Développement et solidarité internationale (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.
Discussion générale
Mme Annick Girardin, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargée du développement et de la francophonie . - Pour la première fois de la Ve République, le Parlement débat d'un projet de loi relatif au développement international. Il était grand temps, dans ce domaine qui contribue au rayonnement de la France, de fixer un cadre d'action cohérent, transparent et partagé. Ce projet de loi, porté initialement par Pascal Canfin, dont je salue l'action, est des plus utiles au lendemain d'élections qui ont secoué la France et alors que certains, invoquant la crise, estiment la solidarité internationale superflue.
En 2012, le président de la République s'est engagé à rénover notre politique d'aide au développement, pour promouvoir un développement durable et solidaire, pour contribuer à l'édification d'un monde plus humain. La qualité du travail réalisé en commission, depuis plusieurs années déjà, prouve l'intérêt que vous portez à la question. La Cour des comptes vous a donné raison et plaidait pour une loi comme celle que je vous présente aujourd'hui. La loi de finances ne donne pas une vision d'ensemble de notre politique de développement et ne rend pas compte de ses évolutions.
Ces dernières années ont vu se multiplier les acteurs du développement. C'est une chance car cela nous apporte la diversité des savoirs et des expertises, et la mise en commun des moyens de chacun. Mais cela exige de la coordination, des échanges. Ainsi ce projet de loi, élaboré dans la plus grande concertation, a-t-il été précédé des Assises du développement et de la solidarité internationale, qui se sont tenues de novembre 2012 à mars 2013. Quinze tables rondes ont réuni des ONG du Nord et du Sud, des entreprises privées, des syndicats, des élus, des universitaires.
Il revient cependant au Parlement de trancher. La concertation indispensable est là pour éclairer la représentation nationale ; elle doit être institutionnalisée. Le Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) en sera désormais le cadre. Il s'est réuni pour la première fois jeudi dernier, et les échanges furent fructueux.
Encore faut-il que les acteurs non étatiques soient reconnus. Je salue à cet égard les avancées réalisées en commission. Le projet de loi reconnaît « l'action extérieure des collectivités territoriales », expression plus large que celle de « coopération décentralisée ». Une commission nationale de la coopération décentralisée sera créée. Un amendement de votre commission propose que les collectivités y consacrent 1 % de la taxe ordures ménagères ; c'est une avancée conséquente.
M. Michel Delebarre. - Très bien !
Mme Annick Girardin, secrétaire d'État. - Les collectivités d'outre-mer ne sont pas toujours consultées sur les projets de coopération menés dans les pays voisins, qui peuvent avoir sur elles des effets négatifs : grâce à plusieurs amendements, auxquels le Gouvernement apportera son soutien, ce ne sera plus le cas.
De nombreuses politiques publiques ont un impact sur le développement. Il faut plus de cohérence, ce dont le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) sera chargé. C'est l'objet des articles 3, 3 bis et 3 ter. Rien ne sert de verser des millions aux agriculteurs africains si la PAC freine leurs exportations.
Ce projet de loi rationalise le dispositif, rapproche ou fusionne les instances de pilotage et d'expertise. La réforme d'envergure voulue par votre commission valorisera notre savoir-faire.
Autre objectif majeur : la transparence. Nos concitoyens doivent savoir comment l'argent public est utilisé. (Mme Nathalie Goulet approuve) Le Parlement sera régulièrement informé, et une batterie de trente indicateurs créée, que nous devons prendre le temps de tester avant toute modification.
Le projet de loi prévoit aussi une évaluation plus indépendante de notre politique de développement. L'amendement adopté par la commission est audacieux...
Mme Nathalie Goulet. - Légitime !
Mme Annick Girardin, secrétaire d'État. - Le Gouvernement souscrit à l'objectif mais souhaite poursuivre le dialogue.
L'information du public, français et étranger, est tout autant nécessaire. Prenons exemple sur le site Internet mis en place pour le Mali, qui retrace les projets en cours et en autorise le suivi par la société civile. L'efficacité des actions en sera renforcée, comme leur appropriation par les Maliens. D'ici quelques mois, nous mettrons à la disposition du public des informations détaillées et actualisées relatives aux seize pays prioritaires.
Dans le domaine des industries extractives, le Gouvernement s'est engagé à faire régner la transparence.
