Septennat non renouvelable
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du président de la République et à le rendre non renouvelable.
Discussion générale
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi constitutionnelle . - Réfléchir sur l'évolution des institutions est légitime pour le Sénat. On ne peut nier qu'elles posent problème. Sur tous les bancs, le débat existe. Il est naturel, il est légitime. À l'issue du référendum du 24 septembre 2000, marqué par l'abstention de 74 % des inscrits, le septennat a laissé la place au quinquennat. Les méfaits de ce dernier pour l'équilibre des pouvoirs sont connus. Récemment, des députés ont déposé une proposition de loi semblable : aucune corrélation directe avec le dépôt de la nôtre !
Le consensus prétendu sur le quinquennat est remis en cause par la difficulté d'exercice du mandat du président de la République, soumis aux volte-face d'une opinion capricieuse et volage. Un responsable politique se doit de mener des réformes même impopulaires. Schopenhauer soulignait qu'une fois qu'une opinion a obtenu un bon nombre de voix, les autres l'acceptent : adhérer devient alors un devoir.
Pour nous, il ne s'agit pas d'affaiblir la fonction du président de la République mais de la restaurer dans son rôle d'arbitre au-dessus de la mêlée. L'hypertrophie de la présidence de la République n'est pas un atout, surtout dans un système qui se veut bicéphale. Relisez le général de Gaulle : le quinquennat est à l'encontre de la volonté de celui qui a voulu la Ve République.
M. Yvon Collin. - Absolument.
M. Jacques Mézard. - Le débat se justifie par l'ampleur des dégâts du quinquennat. Les douze années de quinquennat nous donnent le recul nécessaire. Le bilan n'a pas à être positif : il faut savoir reconnaître ses erreurs, et celle de ses prédécesseurs. Point de défaitisme et d'immobilisme pour nous. Notre République doit évoluer - sans pour autant changer de numéro.
En 1962, l'élection du président de la République au suffrage universel fut déjà une évolution considérable. Mon groupe ne la soutenait pas. « Réunir en une seule main, sur une seule tête, tous les pouvoirs sans nul contrepoids, c'est proprement abolir la démocratie » disait Gaston Monnerville en 1962 - dans un texte intitulé « La Constitution est violée, le peuple est abusé ». On a vu la suite...
La durée du mandat présidentiel n'a cessé de faire débat. Le quinquennat a transformé la pratique de nos institutions, sans que les conséquences n'aient été prises en compte. Adopté dans la quasi-indifférence des Français, ce changement présenté comme minime a en réalité constitué un bouleversement institutionnel. La présidence de législature a mis fin au statut d'arbitre institutionnel qui était celui du président de la République, conformément à la volonté expresse des rédacteurs de la Constitution de la Ve République, dans son article 5. Ils concevaient la durée de la fonction présidentielle en fonction de l'équilibre entre les différents pouvoirs.
Brandissant le spectre de la cohabitation, les partisans du quinquennat ont imposé leurs vues, réfutant les jugements des électeurs qui avaient pourtant exprimé cette volonté en 1986, 1993 et 1997. Le vrai problème est celui de la censure du Gouvernement et de la dissolution... Il faudra en débattre un jour.
L'alignement de la durée de la fonction présidentielle sur celle de la fonction parlementaire a transformé le président de la République en super-élu, chef de la majorité en lieu et place du Premier ministre. Singulière idée que de réduire la durée de son mandat tout en renforçant encore son pouvoir, remarquait naguère le doyen Vedel ! Entre un président de la République chef de la majorité et un président de la République arbitre et par nature irresponsable, il faut choisir.
L'hyper-présidentialisation n'est pas synonyme d'un renforcement de la fonction mais de la polarisation autour d'un homme rendu responsable de tous les maux.
L'argument de la modernité, de l'accélération de l'histoire ne vaut pas. La modernité interdit-elle la réflexion ?
Le rôle du chef de l'État dans la politique internationale plaide pour le temps qui lui confie une expérience, une autorité morale, et l'établissement de relations personnelles, qui lui permettent de peser dans les négociations. Les grands couples franco-allemands en témoignent.
Plaçant le président de la République dans le rôle de candidat à sa propre succession, le quinquennat prouve sa dangerosité. Deux ans après l'élection de l'actuel président, les candidats à sa succession se sont déjà déclarés... Nous voyons là une américanisation de la vie politique. Le président de la République se voit obligé de rentrer dans la mêlée, privilégiant le court terme sur le long terme, faisant primer l'intérêt partisan sur l'intérêt général.
Enfin, le quinquennat a eu comme corollaire l'affaiblissement du Parlement, réduit au rôle de chambre d'enregistrement. Nous en payons tous les jours le prix. Le maintien du quinquennat se fera au détriment de l'intérêt national.
