Schéma régional des crématoriums
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Discussion générale
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi . - Les questions de droit funéraire ne suscitent pas toujours un intérêt soutenu. Pourtant, c'est un sujet auquel chaque famille se trouve hélas confrontée un jour.
Ayant été, il y a quelque temps, nommé secrétaire d'État, chargé des collectivités locales, j'ai trouvé sur mon bureau un projet de réforme des pompes funèbres. À force de travail et avec l'appui d'un ami hélas disparu, Pierre Bérégovoy, j'avais fait voter un texte, devenu la loi de janvier 1993, qui a réformé les obsèques de ce pays. Un rapport des trois inspections de l'Intérieur, des Finances et des affaires sociales, avait conclu que notre système était aberrant, avec un monopole faussé qui cohabitait avec une concurrence biaisée. On avait tous les inconvénients du monopole, avec des prix variant de 1 à 5 pour la même prestation effectuée par la même société, selon le territoire où l'on se trouve.
J'ai persévéré avec une seule idée, partagée par Jean-René Lecerf, puisque nous avons fait un rapport d'information ensemble : défendre les familles de ce pays, qui doivent prendre en moins de 24 heures de nombreuses décisions, juridiques, familiales, économiques, alors qu'elles sont éprouvées et fragilisées par un deuil.
La loi de 1993 a mis en place une concurrence claire, plutôt qu'une concurrence très faussée par la réalité d'un monopole. Cette loi a instauré le pluralisme parmi les établissements et redéfini les règles du service public qui doivent s'appliquer aussi bien aux établissements privés, aux régies, aux sociétés d'économie mixte, aux associations.
Il y eut bien d'autres textes ensuite : en 2004, l'un d'entre eux a défini les contrats obsèques car il y avait une confusion entre assurance-vie et contrats obsèques. Il y eu un texte sur l'autopsie judiciaire, qui a pris naissance après que nous avions entendu un Calaisien à qui l'on avait rendu le corps de son épouse dans un état déplorable.
Puis, il y eut un texte de 2005, selon lequel les restes humains, y compris les cendres, devaient être traités avec respect : c'est sur cette base qu'on a pu interdire l'exhibition des cadavres d'origine chinoise dans notre pays. Deux avancées ont été envisagées alors. La première, dès 2008, avait inscrit dans la loi que les sommes versées au titre des contrats obsèques étaient revalorisés au taux légal. Nous pensions que c'était réglé. Mais les assurances veillaient et elles ont fait valoir que notre législation n'était pas conforme aux règles européennes
Cinq ans de travail nous ont amenés à faire inscrire à nouveau cette revalorisation dans la récente loi bancaire afin qu'elle entre dans les faits : toujours dans la même idée de défendre les familles.
Autre débat, depuis 1992, avec les entreprises funéraires : la question des prix. Lorsque l'on est éprouvé, que l'on doit se décider immédiatement, on n'est pas toujours en situation de faire les meilleurs choix. C'est pourquoi je défends depuis 1993 cette conception des devis-modèles : chaque entreprise habilitée sera amenée à donner des prix qu'elle s'engagera à respecter pour un ensemble de prestations. Cela pourra figurer, par exemple, sur le site internet de la mairie. Les professionnels sont toujours quelque peu réticents. Il a fallu revenir à la charge. Nous sommes parvenus, en 2008, à une rédaction qui a été contestée. D'où une nouvelle formulation, tout à fait claire, adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées. L'idée que je défends, congrès après congrès, devant les organisations professionnelles, c'est que tout le monde a intérêt à la transparence.
On nous a rétorqué cent fois que l'obligation de devis existait. Qui lira, le lendemain du décès d'un être cher, une cinquantaine de pages de devis en tout petits caractères ? L'information doit être fournie, en toute transparence, aux familles.
Le texte d'aujourd'hui s'inscrit dans cette histoire. Il s'agit, alors que la crémation s'est beaucoup développée, de prévoir les équipements adaptés. En 1993, les crémations représentaient environ 1 % des obsèques en France. Aujourd'hui, dans les grandes villes, nous en sommes à 50 %.
