SÉANCE
du jeudi 5 mars 2015
71e séance de la session ordinaire 2014-2015
présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président
Secrétaires : M. Serge Larcher, M. Philippe Nachbar.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Débat sur le service civil
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème « Service civil : volontaire ou obligatoire ».
Mme Éliane Assassi, au nom du groupe CRC . - Le groupe CRC a voulu poser cette question, qui mérite un débat de société auquel les jeunes doivent être associés. Après la mobilisation de 4 millions de personnes contre la barbarie et l'intégrisme, le 11 janvier, il faut, au-delà de la condamnation des attentats, réfléchir aux causes, complexes, de ces événements et se demander : que faire ? Quand la liberté est attaquée, la laïcité remise en cause, c'est la République qui est touchée. Plutôt que de se lancer dans une surenchère, il importe donc de renforcer le sentiment d'appartenance à la République, par l'école d'abord, qui enseigne les valeurs de liberté et d'égalité. Cela suppose que le Gouvernement lui donne les moyens d'être une école émancipatrice, qui permette à chacun de trouver sa place dans la société, qui lutte contre l'ignorance. Or 140 000 jeunes sortent de l'école sans diplôme.
C'est un aveu de l'échec de l'école que de miser à ce point sur le service civil. Car il revient d'abord à l'école de favoriser le brassage social et la transmission des valeurs républicaines.
L'objectif du service civique est-il économique ? Moral ? Il devrait à la fois encourager le volontariat et favoriser le mélange des classes et milieux. Le peut-il ?
C'est après les émeutes de 2005 que le service civil fut créé. Et je tiens à rendre un hommage poignant à mon ami et camarade Claude Dilain qui a beaucoup fait après ces émeutes, à Clichy-sous-Bois, pour rassembler les jeunes et les moins jeunes autour des valeurs de la République. L'objectif de 50 000 jeunes volontaires en 2007 ne fut pas atteint. Le service civique s'y substituera en 2010, plus lisible, fondé toujours sur le volontariat et d'une durée de six à douze mois. L'indemnisation est fixe et faible, quel que soit le temps travaillé. L'objectif affiché était de 100 000 jeunes en 2015, il n'a lui non plus pas été atteint. Manque d'attractivité ? De moyens ? Incapacité pratique ? Sans solution, le service civique ne pourra pas se développer.
Le président de la République avait évoqué l'idée d'un service civique obligatoire de deux à trois mois, qui concernerait 150 000 jeunes dès l'été 2015 et 180 000 en 2017. Avec quels moyens ? On ne saurait renforcer la précarité des jeunes en leur imposant un travail non rémunéré. Depuis les attentats de janvier, il est question d'un service civique universel, d'un droit au service civique pour tous. Mais le débat semble rester ouvert. Il faudrait augmenter les budgets et vérifier que les structures professionnelles concernées sont capables d'accueillir les jeunes : à l'heure actuelle, seul un candidat sur quatre est retenu.
Le service civique peut être bénéfique, mais cela suppose que des points soient précisés ou rectifiés. Évitons aussi certains écueils. Le service civique ne peut résumer à lui seul une politique pour la jeunesse. Il ne saurait non plus être un moyen pour les collectivités territoriales de ne pas recruter. Il doit s'inscrire dans un ensemble de mesures favorisant l'autonomie responsable et solidaire de la jeunesse. Pour beaucoup, le service civique est une passerelle vers l'emploi, alors que les moins de 25 ans sont, je le rappelle, exclus du RSA.
Le budget de la mission « vie associative et jeunesse » est en baisse constante, le service civique en absorbe la plus grande partie. Or les jeunes sont les premières victimes de la crise. Gardons-nous des discours stigmatisants sur les jeunes des quartiers « en déshérence », « sans valeurs », potentiels « terroristes » ou « délinquants ». Il faut au contraire prendre en compte leurs attentes. À l'injonction de solidarité qui leur est faite doit répondre une solidarité de l'État à leur égard.
Nous en appelons à un service national vraiment nouveau, où les jeunes seraient accompagnés et aidés à définir leurs projets d'avenir. L'indemnité est aujourd'hui en-deçà du seuil de pauvreté... Il faudrait avant tout la revaloriser. Comment demander aux jeunes d'adhérer aux valeurs de la République si celle-ci, en contrepartie de leur engagement, ne leur assure même pas de quoi vivre dignement ?
