Débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 juin 2015
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015.
Orateurs inscrits
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - Je vous remercie de l'organisation de ce débat. L'ordre du jour du Conseil européen des 25 et 26 juin sera dense : politique de défense commune, approfondissement de l'Union économique et monétaire mais aussi crise des migrations en Méditerranée et demandes britanniques en vue du référendum au Royaume-Uni. Le Conseil européen débattra également de la situation en Grèce, compte tenu de l'avancée des négociations au sein de l'Eurogroupe.
L'Europe est confrontée à une crise migratoire d'une ampleur sans précédent. Cette situation est liée aux guerres, aux dictatures et à la pauvreté dans de nombreux pays ; la situation en Libye, État failli devenu lieu de tous les trafics, est aussi en cause.
Devant l'urgence, les États membres ont décidé, le 23 avril dernier, de renforcer Frontex et de lancer les opérations Triton et Poséidon. La France a fourni des moyens navals et aériens. Reste qu'une solution globale est nécessaire, pour lutter contre les trafiquants, coopérer avec les pays d'origine et de transit, accueillir les réfugiés et traiter l'immigration illégale. Responsabilité et solidarité doivent être les maîtres mots de cette politique.
Les propositions de la Commission autour du mécanisme de répartition solidaire, ou de relocalisation, doivent être améliorées. L'Allemagne et la France ont depuis le 1er juin une position commune : le mécanisme doit rester exceptionnel et temporaire car nous ne souhaitons pas voir les règles de Dublin remises en cause.
Des zones d'attente et d'accueil aux frontières doivent permettre l'enregistrement des identités et de la situation des arrivants, la prise d'empreintes digitales, l'identification rapide des personnes relevant de l'asile qui pourront être accueillies dans les États membres conformément au mécanisme ; les autres verront leur situation examinée dans le cadre du droit commun, en vue, s'il y a lieu, d'un retour dans leur pays d'origine. Le soutien de l'Union est nécessaire, soutien financier mais aussi juridique et logistique ; la France est disposée à proposer son aide et son expertise.
Une politique de retour effective s'impose. C'est l'enjeu des accords de réadmission. N'attendons pas le sommet Union Européenne-Afrique qui se tiendra à Malte à l'automne. Il nous faudra aussi discuter de critères de répartition : cinq États membres accueillent 75 % des demandeurs d'asile. La solidarité doit s'exprimer.
La lutte contre les trafics de migrants doit être renforcée. L'intervention éventuelle dans les eaux territoriales libyennes devra faire l'objet d'un mandat des Nations Unies. La coopération avec les pays d'origine et de transit devra être renforcée, avec une attention particulière pour le Niger, où passent de nombreuses routes de migration.
J'en viens aux questions économiques. Le règlement européen pour le plan d'investissement Juncker entrera en vigueur avant la fin du mois de juin. Sans attendre, la Banque européenne d'investissement (BEI) a déjà retenu plusieurs projets, dont deux français, l'un de 420 millions d'euros pour l'innovation dans les PME et ETI, l'autre pour la rénovation énergétique des logements à hauteur de 400 millions d'euros. Le Conseil européen traitera aussi de la stratégie numérique - régulation, fiscalité, protection du droit d'auteur, soutien à l'investissement.
Sur l'avenir de la zone euro, la France et l'Allemagne ont, là aussi, une position commune. La zone euro doit contribuer davantage à la stabilité et à la croissance. Nous défendons d'abord une politique macroéconomique agrégée au niveau de la zone euro, soit une stratégie de croissance globale, déclinée ensuite par pays ; une stratégie de convergence économique, sociale et fiscale ; un objectif de stabilité financière avec une capacité budgétaire commune ; enfin, le renforcement de la gouvernance de la zone euro, incluant le rôle des parlements, nationaux et européen. Tout cela doit se faire à traité constant.
Nous entendons aussi réaffirmer la priorité accordée à la lutte contre l'évasion fiscale et l'optimisation agressive sur la base des propositions de la Commission.
Troisième enjeu de ce Conseil européen...
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - ... la politique de sécurité et de défense. Nous verrons quelles suites donner aux décisions du Conseil de décembre 2103. Les crises successives - Ukraine, Irak, Syrie, Libye - incitent à avancer.
Je reste à votre disposition pour approfondir chacun de ces points. Une Europe de la croissance, une Europe qui protège et assume ses intérêts comme ses valeurs, voilà notre programme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Claude Requier . - Le prochain Conseil européen aura un ordre du jour très chargé. L'Ukraine en sera un point majeur, tant la situation est critique malgré les accords de Minsk II. La question des sanctions à l'égard de Moscou devra être tranchée : faut-il les renforcer ? Leur impact est difficilement quantifiable. Certes, l'économie russe ralentit ; les sanctions font pression, mais on ignore leurs effets précis. À l'Union européenne de définir une stratégie diplomatique durable et sûre, loin des postures de la guerre froide. Nous devons faire preuve de souplesse.
L'Union européenne doit conserver une attitude ouverte et indépendante, se rassembler sur une ligne compatible avec ses intérêts - ces derniers sont-ils toujours ceux des États-Unis ?