Il a fallu créer des équipements sous l'autorité de la puissance publique, gérés par la commune ou l'intercommunalité ou confiés, par délégation de service public, à une société spécialisée. Des situations étranges sont survenues : à Roanne, il existe deux crématoriums à quelques kilomètres de distance. Dans quatre départements, la Lozère, le Cantal, le Territoire de Belfort, la Haute-Marne, il n'y en a aucun. Les familles doivent faire un trajet de plus de deux heures. Ce n'est pas respectueux. Des considérations économiques jouent. Quand il y a trop d'offre par rapport à la demande, ce n'est pas sain. Il était sage de prévoir un schéma régional, établi par le préfet, après consultation des conseils régionaux et des autorités compétentes, schémas pour cinq ou six ans, révisables, qui contribueront à maîtriser la situation.
Très fréquemment, les cérémonies ont lieu dans l'enceinte des crématoriums. L'existence d'une salle spécialement aménagée est une nécessité. À Orléans, j'ai conçu un équipement qui comprend une salle omniculte, laïque, qui peut accueillir des cérémonies civiles ou religieuses. Elle n'est pas assez grande. Cette capacité d'accueil augmente bien entendu le coût des crématoriums. Il faudra le prendre en compte.
Il faut aussi veiller aux sites cinéraires à proximité des crématoriums, au sein des cimetières. D'où la question du statut des centres, traitée au regard du respect qui leur est dû. Il faut aussi prendre en compte la question de l'environnement : les crématoriums devront être adaptés à des règles coûteuses pour le filtrage des fumées.
Bref, le droit funéraire progresse, dans le respect des personnes et des familles, ce qui, dans une société humaniste, s'impose. (Applaudissements)
M. Jean-René Lecerf rapporteur de la commission des lois . - On sait l'attention que porte votre commission des lois et son président à la législation funéraire. Notre rapport Sérénité des vivants et respect des défunts a inspiré la loi de 2008. Cette proposition de loi s'inscrit dans le même mouvement. Des problèmes laissés pendants par la loi de 2008 relèvent du domaine réglementaire et certains encourent des risques d'inconstitutionnalité.
La crémation progresse depuis 1980 : elle concernait 1 % des obsèques en 1980, on en était à 32,15 % en 2012. Il convient donc d'adapter l'offre aux besoins. La loi de 2008 a considéré les cendres comme des restes humains exigeant respect et décence ; elle a arrêté leur destination juridique et mis fin à l'appropriation privative des urnes, certaines situations inacceptables, et encadré la création des crématoriums et des sites cinéraires. Ils sont propriété de la puissance publique, commune ou EPCI. Toute création ou extension d'un crématorium est soumise à autorisation du préfet, après enquête publique.
Pourquoi mieux réguler aujourd'hui l'implantation des crématoriums ? Dès 2008, je relevais de nombreuses lacunes. Quatre départements métropolitains étaient dépourvus de crématoriums et deux outre-mer. Certains choix d'implantation étaient déraisonnables, comme à Roanne. La couverture a progressé mais demeurent des lacunes et des problèmes d'implantation concurrentes, en Moselle, en Isère, en Seine-et-Marne. La DGCL ne semble pas disposer d'une carte des implantations, alors que le législateur a confié au préfet le soin de délivrer des autorisations. Une certaine anarchie subsiste aux conséquences redoutables, tant pour la puissance publique que pour nos concitoyens.
La pratique de la crémation s'est intégrée au rituel du deuil. Le souci de rentabilité privilégie, comme le relève le président Sueur dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, des choix qui pèsent, en définitive, sur les collectivités locales. Les gestionnaires sont tenus de mettre aux normes avant 2018 leurs dispositifs de filtrage des fumées toxiques, ce qui aura un coût significatif. Il fallait un nouveau modèle de régulation pour adapter l'offre aux besoins.