Un rapport global sur le service civique actuel serait utile. Selon une étude de la Sofres, les jeunes sont en majorité satisfaits de leur expérience du service civique. Selon la Cour des comptes, six mois après leur service civique, 75 % des jeunes travaillent, sont en apprentissage ou étudient, contre 63 % avant. En revanche, l'objectif de mixité sociale n'est pas atteint. Trop peu de jeunes handicapés sont accueillis : 0,4 % seulement de l'effectif. Le service civique attire aussi beaucoup de diplômés qui peinent à trouver un emploi, et trop peu de jeunes sans formation.
Voilà pourquoi nous réclamons une politique globale pour la jeunesse. Le débat sur le caractère obligatoire du service civique prend alors tout son sens. L'obligation permettrait une véritable mixité sociale. Mais le service civique pourrait alors être perçu comme une sanction, évoquant les travaux d'intérêt général... Le sentiment républicain ne s'inculque pas par la contrainte.
Le service civique n'est pas la priorité des jeunes. Ne faudrait-il pas avant tout écouter les principaux intéressés ? (Applaudissements sur les bancs CRC ainsi que sur plusieurs bancs socialistes et écologistes)
M. Stéphane Ravier . - Ce qui manque à une partie de la jeunesse de France, c'est de se sentir française...
Mme Éliane Assassi, au nom du groupe CRC. - Oh la la !
M. Stéphane Ravier. - L'idéologie sans-frontiériste a produit une immigration inédite, venue de pays aux modes de vie très différents du nôtre. À cela s'ajoute le multiculturalisme...
Mme Éliane Assassi, au nom du groupe CRC. - C'est scandaleux ! Voilà le vrai visage du Front national !
M. Stéphane Ravier. - ...l'individualisme de mai 68...
Mme Éliane Assassi, au nom du groupe CRC. - Remontez au Front populaire !
M. Stéphane Ravier. - ...et surtout la haine de soi propagée par certains éditorialistes : on a laissé fleurir les discours hostiles à la France...
M. Jean-Louis Carrère. - Vous avez bientôt fini.
M. Stéphane Ravier. - Qui s'inscrira au service civique ? Certainement pas ceux qui sont en rupture avec la France. Dans les quartiers nord de Marseille, un ancien officier de la Légion étrangère, M. Salim Bouali, a créé une association exemplaire, « En action pour les nations ». Ces jeunes, en rejet de tout, sont cependant attirés par la symbolique de l'armée. C'est ce que nous proposons : un service national obligatoire de moins de trois mois, soumis à une discipline militaire et en uniforme, dans ce qu'on pourrait appeler la garde nationale...
M. Jacques-Bernard Magner. - Un stage au Front national ?
M. Stéphane Ravier. - Le certificat délivré à l'issue sera nécessaire pour bénéficier des aides sociales dont notre pays regorge et pour entrer dans la fonction publique.
M. Jacques-Bernard Magner. - C'est le retour de Pétain !
M. Stéphane Ravier. - Simone Weil -la philosophe, pas l'autre ! (Protestations sur plusieurs bancs)- appelait à « donner aux Français quelque chose à aimer ». D'abord, aimer la France !
M. Jacques-Bernard Magner. - Vous l'aimez bien mal, la France.
M. Loïc Hervé . - Les événements de janvier ont rouvert le débat sur le service civil ou civique, outil de mixité sociale qui permet à la jeunesse de s'engager pour des causes justes tout en préparant son insertion professionnelle. Un profond désir de rassemblement républicain s'est exprimé en janvier, mais aussi une perte de repères républicains à l'école. La jeunesse est pessimiste : 74 % des 18-24 ans estiment qu'ils auront moins de chance de réussir que leurs parents.
Le service civique peut apporter des solutions mais il a besoin d'un nouvel élan. En 2014, il n'y avait que 35 000 places sur 120 000 demandes. La jeunesse attend une réponse forte de ses représentants politiques.
Les centristes restent favorables au caractère obligatoire et universel du service civique, qui ne doit pas être seulement une roue de secours pour des jeunes décrocheurs. Il faut encourager le brassage social et culturel. Volontaire, le service civique manquerait sa cible : les jeunes qui ne se sentent pas appartenir à la Nation.
J'appartiens à la génération qui n'a pas connu le service national. J'ai, en revanche, intégré la réserve de la marine. Aurais-je la même chance aujourd'hui ? Il s'agit de combattre l'individualisme et 91 % des jeunes volontaires estiment avoir fait oeuvre utile. Le service civique est aussi un levier d'insertion professionnelle, au moment où le chômage explose. Il pourrait comprendre une initiation aux institutions françaises et européennes et à la vie politique, avec la rencontre d'élus. Le Sénat pourrait avoir un rôle à jouer.