L'article premier du projet de loi réaffirme l'objectif de développement durable, seul apte à éradiquer la pauvreté. Je ne reviendrai pas en détail sur les objectifs fixés par le projet de loi, mais j'insisterai sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) : la reconnaissance des entreprises va de pair avec celle de leur responsabilité. Celles-ci ne contribuent pas toujours au progrès social des pays où elles sont implantées, comme nous l'a rappelé la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh. Les entreprises françaises seront encouragées à mettre en oeuvre les principes directeurs de l'OCDE.
Autre sujet essentiel : la préservation de l'environnement et des biens publics mondiaux. Il y va de notre responsabilité à l'égard des générations futures. Le dérèglement climatique est l'une des plus grandes menaces pour le développement des pays les plus vulnérables. Le Gouvernement est mobilisé pour que la Conférence de Paris, en 2015, aboutisse à un accord ambitieux.
La promotion des droits de l'homme et des libertés individuelles reste notre priorité. La politique de développement contribue à la promotion de la démocratie, à la consolidation de l'État de droit et à l'égalité entre les sexes. C'est la condition de l'accès de tous aux biens publics.
La jeunesse est la priorité du président de la République. Or le court terme nous fait parfois oublier les fondamentaux. Je ne pense pas seulement à l'éducation de base, mais aussi à l'enseignement professionnel, à l'éducation à la citoyenneté, à la sensibilisation aux droits des femmes, à l'environnement, à l'hygiène. Je parle d'expérience... Les Anglo-Saxons ne s'y trompent pas : ils investissent massivement dans l'éducation. D'ores et déjà, 60 % de la population de l'Afrique francophone a moins de 30 ans ; en 2050, on comptera dans le monde 800 millions de locuteurs du français. L'enjeu est majeur pour notre langue, pour nos valeurs, pour notre pays.
Le recul global de la grande pauvreté dans le monde, grâce à l'émergence de certains pays comme la Chine et l'Inde, ne doit pas masquer les disparités entre pays ou internes à ceux-ci, ni le fait que 1,2 milliard d'hommes et de femmes vivent toujours dans l'extrême pauvreté, avec moins de 1,25 dollar par jour ; une personne sur huit est chroniquement sous-alimentée. C'est pourquoi 85 % de notre effort financier sera désormais consacré à l'Afrique subsaharienne et à la rive sud-est de la Méditerranée. 50 % des subventions de l'État et les deux tiers de celles de l'Agence française de développement (AFD) iront aux seize pays pauvres prioritaires.
La France doit être aux côtés des pays en crise, comme le Mali, y compris après les conflits, dans les phases de reconstruction et de développement.
Mais nous ne pouvons pas agir seuls. C'est pourquoi ce projet de loi autorise l'AFD à participer à des fonds multibailleurs. Notre intervention dans les pays intermédiaires se concentrera sur la conservation des biens publics mondiaux, un meilleur partage des richesses, la lutte contre la corruption. Celle dans les pays émergents, qui suscite des interrogations légitimes, se fera à coût nul pour l'État, dans le cadre de partenariats. L'expertise technique française y sera promue.
Ces mesures ne sont pas sans incidence financière. Soyons prudents sur les indicateurs, comme celui de l'OCDE, trop partiel. La France n'a pas à rougir de son action.
Le projet de loi est une loi de programmation au sens du vingtième alinéa de l'article 34 de la Constitution. L'assemblée générale du Conseil d'État a estimé que les lois d'orientation et de programmation n'étaient pas tenues de comporter des éléments de programmation budgétaire. Il est logique que les orientations et lignes programmatiques s'appuient chaque année sur les moyens inscrits en loi de finances.
Ce projet de loi mentionne cependant l'objectif de consacrer 0,7 % du Revenu national brut (RNB) à la politique d'aide au développement. Comme l'a dit le président de la République, la France reprendra une trajectoire ascendante dès que la situation économique le permettra. Nous entendons aussi encourager d'autres sources de financement, notamment privées, celles des entreprises dans le cadre de leur RSE, ou les transferts d'argent des diasporas : merci à la commission de les avoir encadrés et facilités.
Les premiers financeurs doivent être les pays concernés. Or on estime que les flux financiers sortant de ces pays sont dix fois supérieurs à l'aide au développement : d'où notre engagement pour la transparence financière internationale.
