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Table des matières
Remplacement d'un sénateur décédé
Modification de l'ordre du jour
Débat sur les concessions autoroutières
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour le groupe UMP
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique
Débat sur la situation des maternités
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
Commune nouvelle (Conclusions de la CMP)
M. Michel Mercier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Ordre du jour du jeudi 5 mars 2015
SÉANCE
du mercredi 4 mars 2015
70e séance de la session ordinaire 2014-2015
présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente
Secrétaires : M. Jean-Pierre Leleux, Mme Colette Mélot.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Remplacement d'un sénateur décédé
Mme la présidente. - Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l'intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat, qu'en application de l'article L.O. 320 du code électoral, Mme Evelyne Yonnet est appelée à remplacer, en qualité de sénatrice de la Seine-Saint-Denis, M. Claude Dilain, décédé le mardi 3 mars 2015. Son mandat a débuté aujourd'hui mercredi 4 mars 2015 à 0 heure.
Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une cordiale bienvenue.
CMP (Nominations)
Mme la présidente. - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 3 mars prennent effet.
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. - Par lettre en date de ce jour, le gouvernement, en accord avec la commission des affaires européennes, a demandé d'avancer au mardi 10 mars, à 21 heures, le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 19 et 20 mars, initialement inscrit à l'ordre du jour du mercredi 11 mars, à 21 heures. Il en est ainsi décidé.
En conséquence, l'ordre du jour de la semaine sénatoriale du 10 mars 2015 s'établit comme suit :
MARDI 10 MARS
À 9 heures 30 :
- Questions orales
De 14 heures 30 à 18 heures 30 :
Ordre du jour réservé au groupe UMP
- Deuxième lecture de la proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire
- Proposition de loi visant à modifier l'article 11 de la loi du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance
À 21 heures :
- Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 19 et 20 mars 2015
MERCREDI 11 MARS
De 14 heures 30 à 18 heures 30 :
Ordre du jour réservé au groupe socialiste
- Deuxième lecture de la proposition de loi visant à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement
- Proposition de loi sur la participation des élus locaux aux organes de direction des deux sociétés composant l'Agence France locale
- Suite de la proposition de loi relative à la protection de l'enfant
JEUDI 12 MARS
De 9 heures à 13 heures :
Ordre du jour réservé au groupe CRC
- Proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires
- Débat sur le thème : « Dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005, bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap »
De 15 heures à 15 heures 45 :
- Questions cribles thématiques sur les services à la personne
De 16 heures à 20 heures :
Ordre du jour réservé au groupe UDI-UC
- Suite de la proposition de loi tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l'échange en matière de voies rurales
- Débat sur l'avenir de l'industrie agroalimentaire
Débat sur les concessions autoroutières
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur les concessions autoroutières, à la demande du groupe UMP et de la commission du développement durable.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour le groupe UMP . - L'article L. 122-4 du code de la voirie précise que l'usage des autoroutes est en principe gratuit. Les exceptions à ce principe sont, en réalité, devenues la règle, alors que la France bénéficie de l'un des meilleurs réseaux d'autoroutes du monde, à la fois dense et remarquablement entretenu. Mais cela a un coût, c'est le prix de la qualité, qualité entretenue par des sociétés privées sur 9 048 des 11 882 kilomètres du réseau. Les privatisations de 2002, 2004 et 2006 ont concerné les autoroutes du sud de la France, puis celles du nord, de l'est et enfin l'autoroute Paris-Rhin-Rhône. Un rapport de la Cour des comptes a été publié en juillet 2013 ; une proposition de loi du groupe CRC a été débattue ici en janvier puis juin 2014, qui proposait de nationaliser les sociétés concessionnaires et d'affecter les dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf).
Depuis, la question des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires est devenue prégnante et le débat s'est envenimé, ce que notre groupe déplore.
Le débat sur le financement des infrastructures de transport ne mérite ni polémique ni démagogie, mais sérieux et lucidité. Qu'il se soit intensifié à l'occasion de l'abandon de l'écotaxe n'est pas un hasard...
L'Autorité de la concurrence, saisie par la commission des finances de l'Assemblée nationale, a rendu son avis en septembre 2014. L'Assemblée nationale a créé une mission d'information en mai 2014. La commission du développement durable du Sénat s'est elle aussi emparé du sujet en créant en octobre un groupe de travail. Les sociétés concessionnaires ont été la cible de propos stigmatisants de Mme Royal, en réalité une sorte de contrefeu pour faire oublier le fiasco de l'écotaxe.
Ce débat pose la question du retard dans la réalisation de notre programme d'infrastructures. Le groupe UMP était favorable à l'écotaxe, qui devait contribuer au budget de l'Afitf. Les sociétés concessionnaires contribuent d'ailleurs au financement des infrastructures au travers des taxes dont elles s'acquittent. Sans le péage acquitté par les usagers, le réseau autoroutier ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. Il convient donc d'adopter un discours plus mesuré et équilibré. Les contrats eussent pu être mieux négociés, certes, mais renationaliser ces sociétés serait irréaliste - le coût serait de 15 à 20 milliards d'euros... La concession est une forme de partenariat public-privé, répondant bien aux besoins de financement des infrastructures, surtout dans un pays dont les finances publiques sont fragiles.
M. Valls a annoncé dans mon département, au côté du président de Vinci, sa volonté de relancer les partenariats public-privé, en inaugurant le viaduc de la Dordogne sur lequel passera le TGV reliant Paris à Bordeaux en 2017.
Le coût pour l'usager, matérialisé par le tarif de péage, est-il trop élevé ? Il dépend des clauses contractuelles, qui n'ont pas changé, pour celles qui étaient en cours lors de la privatisation, laquelle n'a, de ce point de vue, rien changé. Du point de vue tarifaire, seule une renégociation des contrats est envisageable ; c'est au gouvernement de jouer son rôle, afin de trouver des solutions offrant de meilleures conditions pour l'État et les usagers. Cette renégociation peut avoir lieu dans le cadre d'un prolongement des contrats en contrepartie du plan de relance autoroutier. Le fait que ce plan de relance ait été validé par Bruxelles en octobre dernier montre que la Commission européenne ne remet pas en cause les clauses contractuelles. Quel paradoxe que de voir le gouvernement, à Bruxelles, demander la validation de ce plan et ici, à Paris, mettre de l'huile sur le feu...
M. Charles Revet. - Très bien !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Le montant des péages n'est pas libre, il est défini par le cahier des charges sur la base d'un décret de 1995. Le tarif kilométrique moyen peut varier en fonction des tronçons, d'autant que les sociétés d'autoroutes ont des statuts et des durées de concession divers. Elles se sont parfois vues imposer par l'État en cours de contrat de nouveaux investissements, avec pour contrepartie une augmentation des péages - c'est le cas par exemple sur un tronçon de l'A89 en Gironde.
Comme l'explique le rapport de l'Assemblée nationale de juillet 2013, « le système repose sur le principe que tous les investissements doivent être compensés par des hausses de tarifs » ; et que les bénéfices n'ont pas vocation à être réinvestis...
Mme Évelyne Didier. - C'est cela, le problème !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - L'État est placé dans un rapport de force déséquilibré, peu propice à la maîtrise des tarifs. La hausse de ceux-ci est aussi causée par le coût des travaux ou les normes environnementales. Les exemples abondent. Les sociétés concessionnaires ont dû gérer un grand nombre de travaux sur un réseau de plus en plus grand, où les péages sont plus ou moins rentables. Dans les zones montagneuses, la sécurisation des autoroutes peut coûter jusqu'à 5 millions par kilomètre et par an. Jusqu'en 2011, les sociétés ont appliqué le principe du foisonnement, selon lequel les tronçons les plus rentables peuvent financer les moins rentables grâce à une modulation tarifaire.
Il existe autant de contrats que de sociétés concessionnaires. Le sujet est devenu de plus en plus complexe, comme l'a relevé la Cour des comptes. Sans compter que les concessionnaires répercutent dans leurs tarifs les taxes que leur impose l'État. Le gouvernement a ainsi augmenté la redevance domaniale de 200 à 300 millions d'euros en 2013. Il a depuis remis en cause l'accord discret passé à cette occasion avec les sociétés d'autoroutes, accord qui prévoyait une première hausse des péages de 0,5 % en février 2015. Il a été en quelque sorte pris la main dans le sac...
La hausse des tarifs doit être appréciée avec recul. Entre 2007 et 2014, elle a été de 1,81 % par an pour une inflation moyenne de 1,43 % ; avant la privatisation, elle était en moyenne de 2,6 %, avec une inflation de 1,63 %.
Je ne défends pas ici les sociétés concessionnaires, il faudra sans doute renégocier les contrats ; mais je veux éviter les caricatures. Les effets d'aubaine ne sont pas avérés. On a parlé de 3,6 milliards conservés grâce à la déductibilité des intérêts d'emprunts, mais c'était le régime fiscal normal jusqu'en 2013.
Les profits ? Une rentabilité supérieure à 20 %, comme le dit l'Autorité de la concurrence ? Si on soustrait les intérêts des emprunts contractés lors du rachat des autoroutes, la rentabilité à long terme chute à 7 %... Et le calcul de la performance financière doit tenir compte des investissements nécessaires.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Monsieur le ministre, notre groupe se félicite de certaines avancées, notamment à l'article 5 du projet de loi qui porte votre nom. Mais il faut préserver la crédibilité de l'État. Sa parole doit être respectée.
M. Éric Doligé. - Bravo.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Le président de la République, lors d'une portion d'autoroute entre Brive et Tulle, a appelé à un règlement global et définitif du différend. Le groupe UMP souhaite qu'un équilibre soit préservé entre les intérêts de l'État, ceux des usagers et ceux de l'économie. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs UMP)
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable . - Notre commission a souhaité se saisir de la question des concessions autoroutières dès son installation. Lors de l'audition de Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, le 22 octobre, notre commission tous groupes confondus a été interloquée, choquée même par la situation évoquée déjà un an plus tôt par la Cour des comptes. (M. Charles Revet le confirme)
Les relations entre les sociétés d'autoroutes et l'État sont déséquilibrées, comme on l'a vu pour le télépéage, qui a conduit à restreindre les embauches, augmenter les tarifs, tandis que les investissements étaient financés par l'État au nom de l'intérêt général... (Mme Sylvie Goy-Chavent approuve)
Or nous apprenions peu de temps après la validation par Bruxelles du plan de relance autoroutier. Nous considérons à la commission du développement durable que le Parlement ne doit pas être tenu à l'écart de ces questions - je ne reviens pas sur les privatisations de 2006... Nous avons ainsi décidé de créer un groupe de travail « commando », composé de sept membres, coprésidé par un élu de la majorité socialiste, Louis-Jean de Nicolaÿ, et un élu de l'opposition, Jean-Jacques Filleul, disposé à travailler vite pour formuler des recommandations. Il a procédé à une quinzaine d'auditions de toutes les parties prenantes. Monsieur le ministre, seuls vos services n'ont pas jugé utile de répondre à notre invitation, ce qui n'est pas admissible. (On approuve à droite)
M. Éric Doligé. - C'est du dédain !
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. - Les propositions du groupe de travail font l'objet d'un assez large consensus. Nous ne sommes pas arrivés aux mêmes conclusions que la commission du développement durable de l'Assemblée nationale et son président, mais nous sommes d'accord sur l'essentiel : la situation actuelle, trop favorable aux sociétés d'autoroute, n'est plus tenable.
Le projet de loi pour la croissance, l'emploi et l'égalité des chances économiques a été amélioré par l'Assemblée nationale dans le sens que nous souhaitons - il était en effet bien maigre dans sa rédaction initiale sur les autoroutes. Une grande partie des enjeux relèvent de la négociation bilatérale entre l'État et les sociétés d'autoroutes. Nous souhaitons que le Parlement soit davantage associé. Depuis, un groupe de travail a été constitué par le gouvernement, et nous nous réjouissons que nos collègues en fassent partie. Nous attendons d'autant plus impatiemment ses conclusions que la presse se fait l'écho d'un accord imminent entre l'État et les sociétés d'autoroute.
Nous sommes persuadés que l'équilibre actuel doit être modifié, en faveur de l'usager. Le Sénat sera au côté du gouvernement ; encore faut-il que celui-ci manifeste clairement sa volonté. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. - Tous les membres du groupe de travail ont insisté sur la qualité de notre réseau autoroutier et de son entretien par les sociétés concessionnaires. (M. Henri de Raincourt approuve) À aucun moment les chiffres de l'Autorité de la concurrence n'ont été contestés - tout est question d'interprétation. On oppose aux fameux 20-24 % le taux de rentabilité interne, qui prend en compte la dette d'acquisition - formule retenue par Bruxelles.
La Cour des comptes a constaté que la formule d'indexation actuelle des péages n'est pas performante, car elle n'est pas proportionnée au risque réel encouru par les sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui sont en situation de monopole. Cette rente est préjudiciable aux usagers.
Mme Évelyne Didier. - Absolument !