Cette proposition de loi renoue avec l'inspiration initiale de la législation de 2008 : un schéma régional des crématoriums avait été adopté par le Sénat unanime en première lecture, puis supprimé par l'Assemblée nationale conformément au souhait du Gouvernement.
Elle compte trois articles. Le premier définit l'objet et la procédure d'élaboration du schéma. Votre commission des lois a précisé qu'il fallait tenir compte des équipements funéraires existants. Ce schéma serait élaboré par le préfet de région, en collaboration avec les préfets de département. Les organes délibérants des 52 EPCI qui ont cette compétence seraient consultés. Votre commission des lois a ajouté la consultation des communes de plus de 2 000 habitants, ainsi que celle du Conseil national des opérations funéraires (CNOF). Il reviendra ensuite au préfet de région d'arrêter le schéma, qui pourra être révisé tous les six ans. Le premier schéma fera l'objet d'une révision à plus brève échéance.
L'article 2 exige une compatibilité entre la création d'un crématorium et le schéma régional. L'article 3 organise la mise en oeuvre du dispositif. La commission des lois a adopté cette proposition de loi à l'unanimité. (Applaudissements)
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale . - Le sujet de notre débat n'est pas ordinaire. Il touche à l'intime, à la douleur, à l'émotion, aux croyances de chacun. La mort, même sur le plan juridique et législatif, n'échappe pas à sa dimension philosophique. D'où un équilibre difficile à trouver. Je salue le travail approfondi de l'auteur de cette proposition de loi et du rapporteur de votre commission des lois. C'est avec beaucoup d'humanisme qu'ils ont travaillé sur ce texte, comme ils le font sur les questions pénales et pénitentiaires.
Lors de la discussion de la loi du 19 décembre 2008, vous aviez, monsieur le président Sueur, déposé un amendement créant un schéma régional des crématoriums ; le Sénat l'avait adopté à l'unanimité mais il avait été supprimé par l'Assemblée nationale. Cette proposition de loi le reprend.
Seules les communes et les EPCI sont compétents pour créer des crématoriums. La compétence est automatiquement transférée aux communautés urbaines. Elle peut être exercée directement ou par délégation de service public. Les communes et les EPCI doivent recevoir une autorisation préfectorale pour l'exercer.
Les problématiques funéraires ont beaucoup évolué : longtemps marginale, voire controversée, la crémation est aujourd'hui une pratique courante : de 0,75 % en 1975, nous sommes passés à 30 % en France, 40 % à Paris et même 50 % dans certaines grandes agglomérations. Mais la France ne compte que 141 crématoriums soit un pour 468 000 habitants, soit moins, proportionnellement au nombre d'habitants, que l'Espagne ou le Royaume-Uni. Leur implantation géographique ne correspond pas aux besoins. Le Gouvernement partage votre constat d'une nécessaire rationalisation.
Pour autant, votre proposition de loi soulève des interrogations. Des créations ou extensions incompatibles avec le schéma régional pourraient être refusées par le préfet. Or le président de la République a fait du « choc de simplification » une priorité du quinquennat, que le gouvernement de Manuel Valls, après celui de Jean-Marc Ayrault, met en oeuvre. Votre dispositif va à l'encontre de l'allégement des normes imposées aux collectivités locales qu'implique ce choc de simplification.
Le code général des collectivités territoriales indique que les communes et les EPCI sont seuls compétents : pourquoi prévoir une consultation du conseil régional ?
Conscient que la coexistence rapprochée de plusieurs crématoriums crée une concurrence absurde, que les locaux annexes ne satisfont pas les demandes des familles, que le développement des crématoriums doit être coordonné et global, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de votre Haute Assemblée. (Applaudissements)
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition des lois. - Très bien !
M. Bernard Saugey . - Merci à Mme Cukierman d'avoir accepté d'échanger nos prises de parole.
Je salue la persévérance du président Sueur depuis 2006. Le gouvernement d'alors était favorable à un schéma régional des crématoriums à condition qu'il y ait un débat public. Pour autant, celui-ci n'a pas vu le jour. Vous avez persévéré et je fus le rapporteur de certains textes...
