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Table des matières
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale
Substances extrêmement préoccupantes
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale
Déchets d'activités de soins infectieux (Dasri)
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
Unité d'oncologie pédiatrique de Garches
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
Prise en charge des malades du cancer en Seine-Saint-Denis
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
Prise en charge de l'autisme dans le Nord-Pas-de-Calais
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
Reconnaissance des anciens Casques bleus de la Finul
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants
Indemnisation des victimes des essais nucléaires
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants
Lutte contre le cynips du châtaignier
Avenir des zones de revitalisation rurale
Efficience des policiers municipaux
Suivi des points du permis de conduire
Financement des agences de l'eau
Avenir de l'industrie du bâtiment
Couverture mobile en zone rurale
Modification à l'ordre du jour
Contrôleur général des lieux de privation de liberté
Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi et rapporteure de la commission des lois
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux
Simplification du droit dans les domaines justice et affaires intérieures (Procédure accélérée)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois
Modification à l'ordre du jour
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission de la culture
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture
Ordre du jour du mercredi 22 janvier 2014
SÉANCE
du mardi 21 janvier 2014
58e séance de la session ordinaire 2013-2014
présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président
Secrétaires : Mme Michelle Demessine, M. Jean-François Humbert.
La séance est ouverte à 9 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions orales
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de vingt questions orales.
Aéroports de Paris
M. Michel Billout . - J'attire l'attention du Gouvernement sur les orientations stratégiques d'Aéroports de Paris (ADP) dont l'État est actionnaire largement majoritaire. Son président a annoncé un plan de départs volontaires de 370 postes alors que le bénéfice net a atteint, en 2013, 280 millions d'euros. Depuis l'ouverture du capital en 2006, 1 100 postes ont été supprimés tandis que le bénéfice était multiplié par 2,2.
En mai 2013, la part du résultat net versée aux actionnaires est passée de 50 à 60 %. Au nom de la compétitivité, le PDG s'était engagé en 2010 à réduire les effectifs de 10 % sur la période 2011-2015 ; l'objectif est désormais de 7 %. Après la baisse réalisée sous le précédent gouvernement et les 370 suppressions de postes annoncées, il sera atteint...
Cela nous renvoie au débat sur le coût du travail et le coût du capital et la répartition de la richesse. À l'heure où la direction refuse de débattre de sa stratégie, qui privilégie les actionnaires, et alors que le Gouvernement entend inverser la courbe du chômage et être attentif à l'emploi des seniors, comment l'État peut-il laisser cette entreprise bénéficiaire supprimer des emplois ? Où est la cohérence ?
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale . - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Cuvillier.
Vos préoccupations sont légitimes, mais nous n'aurons pas ce matin un débat sur la répartition des richesses entre le capital et le travail... Les recettes d'ADP progressent faiblement. Les efforts fournis par les compagnies aériennes doivent être accompagnés par les aéroports, notamment par une modération tarifaire. ADP doit être attentif à sa compétitivité. Il doit renouveler son personnel et procède à des embauches là où sont les besoins, la filière accueil et les métiers techniques notamment. Le plan de départ volontaire annoncé porte sur 370 postes au maximum. Le Gouvernement a demandé que ce plan s'inscrive dans une stratégie de long terme qui préserve la dynamique des aéroports et ses effets sur les territoires où ils sont situés. Dès le 1er février prochain, de nouveaux agents d'accueil rejoindront l'entreprise. La procédure d'information et de consultation des organisations syndicales a été engagée en octobre 2013 et se poursuivra jusqu'en février prochain. ADP a besoin de s'adapter, mais le Gouvernement reste attentif à l'emploi des seniors et au recrutement d'une nouvelle génération.
M. Michel Billout. - L'État actionnaire doit montrer l'exemple, ce n'est pas le cas... Le recours à la sous-traitance augmente et la présence de nombreux travailleurs détachés est préoccupante.
Substances extrêmement préoccupantes
M. Dominique Bailly . - L'association UFC-Que choisir a révélé que nombre de produits de grande consommation sont susceptibles de contenir des substances dites extrêmement préoccupantes au sens du règlement Reach. Par exemple, un produit pour enfants contenait du SCCP, un retardateur de flamme chloré interdit. De surcroît, les professionnels n'informent pas les consommateurs, comme Reach leur en fait pourtant obligation.
Quelles mesures le Gouvernement entend-il mettre en oeuvre pour retirer du marché les produits contenant ces substances et améliorer l'information et la sécurité des consommateurs ?
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale . - Je vous prie d'excuser M. Martin.
La protection de la santé environnementale est une préoccupation majeure du Gouvernement. Elle passe par une meilleure connaissance des effets des substances chimiques, une évaluation des risques, la formation des professionnels et l'information du public.
Le règlement européen Reach définit les substances « extrêmement préoccupantes ». Leur inscription sur la liste de candidats oblige les entreprises à informer les consommateurs de leur présence au-delà d'un seuil de 0,1%. Cela ne signifie pas que leur usage soit interdit. Le SCCP n'était pas interdit lors de l'enquête que vous avez citée. Il l'a été depuis.
Soyez assuré que le Gouvernement prend les mesures utiles dès qu'il dispose des informations suffisantes, c'est ce qu'il a fait avec le bisphénol A. Des contrôles ciblés sont effectués, ils seront amplifiés ; un travail est en outre engagé en amont avec les industriels. L'information des consommateurs sera renforcée par un meilleur étiquetage.
M. Dominique Bailly. - Soyons vigilants. Les produits qui ne sont pas interdits peuvent se révéler nocifs.
AVS
M. Roger Madec . - Tout enfant ou adolescent présentant un handicap peut être inscrit dans l'école de son quartier. Grâce à cette novation de la loi de 2005, des milliers d'enfants ont recours au dispositif des Assistants de vie scolaire (AVS). Ceux-ci sont au nombre de 28 000.
Mais leur emploi est précaire et ils n'ont pas de véritable statut. Le président de la République a annoncé en août 2013 que le métier serait reconnu et revalorisé dans le cadre du plan de refondation de l'école. La précarité conduit, en effet, à des prises en charge trop courtes, peu propices à l'épanouissement. Les emplois d'AVS doivent être pérennisés. Ainsi les enfants pourront-ils être accompagnés sur le long terme. Un diplôme d'État reconnaîtra leur formation, et 8 000 recrutements sont prévus à la rentrée 2014. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ces mesures ?
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale . - L'école de la République doit accueillir et assurer la réussite de tous les élèves. C'est l'ambition de la loi de refondation. Le Sénat s'est beaucoup impliqué pour cette école inclusive, et je l'en remercie. L'enjeu, pour reprendre le jargon en usage, est d'aboutir à un projet personnalisé de scolarisation pour chaque élève, dans un dialogue constant avec les parents.
Dans l'académie de Paris, 5 000 élèves handicapés sont scolarisés en milieu ordinaire et 3 000 en milieu spécialisé. Tous sont individuellement suivis. Inclure les parents dans le projet éducatif est une des clefs du succès. Je rends hommage au dévouement des professeurs et AVS, qui contribuent à une réussite majeure de l'éducation nationale : l'accueil des enfants en situation de handicap transforme la pédagogie elle-même.
Après six ans, les AVS ne pouvaient être pérennisés dans leur emploi, ce qui était inacceptable pour eux et intolérable pour les enfants. J'avais dénoncé cette hypocrisie qui aboutissait à un véritable gâchis humain.
Soutenu par Mme Carlotti et Mme Pau-Langevin, j'ai proposé au Premier ministre la « cédéisation » des 28 000 contrats actuels sur la durée du quinquennat. Il y aura des mesures transitoires, et une validation des acquis de l'expérience sera instaurée. La rémunération sera indexée sur la grille de catégorie C de la fonction publique. C'est une affaire, non de charité, mais de justice. Je remercie les parlementaires qui m'ont aidé à obtenir cet arbitrage. Il peut encore y avoir des progrès sociaux dans notre pays...
M. Roger Madec. - Merci pour cette réponse qui me satisfait pleinement, je n'ai rien à ajouter !
Déchets d'activités de soins infectieux (Dasri)
Mme Aline Archimbaud . - Les déchets d'activités de soins infectieux (Dasri) - aiguilles, stylos à injection - provenant de malades soignés à domicile représentent un volume croissant de déchets, dont le traitement est très encadré. Pendant des années, ils étaient collectés par des associations locales, souvent avec une mission d'insertion. L'éco-organisme Dasri, financé par les producteurs, a été créé depuis ; il lui a été demandé d'organiser la filière avant le 30 septembre 2013. Interruptions des collectes précédentes et retards pris dans l'organisation de la filière expliquent les difficultés de stockage des déchets auquel sont confrontés les malades. Quelles mesures allez-vous prendre pour activer la réorganisation de cette filière ? Des opérations de déstockage, comme celle en cours à Saint-Etienne-Métropole, ne sont-elles pas nécessaires ? Comment allez-vous irriguer l'ensemble du territoire avec des points de collecte géographiquement bien répartis ? Et dans quel délai ? Comment inviter les pharmacies, aujourd'hui réticentes, à participer au réseau des pharmacies collectrices?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - L'éco-organisme a été agréé le 12 septembre 2012 pour organiser une filière de collecte dite de responsabilité élargie du producteur. Depuis le début de l'année 2013, cette filière s'attache à répondre aux exigences du cahier des charges, qui prévoit la constitution d'un réseau de points de collectes, qui peuvent être des pharmacies. L'objectif est un point de collecte pour 50 000 habitants, chacun doit pouvoir en trouver un à moins de 15 kilomètres de chez soi. Au 24 décembre 2013, 6 200 points de collectes avaient été identifiés par l'éco-organisme, qui a pu collecter 25 tonnes de déchets. Des opérations de déstockage sont régulièrement organisées à la demande des pharmacies. Nous suivons avec le ministère de l'écologie l'avancée de la mise en place de ce réseau en liaison avec les Agences régionales de santé (ARS). Nous sommes sur la bonne voie.
Mme Aline Archimbaud. - Certains territoires semblent connaître des difficultés. Votre réponse témoigne de la détermination du Gouvernement à les vaincre.
Unité d'oncologie pédiatrique de Garches
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - L'unité d'oncologie pédiatrique de l'hôpital de Garches est unique. Elle offre une chance à des jeunes patients et à leur famille d'exercer leur droit au libre choix thérapeutique et des soins personnalisés. Sa fermeture annoncée, en contradiction avec le protocole signé en 2004, coïncide avec le départ en retraite du professeur Delépine. Avant Noël, les familles se sont mobilisées pour s'y opposer, et encore samedi dernier.
Ce n'est pas la première fois que son existence est menacée, ses moyens ont été grignotés, trois de ses treize lits ont été réaffectés.
Sa fermeture suscite une véritable indignation. Vous invoquez le transfert vers l'hôpital Ambroise Paré, dont le service pédiatrique ne remplit pas les critères énoncés dans le protocole de 2004. Ce transfert signifierait la disparition d'un mode spécifique de prise en charge des enfants. Je vous demande d'y renoncer et d'assurer la pérennité de cet espace de liberté et de créativité au sein de l'hôpital Poincaré, d'autant que la relève est prête.
présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - L'organisation de la prise en charge des enfants atteint de cancer est un enjeu majeur : 2 400 jeunes, dont 700 adolescents, sont concernés. Le futur plan cancer, qui sera annoncé par le président de la République le 4 février 2014, prendra en compte la dimension spécifique de leur traitement.
En Ile-de-France, la prise en charge est organisée autour de centres de référence et de services spécialisés. L'unité d'oncologie pédiatrique du pôle de pédiatrie du groupe hospitalier Raymond-Poincaré, Ambroise-Paré, Sainte-Périne de Garches, prend en charge une vingtaine de patients chaque année. Malgré le départ en retraite du docteur Delépine, je peux vous assurer que la prise en charge personnalisée des enfants sera pérennisée au sein du même pôle de pédiatrie.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Merci. La prise en charge assurée par cette unité a un sens : elle sauve des vies, évite des amputations. Mon inquiétude est grande de vous entendre répondre qu'elle sera noyée au sein d'un pôle ; sa spécificité en pâtira. Il faut la maintenir au sein de l'hôpital de Garches !
Prise en charge des malades du cancer en Seine-Saint-Denis
M. Claude Dilain . - En Seine-Saint-Denis, le niveau de mortalité par le cancer est supérieur de 30 % à celui constaté à Paris. Pour une population de 1,5 million d'habitants, le département ne compte que trois centres de radiothérapie, quand les Hauts-de-Seine, à population équivalente, en ont cinq. L'un de ces trois centres semble menacé. L'Institut de radiothérapie de hautes énergies (IRHE) a reçu 926 patients en 2012 ; il participe à la formation universitaire au sein du CHU Avicenne. Pouvez-vous me rassurer ? Quelles mesures entendez-vous prendre pour améliorer encore la prise en charge des malades du cancer dans mon département ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - L'activité de radiothérapie dans votre département connaît des difficultés spécifiques, ce qui a conduit l'ARS d'Île-de-France à définir, pour 2013-2017, deux objectifs spécifiques : réduire les déplacements des patients nécessitant une prise en charge en cancérologie et consolider l'offre en radiothérapie pour qu'elle réponde aux exigences réglementaires - ce qui implique complémentarité et coopération entre les centres.
Deux implantations de radiothérapie externe ont été identifiés, afin d'accroître la sécurité et la qualité de la prise en charge des malades. La procédure de discussion avec les trois établissements est engagée. Il ne s'agit pas d'aboutir à une baisse de l'offre globale de soins. La volonté du président de la République est d'assurer une prise en charge de qualité pour tous sur tout le territoire. Nous y travaillons.
M. Claude Dilain. - Je comprends qu'il puisse y avoir deux centres. Mais fermer l'IRHE serait très dommageable : il est très intégré au CHU Avicenne, c'est un fleuron de la prise en charge des malades atteints de cancer.
Prise en charge de l'autisme dans le Nord-Pas-de-Calais
M. Jean-Claude Leroy . - La prise en charge de l'autisme est une des priorités des départements du Nord-Pas-de-Calais. Le Gouvernement a lancé le troisième plan Autisme 2013-2017. Le département du Pas-de-Calais a pris des initiatives, comme l'intervention renforcée, à titre expérimental, des services de la PMI pour un diagnostic précoce. Il a inscrit l'autisme comme handicap spécifique dans le schéma départemental du handicap pour 2011-2015.
Les deux départements se sont engagés auprès de l'ARS pour la mise en place d'un programme régional. Mais la région, qui représente 6,2 % de la population nationale, ne reçoit que 4,5 % des crédits du plan national. Envisagez-vous une revalorisation de ces crédits pour accompagner la démarche volontariste des acteurs locaux ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Le plan Autisme 2013-2017, adopté le 2 mai 2013 en conseil des ministres, est doté de 205 millions d'euros, dont 195 millions sont dédiés à la création de places dans des établissements et services médico-sociaux. Comment ces sommes sont-elles réparties ? Le code de l'action sociale et des familles prévoit les critères suivants : 50 % de l'enveloppe est allouée proportionnellement à la population, 30 % de manière inversement proportionnelle au taux d'équipements et 20 % de manière inversement proportionnelle aux dépenses médico-sociales décaissées par l'assurance maladie en euros par habitant.
Le Gouvernement entend assurer un rattrapage de l'offre disponible sur tout le territoire. La circulaire interministérielle du 30 août 2013 a pré-notifié les crédits, à l'exception des crédits d'enseignement en maternelle. Cette démarche de justice et de solidarité ne nie pas l'engagement fort de votre région.
Services d'urgences à Agde
M. Robert Tropeano . - Agde compte 25 000 habitants. En été, la population atteint 200 000 personnes. D'avril à octobre, une antenne du Smur est mise en place. La direction des hôpitaux du bassin de Thau, dont dépend l'hôpital d'Agde, y a installé une consultation non programmée avec des médecins urgentistes, des infirmières et un plateau technique, consultation qui s'apparente à un service d'urgence, sauf qu'elle ci est fermée la nuit, les week-ends et les jours fériés. La population est ainsi contrainte de se rendre à Sète ou Béziers, ce qui peut prendre jusqu'à deux heures. L'ARS a choisi d'ouvrir un centre de secours à Pézenas, 8 500 habitants ; mais la population des hauts cantons héraultais se rend plus volontiers dans les communes de Bédarieux et Lodève, plus proches et plus accessibles.
Cette situation doit évoluer. Un service d'urgence doit être mis en place à Agde même, d'autant que la ville dispose d'un plateau technique adapté.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Je réaffirme l'engagement du Gouvernement en faveur des soins de proximité. J'ai engagé il y a un an, dans cet objectif, le pacte territoire-santé. Nous en dresserons bientôt un premier bilan. Il prévoit des mesures de sorte que chaque Français bénéficie d'un accès à des soins urgents à moins de 30 minutes - c'est un engagement du président de la République.
Agde voit sa population multipliée par dix en été. Plusieurs réponses existent déjà : antenne saisonnière du Smur, maison médicale de garde, accueil non programmé, soins hospitaliers à Sète... Mais l'accès peut être difficile en été.
Il a donc été prévu de maintenir l'antenne du Smur toute l'année.
M. Robert Tropeano. - Je suis totalement rassuré. L'accès à un service d'urgence préoccupe les habitants. Plus de 10 000 signatures ont été recueillies.
Reconnaissance des anciens Casques bleus de la Finul
Mme Michelle Demessine . - Depuis la fin de la guerre d'Algérie, la participation de la Finul a été l'opération la plus meurtrière pour les militaires français : 158 d'entre eux ont trouvé la mort au Liban. L'engagement de la France dans ce pays, en 1978 comme en 1982, correspond à sa responsabilité de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Des appelés volontaires du 420e détachement de soutien logistique, notamment, se sont ainsi retrouvés dans le tourbillon de l'histoire. Ces anciens soldats se sentent délaissés : la réglementation actuelle ne leur reconnaît pas le statut d'ancien combattant.
Je salue votre action en faveur d'une reconnaissance plus large et plus juste de ce statut. Tous ceux qui ont accompli quatre mois de service pendant la guerre d'Algérie peuvent en bénéficier. Vous avez affirmé, le 4 novembre 2013 à l'Assemblée nationale, vouloir étendre le critère des quatre mois à tous les militaires qui ont servi dans des opérations extérieures et avancer pour permettre aux soldats de la Finul d'accéder à la carte d'ancien combattant ? Quels nouveaux critères envisagez-vous ? Et dans quel délai ?
présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants . - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer de nouveau sur l'accès à la carte d'ancien combattant, un sujet qui me tient à coeur, que j'ai abordé lors du débat budgétaire.
Le décret de l'arrêté du 10 décembre 2010, l'arrêté du 28 juin 2012, l'arrêté du 20 septembre 2013 ont élargi l'accès à cette carte. La nouvelle loi de programmation militaire reconnaît que toutes les Opex ont vocation à y ouvrir droit. Ainsi, en 2013, plus de 16 300 personnes ont obtenu la carte, contre 3 006 en 2011.