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour la commission du développement durable. - Le problème est que l'État n'a pas modifié le cadre applicable aux concessions lorsqu'il a privatisé. Avec les contrats de plan, l'État souffre d'une asymétrie d'information, qui l'empêche de payer le juste prix des travaux. Et les tarifs de péages sont déconnectés de la réalité de ceux-ci.
Nous avons considéré que la situation ne pouvait perdurer, il faut mettre fin à ce qu'on peut considérer comme une rente, étant entendu que l'objectif n'est pas de récupérer des recettes que l'on n'a pu obtenir de l'écotaxe.
Un autre enjeu est la transparence. Il y a encore trop de zones d'ombre - il faut dire que les contrats de concession ont été « bétonnés », si j'ose dire, dans les règles de l'art... Il convient d'obliger les sociétés concessionnaires à communiquer chaque année au Parlement, à l'administration, aux autorités de contrôle toutes les données nécessaires.
Le projet de loi relatif à la croissance élargit les compétences de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, c'est une bonne chose. Le contrôle des marchés de travaux sera renforcé - mais le seuil de mise en concurrence doit être abaissé à 500 000 euros.
Oui ou non devons-nous signer de nouveaux contrats de plan ? Deux options sont possibles. Ou bien on en finit avec la formule et on attend la fin des concessions. L'effet mécanique serait de limiter la progression des péages. Et la pression devrait être maintenue sur les concessionnaires pour qu'ils respectent leurs engagements contractuels de droit commun. Les travaux prévus pourraient, soit être réduits, soit être financés par d'autres moyens. La seconde option serait de remanier profondément le plan de relance et d'ajuster la loi tarifaire des concessions. Il est impensable que les péages augmentent plus vite que l'inflation. Il faudrait aussi prévoir une obligation de réinvestissement des bénéfices et des clauses de partage de ceux-ci. En tout état de cause, le Parlement devra être consulté avant toute décision du gouvernement.
Le rachat des concessions... Le groupe de travail dans son ensemble s'est montré sceptique sur le réalisme de l'opération, d'une ampleur de 50 milliards d'euros environ. Si les circonstances le justifient, il pourrait racheter une concession, afin d'en dresser un bilan et d'affiner son expertise.
M. Charles Revet. - Bonne suggestion.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour la commission du développement durable. - Nous souhaitons que le groupe de travail de Matignon aboutisse rapidement à des propositions équilibrées et raisonnables.
(Applaudissements au centre et à droite)
M. Joël Labbé . - Ce débat s'inscrit dans un contexte, celui des groupes de travail du Sénat, de l'Assemblée nationale, du Premier ministre, des rapports de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence. Toute la lumière doit être faite sur les profits des sociétés concessionnaires et les relations qu'elles entretiennent avec l'État, compte tenu des enjeux économiques et écologiques de ce débat, toujours ouvert. Le groupe écologiste considère qu'il ne faut exclure aucune hypothèse : reprise des concessions, négociations des contrats, contribution fiscale supplémentaire...
Le groupe écologiste s'oppose clairement au plan de relance autoroutier dont le montage financier a été validé par Bruxelles. Il est injustifié : il prive l'État de ressources pérennes et vise à étendre le réseau. La privatisation de 2006 par le gouvernement de droite a été un véritable scandale. Elle n'a rapporté que 14,8 milliards alors que les autoroutes auraient rapporté 37 milliards aux finances publiques depuis cette date. Prolonger les concessions, c'est persévérer dans cette lourde erreur.
Les difficultés de contrôle par l'État des activités des concessionnaires ont été signalées par la Cour des comptes. Les autoroutes sont un bien commun. C'est un comble que l'État soit en situation de faiblesse face à des sociétés concessionnaires surpuissantes.
Le transport est le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France. L'émission de particules fines fait perdre huit mois à l'espérance de vie en moyenne. Il faut contraindre les sociétés concessionnaires d'autoroutes à moduler les péages en fonction des normes européennes de pollution des poids lourds. Le principe constitutionnel pollueur-payeur doit être appliqué. L'argent des routes doit financer les alternatives au « tout routier ».
Une question, monsieur le ministre : après le renoncement à la taxe poids lourds, qui avait pourtant fait consensus lors du Grenelle, le gouvernement saura-t-il être sans concession face aux sociétés d'autoroutes ?
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. - Ah !
Mme Évelyne Didier . - L'État ne se donne plus les moyens d'investir, à cause des règles imposées par l'Europe, qui reposent sur l'hypothèse qu'un acteur privé serait plus performant qu'un acteur public. Mais l'État a dû créer l'établissement « Autoroutes de France » dans les années 1980, précisément parce que les sociétés s'étaient montrées incapables d'assurer les investissements nécessaires sur le réseau et son exploitation. La suite a prouvé qu'on pouvait équilibrer le système dans un cadre public.
Les privatisations totales de notre système autoroutier ont eu lieu en 2006, alors que le Conseil de la concurrence avait alerté sur les dangers de l'abandon du monopole de l'État. Avec la RGPP, les capacités d'intervention et de contrôle de ce dernier ont fondu. Les gouvernements successifs se sont laissés convaincre par les sirènes du libéralisme et le patrimoine de l'État est devenu un actif, l'intérêt général un service au public. Oui, madame Des Esgaulx, la loi tarifaire est la même aujourd'hui qu'hier et c'est cela qui pose problème. L'État ne pouvant plus gérer son patrimoine s'en est séparé. D'où la disparition des notions d'intérêt général, de bien commun, au profit de celles, beaucoup plus fun, de service au public, compétitivité, part de marché. L'État n'est plus le concédant. Il redeviendra peut-être, un jour, propriétaire, mais quand ?
Il est grand temps que la politique réinvestisse ce débat, d'où la logique libérale a banni des mots aussi essentiels que celui de « bien commun », démocratie, État. Le choix de la concession devenue perpétuelle bénéficie aux actionnaires, au détriment des usagers - qui paient.
Le taux de rendement interne moyen est de 7,8 % et continuera d'augmenter, si toute remise en cause du contrat est exclue. C'est pourquoi nous n'arriverons pas à trouver des aménagements avec les sociétés. Il y a bien une rente autoroutière. Je fais ici un pari : lorsque les gains de productivité ne seront plus possibles, on demandera à l'État de les racheter, comme en 1983. Autant le faire tout de suite. L'État doit redevenir ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : le garant de l'intérêt général. Ne manquons pas cette occasion. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur quelques bancs socialistes)
M. Alain Bertrand . - Plus on étudie le sujet, plus on est mal à l'aise... Madame Des Esgaulx, c'est le gouvernement que vous souteniez qui a aliéné le patrimoine national dans les conditions que l'on sait. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx proteste)
Ce qui est stigmatisant, madame, ce ne sont pas les propos de Ségolène Royal, c'est la cession par la majorité de l'époque pour 14,8 milliards et les taux de retour sur investissement empochés par les sociétés concessionnaires d'autoroutes.
M. Éric Doligé. - Ce n'est pas sérieux...
M. Alain Bertrand. - Je connais votre verve, madame Des Esgaulx, c'est votre qualité, elle a dépassé votre orgueil...
M. Henri de Raincourt. - Ce n'est pas galant !
Mme Évelyne Didier. - La galanterie n'a rien à voir avec cela.
M. Alain Bertrand. - La rente autoroutière existe, il faut en répondre devant les Français : elle a atteint un total de près de 10 milliards d'euros depuis 2006, malgré la crise financière. Et les tarifs ont augmenté de 21,7 %... À nous, on dit qu'il n'y a pas d'argent, qu'il faut faire attention, ces sociétés, elles ont une marge nette de plus de 20 %... Elles ont une stratégie industrielle mais surtout financière...
Le Premier ministre Manuel Valls a mis en place une commission pour étudier des scénarios envisageables. Racheter les concessions, c'est plutôt les résilier.
Mme Évelyne Didier et Mme Marie-France Beaufils. - En effet.
M. Alain Bertrand. - On nous dit que cela coûterait 40 à 50 milliards d'euros. Mais les concessions prennent fin en 2030 ; en 2006, il aurait fallu faire payer, mutatis mutandis, 70 ou 80 milliards...
Derrière cela, il y a des territoires, des emplois... Le véritable enjeu, c'est de répondre aux Français. Gérer des autoroutes n'est pas vraiment de la compétence de l'État ; je reste ouvert à tous les scénarios : reprise des concessions, renégociations des contrats. Il faut revoir les appels d'offres, qui manquent de transparence. Ma préférence va toutefois à la résiliation des concessions, avec une révision de l'article 38. Un adossement à la Caisse des dépôts et consignations est envisageable. Qu'en pense le ministre ?
M. Francis Delattre. - Il n'a pas une tête de résiliateur ! (Sourires)
M. Alain Bertrand. - Quoi qu'il en soit, faisons bouger les lignes. Je compte sur M. Macron, qui a les capacités pour le faire ! (Exclamations à droite ; applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE )
M. Éric Doligé. - À coup de 49-3 ?
M. Henri de Raincourt. - Vive M. Macron !
M. David Rachline . - Les privatisations menées par les majorités successives de l'UMPS (Mouvements divers)... oui, au pouvoir, vous appliquez la même politique ! Ces privatisations, disais-je, ont été une faute majeure. Les actionnaires des sociétés d'autoroutes en ont été les principaux bénéficiaires, au détriment des usagers, qui se sont vus pris en otage. Le gel des tarifs annoncé début mars était bien le moins que le gouvernement pouvait faire. Le Front national n'a cessé de dénoncer cette situation.
Nous nous retrouvons pieds et poings liés par ces contrats, qui rappellent celui de l'écotaxe - dont le fiasco coûte un milliard d'euros à l'État. Vous êtes les auteurs de cette mauvaise farce qui ne fait plus rire personne. Que de temps et d'argent perdus ! La prise de conscience est désormais réelle, tant mieux. Nous sommes favorables au rachat des concessions, que propose le groupe de travail du Sénat. Surtout, nous prônons une renationalisation rapide, progressive, autofinancée par le rendement des péages ; remettons les choses à l'endroit, récupérons cette manne financière. Ces autoroutes financées par les contribuables, doivent demeurer un bien public et les bénéfices revenir intégralement à l'État.
M. Jean-Yves Roux . - Transport et environnement sont au coeur de nos préoccupations d'élus. L'État a concédé l'exploitation des autoroutes à des sociétés dans lesquelles il était, à l'origine, majoritaire. Les choix faits en 2006 ont modifié cette situation historique et ont profité à trois groupes principaux. La Cour des comptes a dénoncé ce déséquilibre et mis en lumière certains dysfonctionnements : tarifs des péages qui augmentent plus que l'inflation, insuffisant suivi des stipulations contractuelles, déséquilibre au profit des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Le Sénat a mis en place un groupe de travail sous la houlette de Louis-Jean de Nicolaÿ. L'Assemblée nationale a fait de même.
La formule d'indexation des péages est inadaptée et crée une rente injustifiée. L'État aurait dû modifier le cadre juridique applicable aux sociétés concessionnaires d'autoroutes lors des privatisations. Il est vital que gouvernement et Parlement se réapproprient le sujet.
Le gouvernement a mis en place un groupe de travail associant quinze parlementaires ; il semble déterminé à remédier aux dysfonctionnements dénoncés par la Cour des comptes. Bravo, monsieur le ministre : vous avez véritablement le souci de l'intérêt général.
Le gel de la hausse des péages est une autre bonne nouvelle. Il faudra toutefois aller plus loin. Renforçons la transparence et la régulation du secteur : élargissons aux autoroutes les compétences de l'Araf, comme le propose la loi Macron, telle qu'amendée par les députés. Les modalités des concessions pourront être examinées en cours d'exécution. Nous défendrons ces dispositions.
Changeons de modèle pour les contrats de plan. Les sociétés concessionnaires d'autoroutes doivent communiquer au Parlement toutes données utiles.
Le projet de loi pour la croissance et l'activité renforce en outre les obligations pesant sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes ; les sous-concessions seront ainsi soumises à publicité et mises en concurrence. Une clause de bonne fortune sera intégrée aux contrats de plan, dans un souci de transparence, au bénéfice des usagers, de l'État ou de nouvelles infrastructures.
Nous avançons. L'État ne doit pas être naïf s'il veut renégocier à son avantage. Freiner l'augmentation des prix doit être une priorité. La réflexion menée doit servir à préparer des schémas de mobilité modernes et plus respectueux de l'environnement.
Les solutions sont politiques, techniques, environnementales. Engageons-nous résolument dans la modernité ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Albéric de Montgolfier . - Je remercie le groupe UMP pour son initiative. Rapporteur général de la commission des finances, je veux dire un mot sur les enjeux budgétaires. De ce point de vue, la réalité, c'est que 9 000 kilomètres d'autoroutes sont entretenus sans frais pour l'État. Quatre projets d'infrastructure ambitieux ont été conduits récemment, pour 11 milliards d'investissement privé, entraînant 100 000 emplois dans le BTP. C'est beaucoup dans le contexte actuel.