D'où notre proposition de loi constitutionnelle qui revient à un mandat de sept ans, non renouvelable. Ce n'est pas un retour en arrière, au septennat renouvelable qui a montré ses limites. Le comité Vedel avait mis en avant les avantages d'une telle formule. La fonction ne serait plus atteinte par le cycle électoral et retrouverait la sérénité si nécessaire à l'art de gouverner. (Applaudissements sur les bancs du RDSE ; M. Robert Navarro et Jean-Yves Leconte applaudissent aussi)
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois . - Cette proposition de loi constitutionnelle est très intéressante ; elle nous permet de poursuivre un débat qui dure depuis 1958.
Le septennat n'est pas au départ une tradition républicaine, mais le fruit d'un compromis passé en 1873 entre les deux familles dynastiques. Il a été ensuite adopté par les républicains, la question n'ayant guère d'importance puisque le président était privé de tout pouvoir effectif.
En 1946, on a gardé le septennat dans la conception qui avait été celle de la pratique de la IIIe République. René Coty, Vincent Auriol ont été élus pour sept ans, avec un pouvoir encore moindre que sous la IIIe République.
La Constitution de 1958 a été rédigée en trois mois - il fallait l'adopter avant octobre. Des pans entiers ont été repris de la Constitution de 1946 - dont son Préambule. Pour le général de Gaulle, l'essentiel était d'exercer la fonction présidentielle. Pour les gaullistes, il fallait que le mandat dure longtemps. Michel Debré avait d'ailleurs plaidé, dans un livre écrit pendant la guerre, pour douze ans. Sept ans, c'était un pis-aller ! Dans la conception du général de Gaulle, la contrepartie de ce mandat était la responsabilité du président de la République devant le peuple, via le référendum, c'est-à-dire la démission en cas de réponse négative à la question de confiance. C'est ce qu'il a fait en 1969 la réforme refusée par 53 % des Français le 27 avril, il démissionnait le 28.
M. Charles Revet. - C'était de Gaulle...
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Les rédacteurs de la Constitution de 1958 sont les mêmes qui la mettent en oeuvre : à trois reprises, le général de Gaulle interroge le peuple par référendum, sur des questions essentielles avant 1962.
Au lendemain de sa démission, aucun des successeurs du général de Gaulle n'a partagé cette vision des choses. Le septennat a alors changé de nature. Dès 1973, Georges Pompidou se pose la question de la réduction de la durée du mandat. La révision a été adoptée par les chambres, mais n'aurait pu passer l'épreuve des trois cinquièmes au congrès.
Comment gérer un mandat de sept ans avec l'érosion de la confiance populaire ? La question était posée - dès 1967, puis à la veille des législatives de 1973, puis de 1978. Le problème a ensuite été réglé par le peuple avec les cohabitations...
Le principal responsable du quinquennat, c'est le Premier ministre de cohabitation qui exerça pendant cinq ans les pouvoirs les plus importants de chef de gouvernement de la Ve République, le président en étant réduits à ses pouvoirs aux acquêts constitutionnels. Il mit en oeuvre une double réforme qui devait, dans son esprit, écarter au maximum les risques de cohabitation. Lionel Jospin a proposé le quinquennat puis la prolongation du mandat des députés, pour assurer la primauté de l'élection du président de la République. Il faut toujours avoir à l'esprit ceux qui sont à l'origine de réformes...
La proposition de loi constitutionnelle introduit un septennat non renouvelable. Cela, personne ne l'a proposé. En 2000, Jacques Chirac n'a accepté la révision qu'à la condition que la reconduction du mandat ne soit pas limitée, considérant que c'est au peuple de décider s'il veut ou non garder un président en fonction. Un président peut se représenter et ne pas être réélu, on l'a vu.
La réduction du mandat de sept à cinq ans n'est pas due à la seule cohabitation. Dans la plupart des pays démocratiques, les mandats sont plus courts. Quand le mandat est long, comme en Italie, c'est que le président de la République exerce une magistrature d'influence, plutôt que décisionnelle.
Il ne s'agit pas de la réduction du temps médiatique mais de la réduction du temps politique, qui concerne aussi les parlementaires. Dans la majorité des pays européens, ceux-ci sont élus pour quatre ans, voire trois ans. Aux États-Unis, les représentants le sont pour deux ans ! L'organisation du temps politique n'est pas la même, et fonctionne aussi bien...
La question du travail utile pour un président de la République serait hypothéquée par le quinquennat, dit M. Mézard. C'est un problème politique et non constitutionnel. Un exemple : Jacques Chirac, premier ministre en 1986, a accompli davantage d'oeuvre législative qu'entre 2002 et 2007.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Il ne faut pas trop légiférer !
M. Hugues Portelli, rapporteur. - C'est qu'en 1986, la nouvelle majorité avait un programme de gouvernement prêt à être mis en oeuvre ; en 2002, c'était loin d'être le cas. Cela tient à l'organisation du travail gouvernemental, pas au mandat présidentiel en lui-même.
