillaume. - Un peu d'objectivité, ma chère collègue !
Mme Esther Benbassa. - À l'inverse, l'Allemagne a mobilisé six milliards d'euros, pendant que l'État, ici, sans rien organiser ni pourvoir matériellement et encore moins financièrement s'en remettait aux mairies, alors que Calais, où se dressent les barbelés d'un campement de la honte, demeure un point noir.
On a beaucoup glosé sur les motifs de l'Allemagne. Celle-ci a, au fond, tiré les leçons de son histoire, d'un passé nationaliste, raciste, antisémite : plus jamais ça ! Portée par sa population, elle agit. Elle nous montre la voie pour se transformer sans crainte. Dernièrement, elle a rétabli, à titre provisoire, les contrôles à ses frontières, non parce qu'elle se serait ralliée aux arguments de l'Europe forteresse, mais d'abord pour rappeler à ses voisins leur égoïsme et les faire fléchir.
La France fut un pays d'immigration : entre un quart et un tiers de sa population serait d'origine étrangère. Elle s'y est implantée en plusieurs vagues successives.
Dans l'entre-deux-guerres, les Italiens, Espagnols, et d'autres, venaient offrir leur force de travail. Après-guerre, puis dans les années soixante, ce furent les Maghrébins, musulmans, qui vinrent construire de leurs bras les Trente glorieuses. La France peut-elle vraiment être, pour autant, qualifiée de terre d'accueil ? En 1938, elle invoque la récession économique pour refuser l'accueil des Juifs fuyant Hitler et l'Anschluss ; le gouvernement Daladier, en 1939, refuse d'accueillir 500 000 Républicains espagnols. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et républicain) À partir de 1962, elle laissera croupir les harkis dans des camps, dans des conditions indignes. (M. Christian Eckert, secrétaire d'État, s'exclame) Aujourd'hui les migrants sont majoritairement musulmans, en provenance du Moyen-Orient et d'Afrique, confrontés à la confusion entre islam et terrorisme et à l'islamophobie rampante. La France qu'on nous dit « éternelle », solidaire, humaniste, terre de refuge de tous les persécutés, cette France-là, voici des mois que je la cherche. Je l'ai certes trouvée, sur le terrain, dans la rue, auprès des associations, auprès de ces citoyens qui se sont mis tout de suite au travail. Je cherche encore la France des droits de l'homme... Quant à l'Europe, j'ai cessé de la chercher !
Mme Éliane Assassi . - La déstabilisation des États, la violence, la guerre, les crimes de Daech, jettent dans l'exode des millions de personnes, provoquant une crise sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale, mais pourtant prévisible.
Après l'Afghanistan, l'Irak, déstabilisée par George Bush junior, la Libye dépecée, voici l'Irak et la Syrie déstabilisées à cause des errements des puissants de ce monde.
Nous voici confrontés à notre devoir de responsabilité. Il a fallu attendre la photo d'un enfant mort sur une plage pour que l'opinion s'émeuve enfin.
Comme le rappelait Jean-Claude Juncker - que je n'ai pas l'habitude de citer -, l'Union européenne ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle a les moyens d'accueillir des réfugiés représentant 0,1 % de sa population. Le pape François, lui, a appelé chaque paroisse à accueillir des réfugiés. (On s'amuse de la référence au centre et à droite)
N'en déplaise à Marine Le Pen, la France est une terre d'asile. « Chacun a deux patries, la sienne, et la France » déclarait Jefferson. (M. Stéphane Ravier s'exclame) Voltaire, lui, rappelait dans son Traité sur la tolérance que nous « avons assez de religion pour haïr et persécuter, mais pas assez pour aimer et pour secourir ».
L'asile est une base de notre droit depuis 1793 , rappelé par toutes nos constitutions, comme la Convention de Genève de 1951, consolidé dans la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).
Qui peut affirmer que les réfugiés irakiens et syriens ne sont pas dignes d'être accueillis ? Ils appartiennent à ces peuples de persécutés.