Un statut de citoyen en service civique peut être envisagé, avec une validation des acquis de l'expérience et, pourquoi pas, des heures de conduite gratuites pour passer le permis.
Le budget nécessaire peut être dégagé par redéploiement. Investir dans la jeunesse est fondamental. Le président de la République a annoncé le renforcement des moyens du service civique mais aussi de nouveaux dispositifs. Où en est la réflexion du Gouvernement ? (Applaudissements au centre et sur quelques bancs socialistes)
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - Les événements de janvier révèlent un délitement du lien social, malgré les rassemblements immenses qui doivent être salués. Il faut agir vite ; quand l'histoire s'accélère, les décideurs doivent eux aussi passer la vitesse supérieure.
Que signifie « être français » en 2015 ? Telle est la question fondamentale. Pour y répondre, je citerai les magnifiques paroles de la chanson du groupe Tri Yann, La découverte ou l'ignorance...
Mme Françoise Gatel et M. Loïc Hervé. - Très bien !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - en remplaçant « Bretagne » par « France » :
« Si je perds cette conscience [d'être Français],
La France cesse d'être en moi. Si tous les Français la perdent, Elle cesse absolument d'être... La France n'a pas de papiers,
Elle n'existe que si à chaque génération
Des hommes se reconnaissent Français...
A cette heure, des enfants naissent en France...
Seront-ils Français ? Nul ne le sait.
A chacun, l'âge venu, la découverte... ou l'ignorance... »
La France n'a pas de papiers. Elle n'existe que si, à chaque génération, des hommes se reconnaissent français. Sur le chemin de crête du vivre ensemble, il ne faut pas grand-chose pour qu'un destin bascule. Quel lien entre la République et la jeunesse ? Comment transmettre les valeurs républicaines ?
Beaucoup de jeunes de la France périphérique qui, comme l'a dit justement Mme Assassi, ne se réduit pas aux banlieues, n'ont plus d'espoir. Le service national était un moyen de s'extraire du service militaire, de toucher du doigt l'universalité via la diversité. Aujourd'hui, la diversité est perçue comme menaçante, elle devient une diversité fermée, alors que certains ne se reconnaissent plus dans les valeurs de la République.
Quel service ? Civil, civique, national ? Obligatoire, facultatif ? Il faut avant tout combattre le communautarisme, resacraliser la Nation et renforcer le respect de ceux qui l'incarnent.
Le service civique actuel a en grande partie échoué. C'est un public averti et diplômé qui s'y engage... Un temps obligatoire est nécessaire. Chaque année, 33 000 jeunes ne se présentent pas à la Journée de la défense et de la citoyenneté, s'interdisant ainsi un plein accès à la citoyenneté puisqu'ils ne peuvent dès lors pas se présenter aux concours et examens d'État.
Selon le Livre blanc de 2013, cette Journée a pour objet premier de sensibiliser à l'esprit de défense. Je serais pour un schéma inclusif passant par un temps obligatoire de type militaire d'un mois, qui puisse être complété et prolongé, sur la base du volontariat, soit par un service civil, soit par un engagement de réserviste, soit par un service militaire adapté, dont l'extension en métropole a été annoncée par le président de la République. Il y faudra évidemment des moyens humains et financiers.
Je citerai, pour finir, un slam de Grand Corps malade :
« S'il y a bien une idée qui rassemble, une pensée qu'est pas toute neuve
C'est que quel que soit ton parcours, tu rencontres de belles épreuves
Y'a des rires, y'a des pleurs, y'a des bas, y'a des hauts
Y'a des soleils et des orages et je te parle pas que de météo
On vit dans un labyrinthe et y a des pièges à chaque virage
À nous de les esquiver et de pas calculer les mirages
Mais le destin est un farceur, on peut tomber à chaque instant
Pour l'affronter, faut du coeur et un mental de résistant ».
Du coeur et un mental de résistant, voilà ce que chaque jeune de France doit avoir à l'issue de ce service revisité que j'appelle de mes voeux. II y va de la réussite individuelle des femmes et des hommes qui font la France comme de la réussite collective du pays. (Applaudissements sur la plupart des bancs)
Mme Danielle Michel . - La citoyenneté a besoin d'être renforcée, relégitimée, disait le Premier ministre au lendemain des attentats de janvier. Le sentiment d'appartenir à la République dérive de celui d'avoir les mêmes droits et devoirs que chacun. Or la ségrégation d'une partie de la jeunesse menace notre avenir. Sans combat contre l'inégalité, la citoyenneté resterait un vain mot.