Pour autant, tout n'est pas réglé. Le SHD travaille en priorité sur les opérations les plus récentes et l'application de critères plus souples n'est pas rétroactive ; cela vaut notamment pour certains militaires du 420e DSL. Simplifions les démarches et les critères pour répondre aux attentes légitimes des personnels ayant participé à une Opex, dans un souci d'équité et de justice.
Nous pourrions retenir le critère unique de quatre mois de présence, qui a prévalu pour l'Algérie. Je tiendrai le Parlement informé de l'évolution de la réflexion.
Mme Michelle Demessine. - Merci de cette réponse qui témoigne de l'attention du Gouvernement ; je me félicite de la mobilisation de votre ministère.
Indemnisation des victimes des essais nucléaires
Mme Marie-France Beaufils . - Il aura fallu attendre plus de huit ans pour que soit adoptée la loi de 2010 sur la reconnaissance des victimes des essais nucléaires français, quatre ans pour qu'on en tire un bilan. Un fiasco : treize indemnisations seulement pour 880 dossiers traités. Le temps passe, les victimes disparaissent, dont les présidents successifs de l'Aven d'Indre-et-Loire. Ne faut-il pas, au-delà des mesures récemment prises renforçant l'indépendance du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) et que nous saluons, associer des médecins nommés par les associations aux travaux du Civen ? Surtout, ne faut-il pas faire primer la logique humaine sur un logiciel pour calculer le risque ? Il est temps de revenir à une présomption de causalité stricte et d'abandonner la notion de risque négligeable. Il y va de la crédibilité du Parlement et du Gouvernement.
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants . - Le dossier est complexe. Voici mes chiffres : sur 880 dossier déposés au 1er janvier 2014, 726 étaient complets, et 503 entraient dans les conditions de lieu, de date et de maladie ; treize indemnisations ont été proposées après étude au cas par cas par des spécialistes. Je n'ai donc pas trace des 5 000 personnes indemnisables que l'on évoque généralement.
Le dossier est complexe aussi car il faut adapter le dispositif aux nouvelles réalités scientifiques. Ainsi, le ministre de la défense a-t-il récemment élargi le périmètre à toute la Polynésie française. Enfin, le dossier est complexe car il confronte la souffrance des victimes à une réalité scientifique qui est celle de la dosimétrie. La méthodologie retenue est conforme aux recommandations de l'AIEA.
Le Civen, constitué d'experts, sort renforcé de la loi de programmation militaire. Croyez-moi, madame, nous avons entendu les associations de victimes et poursuivons le travail d'adaptation de la loi de 2010, auquel nous ont invités Mme Bouchoux et M. Lenoir dans leur récent rapport.
Mme Marie-France Beaufils. - Je salue vos efforts. La décision intervenue au tribunal de Bordeaux fait douter encore de la bonne application de la loi. Le critère de la dosimétrie n'est pas bon, cela ressort clairement des discussions avec les anciens d'Algérie. Les dosimètres étaient peu utilisés. Il faut en rester aux critères de lieu, de date et de maladie. Les attentes sont fortes, le temps presse, monsieur le ministre.
La séance, suspendue à 10 h 40, reprend à 10 h 50.
Lutte contre le cynips du châtaignier
M. Michel Teston . - Le cynips du châtaignier est un insecte parasite, venu d'Asie, qui est apparu en France en 2007. Il s'est propagé dans toute la France, depuis les Alpes-Maritimes. Il provoque des dégâts, allant jusqu'à 80 % de pertes de la récolte. Les castanéiculteurs d'Ardèche sont inquiets. Des mesures de lutte ont été prises : délimitation de zones de lutte, interdiction de circulation des plants infestés. Elles tarderont à donner des résultats. Les castanéiculteurs craignent des pertes durant deux à quatre ans. Sans aide financière, on peut craindre de grandes difficultés pour la châtaigne d'Ardèche, reconnue en AOC. Qu'entend faire le Gouvernement ?
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire . - Le cynips du châtaignier s'est propagé dans toute l'Europe ; à terme, nous devrons coordonner la lutte contre ce parasite à l'échelle du continent. Le Fonds national de mutualisation sanitaire et environnementale, géré par les professionnels agricoles, a reçu notre agrément le 24 septembre 2013. Il comptera une section forestière, qui accueillera naturellement la châtaigne.
La relance et la rénovation de la châtaigneraie française peuvent bénéficier de cofinancements publics. Les exploitants membres d'une organisation de producteurs relèvent du programme opérationnel de l'OCM fruits et légumes. Le dispositif d'aide à la rénovation du verger, géré par Agrimer, est mobilisable. Enfin, les régions, dans le cadre du deuxième pilier de la PAC, peuvent allouer des aides.
M. Michel Teston. - Dans votre réponse, vous avez fait le point sur les différentes aides aux castanéiculteurs. Celles-ci ne seront mobilisables que si le cynips du châtaignier, un prédateur extrêmement important, reste classé parmi les nuisibles. Veillez-y !
Avenir des zones de revitalisation rurale
M. Jean Boyer . - Une nouvelle fois, je veux l'affirmer : les avantages liés aux Zones de revitalisation rurale (ZRR) mises en place par la loi de 1995, ont contribué à maintenir les services publics, à inciter des professions libérales et médicales à s'installer en zones rurales. L'hémorragie rurale se poursuit. Ces avantages ne sont pas des privilèges ; ce sont des compensations légitimes qui, aujourd'hui comme hier, vont à des petits cantons où les gens qui y sont nés veulent rester et où il faut favoriser l'installation de nouveaux habitants.
Samedi dernier, à Tulle, au coeur de ses terres électives, le président de la République a proclamé : « la ruralité est un atout pour la France ! ». Après la loi de finances initiale de 2014, peut-on encore espérer ? Il y a trois ans, sans démagogie, je tenais le même discours dans cet hémicycle...
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire . - J'entends d'autant plus la ruralité que j'en suis issu et que j'en suis élu ! Le président de la République, lors du conseil des ministres du 24 novembre dernier, a lancé un plan pour la revitalisation des centres bourgs. Le maintien des services publics ? Une enveloppe annuelle de 35 millions est consacrée à la construction de maisons de service public dont le nombre passera de 320 à 1 000 à l'horizon 2017. Trois mille deux cents communes rurales bénéficieront du plan, géré par la Datar, pour la couverture en téléphonie mobile. Le plan France très haut débit prévoit 20 milliards d'investissements en dix ans, avec un accent mis sur la ruralité. La nouvelle génération des contrats de plan État-régions 2014-2020 est un outil qui sera mis au service des ZRR. Le zonage, défini en 2005, n'est plus pertinent. Mme Duflot a lancé une mission de réflexion, un groupe de travail associera les élus. En attendant, les avantages fiscaux des ZRR, qui devaient s'éteindre le 31 décembre 2013, seront prolongés d'un an. Voyez-y un signal fort en direction des entreprises et des territoires.
M. Jean Boyer. - J'avais entendu parler de vous, monsieur le ministre. Je vous découvre positivement ce matin... Mon département compte sept cantons de moins de quinze habitants au kilomètre carré... Prenez soin de la ruralité !
Efficience des policiers municipaux
M. Louis Nègre . - Les infractions à la sécurité routière se multiplient. Pour ne prendre qu'un exemple, le nombre de fausses plaques d'immatriculation a augmenté de 50 % d'une année sur l'autre.
N'attendons plus, la maison flambe, nos trois forces de sécurité doivent être sur le pont. Plus de rapports et de belles déclarations, réalisons l'union sacrée de nos forces !
Est-il normal que la police municipale ne puisse consulter directement les fichiers? À Cagnes-sur-Mer, le commissariat est dérangé au moins 40 fois par jour par les policiers municipaux. Quel temps perdu ! Quand la police municipale aura-t-elle enfin accès aux fichiers de la police nationale ? Ce ne serait que justice quand les assureurs, vendeurs et loueurs, eux, y sont autorisés.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire . - Nous devons assurer la coordination de nos forces de sécurité dans le respect des prérogatives de chacun.
M. Louis Nègre. - Tout à fait !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. - La circulaire d'août 2013 donne l'accès au fichier SIV à la police municipale par l'intermédiaire de la police nationale selon le principe du « autant besoin que nécessaire ». Et cela, pour garantir la traçabilité des recherches. Néanmoins, une mission de réflexion est en cours et le ministre a décidé d'inscrire ce sujet à l'ordre du jour de la prochaine réunion de la commission consultative de la police municipale. Il s'agit d'apporter une réponse qui garantisse l'efficacité opérationnelle, la sécurité des Français et la protection des libertés individuelles.
M. Louis Nègre. - Il faut bien un début à tout ! Ça commence à bouger et j'en suis heureux. La traçabilité ? La police municipale, je le rappelle, est assermentée ; elle reçoit l'agrément du préfet et du procureur de la République. Le numérique, de toute façon, assure la traçabilité des recherches. Les professionnels de l'automobile, eux, ont accès à ces fichiers de la police nationale; c'est le monde à l'envers ! La police nationale doit être sur le terrain ; ce que je propose ne porte pas atteinte aux libertés individuelles. Ce n'est pas rien de protéger nos concitoyens !
Suivi des points du permis de conduire
M. Alain Gournac . - Les automobilistes éprouvent les plus grandes difficultés pour obtenir le code confidentiel grâce auquel suivre l'évolution des points de leur permis de conduire sur internet ! Franchement, ce n'est pas correct ! Courriers, coups de téléphone, déplacements à la préfecture, rien n'y fait : mon épouse attend toujours son code. C'est décourager les automobilistes qui veulent respecter la loi.
J'aimerais dire à mes administrés, monsieur le ministre, que mon action au Sénat ce mardi matin a été efficace et que tout sera résolu. Pouvez-vous m'apporter une réponse précise ?
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire . - Ce problème ne date pas d'hier... M. Valls, empêché par sa participation au Forum international de la cyber-sécurité à Lille, vous fait savoir qu'il s'y intéresse particulièrement. Les articles 225-3 à 225-6 du code de la route protègent les informations relatives au droit à conduire. Une réunion à Matignon du Comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (Cimap) en juillet 2013, a décidé de simplifier les démarches pour obtenir le code confidentiel ouvrant l'accès au décompte des points de permis de conduire. La demande s'effectuera désormais sur Internet selon une procédure sécurisée, sans nécessiter un déplacement à la préfecture - ce qui est souvent le cas aujourd'hui. Une expérimentation est en cours dans deux départements en ce mois de janvier, elle se poursuivra en février et sera généralisée à l'ensemble du territoire. Enfin, la délivrance des permis de conduire, depuis le 4 novembre 2013, s'accompagne systématiquement de l'envoi de ce fameux code.
Voyez, tout est fait pour simplifier la vie des automobilistes, dont celle de votre épouse ! (Sourires)
M. Alain Gournac. - La confidentialité reste nécessaire, mais ne doit pas faire obstacle à la consultation. Soulageons les préfets et les sous-préfets à qui l'on n'a cessé de confier de nouvelles tâches, celle de communiquer ces informations. Une demande sur Internet correspondra mieux à la simplification prônée par le Gouvernement. Tenez-nous au courant des résultats de l'expérimentation lancée dans deux départements.
Patrimoine culturel
Mme Catherine Morin-Desailly . - Le 12 octobre 2013, une société a procédé, à Marseille, à la vente d'oeuvres photographiques commandées en 2005 par l'agence pour le patrimoine antique. Le 11 octobre 2013, la ministre de la culture a demandé à ce qu'il soit sursis à cette vente, sans effet. Cela pose les problèmes du respect des droits des auteurs, qui répondent à une commande publique, et de la capacité du ministère à assurer la conservation du patrimoine culturel acquis sur des fonds publics - je pense aux Fonds régionaux d'art contemporain (Frac).
Pourquoi la demande de Mme Filipetti n'a-t-elle pas été respectée ? Que compte-elle faire pour assurer le retour dans les collectivités publiques d'un maximum de ces photographies, pour répondre aux auteurs et à leurs ayants droit ? Que prévoira la loi sur le patrimoine pour assurer une gestion plus transparente et plus protectrice des biens culturels acquis sur fonds publics ?
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation . - Vous allez devoir me supporter en cette fin de matinée parce que Mmes Filippetti et Pellerin, MM. Montebourg et Martin sont retenus par la cérémonie des voeux du président de la République aux forces économiques, et vous prient de les excuser.
Cette affaire a défrayé la chronique. La ministre de la culture a été informée fin septembre de la vente aux enchères de ces oeuvres, prévue le 22 octobre 2013.
Ce projet visait, semble-t-il, à reconstituer les fonds propres de l'association, menacée par une baisse des subventions publiques dont elle bénéficiait. Cette vente ne contrevenant pas à la loi, la ministre a privilégié la voie du dialogue, mais sans succès. Le ministère n'a pas pu user de son droit de préemption.
Il faut empêcher le renouvellement de situations de cette nature. La ministre de la culture a donc décidé d'aménager la législation. L'avant-projet de loi sur la création artistique contient des dispositions qui assureront l'affectation irrévocable des oeuvres acquises par l'État ou les collectivités territoriales au domaine public.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci. Hâtons-nous de compléter notre législation. Le projet de loi sur la création, promis pendant la campagne présidentielle, est impatiemment attendu.
Règlementation thermique (RT)
M. Jean-Claude Lenoir . - La règlementation thermique 2012, entrée en vigueur le 1er janvier 2013, détermine comme critère la consommation d'énergie primaire. Cela a des effets pervers : favoriser l'utilisation d'énergies fossiles, à rebours de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
C'est paradoxal ! L'électricité est pénalisée.
Le Conseil d'État a annulé l'arrêté du 20 juillet 2011. C'est l'occasion d'améliorer les choses, allez-vous vous y employer ?
Aujourd'hui, un particulier qui installe des panneaux photovoltaïques ne peut pas utiliser l'électricité qu'ils produisent : elle doit être versée sur le réseau.
Pour construire des logements sociaux BBC, il faut privilégier l'alimentation au gaz, par rapport à l'électricité. Or il n'y a pas de réseau de gaz dans les zones rurales où il faut installer des citernes ! Un rééquilibrage s'impose.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation . - Vous êtes un spécialiste de ces questions, et je me bornerai à vous lire la réponse du ministre compétent.
Lors de la Conférence environnementale de septembre 2013, le président de la République a fixé au Gouvernement comme priorité d'accroître la performance énergétique des bâtiments. La RT 2012 représente une étape majeure pour atteindre l'objectif de bâtiments à énergie positive en 2020. Elle limite à 50 kW/h par m² par an la consommation d'énergies primaires, et rend obligatoire le recours aux énergies renouvelables pour les maisons individuelles.
Le Conseil d'État a annulé l'arrêté du 20 juillet 2011, pour des motifs de forme.
Le 30 avril 2013, le nouvel arrêté a été signé, et il est entré en vigueur depuis le 24 juillet 2013.
Il n'est pas prévu de modifier la règlementation à ce jour.
La réduction des gaz à effet de serre, l'amélioration de l'efficacité énergétique, la réduction de la consommation d'énergies fossiles et l'amélioration du mix énergétique sont les objectifs de M. Martin, qui vous adressera une réponse plus complète sur le photovoltaïque et le gaz en zone rurale.
M. Jean-Claude Lenoir. - Merci. L'exclusion de l'électricité comme moyen de chauffage est contraire à la politique de transition énergétique et aboutit parfois à un détournement de la RT 2012 : des gens font semblant de se chauffer au bois mais installent les réseaux électriques et après réception des travaux posent des convecteurs ...
Financement des agences de l'eau
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Ma question s'adresse au ministre du budget. Le financement des Agences de l'eau va baisser de 10 % en 2014. L'article 48 de la loi de finances pour 2014 et l'article 20 de la loi de finances rectificative pour 2013 le confirment : 210 millions d'euros seront prélevés sur la trésorerie des agences qui sont pourtant les principaux financeurs des investissements dans ce domaine.
Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) avait préconisé de réduire leur budget au motif que leur situation financière est saine.
Mais ces 210 millions iront directement au budget général de l'État. La règle selon laquelle « l'eau paie l'eau » se trouve remise en cause, ce qui entraînera de graves conséquences environnementales, sociales et économiques.
Le Gouvernement reviendra-t-il sur cette décision ?
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation . - Cette question est importante. La politique de gestion intégrée de l'eau fait partie des priorités du Gouvernement.
Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit, en effet, une contribution exceptionnelle de 210 millions au profit du budget de l'État par prélèvement sur le fonds de roulement des agences de l'eau. Cela ne se reproduira pas. La qualité du modèle français de gestion de l'eau est reconnue. Le dixième programme des agences de l'eau, consacré pour 90 % à des investissements, ne sera pas remis en cause. Le prélèvement, opéré en début de programme, aura moins d'impact que s'il l'avait été à la fin. Les conseils d'administration des établissements pourront répartir la baisse de budget tout au long du programme. Il n'en résultera ni hausse de la pression fiscale ni réduction de l'activité économique. Les moyens des agences de l'eau seront réexaminés dans la préparation du budget triennal 2015-2017. La réflexion sera guidée par le respect de nos engagements communautaires en matière de bonne qualité de l'eau.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Merci. Les conséquences économiques et sociales de cette ponction sont importantes. L'effet levier des aides versées par les agences de l'eau est important : elles génèrent des emplois non délocalisables. Le prélèvement s'assimile presque à un impôt. Si l'eau ne paie plus seulement l'eau, l'équilibre du système sera détruit. Votre réponse m'a partiellement rassurée, toutefois et je sais que vous vous ferez notre interprète.
Avenir de l'industrie du bâtiment
M. Jean-Jacques Mirassou . - L'industrie du bâtiment est le premier employeur de notre pays. Elle évolue peu, sauf dans les grandes entreprises du BTP, en matière de méthodes de travail, de qualification et de pénibilité. Contrairement à l'Allemagne, nous n'avons pas su préparer le virage et nous adapter aux exigences environnementales. Le secteur doit développer la recherche et développement pour retrouver sa place dans le concert des industries. Notre parc immobilier est très ancien. Chacun a intérêt à le renouveler : consommateurs, entreprises, collectivités territoriales. Quelles actions le Gouvernement a-t-il entreprises à cet égard ?
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation . - Le problème est double : il concerne les salariés et leur formation d'une part, la problématique du bâtiment et de la construction d'autre part. M. Montebourg, Mme Duflot et M. Martin travaillent ensemble sur les différents aspects de la question. Il s'agit de proposer une offre complète de rénovation énergétique des logements, pour en faire un axe d'excellence du made in France. Le 7 février, un projet ambitieux d'association de la filière à cet objectif gouvernemental aux dimensions multiples sera dévoilé. Nous mènerons une politique globale. La France dispose d'un excellent savoir-faire dans tous les domaines concernés, et d'une recherche et développement dynamique. Plus de 75 000 emplois, dont 4 000 emplois dans les filières industrielles associées sont en jeu ; M. Sapin est aussi très investi dans ce dossier.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Merci. Une approche globale est en effet nécessaire pour décloisonner ces secteurs d'activité au service d'objectifs complémentaires. Le pacte de responsabilité doit prendre en compte cette problématique. Je me félicite de la mobilisation du Gouvernement dans ce domaine.