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi. - Nous nous en souvenons.
M. Bernard Saugey. - Il s'agit ici de satisfaire un besoin grandissant et de sauvegarder l'équilibre économique de ces équipements. Le nombre de crémations, vous l'avez dit, est passé, en 30 ans, de 1 % à 32 % des obsèques, et 51 % des Français souhaiteraient se faire incinérer. Nous devons repenser les funérailles et tel est l'objectif de ce texte.
Ce sont les communes qui ont la lourde charge de construire, entretenir et gérer les crématoriums. Mission difficile à assumer pour les petites communes, qui les délèguent à des entreprises privées. Les prix varient de 400 euros d'un établissement à l'autre. La répartition des crématoriums est inégale. Certains établissements sont surchargés, d'où l'allongement du temps d'attente, difficilement supportable pour les familles.
Le Sénat a un rôle de rééquilibrage à jouer, alors que tous les territoires ne disposent pas d'un tel équipement, investissement parfois disproportionné à l'heure où baissent les dotations budgétaires. Le schéma régional permettra aux communes de mutualiser leurs moyens.
Certains établissements sont tout juste rentables, quand d'autres arrivent à saturation. Quel échelon territorial est à même de répondre au problème ? L'initiative doit rester aux communes et EPCI, qui maintiennent le lien de proximité avec les familles. Il faut cependant raisonner à long terme. Le schéma régional est une piste intéressante.
Nous suivons la proposition du rapporteur d'intégrer les communes à la consultation préalable et à l'élaboration du schéma par le préfet de région. Il est important d'associer également le CNOF. Ni la proposition de loi initiale ni le texte de la commission n'ont prévu une évaluation des besoins futurs.
Nous avons là l'occasion d'optimiser un service public de qualité sur l'ensemble du territoire et de réduire les inégalités territoriales et financières. C'est pourquoi je voterai avec mon groupe ce texte d'avenir. (Applaudissements)
M. Jean-Yves Leconte . - La loi de décembre 2008 a encadré la crémation, pratique en pleine croissance : 30 % des obsèques, on l'a dit. Cette proposition de loi permet une planification cohérente de l'implantation des crématoriums. L'auteur de la proposition de loi et le rapporteur ont rappelé combien il convient de la réguler.
Le schéma régional des crématoriums assurera une couverture coordonnée du territoire ? En commission, le rapporteur a proposé des amendements utiles. À l'initiative de M. Vandierendonck, le groupe socialiste a déposé deux amendements : le premier intègre la dimension transfrontalière ; le deuxième assouplit et simplifie les contraintes pesant sur les transports de corps entre pays frontaliers.
Le transport international de dépouilles mortelles est réglementé par deux instruments internationaux : la Convention de Berlin de 1937 et celle de Strasbourg de 1970. La législation française interdit le transfert d'un défunt dans un autre cercueil avant un délai de cinq ans, après la mise en bière, or on ne peut pas pratiquer une crémation avec un cercueil scellé.
Un problème se pose avec la Wallonie où existe une taxe sur le transport des corps.
Mme Nathalie Goulet. - Cela fait la moyenne avec l'évasion fiscale ! (Sourires)
M. Jean-Yves Leconte. - Les intercommunalités de Tournai, Courtrai et Lille Métropole ont réalisé une étude juridique conjointe qui a débouché sur un projet de convention bilatérale. Le problème vient du fait qu'un certain nombre de personnes âgées sont accueillies en maison de repos de l'autre côté de la frontière. Il se pose aussi à propos de l'hôpital espagnol transfrontalier de Cerdagne, ainsi que dans les Ardennes, en Moselle, en Meurthe-et-Moselle.
Je salue les travaux de longue date de MM. Sueur et Lecerf. Restant vigilant sur le sort de ses amendements, le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements)
M. Robert Tropeano . - L'organisation des obsèques est un temps d'urgence et d'obligations à remplir dans une période douloureuse. Les délais sont brefs. Contrairement aux pays du nord ou de tradition protestante, le développement de la crémation en France a été lent, d'où des temps d'attente et des coûts importants dans certaines régions. À titre d'exemple, l'absence de crématorium en Lozère oblige les cortèges à se rendre en Aveyron ; ce n'est ni rationnel, ni acceptable. D'où l'amendement déposé à l'initiative de M. Bertrand.