La question des pouvoirs du président n'est pas uniquement liée à la durée de son mandat. La séparation des pouvoirs, par exemple, le droit de dissolution, le lien avec la majorité de l'Assemblée nationale, voilà sur quoi il faudra nous interroger. Ne focalisons pas le débat sur la seule durée du mandat. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Voilà un beau sujet de débat, qui traite de la fonction la plus éminente de notre République. Le septennat est l'effet du hasard : la loi du 20 novembre 1873 qui confie le pouvoir exécutif au maréchal Mac-Mahon pour sept ans est le résultat d'un compromis entre partisans du quinquennat et du décennat, dans un contexte tumultueux. La Constitution de 1958 a donné un sens nouveau au septennat présidentiel. Sous les IIIe et IVe Républiques, le président n'était rien, n'avait rien, pour citer André Tardieu. Sous la Ve République, le septennat fait reposer la légitimité du président de la République sur le peuple seul et non sur la majorité parlementaire. Conception renforcée en 1962, avec l'élection au suffrage universel.
En pratique, le président de la République a vite cessé d'être un arbitre impartial. Dès 1958, il est apparu comme le chef de la majorité parlementaire ; le général de Gaulle est intervenu d'entrée dans la politique intérieure et a interdit au Premier ministre de se faire qualifier de « chef du gouvernement ». Il n'était ni possible, ni souhaitable, que le président soit placé hors de la vie politique. Ses successeurs ont ainsi fixé la politique de la nation, et pris part aux grands débats nationaux. L'idée d'un président détaché de la vie politique est une fiction. Ce constat ne date pas de 2000. Dès 1973, Georges Pompidou avait tenté de raccourcir la durée du mandat à cinq ans ; c'était, selon Étienne Dailly, la conséquence logique de l'élection du président de la République au suffrage universel.
Le septennat n'est certes pas un sujet tabou, et cette proposition de loi constitutionnelle a toute sa légitimité, mais je ne peux la soutenir. En premier lieu, rétablir le septennat n'épuise pas la question de la réforme de nos institutions ; au contraire, une telle réforme pourrait déséquilibrer notre architecture. En deuxième lieu, la surexposition médiatique du président de la République, son rôle de chef de la majorité, l'accélération du temps politique me semblent résulter de l'évolution de la société, du contexte de crise. Si l'on va plus vite, c'est que les économies sont interdépendantes, que l'information est devenue instantanée et continue... Il est logique, en démocratie, qu'une institution aux pouvoirs particulièrement importants revienne fréquemment devant le suffrage universel. Avec un mandat de sept ans, on court le risque de se couper du peuple. En outre, le septennat ne correspond plus au rythme de notre vie politique. « Proposer un programme pour sept ans, cela relève davantage de l'art divinatoire que de l'art politique », écrivait Étienne Dailly en 1973. Que dire aujourd'hui ?
Nos institutions peuvent toujours être améliorées : le renforcement de la participation du public à la prise de décision, un meilleur contrôle du gouvernement par le Parlement, une indépendance renforcée de la justice... Ne prenons pas, avec un septennat non renouvelable, le risque de l'inefficacité ou - pire - de l'improvisation. (Applaudissements sur divers bancs)
M. Christian Namy . - Les Français ont-ils eu raison, en 2000, d'adopter le quinquennat ? En 1848, le mandat du président de la République était de quatre ans. La durée de sept ans fut le fruit d'un compromis, on l'a dit. Les royalistes prônaient dix ans - un mandat de monarque -, les républicains, cinq ans, pour asseoir la jeune République. Mac-Mahon a coupé la poire en deux, afin de contenter tout le monde. Ce choix s'est pérennisé par la pratique d'une présidence plutôt effacée : « Une lourde responsabilité pèse sur moi alors que le principe de l'irresponsabilité constitutionnelle me condamne au mutisme et à l'inaction », disait Poincaré. Le général de Gaulle jugeait que le septennat lui permettrait d'assurer son mandat sereinement, loin des joutes électorales. Jacques Chirac a jugé cette durée anachronique. En 2000, seulement 18 % des électeurs inscrits ont ratifié le quinquennat, dans une quasi-indifférence générale. Après le quinquennat chiraquien, l'hyper-présidence de Nicolas Sarkozy, puis le quinquennat actuel, la question se pose à nouveau.
L'obsession du renouvellement électoral entraîne une véritable dérive, alimentée par le rôle des médias. Le président de la République a besoin de temps, de recul, pour dissocier l'intérêt général des querelles partisanes. D'où cette proposition de loi constitutionnelle, que nous sommes nombreux à soutenir au groupe UDI-UC. Une proposition de loi identique a été déposée par des députés UMP.
Le retour au septennat apporterait un meilleur équilibre entre gouvernement et Parlement ; le président de la République en serait le garant. Cette proposition de loi est sage, à un moment où notre pays a tant besoin de stabilité. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et UDI-UC)
Mme la présidente. - Les quatre heures dévolues au groupe du RDSE étant révolues, je dois interrompre la discussion de cette proposition de loi constitutionnelle. Il appartiendra à la Conférence des présidents d'en inscrire la suite à l'ordre du jour d'une prochaine séance.
La séance est suspendue quelques instants.