Débat sur la politique étrangère de la France
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique étrangère de la France.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères . - Permettez-moi d'abord de me féliciter de la tenue de ce débat qu'il serait bon de rendre plus régulier. Je n'ai pas d'idées précises sur les modalités, on pourrait l'organiser autant que de besoin, peut-être trois tous les deux ans... Les multiplier, ce serait les affadir.
Cet échange est particulièrement important, dans un monde globalisé en transition, en adaptation. Nous sommes passés de la bipolarité de la guerre froide à l'hégémonie américaine, puis à une organisation dont nous avons du mal à dessiner les contours. Un monde qui n'a pas de pôle... Pour autant, est-il apolaire ? Vous l'avez dit, monsieur le ministre, lors de la XXIe conférence des ambassadeurs, notre monde est dorénavant constitué d'une multitude d'acteurs, de nature et de taille diverses, sans que l'un d'entre eux ou une régulation collective n'assure une gouvernance mondiale efficace et incontestée. Les clés de lecture ne sont pas évidentes. J'espère que notre débat éclairera les positions et la place de la France.
Dans ce monde en devenir, le président de la République veut faire de la France un pont entre les continents pour éviter ce que d'aucuns ont appelé le choc des civilisations. Notre pays se veut une puissance repère, c'est-à-dire une nation qui s'exprime au-delà de ses intérêts. Elle l'est, nous le constatons lors de nos déplacements annuels à l'ONU ; son influence dépasse son poids démographique, économique, militaire. Démographiquement parlant, nous ne pèserons plus que 0,85 % de la population mondiale dans dix ans ; sur le plan économique, nous passerons sans doute de la cinquième à la septième place mondiale. Nous sommes bien conscients que sans redressement économique, il n'y a pas de rayonnement international - et pas d'indépendance nationale. Ce qui justifie pleinement l'accent mis par le ministère sur la diplomatie économique.
Pour maintenir notre capacité d'influence, nous avons besoin de moyens d'actions, notamment militaires. La loi de programmation militaire y pourvoit, dans un contexte de sérieux budgétaire - c'était un challenge... La tentation était forte de faire de la défense une variable d'ajustement : ce n'est pas le cas, les arbitrages du président de la République ont été clairs.
Pour que notre diplomatie agisse efficacement et que la France demeure une puissance d'influence, le ministère a besoin de moyens. Mais la tendance est à la baisse des crédits et on ne peut plus faire mieux avec moins. Un rapport de MM. Juppé et Schweitzer de 2008 soulignait déjà que le ministère des affaires étrangères était à l'os... Cela reste vrai, malgré votre puissante imagination, monsieur le ministre, pour atténuer le choc.
Au Mali, en République centrafricaine, la France peut beaucoup et elle s'est engagée sans hésiter. Mais elle ne peut agir seule dans la durée. La solidarité des autres pays et des organisations internationales tarde à se manifester. Les crises malienne, centrafricaine, syrienne posent la question de la gestion collective des conflits.
Premier problème : la responsabilité de protéger. Au Mali comme en République centrafricaine, l'intervention française a été unanimement saluée - j'en profite pour rendre hommage à nos soldats et à nos diplomates. Il n'en va pas de même en Syrie, où le massacre par Bachar el-Assad de sa propre population se poursuit sous protection russe. La communauté internationale assiste, impuissante à une entreprise criminelle à grande échelle - déjà plus de 120 000 morts -, et dont il faut redouter les conséquences pour la paix de la région et celle du monde. La conférence de Genève II, qui se tiendra dans quinze jours, ne suscite guère d'espoirs.
L'islamisme radical représente un danger, je partage cette analyse avec la Russie. Mais le soutien indéfectible que cette grande nation apporte au régime syrien a puissamment contribué au renforcement des extrêmes et au succès du djihad en Syrie. Une bonne application de la notion de responsabilité de protéger aurait dû conduire les Russes, il y a deux ans, à rechercher une solution politique par la négociation. L'impasse actuelle est dangereuse.
L'exemple syrien reflète la panne du système international de règlement des crises et le blocage de l'ONU.