Couverture mobile en zone rurale
M. Bernard Cazeau . - Le 15 juillet 2033, un plan national de résorption des zones blanches a été lancé.
Pourtant, de nombreux secteurs ne sont toujours pas couverts. Les opérateurs n'interviennent que dans les zones les plus juteuses financièrement. Ils n'ont plus aucun projet de déploiement d'infrastructures 2G et 3G.
C'est ubuesque : les pouvoirs publics, État comme collectivités locales, sont désarmés ; ils n'ont pas la capacité d'intervenir, ce que nos concitoyens ne peuvent comprendre.
Comment améliorer la couverture en téléphonie mobile du territoire ?
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation . - Ce problème concerne certaines zones rurales et toutes celles où la géographie physique s'oppose au passage des ondes. Votre constat est alarmant, qui souligne l'exclusion des personnes âgées comme des jeunes. Le programme de résorption des zones blanches a été engagé il y a plus de dix ans par le gouvernement de M. Jospin. Il y a actuellement trois enjeux. La transparence, d'abord. Lors des annonces de couverture en 4G, Mme Pellerin comme M. Hamon ont exigé que l'information sur la couverture réelle soit disponible.
Il s'agit ensuite d'inciter à déployer des réseaux mobiles dans les zones les plus rurales. Le Gouvernement a sécurisé le cadre juridique de la mutualisation des réseaux mobiles : en février 2013 l'autorité de la concurrence s'est prononcée et des résultats devraient apparaître rapidement.
Le plan France très haut débit prévoit que l'État agisse là où les opérateurs ne se déploient pas. Des expérimentations sont en cours dans le Gers, les Ardennes et les Pyrénées orientales.
Il faut enfin développer le service universel. Le plan France très haut débit vise à déployer la fibre dans les territoires où les opérateurs ne vont pas.
L'exclusion n'est pas acceptable : toute la population doit avoir accès à la téléphonie mobile.
M. Bernard Cazeau. - Merci. La Dordogne prépare, avec le conseil régional d'Aquitaine, l'ouverture du très haut débit dans les dix prochaines années. En Dordogne, le tourisme rural compte pour 25 % de l'activité économique. Sa couverture dépend de la volonté du Gouvernement. La Finlande, dont 36 % du territoire se trouve en milieu rural, a engagé un véritable bras-de-fer avec les opérateurs et c'est aujourd'hui le premier pays européen en termes de couverture mobile.
Sans volonté politique, la situation n'évoluera pas.
Enchères par téléphone
M. Patrice Gélard . - Certaines pratiques de vente aux enchères n'ont pas changé depuis le XIXe siècle. Elles bafouent parfois les principes des relations contractuelles, ce qui donne de notre pays une image négative.
Les ordres d'achat et les enchères passés par téléphone ou par fax sont conçus comme des services gracieux qui exonèrent les opérateurs de toute responsabilité, même lorsqu'ils découlent de la consultation d'un catalogue payant !
Le refus d'appliquer ces ordres lèse aussi bien le vendeur que le donneur d'ordre.
Cela fait naître des suspicions de collusion entre le commissaire-priseur et les acheteurs présents dans la salle d'adjudication. La vente aux enchères doit s'adapter à l'évolution des techniques. Cela ne relève pas que de la loi ou de la réglementation mais aussi de la déontologie. Or le Conseil national des ventes donne systématiquement raison aux commissaires-priseurs.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation . - Le monde a évolué, il faut s'y adapter. La garde des sceaux vous a fait part de sa position dans un courrier du 6 janvier 2014.
Le commissaire-priseur doit assurer le libre accès à la salle des ventes.
La pratique des ordres d'achat téléphoniques est admise, mais non réglementée. Elle s'inscrit indubitablement dans le cadre du contrat, qui impose une obligation de moyens. Il n'y a pas de jurisprudence en la matière. La déontologie est donc indispensable.
Vous parlez de collusion. Le Conseil des ventes volontaires, qui est l'autorité de régulation, n'a pas signalé de difficulté de ce type, mais a rappelé la nécessité de ne proposer aux clients que le service que l'on peut effectivement offrir.
Le cas échéant, la Chancellerie, saisie par le Conseil, prendra les mesures nécessaires.
M. Patrice Gélard. - Plus de la moitié des ventes aux enchères sont réalisées avec ces moyens modernes que sont le téléphone, le télex, le fax... À l'étranger, ils relèvent du domaine contractuel, notamment à Londres.
La France accuse du retard. Tout au moins, il faut respecter les règles imprimées dans les catalogues tout au long de la vente, et non simplement au début ! Ce n'est pas acceptable même si le Conseil des ventes volontaires l'accepte.
Je souhaite une amélioration de cette situation.
Modification à l'ordre du jour
M. le président. - Par courrier en date du mardi 21 janvier, M. Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP, a demandé la modification de l'ordre du jour réservé à son groupe des mardis 21 janvier et 11 février 2014.
En conséquence, l'ordre du jour de l'espace réservé au groupe UMP de ce mardi 21 janvier 2014, de 21 heures à 1 heure, s'établit comme suit :
1°) Proposition de loi visant à affirmer la liberté de choix des maires quant à l'organisation des rythmes scolaires dans l'enseignement du premier degré
2°) Suite de la proposition de loi visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage.
L'ordre du jour de l'espace réservé au groupe UMP du mardi 11 février, de 14 h 30 à 18 h 30, s'établit comme suit :
- Suite de l'ordre du jour réservé de mardi 21 janvier.
La séance est suspendue à midi vingt-cinq.
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
La séance reprend à 14 h 30.
Contrôleur général des lieux de privation de liberté
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi modifiant la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Discussion générale
Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi et rapporteure de la commission des lois . - Cette proposition de loi du groupe socialiste tend à modifier la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Son inscription à l'ordre du jour témoigne de l'attachement du Sénat à cette institution et au respect des droits fondamentaux. Dès 2001, à l'initiative de M. Hyest, il avait voté en faveur de la création d'un tel contrôleur général.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a pour mission de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes détenues. M. Delarue, premier détenteur de la fonction, l'a remplie excellemment. Le législateur a étendu ses compétences à l'ensemble des lieux où l'on est privé de liberté suite à une décision d'autorité publique. M. Delarue a visité plus de 800 établissements ; d'ici la fin de l'année, presque tous les établissements pénitentiaires auront été visités, y compris en outre-mer où beaucoup sont très délabrés.
M. Delarue a pris l'initiative de répondre à tous les courriers qui lui sont adressés et d'enquêter sur la réalité de faits signalés. Il a porté dans le débat public des questions auparavant occultées. Je tiens à lui rendre hommage car il a su concilier fermeté sur les principes, ouverture au dialogue et exigence vis-à-vis de ses équipes. Il a su parfaitement répondre aux exigences énoncées naguère par M. Hyest.
Son mandat, non renouvelable, arrive à échéance au début de l'été. La question de l'avenir de l'institution se pose donc. En 2011, le Sénat s'est opposé à l'absorption du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans la nouvelle institution du Défenseur des droits. Nous réaffirmons notre attachement à son autonomie. Les deux institutions sont complémentaires : le Défenseur des droits cherche des solutions à des problèmes particuliers tandis que le Contrôleur général est chargé de contrôle et de prévention.
Après cinq ans et demi, l'expérience montre cependant qu'il faut conforter le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Cette proposition de loi s'inscrit dans la dynamique engagée par Mme la garde des sceaux pour faire advenir la justice du XXIe siècle. Une privation de liberté respectueuse des autres droits des personnes est la condition de la réinsertion et de l'absence de récidive. La même exigence vaut pour les personnes retenues et les malades mentaux internés contre leur gré.
Le renforcement du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ne doit pas être interprété comme une marque de défiance vis-à-vis du personnel pénitentiaire, lequel remplit avec conscience et probité sa tâche très difficile. (Mme Nathalie Goulet approuve) Nous avons plutôt le souci de l'accompagner.
Cette proposition de loi tire les conséquences des difficultés rencontrées ces cinq dernières années. D'abord en protégeant les interlocuteurs du Contrôleur général. Celui-ci a presque toujours entretenu d'excellentes relations avec le personnel pénitentiaire et obtenu les documents demandés, mais il y a eu des exceptions.
Des pressions sont parfois exercées sur les personnes qui acceptent de s'entretenir avec le Contrôleur général. La proposition de loi les protège contre toute forme de représailles, crée un délit d'entrave à l'action du Contrôleur général et renforce la protection des correspondances avec lui.
Nous voulons aussi autoriser le Contrôleur général à accéder à un nombre plus important d'informations : informations couvertes par le secret médical et procès-verbaux de déroulement de garde à vue. Il pourra aussi mettre en demeure les personnes intéressées de lui répondre.
Enfin, la proposition de loi clarifie le cadre légal de l'action du Contrôleur général, reconnaissant l'existence de « chargés d'enquête », précisant les conditions du dialogue entre le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les autres autorités, et consacrant la publication de ses avis. Il est également rappelé que le Contrôleur général est tenu au secret professionnel et que ses avis doivent tenir compte des évolutions intervenues depuis sa visite.
La commission a apporté à la proposition de loi plusieurs modifications. La compétence du Contrôleur général a été étendue au contrôle de l'exécution des mesures d'éloignement d'étrangers en situation irrégulière, conformément à la directive « Retour ». Dans un souci de cohérence de notre droit, nous lui avons donné cette compétence pour toutes les mesures d'éloignement, y compris vers des pays de l'Union européenne.
En outre, la commission a précisé les conditions dans lesquelles le Contrôleur général pourra accéder à des informations couvertes par le secret médical. Il nous a paru difficile de passer outre le consentement de l'intéressé, comme c'est la règle pour les enquêteurs de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Nous avons prévu que son accord ne serait pas requis en cas de sévices infligés à un mineur ou à une personne incapable de se défendre, et que les collaborateurs du Contrôleur général titulaires d'un diplôme de médecin puissent avoir connaissance d'informations médicales couvertes par le secret.
Enfin, la commission a précisé les conditions d'application de cette loi outre-mer.
Vous l'aurez compris, il s'agit de renforcer une institution indispensable à notre démocratie. (Applaudissements)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice . - C'est une importante proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, et je remercie Mme Tasca d'en avoir pris l'initiative. Dès juin 2012, M. Delarue m'a fait part d'améliorations souhaitables à la loi de 2007, de manière désintéressée puisque celles-ci ne pourraient s'appliquer que pour son successeur.
Le processus d'élaboration du statut juridique du détenu a connu des accélérations dans les années 80, sous l'impulsion de Robert Badinter. Le contrôle extérieur s'est développé, de la part des juges, du préfet, de la Cnil, de la Cada, de l'inspection du travail.
La loi Guigou a permis aux parlementaires de se rendre librement dans les établissements pénitentiaires. Le prochain projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes contiendra une disposition autorisant ceux-ci à accompagner les parlementaires. L'autorité administrative a aussi vu son rôle accru.
Plusieurs rapports ont alerté l'opinion publique parmi lesquels ceux de Guy Canivet en 1999, celui du président Hyest pour la commission des lois du Sénat.
M. Jean-Jacques Hyest. - C'était une commission d'enquête.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - En effet, et le rapport que vous avez rédigé avec M. Cabanel a eu les suites que l'on sait. Une prison républicaine n'est pas un lieu de relégation : le détenu est privé de sa liberté mais ses autres droits fondamentaux doivent y être garantis. Le livre du docteur Vasseur a aussi servi d'électrochoc. Saluons également l'action des associations.
Au niveau international, le protocole des Nations unies de 2002 contre la torture et les traitements dégradants, ratifié par la France en 2005, a conduit à la loi pénitentiaire de 2009. La loi du 30 octobre 2007, également inspirée de ce protocole, charge le Contrôleur général des lieux de privation de liberté de veiller à ce que les personnes détenues ne soient pas soumises à des conditions dégradantes et à ce que leurs droits soient respectés. Son champ de compétence est étendu à tous les lieux de privation de liberté, auxquels il peut accéder librement. Il peut être saisi par les ministres, par les parlementaires, mais aussi par les personnes physiques et morales intéressées.
Je m'associe à l'hommage que vous avez rendu à M. Delarue, personnalité intransigeante au sens noble du terme, et d'une grande intelligence. Il a réfléchi à sa mission et en a mesuré les forces et les faiblesses. Son bilan est remarquable : 879 visites dans des établissements pénitentiaires. Il n'a pas négligé l'outre-mer, où le retard est considérable. Grâce à ses avis, notamment sur la Nouvelle-Calédonie, j'ai pris rapidement des initiatives ; de même à propos de la prison des Baumettes à Marseille.
Il a émis des avis thématiques sur la présence des jeunes enfants dans les quartiers pour femmes des prisons, l'exercice des cultes, la prise en charge des personnes transsexuelles, bref sur les problèmes de la vie dans les prisons. Les demandes qu'il adresse à l'administration pénitentiaire obligent celle-ci à un important travail et je considère que nos réponses engagent la Chancellerie.
Les conditions de vie et de travail dans les prisons restent mal connues. Emprisonner une personne, c'est l'exclure de la société, mais aussi préparer sa réintégration ; le temps passé en prison doit donc être un temps utile. Grâce à M. Delarue, nous avons ouvert une réflexion sur la justice du XXIe siècle, qui doit être au service de la société.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté exerce un magistère moral. Nous pouvons encore renforcer l'efficacité de son action.
Je rends hommage au personnel pénitentiaire. Améliorer les conditions de détention, c'est aussi améliorer ses conditions de travail. Un protocole a été signé avec le syndicat majoritaire, un plan de formation engagé ainsi qu'un plan pour la sécurisation des établissements. Beaucoup reste à faire. Le contrôle exercé sur les prisons peut être perçu comme une pression sur le personnel. Il faut considérer que le contrôle, en établissant les défaillances de l'État, décharge les agents pénitentiaires des responsabilités qu'on leur impute indûment. C'est aussi le moyen d'améliorer leurs conditions de travail.
Merci d'avoir pris l'initiative de cette proposition de loi, qui renforce les pouvoirs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. C'est heureux pour notre démocratie. (Applaudissements)
M. François Zocchetto . - Une belle unanimité règne ici sur le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont le Sénat a refusé l'intégration dans le Défenseur des droits. Une convention a cependant été signée entre les deux institutions en novembre 2011.
Je tiens, moi aussi, à saluer le travail accompli par M. Delarue, qui a visité plus de 800 lieux de privation de liberté, dont plus d'un tiers étaient des locaux de garde à vue. Les choses ont beaucoup évolué grâce à lui, grâce à l'administration pénitentiaire aussi. Certes, des difficultés demeurent mais il suffit de considérer l'efficacité du plan de prévention des suicides pour voir que les choses progressent.
Cette proposition de loi inscrit dans le marbre des pratiques existantes. Ce n'est pas inutile. Elle prévoit par exemple la publication systématique des avis du Contrôleur général, alors qu'elle est pour l'instant facultative. Il ne s'agit pas de publier les comptes rendus de chaque visite.
Des amendements ont été présentés par nos collègues écologistes pour étendre les compétences du Contrôleur général aux Ehpad, comme M. Delarue l'a souhaité. Ce serait inopportun. Aucune décision d'une autorité publique n'est à l'origine du placement d'une personne en Ehpad, dans laquelle il n'y a pas d'interdiction d'aller et de venir.
Je salue le travail de Mme Tasca. Je pense comme elle qu'il faut mieux faire connaître le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, notamment auprès des avocats.
Espérons que l'Assemblée nationale inscrira rapidement ce texte à son ordre du jour. Nous comptons sur vous, madame la ministre. (Applaudissements)
Mme Cécile Cukierman . - La loi du 30 octobre 2007 a créé une nouvelle Autorité administrative indépendante chargée du contrôle des lieux de privation de liberté, sept ans après le rapport Canivet. L'idée en a émergé en 2000, quand plusieurs rapports ont mis en évidence les conditions indignes de détention en France, et la nécessité d'un contrôle extérieur. Le 16 septembre 2005, notre pays s'y était engagé auprès des Nations unies.
Nous avons d'emblée jugé insuffisante la loi de 2007 et considéré que le premier détenteur de la fonction donnerait le ton.
Depuis, les rapports de M. Delarue ont conforté la place de cette institution. La présente proposition de loi reprend plusieurs de ses recommandations pour résoudre les difficultés qu'il rencontre et pour consacrer dans la loi les bonnes pratiques engagées par M. Delarue.
La proposition de loi protège les interlocuteurs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lui donne accès à plus d'informations et étend sa compétence aux mesures d'éloignement d'étrangers en situation irrégulière. Nous saluons ces avancées et le travail de Mme Tasca.
Comme elle le rappelle dans son rapport, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut se prévaloir d'un bilan remarquable. Grâce à la personnalité de son titulaire et la qualité de ses collaborateurs, il a largement contribué à faire progresser la situation des personnes privées de liberté dans notre pays.
Mais la situation des prisons françaises a peu évolué depuis la loi pénitentiaire de 2009 : surpopulation carcérale, allongement de la durée des peines, sans parler de la situation dans les unités psychiatriques ou les centres de rétention et zones d'attente. Il nous faut donc agir. La loi pénale à venir doit contenir des dispositions pour y remédier. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)
M. Nicolas Alfonsi . - L'affaire avait fait les gros titres il y a un an : l'inspection du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à la prison des Baumettes avait révélé l'existence de traitements inhumains et dégradants et contraint l'administration pénitentiaire à engager des travaux de transformation. À la suite de la publication du rapport, un audit a été demandé et le parquet invité à faire preuve d'une attention particulière.
La nouvelle autorité administrative indépendante, née du constat des carences du système pénitentiaire français, est issue de la loi du 30 octobre 2007. Elle a tenté de restaurer la dignité de notre institution pénitentiaire en rendant la leur aux personnes privées de liberté. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a visité plus de 800 établissements ; la personnalité de son titulaire et la qualité de ses équipes ont largement contribué à améliorer la situation des personnes privées de liberté. Depuis cinq ans, les rapports rendus par le Contrôleur général ont mis en lumière certaines distorsions entre les textes et la pratique et la perfectibilité des premiers.
Le groupe RDSE se félicite de l'inscription de cette proposition de loi. Le Sénat s'était opposé en 2011 à l'intégration du Contrôleur général au sein du nouveau Défenseur des droits qui, comme l'avait justement noté M. Gélard, l'aurait affaibli. Ce constat est plus que jamais d'actualité. La création d'un délit d'entrave, la protection des correspondances et contre le risque de représailles renforcent ses pouvoirs. Il fallait aussi lui permettre d'accéder aux procès-verbaux de garde à vue, de mettre en demeure certaines personnes de lui répondre, et de lever, dans certains cas, le secret médical. Le travail de Mme la rapporteure a abouti à une formulation satisfaisante de cette dernière prérogative. Les ministres seront désormais systématiquement tenus de répondre au Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans un délai fixé par celui-ci. L'élargissement de ses compétences à l'égard des étrangers en situation irrégulière est aussi bienvenu.