La crémation n'est plus une pratique exceptionnelle : 0,9 % des obsèques en 1980, 30 % en 2010. Le décret du 27 avril 1889 l'encadre. Le premier crématorium a vu le jour au Père Lachaise ; Rouen s'en est doté en 1889, Lyon en 1914, Béziers en 1998. En parallèle, on comptait neuf crématoriums en 1980, 120 en 2006. Une trentaine sont en cours d'étude ou de réalisation.
La loi de 2008 oblige les communes à disposer d'un site cinéraire. Cette proposition de loi prévoit la création d'un schéma régional des crématoriums, pour assurer une meilleure répartition territoriale, avec une consultation des conseils régionaux, des EPCI compétents, des communes de plus de 2 000 habitants. Le schéma sera défini après avis du CNOF, révisé tous les six ans ; il tiendra compte des contraintes environnementales ; les crématoriums ont jusqu'à 2018 pour s'équiper de filtres pour limiter les pollutions.
Cette proposition de loi est bienvenue. Il faudra cependant s'assurer du respect de la liberté du commerce. La jurisprudence de la CJCE garantit la mise en concurrence. Le schéma régional ne constitue-t-il pas une entrave au principe de libre installation ? Il y a d'une part la neutralité au service de tous, de l'autre, la préoccupation d'éviter les rentes de situation. Enfin, comment financer la construction d'un crématorium ? Il faudra compter sur la sagacité des acteurs, à commencer par le préfet de région. L'avenir nous dira si nous avions raison de voter ce texte. J'abrège, car parler de la mort raccourcit la vie... Le groupe RDSE voter ce texte. (Applaudissements)
Mme Esther Benbassa . - L'étude de certaines pratiques, rites et usages, révèle l'évolution et les constantes des sociétés. En France, depuis un quart de siècle, la crémation augmente dans les pratiques funéraires - une révolution anthropologique ? Sera-t-elle bientôt une nouvelle norme ? Autorisée depuis 1889, cette pratique s'est répandue avec la levée de l'interdit de l'Église en 1963, mais surtout avec la baisse du nombre de pratiquants. L'Islam et le judaïsme interdisent la crémation. En Italie, où la tradition catholique est plus ancrée, le taux de crémation n'est que de 8,5 %. L'effritement des pratiques religieuses en France favorise donc l'essor de cette pratique. Reste que 80 % des cérémonies, notait le Crédoc dans un récent rapport, se tiennent dans un lieu de culte : la ritualisation ne disparaît pas, elle est libérée des contingences communautaires et sociales traditionnelles.
La répartition des équipements sur le territoire ne correspond pas aux besoins : il faut la rationnaliser. Le schéma régional que propose cette proposition de loi ferait l'objet d'une révision tous les cinq ans. Je me félicite de l'adoption d'un amendement prenant en compte les exigences environnementales liées à la pollution émise par les crématoriums. Le groupe écologiste votera ce texte, qui nous met en phase avec les évolutions de la société. (Applaudissements)
M. Yves Détraigne . - Ce texte offre un dispositif mieux adapté en matière de crémation. MM. Sueur et Lecerf avaient déjà fait avancer la législation. Depuis la loi de 2008, les communes de plus de 2 000 habitants sont obligées de créer un site cinéraire. Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité de ces travaux. La France dispose de moins de deux crématoriums par département en moyenne, alors que le recours à la crémation augmente. L'Aquitaine dispose de deux fois plus de crématoriums que Midi-Pyrénées ; certains départements en sont totalement dépourvus. Un schéma régional assurerait des coûts moins élevés pour les familles et les professionnels.