Pas moins de 82 milliards d'euros ont été consacrés à la jeunesse de 2014. La grande cause nationale de l'an dernier fut l'engagement associatif. Le service civique séduit. Le président de la République a annoncé de nouveaux moyens pour que tous les candidats soient retenus. Le recrutement doit satisfaire à un impératif de mixité.
On a proposé un « été citoyen » qui répondrait au même besoin de brassage. Ce serait aussi un temps d'apprentissage professionnel et citoyen. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont engagé une réflexion sur l'engagement et le sentiment d'appartenance républicaine, nous ferons des propositions.
Depuis des décennies, la France néglige les creusets républicains. L'école, d'abord, qui connait des ratés : d'où la refondation entreprise par le Gouvernement. Il faut, plus largement, multiplier les lieux ouverts à toute la jeunesse.
L'objectif de mixité sociale n'est pas atteint par le service civique : moins d'un volontaire sur quatre a un niveau scolaire inférieur au baccalauréat. Le service civique serait pourtant très utile aux décrocheurs. Comment en faire un vrai outil de mixité ? Il faut d'abord préserver la qualité des missions et de l'encadrement des jeunes. Les tuteurs jouent un rôle essentiel, ainsi que les missions locales. Il faut aussi éviter les substitutions à l'emploi et développer au maximum les politiques incitatives pour rendre effective la mixité.
Quelles pistes doit-on attendre du prochain comité interministériel ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. André Gattolin . - Merci au groupe CRC d'avoir demandé ce débat sur ce sujet important.
Martin Hirsch écrivait récemment que le service civique n'avait qu'un défaut, mais rédhibitoire : il suscitait plus d'indifférence que de passion. Faisons-le mentir !
Depuis quelques semaines, les propositions fleurissent. Le caractère obligatoire ou facultatif du service civique a toujours été au coeur des débats depuis la suppression du service national en 1997. Il faut entendre ceux qui regrettent la conscription, outil d'alphabétisation, de formation, moyen de veille sanitaire et de brassage social. Mais nous n'avons pas aujourd'hui les moyens d'accueillir en hébergement encadré 700 000 jeunes par an. Bye bye donc, le service universel.
Quelle est la durée idéale du service civique ? Comment éviter qu'à la diversité des missions corresponde une sélection sociale et culturelle ? Que le service civique ne se substitue à des stages ou des emplois ?
Le président de la République a annoncé que tous les jeunes désirant accomplir un service civique pourraient désormais le faire, pour des missions d'intérêt général. Il y faudra des moyens car peu de candidats sont aujourd'hui retenus. Tous les ministères concernés devraient contribuer.
Le rapport Chérèque évoque l'apport de fonds privé. À nos yeux, cela risquerait d'altérer l'esprit du service civique. En revanche, nous pourrions renoncer à la réserve parlementaire pour permettre à plus de jeunes d'effectuer un service civique (M. Carrère s'émeut). Les collectivités territoriales bénéficieraient donc toujours de ces fonds et davantage de jeunes pourraient effectuer leur service civique. On pourrait ainsi financer leur hébergement et leur transport, et lutter contre les discriminations.
Le service civique repose sur de nombreux acteurs de terrain. Inspirons-nous notamment des propositions du collectif « Pas sans nous ». On se reconnaît mieux dans les valeurs de la République quand celles-ci nous reconnaissent. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Michel Billout . - Le président de la République a annoncé un élargissement du service civique en 2015, pour aboutir, après les attentats, à l'idée d'un service civique universel, qui pose beaucoup de questions, à commencer par celle de son utilité.
Il faut partir de la mise en oeuvre du service civique actuel. Si, selon une enquête de 2014, de nombreux jeunes estiment être devenus grâce à lui plus engagés et plus actifs, le constat est beaucoup plus nuancé pour les jeunes moins diplômés, en contradiction avec l'objectif initial de ce dispositif.
Le service civique peut déboucher sur un emploi au sein de la structure d'accueil, mais les associations avancent souvent qu'une durée minimale de six mois s'impose. Certains jeunes, selon le rapport de la Cour des comptes, ont une mauvaise perception, voire une déception par rapport au service civique, et particulièrement les moins formés d'entre eux. Certaines collectivités territoriales méconnaissent le service civique. La plupart d'entre elles se mobilisent peu.
L'ambition d'un service civique universel doit être améliorée. Il faut construire avec les jeunes un véritable parcours. L'objectif d'élargissement et la durée réduite mettent à mal cette conception nécessaire. Des problèmes de formation et d'accompagnement se posent. Un élargissement en nombre des jeunes en service civique ne peut s'imaginer sans répondre à la question des moyens humains et budgétaires. Faire du service civique un bénévolat serait se méprendre grandement sur le sens de celui-ci.