Nous rendons hommage à l'excellent travail et à l'engagement de M. Jean-Marie Delarue. Le groupe RDSE votera ce texte. (Applaudissements)
Mme Esther Benbassa . - En 2007, l'institution d'un Contrôleur général des lieux de privation de liberté était censée témoigner de la volonté de la France de s'engager dans un contrôle indépendant et effectif de tous les lieux de privation de liberté : établissements pénitentiaires, unités hospitalières spécialisées, dépôts des palais de justice, centres de rétention administrative...
Après cinq années, la nécessité d'un tel contrôle n'est plus à démontrer. Je salue le travail sans concession de M. Delarue qui, par sa grande sensibilité, a fait avancer le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Il a rempli sa fonction en républicain.
Le groupe écologiste souscrit aux préoccupations affichées par ce texte. Est notamment traduit en droit le principe de l'article 21 du protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture, qui prévoit qu'aucune sanction ne peut être prononcée, qu'aucun préjudice ne peut résulter du seul fait des liens établis avec le Contrôleur général ou des informations obtenues en rapport avec ses fonctions.
Mme Tasca a notablement enrichi ce texte. Un amendement adopté par la commission des lois étend ainsi la compétence du Contrôleur général aux mesures d'éloignement des étrangers jusqu'au pays de destination : c'est essentiel. Les étrangers expulsés ne sont pas des colis qu'on jette dans un avion mais des êtres humains, dignes d'égards, ce qu'une certaine propagande anti-immigration, qui les présente comme d'indésirables parasites, risque de nous faire perdre de vue. Une part d'humanité nous unit irrévocablement à eux, quelles que soient leur nationalité, leur origine ou leur religion. Actuellement compétent pour contrôler les zones d'attente et de rétention administrative, le Contrôleur général le deviendra pour contrôler les conditions de transfèrement jusqu'au pays de destination. Or cette phase a donné lieu à nombre de dérives, comme de multiples témoignages l'attestent ; un jeune Somalien de 24 ans et un Argentin de 52 ans sont ainsi décédés dans des circonstances troubles lors de leur reconduite à la frontière.
Viscéralement attachés aux droits fondamentaux, nous voterons avec conviction cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-René Lecerf . - J'ai toujours pensé que le Sénat avait deux missions : l'une constitutionnelle, représenter les collectivités territoriales ; l'autre historique, défendre les libertés et la dignité humaine. C'est au président Poher que nous devons la sauvegarde de la loi de 1901 sur les associations, puisqu'il fut, par sa saisine, à l'origine de la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971. C'est à une commission d'enquête sénatoriale, présidée par M. Hyest, que nous devons le rapport publié en 2000, au titre délibérément brutal : Prisons, une humiliation pour la République.
Le 28 juin 2009, Nicolas Sarkozy demandait, devant le Congrès réuni à Versailles : « Comment accepter que la situation des personnes détenues soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine ? Comment espérer réinsérer ceux qu'on prive pendant des années de toute dignité ? L'état de nos prisons est une honte pour la République ».
Depuis, des étapes ont été franchies avec la loi pénitentiaire, dont tous les décrets n'ont cependant pas été pris...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Il n'en manque qu'un !
M. Jean-René Lecerf. - C'est un de trop... Et la loi du 30 octobre 2007 qui a créé le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Sa compétence, si elle dépasse les lieux de détention, ne s'étend pas aux personnes âgées dépendantes dont les restrictions de liberté sont indissociables de leur perte d'autonomie et nécessaires à leur protection.
Au terme de cinq ans et demi d'exercice, le bilan du Contrôleur général est extrêmement positif. Le choix du premier titulaire de la fonction était important - le Parlement, à l'initiative du Sénat, avait alors anticipé la révision constitutionnelle de 2008.
Comme le note Éric Senna, l'organisation administrative et la place du Contrôleur général ne sont plus interrogées. Son travail considérable est apprécié de tous. Au terme de son mandat, M. Delarue a ouvert un débat sur l'évolution souhaitable de cette institution.
Faut-il lui maintenir son autonomie ? L'Assemblée nationale avait opté pour une intégration au Défenseur des droits au terme du mandat de M. Delarue ; M. Gélard avait estimé que celle-ci ne pouvait être décidée qu'au terme d'un premier bilan. Avec cette proposition de loi, nous prenons parti contre cette intégration, pour des raisons à la fois conjoncturelles - surpopulation inquiétante, renouvellement probable du moratoire sur l'encellulement individuel - et structurelles : la démarche de contrôle, de prévention du Contrôleur général se différencie des missions du Défenseur des droits. Le 8 novembre 2011, le Défenseur des droits et le Contrôleur général ont signé une convention qui organise leurs complémentarités. Son article 3 prévoit ainsi les modalités selon lesquelles chaque institution doit saisir l'autre.
La proposition de loi mettra fin au risque de représailles ou de pressions qui pesait sur les personnes qui s'entretenaient avec le Contrôleur général. Il le fallait : la crainte, même infondée, de représailles, diminuait la portée du contrôle du Contrôleur général.
Importait aussi de donner au Contrôleur général un accès aux informations couvertes par le secret médical. L'amendement réservant cet accès à ceux de ses collaborateurs titulaires d'un diplôme de médecine est un bon compromis.
Il fallait préciser la procédure applicable aux enquêtes en donnant autorisation aux collaborateurs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté de procéder à toute vérification nécessaire sans que l'autorité responsable puisse s'y opposer. Toute personne sollicitée sera tenue d'apporter les informations en sa possession. Enfin, l'article 5 donne au Contrôleur général des lieux de privation de liberté la possibilité de mettre en demeure une personne de lui répondre dans un délai déterminé - les réponses ministérielles posent parfois problème...
Un vote aussi consensuel que possible sera la réaffirmation par le Sénat de l'importance qu'il accorde à la protection des libertés et à la dignité des personnes. Merci à Mme la rapporteure pour la qualité de son travail. Le groupe UMP apportera tout son appui à cette proposition de loi. (Applaudissements)
Mme Virginie Klès . - Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de cette proposition de loi. Pourquoi avons-nous institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté ? Pourquoi faut-il faire évoluer cette institution ?
La devise de la République est « liberté, égalité, fraternité ». Pourtant, certains citoyens sont placés dans des lieux de privation de liberté par décision d'une autorité publique. Cela pose des problèmes de sécurité mais aussi de brouillage des repères, de relations entre les individus : d'un côté, ceux qui ont l'autorité, le savoir, le pouvoir ; de l'autre... les autres. Les relations qui s'établissent sont bien spécifiques et doivent faire l'objet d'un contrôle. On ne peut pas ignorer en outre que les relations entre individus, entre détenus, sont différentes de celle dont nous avons l'habitude. Dans ces lieux, la violence la plus extrême, la résignation, l'indifférence totale, la révolte, le sentiment d'injustice : le pire et le meilleur de ce dont l'homme est capable, sous forme concentrée, explosive. Comme l'a dit M. Delarue, quand le Contrôleur général des lieux de privation de liberté reçoit la lettre d'une personne désespérée ou humiliée, s'il n'y répond pas rapidement, la situation peut devenir explosive. Les taux de suicide importants, les révoltes, le mal-être des gardiens aussi, pointent la nécessité de garantir un minimum de liberté, d'égalité et de fraternité dans les lieux de privation de liberté.
Il faut donc donner au Contrôleur général des lieux de privation de liberté les moyens d'agir, d'aider les administrations à faire régner la paix pour la sécurité de tous. C'est pourquoi le Sénat a voté en 2007 la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à l'unanimité. C'est pourquoi il faut faire évoluer cette institution aujourd'hui. L'actuel titulaire du poste est un homme exceptionnel, l'institution doit le rester. Il faut donc inscrire son fonctionnement dans la loi, prendre acte des avancées qu'il réclame en matière de secret médical et pérenniser l'institution. Il importe aussi de soutenir l'administration pénitentiaire dans ces efforts pour réhumaniser les lieux de privation de liberté. Il s'agit de valoriser les personnels impliqués dans le fonctionnement des lieux de privation de liberté, pas de jeter l'opprobre sur eux.
Le groupe socialiste votera ce texte et remercie Mme Tasca pour son immense travail. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre et à droite)
M. Thani Mohamed Soilihi . - La ratification du protocole facultatif adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 2002 a conduit le législateur à créer par la loi du 30 octobre 2007 un Contrôleur général des lieux de privation de liberté et à lui conférer un statut d'autorité administrative indépendante. Celui-ci doit veiller au respect de la dignité des personnes privées de liberté, à l'équilibre entre respect des libertés fondamentales et exigences d'ordre public et de sécurité et à prévenir toute violation des droits fondamentaux. Il peut visiter tous les lieux de privation de liberté même inopinément. Ainsi, un contrôle a eu lieu du 26 mai au 4 juin 2009 à Mayotte, au centre de rétention administrative de Pamandzi, souvent qualifié d'indigne de la République et tristement célèbre pour sa surpopulation et ses conditions inhumaines, ainsi qu'à la maison d'arrêt de Majicavo, dont le taux d'occupation était à l'époque de 270 %.
Le constat était plus qu'alarmant. Un projet de construction d'un nouveau centre de rétention a été annoncé, mais en mars 2012, M. Delarue s'était irrité devant nous de l'état d'avancement du projet, dont la date de livraison est encore incertaine. Ses recommandations ont aussi conduit à l'extension de la maison d'arrêt. Un établissement neuf de 278 places sera livré en septembre 2015. Je remercie Mme la garde des sceaux de son engagement et de la constitution d'un groupe de travail traitant spécifiquement des conditions de détention outre-mer.
L'importance de la mission du Contrôleur général est incontestable. En cinq ans, il a visité plus de 800 établissements. La présente proposition de loi tire les enseignements de son expérience. Elle prévoit la publication systématique de ses recommandations et propositions, lui donne la possibilité de mise en demeure, crée une nouvelle infraction pénale punie de 15 000 euros d'amende ou d'un an d'emprisonnement, l'entrave à sa mission.
Je voterai ce texte, qui a été enrichi grâce au formidable travail de Mme Tasca. (Applaudissements)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
L'article premier A est adopté.
ARTICLE PREMIER
Mme Nathalie Goulet . - La prison de Condé-sur-Sarthe-Alençon, inaugurée le 30 avril 2013, connaît de multiples incidents : prise d'otages, mutinerie, agression à coup de pic du directeur adjoint. Vendredi matin 10 janvier, les équipes régionales d'interventions et de sécurité, le GIGN de la pénitentiaire, ont été rappelées ; elles étaient là depuis quelques jours mais avaient dû repartir pour des raisons d'économie... C'est la panique totale. Selon les syndicats, si des décisions radicales ne sont pas prises, le Gouvernement aura un mort sur la conscience... Au sein de l'établissement sont concentrés les détenus les plus durs. Le personnel d'encadrement est insuffisant et insuffisamment formé - 90 stagiaires sur 180 personnes !
Les syndicats demandent l'arrêt de la montée en charge de cet établissement. Le sujet concerne aussi les habitants de la région. Pourtant, cet établissement n'est utilisé qu'aux deux tiers de ses capacités... La sécurité du personnel pénitentiaire est la garantie du respect des droits dû aux détenus.
Mme Aline Archimbaud . - Notre groupe avait déposé un amendement ouvrant au Contrôleur général les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes. Je regrette qu'il ait été déclaré irrecevable au titre de l'article 40. La vie des personnes âgées dépendantes dans ces établissements n'est parfois pas très éloignée de celle des personnes en hôpital psychiatrique, elles sont dans une situation de grande fragilité. Quel que soit le dévouement de leurs personnels, les Ehpad sont un milieu spécifique auquel nous devons être sensibles. Les visites du Contrôleur général apporteraient une garantie qui rassurerait les personnes âgées et leurs proches. Un débat doit s'engager.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Lecerf.
Alinéa 5
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« Lorsque les faits ou situations portés à sa connaissance relèvent de ses attributions, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut procéder...
M. Jean-René Lecerf. - La question de savoir si les faits ou situations portées à sa connaissance relèvent de ses attributions ne relève pas de la subjectivité du contrôleur général.
Mme Catherine Tasca, rapporteure. - Avis favorable à cet utile ajustement.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°3 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°4, présenté par Mme Tasca, au nom de la commission.
Alinéas 14 à 16
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
3° Le dernier alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les procès-verbaux de garde à vue, lorsqu'ils ne sont pas relatifs aux auditions des personnes, lui sont communicables.
« Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut déléguer aux contrôleurs les pouvoirs mentionnés aux premier à cinquième alinéas du présent article.
« Les informations couvertes par le secret médical peuvent être communiquées, avec l'accord de la personne concernée, aux contrôleurs titulaires d'un diplôme, certificat ou autre titre permettant l'exercice en France de la profession de médecin. Toutefois, les informations couvertes par le secret médical peuvent leur être communiquées sans le consentement de la personne concernée lorsqu'elles sont relatives à des privations, sévices et violences physiques, sexuelles ou psychiques commis sur un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. »
Mme Catherine Tasca, rapporteure. - La rédaction actuelle laissait subsister une interrogation sur la possibilité de déléguer l'accès au dossier médical. En inversant les alinéas, les choses sont plus claires.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Nous n'avons pas eu cet amendement sous les yeux, mais j'ai écouté Mme Tasca et j'ai confiance en la sagacité de la commission des lois. Avis favorable.
L'amendement n°4 est adopté.
L'article premier, modifié, est adopté.
Les articles 2 à 8 sont successivement adoptés.
Interventions sur l'ensemble
M. Jean-Pierre Michel . - Le groupe socialiste votera ce texte et remercie Mme Tasca.
La commission des lois a largement discuté de l'amendement évoqué par Mme Archimbaud qui a été déclaré irrecevable en vertu de l'article 40. C'est regrettable, il eût mieux valu en débattre en séance.
Il y a des problèmes, en effet, à l'intérieur de certains Ehpad, de certaines MAS, de certains établissements pour personnes handicapées mineures ou majeures, gérés par les collectivités ou des associations de la loi de 1901. Mais ils sont d'une nature très différente de celle des établissements relevant du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Reste qu'il faudrait examiner la manière dont ils sont contrôlés.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - La ministre des affaires sociales et la ministre déléguée aux personnes âgées sont très sensibles à cette question. Nous avons eu trois séances de travail à la Chancellerie sur le contrôle de ces établissements. Ils ne relèvent pas de la compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
L'article 40... J'ai été parlementaire... Je préfère le débat... quitte à ce que l'examen de certains sujets soit ensuite reporté.
La ministre des affaires sociales est si préoccupée par ce sujet, qu'elle souhaite que l'on pose les droits de ces personnes et non qu'on les traite comme des personnes soumises à une tutelle implicite.
Madame Goulet, la prison d'Alençon est la plus sécurisée de France. Nous évitons délibérément qu'elle soit occupée à 100 %, car il s'agit de détenus difficiles. Et il y a toujours des incidents les premiers mois dans les nouveaux établissements.
Le rapport d'incidents servira à élaborer le projet d'établissement, fin janvier. Les Équipes régionales d'intervention et de sécurité (Eris) sont restées sur place plusieurs jours. Un projet de formation complémentaire a été mis en place pour les personnels. Soyez assurée de notre vigilance.
La proposition de loi est adoptée.
Mme Catherine Tasca, rapporteure. - Je veux remercier le service de la commission des lois et à tous les groupes du Sénat, et en particulier M. Lecerf. Le Sénat a toujours exprimé son attachement à la défense des libertés et le consensus observé aujourd'hui n'y fait pas exception. Merci enfin aux services de la Chancellerie et du ministère de l'intérieur.
Pour finir, je renouvelle mon hommage au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue. Puisse son successeur montrer les mêmes qualités. (Applaudissements)
La séance, suspendue à 16 h 35, reprend à 16 h 40.
Simplification du droit dans les domaines justice et affaires intérieures (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
Discussion générale
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice . - Ce projet de loi s'inscrit dans le chantier ambitieux de simplification du droit et des procédures engagé par le Gouvernement pour faciliter la vie de nos concitoyens. Plusieurs articles autorisent le Gouvernement à légiférer par ordonnance. Ancienne parlementaire...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Brillante !
Mme Cécile Cukierman. - Très à l'aise !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - ... je connais vos réticences à ce sujet. (M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, confirme) J'ai moi-même souvent ferraillé contre de telles habilitations.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Nous avons les preuves ! (Sourires)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Le procédé est contestable sur le principe, mais parfois opportun : ainsi pour l'application des lois outre-mer.
Le présent texte est d'une autre ambition, je l'avoue : simplifier, moderniser le droit, pour rendre nos institutions et administrations plus efficaces, au service de nos concitoyens. Il ne s'agit pas d'exproprier le Parlement. Le débat parlementaire est inappréciable, je le sais par expérience. Les ordonnances conservent d'ailleurs un caractère réglementaire, avant leur ratification par le Parlement.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Par d'obscurs amendements !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Le Parlement a toute liberté de retoucher des ordonnances. L'écriture originale de celles-ci tiendra compte, d'ailleurs, de vos observations. Le Gouvernement n'entend pas se précipiter.
Votre commission a supprimé certains articles, et rendu certaines dispositions directement applicables. Convenez que la Chancellerie a facilité les choses et que nous avons travaillé dans un bon esprit.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Absolument.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Ce projet de loi concerne la justice, l'administration territoriale, mais aussi le régime conservatoire des hypothèques.
Le juge n'interviendra plus systématiquement pour contrôler l'administration du patrimoine d'un défunt par le conjoint survivant : ce n'est plus nécessaire, du moins pour les patrimoines modestes. Je veillerai cependant à ce que les petits patrimoines ne soient pas moins protégés que les autres. Votre commission est revenue sur cette disposition ; je souhaite cependant qu'on y réfléchisse.
En ce qui concerne la protection juridique des majeurs, nous proposons que le juge puisse décider que les mesures de rétention ne seront pas révisées avant dix ans au maximum. Actuellement, la limite est fixée à cinq ans pour la première révision, mais il n'y a ensuite aucune limite de durée. Nous nous sommes fondés sur le bilan de la loi de 2007. On me demandait de reporter d'un an les révisions de tutelles, mais cela n'aurait rien résolu ; j'ai préféré renforcer les moyens des tribunaux d'instance. Le retard pris a ainsi été comblé.
C'est pour éviter que le problème ne se reproduise que nous avions porté le délai à dix ans. Votre commission n'a pas voulu de cette mesure. Il ne s'agit pourtant pas de mettre en péril les majeurs protégés.
Nous souhaitons aussi que les personnes sourdes et muettes puissent tester par un acte authentique. Elles ne le peuvent pas, ce qui est aberrant ! Vous demandez la présence de deux interprètes, pour ne pas compliquer je proposerai plutôt un seul interprète agréé.
Vous n'avez pas retenu la simplification de la preuve de la qualité d'héritier, pour les héritages de moins de 5 300 euros, soit 30 % du total. Actuellement, les maires doivent délivrer le certificat, mais ils craignent que leur responsabilité soit engagée, et c'est pourquoi beaucoup d'héritiers renoncent à leur héritage : ces renoncements, sont en hausse de 25 % : il faut y remédier car il ne s'agit pas seulement d'argent mais d'objets et de souvenirs qui n'ont d'autre valeur que sentimentale.