Au-delà des chiffres, ce qui importe, c'est de venir en aide aux populations. La France reste déterminée à promouvoir un développement économique plus durable et un développement humain plus harmonieux. Notre modèle social est fondé sur la solidarité ; or, comme le disait Léon Bourgeois, la loi de la solidarité est universelle : la dette de l'homme envers les autres hommes n'a pas de frontières. La crise est là, mais il ne faut pas céder aux sirènes populistes ni à la tentation du repli sur soi. C'est le message de Manuel Valls comme c'était celui de Jean-Marc Ayrault. Les Français restent très majoritairement favorables à l'aide au développement qui doit être efficace et transparente. C'est l'ambition de ce texte, l'ambition du Gouvernement, mon ambition.
Cette loi est la première étape de la refondation de notre politique de solidarité internationale. C'est une loi pour les Français. Elle est de celles qui contribuent à la grandeur de la République. (Applaudissements)
M. Jean-Claude Peyronnet, co-rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Ce projet de loi est d'abord le résultat d'une exigence démocratique : le Parlement doit pouvoir débattre d'une politique qui représente 10 milliards d'euros par an. Nos débats, publics, sont l'aboutissement d'une concertation exemplaire menée entre novembre 2012 et mars 2013 par le Gouvernement.
Ce texte traduit la nécessité de s'adapter à un monde en mutation. En 2013, l'ONU a dressé un bilan encourageant de l'avancée des objectifs du millénaire : recul de l'extrême pauvreté, meilleur accès à l'eau potable, décollage de l'Afrique - inégal cependant sur le continent : la pauvreté recule, le nombre de pauvres augmente... On sait que certaines situations peuvent dégénérer.
La dernière décennie a aussi vu l'apparition des « très grands émergents », qui mènent eux-mêmes, désormais, une politique de développement dans les pays les plus pauvres : la Chine y a consacré 2,8 milliards de dollars en 2011 et l'Arabie saoudite 5 milliards, les Émirats arabes unis la même somme en 2013. Les acteurs, enfin, se multiplient, qu'ils soient publics ou privés, dont les modalités d'intervention diffèrent des critères de l'OCDE.
Mme la ministre a été exhaustive. Aussi me concentrerai-je sur les lacunes que M. Cambon et moi-même avons relevées, et sur les apports de la commission.
Le projet de loi prévoit de concentrer l'aide dans certains pays ; les objectifs en la matière ne sont pas vraiment nouveaux ; surtout, le texte n'évoque pas les équilibres financiers entre les différents instruments. Subventionner ou prêter, ce n'est pas la même chose. À quoi sert-il d'afficher que les subventions seront concentrées dans les pays prioritaires, alors que leur montant global n'atteint que 600 millions d'euros ? L'Aide publique au développement (APD) représente 9,4 milliards d'euros ; seuls 2,7 % sont consacrés aux pays prioritaires... Nous avons souvent souligné le décalage entre les discours volontaristes et les moyens effectivement déployés... Nous avons également relevé que les choix de la France via l'aide multilatérale étaient peu lisibles.
La commission a voulu mettre en avant la complémentarité de tous les acteurs, notamment les collectivités territoriales. Elle a étendu la loi Oudin-Santini aux déchets ménagers.
M. Michel Delebarre. - Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet, co-rapporteur. - Les pays pauvres voient proliférer les déchets, au préjudice des populations et de l'environnement. Or nos collectivités ont un vrai savoir-faire en la matière.
Quant à l'expertise, le rapport de Jacques Berthou de novembre 2012 a montré quelles en sont les incidences économiques et en termes d'influence. Or les structures sont éparpillées... Les gouvernements successifs sont conscients du problème, mais rien ne se passe... Les ministères se livrent des guerres picrocholines... Nous avons donc prévu de fusionner les six organismes en un seul, qui agira comme une holding, les départements thématiques conservant une large autonomie.
Nous avons aussi voulu renforcer le caractère normatif de ce projet de loi dans un souci d'efficacité et de pragmatisme. (Applaudissements)
M. Christian Cambon, co-rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Je rends hommage à mon co-rapporteur M. Peyronnet et au président Carrère qui, par sa recherche patiente du consensus entre majorité et opposition, donne l'exemple de ce qui pourrait être fait en bien des domaines...