L'ouverture européenne est utile et souhaitée par les jeunes. Or elle est marginale aujourd'hui, et très inégale. Faute d'accompagnement structurel, les inégalités se creuseront davantage. Les collectivités territoriales peuvent ainsi développer leur coopération décentralisée et leurs jumelages.
Ne faisons pas du service civique l'unique réponse aux nombreux problèmes de la jeunesse. La nation doit garantir l'objectif du service civique, mais aussi l'insertion des jeunes dans la société. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Claude Requier . - En 2010, Yvon Collin, auteur de la proposition de loi sur le service civique, et le Haut-Commissaire Martin Hirsch avaient rêvé de voir les jeunes du service civique défiler le 14 juillet sur les Champs-Élysées. Ce rêve est devenu réalité en 2013. Les jeunes ont défilé, avec leur béret bleu, sous le drapeau tricolore. (M. Jean-Louis Carrère applaudit)
Le terme « civil », qui n'avait de sens que comme alternatif à la conscription, doit s'effacer devant celui de « civique », bien plus adapté. Plus que la morale, c'est le civisme qu'il faut aujourd'hui renforcer.
M. Jean-Louis Carrère. - Bravo !
M. Jean-Claude Requier. - La conscription fut longtemps le creuset de la République : des jeunes de toutes classes se rencontraient et rencontraient la République, fondement de ce pacte social qui fait défaut aujourd'hui.
Lors de l'examen de la proposition de loi du RDSE, en 2010, nous étions nombreux à souhaiter la création d'un service civique obligatoire. Faute de majorité parlementaire, nous avions opté pour une phase de transition, le temps d'évaluer le dispositif avant de le rendre obligatoire et universel comme l'école de la République. Nous devons nous demander ce qui fonde le lien social, quand 1 200 jeunes partent « faire le djihad ».
Nos collègues Lozach et Magner incitaient justement, en novembre dernier, à clarifier les fonctions réparties du service civique et des mesures en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes. Quand seulement 21 % des volontaires en service civique ne disposent d'aucune qualification, les marges de progrès en termes de mixité sociale sont très importantes. Je m'inquiète aussi de l'utilisation parfois biaisée du dispositif par le milieu associatif pour des jeunes diplômés demandeurs d'emploi.
Rendre le service civique obligatoire l'élargirait à tous les jeunes, diplômés ou non. Il serait rémunéré. Mais il poserait problème aux jeunes travailleurs, étant donné le niveau actuel de l'indemnité. Pourquoi ne pas faire participer les plus anciens à la formation et à l'accueil des jeunes ? Si vieillesse pensait, si jeunesse savait...
N'oublions jamais cette vérité de Georges Bernanos dans Les grands cimetières sous la lune : « Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents ». (Applaudissements)
M. Philippe Mouiller . - Dans quelques jours, nous fêterons le cinquième anniversaire de la loi qui a institué le service civique. Déjà en 2005, il avait fallu la révolte des banlieues pour inscrire cette idée à l'ordre du jour. Je regrette la disparition du service militaire qui permettait de détecter des difficultés chez les jeunes et de leur inculquer des valeurs salutaires. J'aurais préféré qu'on y substituât un service de trois mois, dont auraient été dispensés les jeunes déjà au travail. La page est désormais tournée.
Le service civique qui a été mis en place avec la Journée du citoyen ne permet pas de détecter l'endoctrinement de certains jeunes. Le service civique a eu bien du mal à se mettre en place. Tous les candidats à la présidentielle de 2007 avaient fait des propositions, d'où est issue la loi de 2010.
Les propositions de François Chérèque, président de l'Agence nationale du service civique, ont été peu reprises. Il ne sera pas facile d'atteindre l'objectif de 140 000 à 170 000 jeunes par an, sauf à limiter la qualité du recrutement. Pourquoi ne pas plutôt remplir les objectifs de la loi de 2010 ? La Cour des comptes a montré les insuffisances du dispositif actuel. Les missions proposées doivent être de qualité et ne pas empiéter sur le marché du travail. Avons-nous les moyens suffisants ? Le service civique est une bonne chose. Aux côtés de la famille et de l'école, la Nation doit apprendre aux jeunes qu'ils n'ont pas que des droits mais aussi des devoirs envers elle.