Votre commission a aussi supprimé l'article 3. La question est délicate.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - C'est le sujet principal
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je reconnais volontiers que nous avons eu l'audace d'aborder des sujets lourds. L'article habilitait le Gouvernement à moderniser par ordonnances le droit des contrats et obligations...
M. Jean-Jacques Hyest. - Rien que ça !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - ... qui n'a pas été substantiellement modifié depuis le code Napoléon. Deux cent dix ans !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Raison de plus pour ne pas y toucher par ordonnance !
M. Jacques Mézard. - Il était mieux écrit !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Cela fait plaisir venant du RDSE ... Notre code civil jouit d'une aura extraordinaire, d'autres États s'en sont inspirés. Mais une part importante du droit civil découle désormais de la jurisprudence. Il faut donc moderniser notre droit en renforçant la protection de la partie la plus faible. Les relations contractuelles ne sont-elles pas en pleine expansion ? Cette réforme n'a-t-elle pas été annoncée dès le bicentenaire du code civil ? De nombreux travaux ont été accomplis et l'on sait ce qui doit être fait. Or il est impossible d'inscrire cette réforme à l'ordre du jour des assemblées. Si nous ne la faisons pas maintenant, nous en reparlerons dans dix ans ! Les attentes sont fortes.
Nous voulions aussi supprimer l'action possessoire qui ne sert plus guère que de matière à des cours universitaires ! D'autres dispositions étaient envisagées concernant la prescription acquisitive pour la Corse et les outre-mer, mais elles n'étaient pas mûres et je comprends vos réticences.
Ce projet de loi habilite aussi le Gouvernement à réformer le tribunal des conflits, une juridiction qui remonte à 1872. J'ai repris la plupart des recommandations de Jean-Louis Gallet, son ancien vice-président. Le garde des sceaux ne présidera plus le tribunal des conflits, car cela entretient l'idée d'une confusion des genres. La question du départage est réglée par ailleurs.
L'institution s'est modernisée, sa jurisprudence - une jurisprudence en action - a évolué, et le projet de loi reprend ces avancées. Je proposerai un amendement prévoyant une loi, et non de simples dispositions dans un projet de loi d'habilitation.
Les convocations au tribunal par voie postale - recommandé avec accusé de réception - coûtent 58 millions d'euros par an, alors même que 80 % d'entre elles ne sont pas retirées. Ce projet de loi autorisera la convocation par voie électronique.
Plusieurs dispositions concernent l'administration territoriale. Ainsi nous supprimons la transmission obligatoire des actes de certains établissements publics aux préfets. Nous facilitons l'accès au relevé des points du permis de conduire. Enfin, nous remplaçons de nombreux régimes d'autorisation par des régimes de déclaration. J'ai noté la réticence de votre commission.
J'espère que le débat permettra d'avancer. (Applaudissements à gauche)
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois . - Voici le quatrième projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier notre droit par ordonnance. En procédant par textes successifs, à l'objet clairement délimité, le Gouvernement se tient à sa nouvelle méthode de simplification du droit, et évite les textes fourre-tout du passé.
La commission des lois, dans le droit fil des travaux antérieurs du Sénat, a voulu limiter les habilitations au strict nécessaire. Elle a tantôt supprimé purement et simplement les habilitations - parfois à titre conservatoire, en l'attente d'explications. Tantôt, elle a rendu des dispositions directement applicables. Le Gouvernement s'est attaché à préciser les choses autant que possible, et je l'en remercie. L'étude d'impact est claire et exhaustive.
Mme la garde des sceaux a présenté l'essentiel des dispositions du texte, qui touche d'abord au droit civil : dans la plupart des cas, il s'agissait d'habiliter le Gouvernement à prendre des mesures ponctuelles par ordonnance.
Ce projet de loi l'habilite aussi à réformer le tribunal des conflits. Je me félicite des concessions du Gouvernement.
Sur les communications électroniques, la commission des lois a voulu apporter des garanties.
Je n'entre pas dans le détail des dispositions relatives à l'administration territoriale.
Revenons en revanche sur l'article 3. Le droit des contrats et des obligations n'a pas changé depuis 1803. En raison d'une jurisprudence considérable, « il n'est plus dans le code civil » », disait M. Mazeaud. Une réforme est donc nécessaire. Mais vu son importance, il est impensable qu'elle échappe au Parlement. Je ne vois que deux précédents : la réforme du droit de la filiation, une exception qui ne fut pas heureuse car le Parlement dut y revenir, et celle du droit des sûretés, ratifiée à la va-vite dans un texte sur la Banque de France, ce que M. Hyest avait vigoureusement dénoncé à l'époque.
Le Parlement n'aurait-il donc pas les compétences techniques nécessaires ? L'argument n'est pas recevable, au vu du travail déjà accompli sur le droit des successions en 2005 et le droit des prescriptions en 2008. Des problèmes politiques sont en jeu. Il faut trouver un « équilibre entre l'impératif de justice dans le contrat et celui de sa sécurité, obligeant une partie à rester tenue même si les dispositions lui deviennent défavorable. ». Faut-il autoriser la résiliation unilatérale d'un contrat ?
La perspective d'une ratification ne suffit pas. Le législateur ne peut alors remettre en cause les grands équilibres des textes. En outre, la voie des ordonnances n'est pas nécessairement plus rapide : l'exemple de la réforme de la filiation, qui a pris plus de quatre ans, en témoigne.
En outre, l'article exclut du champ de l'habilitation la question de la responsabilité civile, qui mérite pourtant réflexion. Voilà pourquoi la commission des lois a supprimé cette habilitation et lance un appel insistant au Gouvernement pour qu'il inscrive cette réforme à notre ordre du jour.
La question du démarchage juridique mérite aussi d'être examinée par le Parlement : elle a été réglée hâtivement par un amendement du Gouvernement au projet de loi relatif à la consommation. Tout vient de la décision du 5 avril 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) jugeant contraire à la directive « Services » l'interdiction absolue du démarchage juridique. Le Gouvernement a voulu régler rapidement le problème dans la loi sur la consommation en réservant ce démarchage aux avocats.
Il en résulte une rupture d'égalité entre professions. Il est regrettable qu'elles n'aient pas toutes été associées à la réflexion. Il est souhaitable de n'autoriser que le démarchage par voie écrite, afin que l'on puisse faire la preuve que celui-ci a eu lieu et dans le respect de la déontologie de cette profession.
J'ai tenu à associer à nos travaux les représentants de la profession d'avocat. Je les ai reçus à trois reprises. Sous réserve de l'adoption de nos amendements, notre commission vous propose d'adopter ce texte, pertinent et utile, dans les limites que nous lui avons fixées. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois . - Madame la ministre, vous nous avez parlé avec sincérité et humour. Le discours de M. Mohamed Soilihi, plein de sagesse, a bien montré les difficultés auxquelles nous faisons face. Faut-il céder au rituel qui veut que l'on dénonce avec force les ordonnances lorsque l'on est dans l'opposition et qu'on y consente lorsqu'on est dans la majorité ? Je n'en suis pas sûr.
Rendu possible par l'article 38 de la Constitution, le recours aux ordonnances peut être utile ; nous en acceptons d'ailleurs certaines dans ce projet de loi. Mais elles ne doivent concerner que des modifications à caractère technique, sans empêcher des débats fondamentaux. Notre commission a toujours eu cette position, comme elle a eu une position constante sur les lois mémorielles. MM. Hyest et Gélard pourront le confirmer.
Portalis nous regarde.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Pas d'idolâtrie ! (Sourires)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Lorsqu'il a présenté le projet de code civil, il a dit : « Le plan que nous avons tracé de ces institutions remplira-t-il le but que nous nous sommes proposé ? Nous demandons quelque indulgence pour nos faibles travaux, en faveur du zèle qui les a soutenus et encouragés. Nous resterons au-dessous, sans doute, des espérances honorables que l'on avait conçues [du résultat] de notre mission : mais ce qui nous console, c'est que nos erreurs ne sont point irréparables ; une discussion solennelle, une discussion éclairée les réparera ». Et il s'agit là de ce que le doyen Carbonnier qualifiait de « Constitution civile de la France ».
Je pourrais aussi citer un ami disparu, Guy Carcassonne, qui écrivait : « Pour faire de bonnes lois, on n'a pas encore inventé mieux que le Parlement. Les ordonnances sont comme des projets de loi qui deviendraient directement des lois. Ce sont généralement des textes défectueux, dont les malfaçons ne se révèlent qu'a posteriori, là où il se serait sans doute trouvé un parlementaire pour soulever, fût-ce innocemment, le problème qui ne s'est découvert qu'après, à l'occasion de contentieux multiples. Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. À qui pourrait les oublier, cette législation de chefs de bureau que sont les ordonnances le rappelle utilement. »
Certains soirs de grande fatigue, passer devant le Parlement peut être senti comme une contrainte. Ce serait si simple de s'en passer ! Mais la procédure des ordonnances ne doit pas s'appliquer aux grands sujets comme le droit des contrats, le code civil. Le travail du Parlement est irremplaçable. C'est un travail lent, laborieux, de tamisage des amendements. La République a voulu que la loi fût écrite non par de brillants juristes mais par les représentants de la Nation, qui élaborent un texte dans le feu du débat, et le polissent et le repolissent au fil des navettes.
La réforme constitutionnelle a instauré une semaine de contrôle.
M. Jean-Louis Carrère. - Dont l'intérêt est très relatif.
Mme Nathalie Goulet. - Inégal.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Je vous propose de rédiger dans les formes un projet de loi que la commission des lois pourrait inscrire à l'ordre du jour dans une semaine de contrôle. Ce pourrait être dès le mois de mai.
Le droit des sûretés et celui des filiations, traités par ordonnance, ont suscité de nombreuses désapprobations, au Sénat comme à l'Assemblée nationale. M. Hyest s'était opposé à cette procédure. Nous souhaitons que le débat parlementaire puisse avoir lieu sur ces sujets importants.
Telles sont les raisons de fond pour lesquelles La commission des lois, unanime, rejette l'article 3. (Applaudissements)
Mme Cécile Cukierman . - Je salue le travail du rapporteur, qui dénonce le recours abusif aux ordonnances prévues par l'article 38 de la Constitution.
Cette procédure s'est banalisée depuis les années 2000, après avoir longtemps fait figure d'exception. Ces ordonnances touchent à des domaines divers et contribuent au désordre juridique. Le Conseil constitutionnel justifie qu'on y recoure par l'urgence et par l'encombrement du calendrier parlementaire ; la pratique en est facilitée par un jeu de complicités entre le Gouvernement et sa majorité parlementaire.
Certaines dispositions dans ce projet de loi sont effectivement de simplification et relèvent donc bien de la procédure des ordonnances. Mais il ne saurait en aller de même pour une réforme du droit des obligations. Son importance est telle qu'un vrai débat parlementaire est indispensable, sachant que la navette doit servir à enrichir les textes et pas à donner à l'Assemblée nationale l'occasion de supprimer les apports du Sénat.
La récurrence des critiques contre le recours abusif à la législation déléguée et l'absence de mesures prises pour y remédier révèle le paradoxe de cet article 38 de la Constitution, dénoncé sans relâche par l'opposition, qui l'utilise quand elle devient majorité. Notre groupe, lui, continue à dénoncer l'usurpation du droit des parlementaires par le Gouvernement.
Nous espérons être entendus afin de pouvoir voter ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Stéphane Mazars . - Le projet de loi répond à un objectif de sécurité juridique dont le moyen doit être une simplification du droit.
Le Conseil constitutionnel a consacré dans sa décision du 16 décembre 1999 le principe d'intelligibilité de la loi. La Cour européenne des droits de l'homme, en 1979 et 1994, a affirmé les mêmes objectifs. Cela ne doit pas conduire à ignorer la complexité des textes, qui est celle des rapports sociaux. C'est pourquoi le groupe RDSE a déposé des amendements.
La réforme du droit des contrats et des obligations ne pourrait faire l'objet d'un amendement unique, la commission des lois en ayant voté la suppression. Le remplacement de l'action possessoire par une action en référé n'est pas satisfaisant. La suppression du titre exécutoire non plus : l'huissier protège l'exécution des décisions de justice, mais les procédures civiles d'exécution ne doivent pas être trop intrusives. De même, il ne nous paraît pas opportun de supprimer l'avis conforme des conseils municipaux aux emprunts contractés par les CCAS. La commune n'est-elle pas concernée par le risque pris ainsi ?
Nous proposons enfin un amendement établissant la mixité des formations collégiales de jugement, alors que les promotions de l'école de la magistrature sont désormais composées de femmes à 80 %. Les points de vue masculins et féminins doivent se compléter utilement.
M. Alain Bertrand. - Très bien !
M. Stéphane Mazars. - Nous suivrons les débats avec attention.
Mme Esther Benbassa . - Ce projet de loi s'ajoute à d'autres projets de loi d'habilitation à prendre des ordonnances. Il s'inscrit dans l'objectif de simplification du droit. Améliorer la lisibilité de notre législation est pertinent : cela accroîtra la sécurité juridique de nos concitoyens. Mais le temps pour débattre de ce projet de loi est trop court : procédure accélérée, recours aux ordonnances. Comme ils l'ont fait à l'Assemblée nationale, les écologistes contestent les conditions de ce débat.
Je salue le travail du rapporteur, qui a limité les habilitations au strict nécessaire, ce qui rend le texte plus acceptable. Certains domaines d'habilitation se distinguent : le droit des obligations à l'article 3, le tribunal des conflits à l'article 7, les communications électroniques en matière pénale à l'article 8, la substitution, à l'article 14, de régimes déclaratifs à certains régimes d'autorisation administrative applicables aux entreprises.
Le texte initial prévoyait la réforme des titres III et IV du code civil. Le rapporteur a rappelé que le droit des contrats et des obligations est la source de nombreux autres droits. Une aussi ambitieuse réforme mérite un travail parlementaire approfondi. Loin d'être technique, elle pose des problèmes politiques majeurs. La commission des lois a bien fait de s'opposer au traitement par ordonnances de la réforme du code civil.
L'objectif louable de simplification ne peut justifier une habilitation aussi générale, ou la réécriture par ordonnance de pans entiers du code civil. Le groupe écologiste soutient le texte issu de la commission des lois. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest . - Quand je lis le mot modernisation, je m'inquiète. Avec le mot simplification, je m'interroge. Quand s'y ajoute l'expression « par ordonnance », cela me fait bouillir ! Les ordonnances sont un mal nécessaire, sans doute. Mais il y en a de plus en plus. Notre travail est déstabilisé par le partage de l'ordre du jour entre Parlement et Gouvernement. Le Sénat considérait en 2008 qu'une semaine d'initiative suffisait, et que le contrôle s'exerçait au fil de l'année, en commission ; mais il a fallu composer avec l'Assemblée nationale.
En outre, on légifère beaucoup trop. Certains textes doivent être repris ensuite, voyez la question du démarchage. Le Conseil d'État serait bien meilleur que ces imbéciles de parlementaires.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Qui dit cela ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Un président de haute juridiction.
D'autres sujets n'intéressent personne, dit-on, et c'est pourquoi il serait légitime de les traiter par ordonnance ; c'est ce que l'on m'a répondu à propos du droit des sûretés, qui n'intéresserait que moi. Le Parlement est parfaitement capable de modifier des pans entiers du code civil. Je ne me résous pas à ce que le droit des contrats soit réformé par ordonnance. Cette réforme doit être débattue au Parlement, car ses implications sont considérables.
Certaines habilitations peuvent se transformer en textes immédiatement applicables, je pense à celle sur le consentement des sourds et muets. D'autres doivent être précisées : l'article 14, par exemple, est beaucoup trop flou.
Le rapporteur a fort bien précisé ce qu'il fallait préciser et intégré les dispositions qui ne méritent pas l'habilitation. Je n'ai jamais été favorable aux ordonnances, ni dans l'opposition, ni dans la majorité.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je n'ai pas varié non plus !
M. Jean-Jacques Hyest. - L'État réduit son soutien aux petites collectivités territoriales. Il ne faudrait pas que cela les conduise à engager davantage leur responsabilité. Il est trop facile de leur dire « Débrouillez-vous ! » même si c'est un bon moyen pour faire faire des économies - à l'État. Cette loi ne sera pas la dernière loi de « modernisation » ou de « simplification ». Mais l'objectif ne doit pas être uniquement de faire des économies.
Madame la garde des sceaux, présentez-nous un excellent texte.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - C'est fait !
M. Jean-Jacques Hyest. - Je n'en ai pas eu connaissance. Mais je m'arrête, car il semble que beaucoup de nos collègues aient hâte d'aller assister aux voeux du président de la République, puisqu'ils sont invités, eux. (Applaudissements)
M. François Zocchetto . - L'objet de ce texte est manifestement vague. C'est presque un texte fourre-tout. Quel lien entre l'action possessoire, la communication électronique en matière pénale et les voitures de petite remise ? Vous souhaitez de plus que nous nous dessaisissions de nos prérogatives sur cette jungle de dispositions.
Guy Carcassonne s'inquiétait déjà de l'usage immodéré des ordonnances qui aboutissait à des « textes défectueux ». Il affirmait que le « tamis parlementaire » avait des « vertus intrinsèques ». La réforme proposée est la plus ambitieuse depuis la création du code civil. Peut-on raisonnablement l'envisager par ordonnance ? Évidemment non ! Si encore vous aviez annexé au texte ces projets d'ordonnance !
Aussi la position de principe affirmée par notre rapporteur et le président Sueur a-t-elle notre soutien. La réforme du droit des obligations pose des questions que seul le Parlement peut trancher. Même si nous ne sommes pas favorables à toutes les dispositions de ce texte, nous voterons ce projet de loi tel qu'il est présenté par le rapporteur, avec l'espoir que notre message sera entendu.
M. le président. - Nous arrivons au terme des quatre heures dévolues au groupe socialiste.
La séance est suspendue à 18 h 30.
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
La séance reprend à 21 heures.
Modification à l'ordre du jour
M. le président. - Par courrier en date du mardi 21 janvier, M. Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP a demandé à compléter l'ordre du jour réservé à son groupe du mardi 11 février 2014 par la suite de l'examen de la proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire.
En outre, le rapport annuel de la Cour des comptes sera déposé ce même mardi 11 février, à 18 heures 30.
Rythmes scolaires
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à affirmer la liberté de choix des maires quant à l'organisation des rythmes scolaires dans l'enseignement du premier degré.
Discussion générale
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi . - Monsieur le ministre, vous avez cru pouvoir compter sur un consensus...
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. - C'est vrai ! Quelle naïveté...
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi. - ... sans donner du temps aux acteurs concernés. Vous avez cru que vous pouviez, par la seule organisation du temps scolaire, améliorer les résultats des élèves.