Le devoir de solidarité incombe à tous les pays, à ceux d'Amérique comme à ceux du Golfe, qui détiennent aussi une part de responsabilité dans la crise actuelle.
Oui, nous devons assumer nos responsabilités. Après l'offre de générosité de la Commission européenne, les pays européens se divisent. Ce n'est pas une surprise. Ceux qui rejettent ces réfugiés et construisent des murs ne sont-ils pas ceux qui maltraitent leur population, persécutant les Roms ?
Soyons fermes à leur égard. L'Europe ne doit pas être l'Europe de la xénophobie.
En France, les communes ont un rôle fondamental à jouer pour l'accueil des réfugiés, mais elles sont étranglées financièrement. L'aide de 1 000 euros par réfugié, que vous avez annoncée, est dérisoire, monsieur le ministre.
Cette crise montre les limites de l'austérité : 24 000 réfugiés ! Nous devons et nous pouvons faire plus.
Cette crise aide le Front national à distiller ses idées, jouant la division, proférant des inepties pour capitaliser lors des élections. Comment oser comparer les migrants aux barbares d'autrefois ? Et je n'évoquerai pas les propos du maire de Béziers...
La France doit suivre la voie de l'humanité et non remettre en cause le droit des peuples.
Saisissons l'occasion de remettre en cause l'anarchie financière dont la conséquence est la guerre.
Avec tous les progressistes, je dis aux réfugiés : bienvenue en France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)
M. le président. - La parole est à M. Raymond Vall, à qui je souhaite un bon mandat.
M. Raymond Vall . - Je remercie Mme Assassi pour avoir évoqué l'histoire. Cela m'a touché. Je suis fils de réfugié politique, ma famille était parmi les 500 000 Espagnols qui ont traversé la frontière en 1939... Je suis fier d'être aujourd'hui à cette tribune. (Applaudissements à gauche)
Je faisais partie des 700 maires que vous aviez invités, monsieur le ministre. La réunion fut une réussite. Mais à la sortie j'ai croisé par hasard - mais il n'y a pas de hasard - un élu du Gard appartenant à ce parti qui compte ici deux représentants. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui dire que je ne comprenais pas sa position cynique, grotesque, que j'étais fils de réfugié. « C'est justement parce que des gens comme toi vont prendre la place des Français que je me bats ». J'en suis resté sans voix... (M. Stéphane Ravier s'exclame)
Je conçois que nous ayons mis du temps à réagir face aux événements du Moyen-Orient. La solution doit être européenne. La réunion des maires m'a fait chaud au coeur, élus, population, associations ont pris la mesure de la situation après l'électrochoc de l'image terrible d'un enfant mort. L'aide de 1 000 euros par réfugié n'est pas la seule mesure concrète proposée pour accueillir dignement les réfugiés. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, que c'était une compétence de l'État. Ma ville connaît aussi des difficultés ; mais nous avons un devoir à remplir. Et vous mettez à la disposition des collectivités territoriales les services de l'État.
Les réfugiés vont-ils rester ? Repartir un jour ? (M. Stéphane Ravier ironise) Fuir n'est pas une marque de lâcheté mais de courage. Laisser sa maison, sa famille, son pays est une chose terrible. La barbarie qui les y a poussés, nous pensions ne jamais la revoir... La France a accueilli les différentes vagues d'immigration, pas toujours dans de bonnes conditions, c'est vrai ; les réfugiés espagnols ont été parmi les premiers à rejoindre la Résistance...