Sur le fond, on ne peut qu'être en accord avec ce texte. Mais je m'interroge sur ses conséquences. Quand leurs dotations accusent une baisse drastique, les collectivités territoriales pourront-elles assumer un tel service ? Sans compter qu'elles sont exposées à un risque financier non négligeable, la rentabilité des crématoriums n'étant pas toujours assurée.
Je salue la prise en compte de la dimension environnementale ; tous les crématoriums devront être pourvus d'un filtre anti-pollution d'ici 2018. Cela représente un coût pour les communes et sans doute, in fine, pour les familles.
La révision tous les six ans, et non tous les cinq ans, me convient - on aurait pu prévoir un temps plus long encore.
Le législateur a vocation à adapter la loi aux évolutions de la société. Le groupe centriste votera ce texte, qui va dans le bon sens et apportera une réponse concrète aux familles endeuillées. (Applaudissements)
Mme Cécile Cukierman . - Le choix de la crémation s'est fortement développé ; chaque citoyen doit avoir accès à ce service, où qu'il vive. Il importe d'en créer les conditions.
En 2008, l'idée d'un schéma avait été abandonnée au profit du maintien du système en vigueur. Cependant, la difficulté à trouver un équipement dans certains territoires persiste : certains départements ne comptent aucun crématorium. S'ensuivent des temps d'attente trop longs, des déplacements coûteux.
Dans la Loire, dont je suis élue, la crémation représente 40 % des obsèques, un chiffre supérieur à la moyenne nationale. Or, le département compte seulement trois crématoriums, un à Saint-Étienne et deux autour de Roanne, un public et un privé. Dans le centre du département, en revanche, rien.
L'élaboration d'un schéma régional peut donc se révéler intéressante. Oui aux normes environnementales mais les crématoriums de Roanne devront débourser 500 000 euros pour se mettre à niveau. Se pose la question du maintien des deux équipements...
Ces difficultés de financement existent dans nombre de collectivités - je n'ouvrirai pas le débat sur les finances des collectivités locales, nous en reparlerons ! La proposition de loi n'imposant pas expressément l'ouverture de crématorium, on peut s'interroger : le schéma n'est pas prescriptif. Peut-être supprimera-t-on un crématorium dans le nord de la Loire mais cela ne fera pas qu'on en ouvre un en Lozère... Saisir le conseil régional aura du moins un effet incitatif.
Ce texte contribuera à une meilleure prise en compte de l'évolution des traditions funéraires dans notre pays : nous le voterons. (Applaudissements)
M. André Vallini, secrétaire d'État . - J'entends bien : encore un schéma... Il faut donc trouver la voie étroite entre la nécessité d'aménager les territoires et le souci de ne pas alourdir la gestion des collectivités locales par trop de normes. Deuxième point, la question des finances locales et du financement : nous en reparlerons bientôt, en effet ; en attendant, la proposition de loi n'impose pas aux communes et aux EPCI de créer un crématorium.
Le Gouvernement s'en est remis à la sagesse de la Haute assemblée : je constate qu'elle sera largement partagée sur tous les bancs.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
L'amendement n°1 n'est pas défendu.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Nous comprenons la préoccupation de M. Bertrand : il souhaite au moins un crématorium par département. La Lozère est effet l'un des quatre départements dépourvus de site cinéraire. Les familles sont obligées de se rendre dans un département voisin, ce qui est coûteux et psychologiquement difficile.
Si je ne doute pas que le préfet et le conseil régional seront attentifs à la légitime préoccupation de M. Bertrand, la proposition de loi n'impose pas la création d'un crématorium ; il faut qu'une commune en décide ou fasse appel à une délégation de service public.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Vandierendonck et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'évaluation des besoins de la population tient compte, le cas échéant, de ceux des populations immédiatement limitrophes sur le territoire national ou à l'étranger.
M. Jean-Pierre Sueur. - Le schéma régional des crématoriums doit prendre en compte la dimension transfrontalière des besoins dans les régions concernées. M. Vandierendonck pensait particulièrement à la Belgique, mais cela vaut pour toutes les zones transfrontalières.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. - L'amendement a été rectifié, comme je le demandais, pour viser toutes les situations de territoires limitrophes. Dès lors, avis favorable.