Entre 2002 et 2006, les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont versé 22,5 milliards d'euros en coûts d'acquisition, dont 10,9 milliards à l'État, pris en charge 19 milliards d'euros de dette et 5 milliards d'engagements d'investissement. L'État s'est-il appauvri ? À la différence des privatisations, il reste propriétaire du réseau, qu'il est censé reprendre en fin de concession. Les sociétés concessionnaires d'autoroutes versent 1,7 milliard d'euros de TVA, et 2,2 milliards d'impôts et taxes diverses, soit 3,9 milliards d'euros de recettes au total.
La privatisation n'a rien changé aux tarifs. C'est le décret de 1995 qui est en cause. Un taux de rentabilité de 7 à 8 % est-il trop élevé ? Le Conseil de la concurrence indique que les investissements autoroutiers, considérables, ne peuvent être financés que par l'emprunt ; la rentabilité ne s'améliore que dans un second temps. Démographie, prix des carburants, jouent également sur les tarifs.
À l'issue d'une période de perte, les sociétés concessionnaires d'autoroutes peuvent espérer revenir à l'équilibre avant d'envisager le temps des bénéfices. Voilà le modèle économique général des sociétés concessionnaires d'autoroutes.
Quand la dette de la France approche 100 % du PIB et que l'investissement public fond, le risque est grand de réduire l'investissement routier à néant - voyez le fiasco de l'écotaxe...
Rien n'interdit de recourir à un plan de relance autoroutier ; cela a été fait par le passé, notamment durant la crise de 2008. Nos autoroutes sont parfois sous-calibrées ou mal entretenues - voyez Massy-Palaiseau, le débouché de l'A10, celui de l'A3 et de l'A1, la desserte des aéroports parisiens - avec les conséquences en millions d'heures perdues en embouteillages et la pollution que cela entraîne.
Je rappelle que le plan Juncker repose sur l'investissement privé, avec un multiplicateur de 15 : j'y vois une occasion de relancer l'investissement routier, et d'achever un certain nombre de programmes profitables à notre compétitivité. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Pierre Médevielle . - À la suite du rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale de 2012 sur les concessions autoroutières, son président a saisi l'Autorité de la concurrence, qui a rendu le sien le 17 décembre 2014. Sans surprise, c'est un rapport à charge, comme l'illustre l'emploi accusateur du mot « rente ».
Mme Évelyne Didier. - C'est faux.
M. Pierre Médevielle. - Ce rapport a entraîné un bashing sans précédent des sociétés concessionnaires d'autoroutes dans les médias. Les présidents Larcher et Maurey ont décidé de mettre en place un groupe de travail de six sénateurs. Nous avons mené les mêmes auditions, récolté les mêmes chiffres que l'Autorité de la concurrence, mais notre interprétation diverge. M. Lasserre sonnait la charge, grâce à un mode de calcul de la rentabilité pour le moins singulier, qui omettait de prendre en compte le coût d'acquisition, la reprise de la dette et l'investissement, soit la bagatelle de 40 milliards d'euros !
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Une paille !
M. Pierre Médevielle. - Sans parler du coût de l'entretien des infrastructures ! En choisissant un mode de calcul si peu adapté, les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence ont estimé avoir fait « ce qu'on leur demandait de faire ».
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'est tout dire !
Mme Évelyne Didier. - Pourquoi jeter le discrédit sur ce rapport ?
M. Pierre Médevielle. - Les conditions de la privatisation n'ont pas été défavorables à l'État. En période d'envolée foncière, l'opération a rapporté 22 milliards d'euros à l'État, lui a garanti 3 milliards de rente annuelle et dégagé 15 milliards de trésorerie.
Nous avons l'un des meilleurs réseaux d'Europe, et l'Allemagne s'apprête à adopter un modèle de concessions analogue au nôtre.
Le Canard enchaîné lui-même vole au secours des concessionnaires, avec un article au titre éloquent : « Accident de calculs sur les autoroutes ».
La hausse tarifaire a en réalité été plus limitée que prévue par rapport à l'inflation. Dans le même temps, les fortes hausses des tarifs des TGV ne suscitent aucune réaction...
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Sauf chez les usagers !
M. Pierre Médevielle. - M. Lasserre a dit devant l'Assemblée nationale être prêt à revoir ses calculs si des erreurs méthodologiques s'y étaient glissées... (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s'exclame)
Un document récent de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer fait apparaître une baisse des prévisions du trafic routier. Au même moment, une étude envisage une renationalisation - pour ensuite reprivatiser !
M. Crozet, du laboratoire d'économie des transports de l'Université de Lyon, juge que la gratuité n'est plus à l'ordre du jour et qu'une renationalisation coûterait beaucoup trop cher à l'État. Il cite Perrette et le pot-au-lait...
Ce qui est grave, c'est d'avoir fait croire à nos concitoyens que les tarifs des péages pouvaient baisser d'un coup de baguette magique, que les sociétés concessionnaires d'autoroutes étaient une poule aux oeufs d'or.
Mme Évelyne Didier. - Elles sont bien dodues, en tous cas.
M. Pierre Médevielle. - Les citoyens ont été roulés dans la farine. La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer a été décrédibilisée. L'Araf n'est guère enthousiaste à l'idée d'assumer ces nouvelles missions, et il n'est pas dit qu'elle fasse mieux.
Cet épisode aura prouvé une nouvelle fois la nécessité du bicamérisme et du Sénat. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Exactement !
M. Éric Doligé . - Sans vouloir retourner le couteau dans la plaie, je souligne que M. Rachline et les membres des groupes socialiste et CRC ont exactement les mêmes positions. (Vives protestations sur les bancs CRC et socialistes)
Mme Évelyne Didier. - Argument extraordinaire !
M. Éric Bocquet. - Quelle conclusion en tirez-vous ?
M. Éric Doligé. - Je vous laisse en tirer vos propres conclusions.
M. Jean-Jacques Filleul. - Cela ne veut rien dire !
M. Éric Doligé. - Essayons de sortir du débat politicien qui a commencé avec l'affaire de l'écotaxe : nous devrons verser 820 millions à Écomouv et perdons le milliard que devait rapporter l'écotaxe. Tout cela à cause d'un 49.3 ministériel. (On apprécie, à droite) Mon département a perdu 9 millions par an ; la parole de l'État a été dévaluée. Or le partenariat public-privé était finalement irréprochable.
Allons-nous à présent polémiquer, de nouveau, sur la privatisation des autoroutes ? Qui paierait les 40 milliards de leur renationalisation ? Les tarifs des péages sont de toute façon encadrés.
Les annonces ont fusé dès la parution de l'avis de l'Autorité de la concurrence, qui estimait la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes à 24 %. La réalité est tout autre. Voyez l'A19 : le concessionnaire a emprunté des sommes considérables pour investir. Cinq ans après, le bilan financier est toujours négatif. La rentabilité augmentera progressivement pour atteindre 24 %, mais si l'on tient compte des passifs, elle est plus proche, en définitive de 6 à 7 %.
Notre économie va mal, la situation de l'emploi est catastrophique, et nous dissertons sur la gratuité... D'aucuns se satisfont d'un secteur de BTP atone... Depuis dix ans, nous nous battons pour obtenir une sortie d'autoroute à Gidy, pour des raisons de sécurité et d'environnement. Le dossier est enfin prêt. Une entreprise étrangère attend la bonne nouvelle pour créer 1 150 emplois. Il suffit que je lui confirme. Si je ne peux le faire, elle va se développer à l'étranger. Il doit y avoir des exemples similaires en France.
Monsieur le ministre, aidez-nous à inverser durablement la courbe du chômage ! (Applaudissements sur les bancs UMP et UDI-UC)
M. François Aubey . - Les sociétés concessionnaires d'autoroutes historiques représentent 92 % du chiffre d'affaires du secteur. Leurs profits attirent désormais tous les regards. La Cour des comptes, en 2013, a dénoncé les déséquilibres entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes et l'encadrement insuffisant des négociations des contrats de plan.
Tout aussi grave : le suivi des opérations d'investissement est insuffisant, faute de transparence. En 2014, c'était au tour de l'Autorité de la concurrence de dénoncer le régime très favorable des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui font d'importants profits. Leur rentabilité est sans rapport avec leur activité : 24 % de rendement, c'est indécent !
Nous avons entendu de nombreuses pistes. Ne réitérons pas, en tout cas, l'erreur de 2006.
Les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont liées à l'État par des contrats très protecteurs. Les taxer n'est pas si simple : cela conduirait à allonger la durée des concessions - un comble ! - On pousserait les tarifs à la hausse. Une renationalisation intégrale coûterait 40 à 50 milliards d'euros.
M. Ladislas Poniatowski. - C'est bien de le reconnaître !
M. François Aubey. - Le groupe de travail du Sénat propose d'agir à plusieurs niveaux : transparence accrue, création d'une instance de régulation, surveillance des contrats de plan... Bref, nous devons reprendre la main. Personne ne comprendrait que le gouvernement rallonge les concessions en échange de 3 milliards d'euros de travaux.
Il est possible d'aller plus loin que ce que prévoit le projet de loi Macron, mais les pouvoirs accrus confiés à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières sont un premier pas dans le bon sens, tout comme l'information améliorée du Parlement. Les choses bougent.
Les usagers s'organisent également. Sur les autoroutes A1, A6, A7, A9, A13, ils se mobilisent pour dénoncer la hausse des tarifs. Je connais d'expérience l'A13 normande : la Société des autoroutes Paris-Normandie demande une compensation exorbitante pour le rachat du péage d'Incarville. Qui reprocherait aux automobilistes de protester contre les 15,10 euros d'un Paris-Caen, ou les 8,90 euros d'un Rouen-Caen ? Pas moi !
Les questions économiques ne sauraient être déconnectées des enjeux écologiques. Le secteur des transports est responsable de 27 % des émissions de gaz à effet de serre, et de 42 000 décès par an à cause des particules fines. L'avenir n'est pas au tout automobile, mais à une combinaison de transports rapides et lents, mécanisés et doux, individuels et collectifs. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Michel Bouvard . - Quelques rappels tout d'abord. Le financement des infrastructures a d'abord été assuré par une fraction de la TIPP. Le plan Balladur de 1993, le plan de 1995 de Charles Pasqua, assis sur des taxes spécifiques, étaient plus élaborés. Lionel Jospin a procédé à la première privatisation de sociétés autoroutières en 2002. Les recettes n'ont pas servi à financer des infrastructures. En 2005, le gouvernement Villepin privatisait des autoroutes, non pas en catimini comme on l'a dit mais à l'issue de très vifs débats que nous avons eus à la commission des finances de l'Assemblée nationale, grâce à quoi le prix a été relevé de 10,5 à 14,8 milliards d'euros.
Ce rappel, non pour dire comme d'aucuns que tous feraient pareil, mais pour insister sur l'exigence de trouver des solutions stables et une plus grande transparence.
Le rapport de la Cour des comptes de 2013 relève que le ministère des transports est défavorisé dans le rapport de forces avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes ; que les règles d'indexation ont conduit à une hausse des tarifs supérieure à l'inflation. Lions ce débat à celui du report modal et à celui du financement des infrastructures de transport en général. Le financement de l'Afitf est un problème en soi. L'Eurovignette permettra de financer des externalités, de flécher des usages lisibles par nos concitoyens.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai accepté, avec M. Destot, la mission que m'a confié le gouvernement sur le financement de la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin.
Abordons ce dossier de manière consolidée, en tenant compte du financement durable des infrastructures, du report modal et des externalités. (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP ; M. le président de la commission du développement durable applaudit aussi)
M. Cyril Pellevat . - Le rapport de l'Autorité de la concurrence a provoqué un débat animé. À la suite de l'audition de M. Bruno Lasserre, nous avons créé un groupe de travail au sein de la commission du développement durable. Le Conseil d'État est saisi du blocage des hausses de tarifs des péages - c'est dire si le sujet est d'actualité. Le cadre juridique est très contraint : les contrats ne peuvent être remis en cause avant expiration sans lourdes compensations. Je plaide pour une révision des contrats de plan, et notamment de la loi tarifaire avec un gel des péages pendant deux ou trois ans.
L'indexation sur l'inflation n'était pas pertinente : elle crée une rente injustifiée, de 20 % pour les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Or la clientèle est captive - les récents bouchons aux abords des stations en témoignent ! Le pouvoir d'achat des usagers est fortement affecté. La Haute-Savoie est traversée par deux des autoroutes les plus chères de France, alors que la fréquentation est assurée...
Le trafic poids lourds sur ces mêmes autoroutes, lui, baisse ce qui se traduit par l'engorgement du réseau départemental, au bord de l'asphyxie. Il y a urgence à agir en matière d'aménagement du territoire. Les tarifs augmentent pour les frontaliers qui travaillent en Suisse, et les chiffres d'affaires des sociétés concessionnaires d'autoroutes progressent plus vite que leurs charges, la hausse des tarifs couvrant largement la redevance domaniale imposée par l'État.
