Accessibilité pour les personnes handicapées (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.
Discussion générale
Mme Claire-Lise Campion, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Ce projet de loi est le fruit d'une longue et vaste concertation, concertation qui visait à mettre en place des agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP). J'avais proposé cet outil au Gouvernement dans le cadre de la mission parlementaire qui m'avait été confiée et du rapport Réussir 2015 qui en découlait.
Depuis trois ans, je défends la cause de l'accessibilité que nous voulons universelle - car la totalité de nos concitoyens est concernée ; elle est juste et indispensable pour le présent et l'avenir de notre société.
Je suis heureuse que la CMP soit parvenue à un accord, qui n'a fait l'objet d'aucun vote contre. Les députés, à commencer par leur rapporteur, Christophe Sirugue, ont enrichi le texte. Ce projet de loi visait à élaborer un cadre national pour les Ad'AP, afin de sortir de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons, à quelques mois de l'échéance de mise en accessibilité de 2015 fixée par la loi du 11 février 2005. Si le principe de réalité impose le recours aux ordonnances, le Parlement n'en est pas pour autant réduit à un simple rôle de spectateur : il a imprimé sa marque aux quatre articles de ce texte.
Conscient de l'immense travail accompli par les membres de la concertation nationale, le Sénat a tenu à préserver l'équilibre trouvé, équilibre historique mais fragile. À l'article 2, il a renforcé le suivi des travaux de mise en accessibilité en prévoyant une remontée d'information. À l'article 3, le Sénat a inscrit dans la loi les différents seuils démographiques pour l'élaboration d'un Plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (Pave) : il s'agit de venir en aide aux petites communes. Il a prévu une liste publique électronique des Établissements recevant du public (ERP) accessibles ou en voie d'accessibilité. À l'article 4, il a prévu un rapport du Gouvernement sur les conditions d'application des ordonnances.
L'Assemblée nationale a sécurisé davantage le texte. À l'article premier, elle a rendu les Ad'AP obligatoires. L'échec de la loi de 2005 tenant pour partie à l'absence de rendez-vous d'étape, elle a prévu une clause de revoyure pour les Ad'AP d'au moins trois ans. Le seuil est passé à plus de trois ans en séance, sachant que la mesure concerne seulement les ERP de grande taille.
À l'article 2, elle a prévu que les schémas directeurs d'accessibilité soient déposés au plus tard douze mois après la publication des ordonnances.
En séance, le Gouvernement a clarifié les dispositions sur les chiens guides d'aveugles et les chiens d'assistance. De même a été introduite une obligation de formation au handicap pour les personnels en contact avec le public.
La CMP a conservé tous les apports du Sénat et de l'Assemblée nationale, se bornant à apporter des modifications rédactionnelles. L'essentiel reste à faire : après l'ordonnance et les premiers décrets viendra le temps de l'application et de la pédagogie. Je connais votre engagement, madame la ministre, pour aller à la rencontre des acteurs. Chacun doit faire sa part : l'accessibilité est l'affaire de tous. Je souhaite que le Sénat vote le plus largement possible les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion . - Je vous confirme l'engagement du Gouvernement pour l'accessibilité universelle. La loi de 2005 donnait dix ans pour rendre accessibles les ERP ; or seuls 30 % d'entre eux sont aux normes. Le Gouvernement a décidé d'agir, sans dédouaner les responsables des ERP mais en fixant un cadre pour les motiver. Le Gouvernement a réuni les acteurs du handicap pendant 140 heures pour le définir. La mesure majeure est l'Ad'AP - que le Parlement a rendu obligatoire.
Ce n'est pas un abandon de l'objectif de mise en accessibilité : les sanctions prévues par la loi de 2005 s'appliqueront aux récalcitrants. Les gestionnaires d'ERP auront trois ans, au maximum, pour s'adapter.
Le Gouvernement prépare les ordonnances et les textes d'application dans le respect de la concertation et des travaux parlementaires. Je signerai bientôt une convention avec le ministère des finances et la Caisse des dépôts et consignations pour instaurer des prêts bonifiés. Nous allons lancer un grand plan de communication pour sensibiliser les gestionnaires d'ERP et de transport.
