Procédure devant le conseil de prud'hommes
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la procédure applicable devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié.
Discussion générale
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie . - Je vous présente les excuses du ministre du travail, retenu par un sommet européen. En son nom et en celui du Gouvernement tout entier, j'apporte mon soutien à ce texte du groupe radical de l'Assemblée nationale, qui comble un manque juridique certain. La prise d'acte, qui est le fait pour un salarié de prendre l'initiative de la rupture du contrat de travail tout en en imputant la responsabilité à l'employeur, est heureusement rare mais ne peut être ignorée. Les risques et les conflits existent dans les relations de travail, qui doivent trouver des réponses. Parfois, cette relation ne peut se poursuivre. Le licenciement et la démission sont juridiquement bien balisés. La prise d'acte, elle, résout une situation extrême telle que mise au placard, conflit ouvert avec l'employeur... Une solution doit être trouvée, c'est le sens du recours à la justice prud'homale, à laquelle le Gouvernement est très attaché.
La prise d'acte n'appelle plus de conciliation, mais un jugement, afin de permettre à chacun de tourner la page. Il faut aller vite, car se pose la question de l'indemnisation du salarié par l'assurance chômage. Cette indemnisation est possible si la prise d'acte est assimilée à un licenciement, pas si elle est requalifiée par le juge en démission.
Cette proposition de loi fait oeuvre utile d'approfondissement de notre état du droit, dans l'esprit consensuel et réaliste bien dans la tradition du groupe radical. Le Gouvernement donne un avis favorable et soutient votre option d'un avis conforme à celui de l'Assemblée nationale, dans la clarté, la simplicité et la rapidité. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et au centre)
M. Gilbert Barbier, rapporteur de la commission des affaires sociales . - Cette proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale concerne potentiellement tous les salariés, bien qu'elle vise un cas spécifique de rupture du contrat de travail, celui de la prise d'acte. Le contrat de travail est soumis au droit commun des contrats, hors dispositions spéciales relevant du code du travail. En application de l'article 1184, la résiliation du contrat de travail peut être demandée au juge compétent, en l'espèce le conseil des prud'hommes.
La prise d'acte a été forgée par la jurisprudence de la Cour de cassation, reconnaissant au salarié la capacité de constater la rupture de son contrat de travail. Si les faits qu'il invoque sont reconnus par le juge, elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse et ouvre droit aux indemnités habituelles. Dans le cas contraire, elle sera assimilée à une démission. La prise d'acte est ainsi la possibilité reconnue à tout salarié confronté à un employeur dont les actions font obstacle à la poursuite du contrat de travail d'y mettre fin. Aucune rétractation n'est possible, non plus que la réintégration.
Il ne s'agit pas d'une procédure sans risque pour le salarié. Un salarié ne peut bénéficier de l'assurance chômage que s'il se trouve dans un cas de démission considéré comme légitime par Pôle emploi ; dans le cas contraire, c'est seulement au terme de la procédure, si la prise d'acte est jugée fondée, qu'il percevra les indemnités chômage. La charge de la preuve repose sur le salarié ; le doute ne lui profite pas, en principe. Par trois arrêts du 26 mars dernier, la Cour de cassation a renforcé son contrôle sur les motifs invoqués par le salarié : sont écartés ceux qui, anciens, n'ont pas conduit à une rupture immédiate du contrat. Deux arrêts du 12 juin dernier ont accentué cette évolution jurisprudentielle. Dorénavant, la prise d'acte ne pourra plus être justifiée par le seul motif d'une modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur.
Cette proposition de loi ne crée pas de nouveau droit. Mais les salariés doivent attendre que le conseil de prud'hommes statue, voire que les voies de recours soient épuisées. En moyenne, le jugement est rendu en près de quatorze mois. Et 58 % des décisions font l'objet d'un appel, lequel peut durer deux ans à Paris. Le texte accélère le traitement de ce contentieux particulier. Quelle est l'importance de celui-ci ? On peut extrapoler à partir des arrêts des cours d'appel : 2 465 d'entre eux ayant fait en 2013 référence à la prise d'acte et 60 % donné lieu à appel, on peut estimer à environ 4 000 les recours prud'homaux, soit 2 % du contentieux prud'homal. La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu l'an dernier 169 arrêts où il est question de prise d'acte, soit 5 % de ses décisions.
L'obligation de conciliation est devenue purement formelle. Il est donc dans l'intérêt du salarié comme de l'employeur de prévoir la résolution de ce différent grave dans les meilleurs délais.