Il y a urgence à ce que le Parlement reprenne la main ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Patrick Chaize . - Je ne reviens pas sur le rapport Lasserre, qui a semé le trouble. Relativisons son importance. La vraie question est de savoir ce que l'on veut faire de ces contrats de concession. Les privatisations passées n'ont pas apporté les recettes attendues ; elles ont cependant permis un désendettement, à hauteur de 20 millions d'euros. Si elles ont réduit les marges de manoeuvre de la puissance publique, on ne peut prétendre qu'elles aient été faites dans des conditions opaques.
Le retour des concessions dans le giron de l'État supposerait que celui-ci dispose d'opérateurs pour les gérer. Aujourd'hui, tous sont privés. Cela supposerait en outre des contreparties financières lourdes.
À l'époque, les sociétés concessionnaires d'autoroutes étaient publiques : l'État contractait avec lui-même et certaines clauses n'ont peut-être pas été assez précises.
Il faut réfléchir au renouvellement des concessions dans les meilleures conditions, pour l'État et pour les usagers. L'investissement peut être analysé comme rentable... In fine, l'usager a le sentiment de concessions perpétuelles. Il faut sortir de la situation actuelle, dans une logique « gagnant-gagnant ».
Transparence des tarifs, lisibilité, échéance claire de fin de contrat sont autant d'impératifs. Oui, sortons de l'impasse actuelle. Il faut garantir à l'usager que le tarif payé est bien conforme au service rendu. Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes doivent être équilibrées, les capacités de contrôle de l'État être renforcées.
Mme la présidente. - Il faut conclure.
M. Patrick Chaize. - Prenons exemple sur la méthode utilisée pour les centrales d'électricité il y a quelques années. (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP)
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique . - Ce sujet suscite de fortes attentes légitimes. Veuillez excuser l'absence de Ségolène Royal, en déplacement. Le gouvernement qui a pris le sujet à bras-le-corps agit de manière coordonnée. Plusieurs rapports indépendants ont pointé les dysfonctionnements de la situation actuelle : Cour des comptes, Autorité de la concurrence, Assemblée nationale, Sénat.
Le gouvernement, fin 2014, a donc décidé de mener un premier travail avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes, avant que le Premier ministre ne mette en place un groupe de travail bipartisan, associant des parlementaires. Si mes services n'ont pas contribué à vos travaux, monsieur le président, c'est que ce groupe était en train d'être mis en place au même moment : cela m'est entièrement imputable, veuillez m'en excuser. Nous avons mandaté un inspecteur général des finances qui pilote ce groupe de travail et travaillons en toute transparence et sérénité.
Ne stigmatisons personne : ni les sociétés concessionnaires d'autoroutes, ni tel ou tel service de l'État, ni l'Autorité de la concurrence. Ne simplifions pas les situations. La manne financière de l'écotaxe était grevée d'un coût de gestion de 200 millions d'euros, je le rappelle !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Cela va coûter un milliard d'euros !
M. Emmanuel Macron, ministre. - Si la majorité précédente y tenait tant, elle l'aurait mise en place plus tôt !
MM. Yannick Vaugrenard et Jean-Jacques Filleul. - Exact.
M. Emmanuel Macron, ministre. - Transparence, responsabilité partagée, tel doit être l'esprit qui guide notre réflexion.
Regardons l'impact sur l'activité, les usagers, les infrastructures. Les situations sont très variées, il y a des contrats très profitables, d'autres non.
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. - C'est vrai.
M. Emmanuel Macron, ministre. - Le terme de « rente » n'est pas une insulte : c'est la caractérisation d'une situation économique objective qui peut être justifiée, ou non. Il faut distinguer la rente et le rentier. Ce n'est pas un gros mot !
M. Alain Richard. - C'est vrai !
M. Emmanuel Macron, ministre. - Nous cherchons à corriger certains points ; le système contractuel actuel permet aux sociétés concessionnaires d'autoroutes de répercuter sur l'usager une fiscalité accrue.
L'Autorité de la concurrence a regardé non la rentabilité mais l'excédent brut d'exploitation (EBE), la profitabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qu'elle juge excessive. La question de la rentabilité, elle ne l'a pas étudiée.
Certains contrats rapportent des surprofits, la régulation manque de transparence. Quand le plan vert a été décidé, la Cour des comptes a établi qu'il y avait eu des effets d'aubaine : les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont fait passer dans ce plan des travaux, comme l'installation du télépéage, qu'elles auraient faits de toute façon...
Nos objectifs ? Renforcer la qualité de nos autoroutes, et plus largement de nos infrastructures de transport. Préserver les intérêts des usagers. Mener une politique volontariste de travaux : c'est ce que fait le plan de relance autoroutier négocié à Bruxelles. Cela suppose des critères stricts de mise en concurrence des marchés, favorisant les PME et TPE qui ne sont pas liées aux sociétés concessionnaires.
Quatrième objectif, enfin, la transparence et une rentabilité raisonnable.
C'est dans cet esprit que le Premier ministre a installé un groupe de travail bipartisan, pour mettre à plat, en pleine transparence, les données des uns et des autres, analyser les éléments de rentabilité, l'impact sur les finances publiques des différents scénarios, le contenu du plan de relance approuvé par la Commission européenne.
Le gouvernement a pris la décision de geler les tarifs dans l'attente des conclusions de ce groupe : cela ne préjuge en rien de ce qui sera fait à l'issue de la négociation. De la même façon, il a suspendu le plan de relance.
Tout cela participe de l'équilibre que nous devons définir avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes dans les prochaines semaines.
D'importants points de convergence se dégagent : d'abord, la remise à plat de la régulation.
Dans ce domaine, le projet de loi pour la croissance et l'activité remet à plat les règles de concurrence, avec un contrôle indépendant par l'Arafer, autorité administrative indépendante, qui défendra les intérêts des usagers. Des clauses de bonne fortune seront introduites dans les prochains contrats, pour fixer des mécanismes correctifs. Les règles de transparence pour les marchés des sous-concessions seront renforcées.
Deuxième axe, une meilleure information du Parlement. Le projet de loi que je défends le prévoit ; le Sénat pourra encore améliorer ces dispositions.
Le président de la République a demandé un règlement global et définitif de ce problème. Nous visons une solution rapide, dans la foulée du rapport qui sera rendu le 10 mars.
Parmi les options, il y a la résiliation. C'est la plus radicale, la plus transparente. Mais elle pose des problèmes d'exécution, car elle appellerait l'indemnisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes, l'impact réputationnel ne serait pas neutre. Quid enfin du jour d'après ? Renationalise-t-on ou renégocie-t-on ? Le contexte dans lequel nous passerions de nouveaux contrats ne serait pas le même qu'aujourd'hui. Passerait-on contrat avec les mêmes sociétés, en majorité françaises aujourd'hui outre une entreprise espagnole, ou avec des Chinois, des Indiens, des Britanniques ? Par sûr qu'ils acceptent des conditions moins avantageuses - et qu'en penseraient nos concitoyens ?
Peut-on renégocier les contrats existants, sans indemniser ? C'est ce que nous appelons de nos voeux, autour d'un rééquilibrage de la relation entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, d'objectifs environnementaux, de financement équilibré des infrastructures, d'un plan de relance, indispensable en termes d'activité du BTP, d'une fiscalité clarifiée.
Enfin, la remise à plat de la régulation doit faire partie de la solution de sortie. Le projet de loi que je défends y contribuera. L'information du Parlement est indispensable. Sans stigmatiser quiconque, rétablissons les conditions de la transparence, de la confiance, et d'un redémarrage de l'activité. Le gouvernement annoncera rapidement après le 10 mars des mesures, que nous débattrons ici début avril. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
La séance, suspendue à 17 h 10, reprend à 17 h 15.
CMP (Candidatures)
Mme la présidente. - La commission des lois m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat.
La commission de la culture m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant transformation de l'université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l'enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l'enseignement supérieur.
Ces listes ont été publiées et la nomination des membres de ces commissions mixtes paritaires aura lieu conformément à l'article 12 du Règlement.
Débat sur la situation des maternités
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur la situation des maternités en France.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales . - À l'initiative de la présidente Annie David, la commission des affaires sociales avait demandé il y a deux ans à la Cour des comptes une enquête sur les maternités en France. Ses conclusions ont été présentées à la commission le 21 janvier dernier lors d'une table ronde. L'étude de la Cour a impliquée plusieurs chambres régionales des comptes. C'est un travail d'ampleur. Il nous a donc paru important de pouvoir échanger avec le gouvernement sur ce sujet essentiel.
Ce rapport ne saurait se réduire à la seule question du maintien ou non de certaines maternités, sur laquelle se focalisent les médias. La Cour ne cite aucun site à fermer ; elle apporte des éclairages approfondis sur les difficultés de recrutement, le niveau des équipements techniques, ou le suivi médical des femmes enceintes. Elle n'a pas voulu dresser un tableau alarmiste, et constate que la restructuration opérée ces dernières années s'est effectuée sans compromettre la qualité des soins. Les normes de sécurité fixées par les décrets de 1998 sont toutefois insuffisamment respectées. La commission invite les pouvoirs publics à anticiper les évolutions nécessaires, plutôt que de réagir dans l'urgence à la suite d'accidents dramatiques, comme récemment à la maternité d'Orthez.
Face aux départs en retraite massifs qui s'annoncent, le flux de formation en anesthésie en obstétrique ou en pédiatrie a été insuffisamment relevé. La commission souligne des disparités géographiques inquiétantes. C'est un obstacle majeur à l'application uniforme sur le territoire du principe de permanence des soins. Quelles solutions, madame le ministre ? La question de l'attractivité des postes en maternité doit tenir compte de l'aspiration des jeunes médecins à exercer en équipe.
Le gouvernement considère-t-il souhaitable de prévoir une planification des équipements, une articulation ville-hôpital plus poussée, une orientation plus directive des patientes ?
La grossesse n'est pas une pathologie ; dans l'immense majorité des cas, elle se déroule bien. L'issue peut toutefois être dramatique en cas de problème. Le critère de la sécurité est privilégié par nos concitoyens, d'où l'attractivité des maternités de niveau 2 ou 3, et le taux de fuite des maternités de niveau 1 - sauf en cas d'isolement tel qu'il n'y a pas d'autre choix.
Le sujet est sensible. L'enquête de la Cour des comptes comporte des informations utiles et des réflexions stimulantes. Nous attendons d'entendre les réactions du gouvernement. (Applaudissements sur les bancs UMP et UDI-UC)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales . - La natalité est l'une des forces de la France, un signe de confiance dans l'avenir. Un réseau efficace de maternités doit assurer la sécurité des mères et des enfants et une prise en charge de proximité.
Classée dix-septième en Europe en matière de sécurité, la France peut mieux faire en termes de périnatalité. Que prévoit le gouvernement ?
La Cour ne préconise pas la fermeture des maternités mal classées, mais préconise un contrôle renforcé. Il n'y a pas lieu d'en faire une analyse exagérément alarmiste. Le cas de la Guyane est particulier. M. Antiste y reviendra. Quelles mesures de contrôle le gouvernement prévoit-il pour les maternités qui effectuent moins de 300 accouchements par an ?
En quarante ans, les deux tiers des maternités ont disparu. Les contraintes normatives se sont considérablement accrues depuis les décrets de 1998 et le classement des maternités en trois niveaux.
Les textes imposant la présence de spécialistes dont le recrutement est de plus en plus difficile, ne sont pas uniformément appliqués. Ce phénomène va s'accentuer, en particulier pour les obstétriciens et les anesthésistes. Ne faut-il pas, madame la ministre, pourvoir davantage de postes en internat ?
Le projet de loi Santé comporte certaines dispositions sur l'intérim médical ; mais même l'affectation d'internes dans les zones sous-denses ne permet pas de répondre aux besoins des maternités les plus en difficulté. Qu'envisagez-vous, madame la ministre ?
Vous avez confié un rapport sur l'attractivité de la profession de praticien hospitalier à notre ancien collègue Jacky Le Menn. Nul doute qu'il proposera de favoriser les recrutements. Ne faut-il pas aussi prévoir la présence d'équipes venant de structures plus importantes ou transformer les maternités qui ne peuvent recruter en centre de suivi de grossesse ?
Interrogeons-nous aussi sur la répartition des rôles entre médecins et sages-femmes, question abordée dans la loi HPST mais non encore résolue dans les maternités. Que proposez-vous ?
Nous avons besoin d'améliorer nos connaissances ; il n'existe pas d'étude épidémiologique sur les relations entre l'éloignement des parturientes de la maternité et la mortalité néonatale. Si le temps médian de 17 minutes parait satisfaisant, il cache des écarts importants, jusqu'à 50 minutes de route. Si l'éloignement est trop grand, des solutions alternatives, hôtelières notamment, sont suggérées par la Cour des comptes. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?
La Cour des comptes propose de doter les maternités de niveau 3 d'un service de réanimation adulte.
Une évaluation médico-économique des maternités et des maisons de naissance est nécessaire si nous voulons sortir d'une gestion au fil de l'eau.