Nous n'avons plus le temps de regarder vers le passé. Il y a urgence pour les personnes handicapées. Le Gouvernement est déterminé à faire avancer l'accessibilité universelle. C'est ma mission, mon combat. L'accessibilité, qui concerne 12 millions de personnes en France, est une question d'égalité. C'est un investissement d'avenir. Grâce à ce projet de loi et aux textes d'application qui vont suivre, nous y parviendrons. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Aline Archimbaud . - Nos concitoyens attendent beaucoup de ce projet de loi. Si nous regrettons le recours aux ordonnances, il y a urgence : soyons pragmatiques. C'est une nécessité si nous voulons une société plus égalitaire, une accessibilité universelle. La CMP a maintenu les deux amendements du groupe écologiste : le premier prévoit qu'une liste des ERP et transports accessibles soit publiée par les intercommunalités. Le deuxième prévoit un comité de suivi des travaux. Merci à Mme Campion d'avoir abouti à un projet de loi équilibré.
L'Ad'AP élaboré avec les associations et les acteurs du handicap, est la moins mauvaise des solutions. Pour réaliser les travaux dans les temps, il fallait alléger les procédures. Les contraintes financières et administratives ne peuvent servir de prétexte pour repousser encore les délais. Avec les Ad'AP, il sera possible d'étaler les dépenses : la mise en accessibilité n'est pas une charge financière, c'est un investissement !
Les inquiétudes qui s'expriment sont-elles fondées ? On évoque des dérogations renouvelables pour le dépôt de l'Ad'AP. Attention à ne pas faire passer les travaux d'accessibilité après d'autres investissements. Pour les EPR de moins de 700 personnes, la non-réponse du préfet vaudra-t-elle acceptation de la dérogation ? Attention à ne pas retomber dans les mêmes ornières...
Madame Neuville, vous avez réaffirmé l'engagement du Gouvernement. J'espère que les textes d'application seront publiés rapidement, que chacun sera vigilant et, si j'ose dire, constructif. Le groupe écologiste votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs de la commission)
M. Jean-Pierre Vial . - Je veux souligner l'apport du Sénat sur ce sujet, avec le rapport Campion-Debré et la concertation présidée par Mme Campion. La loi de 2005 a constitué une formidable étape pour la cause des personnes handicapées, mais sans doute était-elle trop ambitieuse. Il fallait adopter une démarche plus réaliste et pragmatique. Les règles fixées par la loi de 2005 étaient trop complexes ; l'évaluation faisait défaut. Les Ad'AP seront l'outil adapté. Ce projet de loi maintient les exigences de la loi Handicap et propose un dispositif ayant reçu l'assentiment des membres de la concertation.
Je regrette toutefois le recours aux ordonnances. Fort du rapport de 2012, vous auriez pu associer davantage les parlementaires : leur vision concrète n'aurait pas été sans intérêt. Au lieu de cela, nous nous trouvons aujourd'hui au pied du mur.
Le Gouvernement devra présenter un rapport sur la mise en oeuvre des ordonnances d'ici trois ans : je crains de nouvelles désillusions. Le Gouvernement est bien optimiste quand les collectivités territoriales se trouvent confrontées à l'incertitude de la réforme territoriale...
La contrainte résulte de notre interprétation exigeante du principe de l'accessibilité universelle, appliqué de manière plus souple dans bien d'autres pays... La loi de 2005 était très exigeante. N'oublions pas l'amendement Creton à la loi de 1989, qui autorisait les jeunes de plus de 20 ans à rester dans leurs établissements, faute de places dans les établissements pour les adultes.
La disposition était censée être provisoire... Les droits de la personne handicapée forment un tout. Accompagnons tous les handicaps, y compris et surtout celui de ceux que l'on n'écoute pas parce qu'ils ne peuvent pas parler. Je souhaite que les ordonnances aboutissent. Étant donné nos réserves, nous nous abstiendrons en vous donnant rendez-vous dans trois ans.
M. Vincent Capo-Canellas . - La première lecture à l'Assemblée nationale et la CMP ont conforté notre appréciation de ce projet de loi, étape nécessaire pour appliquer l'importante loi de 2005. Peut-être aurait-on pu mieux tenir compte des préconisations de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales...