Oui, la France est et reste une terre d'asile. La République, c'est la République de tous ceux qui ont choisi d'y venir. (Applaudissements à gauche) Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur nous. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Adnot . - Dans quelques décennies, les historiens n'en croiront pas leurs yeux. Notre époque servira de contre-exemple à ce qu'est une bonne politique. Avec d'inopportunes interventions en Irak et en Libye, la communauté internationale a permis l'installation des pires criminels. Des guerres, des exodes, des massacres de réfugiés se perpétuent depuis longtemps, hélas, dans une grande indifférence. La France, avec son droit d'asile et ses régimes sociaux a accueilli beaucoup de réfugiés, plus que ceux qui aujourd'hui se donnent le beau rôle... L'Allemagne a changé de pied mais elle a créé un appel d'air.
Combattre la folie doit être le fait d'une coalition internationale dans les airs et sur le terrain. La barbarie se combat par la guerre. La fuite des populations arrange Daech qui déstabilise l'Europe et assure son emprise.
Ensuite, à la coalition d'organiser la protection des réfugiés ; il faut une politique humanitaire coordonnée en fonction des capacités d'accueil, et non à coup de quotas.
Laisser croire que l'accueil des réfugiés sera sans effet dans certains pays est irresponsable. Nos compatriotes, frappés par la crise et le chômage, ne peuvent pas ne pas réagir ; on voit mal comment ils accepteraient une augmentation non maîtrisée de nos capacités d'accueil. (Applaudissements à droite)
Mme Valérie Létard . - Une politique humanitaire, aussi digne sera-t-elle, ne réglera pas le problème qui a poussé des millions de Syriens, d'Irakiens, de Libyens, à fuir leur pays. Seul un règlement politique le pourra. Jean-Claude Juncker l'a dit : nous parlons d'êtres humains, de sauver des vies.
La communauté internationale doit agir avec fermeté pour éradiquer Daech et pacifier la région. Nous devons également agir pour relever le défi des réfugiés économiques et climatiques, c'est-à-dire mettre en place une politique de codéveloppement, à l'instar de ce que fait Jean-Louis Borloo avec sa fondation pour l'électrification de l'Afrique. Une telle politique partenariale ne peut être que gagnant-gagnant. Un fonds d'1,2 milliards d'euros ne saurait suffire. Il faut une stratégie et des actions précises. Notre horizon ne peut pas être national. C'est tous ensemble, en Europe, que nous devons relever ces défis. La crise migratoire est un test de notre capacité à agir ensemble.
Comment bâtir une politique européenne d'accueil lorsque 85 % des demandes d'asile sont déposées dans cinq pays ? Le 9 septembre, le président Juncker a tracé des pistes. Pour être acceptable par nos concitoyens, l'effort doit être partagé par tous. Après l'échec du Conseil européen du 14 septembre, un autre est programmé.
Nous soutenons la proposition franco-allemande de création de hot spots dans les pays d'arrivée pour distinguer les réfugiés et les demandeurs d'asile des migrants économiques. À condition de ne pas les transformer en zones de non-droit, à l'instar de Calais, à condition que les outils et les moyens soient là, ce peut être une partie de la solution.
La politique d'asile doit être harmonisée. Faute d'agence européenne dédiée, il faudra réviser le règlement de Dublin sur la question du premier accueil, coordonner nos actions et renforcer notre aide aux pays de départ. Pour nous, la solution passe par plus d'Europe et une solidarité partagée.
C'est au niveau national que la solidarité avec les réfugiés doit s'organiser. La réforme de l'asile permettra d'améliorer l'accueil des demandeurs grâce à une orientation directrice, d'accélérer l'instruction des dossiers et de mieux protéger les droits des personnes. Il est urgent d'appliquer cette loi. Mais notre système restera embolisé si les déboutés ne sont pas reconduits aux frontières.
L'État doit prendre à bras-le-corps la reconduite des 40 000 personnes déboutées du droit d'asile... Ce n'est pas par inhumanité, c'est une condition de la soutenabilité de notre système. Il sera difficile de raccompagner ceux qui sont restés des années sur notre territoire, mais il faudra le faire. De nouveaux outils nous y aideront.
La régionalisation de l'Ofpra est une bonne chose, qui accélèrera le traitement des dossiers.