La Cour relève que la structuration en trois niveaux n'est pas toujours cohérente sur le territoire. Les niveaux sont-ils pertinents ? Ne faut-il pas raisonner en fonction des besoins des territoires plutôt que des structures existantes ? La Cour souligne aussi le sous-financement des maternités qui ne peuvent atteindre un équilibre qu'à partir de 1 100-1 200 accouchements par an et la déconnection entre les tarifs et les coûts. Il convient ainsi de s'interroger sur la tarification à l'activité (T2A) et sur le poids économique des normes, qu'il faudrait compenser. Que propose le gouvernement ?
Une majorité d'entre nous pourrait accepter la réduction de la durée de séjour à condition qu'elle s'accompagne d'une prise en charge à domicile.
Reste enfin pendante la question du réseau de périnatalité en lien avec la PMI ; elle sera abordée dans le projet de loi Santé. La cour recommande enfin une attention particulière aux populations précaires, au sein desquelles le suivi des grossesses est insuffisant.
Il est de notre devoir d'agir. Tous les jours, des professionnels de santé accompagnent au mieux de leurs capacités les mères et leurs bébés. À nous de leur garantir les meilleures conditions d'exercice possible dans les maternités. C'est un défi qui doit nous réunir. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Laurence Cohen . - Ce débat devrait nous offrir une vision exhaustive et détaillée de la situation de nos territoires. L'étude de la Cour des comptes apparaît comme un bilan comptable à charge, traquant la dépense, pour tout dire partiale. Pourquoi vouloir orienter vers des structures très techniques assurant une prise en charge hautement médicalisée - alors que des luttes ont sauvé des établissements de niveau 1, dont 150 ont disparu entre 2002 et 2012 ? La Cour des comptes suggère de relever le seuil de 300 accouchements et de fermer ceux qui ne peuvent se mettre aux normes, faute de moyens. Comment pourraient-ils y arriver ?
Nous avons été plusieurs en commission à réagir aux données avancées par le rapport qui ne dit mot des femmes, si nombreuses à accoucher sur les routes, dans les camions de pompiers ou aux urgences. La France est dix-septième en termes de mortalité néonatale, alors qu'elle occupait précédemment la sixième place. Comment n'y voir point de lien avec la fermeture d'établissements ? Le rapport de la Cour ne détaille pas le nombre d'incidents en fonction de la taille des établissements. Il est donc difficile d'en tirer des conclusions.
Je ne nie pas les problèmes dans certaines petites maternités, mais faut-il s'entêter dans une politique de fermeture et de regroupement aux résultats catastrophiques ? Ne faut-il pas recruter ? Anticiper les départs à la retraite ? Comment remédier au sous-financement chronique des maternités ? La T2A est inadéquate pour les maternités. Nous sommes très critiques depuis sa création à ce mode de financement incompatible avec toute activité de soins. Monsieur le président Milon, vous étiez corapporteur en 2012 avec Jacky Le Menn de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) et plaidiez pour un financement mixte, comme le fait la Cour. Madame la ministre, nous attendons des précisions à ce sujet.
Nous déplorons qu'un moratoire ne soit même pas évoqué. Chaque sénatrice et sénateur défend sa maternité, sur son territoire, mais se conforme ailleurs à la logique de réduction des dépenses, qui entraîne des cas dramatiques. On prévoit de fermer la maternité de Bégin, pendant que les patientes et les élus des Lilas attendent une solution pérenne après quatre ans de lutte. Il faut être un homme pour proposer de réduire la durée de séjour...
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - Oh !
Mme Laurence Cohen. - On ne réduit pas impunément les dépenses de santé. Il faut trouver de nouvelles recettes, ce que nous nous employons à proposer PLFSS après PLFSS. Les choix politiques de ces dernières années ont été mauvais. Il faut en changer sans attendre. (Applaudissements sur les bancs CRC ; M. François Commeinhes applaudit aussi)
Mme Françoise Laborde . - L'accouchement devient un acte médical au XIXe siècle. La mortalité maternelle et infantile a fortement diminué grâce au suivi de la grossesse, de l'accouchement et de l'après-naissance.
Les sages de la rue Cambon recommanderaient la fermeture de certains établissements dangereux ou trop coûteux - ils seraient quatre en Midi-Pyrénées. J'emploie à dessein le conditionnel car ils n'ont pas ce pouvoir... Malgré la réorganisation profonde de l'offre de soins et la fermeture de nombreux établissements, notre pays, champion de la natalité, continue à connaître des résultats médiocres, avec un des taux les plus élevés de mortalité néonatale en Europe.
Si la sécurité doit être améliorée, je ne partage pas la vision comptable de le Cour des comptes. La fermeture des maternités inquiète fortement le monde rural et peut décourager les familles de s'y installer, aggravant ainsi la désertification. Une maternité, ce n'est pas seulement un lieu de naissance, c'est un partenaire au coeur du réseau de soins, un lieu de suivi, de prévention, d'accompagnement.
Aucune étude épidémiologique n'a été menée sur le lien entre périnatalité et éloignement des parturientes de la maternité. Je me félicite que la Cour des comptes recommande une telle étude. Elle rappelle à juste titre que le risque de naissances en dehors de l'hôpital est deux fois plus élevé pour les femmes vivant à trente kilomètres ou plus de la maternité la plus proche que pour celles vivant à moins de cinq kilomètres. Cela paraît tautologique, mais il est bon de le souligner...
Le président de la République s'était engagé à ce qu'aucun Français ne soit à moins de trente minutes des soins d'urgence.
Mme Catherine Procaccia. - Il a tant promis !
Mme Françoise Laborde. - Pour le Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France, le vrai problème concerne la pénurie de personnel qualifié. Peut-être faudrait-il envisager, madame la ministre, d'augmenter le numerus clausus, améliorer la formation, inciter les professionnels à intégrer ces structures.
Madame la ministre, nous attendons vos réponses. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Stéphane Ravier . - L'importance du service public est rappelée par le directeur général d'une ARS, M. Lannelongue, pour lequel le rapport « témoigne de la capacité de la puissance publique à promouvoir des améliorations significatives dans l'organisation des soins, contrairement à l'idée qui veut que seules les actions de marché, par les prix, soient efficaces. » L'accueil de la vie relève du service public - et service public ne veut pas dire service mal géré. S'il faut rationaliser, le rapport pointe aussi les limites de la règle abstraite qui lie le bon fonctionnement d'un établissement au nombre d'accouchements. D'autant que des dérogations sont nécessaires, donc possibles, pour assurer un maillage équitable de nos territoires. La rentabilité ne saurait être l'alpha et l'oméga de l'accueil de la vie ; d'ailleurs, si on suit la règle à la lettre, les territoires déjà délaissés en feront les frais.
Selon la directrice générale de l'ARS du Languedoc-Roussillon, « la particulière fragilité des populations précaires sont à l'origine de ces résultats décevants ». On voit derrière ce mot de précarité les conséquences de l'immigration massive de populations extra-européennes - nous avons un absurde droit du sol... (Protestations) Quand il a constaté ce qui se passait à Mayotte, même François Baroin avait parlé de revenir sur ce droit ; mais il est vite revenu sur cet accès de bon sens passager...
M. Durrleman, président de chambre à la Cour des comptes, note que « si la démographie des professions médicales de santé du secteur est élevée, c'est parce que s'y concentre, plus que dans d'autres spécialités, l'apport de médecins à diplôme étranger ». Dans ce domaine, nous devons réexaminer les choses sans dogmatisme. Nous payons cher pour assurer aux étudiants des cursus de qualité ; ils doivent être suffisamment nombreux à exercer en France pour satisfaire les besoins des populations. Sur quels leviers agir ? Obligations, avantages ? Une réflexion est indispensable.
Je souhaite enfin que soit encouragé l'accompagnement associatif des grossesses. Trop de femmes enceintes se retrouvent en situation d'isolement ou de conflit du fait de leur grossesse, notamment parmi les couches les plus pauvres. L'État doit soutenir les associations qui les aident. Plutôt que de sacraliser l'avortement, il faut agir sur ses causes, souvent l'abandon des femmes enceintes par notre société individualiste.
Si nous votions un droit fondamental pour les femmes à être bien accompagnées durant leur grossesse, nous aurions un parlement humaniste, fidèle à sa mission qui est de protéger les plus faibles. (M. David Rachline applaudit)
M. Philippe Bonnecarrère. - Et l'homme n'est pas une femme comme les autres !
Mme Catherine Génisson . - Ce débat est bienvenu, d'autant que la quasi-totalité des 820 000 naissances de 2014 ont eu lieu en maternité. Le rapport de la Cour des comptes est très intéressant. J'entends les appels à la rationalisation, mais l'exigence qualitative doit toujours primer en la matière, c'est elle qui doit définir le juste niveau des dépenses sociales et sanitaires ; il ne saurait être question de raisonner uniquement en termes d'économies à réaliser. Quand j'entends parler de 3 milliards d'économies à l'hôpital public, je m'interroge... La Cour devrait aussi évoquer le secteur hospitalier privé.
L'offre de soins en maternité a été profondément restructurée depuis 2002, les fermetures affectant en priorité les plus petites maternités. Nous entrons là dans le coeur du débat. Par expérience professionnelle, je sais qu'en dessous d'un certain seuil, une maternité ne peut assurer des soins de qualité. Le plus souvent, une naissance est un évènement heureux. Mais il faut se plier à une logique sécuritaire, car un accouchement peut très vite mettre en danger deux vies humaines. Accoucher dans un camion de pompiers n'offre pas des garanties suffisantes à cet égard. La sécurité est d'autant plus importante que les résultats de la France en la matière sont insuffisants. Il convient de réformer sans dogmatisme. Les maternités de proximité peuvent se transformer en centres avancés de consultation, de suivi ou d'accompagnement.
Je suis très favorable à la première des deux recommandations de la Cour des comptes ; réaliser une étude épidémiologique sur l'éloignement des parturientes. Ainsi, nous y verrons plus clair, ce qui ne veut absolument pas dire qu'il ne faut pas réformer.
Il est souhaitable de s'appuyer sur les réseaux de périnatalité en s'appuyant sur le secteur libéral. Des sages-femmes peuvent se reconvertir de la pratique hospitalière à la pratique libérale. Si je partage globalement les observations de la Cour, certaines recommandations me laissent dubitative. Est-il concevable, en créant des services de réanimation pour adultes, de faire coexister des jeunes femmes venant accoucher avec des adultes porteurs de pathologies infectieuses ?
Je partage la recommandation de la Cour sur le suivi des populations précaires. La région Nord-Pas-de-Calais a des indicateurs de mortalité périnatale infantile nettement inférieurs à la moyenne métropolitaine grâce à la structuration en réseau et la place du secteur public. Il n'y a plus dans notre région de petites maternités. La Cour a noté que l'offre de soins y correspond aux besoins de la population. C'est le résultat d'un travail en commun entre responsables politiques et professionnels, certains libéraux inclus.
Il ne saurait être question de privilégier une vision purement comptable. Je sais pouvoir compter, madame la ministre, sur votre engagement et votre détermination. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)
M. Didier Guillaume. - Très bien !
Mme Aline Archimbaud . - Le débat est ancien entre proximité et sécurité. L'équilibre entre les deux n'a rien d'évident. Il exige une vigilance permanente. Si le décret de 1998 est assez largement accepté aujourd'hui, il faut continuer à trouver des solutions d'accueil, y compris temporaires, les plus sécurisées possibles. Il convient de coordonner des réseaux variés.
La Cour affirme que le suivi des populations précaires est mal assuré. En Ile-de-France, la précarité des femmes enceintes, notamment en Seine-Saint-Denis, entraîne une surmortalité, qu'elle explique aux deux tiers.
Dans les départements d'outre-mer, que je suis de près en tant que membre de la délégation sénatoriale à l'outre-mer, la situation est très préoccupante, à Mayotte en particulier. En Guyane, aussi. La maternité de Saint-Laurent du Maroni est très vétuste, et la mortalité infantile atteint 4,1 à 9,1 ? alors qu'elle est de 3,3 ? en métropole.
La Cour des comptes demande ainsi de renforcer le suivi des femmes précaires.
Il faut aussi se préoccuper de la santé environnementale. Certains hôpitaux sont en train de réévaluer la place des PVC, des phtalates, dans les maternités. Le DEHP, classé cancérogène, entre dans plus de 50 % des plastiques à usage médical. Les nouveau-nés reçoivent des doses pouvant atteindre jusqu'à vingt fois la norme journalière. Ce sont des points à suivre attentivement. (Applaudissements sur les bancs écologistes et CRC ; M. Didier Guillaume applaudit aussi)
présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président
Mme Élisabeth Doineau . - La France est l'un des pays les plus natalistes de l'Union européenne, grâce à sa politique familiale. L'objectif nataliste répond aujourd'hui à un enjeu économique, ne serait-ce que pour équilibrer notre système de retraites par répartition. Les maternités ont la lourde tâche de répondre aux attentes toujours plus fortes de notre société, de nos territoires et de leurs habitants.