Ce texte fixe un cadre législatif renouvelé, auquel s'ajoute un cadre réglementaire rénové. Les collectivités locales n'avaient pas entendu qu'elles s'exposaient à des sanctions : l'échéance de 2015 a trop longtemps été perçue comme théorique. Aujourd'hui, les ressources des collectivités territoriales sont bien contraintes. En l'absence d'Ad'AP, la date du 1er janvier 2015 est maintenue. Les objectifs de la loi de 2005 sont conservés, en échange d'une certaine souplesse, notamment avec des possibilités de dérogations. Nous voulions éviter des procédures trop lourdes pour les petites communes. La CMP a confirmé les mesures de simplification apportées par l'Assemblée nationale : tant mieux. Les délais pour le dépôt et la mise en application des Ad'AP seront-ils suffisants ? Ce n'est pas certain. Nous devrons accompagner les collectivités, qui découvriront des obligations quelque peu oubliées...
Deuxième critique, le texte n'explorait pas assez la piste intercommunale, essentielle pour les petites communes qui manquent de moyens humains et financiers. Nous avons été entendus, en partie du moins. Lisez le rapport que M. Vial a rendu au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.
Nous n'ignorons pas le consensus autour de l'accessibilité. Ce texte va dans le bon sens. Reste à transformer l'essai, en faisant rimer simplicité avec efficacité. En comptant sur le Gouvernement, notre groupe soutiendra ce projet de loi. (Applaudissements à droite)
Mme Annie David . - Comme des millions de femmes et d'hommes investis dans le champ du handicap, le groupe CRC veut le respect de la loi de 2005, qui posait pour la première fois le principe de l'accessibilité universelle. Le cap de 2015 était attendu par tous ceux qui souhaitent une société plus inclusive. Mais aucun soutien, aucun accompagnement n'avait été prévu pour les collectivités territoriales, les gouvernements successifs se sont contentés d'attendre. Résultat, seuls 15 % des ERP sont accessibles, beaucoup de Français sont déçus.
J'entends les inquiétudes, même si le Parlement a renforcé le caractère contraignant de ce projet de loi. Je regrette le recours aux ordonnances, même s'il y a urgence : ce choix génère crispations et craintes. L'obligation de déposer des Ad'AP est une bonne chose ; en revanche, pourquoi des règles moins contraignantes pour les gestionnaires de transport ? Il en va de la mobilité des personnes en situation de handicap. Quid des délais ? Le projet d'ordonnance soumis aux associations prévoirait la possibilité de reporter de trois ans - renouvelables - la date limite de dépôt de l'Ad'AP. Si tel était le cas, ce serait un renoncement. Sur quelles bases seront évaluées les difficultés financières des gestionnaires demandant un report ?
La logique du déclaratif suscite doutes et suspicion : c'est au préfet de valider les agendas. Comment les collectivités feront-elles face aux exigences de 2005 sans moyens financiers ? Avec l'austérité généralisée, la baisse des dotations obligera à demander de nouvelles dérogations et de nouveaux reports... que les personnes handicapées ne comprendraient pas. Madame la ministre, votre projet d'ordonnance organisera-t-il une réelle accessibilité pour les 11 millions de personnes concernées ? J'ai entendu votre engagement. J'espère des explications supplémentaires sur le contenu de l'ordonnance. Le vote final du groupe CRC en dépendra. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Françoise Laborde . - La loi du 11 février 2005 impose la mise en accessibilité des ERP et des transports publics avant 2015. À quelques mois de l'échéance, nous sommes bien loin du compte, notamment pour les écoles, les transports ou les cabinets médicaux. Grâce aux efforts des acteurs du handicap, l'accès aux mairies, aux stades ou aux centres commerciaux s'est amélioré, je salue l'engagement des élus locaux en la matière, mais l'échéance de 2015 ne sera pas tenue. En cause, des règles trop complexes, un manque de volonté politique, et surtout un impact financier sous-évalué.
Plutôt que de sanctionner, il faut accompagner. Je regrette à mon tour le recours aux ordonnances, mais il est vrai qu'il y a urgence.
Quel que soit son handicap, une personne doit pouvoir faire ses courses, prendre le bus, aller au cinéma ou pratiquer une activité sportive. C'est pourquoi nous devons adapter notre législation, avec ce texte, qui s'inscrit dans la logique du rapport de Mme Campion Réussir 2015.
Les deux assemblées ont enrichi ce texte. Le Sénat a notamment adapté les seuils démographiques pour l'élaboration des Pave. Je salue la sécurisation du dispositif par les députés : des Ad'AP obligatoires, une formation obligatoire au handicap pour les personnels en contact avec le public et, à l'initiative du Gouvernement, une disposition sur les chiens guides d'aveugles et les chiens d'assistance qui vient heureusement compléter le droit actuel.