La justice prud'homale repose sur le paritarisme. Les organisations représentatives des salariés soutiennent ce texte, tout en regrettant le manque de moyens des conseils de prud'hommes. Les organisations représentatives d'employeurs, outre au principe même de la prise d'acte, s'opposent à la suppression de la phase de conciliation.
Ce débat ne porte pas sur les conseils de prud'hommes et leurs moyens. Cette proposition de loi apporte un aménagement procédural spécifique et bienvenu. Je vous invite à suivre la commission des affaires sociales et à adopter ce texte sans modification. (Applaudissements)
Mme Corinne Bouchoux . - Jean Desessard a beau être irremplaçable, (sourires) il m'a demandé de le suppléer aujourd'hui. Ce sujet ne concerne que 5 % des cas soumis à la justice prud'homale, mais cela fait tout de même beaucoup de monde. Les histoires vécues sont dramatiques, les personnes concernées sont au bord du burn-out, voire du suicide ; la prise d'acte est souvent l'ultime recours. C'est dire si ce texte mérite attention et bienveillance.
Les relations du travail sont devenues stressogènes, pathogènes. La solution envisagée ici aboutit à une forme de coupe-file, les salariés qui ont pris acte passeront devant les autres ; cela nous interpelle...
Ce texte est court, parlant. Monsieur le rapporteur, existe-t-il des statistiques genrées ? Il serait utile de savoir si la prise d'acte concerne plutôt des hommes ou des femmes.
Les prud'hommes sont très embouteillés. Le système paritaire auquel nous sommes attachés doit mieux fonctionner. Cette proposition de loi ne règle en rien ce problème. À Paris, on manque tellement de temps, qu'on envoie aux salariés, qui sont en situation d'impatience et de souffrance, une lettre pour expliquer que les délais sont tels qu'on ne peut leur indiquer une date, fût-elle approximative. Cela n'est pas satisfaisant, il faudrait au moins formuler un délai approximatif, à quelques mois près.
Nous soutenons donc ce texte, même s'il ne résout rien sur le fond. À défaut de solution au problème du chômage de masse, à défaut de réforme structurelle, on se contente de rustines sur des jambes de bois. Les prud'hommes ont cruellement besoin de moyens. Une justice trop lente est injuste. Nous aurions aimé recevoir le même soutien hier soir, sur un autre texte...
M. Jean-François Husson . - Cette proposition de loi modifie le traitement judiciaire de la prise d'acte, dont la définition par la Cour de cassation n'a pas varié depuis 2003. La jurisprudence a distingué différents types de situations qui, faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail, peuvent la justifier : harcèlement, discrimination, manquements à la sécurité, non-paiement du salaire... La prise d'acte est assimilable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou à une démission selon que les griefs sont jugés fondés ou non.
Or, à partir de la date de rupture de la relation conventionnelle, le salarié ne perçoit plus son salaire. Il ne peut prétendre à des indemnités, ou à l'allocation d'aide au retour à l'emploi, puisqu'on considère qu'il a quitté volontairement son emploi. Les délais de jugement sont longs, seize mois en moyenne, souvent plus. Cette proposition de loi les limite au maximum en supprimant la phase de conciliation et en fixant à un mois le délai pour régler le litige. On ne peut laisser le salarié sans ressources pendant trop longtemps.
Nous regrettons toutefois que la phase de conciliation soit remise en cause de façon aussi radicale, c'est l'étape importante, un moment d'information, de dialogue, de recherche de sortie de crise. Le traitement de l'affaire en un mois ne permettra pas un examen approfondi, étant donné la charge des conseils prud'homaux. On peut craindre un détournement de l'objectif de la proposition de loi.
Le rapport Guillaume rappelait la nécessité de réformer les prud'hommes pour réduire les délais de jugement. Ce délai d'un mois ne me paraît pas réaliste. Le nombre annuel de recours devant les prud'hommes dans le cadre de cette procédure est évalué par le rapporteur à 4 000. Quelle est l'estimation du Gouvernement ? Ce nombre n'est pas négligeable, surtout s'il faut se prononcer dans le mois.
Ce texte pourrait instaurer une forme d'inégalité en fonction de la nature de l'acte ayant conduit à la rupture du contrat de travail. Il faudrait des mesures plus ambitieuses pour réduire les délais dans lesquels justice est rendue, ce serait plus respectueux. La proposition de loi ne remédie pas durablement au mal, notre groupe s'abstiendra. Abstention positive ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Muguette Dini . - La prise d'acte est un mode de rupture alternatif du contrat de travail. C'est une construction jurisprudentielle bien établie, qui répond au cas particulier où la poursuite du travail est devenue impossible ou insupportable. Au salarié de réunir les preuves des faits suffisamment graves de la part de l'employeur. Ne diabolisons ni le salarié, ni l'employeur.