J'espère que la France défendra une position mesurée fondée sur les accords de Minsk II. Il ne s'agit pas de faire plaisir à la Russie mais ce pays compte, c'est un allié dans le lutte contre le terrorisme international. Il faut, comme le dit le rapport de notre commission des affaires européennes, sortir de la méfiance réciproque.
La lutte contre le terrorisme sera également à l'ordre du jour du Conseil. Une récente enquête montre que les Européens considèrent le terrorisme et l'extrémisme religieux comme les principales menaces pour la sécurité de l'Union européenne. D'où le programme de la Commission européenne, avec la création d'un centre de lutte contre le terrorisme au sein d'Europol et d'un pôle européen de connaissances, chargé d'étudier les phénomènes djihadiste et de radicalisation. Nous sommes pour une approche coopérative, respectueuse des droits fondamentaux et des libertés publiques.
Lorsqu'il s'agit de s'engager sur des théâtres régionaux, la France est souvent bien seule. L'Europe de la défense reste incantatoire... L'Union dispose pourtant virtuellement de la deuxième armée du monde, derrière la Chine...
Un mot sur la situation migratoire qui nous émeut tous. La réponse doit être européenne, mais on ne peut pas faire n'importe quoi, comme instaurer des quotas de réfugiés : soit on a droit à l'asile, soit on doit être reconduit à la frontière. Mieux vaudrait renforcer les moyens de Frontex et de l'Union européenne, en lui permettant de recruter des officiers de liaison dans les pays de départ, comme ce fut fait en Turquie.
Sans transition, j'en viens à la stratégie européenne pour la croissance. La baisse du prix du pétrole et l'évolution du change nous sont favorables. Si la consolidation budgétaire est nécessaire, elle ne doit pas étouffer la reprise naissante. La Grèce focalise l'attention ; la plupart des pays européens ne souhaitent pas un Grexit... (Applaudissements sur les bancs du groupe du RDSE)
M. Yves Pozzo di Borgo . - L'Union européenne traverse une période de trouble, entre montée des tensions à ses frontières et difficultés économiques en son sein.
Au-delà de la crise, les inégalités se creusent ; l'Europe, 6 % de la population mondiale, représente 22 % de la richesse et 50 % des dépenses publiques. Nous avons collectivement besoin de réformes.
La loi Macron aura un très faible effet d'entraînement. Pour mener une politique industrielle ambitieuse, la réforme des retraites, celle de l'État et du temps de travail sont indispensables. Il faut rendre moins obèse le code du travail. Avec 57 % de dépenses publiques, nous gérons davantage l'urgence que l'avenir.
Or celui-ci s'obscurcit au plan international. Depuis que le cadre sécuritaire de l'Europe a été défini en 2003, que de bouleversements, en Ukraine, en Syrie, en Irak, en Libye, sans parler du terrorisme international. Les dépenses militaires pèseront lourd au cours des prochaines années. Pourquoi la France, première puissance militaire européenne, ne prend-elle pas l'initiative d'une coopération renforcée associant une dizaine de pays, dont le Royaume-Uni ? Le traité de Lisbonne le permet. Il n'y aurait là aucune contradiction avec l'accord de Saint-Malo, qui prévoyait une coopération plus étroite entre l'Union européenne et l'Otan.
L'Europe doit renforcer sa cyberdéfense, ses moyens de faire face aux guerres hybrides, maintenir et développer ses bases industrielles et technologiques de défense.
Prenons l'exemple de l'Ukraine. Les accords de Minsk sont un gage de stabilité, en ce qu'ils tracent une ligne rouge - le président de la République a eu sur le sujet une formule heureuse. Pour que ces accords soient respectés, nous devons avoir des relations saines et franches avec la Russie - je déplore par conséquent le rejet par le Parlement européen du partenariat stratégique... Le pays est incontournable pour la gestion de la crise en Syrie et en Irak.
Un mot sur la Méditerranée : 200 kilomètres de côtes libyennes sont contrôlées par Daech. La Libye est devenue une bombe migratoire, une source de terrorisme. L'Afrique comptera deux milliards d'habitants en 2050 ; nous ne pourrons pas assurer la gestion de ces flux sans une relation renforcée avec les pays d'origine. La France est-elle sur cette position ?
La Grèce... Le coût d'un Grexit serait colossal, sans compter le coup de canif dans la solidarité européenne. Que fait l'Union européenne vis-à-vis de Goldman Sachs, qui a aidé la Grèce à maquiller ses comptes ? Les Américains, eux, ont infligé une amende de 7 millions d'euros à BNP Paribas pour moins que cela... Est-ce parce que M. Draghi est un ancien de la banque que rien n'est fait ?
La perspective du référendum britannique, enfin, soulève la question suivante : quelle Europe voulons-nous ? Peut-être faut-il reconnaître, comme le président Valéry Giscard d'Estaing nous y invite, que deux projets européens coexistent : celui d'une union monétaire, budgétaire et fiscale, la zone euro, à laquelle nul ne songe à convier le Royaume-Uni ; et celui d'une grande union de libre-échange qui a la préférence des Britanniques. Voilà qui déterminera le résultat du référendum. Il faut se souvenir de ce que Tony Blair avait accepté en 2004... (Applaudissements au centre et à droite)