Les recommandations des chronobiologistes et chronopsychologues sont bien connues : des journées plus courtes, des séquences d'apprentissage concentrées lors des pics de vigilance des enfants, une semaine de quatre jours et demi, l'allongement de l'année scolaire et la prise en compte du fameux 7/2. Or votre réforme agit modérément sur la durée de la journée d'enseignement, pas du tout sur l'année scolaire. Les vacances d'été, trop longues, sont un facteur avéré d'aggravation des inégalités. Les journées ne sont pas plus courtes et la pause à mi-semaine est supprimée. Les comparaisons internationales font apparaître que les élèves coréens et finlandais réussissent mieux avec un temps scolaire plus court et une année plus longue ; les élèves espagnols et portugais moins bien avec un temps scolaire plus long. L'aspect qualitatif de l'enseignement, voilà le facteur principal de réduction des inégalités et de prévention des difficultés scolaires.
Cette réforme, dont les résultats ne sont pas avérés, suscite de toutes parts le mécontentement : chez les enseignants, qui paient un lourd tribut, n'ayant bénéficié d'aucune hausse de salaire malgré la demi-journée de plus ; chez les parents, qui craignent notamment pour la sécurité des enfants du fait de l'assouplissement du taux d'encadrement ; chez les contribuables, qui subissent déjà une lourde pression fiscale et devront payer. Le fonds d'amorçage de 250 millions et les aides de la Cnaf ne suffiront pas ; bientôt, les élus devront augmenter les impôts locaux. Eux aussi sont mécontents et s'inquiètent...
Mme Michèle André. - Mais non !
M. Jean-François Husson. - Mais si !
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi. - ... confrontés comme ils le sont à des problèmes organisationnels et financiers parfois insolubles. Comment mobiliser des animateurs pour une heure quand l'école se trouve à 30 minutes de la gare ? Comment proposer des activités en l'absence d'associations capables de les organiser ?
Le devoir d'un ministre de la République est d'écouter, de prendre en compte ces inquiétudes. Voilà des mois que nous vous interpelons : suspendez votre réforme, prenez le temps de la concertation dans l'intérêt des élèves. La nouvelle organisation du temps scolaire résulte d'un compromis entre le ministère, soumis aux contraintes budgétaires, les enseignants et chefs d'établissement et les associations ; quelques mois après la rentrée, il est clair que dans de nombreux cas ce compromis n'est pas adapté.
Cette proposition de loi repose sur un constat : votre réforme est mal engagée, elle pose de multiples problèmes d'organisation et elle n'est pas financée. Le fonds d'amorçage sera-t-il pérennisé après 2015 ? Nous ne le savons pas. Moins de 25 % des communes ont mis en oeuvre cette réforme des rythmes scolaires en 2013, certaines communes ont reculé.
M. Jean-François Husson. - Même à gauche !
Mme Françoise Cartron. - Deux communes seulement !
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi. - Cette proposition de loi du groupe UMP propose une issue. Loin d'imposer une solution unique, elle repose sur la responsabilité et la liberté des acteurs de terrain.
Cette proposition de loi repose sur trois principes : la liberté du choix des maires quant à l'organisation du temps scolaire, une concertation obligatoire entre tous les acteurs, une compensation intégrale des charges nouvelles par l'État. Ce faisant, elle apporte la souplesse nécessaire, sans appel aux contribuables locaux, en s'appuyant sur la responsabilité des maires, qui se fonde sur l'article 72-2 de la Constitution, et la territorialisation de la politique éducative, chère à Alain Savary.
Les maires sont tiraillés entre le devoir d'appliquer une réforme décidée par décret et le mécontentement de leurs administrés. Votons ce texte qu'ils attendent depuis des mois ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission de la culture . - Il est devenu banal de pointer les résultats médiocres de notre système scolaire. Les enquêtes internationales Pisa, naguère contestées au nom du modèle français, sont désormais incontournables.
Fallait-il commencer la réforme par les rythmes scolaires ? Quel bienfait espérer d'une réforme administrative qui ne touche en rien au statut des enseignants et aux programmes ni ne peut être modulée en fonction de l'âge des enfants ou des contraintes locales ?
J'ai critiqué en son temps le paradoxe français : les journées scolaires les plus chargées, l'année la plus courte. Cette réforme néanmoins reflète le fonctionnement pyramidal et rigide du ministère de l'éducation nationale. Aucune évaluation préalable, aucune estimation de l'impact sur les performances scolaires, aucune enquête auprès des maires... Le décret du 26 janvier 2013 impose un cadre unique. Cependant, les Directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen) en font une interprétation très diverse et certains d'entre eux imposent des obligations supplémentaires... Quatre communes de montagne de Haute-Savoie souhaitaient conserver les mercredis d'hiver pour le ski en anticipant d'une semaine la rentrée, tous les acteurs de terrain étaient d'accord, l'académie a refusé. Trois autres ont mutualisé leurs moyens pour organiser le temps périscolaire en deux séances d'une heure trente pouvant être prolongées dans un cadre associatif ; l'académie ayant refusé, elles sont contraintes de faire de la garderie... Où est donc l'intérêt supérieur de l'enfant ? (Mme Muguette Dini applaudit)
En outre, les contributions des CAF demeurent incertaines. Le défaut d'articulation entre services éducatifs et sociaux n'améliore pas la situation. Conséquence, 3 991 communes seulement sur 23 000 disposant d'une école ont choisi d'appliquer la réforme dès 2013. Cela représente 1,3 million d'élèves, soit 22,2 % de l'effectif total. Seules 35 des 150 communes les plus importantes ont adopté la réforme. Les maires ont en l'espèce moins de pouvoirs que les chefs d'établissement des écoles privées... Ce qui retient la plupart des maires, ce n'est pas un désintérêt pour le bien-être des élèves ; leurs réticences sont l'expression de leur refus de ne pas être considérés comme des partenaires éducatifs responsables et autonomes.
Selon l'enquête de l'AMF cet automne, 77 % des maires appliquant la réforme sont inquiets de son financement. De fait, le fonds d'amorçage est sous-dimensionné ; le montant des aides est sans rapport avec la réalité - il ne prend pas en compte par exemple les transports scolaires. Pour 2014, le budget s'élève à 102,7 millions d'euros, dont une contribution exceptionnelle de 62 millions de la Cnaf qui n'a pas vocation à être pérenne. Pour 2015, la question est ouverte : il faudra trouver 285 millions d'euros. Les communes demandent une compensation de ces charges pérennes, faute de quoi les élus devront augmenter les impôts locaux.
Il est temps de passer de la contrainte au libre choix, de la circulaire au contrat. Ce texte, déposé par le groupe UMP, offre une solution simple et pragmatique. Elle sort la réforme de l'ornière en modifiant l'article 521-3 du code de l'éducation et donne la liberté au maire d'organiser le temps scolaire dans les maternelles et écoles élémentaires publiques. Les limites nécessaires sont posées, respect des programmes et du calendrier annuel.
Il est prévu une consultation préalable des conseils d'école, des enseignants et des parents ainsi que des coopérations horizontales entre tous les acteurs, ce sera un changement de méthode. Enfin, il sera imposé une compensation intégrale des charges par l'État. Sortir de l'ornière, disais-je, et non de l'impasse, car il n'est pas question de faire demi-tour.
Ce texte viendrait trop tôt ? Certes, la mission du Sénat n'a pas rendu ses conclusions et je salue la qualité des travaux de Mmes Troendlé et Cartron.
Mme Françoise Cartron. - C'est déjà ça !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Compte tenu du temps parlementaire, il nous faut débattre aujourd'hui si nous voulons faire oeuvre utile pour la rentrée prochaine. Redonnons du souffle et de l'espoir aux maires. Lu Xun disait : « L'espoir est comme un chemin dans la montagne. Au début, il n'y a rien, puis un homme passe et voilà le chemin. »
M. Vincent Peillon, ministre. - C'est le montagnard qui parle !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Soyez cet homme, monsieur le ministre !
Comme vous l'avez compris, je suis favorable à cette proposition de loi. La commission ne m'a malheureusement pas suivi, raison pour laquelle le Sénat débattra de la proposition de loi initiale. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale . - Il y a un peu moins d'un an, nous discutions de la loi de refondation de l'école lors d'un débat constructif et de grande qualité. La droite ne l'avait pas votée, tout en reconnaissant, je le crois, la nécessité d'une telle refondation. Les enquêtes Pisa l'ont montré, la France est le pays où les inégalités scolaires sont les plus profondes. Notre cohésion sociale et civique en sort blessée, mise en danger. Quand il y va de l'enfant, nous devons pouvoir nous retrouver. J'entends votre appel à un débat apaisé.
Historiquement, notre République s'est construite autour de son école. L'accent mis sur l'école élémentaire se justifie. Beaucoup d'enfants ne maîtrisent pas notre langue au sortir de l'école, le pourcentage a augmenté de 5 % depuis 2007 - de 13 % en ZEP. Résultats faibles et inégalités scolaires vont de pair, les pays qui réussissent le mieux sont ceux qui ont su contenir les inégalités. Tandis qu'augmente le nombre des élèves en difficulté, les élites régressent ; voyez le cas des mathématiques : malgré l'existence de la grande école française des mathématiques, nous connaissons des difficultés.
La priorité donnée au primaire n'a pas commencé avec la réforme des rythmes scolaires. Avec la réforme des quatre jours en 2008, sans concertation, du jour au lendemain, nous sommes passés au triste record de 144 jours de classe ; nous sommes heureusement revenus à 180 jours. Nous avons rétabli la formation initiale professionnalisante des professeurs dans le cadre de l'autonomie des universités avec les écoles supérieures du professorat, ce qu'un colloque de l'OCDE a salué ; 27 000 des 54 000 postes y est consacrée. Les programmes scolaires, nous les réformons aussi. Contrairement à ce qui s'est passé en 2008, j'ai voulu consulter largement pour sortir l'école des joutes politiciennes qui l'ont abîmée. Le conseil national au sein duquel vous siégez propose de nouveaux programmes dans les quatre ans. Je peux citer encore l'accueil des moins de 3 ans, le programme innovant « plus de maîtres que de classes » dans les quartiers prioritaires, la sécurité dans les écoles, la lutte contre le harcèlement... Non, la refondation n'a pas commencé par les rythmes scolaires.
Au moment de la réforme des rythmes, je me suis tourné vers les adultes pour leur demander : voulez-vous contribuer à l'effort commun ? C'est là que la chose devient difficile... J'ai entendu vos arguments. Reste que vous ne trouverez aucun chronobiologiste pour nier que douze heures au lieu de quinze, cela favorisera l'apprentissage de la lecture et de l'écriture en CP. C'est ma responsabilité de ministre que de le dire.
Mme Françoise Cartron. - Très bien !
M. Vincent Peillon, ministre. - Diminuer la journée ? Oui, il le faut. Et c'est là que les difficultés commencent car il faut modifier des habitudes séculaires. C'est la première fois qu'on le fait... Au lieu de trois-quarts d'heure, il aurait fallu une heure, mais les collectivités territoriales consultées ne l'ont pas souhaité, cela aurait retiré une heure d'enseignement aux enseignants et en aurait ajouté une au périscolaire... Cette décision est le fruit d'une concertation qui n'a jamais été aussi longue...
M. Jean-François Husson. - C'est la meilleure !
M. Vincent Peillon, ministre. - ... et la liberté offerte en a laissé beaucoup désemparés... Quand on demande la liberté, il faut savoir en faire usage... La liberté s'appuie sur un choix éclairé, on le sait depuis Condorcet. Hélas, les lumières ne s'étendent pas à tous, certains qui défendaient hier la semaine de quatre jours et demi et n'ont jamais traduit leur conviction en actes la conspuent aujourd'hui...
Demain, quatre fois plus d'enfants auront accès à des activités périscolaires après la classe, autrefois délaissées à des officines privées...
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi. - Avec quelles associations ?
M. Vincent Peillon, ministre. - ... et qui seront gratuites ! (Exclamations à droite)
M. Bruno Retailleau. - Payées par les collectivités territoriales !
M. Vincent Peillon, ministre. - Qu'avez-vous fait pour l'école ces dernières années ? Vous l'avez blessée en supprimant des postes, en mettant fin à la formation des enseignants, en remettant en cause l'accompagnement des élèves handicapés...
M. Jean-Claude Lenoir. - Polémique !
M. Vincent Peillon, ministre. - ... en mettant la France dans la situation où elle est aujourd'hui, c'est-à-dire en pleine détérioration de ses performances scolaires ! L'État aujourd'hui crée des postes, organise la formation des enseignants, lutte contre la violence à l?école. Restent les responsabilités locales... On peut espérer que vous ferez mieux que ce que vous avez fait lorsque vous étiez aux responsabilités nationales... Nous avons fait le choix de la priorité donnée à l'école, nous avons fait le choix de la refondation républicaine, nous avons fait le choix de l'association des collectivités territoriales...
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi. - « L'association » ?
M. Vincent Peillon, ministre. - L'AMF ne soutient pas votre texte. Est-il impensable de dire qu'on peut servir son pays en sortant des postures ?
Malgré les éructations de quelques-uns, 70 % des maires ayant mis en oeuvre la réforme s'en déclarent satisfaits. (Murmures réprobateurs à droite) Alors mettons notre honneur à faire vraiment de la politique.
M. Jean-Claude Lenoir. - Pas de la polémique !
M. Vincent Peillon, ministre. - Justement : foin de la politique politicienne.
Votre texte reviendrait à donner aux collectivités territoriales le soin de fixer elles-mêmes le temps scolaire ; ce ne serait pas un progrès mais la fin de l'éducation nationale. (Applaudissements à gauche ; protestations à droite) Utilisez plutôt vos libertés locales, ne vous attaquez pas à la République ! Participez au redressement de notre pays ! (Applaudissements à gauche ; exclamations à droite)
M. Jean-François Husson. - Espérons que Mme Cartron se montrera aussi ouverte et tolérante que M. le ministre ! (Sourires à droite)
Mme Françoise Cartron . - Je dois dire mon étonnement... Le groupe UMP n'a-t-il pas demandé la création d'une mission d'information sur la réforme des rythmes scolaires et sur son coût ? Vous m'avez fait l'honneur de me nommer rapporteure. Nous n'en sommes qu'au début de nos travaux, notre cycle d'auditions de poursuit...
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi. - ... mais nous avons dressé un bilan à mi-parcours !
Mme Françoise Cartron. - Ma surprise est d'autant plus grande qu'aucune des personnes auditionnées n'a mis en cause le bien-fondé de la réforme...
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi. - Beaucoup ont demandé plus de souplesse !
Mme Françoise Cartron. - ... ni n'a parlé d'ornière. Après la circulaire de janvier 2013, le Gouvernement n'est pas resté sourd (exclamations à droite) : report d'un an de la réforme pour les communes qui le souhaitent, pérennisation du fonds d'amorçage, assouplissement du taux d'encadrement, accompagnement financier inédit de l'État, liberté d'organiser la demi-journée supplémentaire le mercredi ou le samedi et d'organiser les activités périscolaires le midi ou en fin de journée.
Un défaut d'évaluation ? Un comité de suivi existe et travaille, le Conseil national d'évaluation prévu par la loi de refondation de l'école sera réuni sous peu ; notre mission sénatoriale participe de ce travail.
Un manque de perspectives claires d'amélioration des performances ? C'est bien parce que la réforme des rythmes n'est pas suffisante qu'une loi de refondation a été votée. En 2011, la mission commandée par M. Chatel concluait à la nécessité d'alléger le temps scolaire. Les conclusions de la mission de M. Peillon étaient identiques, les enquêtes Pisa les confirment. Notre école, en l'état, reproduit les inégalités.
Votre proposition de loi irait à l'encontre de ce consensus. Elle donnerait aux maires la possibilité que rien ne change. Le maire, pourquoi pas, pourrait concentrer le temps scolaire sur trois jours en fonction d'impératifs touristiques. Au détriment de qui ? Toujours des mêmes : les élèves les plus fragiles, ceux qui sont le plus éloignés de l'école et ont besoin de plus de temps pour apprendre. Adopter ce texte, c'est ouvrir la boîte de Pandore.
Les reproches d'autoritarisme et d'impréparation ? Ils s'appliquent plutôt à M. Darcos ! (Protestations à droite) Il le reconnaît d'ailleurs lui-même.
Les modalités de mise en oeuvre ? Notre mission sénatoriale s'emploie justement à les adapter. Ce que réclament les élus, ce n'est pas une nouvelle loi ; ils veulent un accompagnement de qualité.
M. Jean-François Husson. - Un moratoire !
Mme Françoise Cartron. - Sous couvert de liberté des maires et de pragmatisme, je crains une remise en cause du service public de l'éducation nationale. Quel succès que l'assouplissement de la carte scolaire ! La liberté n'a profité qu'aux plus favorisés, la mixité ne s'est pas accrue.
Le financement ? Le fonds d'amorçage est pérennisé pour 2014. (Protestations à droite) Chaque chose en temps...
L'école a besoin de confiance. Il y va de notre cohésion nationale et de notre avenir. (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi. - Amen !
M. Jacques-Bernard Magner. - En ce jour, madame Cartron, d'autres ont exécuté Louis XVI ; vous avez, vous, exécuté M. Carle !
Mme Françoise Laborde . - Le système éducatif français est devenu le plus inégalitaire, après celui de la Nouvelle-Zélande. Deuxième constat, dès 2010, devant le stress grandissant des élèves, il était convenu qu'il fallait réduire le temps scolaire. Ainsi, monsieur le ministre, avez-vous décidé d'en venir à la semaine de quatre jours et demi dès la rentrée 2013 et d'instituer un fonds d'amorçage dans la loi de refondation de l'école.
Le nombre de jours de classe est passé de 144 à 180, se rapprochant de la moyenne de l'OCDE, soit 187 jours. La concertation a bien été organisée ; ce ne fut pas le cas en 2008. Une mission d'information a été créée en décembre, à l'initiative du groupe UMP. Il conviendrait d'attendre son rapport. Évaluons avant de s'incliner devant la réticence au changement. L'école a besoin de stabilité et de sérénité. Oui, des incidents ont eu lieu. Il faut laisser du temps aux communes pour s'organiser. En Haute-Garonne, la plupart des communes ont choisi de passer aux quatre jours et demi ; mais n'était-ce pas la règle avant 2008 ?
Au lieu de demander la pérennisation du fonds d'amorçage, ce qui serait justifié, les auteurs de la proposition de loi bouleversent notre système éducatif et mettent en cause l'égalité républicaine. L'éducation nationale a sans doute de fortes répercussions sur la vie locale, sans que cela ne justifie aucunement une organisation éclatée. Voulez-vous une journée moins chargée pour les seuls élèves des communes riches ? J'ajoute que les projets éducatifs territoriaux associent tous les acteurs locaux.
Comment évaluer déjà une réforme encore incomplètement appliquée ? Pas moins de 83 % des communes ayant mis en oeuvre la réforme seraient satisfaites. Le comité de suivi mène ses travaux.