Notre principale critique portait sur l'absence de toute programmation budgétaire dans le projet de loi. Certes, l'Assemblée nationale a obtenu l'insertion dans le rapport annexé du rappel de l'objectif de consacrer 0,7 % du RNB à l'aide publique au développement. Certes, le contexte budgétaire rend toute programmation incertaine ; mais le Gouvernement l'a bien fait pour la défense - on n'ose imaginer qu'il puisse y revenir... Nous regrettons aussi l'absence de réflexion sur l'équilibre aide bilatérale/aide multilatérale ainsi qu'entre les différents instruments financiers.
L'éparpillement du pilotage est un défaut récurrent de notre politique de développement ; la Cour des comptes a relevé le caractère singulier de la France par rapport à d'autres donateurs. La double tutelle historique de Bercy et du ministère des affaires étrangères, conjuguée à d'autres facteurs, contribue à rendre notre organisation peu efficace. Avec un opérateur autonome puissant mais hybride, une difficulté pour l'État à être à la fois stratège et opérateur, et l'éparpillement des acteurs français sur le terrain, la Cour des comptes relevait que les coûts de gestion sont en France plus élevés qu'ailleurs. Le Cicid, que le projet de loi réactive, ne saurait tenir lieu de pilote. Il eût mieux valu renforcer son secrétariat. Nous militons pour un changement profond des pratiques et de l'organisation administrative dans ce domaine.
Sur l'évaluation, le projet de loi était bien timide. Nous avons prévu de fusionner les trois services d'évaluation existants, et de les détacher des donneurs d'ordres, pour plus d'efficacité et de rigueur.
Il n'est pas moins indispensable de coordonner l'action des bailleurs internationaux. La commission a renforcé le caractère normatif de la loi en autorisant, à l'initiative du Gouvernement, l'AFD à gérer des fonds multibailleurs. En outre, la France ne doit pas s'interdire de verser des aides à des fonds gérés par d'autres opérateurs - c'est l'objet d'un de nos amendements. Enfin, la commission propose que les banques des pays en développement puissent commercialiser en France, à des conditions prudentielles strictes, des produits financiers destinés à financer des projets d'investissement ; il s'agit de faciliter les transferts d'argent des migrants au service du développement.
Un mot enfin sur l'accès à l'eau et l'assainissement, qui reste l'un des principaux défis actuels : il faut faire preuve de volontarisme en la matière. L'approche doit être globale, articulée avec les actions dans d'autres secteurs, concerner la gestion quantitative et qualitative de la ressource comme la prévention des risques ou la gouvernance.
Ce texte était attendu, il déçoit. Son message se dilue dans un certain verbiage, il ressemble bien trop à un catalogue de bonnes intentions et de pétitions de principe (Mme Nathalie Goulet approuve) qui ne répond guère à l'objectif constitutionnel de clarté et d'intelligibilité de la loi. Vous n'en êtes pas responsable, madame la ministre... Selon l'article 10, la validité de la loi est de cinq ans ; mais le sommet de septembre 2015 définira de nouveaux objectifs de développement... En outre, nous sommes saisis parallèlement du contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence française de développement : c'est anticiper sur le résultat de nos débats et sur le vote du Parlement.
La commission des affaires étrangères, saluant malgré tout l'effort que représente ce projet de loi, l'a adopté à l'unanimité. (Applaudissements)
M. Ronan Dantec, rapporteur pour avis de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire . - C'est la première fois que le Parlement a l'occasion de se prononcer sur les objectifs de notre politique de développement, terme qui remplace désormais celui de coopération. Le temps de la Françafrique est bien révolu, et je salue l'action de M. Canfin comme celle de Mme Girardin.
Cette politique relève de Bercy, du Quai d'Orsay et de l'AFD, avec pour résultat un manque de pilotage manifeste, le saupoudrage et l'absence de coordination. L'absence de hiérarchisation des objectifs et d'évaluation a posteriori est préjudiciable à l'efficacité.
Le projet de loi définit les priorités transversales de l'APD : le développement durable, l'égalité des sexes ; la cohérence est recherchée entre la politique de développement et les autres politiques comme entre aide bilatérale et aide multilatérale.