Les outils disponibles nous permettent de relever le défi de l'accueil des réfugiés avec humanité. Encore faut-il, monsieur le ministre, que la loi soit appliquée, fermement et sans attendre. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et UDI-UC)
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Depuis quelques jours, nous assistons à une espèce de surenchère : c'est à qui, ici, sera le plus ferme ; qui, là, aura le plus de coeur... Comme si c'était incompatible. On a beaucoup parlé de l'asile, principe républicain.
Mais la Monarchie de juillet a reçu les Polonais en 1830, le Second Empire les Carbonari. L'asile, c'est une tradition nationale, c'est la France dans ses profondeurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC) Je ne dirai pas que la République l'a toujours bien pratiqué. Mme Benbassa a rappelé le refus d'accueillir les réfugiés juifs allemands en 1938. L'accueil en camps d'internement des réfugiés espagnols en 1939 n'est pas glorieux non plus...
Personne ne vous dit, monsieur le ministre, qu'il faut refuser l'asile. Nous ne sommes ni aveugles ni sourds. Seulement, les choses ne sont pas si simples. Il y a aussi la société française, la France, les Français. Comment être humain et préserver l'unité de la Nation, son équilibre social ? Ce n'est pas indécent d'affirmer que notre situation économique et sociale est plus difficile que celle de l'Allemagne. En 2014, l'Allemagne avait 1,5 million d'emplois non pourvus, nous 250 000. Sa situation sociale n'est pas la nôtre. L'Allemagne n'a pas accompli les efforts que nous avons faits en accueillant les migrants économiques issus de notre ancien empire colonial.
Il faut régler le problème de la guerre. M. le ministre s'est laissé un peu aller à la polémique en fin de propos... Je ne lui rappellerai pas les récents propos de Pierre Joxe ou de Malek Boutih... Preuve qu'à gauche comme à droite on se pose des questions.
Nous allons accueillir 24 000 réfugiés. Ce chiffre est-il bien réaliste ? On dit maintenant « mécanisme permanent de répartition » pour ne pas parler de quotas - alors que le vice-chancelier allemand parle de 160 000 réfugiés à répartir en évoquant à peine un premier pas, une goutte d'eau... Il y aura d'autres répartitions.
Le Gouvernement évoquait 230 millions pour 24 000 réfugiés.
Mme Laurence Cohen. - Logique de comptable !
M. Roger Karoutchi. - Pardon, mais c'est des impôts des Français qu'il s'agit. Le Premier ministre en est maintenant à 600 millions sur deux ans. Si nous devons accueillir 60 000, 70 000 réfugiés, comment fait-on ? La représentation nationale aimerait avoir une vision claire des choses. Pourquoi, en outre, le Parlement n'a-t-il pas été convoqué en urgence en août alors que nous le sommes parfois pour des choses sans intérêt ? Pourquoi le Gouvernement ne tient-il pas une table ronde avec les partis d'opposition, on peut se parler... Accueillir 15 000 ou 20 000 réfugiés en Île-de-France ? Il n'y a plus une place en Cada... Une nouvelle carte de répartition sera nécessaire.
Il ne faut pas opposer ceux qui auraient du coeur et ceux qui n'en auraient pas. Vous dites vous-mêmes que la société française est fracturée, fragilisée. La responsabilité du Gouvernement est de dire ce qui sera fait pour les Français, dans le contexte de cette arrivée massive.
Mme Nicole Bricq. - Elle n'est pas massive...
M. Roger Karoutchi. - Je ne connais personne qui ait été insensible aux images des migrants, mais j'en connais qui s'interrogent en pensant au chômage, au manque de logements sociaux, à l'absence de capacité financière. (Protestations sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen ; applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Éliane Assassi. - Vous jouez dans la même cour que le FN !