Cette proposition de loi ne répond pas aux problèmes financiers des communes, ni à l'exigence de réussite des élèves. Nous sommes capables de nous adapter pour améliorer celle-ci et pour résorber les inégalités scolaires. La réforme des rythmes scolaires n'est qu'un des piliers de la refondation en cours. La majorité du RDSE ne soutiendra pas ce texte d'affichage. (Applaudissements à gauche)
M. André Gattolin . - Selon le code de l'éducation, celle-ci est un service public national, organisé par l'État. Le Préambule de la Constitution ne dispose-t-il pas que la Nation garantit à chaque enfant les conditions de son épanouissement ? Comprenez notre étonnement face à cette proposition de loi qui ouvre la voie à l'école à plusieurs vitesses. Nul ne nie les prérogatives des maires ; ils doivent être consultés par le Dasen pour l'organisation de la semaine scolaire, en application de l'article 2 du décret du 24 janvier 2013. Avec les nouveaux projets éducatifs territoriaux, les maires élaboreront les politiques éducatives au plus près du terrain. Un cadre national n'interdit pas la souplesse.
Le retour à la semaine de quatre jours et demi est un progrès. Certes, des difficultés pourront se faire jour, pour organiser les transports scolaires ou les activités périscolaires. Prenons le temps de l'évaluation approfondie. L'égalité des territoires et des citoyens face au service public sont des sujets sérieux.
Ce texte manque de cohérence et d'ambition ; il est précipité, alors que la mission d'information poursuit son travail.
Mme Françoise Cartron. - Laissez-nous travailler !
M. André Gattolin. - Pourquoi en effet ne pas attendre ses conclusions ?
M. André Reichardt. - Parce que nous sommes pressés !
Mme Sophie Primas. - À cause d'avril ?
M. Jean-François Husson. - Parce que les maires nous le demandent !
M. André Gattolin. - M. Fotinos a parfaitement exposé devant nous les raisons, aussi bien politiques que socio-économiques, qui expliquent que notre pays soit le seul à avoir des programmes si denses et huit semaines de vacances en été !
Pour l'heure, le groupe écologiste votera contre ce texte. (Vifs applaudissements à gauche)
Mme Catherine Morin-Desailly . - Depuis des mois, la réforme des rythmes scolaires imposée par décret, préoccupe élus, parents d'élèves et enseignants. Certes, une réflexion est nécessaire à ce sujet. Mais il n'est pas sûr que les élèves s'y retrouvent. Surtout, les inégalités se creusent entre les communes riches et pauvres, entre les villes et les campagnes. Les familles subissent un surcoût.
Depuis des mois, nos cris d'alerte restent sans réponse. J'ai écrit deux fois au préfet sans qu'il daigne me répondre. Aux maires de mon département, on a recommandé d'organiser des séances de pêche à la ligne... (Rires à droite)
Une expérimentation était nécessaire au préalable ; les maires de la Seine-Maritime ou de l'Eure demandent que la généralisation de la réforme soit reportée. Vous dites qu'il y a urgence vu notre classement Pisa. L'enjeu est tel qu'il ne faut pas traiter les élèves comme des cobayes.
Le coût de la réforme est élevé pour les communes, alors même que le président de la République les appelle à dépenser moins. De qui se moque-t-on ? Écoutez les élus ! « L'impact de cette réforme sur les finances communales est incompatible avec les directives du Gouvernement ». Voilà la dernière lettre que m'a adressée la commune d'Auzouville-sur-Ry pour tenter de vous alerter une nouvelle fois, monsieur le ministre. Ils ne cherchent que le bien-être des enfants et leur réussite. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - C'est une question pertinente que celle des rythmes scolaires, qui n'a cependant de sens que si elle s'inscrit dans une réflexion sur le rôle de l'école. Si un large consensus s'était dégagé sur la nécessité de revenir sur la réforme de 2008, celle du présent gouvernement a pâti d'être déconnectée de l'ensemble de la refondation de l'école.
Cette proposition de loi est électoraliste. (Protestations à droite) Au nom des principes d'égalité et d'unicité du territoire, les rythmes scolaires doivent être organisés à l'échelon national.
Des réformes restent nécessaires pour relancer la démocratisation éducative. Les écueils rencontrés lors de la réforme sont bien connus. L'État ne compense qu'une partie du coût supporté par les collectivités territoriales ; le fonds d'amorçage n'est d'ailleurs pas pérenne. Les communes devront payer, alors même que leurs dotations baissent. Cela ne fera que renforcer la fracture sociale et mettre en péril la réussite des élèves. (On le confirme à droite)
Nous voterons contre cette proposition de loi qui aggraverait encore les inégalités, tout en appelant à la réouverture du débat, pour mieux lutter contre l'échec scolaire et diffuser auprès de tous l'accès au savoir. (Applaudissements à gauche)
Mme Colette Mélot . - L'éducation est indispensable à l'économie comme à la cohésion nationale. Le rang médiocre de la France dans les classements Pisa laisse songeur. Chaque année, 150 000 élèves de notre pays sortent du système scolaire sans qualification ni diplôme.
Toute modification des rythmes scolaires suscite des crispations. En Seine-et-Marne, 33 communes seulement ont appliqué la réforme dès 2013. Soit 7,3 % des communes, 15,7 % des écoles et 19,9 % des élèves. Cette réforme, précipitée, a cependant le mérite de susciter un débat. Les maires s'interrogent sur son incidence sur leurs finances. Le coût réel est estimé à 150 euros par élève ; il conviendrait que l'État le compense entièrement.
À Melun, dont je suis élue, nous avons préféré, pour nos 4 000 élèves et 26 écoles, la concertation à la précipitation. Une majorité d'enseignants et de parents se sont prononcés pour une demi-journée supplémentaire, le mercredi matin. Reste le problème des activités périscolaires, qui doivent être gratuites pour tous. Sans aide de l'État, il faudra se contenter d'heures de garderie... Pourquoi refuser d'assouplir les règles ? Une expérimentation serait menée par les maires qui la souhaitent, avant toute généralisation. L'État devra s'engager à donner les mêmes moyens à toutes les écoles. (M. André Reichardt approuve) Le groupe UMP votera ce texte pragmatique. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Maryvonne Blondin . - Sous couvert de laisser plus de liberté aux maires, cette proposition de loi remet en cause la réforme des rythmes scolaires et jusqu'au principe même de l'éducation nationale. (On le conteste vivement à droite)
Le diagnostic est pourtant établi : notre école primaire stresse et fatigue les élèves, sans que ses résultats soient meilleurs qu'ailleurs. En 2008, M. Darcos avait brutalement décidé de réduire la semaine scolaire à quatre jours.
M. Jacques Chiron. - On s'en souvient !
Mme Françoise Cartron. - Il était bien mal inspiré !
Mme Maryvonne Blondin. - Pourquoi les enfants sont-ils fatigués depuis la dernière rentrée ? À cause d'un premier trimestre trop long, suivant deux mois de vacances. Le docteur Marcel Rufo nous l'a pourtant rappelé : un enfant doit être couché tôt, à horaires réguliers. Le temps d'un enfant ne doit pas être saucissonné. Au proverbe chinois de M. Carle, j'opposerai le proverbe africain : « il faut tout un village pour éduquer un enfant ».
Le groupe UMP a choisi un curieux calendrier, juste avant les municipales : pourquoi ne pas attendre les conclusions de notre mission d'information ?
Certes, les Dasen se sont parfois montré trop rigides, alors que les morts d'ordre du ministre étaient écoute, dialogue et conseil. Votre liberté serait-elle de ne pas appliquer la réforme ? De fracturer l'éducation nationale ? De mettre à mal l'égalité des territoires et des citoyens ? Nous disons non.
Les nouveaux rythmes scolaires élargissent le champ des possibles. Nous avons une occasion unique de replacer l'enfant au centre de l'école. Laissons du temps au temps et n'instrumentalisons pas cette réforme ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean-François Husson . - L'intérêt de l'enfant est notre préoccupation constante. Monsieur le ministre, cette proposition de loi n'est pas un texte de contestation pour une simple et bonne raison : c'est la première fois que le Sénat débat des rythmes scolaires ! (« Très bien ! » à droite) Votre réforme a été engagée par décret.
Adepte hier de la démocratie participative, vous avez décrété cette réforme, doctement peut-être, mais à coup sûr unilatéralement. Notre Constitution, dans son Préambule, ne fait-elle pas obligation à l'État de garantir à tous les élèves les conditions de leur réussite ! Cette réforme est une bombe à retardement. Quarante pour cent des élèves quittent l'école primaire avec des bases insuffisantes, 15 à 20 % presque illettrés. Or le Gouvernement a entretenu le flou, notamment sur l'heure de fin de prise en charge des enfants. Les textes se sont succédé - décret du 20 janvier 2013, du 20 mars 2013, du 2 août 2013 puis du 12 février 2013, témoignant d'un troublant manque d'anticipation. Toutes les communes n'ont pas les moyens d'organiser des activités péri-éducatives jusqu'à 16 heures 30 !
J'ai adressé aux élus de mon département le questionnaire de la mission d'information. Nous avons obtenu 200 réponses en un temps très court. Les élus y expriment la crainte de voir s'accroître les inégalités, entre villes et campagnes. Ils soulignent aussi les difficultés liées au transport scolaire, qui pourraient entraîner la disparition d'écoles rurales. Beaucoup ont peur que les parents ne se tournent vers l'école privée. Enfin, le coût de la réforme est considérable.
Toute modification des rythmes scolaires doit donner lieu à une compensation intégrale du coût supporté par les communes. Celles-ci doivent être libres d'organiser comme elles l'entendent le temps scolaire. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Françoise Férat . - Permettez-moi de tirer une fois de plus le signal d'alarme à propos de la réforme des rythmes scolaires. Mettons à profit l'expérience de cette année. La réforme a créé un désordre anxiogène, et accru les inégalités entre territoires. Dans les villes, on trouve des animateurs qualifiés ; dans les campagnes, pas toujours. On ne pourra proposer alors que des heures de garderie...
Cette réforme doit être remise à plat. Beaucoup de maires laissent le soin à leur successeur de l'appliquer, à la rentrée 2014 : on les comprend !
Une refonte des vacances annuelles a été annoncée. Où en est-on ? Le Conseil supérieur de l'éducation a rendu un avis négatif au nouveau calendrier. Où en est-on de la numérisation des établissements, qui pourrait assurer une continuité entre temps scolaire et périscolaire : là encore, il faut des moyens.
Les communes qui ont mis en oeuvre la réforme seront mal indemnisées. Allez-vous supprimer cette maigre compensation ? Baisser encore les dotations ? Cessez de prétendre que nous n'avons rien compris, ou que nous faisons de la politique politicienne. Que l'État assume ses responsabilités.
L'UDI-UC, dans sa grande majorité, votera ce texte. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Esther Sittler . - Représentant des collectivités territoriales, le Sénat est naturellement intéressé par la réforme des rythmes scolaires. Comme beaucoup de maires de mon département, je n'ai pas voulu la mettre en oeuvre dès 2013. Les Alsaciens n'ont pourtant pas un caractère frondeur...
Cette réforme met en cause la libre administration des collectivités territoriales. Notre proposition de loi rend plus de liberté aux maires, et impose une compensation intégrale de la réforme.
Dans ma commune, il est impossible d'organiser des activités périscolaires à l'école. Comme pour 40 % des maires de l'AMF, il nous est également difficile de recruter des animateurs qualifiés, et l'unique employé communal ne pourra prendre en charge les enfants. Qui balaiera les classes ?
Si l'intention initiale de démocratisation de l'accès à la culture et au sport est louable, la réalité est tout autre. Le fossé se creusera entre villes et campagnes.
M. Vincent Peillon, ministre. - Les premières évaluations montrent le contraire !
Mme Esther Sittler. - J'ajoute que les enseignants qui laissent des effets et des documents personnels dans les salles de classe répugnent à les céder pour d'autres activités.
Pourquoi vous être ainsi précipité, au détriment des élèves, de leurs parents et des collectivités territoriales ? Le fonds d'amorçage ne suffit pas à sauver une réforme bien préparée. Aussi voterai-je cette proposition de loi sans hésiter. C'est d'ailleurs l'occasion pour nous de parler d'un sujet dont nous avons été dessaisis par le pouvoir réglementaire. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Vincent Peillon, ministre . - J'ai le sentiment d'un dialogue de sourds, parce qu'il y a des malentendus. Le temps scolaire relève de l'État ; il n'a pas changé dans sa durée, nous l'avons seulement mieux réparti.
Ce qui se passe après le temps scolaire, au contraire, relève de la libre administration des collectivités territoriales. Or les écarts sont actuellement de 1 à 10. Que faisaient les enfants le mercredi matin, avant la réforme ? Grâce à elle, la proportion d'enfants bénéficiant d'activités périscolaires passera de 20 à 80 %.
Notre débat repose donc sur une confusion si vous voulez libérer les élèves à 15 h 30, vous le pouvez, plus librement encore qu'avant.
Le mercredi matin ou le samedi matin, l'État assume le même temps scolaire. Mais vous, vous dîtes « Cachez cette inégalité que je ne saurais voir ! ». (Applaudissements à gauche) Inégalités scolaires et sociales sont corrélées : les résorber est du ressort de l'école et de l'État.
Et puis, il y a le temps périscolaire. À cet égard, loin que les inégalités entre villes et campagnes aient progressé, c'est le contraire qui est vrai : je vous renvoie aux rapports de l'AMF et du comité de suivi. Pour la première fois, l'État apporte sa contribution au financement du temps périscolaire via les aides de la CAF et le fonds d'amorçage. Les communes les plus pauvres de France, de Mende à Denain, sont passées aux nouveaux rythmes scolaires. Preuve que ce n'est pas une question d'argent, mais d'organisation. Des communes qui n'avaient pas les moyens d'organiser les activités périscolaires les ont désormais.
M. André Reichardt. - Dans deux ans, ces communes seront plus pauvres.
M. Vincent Peillon, ministre. - Pour lutter contre les inégalités, il faut donner du meilleur temps scolaire, du temps périscolaire. Pour réussir, il faut de la concertation, dites-vous ? Celle que M. Chatel a menée et celle que j'ai conduite ont été longues. Les tensions que vous soulignez sont nées de la concertation ; nous avons fait le choix de la coconstruction. Le rythme n'est pas identique sur tout le territoire, certains ont choisi la pause méridienne, d'autres la fin de journée. Pour la première fois, on parle partout du temps scolaire ; ce sera un talisman pour les prochaines années, vous verrez ! (Applaudissements à gauche)
La discussion générale est close.
M. le président. - La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous examinons la version initiale de la proposition de loi.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
Mme Danielle Michel . - Vous voulez modifier l'article 523-1 du code de l'éducation pour laisser aux maires la liberté d'organiser le temps scolaire. Pourquoi pas pour ramener la semaine à trois jours ? Cette pseudo-liberté ne nous convient pas ; elle contrevient à la Constitution, dont le préambule dispose qu'il revient à l'État d'assurer la scolarité obligatoire.
Les écoliers français ont la journée la plus longue et l'année la plus courte. Cela a été dit et redit, il faut alléger le temps scolaire. Les enquêtes Pisa le montrent.
Pourquoi jeter encore de l'huile sur le feu que vous avez allumé quand vous étiez au pouvoir ? (Protestations à droite) Depuis la publication du décret de nombreuses mesures d'adaptation ont été prises ; notre mission sénatoriale en proposera d'autres.
La vérité est que cette réforme nécessaire est difficile parce qu'elle oblige à travailler ensemble des acteurs de la communauté éducative dont les intérêts peuvent diverger. Il leur faut donc chercher ensemble des solutions. Dans mon département, malgré les problèmes apparus en zone rurale, trois communes sur quatre sont passées aux nouveaux rythmes scolaires.
Je conclurai avec Sénèque : « Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous ne devons pas oser les faire ; c'est parce que nous n'osons pas qu'elles peuvent être encore plus difficiles ». (Applaudissements à gauche)
M. André Reichardt . - J'insisterai sur le coût de la réforme. Le fonds d'amorçage est insuffisant en raison de l'absence d'évaluation préalable. En Alsace, le coût par élève atteindrait 450 euros par élève. Comment faire en 2015 si le fonds d'amorçage n'est pas pérennisé, sachant qu'en outre les collectivités territoriales subiront une baisse de leurs dotations de 1,5 milliard en 2014 et de 3 milliards en 2015 ?
Des animateurs en commune rurale ? Certains maires ne savent même pas ce que c'est. (Exclamations à gauche) Et c'est tout l'intérêt d'un mandat local, je peux expliquer la réalité à ceux qui l'ignorent. Qu'on ne nous raconte pas d'histoires : demain, les communes seront plus pauvres. Qui commande paie ! Revenons à ce principe simple avec cette proposition de loi.
M. Hervé Maurey . - À écouter le ministre, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes : les élus sont satisfaits, les enfants s'épanouissent... Voilà une caractéristique de ce gouvernement : l'autosatisfaction. Je suis tenté de dire : sortez du déni, ouvrez les yeux ! Expliquez-nous donc comment les communes financeront cette réforme quand leurs dotations baissent, comment elles organiseront les activités périscolaires quand il n'y a d'autres locaux que la salle de classe ? Quand on ne trouve pas d'animateur pour 45 minutes d'activités.
Dans mon département, les maires se mobilisent. Nous avons organisé une manifestation devant la préfecture, nous étions 600. Il n'y avait pas que des maires de droite.
Écoutez-nous ! Considérez cette année comme une année d'expérimentation. Les problèmes se concentrent en maternelle, dont vous avez peu parlé. Si vous tenez à cette réforme,...
M. Vincent Peillon, ministre. - Je vous le confirme !
M. Hervé Maurey. - ... donnez-lui des bases sérieuses et solides ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Claude Lenoir . - Monsieur le ministre, vous avez commencé par nous parler de l'intérêt supérieur de l'enfant, ce qui nous a toujours réunis. Et puis, vous avez succombé à la polémique. Vous êtes un polémiste !
Cette réforme, avez-vous dit, a été longuement discutée. L'heure est aux proverbes chinois avec la célébration des 50 ans de la relation franco-chinoise. Je vous en cite un : « L'homme honorable commence par pratiquer ce qu'il veut enseigner ; ensuite, il enseigne ». Ce précepte, vous ne l'avez pas appliqué en annonçant cette réforme avant même la passation des pouvoirs rue de Grenelle.
Moi-même, j'étais contre la semaine de quatre jours. Mais n'oubliez pas qu'auparavant l'État finançait la demi-journée supplémentaire ; aujourd'hui, elle est à la charge des collectivités territoriales.
M. David Assouline. - Mais non ! Reprenez votre dossier.
M. Jean-Claude Lenoir. - J'ajoute que, d'après Le Monde, on peine à recruter des animateurs pour 45 minutes à un moment, qui plus est, où ils sont peu disponibles. D'où la colère des élus.