Je ne pense pas que nous puissions rendre le service civique obligatoire mais nous pouvons le rendre plus attractif pour les jeunes. L'obtention de l'agrément devrait être facilitée, la valorisation des acquis de l'expérience renforcée. Bonne idée, donc, mais les moyens sont trop limités pour la finaliser. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jacques-Bernard Magner . - En 2006 a été créé un service civil volontaire, dont les caractéristiques ont été rappelées. Il n'a pas rencontré un très grand succès, convenons-en. D'où le service civique de 2010, qui présente un grand intérêt, pour transmettre le sens des valeurs républicaines, tisser le lien social, développer et acquérir des compétences. C'est une étape importante dans un engagement au service de la société.
Lors de sa conférence de presse du 5 février, le président de la République a annoncé sa volonté de rendre cette forme d'engagement universelle. À l'heure des réseaux sociaux, notre époque pâtit paradoxalement d'un manque d'attention à l'autre, alors que l'attention à autrui cimente la Nation. Pourquoi tant de jeunes ne se reconnaissent-ils plus dans les valeurs de la République ?
La préparation au service civique pourrait être proposée au collège, sur quatre ans, avec une étape finale de trois mois, entre 16 et 25 ans ; après quoi, tous les volontaires pourraient accéder au service civique et rémunéré, qui resterait donc fondé sur le volontariat.
Les jeunes volontaires sont fiers de leur engagement, dans notre société où la conscience des droits augmente alors que décroît à l'inverse le sens des devoirs : le dû surpasse la dette, en quelque sorte.
Rendre le service civique obligatoire reviendrait à considérer que toute la jeunesse pose problème, ce qui, à l'évidence, est loin d'être avéré. Ne soyons pas autoritaires ni punitifs, comme l'a justement recommandé François Chérèque.
Les collectivités territoriales ont un rôle primordial à jouer, alors que 7 % seulement des missions du service civique s'y déroulent et 84 % au sein des associations. Je milite pour un service civique universel, volontaire, ancré dans le monde associatif et territorial et puisant ses racines dans le terreau de la République. (Applaudissements à gauche)
M. Jackie Pierre . - Avant de répondre à la question binaire posée en exergue de ce débat, il faut se demander quels objectifs nous donnons au service civique et comment les atteindre ?
Renforcer l'adhésion des jeunes aux valeurs républicaines, tel fut l'objectif du service civil créé par la loi de 2010, afin de consolider la cohésion nationale. Les missions sont effectuées dans des associations, collectivités territoriales, établissements publics, etc. Le budget alloué par l'État fut de 125 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 18 millions d'euros de cofinancements communautaires.
Le président de la République a annoncé vouloir l'ouvrir à tous les volontaires, soit de 120 000 à 160 000 jeunes, ce qui coûtera 600 millions d'euros. Le coût du service civique obligatoire, dans son format actuel, s'élèverait, selon le rapport Chérèque, à 3 milliards d'euros par an !
Le dispositif actuel constitue une opportunité de construction personnelle, davantage liée à l'insertion professionnelle qu'au civisme, pour la majorité des jeunes interrogés.
Quel objectif voulons-nous atteindre ? Faire vivre la réciprocité des droits et des devoirs, consubstantielle à la République, le sentiment d'appartenance nationale, la solidarité, la conscience de l'intérêt général ?
Ne peut-on, alors, envisager dans un premier temps l'apprentissage des valeurs et des institutions républicaines au collège, dès la 6e, où pourraient intervenir des responsables politiques, des représentants des forces de sécurité, de la magistrature, des milieux socio-économiques,? Ensuite, viendrait un service obligatoire d'un mois, entre 16 à 20 ans, qui pourrait être étendu à trois mois à titre volontaire. De nombreuses pistes de réflexion existent. L'apprentissage du civisme peut en effet prendre de multiples voies. Il doit, selon moi, devenir obligatoire, comme en sont convaincus 75 % des Français.
Néanmoins, un ferme constat : le civisme ne concerne pas que les jeunes mais chacun d'entre nous, dans l'exercice de nos responsabilités pour prendre sens et cohérence pour notre jeunesse. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Claudine Lepage . - L'effroi suscité par les récents attentats meurtriers nous ont conduit à nous interroger sur la transmission des valeurs républicaines, au premier rang desquelles la liberté et la laïcité. Les attentats ont aussi été perçus comme le symptôme d'un mal dont souffre une partie de la jeunesse et d'un dysfonctionnement de notre société.
Le service civique est-il la panacée pour renforcer le sentiment d'appartenance à la Nation, et faut-il donc le rendre obligatoire ? Je n'en suis pas si sûre...
Après les événements de 2005, le service civil volontaire a été instauré : seuls 3 000 jeunes se sont portés volontaires entre 2006 et 2009. La loi de 2010 a proposé une formule qui a connu bien plus de succès. Les Français, dans leur majorité, sont favorables à son extension à tous les jeunes de 16 à 25 ans.