M. André Vallini, secrétaire d'État. - Il sera difficile pour le préfet de région de déterminer précisément les populations concernées... Sagesse.
Mme Nathalie Goulet. - Je trouve cet amendement très réjouissant (exclamations) sur un sujet aussi grave... La coopération transfrontalière progresse plus vite sur ces sujets que dans le domaine économique : c'est un bon signal !
L'amendement n°3 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Tropeano.
Alinéa 3
Après les mots :
en collaboration avec
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
les représentants de l'État dans les départements qui la composent.
M. Robert Tropeano. - Amendement rédactionnel.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. - Favorable.
M. André Vallini, secrétaire d'État. - Même avis.
L'amendement n°2 est adopté.
L'article premier, modifié, est adopté.
ARTICLE ADDITIONNEL
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Vandierendonck et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Lorsque le corps d'une personne décédée dans un pays frontalier doit être rapatrié dans une commune française située dans un rayon maximum de cinquante kilomètres du lieu de fermeture du cercueil, son transport s'effectue dans un cercueil répondant aux normes en vigueur dans le pays de mise en bière. Le permis d'inhumer ou de crématiser, délivré par l'autorité compétente en France, tient lieu de laisser passer.
Un décret précise les conditions d'application du présent article.
M. Jean-Yves Leconte. - Il a été défendu dans la discussion générale. C'est un amendement d'appel. Nous souhaiterions des conventions bilatérales, notamment avec la Belgique.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. - Cet amendement vise à répondre à une situation douloureuse et incompréhensible pour les familles. En effet, les cercueils scellés utilisés pour le transfert transfrontalier contenant des éléments métalliques interdisent la crémation en France. Il faut alors transférer le corps dans un autre cercueil, ce qui est pratiquement impossible. On ne peut toutefois imposer à des pays étrangers de respecter les normes françaises. Je suggère de retirer cet amendement au profit des explications que le ministre voudra bien donner.
M. André Vallini, secrétaire d'État. - Deux textes régissent le transport transfrontalier des corps : l'arrangement de Berlin de 1937 et l'accord de Strasbourg de 1973. Le Gouvernement, conscient du problème, travaille depuis plusieurs mois à des accords bilatéraux avec l'Espagne et la Belgique, qui pourraient servir de base pour des conventions avec d'autres pays limitrophes. Le premier accord traitera particulièrement de l'hôpital de Cerdagne. Le ministère des affaires étrangères a indiqué que le volet transport de corps n'interviendra que dans un second temps, compte tenu de la situation tendue entre Madrid et Barcelone. Pour ce qui est de la Belgique, le projet de convention avec le royaume et les trois entités fédérales est en cours de finalisation.
Le Gouvernement regrette de ne pouvoir donner un avis favorable à cet amendement mais les conventions internationales priment sur le droit interne. Retrait ?
M. Jean-Yves Leconte. - Je prends note de l'avancée des travaux du Gouvernement.
L'amendement n°4 est retiré.
L'article 2 est adopté.
ARTICLE 3
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission.
Seconde phrase
Supprimer les mots :
créé par la présente loi
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. - Rédactionnel.
M. André Vallini, secrétaire d'État. - Favorable.
L'amendement n°5 est adopté.
L'article 3, modifié, est adopté.
L'ensemble de la proposition de loi, modifiée, est adoptée.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Il arrive fréquemment que ces sujets suscitent un large assentiment : ainsi de la loi de 2008 et de la proposition de loi Badinter sur le rôle du juge français à la Cour pénale internationale. C'est également le cas de la proposition de loi sur les sondages, adoptée à une large majorité au Sénat et toujours en attente à l'Assemblée nationale. Espérons qu'elle sera adoptée définitivement par les députés avant la fin de la session extraordinaire.
Je remercie très chaleureusement notre rapporteur ainsi que l'ensemble des collègues qui ont participé à ce débat.