Vous aviez annoncé une loi en arrivant rue de Grenelle ; vous avez fait cette réforme par décret. C'est dommage, avec une loi, vous auriez pu compter sur le soutien de beaucoup ! (Applaudissements à droite)
M. Claude Domeizel . - Nul besoin d'être grand clerc pour savoir qu'il vaut mieux cinq matinées d'école que quatre. Les rythmes scolaires sont une vieille histoire. Quand on a instauré la pause du jeudi, c'était pour l'éducation religieuse. En réalité, les enfants s'occupaient à faire voguer des bateaux de papier dans les caniveaux, ou bien ils allaient travailler dans les champs. C'est l'origine de l'organisation d'activités pour les enfants. Puis on a supprimé le samedi après-midi, qui était un peu le dimanche de l'école ; M. Darcos, pour des raisons familiales, a supprimé le samedi matin. Les parents, rappelons-le, sont libres d'envoyer leurs enfants aux activités périscolaires. De même, les maires sont libres de faire payer ces activités ou non. Ne traitons pas la garderie péjorativement. Je vous renvoie au poème de Prévert Page d'écriture : « deux et deux font quatre ». Les enfants, parfois, ont envie qu'on leur lâche les baskets !
Je suis confiant, cette réforme a de l'avenir car l'enfant est l'enfant chéri du budget des collectivités territoriales ! (Applaudissements à gauche)
M. Yves Daudigny . - Tous les arguments plaident pour la semaine de quatre jours et demi. Pendant 40 années de ma vie, j'ai travaillé face à des élèves et l'exigence éducative m'habite presque obsessionnellement. On a rappelé la situation grave de la France, championne de la corrélation entre inégalités scolaires et sociales. Mon soutien est donc total à cette réforme. Comment accepter que le temps scolaire dépende de l'humeur d'un conseil municipal ? Comment accepter que ce sujet fasse l'objet d'enjeux politiciens ? Quelque 83 % des communes qui ont mis en oeuvre la réforme se disent satisfaites, y compris en zone rurale. Là où il y avait une volonté, il y a eu un chemin. Cessons d'opposer le rural et l'urbain. En 1937, Léon Blum disait : « L'homme ou la femme politique doit s'efforcer de dominer par la pensée l'ensemble des situations, d'en rapprocher les différentes données et de projeter les données de la situation présente sur l'avenir ». Eh bien, l'avenir nous commande de procéder de la sorte. N'entamons pas la confiance dans notre école, conjuguons nos forces ! (Applaudissements à gauche)
Mme Dominique Gillot . - Je plaide pour la suppression de cet article premier. Les inquiétudes devant cette réforme sont devenues des enjeux politiques à l'approche des élections municipales. Le président de la République l'a bien senti, il a accordé un délai. Certains en demandent un nouveau pour de mauvaises raisons. Le décret du 26 janvier 2013 est clair : les maires ont la possibilité, à l'article 621-3 du code de l'éducation, de moduler le temps scolaire. Vous voulez aller plus loin au risque de rompre l'égalité républicaine.
Dans mon département, des élus ont joué le jeu en s'appuyant sur l'assouplissement du taux d'encadrement et les associations d'éducation. Les premières semaines ont été difficiles dans ma commune. Il a fallu discuter, revoir, préciser. Le moteur a été le plaisir des enfants et c'est ainsi que les choses se sont passées dans 95 % des communes. L'expérimentation que vous avez réclamée, a lieu grandeur nature.
Par des arguments triviaux, (protestations à droite) ne remettez pas en cause le service public de l'éducation nationale ! Misons sur la confiance. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Bruno Retailleau . - Monsieur le ministre, vous avez cédé à une facilité : les résultats des enquêtes Pisa ne sont imputables à aucune majorité. (M. le ministre se montre dubitatif) Personne ici ne conteste que vous recherchiez le bien-être de l'enfant. Mais vous êtes fermé à tout débat. Nous avons seulement voulu relever les difficultés de la réforme. Vous avez parlé de talisman ; mais pas de magie, la réalité toute nue : cette réforme accroîtra les inégalités.
En Vendée, 25 % des écoles devront transporter les élèves pour 9 heures et devront les reprendre deux heures après. Les inégalités territoriales, liées aux transports, aux locaux et aux budgets, sont patentes. Toutes les communes ne seront pas logées à la même enseigne. Les associations n'auront plus que le mercredi après-midi. Leurs difficultés sont réelles ; aucune citation, aucun effet de manche ne les abolirons.
Vous avez engagé cette réforme selon des principes anciens : Paris commande, la France d'en bas se débrouille et paie. Un million d'euros pour la Vendée ! Les dotations baissent...
Mme Cécile Cukierman. - Vous avez ouvert la voie !
M. Bruno Retailleau. - La situation est schizophrénique. Pesez le pour et le contre avant la généralisation, c'est tout ce qu'on vous demande. Écoutez la France d'en bas ! (Applaudissements à droite)
M. Pierre Martin . - Plutôt qu'un décret, j'eusse préféré une loi. La concertation, nous l'avons menée dans la Somme. J'en ai conclu que la confusion règne dans la tête de nos maires. On nous promettait qu'il serait possible de choisir entre le mercredi ou le samedi matin, Mme Cartron l'a répété. Quand on propose le samedi, la réponse de l'éducation nationale, c'est niet !
Ensuite, le périscolaire, je l'ai créé en 1995, chez moi. À l'époque, le ministre était M. de Robien. Nous avons recruté des éducateurs, qui venaient de la ville, pour une heure. Ils m'ont demandé une indemnité de transport ; cela coûtait cher mais nous l'avons fait car étions aidés et nous pensions que cela était souhaitable pour nos enfants. En 2008, après mon départ, la collectivité a abandonné ce projet, à cause de son coût.
Chacun doit avoir une chance, c'est à ce niveau qu'il faut penser le problème. N'est-ce pas le devoir de l'éducation nationale ? Les conditions ne sont pas toutes les mêmes dans les communes, vous le savez bien. Certains mangent du pain bis, d'autres des croissants ! (Applaudissements à droite)
M. Jacques-Bernard Magner . - Monsieur Carle, vous-même dénonciez en 2008 la semaine de quatre jours. Vous stigmatisiez alors les conséquences sur les élèves. Nous sommes parfaitement d'accord, monsieur le rapporteur. Le décret du 26 février 2013 répond parfaitement à vos préoccupations. Alors, pourquoi cette proposition de loi ? Le président de la République, au Congrès des maires, vous a donné satisfaction.
L'UMP est allée jusqu'à lancer une pétition qui s'est soldée par un échec. Elle a été vue comme une manoeuvre dilatoire. Ce faux débat ne fait plus recette dans nos communes, les élus ont compris l'intérêt de cette réforme.
Plus grave. Cette bataille politique que vous menez avec l'énergie du désespoir, pour une cause que vous savez perdue, dissimule un enjeu plus large : la remise en cause de l'école républicaine, ni plus, ni moins, avec le chèque scolaire que la droite réclame depuis des années, en lieu et place de la dotation par établissement. Vous nous proposez le modèle du privé pour refonder l'école républicaine : gérer les écoles comme des entreprises. Nous refusons cet article premier !
M. Vincent Delahaye . - Ce débat est bienvenu mais il arrive bien tard... Nous sommes tous d'accord pour défendre l'intérêt de l'enfant. Les classements internationaux sont tous défavorables à la France et les comparaisons avec les autres pays montrent que les vacances sont trop longues et les semaines trop chargées. Mais vous avez esquivé les vrais problèmes. Pourquoi d'ailleurs n'avoir pas expérimenté et fait un bilan avant de généraliser la réforme ?
Certes, à la veille des élections, les maires qui se sont lancés disent que les choses vont à peu près bien ; mais on entend un autre son de cloche de la part des parents et des enseignants. (Protestations à gauche) Il n'y a pas le feu au lac ! Prenez le temps de faire le bilan de l'année en cours !
Je ne suis pas surpris du dialogue de sourd avec le ministre... Pour le Gouvernement, le passage au Sénat n'est qu'un mauvais moment à passer...
M. Vincent Peillon, ministre. - Un bonheur !
M. Vincent Delahaye. - J'aimerais plus d'écoute... Votre décret aurait accordé plus de liberté aux maires ? C'est bien la première fois que je l'entends dire ! Faites de l'éducation, dites-vous encore : si vous étiez élu local, vous sauriez que dans les communes, le budget prioritaire est déjà, dans bien des cas, l'éducation !
Le budget 2014 prévoyait déjà 60 millions pour financer la mise en place de la réforme. Cela ne suffira pas. Vous n'avez pas répondu à ma demande écrite de report de la réforme d'un an.
M. Jacques-Bernard Magner. - La réponse est non !
M. Vincent Delahaye. - Prenons le temps nécessaire pour bien ajuster la réforme, avec en tête l'intérêt de l'enfant !
M. Alain Fauconnier . - Pas moins de 80 % des communes aveyronnaises n'ont pas souhaité s'engager dans la réforme des rythmes scolaires dès 2013, c'est éminemment respectable. Ma ville de 9 000 habitants a fait le choix contraire.
Derrière cette proposition de loi se dissimulent des arrière-pensées politiciennes. Vous seriez les défenseurs de la ruralité ? Cent deux postes supprimés dans l'Aveyron entre 2002 et 2012, alors que le nombre d'élèves a cru de 1 800... Je suis sûr qu'il en a été de même dans vos départements.
Chez moi, seize classes primaires et deux écoles maternelles appliquent déjà la réforme. Les enfants font de la musique, du sport, de la couture, de l'éducation à l'environnement. Ils sont heureux, tout comme les personnes qui s'occupent d'eux. L'inégalité de traitement proposée par cette proposition de loi UMP est inacceptable. En décembre, ma commune a interrogé tous les parents ; 80 % ont répondu et 85 à 90 % se sont dits satisfaits ; 95 % des animateurs sont du même avis. Cessez donc de crier à l'apocalypse ! Retrouvez le chemin de l'intérêt des enfants, cessez cette guérilla politicienne ! (Protestations au centre et à droite) Certes, nous sommes en période électorale, mais n'exagérez pas ! (Mêmes mouvements) Je vous ai apporté mon témoignage. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. David Assouline . - L'opposition cherche à surfer sur le fait qu'il s'agit là, au sens propre, d'une réforme qui change des habitudes quotidiennes, celles des parents, des établissements, des collectivités locales. Une telle audace ne laissait pas espérer un consensus.
Le ministre Chatel avait fait le même constat de la nocivité de la semaine de quatre jours. M. Peillon, lui, a eu le courage de la réforme.
Je vous entends souvent dire que notre pays serait embourbé dans ses habitudes et appeler à la « réforme » quand il s'agit de déréguler ou d'atténuer nos protections sociales. Là, vous surfez sur tous les conservatismes !
Alors bien sûr, tout n'est pas chimiquement pur dès le lendemain. C'est cela, l'expérimentation. Certaines communes appliquent d'ores et déjà la réforme, elles ont exprimé leur satisfaction. Cet échantillon de 20 % vaut mille sondages !
M. Vincent Delahaye. - C'est risible...
M. David Assouline. - Mais vous, vous voulez fédérer tous les conservatismes à l'approche des municipales. Vous avez cherché à allumer une mèche, à embraser le pays, et vous avez échoué. Acceptez de débattre des vrais problèmes. Les rythmes scolaires devaient être réformés. Profitons de la MCI pour réfléchir aux ajustements nécessaires. Cette proposition de loi est inacceptable, qui nous ressert votre projet libéral pour l'école.
Mme Françoise Cartron . - Entre 1985 et 1998, il y a eu déjà de nombreux contrats d'aménagement du temps de l'enfant. Une série de rapports ont ensuite démontré la nécessité de revenir à la semaine de quatre jours et demi en 2001, en 2002, en 2009, en 2010, en 2011 et en 2012. Il y a dix ans que l'on réfléchit et il faudrait encore attendre ? Nos concitoyens nous reprochent assez de ne pas agir.
Il n'y a pas eu d'expérimentation ? À Toulouse, la semaine de quatre jours et demi existe depuis des années. Allez donc voir comment les choses s'y passent ! Et n'opposez pas villes et campagnes. De petites communes de Gironde, à la frontière de la Dordogne, ont sollicité des résidents anglais pour donner des cours d'anglais. Et les élèves les plus assidus sont les enfants des gens du voyage ! Ouvrir des perspectives à nos enfants, voilà l'enjeu ! Chacun doit tirer parti des atouts de son territoire. C'est cela, l'intelligence territoriale.
Mme Marie-Françoise Gaouyer . - Ma commune d'Eu a choisi d'appliquer la réforme dès cette année. Il a fallu de longues concertations, un gros travail de mise en oeuvre. Les animateurs des centres de loisirs sont mis à contribution et ont un vrai statut, l'animateur sportif est désormais à temps complet, les techniciens communaux ne sont plus confinés au ménage. Soixante-quinze pour cent des élèves en moyenne participent aux activités périscolaires ; des enfants qui en étaient naguère exclus, y ont désormais accès. Il a fallu trouver 60 adultes tous les jours.
Je vous invite à nous rendre visite, monsieur le ministre, pour voir ce que nous avons accompli. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jacques Chiron . - En rencontrant les élus des communes, petites et moins petites, de mon département qui appliquent déjà la réforme, j'ai pu mesurer leur satisfaction. L'objectif d'inclusion sociale est atteint. Chacun reconnaît les effets positifs sur les enfants. Leur fatigue éventuelle est plutôt imputable à l'organisation familiale. En un trimestre, contrairement aux idées reçues, les résultats sont éloquents en ce qui concerne les apprentissages. Raison pour laquelle il faut aller de l'avant. Aussi rejetterai-je cet article premier. Nos enfants ne peuvent pas attendre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture . - Je félicite les auteurs de cette proposition de loi qui ont réussi à susciter un débat très riche. Nous savons les difficultés rencontrées, les problèmes de locaux, le besoin de dialogue. Il n'empêche, l'exhaustivité d'application de la réforme est une excellente occasion de les résoudre et de nouer des échanges, comme l'étudiant qui se met à réviser intensément à la veille d'un examen... Belle occasion aussi de voir s'exprimer l'éducation populaire sur tout le territoire. Je ne voterai pas cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)
M. Jacques Legendre . - Notre débat a pris un tour étrange. Les uns prétendent que tout va bien ; d'autres, sans dire que tout va mal, relèvent des difficultés. Au moins, il y a eu débat. C'était une erreur de mener cette réforme par décret, alors qu'une large majorité était favorable à la semaine de quatre jours et demi. Nous aurions pu ensemble, au Parlement, discuter des problèmes d'application.
Si nous n'avons pas attendu les conclusions de la MCI, c'est qu'il y a urgence, les maires doivent prendre des décisions. Vous avez voulu aller trop vite, monsieur le ministre. Il vous faudra tirer les conséquences de nos témoignages. Nous ne cherchons nullement à attenter à l'école de la République : nous sommes tous attachés à l'égalité des chances et des territoires. Écoutez-nous ! Le reste n'est pas digne de notre assemblée. (Applaudissements au centre et à droite)
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Magner et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Supprimer cet article.
M. Jacques-Bernard Magner. - Le débat a eu lieu, et largement. Nous aurions pu déposer une motion...
M. David Assouline. - Nous n'y avons même pas pensé ! (Sourires)
M. Jacques-Bernard Magner. - ... nous ne l'avons pas fait. Tout ce que nous avons entendu ce soir nous conforte dans notre opposition à l'article premier comme à la proposition de loi.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - La commission est favorable ; moi, non, car cet article est le coeur du texte.
Je me réjouis de la forte participation à ce débat. C'est une première dans le cadre d'une niche parlementaire. Nous étions quatre naguère à débattre du budget de l'éducation nationale un dimanche après-midi...
L'école n'est ni de droite, ni de gauche, elle appartient à la Nation tout entière. Je vous fais une demande, monsieur le ministre. Les problèmes soulevés par cette réforme sont connus : ils sont d'ordre financier et administratif. Faites en sorte que le samedi ne soit plus dérogatoire et mis sur le même plan que le mercredi. (Marques d'approbation à droite)
M. Vincent Peillon, ministre. - Avis favorable à l'amendement n°2. Mettre sur le même plan le mercredi et le samedi ? Je le souhaitais, mais les associations d'élus m'ont demandé de les prémunir contre les pressions des parents.
Dans l'intérêt de l'enfant, nous avons demandé à chacun de faire un bout de chemin. C'est parce que nous avons voulu écouter et les uns et les autres que nous nous heurtons aujourd'hui à des difficultés ; ce n'en était pas moins justifié.
Je vous remercie, en tout cas, de cette demande qui a été l'occasion de faire un exercice de pédagogie que, monsieur Carle, nous aimons vous et moi...
À la demande des groupes UMP et socialiste, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin n°118 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l'adoption | 177 |
Contre | 167 |
Le Sénat a adopté et l'article premier est supprimé.
ARTICLE 2
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Magner et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Supprimer cet article.
M. Jacques-Bernard Magner. - Défendu.
L'amendement n°3, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et l'article 2 est supprimé.
ARTICLE 3
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Magner et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Supprimer cet article.
M. Jacques-Bernard Magner. - Défendu.
L'amendement n°4, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et l'article 3 est supprimé.
M. le président. - Tous les articles ayant été supprimés, il n'y a pas lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi, qui est considérée comme rejetée.
Mme Catherine Troendlé. - Faute de temps, je demande, au nom du groupe UMP, le retrait de l'ordre du jour de la proposition de loi visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage. Nous réinscrirons cette proposition de loi à l'ordre du jour de notre prochaine niche parlementaire.
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 22 janvier 2014, à 14 h 30.
La séance est levée à minuit cinquante.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
Ordre du jour du mercredi 22 janvier 2014
Séance publique
De 14 heures 30 à 18 heures 30
Présidence : M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président Mme Bariza Khiari, vice-présidente
Secrétaires : M. Marc Daunis - M. Gérard Le Cam
1. Désignation des trente-sept membres de la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (n° 207, 2013-2014)
2. Proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d'établissements de santé ou leur regroupement (n° 708, 2012-2013)
Rapport de Mme Laurence Cohen, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 277, 2013-2014)
Résultat des travaux de la commission (n° 278, 2013-2014)
3. Proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'agence de financement des infrastructures de transports (n° 59, 2011-2012)
Rapport de Mme Évelyne Didier, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire (n° 275, 2013-2014)
Résultat des travaux de la commission (n° 276, 2013-2014)
À 18 heures 30 et le soir
Présidence : Mme Bariza Khiari, vice-présidente M. Jean-Léonce Dupont, vice-président
4. Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat (n° 255, 2013-2014)
Rapport de M. Bernard Saugey, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 290, 2013-2014)
Texte de la commission (n° 291, 2013-2014)
Analyse des scrutins publics
Scrutin n° 118 sur l'amendement n°2 présenté par M. Jacques-Bernard Magner et les membres du groupe socialiste et apparentés, tendant à supprimer l'article premier de la proposition de loi visant à affirmer la liberté de choix des maires quant à l'organisation des rythmes scolaires dans l'enseignement du premier degré.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :346
Suffrages exprimés :344
Pour :177
Contre :167
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe UMP (131)
Contre : 131
Groupe socialiste (127)
Pour : 127
Groupe UDI-UC (32)
Contre : 29
Abstentions : 2 - MM. Christian Namy, Jean-Marie Vanlerenberghe
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Pierre Jarlier
Groupe CRC (20)
Pour : 20
Groupe du RDSE (19)
Pour : 18
Contre : 1 - M. Gilbert Barbier
Groupe écologiste (12)
Pour : 12
Sénateurs non inscrits (6)
Contre : 6