Une seule donnée suffit à refroidir les ardeurs : seuls 35 000 jeunes ont bénéficié du service civique en 2014, pour quatre fois plus de candidats. Il serait illusoire de l'étendre à tous dans l'incapacité où sont les services publics à les accueillir alors qu'il faudra déjà 600 millions d'euros de plus par an pour accueillir tous les volontaires.
Faire émerger 160 000 missions de qualité est un véritable défi. Une attention particulière doit être portée aux risques de substitution à l'emploi : ne déshabillons pas Paul pour habiller Pierre.
Monsieur le ministre, vous allez annoncer bientôt les résultats de la concertation interministérielle. Quels secteurs pourraient-ils être mobilisés ? Il y a quelques jours, vous signiez avec la ministre de l'écologie un programme de plusieurs milliers de missions dans le cadre de la transition énergétique. Compte-t-on aussi solliciter les hôpitaux et les collectivités territoriales ? D'autres programmes de ce type sont-ils envisagés avec d'autres ministères, le ministère des affaires étrangères, par exemple ?
Fin 2012, seuls 1,7 % des volontaires accomplissaient leur service à l'étranger. Or cette ouverture à l'autre est un moyen sûr de lutter contre le repli identitaire et de se forger une conscience nationale.
Les États européens doivent se mobiliser pour le service civique européen. Je ne doute pas que des missions puissent émerger en collaboration avec le secrétariat d'état chargé de la francophonie. Monsieur le ministre, y a-t-on réfléchi ?
Une démarche civique ne s'impose pas. Elle s'apprend, et d'abord à l'école. Je salue à cet égard le programme d'enseignement des valeurs républicaines, présenté dès le 22 janvier, par la ministre de l'éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. André Reichardt . - Service civique volontaire ou obligatoire ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Telle est la question.
M. André Reichardt. - Pour quoi faire ? Pour mettre le pied à l'étrier des jeunes sans emploi, sans diplôme ? Ou s'agit-il d'une planche de salut pour une société en manque de cohésion nationale ?
Le service civique actuel peut servir aux jeunes sans formation, sans emploi, qui ont le sentiment d'être sans avenir, parce que la société, système scolaire en tête, les laisse au bord du chemin. Le service civique peut leur redonner foi en l'avenir.
Au lendemain des rencontres sénatoriales de l'apprentissage, je pense à cette formule qui doit être développée et dotée de moyens supplémentaires.
La qualité des missions proposées est un défi, alors que l'on compte déjà cinq candidats pour une mission. On ne s'improvise pas référent de jeunes en difficulté. Le service civique doit continuer à être rémunéré et garder le sens d'un engagement, au sens étymologique.
Le service civique peut aussi reconstituer le creuset républicain disparu en 1997 avec le service militaire obligatoire. L'école ne joue plus, ou pas, ce rôle. J'y suis très favorable à une double condition. D'abord que l'on ne transige pas avec la notion d'engagement civil, donc que l'on n'en réduise pas la durée. Sinon, il s'apparentera à une perte de temps, voire à une punition.
Ce sont 800 000 missions de qualité qu'il faudra mobiliser. C'est donc une redéfinition totale qui s'impose à cette fin. D'où la deuxième condition : celle des moyens. En maintenant le niveau de sa rémunération et sa durée actuelle, ce sont 3 à 4 milliards d'euros qu'il faudrait trouver, chaque année !
Le caractère obligatoire, s'il peut se justifier, devra s'entourer d'une exigence de qualité forte et de moyens. À moins de ressusciter le service militaire, face à la perte de repères de tant de jeunes, n'est-ce pas le prix à payer ! (Applaudissements à droite ; quelques sénateurs centristes et M. Jean-Claude Frécon applaudissent aussi)
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports . - Merci pour votre invitation, à quelques jours du cinquième anniversaire du service civique, qui ne suscite pas de polémique partisane : créé par un gouvernement de droite, ce sont des forces de gauche qui lui ont donné un nouvel essor.
Il est l'une des réponses à apporter aux jeunes, sans être une panacée. Il est utile aux jeunes, à qui il donne de nouvelles compétences tout en leur permettant de réfléchir à leur parcours, comme il l'est aux organismes d'accueil, qui développent de nouvelles actions qui n'auraient pas été confiées à du personnel permanent, comme à l'hôpital Henri Mondor de Créteil où les jeunes accompagnent les personnes malades. J'en ai parlé avec François Chérèque : il y a là un gisement de 20 000 à 25 000 missions. Autre exemple : la formation des ménages en précarité énergétique aux éco-gestes.