Le texte reconnaît l'action extérieure des collectivités territoriales et le rôle des acteurs privés, y compris les entreprises dans le cadre de leur RSE.
Il est bon que notre politique se fixe des objectifs ambitieux en matière de développement durable - par exemple en interdisant désormais à l'AFD de financer des projets de recherche, d'achat ou de promotion dans le domaine des semences génétiquement modifiées.
Il ne s'agit pas que de déclaration d'intention : l'AFD ne pourra plus financer de programme d'OGM. Enfin un peu de cohérence, alors que nous refusons ces semences chez nous !
Un cadre d'intervention transversal climat-développement est défini. La moitié des aides de l'AFD devront comporter des « co-bénéfices climat ». C'est une avancée, dans la perspective de la Conférence climat que Paris accueillera en 2015.
La commission du développement durable a été sensible aux financements innovants prévus par le projet de loi. La Taxe sur les transactions financières (TTF) allouée aux actions de développement, en est un exemple au niveau européen, les négociations se sont embourbées, notamment à cause de l'hostilité du Royaume-Uni. Il faut avancer.
L'absence de programmation financière est à déplorer. Le 0,7 % remplit les discours mais pas les caisses... Je salue le travail collégial de la commission des affaires étrangères, qui a clarifié le projet de loi et introduit de nouveaux dispositifs normatifs, à commencer par le 1 % déchets, sur le modèle de la loi Oudin-Santini sur l'eau. L'expertise des collectivités locales est ainsi reconnue. M. Delebarre et moi-même le rappelions dans notre rapport. Combien de fois nous sommes-nous heurtés à l'article 40 ! Mais l'entêtement a payé, et nous pouvons espérer l'adoption de cette mesure aujourd'hui.
M. Michel Delebarre. - Très bien.
M. Ronan Dantec, rapporteur pour avis. - Parmi les objectifs majeurs, la dimension culturelle du développement durable, conformément aux ambitions de Rio.
La préservation du patrimoine matériel et immatériel et de la diversité culturelle mérite d'être citée. Je vous proposerai des amendements inspirés de la mission commune d'information sur la recherche dans la politique de développement. Un dialogue équilibré entre le Nord et le Sud passe aussi par le partage de l'évaluation.
Les Nations unies devront adopter en septembre 2015 la liste des objectifs de développement durable annoncés à Rio+20.
Ce projet de loi doit s'inscrire dans ces grands objectifs onusiens.
L'action des collectivités territoriales dans le développement est essentielle. Je vous proposerai de reconnaître à l'AFD le droit de consentir des prêts directs à des collectivités locales du Sud. C'est par les collectivités locales, du Nord comme du Sud, que passera la définition d'un nouvel équilibre mondial.
Je vous proposerai de revenir sur la suppression de la mention de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises terme plus précis que « responsabilité sociétale ».
Il ne faut pas restreindre l'ambition de réduire le soutien aux énergies carbonées à la seule politique du développement. Là aussi, les autres pays vont regarder si nous sommes cohérents entre nos discours et nos actions.
La commission du développement durable a émis un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi. (Applaudissements à gauche)
Mme Nathalie Goulet . - Nous sommes entre nous, ce matin : nous pouvons nous parler franchement ! La France consacre quelque 10 milliards d'euros par an à l'APD. Nous connaissons les constats, les critiques aussi. Ce qui manque, ce sont les outils et les solutions, les évaluations et le bilan. J'étais la semaine dernière au FMI et à la Banque mondiale : cette dernière a mis en place un outil d'interruption des programmes en cas de dysfonctionnement des aides, dans un délai inférieur à six mois.
Disposons-nous d'un tel outil ? Orientons les choses ab initio... d'autant que le Sénat a été privé de l'examen de la loi de finances ces deux dernières années.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Nous le regrettons.