M. Roger Karoutchi. - Le Gouvernement a évolué, je ne lui en fais pas le reproche. Il faut agir pour mettre tous les États européens autour de la table. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire... Schengen II ? Voilà qui me fait sourire... Si chaque État commence à contrôler ses frontières... Le système va exploser, et s'il explose il faudra bien en fonder un autre. L'Allemagne a créé un appel d'air. Après la Méditerranée, la voie balkanique a été ouverte, désormais par la Croatie.
Les Français se demandent ce qui se passe, ils sont inquiets et ils ont raison. Ils ont le sentiment que l'Europe explose. Que veut vraiment le Gouvernement ? Il faut en effet créer des centres à la périphérie de l'Europe pour examiner les demandes d'asile sereinement. Et nous devions raccompagner 40 000 à 50 000 déboutés par an, ce n'est pas la réalité.
Oui il faut refonder Schengen, réaffirmer l'autorité de l'État, prendre garde à un équilibre social menacé.
Mme Nicole Bricq. - Aïe, aïe, aïe...
M. Roger Karoutchi. - Votre devoir, monsieur le ministre, est avant tout de respecter la volonté des Français et l'unité de la Nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Didier Guillaume . - Merci, monsieur le ministre, d'avoir organisé ce débat. La situation est gravissime. La représentation nationale devrait être informée et consultée.
La société est effilochée, fracturée, les Français doutent. C'est justement pour cela que nous devons être non des commentateurs mais des acteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Nous sommes partagés entre fierté et honte. Fierté de nos idéaux, de l'accueil des réfugiés, de l'engagement de nos compatriotes et des municipalités, soucieux de dignité. Car lorsque des vies sont en jeu, on ne raisonne pas en comptables (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain). Fiers de notre République, qui a su accueillir les réfugiés espagnols - oui, mon cher Raymond Vall -, les boat people, les Arméniens qui fuyaient le génocide. Charles Aznavour, 91 ans, a commencé hier soir son concert par sa chanson « Les migrants ». Oui nous avons le devoir d'accueillir les réfugiés le mieux possible, même quand c'est difficile.
Mais nous avons honte aussi de ce que nous avons entendu dans la bouche de certains responsables politiques, cherchant à tirer profit des peurs, jouant sur les instincts les plus vils, suggérant un droit d'asile fondé sur la religion, assimilant fuite des réfugiés et invasions barbares, comparant juifs de 1940 et réfugiés d'aujourd'hui venus d'Allemagne. Sous couvert de boutade, la bête immonde s'exprime encore. Et d'autres ont comparé l'arrivée des réfugiés à une fuite d'eau dans une cuisine... (Protestations à droite)
L'Europe est à un courant de son histoire. Elle fait douter beaucoup de nos concitoyens, et doit agir, et vite, sans quoi elle sera débordée.
Nous accueillons tous les réfugiés pouvant prétendre à l'asile, mais devons reconduire les autres. Après les baisses de budget et d'effectifs, après la casse du service public, ce Gouvernement a su donner les moyens nécessaires à nos services. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Nous avons tous été émus par la photo du garçonnet sur la plage ; son père, son oncle n'auraient pas le droit de venir en France.
La France doit agir avec humanité mais sans naïveté. C'est ce qu'elle fait. Elle affirme, et c'est heureux, que Schengen n'est pas mort. Les hot spots, voilà une piste car on ne guérit pas la fièvre en cassant le thermomètre. La France seule ne pourra toutefois rien. Il faut discuter avec la Russie, avec l'Iran pour trouver une solution au conflit syrien.
Si on avait suivi ceux qui voulaient un Grexit, où en serions-nous aujourd'hui ? Federica Mogherini l'a dit : si nous refoulons les réfugiés, quel message envoyons-nous au monde ? Les chefs d'État et de gouvernement européen doivent prendre des décisions communes, ériger des murs n'empêchera pas les migrants de passer : accueillir les réfugiés, lutter contre les filières, reconduire les déboutés.
L'accueil des réfugiés ne changera pas notre modèle social, les Français l'ont compris. Et tout le monde doit s'y mettre État, collectivités, associations.