Assorti d'une rémunération de 573 euros, le service civique ouvre des droits à la sécurité sociale et à la retraite. Pour quatre jeunes qui le souhaitent, un seul obtient une réponse favorable. L'enthousiasme des jeunes nous oblige à leur apporter une réponse à la hauteur. L'enjeu est de garder le même niveau de qualité pour 70 000 jeunes dès cette année, soit deux fois plus qu'en 2014, 150 000 à 170 000 en 2016. 65 millions d'euros complémentaires ont été débloqués cette année.
Après le stade expérimental, il faudra passer du stade artisanal actuel au stade industriel. À cette fin, une mobilisation interministérielle massive est indispensable. J'irai « vendre » le dispositif à tous mes collègues afin que les administrations centrales et déconcentrées, les services publics ouvrent largement leurs portes aux jeunes. Les collectivités territoriales seront également en première ligne : nous travaillons à un protocole d'accord avec toutes les associations d'élus. Le service civique devra également se développer à l'international, comme le souhaitent Mme Lepage et M. Billout.
Je travaille avec Mme Michaëlle Jean, nouvelle secrétaire générale à la francophonie.
À la différence de M. Gattolin, je suis favorable au développement du mécénat et du partenariat, tant qu'ils respectent les valeurs du service civique. La fondation « Agir contre l'exclusion » va ainsi financer une partie du programme que j'ai lancé avec Ségolène Royal.
Vous proposez d'utiliser la réserve parlementaire, je n'en attendais pas tant...
M. Jacques-Bernard Magner. - Nous ne sommes pas d'accord !
M. André Reichardt. - Nous non plus !
M. Patrick Kanner, ministre. - Je crois à l'engagement, donc au volontariat : on ne fera pas l'unité nationale par la contrainte. Nous parlons à des majeurs. Le service civique actuel marche, comme l'a souligné notamment le sénateur Lemoyne. Je reste aussi très sceptique sur le rétablissement d'un service de type militaire. L'appel sous les drapeaux a été suspendu en 1997, nos armées étant appelées à se professionnaliser, ce qu'elles ont réussi : n'y revenons pas. J'ajoute que le dernier appel à la conscription concernait 300 000 jeunes, alors qu'une classe d'âge actuelle correspond à quelque 800 000 jeunes...
Je ne répondrai pas aux propos provocateurs de votre collègue d'extrême droite qui veut créer des milices, trahissant ainsi sa nostalgie d'une époque sombre pour la République... d'autant qu'il n'est pas là, ce qui est discourtois à mon égard et au vôtre. (Applaudissements à gauche ; MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Philippe Mouiller applaudissent aussi)
De nombreuses opportunités existent pour servir l'intérêt général ; ce sont ces gisements qu'il faut trouver. Des contrôles seront mis en place pour lutter contre les abus. Le tutorat, indispensable, sera renforcé.
Le service civique doit être ouvert à tous les publics. Aujourd'hui, sur 100 jeunes volontaires, 18 viennent des quartiers prioritaires de la politique de la ville, 25 un ont un niveau inférieur au bac, 43 un niveau supérieur; c'est dire que le service civique correspond déjà à la réalité des jeunes d'aujourd'hui.
Aucune compétence préalable ne doit être exigée, afin qu'il n'y ait pas de sélection par le diplôme. Le service civique ne doit être réservé ni aux jeunes en difficulté ni aux surdiplômés. Il doit demeurer à l'image de la diversité de la jeunesse.
Léo Lagrange aimait à répéter qu'aux jeunes, il ne faut pas tracer un seul chemin, mais ouvrir toutes les routes.
Je me tiens, à cette fin, à votre disposition. Après les attentats de janvier, après le temps de la sidération et de la compassion, vient celui de la construction. Je souhaite aborder la montée en charge du service civique dans un esprit rassembleur.
La promesse républicaine se construit pour les jeunes et avec les jeunes. La nouvelle prime d'activité sera aussi destinée aux jeunes.
Je veux conclure en évoquant la mémoire de Claude Dilain qui nous manque déjà. (Applaudissements)
M. Jean-Claude Requier. - Je tiens à préciser que la loi de 2010 est issue d'une proposition de loi dont l'auteur était Yvon Collin, qui à ma connaissance n'est pas de droite, car il appartient au PRG, non plus que la plupart de ses cosignataires, dont Jean-Michel Baylet, Jean-Pierre Chevènement, Michel Charasse, ainsi que le président Mézard, ici présent. Il est vrai qu'elle était aussi signée par MM. Barbier et de Montesquiou, conformément à la nature de notre groupe. Voilà qui méritait d'être précisé !