Je salue le travail de la commission des affaires sociales et de Jean-Marie Vanlerenberghe, ainsi que celui de la Cour des comptes. Pris pour lutter contre la mortalité périnatale, le décret du 9 octobre 1998 n'a pas donné de résultats à la hauteur des attentes. La France est au dix-septième rang en Europe pour la mortalité néonatale. Le secteur s'est profondément restructuré. Le nombre de maternités a chuté de 20 % entre 2002 et 2012. En quarante ans, les deux tiers des maternités ont disparu - les premières touchées ont été les plus petites.
Il faut éviter une recomposition erratique. Si le temps de trajet médian est resté stable, je n'ignore pas les disparités qui subsistent ; il dépasse parfois trente minutes, la sécurité des femmes et des enfants est en jeu. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'une étude épidémiologique.
Rappelons aussi les problèmes de recrutement des gynécologues. Leur nombre a chuté de 30 % entre 2004 et 2013 et leur moyenne d'âge est de 60 ans. La spécialité de gynécologie obstétrique est de moins en moins choisie, en raison de la pénibilité du métier, mais aussi du risque médico-légal qu'il fait peser sur ceux qui l'exerce.
La Commission nationale de la défense de la santé de l'enfant créée en 2009 pourrait apporter son expertise pour développer le suivi des établissements.
La situation financière de la plupart des maternités est difficile. Il faut rationaliser tout en améliorant la sécurité, faire émerger un nouveau modèle économique. La Fédération hospitalière de France (FHF) peut appuyer le mouvement, comme le préconise la Cour des comptes.
Réfléchissons au développement de la coopération entre PMI et maternités. Il est temps de mettre tous les acteurs autour d'une table, pour dessiner un système cohérent. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et sur quelques bancs socialistes)
Mme Catherine Procaccia . - Je l'ai dit lorsque la Cour a déposé son rapport : on ne parle des maternités qu'en cas d'accident tragique, alors que l'immense majorité des accouchements se déroule heureusement.
On nous annonce la fermeture très prochaine, fin juin, du service maternité de Bégin. C'est du déjà-vu ! La raison : la restructuration du service de santé des armées, qui doit se recentrer sur le soutien aux forces militaires. Mais 80 % des parturientes qui y sont accueillies sont civiles. C'est une maternité flambant neuve, le seul hôpital militaire disposant d'un pôle mère-enfant. Un mauvais sort est aussi fait aux femmes militaires. Madame la ministre, à quelques jours du 8 mars, il faut alerter votre collègue de la défense. La fermeture de la seule maternité des armées contredit la volonté de féminisation affichée...
Mme Laurence Cohen. - Très bien !
Mme Catherine Procaccia. - L'ARS d'Île-de-France a-t-elle été informée en amont ? Comment réorientera-t-elle les futures mères qui ne veulent pas accoucher dans une usine à bébés hyper-médicalisée ? Bégin était une maternité de niveau 1. J'entends parler d'une réorientation vers l'hôpital Tenon à Paris, loin d'être à trente minutes à toute heure. L'autre maternité accessible est à Saint-Maurice. J'estime que patients et personnels méritent plus d'attention.
J'aimerais savoir si une procédure existe pour veiller à l'accompagnement des patientes quand une maternité ferme aussi rapidement, sans oublier le personnel médical. (M. Maurice Antiste applaudit)
Mme Anne-Catherine Loisier . - Je me réjouis de la tenue de ce débat et de la qualité du travail de la commission des affaires sociales et de la Cour. La nouvelle sénatrice que je suis appréhendait une approche purement comptable. Heureusement, il n'en est rien. Les Françaises sont encore nombreuses à vouloir enfanter et il faut s'en féliciter. Fort heureusement, l'immense majorité des accouchements se passent bien.
La France a la grande chance d'avoir enregistré 811 000 naissances en 2013, soit plus de deux enfants par femme. Il est primordial d'accompagner les femmes enceintes. Le décret de 1998 s'imposait : mettons à présent l'accent sur la sécurité des parturientes.
Le rapport de la Cour des comptes met en évidence l'intérêt des centres périnataux et des réseaux de proximité. La Bourgogne affiche à présent des résultats exemplaires en termes de mortalité infantile. Le réseau périnatal s'est déployé depuis 2012 ; il organise des échanges de bonnes pratiques. La prise en charge des parturientes est organisée dans les plus brefs délais. Ces réseaux sont souples, adaptés aux besoins, économes. J'invite Mme la ministre à les déployer davantage.
La présence des professionnels de santé sur le terrain est un autre problème. Ils désertent nos campagnes. Les médecins et sages-femmes sont nombreux, mais mal répartis sur le territoire. Les premiers sont difficiles à recruter dans les maternités, ce qui risque d'entraîner la fermeture de certaines d'entre elles.
Administration, professionnels et élus doivent travailler ensemble pour mutualiser les services, recruter en fonction des besoins, accompagner au mieux les patients. Il faut éviter les fermetures mal anticipées qui entraîneraient une recomposition hâtive et subie de l'offre de soins, ce qui ne ferait qu'aggraver les dysfonctionnements.
Les réseaux de proximité, les dynamiques locales de partenariats public-privé, sont de nature à réduire la durée du séjour en maternité et à répondre aux attentes de nos concitoyennes.
Je veux saluer pour finir le sens du service et le dévouement, l'abnégation même, du personnel des maternités de notre pays. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Corinne Imbert . - Je remercie le président Milon et la commission des affaires sociales pour cette initiative. Il s'agit d'un sujet important en matière de santé et d'aménagement du territoire. Le rapporteur Vanlerenberghe a pointé les problèmes de répartition des maternités en France ; la Cour des comptes souligne que nous ne sommes qu'au 17e rang européen en termes de mortalité néonatale : nous ne pouvons nous en satisfaire.
Le décret de 1998 a fixé les règles qui ont conduit à la fermeture d'un certain nombre d'établissements, avec un seuil de 300 accouchements par an. La maternité de Saint-Jean-d'Angély, qui en effectue un nombre légèrement supérieur, serait menacée. Le service de chirurgie de nuit devait fermer... Nous avons besoin d'une réflexion globale sur l'offre de soins. La situation en région Poitou-Charentes est détaillée dans le rapport de M. Vanlerenberghe, avec un CHU excentré à Poitiers. L'équation de la juste répartition territoriale est plus difficile à résoudre dans un contexte financier contraint. La part des accouchements dans le privé est passée de 37 % à 24 %, car l'accouchement est peu rémunérateur au regard de la T2A. La Cour des comptes pointe le sous-financement de l'acte d'accouchement.
Les politiques de rationalisation des budgets des hôpitaux sont légitimes, mais ne doivent pas se faire au détriment des maternités. Abaisser la durée du séjour en maternité risque d'avoir un impact sur les services de PMI - c'est un nouveau glissement du sanitaire vers le social, qui sera à la charge des départements. Des états généraux sur cette question s'imposent afin d'approfondir la réflexion. (Applaudissements à droite)
M. Didier Guillaume . - Nous avons la chance d'avoir un des premiers taux de fécondité en Europe : plus de 800 000 naissances chaque année assurent l'avenir de notre pays et notre stabilité sociale. C'est le résultat d'une politique familiale ambitieuse, et d'un bon maillage territorial des services publics.
Notre réseau de maternités est au coeur de l'avenir de notre pays. Il doit avoir comme double objectif sécurité et proximité. C'est la politique que vous menez depuis 2012, madame la ministre ; avec votre pacte, vous avez pris des engagements forts. La proximité est préservée ; la sécurité a été renforcée depuis vingt ans, et particulièrement ces dernières années. Mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de notre dix-septième rang européen en termes de mortalité néonatale.
Je regrette que la Cour des comptes ne commente pas votre politique de lutte contre les déserts médicaux. Le choix de l'incitation des médecins a été fait, il est assumé, c'est la bonne solution. Les déserts médicaux ne peuvent toutefois se résorber sans modification des conditions de travail : c'est l'objet des mille maisons de santé que vous avez lancées. Pour toutes ces actions, nous vous soutenons.
Les soins et la prévention sont des variables d'ajustement privilégiées du budget des plus modestes. La généralisation du tiers payant, contenue dans votre projet de loi Santé, est une mesure forte et indispensable.
La proximité n'est pas un slogan. Depuis plus de dix ans, les services publics ont fui les territoires ruraux. Les écoles, tribunaux, bureaux de poste, gendarmeries sont partis ; si les maternités disparaissent aussi, le sentiment d'abandon deviendra insoutenable.
Un mot sur la maternité de Die dans la Drôme, que vous connaissez bien, madame la ministre. Elle est située en zone de montagne, à 70 kilomètres du centre hospitalier de Valence, soit environ 1 h 15 de route, à quoi il faut ajouter 45 minutes si l'on vient du Haut Diois. On ne peut pas laisser les 12 000 habitants de ce bassin à une ou deux heures de la première maternité ! Le sursis que vous avez accordé à cette maternité a été accueilli avec soulagement par la population. Pérennisons les maternités des territoires isolés, même si elles réalisent moins de 300 accouchements par an.
Dépassons les appréciations purement comptables de la Cour des comptes. Cette logique comptable doit s'accompagner d'une logique de sécurité sanitaire. Il y va de la survie des petites maternités, des territoires, et des préoccupations de nos concitoyens, trop nombreux à ne pouvoir se soigner, surtout en zone de montagne. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Daniel Chasseing . - Les maternités nous concernent tous, à commencer par les élus de territoires ruraux et hyper-ruraux. J'ai conscience de la réalité budgétaire, et du sous-financement des maternités, dont certaines ne peuvent assurer 1 200 accouchements par an. Médecin, je sais la nécessité pour la sécurité des maternités de disposer d'équipes pluridisciplinaires. Les maternités sont un service public essentiel car y naissent ceux qui auront la responsabilité d'animer les territoires.
La maternité d'Ussel, en Corrèze, travaille en étroite relation avec celles de Tulle et de Limoges, dont relèvent déjà les grossesses pathologiques. Si elle devait disparaître, on mettrait les parturientes en danger car elles seraient à près d'une heure des établissements les plus proches. Je m'en suis entretenu avec le directeur de l'ARS, qui en est convenu.
La Cour des comptes elle-même indique que les maternités des zones isolées doivent recevoir les moyens de fonctionner de manière mutualisée avec les plus grands établissements.
Madame la ministre, je vous ai déjà interrogée à ce sujet, sans entendre une réponse claire ; pouvez-vous m'apporter une réponse précise : la maternité d'Ussel est-elle condamnée à plus ou moins brève échéance ?
M. Maurice Antiste . - Madame la ministre, je connais votre engagement pour la santé des femmes. Je remercie la commission des affaires sociales pour son initiative.
La recomposition de l'offre de soins est indispensable, au regard du constat de la situation financière des établissements. C'est d'autant plus vrai des maternités. Une des trois de la Martinique, celle du Lamentin, a dû être fermée en 2010. Heureusement, nous avons encore une offre de soins hospitalière graduée et assez complète avec aussi un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal et un centre agréé pour l'aide médicale à la procréation.
Le taux de mortalité infantile reste toutefois, à 8,7 ?, le plus élevé de France - après la Guyane, et deux fois supérieur à la moyenne nationale. Tous les indicateurs de mortalité autour de la naissance sont élevés et en augmentation sans qu'on puisse en déterminer l'origine, ni la fiabilité statistique. En 2010, dans le service de néonatologie du Centre hospitalier universitaire de Martinique, 13 décès sur 23 concernaient des prématurés de moins de 32 semaines, et 8 de moins de 28 semaines. Les complications infectieuses jouent un rôle important dans ces décès, infections nosocomiales ou infections qui ont déclenché l'accouchement.
Un précédent ministre de l'outre-mer avait fixé comme objectif la réduction de moitié de l'écart de décès avant un an entre la Martinique et la métropole. Cet objectif, reconduit à ce jour, n'est toujours pas atteint. Le taux de naissances prématurées est deux à quatre fois plus élevé qu'en métropole ; nous manquons de gynécologues-obstétriciens et les maternités privées ne prennent pas en charge les grossesses à risque.
En 2015, les urgences pédiatriques de nuit devront fermer, de même que le service de néonatalogie. Résultat : la maternité passera de type 2 au type 1, évinçant les patientes présentant des grossesses à risque, qui ne seront plus prises en charge que par la maison de la femme et de l'enfant.
Grossesses de mineures, bébés prématurés ou de faible poids, mortalité néonatale, dans tous ces domaines, la Martinique est mal classée. Promouvoir l'éducation à la sexualité à l'école et en dehors, renforcer la prévention, l'action de l'Agence régionale de santé de Martinique est forte. Il faut la soutenir. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Alain Vasselle . - Nous pourrions conclure à ce stade que les interventions liminaires du président Milon et du rapporteur général auraient suffi : ils ont dit l'essentiel, en quinze minutes. (Protestations sur les bancs CRC) Mais cela aurait privé nos collègues de la possibilité d'interpeller chacun le gouvernement sur telle ou telle maternité de leur département...