Autre sujet de préoccupation : l'Europe, qui est notre priorité politique. Les élections allemandes sont désormais passées, les élections européennes sont à venir. Espérons-en un sursaut de solidarité, car, comme l'a dit le président de la République, ou l'Europe est capable de se redessiner un projet ou alors, lentement mais sûrement, elle connaîtra un processus de déclassement, de désintégration, fatal et préjudiciable à l'ensemble du monde. De fait, l'Europe est une référence, un cadre et même plus : un exemple à suivre de coopération régionale. Je sais que vous partagez les inquiétudes de tous les Européens convaincus ; éclairez-nous, monsieur le ministre, sur la politique de relance de l'Europe que vous comptez mener après les élections.
J'ai conduit fin 2012 une courte mission à Moscou, avec Yves Pozzo di Borgo et Michelle Demessine. Nos relations avec ce pays, qui ne peut être qu'un grand partenaire, sont complexes, et je ne veux pas insister sur les pierres d'achoppement. Je me félicite de l'excellent climat de nos discussions avec nos collègues du Conseil de la Fédération et les membres de l'exécutif. La volonté de coopération est indiscutable.
La menace islamiste est fortement présente sur le sol russe, qui compte 20 millions de musulmans ; les attentats à la veille des jeux Olympiques de Sotchi le montrent. Pour autant le soutien russe à un des pires dictateurs du moment a produit l'inverse du résultat espéré : au succès de l'islamisme radical et à la déstabilisation de la région.
Nous avons appelé à une réunion des sénats du G8, et à une multiplication de nos échanges. Il ne s'agit pas de brasser de grandes idées de manière désordonnée, mais d'aborder des thèmes précis préalablement définis de concert. Nous nous rapprocherons, bien sûr, du Quai d'Orsay avant ces réunions. Ma collègue Patricia Adam et moi-même avons invité le vice-Premier ministre Rogozine, chargé de la politique d'armement, à être l'hôte d'honneur de nos universités d'été de la défense en septembre prochain. La diplomatie parlementaire peut peut-être jouer un rôle...
Pour conclure, un mot du passionnant Traiter avec le diable ? de Pierre Grosser. Il y montre, après les crises de Munich, de Suez et du Vietnam, les risques de la diabolisation de l'adversaire, il faut toujours dialoguer ; on ne choisit pas ses interlocuteurs... Les diables ont changé, même si le mot de Pierre Desproges reste indépassable : « L'ennemi est bête : il croit que l'ennemi, c'est nous, alors que l'ennemi, c'est lui ». (Applaudissements)
Mme Michelle Demessine . - Il est difficile de percevoir, en ce début d'année, en quoi nos objectifs de politique étrangère se démarquent de ceux du précédent gouvernement.
Mme Nathalie Goulet. - Tout de même !
Mme Michelle Demessine. - Nous espérions une politique nouvelle davantage inspirée par les valeurs de gauche. Entre la guerre au Mali, vos positions sur le nucléaire iranien, votre rapprochement avec l'Arabie saoudite, il est difficile de comprendre vos lignes directrices.
L'urgence humanitaire en République centrafricaine était là, il fallait agir. Mais nous avions exprimé des réserves en raison d'un cadre d'intervention mal défini et d'une sous-estimation de la complexité du terrain. Au-delà, ne s'agissait-il pas également de préserver l'influence et les intérêts stratégiques de la France dans la région ? Faute d'avoir été convaincus que la sécurité de l'Europe se jouait au Sahel, nos partenaires européens sont réticents à nous accompagner. Ce que résumait le Chancelier autrichien en disant : quand on lance une telle opération, il est important de se mettre d'accord avant ; on n'envoie pas l'addition après...
De plus, le cadre de la résolution 2127 ne permettra pas de transformer cette intervention en opération de maintien de la paix. Elle autorise seulement le recours à la force.
L'archevêque de Bangui l'a dit : les interventions militaires ne peuvent agir sur les causes profondes, cette pauvreté, ces inégalités sociales qui résultent des politiques libérales imposées par le FMI et la Banque mondiale.