Parce que l'accessibilité n'est pas une contrainte mais un mieux-être, le groupe RDSE votera les conclusions de la CMP à l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Patricia Bordas . - Je me félicite du consensus réuni autour de ce texte important. Pour paraphraser Michel Audiard, une quelconque dissonance entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur un tel sujet aurait fait désordre...
Il y avait urgence. Les travaux d'accessibilité tenaient de la chimère. D'après l'association des paralysés de France, seuls 15 % des ERP sont accessibles. Prisonniers de l'inaction passée, celle du gouvernement précédent, nous sommes aujourd'hui dos au mur. Même inscrits dans le marbre de la loi, les mots ne suffisent pas. Nous n'avons d'autre choix que le pragmatisme.
Nous serons vigilants sur le contenu des ordonnances, l'article 38 de la Constitution nous confère un droit de regard, avec la ratification obligatoire par le Parlement dans les cinq mois à compter de leur publication. Il existe de grandes disparités entre les collectivités. Un peu de chauvinisme local - si vous me le permettez : Brive a reçu la Marianne d'Or pour ses actions en faveur de l'accessibilité. D'autres communes n'ont rien fait. Preuve que la volonté politique est essentielle en la matière. C'est une noble idée que la solidarité inscrite à l'article 114-1 du code de l'action sociale et des familles. Reste que tout est question du regard porté sur la personne en situation de handicap. Tendons-lui la main plutôt que le bâton, un miroir enjolivant plutôt que dégradant. Le handicap est fonction du rapport de la personne handicapée avec son environnement ; il surgit quand elle rencontre des obstacles matériels, culturels ou sociaux. C'est une perte de la possibilité sur un pied d'égalité à la vie de la communauté. Aidons-la à développer ses potentialités et ses « capabilités », pour parler comme le philosophe économiste Amartya Sen. L'inaccessibilité est un reniement de leurs droits et une atteinte ineffable à l'idéal de justice sociale.
L'accessibilité universelle, concept inclusif et progressiste, concerne aussi bien les parents avec poussette que les personnes âgées. Un projet de loi sera bientôt consacré au vieillissement, n'oublions pas le volet accessibilité.
Non sans avoir salué encore une fois l'engagement de Mme Campion, je veux rappeler que l'accessibilité n'est pas une fleur faite aux personnes en situation de handicap, c'est un devoir civique et humain. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État . - J'ai entendu les inquiétudes sur la validation des Ad'AP. Ceux des ERP de plus de 700 personnes seront soumis à la commission départementale d'accessibilité et au préfet ; ceux des ERP de moins de 700 personnes au seul préfet, dont le silence vaudra acceptation. La commission départementale sera également chargée de suivre les travaux, en procédant à des contrôles aléatoires.
Il nous fallait bien prévoir des dérogations pour les établissements en grande difficulté financière, comme les entreprises déposant le bilan, ou les communes sous tutelle financière, sans quoi nous aurions commis la même erreur qu'en 2005. Ces dérogations seront exceptionnelles et très encadrées.
D'un côté, on s'inquiète du coût pour les collectivités territoriales et les ERP ; de l'autre, on voudrait aller plus vite. Grâce à la concertation, nous avons grandement simplifié les normes, par exemple avec la possibilité pour les communes d'installer une rampe amovible - qui coûte 1 500 à 2 000 euros contre 10 000 euros pour une rampe en dur ; de rendre accessible une entrée secondaire, et non nécessairement l'entrée principale ou de ne pas effectuer de travaux d'accessibilité pour la mezzanine d'un restaurant où est réalisé moins de 25 % du chiffre d'affaires. Je veux également un système déclaratif le plus simple possible, aussi facile que celui des impôts, avec un formulaire téléchargeable sur Internet et aussi peu de pièces jointes que possible.
Simplifier les normes au maximum, voilà le travail que je veux accomplir pour faciliter l'accessibilité ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Vote sur le texte élaboré par la CMP
M. le président. - Le Sénat se prononçant avant l'Assemblée nationale, je vais mettre aux voix les conclusions de la CMP par un vote unique en application de l'article 42-12 du Règlement.
Les conclusions de la CMP sont adoptées.
La séance est suspendue à 15 h 50.
présidence de M. Jean-Claude Carle, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.