Celles réalisant moins de 300 accouchements par an pourront-elles être maintenues, sans que cela présente un risque sanitaire ? À la condition, dit la Cour des comptes, que des moyens humains et techniques soient mobilisés pour assurer la sécurité sanitaire. Quelle est l'intention du gouvernement ?
Quel est le bon volume d'activité pour assurer viabilité économique et sécurité sanitaire ? Le seuil de 300 accouchements est-il le bon ? Dans le secteur privé, on ne trouve pas de maternité viable à moins de 1 000 accouchements... De quel réseau de proximité devons-nous nous doter ?
La sécurité sanitaire ne dépend-elle pas aussi de l'adossement des maternités à des services hospitaliers disposant de plateaux techniques ? Les règles de tarification des actes sont-elles adaptées ? Les tarifs permettent-ils le maintien d'un réseau ? La Haute Autorité de santé ne pourrait-elle être saisie pour évaluer les conditions humaines, médicales, techniques de fermeture des maternités ?
La Haute Autorité de santé ne devrait-elle pas être saisie afin de définir des critères objectifs à partir desquels on déciderait du maintien ou de la fermeture d'une maternité en tenant compte de ce que le rapporteur général appelle le « médico-économique ».
La France dispose-t-elle des ressources humaines suffisantes, en qualité et en quantité, pour assurer un réseau de proximité de qualité incontestable ?
M. Didier Guillaume. - Autant tout fermer !
M. Alain Vasselle. - Où en sommes-nous de l'évaluation de l'action des ARS en matière de mutualisation des moyens et des ressources ?
En conclusion, j'invite le gouvernement, comme le fait le rapporteur, à élaborer une stratégie à moyen terme de répartition des maternités. Nous attendons avec intérêt ses réponses. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Nicole Duranton . - Je veux d'abord saluer l'initiative de la présidente Annie David, qui avait sollicité la Cour des comptes, et celle du président Milon de demander notre débat d'aujourd'hui.
Le secteur dont nous parlons n'a cessé d'évoluer ces quinze dernières années. Nous attendons d'abord un vrai bilan. La Cour des comptes a mené un travail de qualité. Premier constat : la France occupe le dix-septième rang européen pour la mortalité néonatale, résultat médiocre pour un pays qui dépense autant pour la santé.
La démographie médicale en Haute-Normandie, dans l'Eure en particulier, est problématique : de sept maternités en 2000, nous sommes passés à quatre. La Haute-Normandie est la vingtième région en termes de démographie médicale : on y compte 15 gynécologues médicaux pour 100 000 femmes, quand la moyenne nationale est de 21.
En 2013, le rapport Maurey-Fichet avait déjà alerté le gouvernement sur la situation dramatique de notre département. La situation ne s'est pas améliorée, elle a même empiré, ce qui est inacceptable. Le pacte santé territoire que vous avez lancé en 2012 n'a pas suffi. Il est temps de mettre en place des mesures volontaristes. Personne ne souhaite que les maternités de Haute-Normandie restent dans cette inquiétante situation. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - La question des maternités est un sujet qui passionne l'opinion, car elle renvoie à des questions d'une grande sensibilité. Vos interventions l'ont montré, soucieux que vous avez été, tous, de défendre vos territoires.
Chaque année, 800 000 bébés naissent en France. C'est considérable. Ce sont d'abord 800 000 aventures humaines, et des décennies d'histoires familiales se jouent dans nos maternités. Ces dernières suscitent un attachement réel : une maternité, ce n'est pas que le nom d'une ville sur une pièce d'identité passeport, mais un établissement, une équipe soignante. Comme on se rappelle la maîtresse que l'on a connue écolier, on se souvient de l'endroit où l'on a accouché, où sont nés ses enfants. Les maternités forgent des souvenirs.
La carte des maternités n'a plus rien à voir avec celles des années 1960. On ne saurait en conclure que la prise en charge s'est dégradée. La définition d'un seuil minimum et la division des maternités en trois catégories a été un progrès, compatible avec le maintien d'un principe de proximité.
La sécurité n'a pas non plus été oubliée. C'est elle qui fonde la confiance nécessaire dans notre système de soins. Les Françaises et les Français, en grande majorité, ont confiance en nos maternités. Cette confiance ne se décrète pas. Il faut l'étayer. Annie David a eu l'heureuse initiative de commander un rapport à la Cour des comptes, rapport beaucoup plus subtil que ce que certains en ont dit.
La France a, certes, beaucoup de progrès à réaliser. Les indicateurs sont contestables sur leur méthode, mais il reste que nous devons agir. Les médias se sont emparés de quelques cas, très localisés ; ces situations méritent une attention toute particulière, mais ne sont pas à l'origine de la médiocrité de certains résultats. Le temps de trajet et l'insuffisante prévention sont nos principaux axes de travail.
L'inégalité sociale est flagrante : la part des femmes ayant eu moins de sept visites médicales durant leur grossesse est inversement proportionnelle au niveau de diplôme.
La prévention, c'est aussi la lutte contre le tabagisme ; or 17 % de nos concitoyennes enceintes continuent de fumer alors qu'elles approchent du terme. C'est l'un des niveaux les plus élevés en Europe. J'ai annoncé la création d'un nouveau pictogramme sur les paquets de cigarettes.
L'obésité et le surpoids constituent un autre facteur de risque majeur. L'étiquetage des aliments doit évoluer pour tenir compte des impératifs de prévention sur les risques pesant sur les enfants. Le futur projet de loi sur la santé abordera cette question.
Certains ont mentionné le pacte santé territoire. Médecine libérale et hôpitaux de proximité vont de pair. C'est la politique que je mène. D'aucuns à droite semblent favorables à une coercition des médecins libéraux ; ce n'est pas ma position.
Les réseaux régionaux de périnatalité sont en effet des acteurs incontournables. Je donnerai bientôt aux directeurs généraux des ARS la consigne de les consolider. Les objectifs fixés aux ARS seront suivis au plus près.
La mise en place des réseaux de soins répond à un enjeu social. Les femmes en situation de précarité sont les plus exposées aux risques de complications. Toutes doivent être accompagnées au cours de leur grossesse. Nous devons favoriser les consultations avant même le début de la grossesse pour dépister les facteurs de risque, ainsi que pendant la grossesse. Dans certains départements, on devine lesquels, il y a des Françaises qui arrivent pour accoucher sans avoir vu au préalable un seul professionnel ! Quelle sera la santé de leur enfant, la leur ?
Nous devons mieux organiser l'accompagnement des Françaises après leur retour à domicile, diversifier l'offre de prise en charge des naissances. Les maisons de naissance seront prochainement expérimentées.
Treize maternités - sur 544 - ne dépasseraient pas le seuil des 300 accouchements ; elles sont suivies attentivement, et pourront poursuivre leur activité dès lors qu'elles respectent les règles de sécurité.
Proximité et sécurité sont deux exigences essentielles. On ne peut les opposer. C'est à l'aune de ces deux critères que les ARS ont pris les décisions qui s'imposaient.
En 2016, nous disposerons des données nécessaires pour évaluer l'impact de l'éloignement des maternités sur les résultats en termes de néonatalité. Mais, à nouveau, compte tenu des facteurs environnementaux, je ne crois pas que ce soit un facteur déterminant.
La Cour des comptes fait des préconisations sur la présence de personnels qualifiés : sages-femmes, anesthésistes, obstétriciens, pédiatres sont bien évidemment indispensables. Or leur recrutement est parfois difficile. Je serai très attentive aux conclusions du rapport de M. Le Menn.
La solution n'est pas dans le maintien à tout prix d'une maternité mais dans de nouvelles réponses, comme les centres périnataux de proximité qui s'inscrivent efficacement dans les réseaux de santé périnataux.
La création d'un statut médical de sage-femme des hôpitaux a été une grande avancée, je le rappelle.
Parfois, la distance elle-même peut faire peser un risque sur les accouchements - même si peu de Françaises accouchent sur la route. 17 minutes, c'est une moyenne et pour cette raison certains établissements sont maintenus. Dès lors que la sécurité est assurée et qu'il y a une exigence territoriale, le gouvernement soutient les établissements de proximité. La présence d'établissements de santé dans nos territoires est un facteur d'égalité et de sécurité - je le sais en tant qu'élue locale d'un territoire à la fois urbain et rural. Les groupements hospitaliers de territoire renforceront les coopérations entre établissements.
J'ai mis en place un soutien financier aux établissements isolés pour compléter la tarification à l'activité : 34 maternités en ont bénéficié en 2014.
Notre système de santé est envié dans le monde entier. Ayons confiance. En matière de naissance, nous pouvons et devons encore progresser. C'est l'ambition que je porte, et qui sera inscrite dans le futur projet de loi sur la santé : qualité de l'offre de soins, accessibilité, proximité et sécurité. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Didier Guillaume. - Très bien !
présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président
CMP (Nominations)
M. le président. - Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat.
La liste des candidats établie par la commission des lois a été publiée conformément à l'article 12 du Règlement. Je n'ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire, titulaires : MM. Philippe Bas, Bernard Saugey, Jean-Jacques Hyest, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Pierre Sueur, Alain Anziani et Mme Cécile Cukierman ; suppléants : MM. François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Michel Delebarre, Yves Détraigne, Mme Catherine Troendlé et M. René Vandierendonck.
Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant transformation de l'université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l'enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l'enseignement supérieur.
La liste des candidats établie par la commission de la culture a été publiée conformément à l'article 12 du Règlement. Je n'ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire, titulaires : Mme Catherine Morin-Desailly, M. Jacques Grosperrin, Mme Colette Mélot, M. Michel Savin, Mme Dominique Gillot, MM. Maurice Antiste et Patrick Abate ; suppléants : Mme Maryvonne Blondin, MM. Jean-Claude Carle, Claude Kern, Mme Françoise Laborde, M. Jean-Pierre Leleux, Mmes Vivette Lopez et Marie-Pierre Monier.
Commune nouvelle (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes.
Discussion générale
M. Michel Mercier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Ce petit texte distingue commune nouvelle et EPCI : il y a une vraie différence de nature. Il s'agit de créer une vraie commune par la réunion volontaire, je ne parle pas de fusion comme la loi Marcellin, de communes existantes. Il y a un intérêt soutenu pour cette formule : cela m'a conduit à me rendre en Bretagne, en Corrèze, en Savoie, dans la Loire, pour la présenter. Une vingtaine de communes nouvelles a été créée ; demain, il y en aura davantage.
Attention toutefois à ne pas créer une commune nouvelle juste pour avoir plus de dotations de l'État : c'est l'échec assuré. Il faut avoir envie de construire une commune nouvelle.
Cette proposition de loi émane de M. Pélissard, ancien président de l'AMF, et de Mme Pires Beaune.
Un accord a été facilement trouvé, au Sénat comme à l'Assemblée nationale.
Quoi de nouveau par rapport à la loi de 2010 ? D'abord, le renforcement des communes déléguées et des maires délégués. Au mot identité, je préfère celui de personnalité. L'intérêt de la commune nouvelle est de conserver la commune historique à travers la notion de commune déléguée : les maires délégués seront adjoints, hors quota, de la commune nouvelle. Des garanties financières importantes sont prévues : les communes nouvelles de moins de 10 000 habitants qui se constituent avant le 1er janvier 2016 verront leur niveau de dotation de l'État garanti pendant trois exercices plus une augmentation de 5 % de la dotation forfaitaire.
Parmi les apports du Sénat, des mesures préservant la commune déléguée en cas de fusion ; une procédure de changement de nom spécifique ; l'application de la loi Littoral au seul territoire des communes soumises à cette loi avant la création de la commune nouvelle ; quelques dispositions financières supplémentaires, notamment en matière de péréquation.
Les débats en CMP ont été rapides, nos textes étaient proches ; et les apports du Sénat ont été retenus. Les précisions apportées ne portaient pas sur des points capitaux ; la CMP a conforté les apports du Sénat en matière d'urbanisme, et supprimé la mesure sur la révision des schémas de coopération intercommunale, par coordination avec le projet de loi NOTRe, en cours de navette. Peu de chose, donc, c'est pourquoi je vous propose d'adopter les conclusions de la CMP. (Applaudissements)
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale . - Plus de la moitié de nos communes ont moins de 500 habitants, 86 % ont moins de 2 000 habitants, 92 % ont moins de 3 500 habitants. Comment assurer la gestion des services publics, quand nos concitoyens sont aussi exigeants en zone rurale qu'en zone urbaine - ce qui est bien normal - ?
Le gouvernement a apporté tout son soutien aux deux propositions de loi, quasi identiques, qui n'en forment désormais plus qu'une. L'Assemblée nationale discute actuellement du projet de loi NOTRe, et notamment du seuil des intercommunalités. Celles-ci vont s'agrandir, et monter en puissance : c'est le sens de l'histoire. Le projet de loi a été beaucoup amendé cet après-midi, et enrichi : de nombreuses compétences ont été transférées aux intercommunalités : eau, assainissement, gestion des déchets...
Pour autant, l'échelon communal reste indispensable : c'est celui de la démocratie de proximité. La commune est le lieu de la naissance, de la mémoire, du mariage, de l'école...