Cette proposition de loi risque-t-elle vraiment d'entraîner un allongement des délais de traitement des autres dossiers, et ainsi d'instaurer une rupture d'égalité dans l'accès au droit ? Toujours est-il que l'on ne peut laisser le salarié sans ressources. La procédure proposée est adaptée.
La suppression de la phase de conciliation est justifiée dans la mesure où, quelle que soit l'issue de la conciliation, la rétractation du salarié n'est pas admise. On réduirait en outre un peu l'engorgement du bureau des conciliations.
Mieux vaut avancer par petites touches efficaces, que de rester dans l'inaction dans l'attente d'une réforme générale, dont on ne sait quand elle viendra. Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements)
Mme Isabelle Pasquet . - La prise d'acte, antérieure à la rupture conventionnelle, est une construction jurisprudentielle, qui remonte à un arrêt de la Cour de cassation de 2002. Le salarié tire les conséquences du non-respect des obligations contractuelles de l'employeur pour mettre fin au contrat de travail. Il doit saisir le Conseil des prud'hommes - devant lequel les délais sont particulièrement longs. En attente de ce jugement - qui met souvent très longtemps à intervenir - le salarié est présumé avoir démissionné. Pendant ce laps de temps, l'insécurité financière du salarié peut le mettre en difficulté pour ses démarches.
Cette proposition de loi s'inspire de la procédure pour la requalification des CDD en CDI pour accélérer les délais.
Le groupe CRC votera cette proposition de loi - même si nous doutons que les conseils de prud'hommes puissent réellement statuer en un mois, tout particulièrement en région parisienne. Il faut avant tout renforcer leurs moyens. Nous sommes inquiets du projet gouvernemental de remplacer à terme l'élection des conseillers prud'homaux par leur nomination. Ce serait injuste, inefficace et juridiquement incertain. Les salariés sont attachés à la démocratie sociale qu'incarne la prud'homie. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Jacky Le Menn . - La prise d'acte se définit par rapport à une situation de fait. Le salarié annonce à l'employeur qu'il quitte l'entreprise ; au juge prud'homal de requalifier la rupture du contrat en licenciement sans cause, si les griefs sont considérés comme fondés, ou en démission s'ils ne le sont pas. Il appartient au salarié d'apporter la preuve des faits graves dont il accuse l'employeur : harcèlement, atteinte à la dignité, discrimination, non-fourniture de travail, etc. Découlent du licenciement un certain nombre d'indemnités que l'employeur est tenu de verser au salarié. En cas de démission, le salarié est tenu de reverser les sommes correspondant au préavis qu'il n'a pas effectué. Il ne perçoit bien entendu aucune allocation. Or, en l'attente de la décision des prud'hommes, la situation de demandeur d'emploi non indemnisé peut durer longtemps.
L'intervention du législateur s'impose, tant la situation est dommageable pour le salarié et pour l'employeur, qui doit provisionner les sommes afférentes, sachant qu'en vertu d'un arrêt de la Cour de cassation de 2005, le juge des référés n'a pas le pouvoir de juger du bien-fondé des griefs du salarié. La procédure se déroule en deux phases et cette proposition de loi permet de gagner du temps sur la phase de conciliation. Elle n'a pas pour ambition de régler tous les problèmes liés aux conseils de prud'hommes. Il s'agit seulement de fluidifier une procédure, avec pragmatisme.
Cette proposition de loi, somme toute très modeste, ne concerne en outre que 4 000 salariés par an. Elle apportera un aménagement procédural spécifique bienvenu. Notre groupe la votera sans en proposer de modification. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Anne-Marie Escoffier . - Je salue cette initiative de Thierry Braillard et du groupe RRDP de l'Assemblée nationale. La Cour de cassation a défini les contours de la prise d'acte en juin 2003 : au conseil de prud'hommes de qualifier les griefs reprochés par le salarié à son employeur.
Certains craignent qu'une telle proposition de loi ne conduise des salariés mal intentionnés à utiliser cette procédure de manière abusive. La Cour de cassation a prévenu ce risque en précisant que des faits trop anciens ne pourraient être invoqués. Ces faits doivent en outre être d'une particulière gravité. La conciliation n'a aucun sens dans le cas d'une prise d'acte de rupture, puisque seul le juge au fond peut se prononcer.
Il faudra certes revoir tout le dispositif des prud'hommes. Ce sera l'objet d'un autre travail. Notre groupe votera avec enthousiasme ce texte-ci.
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
L'article unique est adopté.
La séance est suspendue à 19 heures.
présidence de Mme Bariza Khiari, vice-présidente
La séance reprend à 22 heures.