Monsieur le ministre, avec votre hauteur de vue, votre vision, vous représentez la France au plus haut niveau. Vous faites notre fierté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
La France a besoin de confiance, non de suspicion. La fermeté contre l'immigration irrégulière est nécessaire...
M. Alain Joyandet. - La gauche n'a pas toujours dit ça !
M. Didier Guillaume. - Nous devons être cohérents, affirmer nos valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, conforter le rôle de la France en Europe, rester fidèles à notre histoire. Le groupe socialiste vous soutient, monsieur le ministre. Le Gouvernement évolue, dit-on ; oui ; car la situation elle-même évolue. Il importe que la communauté internationale se saisisse des questions syrienne et irakienne. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste et RDSE)
M. Bernard Cazeneuve, ministre . - Merci à tous pour vos contributions.
Monsieur Karoutchi, je n'ai jamais pensé opposer ceux qui auraient du coeur à ceux qui n'en auraient pas. J'ai toujours eu une certaine prévention à l'égard de ceux qui imaginent qu'une démonstration narcissisante d'émotion suffit à faire une politique... Je sais la situation bien plus complexe. Nous avons un devoir politique et moral, le devoir d'accueillir et de nous assurer de la soutenabilité de l'accueil, non des leçons d'humanité à donner.
La crise est tellement vaste et complexe qu'il faut chercher des solutions politiques, aux plans national, européen et mondial. Partout, nous sommes dans l'action.
Les Français s'inquiètent, dites-vous, monsieur Karoutchi. La situation restera inquiétante tant qu'une solution politique n'aura pas été trouvée. Nous travaillons à une solution sans Bachar, avec des éléments du régime et de l'opposition modérée.
Nous devons apporter une solution d'accueil digne de ce nom. Avant même la loi asile, nous avons adapté les moyens des administrations d'État, notamment ceux de l'Ofpra, alors que les demandes d'asile ont doublé entre 2007 et 2012 ; nous les avons réorganisés avec le guichet unique.
Nous avons décidé de remettre à niveau notre système d'asile et d'abord d'hébergement. Nous avons créé 13 500 places en Cada, contre 2 000 entre 2007 et 2012. Le Premier ministre a annoncé la création de 5 000 places supplémentaires. Nous arriverons donc à 18 500 alors que le rapport Létard-Touraine recommandait le chiffre de 20 000. Autant dire que cet objectif est en voie d'être atteint. Enfin, en juin, nous avons créé 11 000 places supplémentaires : 1 500 places d'accueil d'urgence, 5 000 places dans des logements de droit commun, et 4 000 places en Cada.
Nous ne subissons pas le système de relocalisation européen, nous l'avons nous-même proposé. Mme Benbassa, qui théorise le « Waterloo moral » de notre pays à longueur de colonnes, semble en peine d'arguments ; ce qu'elle dit, en tout état de cause, est faux. On ne règle pas ces questions à coups de déclarations sur les plateaux de télévision. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Gérard Longuet applaudit aussi)
M. Alain Joyandet. - Ce n'est pas à la hauteur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Monsieur Joyandet, la vérité en politique, cela compte ; les faits, cela compte. Avec Pierre Mendès France, je pense qu'il faut « dans les sujets les plus sensibles la vérité la plus grande ». À un certain moment, il faut avoir le courage de convoquer les faits. Autrement, on est réduit à des approximations, des amalgames, des postures, comme c'est le cas depuis plusieurs semaines dans les discours de Mme Benbassa. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Il reste beaucoup à faire, dans l'esprit de ce qu'a dit M. Vall dans son discours très beau, très émouvant, pour que nous soyons fidèles à nos traditions, à nos valeurs. Je suis confiant dans la capacité de notre pays et l'Union européenne à faire face à ce défi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
présidence de Mme Isabelle Debré, vice-présidente
La séance reprend à 23 h 45.