Elles font partie du patrimoine historique de notre pays, depuis les paroisses d'Ancien Régime et la loi de 1884.
Les communes nouvelles permettent de rationaliser le fonctionnement, de mutualiser les dépenses, voire même d'amorcer une baisse de la fiscalité !
M. Michel Mercier, rapporteur. - Tout à fait.
M. André Vallini, secrétaire d'État. - M. Mercier peut en témoigner : sa commune nouvelle de Thizy les Bourgs est un bel exemple. Les services y sont mutualisés, les taux d'imposition unifiés, les prix des polices d'assurance ont baissé. Créer une commune nouvelle, c'est faire entrer sa commune dans le XXIe siècle. Je vous invite à voter ce texte, certes petit par la taille, mais grand parce qu'il fera date. (Applaudissements)
M. Jean-Claude Requier . - Ce texte marquera-t-il une rupture ? Nous l'espérons, mais nous restons lucides. Depuis la loi Marcellin de 1971, la fusion des communes n'a pas été un franc succès. 243 démariages ont été prononcés. Seules 1 100 communes sur 36 000 ont été supprimées. De 2000 à 2009, on compte 15 fusions, pour 10 défusions.
Il est plus facile de créer une commune nouvelle en périphérie d'un bourg centre qu'avec des communes peu peuplées qui en sont éloignées.
Faut-il évoquer à nouveau la baisse des dotations aux collectivités territoriales, qui s'élèvera à 11 milliards d'ici 2017 ? La commune nouvelle entraînera des économies, voire des ressources supplémentaires, le niveau de dotation sera maintenu pendant trois ans pour les communes nouvelles de moins de 10 000 habitants fusionnant avant le 1er janvier 2016. Voilà qui devrait encourager les fusions, l'AMF le confirme. On s'étonne toutefois du peu de cohérence qu'il y a à maintenir les dotations à des structures qui ne créent pas de services nouveaux...
Les députés viennent de réintroduire le seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités. Quelle sera l'articulation entre les plus petites intercommunalités dès lors que les communes nouvelles atteindront 5 000 habitants ? Elles pourront très bien gérer les principales compétences de l'intercommunalité...
Ce texte assure une meilleure prise en compte des anciennes communes, avec une place particulière pour les maires délégués, regroupés au sein de la conférence municipale et clarifie les conditions de choix du nouveau nom de la commune, qui revêt une dimension affective - ce peut être un frein psychologique à la fusion. Nommer la commune nouvelle relève davantage du projet politique que de la procédure administrative, tant le patriotisme local peut être exacerbé !
Le groupe RDSE soutiendra le texte issu de la CMP. (Applaudissements sur les bancs RDSE)
M. Mathieu Darnaud . - M. Mercier a explicité les apports de ce texte pour les communes désireuses de se regrouper pour agir plus efficacement. Je rends hommage au legs parlementaire de Jacques Pélissard. Le fait que ce texte procède d'une initiative parlementaire a joué un rôle déterminant dans le résultat positif que nous saluons aujourd'hui. Partant des réalités vécues par les élus locaux, cette proposition de loi a su éviter l'écueil de l'abstraction technocratique.
Je pense à l'article 5 A, introduit par le Sénat, sur l'assouplissement des dispositions de la loi Littoral. Certes, l'Ardèche est peu concernée... (Sourires) Je pense aussi à l'article 5, pragmatique plus que politique, qui maintient les plans de secteur. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont montré qu'un texte de bon sens pouvait prospérer sans battage ni a priori, et aboutir à une réforme intelligente et applicable. Saluons le savoir-faire, l'expérience et le talent de notre rapporteur M. Mercier. Espérons que les décisions du Sénat sur les intercommunalités seront suivies par l'Assemblée nationale...
Mme Catherine Troendlé. - Très bien.
M. Mathieu Darnaud. - La commune nouvelle ne doit pas être une source d'affrontement. Les élus locaux, souvent bénévoles, doivent être soutenus. Favorisons leur action, et le dynamisme de nos communes. (Applaudissements)
M. Jean-Pierre Sueur . - Cette proposition de loi a été en effet préparée par Jacques Pélissard, alors président de l'AMF. Une proposition de loi rédigée dans les mêmes termes a été présentée par Bruno Le Roux. C'est dire qu'il s'agit d'une oeuvre consensuelle dès le départ. Le nombre de communes en France a donné lieu à tant de débats, de discours : 36 700, c'est trop, a-t-on dit, ce n'est pas rationnel. Pour ma part, j'ai toujours défendu la réalité communale.
Mme Catherine Troendlé. - Très bien.
M. Jean-Pierre Sueur. - Ces communes, nées il y a deux cent vingt ans, les Français les portent dans leur coeur.
Ils se détachent peut-être de la classe politique, mais se rattachent à la réalité communale.
Point de conservatisme dans mes propos. En 1992, c'est moi qui défendais la loi créant les communautés de communes. Que d'invectives, notamment au Sénat !
M. Michel Mercier, rapporteur. - Elle a été votée !
M. Jean-Pierre Sueur. - Ces communautés de communes seront créées librement, les communes ne seront pas menacées, disais-je. Nous respectons la commune.
En même temps, des communes peuvent souhaiter librement s'unir. La loi Marcellin présentait la fusion comme une panacée, elle présupposait, sans le dire, que la réalité communale était dépassée. D'où son échec. Ce qu'il faut faire, et que fait le gouvernement, c'est donner la force nécessaire aux intercommunalités, qui ne feront pas tout mais ce qu'elles peuvent mieux faire ensemble. Les questions de proximité resteront l'apanage de la commune.
J'étais hier dans une commune de 48 habitants. Si elle veut se rapprocher d'autres de même taille, facilitons-lui la tâche, soyons pragmatiques ! Peut-être y aura-t-il des conseils municipaux très importants, pendant un temps, mais ce n'est pas un grand dommage. Les avantages en termes de dotation ne sont pas négligeables, mais la carotte n'est pas l'essentiel. L'essentiel, c'est la volonté de s'unir pour créer une commune nouvelle. Ce texte est un pas en avant, je ne sais s'il est petit ou grand, mais il est utile. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE et de la commission)
M. Jean-Pierre Bosino . - Le débat n'a pas vraiment eu lieu sur ce texte. Nous regrettons que l'on veuille faire croire à un consensus. Non, il n'y a pas consensus sur la nécessité de réduire le nombre de communes ou d'élus locaux. Certes, il y a convergence entre la majorité du Sénat et celle du groupe SRC de l'Assemblée nationale. La CMP n'a servi qu'à finaliser des points de détail. Ce texte soulève pourtant de réelles difficultés ; l'enjeu est bien politique, pas seulement pratique ! Il est de plus en décalage avec les attentes des communes. La loi Marcellin n'a abouti qu'à la fusion de 5 % des communes, et beaucoup ont défusionné depuis. Depuis la loi de 2010 voulue par Nicolas Sarkozy, seules 13 communes nouvelles ont été créées. Nos concitoyens n'ont aucune envie de se diluer dans des entités de plus en plus éloignées ; ils veulent de la proximité, ce n'est pas le président Baroin qui me contredira.
La DGF ne cesse de baisser, accentuant l'effet de ciseaux qui impacte l'investissement public. Voilà le vrai fléau auquel il faut s'attaquer ! En vous fusionnant, vous évitez pendant trois ans la baisse de la DGF, dit ce texte : ce n'est pas tant une mesure incitative qu'un chantage pur et simple ! Sans compter que, l'enveloppe étant fermée, la DGF baissera ailleurs...
Que dire enfin du rapport du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), qui préconise la disparition des communes et leur évaporation dans les intercommunalités.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est un rapport qui n'engage que ses auteurs.
M. Jean-Pierre Bosino. - La proximité est pourtant le meilleur rempart contre le déclassement, la précarité et l'exclusion. Il se dit que le gouvernement envisage même de verser la DGF directement aux intercommunalités... Parce que nous refusons cette logique, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Jacqueline Gourault . - Ce texte améliore le régime de la commune nouvelle, et vient renouer avec le rapprochement de communes existantes, sur la base du volontariat. Je salue le rôle de M. Mercier, qui est à l'origine en tant que ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, dans la loi de 2010, de la faculté pour les communes de se constituer en commune nouvelle. Il l'a d'ailleurs expérimenté lui-même en créant la commune nouvelle de Thizy les Bourgs. Ancienne vice-présidente de l'AMF, je salue aussi le combat de Jacques Pélissard pour faciliter la création de ces communes nouvelles. En parallèle, une proposition de loi a été cosignée par Mme Pires Beaune, M. Le Roux ou encore Olivier Dussopt, rapporteur du texte sur les collectivités territoriales.
La proposition de loi s'est attachée à préciser les périodes transitoires et le sort des mandats municipaux durant celles-ci, avec la possibilité pour les anciens maires de devenir maire délégué. Les ajustements des règles d'urbanisme sont bienvenus.
Le texte prévoit qu'une commune nouvelle peut être créée entre communes ou à l'échelle d'une commune tout entière. Créer une commune nouvelle ne libère pas de l'obligation de faire partie d'une intercommunalité existante. Création de commune nouvelle et développement de l'intercommunalité sont ainsi des processus parallèles.
Les derniers syndicats d'agglomérations nouvelles pourront se constituer en commune nouvelle ou en communauté d'agglomération de droit commun.
On voit qu'au total des transitions en douceur sont prévues. Ce texte apporte une certaine souplesse par rapport à la loi de 2010. L'incitation financière dans un contexte de baisse inédite des dotations est à souligner, tout comme le maintien de la DGF pendant trois ans dans les conditions rappelées précédemment. Les raisons financières ne suffisent évidemment pas ; la volonté des élus doit primer.
Michel Mercier est appelé partout pour présenter la commune nouvelle ; cela m'arrive parfois également. Et je sens un frémissement, un intérêt certain pour les communes nouvelles.
À quoi sert une commune nouvelle ? À mutualiser, à faire des économies. Nous vivons dans des bassins de vie dont les habitants sont de plus en plus exigeants. La commune nouvelle renforce les capacités d'action.
Dans mon département, certaines petites communautés de communes, au-dessus de la barre des 5 000 habitants, sont appelées à entrer dans des intercommunalités plus grandes. La création d'une commune nouvelle est alors une solution pratique. Autre motivation : renforcer le rôle d'un bourg-centre. J'ai senti ce désir lors de mon récent déplacement à Amboise. Enfin, la création d'une commune nouvelle est parfois la condition de survie de la commune, quand celle-ci est trop petite pour conserver des capacités d'action.
Le groupe UDI-UC votera cette proposition de loi. Nous y voyons un moyen de renforcer les communes...
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien !
Mme Jacqueline Gourault. - ... dont le rôle est parfois étouffé, à l'occasion de l'examen de la loi NOTRe, par le débat département-région... (Applaudissements)
M. René Vandierendonck . - La commune nouvelle ne doit être conçue ni comme un mécanisme concurrent de l'intercommunalité, ni comme l'aboutissement de la démarche intercommunale. C'est un complément nécessaire aux progrès de celle-ci, un moyen d'améliorer son fonctionnement.
Il y a les seuils, les bassins de vie, j'en passe et des meilleurs... On est parti de 20 000, je vois que même le rapporteur de l'Assemblée nationale introduit des dérogations argumentées ; j'en déduis que la progression des schémas de coopération intercommunale se fera autour des bassins de vie. Un des principaux mérites de ce texte est de permettre à des communes, notamment rurales, d'exister et de se faire entendre. La dimension financière n'est pas anecdotique - ne crachons pas dans la soupe... On voit de celles qui se sont déjà créées que les frais de fonctionnement peuvent être réduits de 8 %, ce n'est pas négligeable. L'incitation financière était une condition nécessaire, sinon suffisante, je remercie le gouvernement de l'avoir acceptée.
Je rends hommage au savoir-faire du rapporteur. Si une réforme territoriale dépasse les clivages manichéens gauche-droite, c'est un bon signe de pérennisation. Voyant que le texte de 2010 n'avait pas eu le succès escompté, il a su redonner la parole aux élus et trouver les garanties d'un fonctionnement harmonieux des communes nouvelles.
Alain Bertrand souligne dans son rapport sur l'hyper-ruralité les problèmes posés par la taille des communes. Les communes nouvelles sont une réponse possible. Le groupe socialiste se réjouit de voter ce texte. (Applaudissements)
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Les conclusions de la commission mixte paritaire sont définitivement adoptées.
Prochaine séance demain, jeudi 5 mars 2015, à 10 h 30.
La séance est levée à 20 h 45.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
Ordre du jour du jeudi 5 mars 2015
Séance publique
À 10 h 30
Présidence : M. Jean-Pierre Caffet, vice-président
Secrétaires : M. Serge Larcher - M. Philippe Nachbar
1. Débat sur le thème : « Service civil : volontaire ou obligatoire ? ».
À 15 heures
Présidence : Mme Isabelle Debré, vice-présidente
2. Questions d'actualité au Gouvernement.