Mme Nathalie Goulet. - J'ai participé à la commission d'enquête sur l'évasion fiscale, d'où mon intérêt pour la lutte contre la corruption. Je saisis l'occasion de reparler du sujet. Les prix de transfert sont un moyen pour des sociétés du même groupe de faire de l'évasion fiscale et d'appauvrir les pays de production. La société minière suisse Glencore, implantée en Zambie, est experte en la matière. Idem pour la brasserie Miller, implantée au Ghana : redevance en échange de l'utilisation de la marque à une société aux Pays-Bas ; redevance à une société suisse de gestion ; sous-capitalisation des pertes pour le Ghana, etc. La loi de programmation doit déjà donner un indice de son intention de contrôler les prix de transfert. Nous y reviendrons lors de la discussion de mon amendement, j'espère vous convaincre ! Le premier pays exportateur de bananes dans le monde, c'est l'île de Jersey, où 48 % des entreprises ont leur siège ! C'est un vrai sujet, dans lequel la France pourrait être leader. En matière de coopération, j'attire l'attention du Gouvernement sur la nécessaire coopération fiscale avec l'Algérie ou le Cameroun. On peut être mère Teresa en faisant de la fiscalité ! La coopération avec les administrations étrangères mérite d'être encouragée.
Comme le relevait en son temps le doyen Vedel à propos du plan, ce texte, truffé de bonnes intentions, parle à l'indicatif, au présent, au futur, parfois au conditionnel, jamais à l'impératif. Oui, les collectivités locales ont un rôle important à jouer. L'Île-de-France, suivie par l'Alsace, a été la première région à voter une délibération contre les paradis fiscaux, avec un reporting par pays.
Le groupe UDI-UC votera ce texte, mais je voulais insister sur la nécessité d'une action plus coordonnée sur des points détachables de l'aide financière stricto sensu. Au lendemain d'une journée électorale sombre, remettons un peu d'éthique dans la gestion de notre APD, pour redonner confiance aux Français - faute de quoi, ils se demanderont bientôt pourquoi, depuis le temps où nos collectivités creusent des puits au Sahel, des terroristes continuent d'en sortir... (Applaudissements)
M. Michel Billout . - Nos interventions militaires au Mali et en Centrafrique ont eu pour toile de fond notre politique de développement dans ces pays. La pauvreté est à la source des crises et des conflits. Le développement économique, social et culturel est le terreau de la paix et de la stabilité.
Jusqu'ici, la politique de développement n'était soumise au Parlement qu'au moment de la loi de finances. Avec les Assises du développement, ce projet de loi a été élaboré dans une large concertation entre les acteurs. La politique d'aide au développement a été critiquée pour son opacité, son absence de cohérence, de lisibilité et d'efficacité. C'est à cela que ce texte cherche à répondre. La démarche est empreinte de bon sens. Elle peut avoir des résultats positifs, à condition d'être sous-tendue par une vraie volonté politique. La cohérence avec l'ensemble des politiques publiques, l'importance de l'évaluation et la transparence sont des principes forts que j'approuve.
Ce projet de loi conforte le rôle des collectivités territoriales sur le terrain et élargit leur champ de compétence aux déchets. Mais avec la suppression de la clause de compétence générale et la baisse des dotations, ces beaux objectifs risquent fort d'être inapplicables. L'absence de toute programmation financière dans la loi handicape les capacités d'action. Sans moyens, on en restera aux voeux pieux. Or notre pays ne cesse de réduire les budgets de l'aide publique au développement: moins 10 % en 2013, moins 6 % en 2014... Le montant des dons aux pays les plus pauvres baisse. Avec ce projet de loi, le Gouvernement se donne-t-il les moyens d'inverser cette tendance ?
Les Britanniques, qui mènent pourtant une politique plus austéritaire encore que la France, consacrent plus que nous à l'aide au développement. L'Union européenne, malgré la crise, n'a pas baissé son budget en la matière. Mais la taxe sur les transactions financières a été vidée de sa substance... Je regrette que les règles d'utilisation par l'AFD des places financières offshore ne soient pas mieux encadrées.
Nous souhaitons imposer aux entreprises le reporting par pays.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien.
M. Michel Billout. - Je regrette la disparition de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, dans le texte, au profit de la notion beaucoup plus floue de « responsabilité sociétale ».
L'APD est gonflée, enjolivée, par des mécanismes comme les réductions de dette. L'AFD recherche trop la rentabilité ! Les intérêts des acteurs privés ne doivent pas primer sur la protection de biens publics mondiaux et les droits des peuples.
Malgré ses insuffisances, le groupe CRC pourrait voter ce projet de loi. (Applaudissements à gauche et au centre)
Mme Annick Girardin, secrétaire d'État. - Je demande la réserve de l'article 2.
La réserve, acceptée par la commission, est de droit.