Il faut à présent trouver les moyens pour que la communauté internationale prenne le relais. Convainquons l'Union africaine de s'engager. Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel l'ont souligné dans leur rapport : il est temps d'instaurer un partenariat d'égal à égal entre l'Europe et l'Afrique.
Votre ligne de conduite au Proche-Orient m'inquiète tout autant. Sur le dossier syrien, nous avons été lâchés par les États-Unis. À la veille de la conférence de Genève II, tentons de reprendre la main. N'excluons pas l'Iran. Cessons de fournir des armes létales à la rébellion syrienne. Utilisons notre influence pour que tous les protagonistes du conflit participent à cette conférence. Unissons nos forces avec nos partenaires européens pour venir en aide aux 8 millions de personnes déplacées par ce conflit, pour beaucoup des femmes et des enfants. Souvenez-vous qu'en d'autres temps, nous avons accueilli 15 000 réfugiés chiliens. Pourquoi seulement 700 Syriens ? Le problème des déplacés palestiniens, déchus de leur statut de réfugiés avec leur départ de Syrie, est un autre drame sur lequel nous ne pouvons fermer les yeux.
Je me réjouis que notre diplomatie ait obtenu des avancées concrètes sur le dossier du nucléaire iranien. Poursuivons nos efforts dans cette direction. En revanche je ne suis pas convaincue que nous ayons intérêt à nous rapprocher des monarchies pétrolières comme l'a fait le président de la République. N'allons pas jouer les sunnites contre les chiites ! (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean-Pierre Chevènement . - Dans son discours du 27 août 2012, le président de la République assignait à la France un rôle de pont entre les nations, entre le Nord et le Sud, entre l'Orient et l'Occident. Vision tout à fait judicieuse ! La France ne saurait se définir par une appartenance aux nations développées occidentales, comme le pensait le précédent président de la République ; elle appartient à la grande famille des nations humaines.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Le monde connaît un grand chambardement, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, le 29 août 2013. L'Europe à 28 n'est plus ce qu'elle était à 6, quand la France y jouait un rôle dominant ; elle est désormais, du fait de l'intégration économique, germano-centrée. On promettait autrefois de faire l'Europe sans défaire la France. Certes ! Il est temps de revenir à cette approche, de reconquérir notre attractivité économique.
L'euro, victime de son vice de conception initial, divise les peuples. La chancelière allemande a déclaré que l'euro, tôt ou tard, exploserait sans la cohésion nécessaire. Les réticences de Mme Merkel à consentir les transferts de 10 % du PIB allemand qu'impliquerait une union plus fédérale sont légitimes mais la conséquence en est que l'union bancaire n'est qu'un simulacre. Attention : on peut très bien défaire la France, sans pour autant faire l'Union européenne !
Alors, que faire ? D'abord corriger les erreurs du passé. Nous ne sommes pas pieds et poings liés par des choix faits il y a vingt ans. La France et l'Allemagne doivent être moteurs du changement. Changeons les règles du jeu de l'euro, comme l'a suggéré Hans-Werner Sinn. Donnons à une Union qui serait européenne un projet fort autour de concepts clairs comme la démocratie et la monnaie, centré sur l'essentiel et porté par des institutions revues et corrigées.
Quel sens donner à l'accord entre l'Ukraine et la Russie ? Défions-nous de la russophobie, l'émergence d'une classe moyenne dans ce grand pays est le plus sûr moyen de faire progresser la démocratie. Refusons l'anti-poutinisme primaire qui voit dans M. Khodorkovski un défenseur des droits de l'homme. (Sourires) À vouloir exporter la démocratie, les États-Unis se sont cassé les dents : un Irak voué à la partition et à la guerre civile, où progressent, comme en Syrie, les mouvements affiliés à Al-Qaïda, un Iran érigé en puissance régionale.
Le général de Gaulle disait que l'on ne fait pas de bonne politique sans tenir compte des réalités. En politique, le réalisme a à voir avec la vraie morale, celle qui selon Pascal « se moque de la morale ».
La France ne doit pas se définir par l'occidentalisme comme du temps du président Sarkozy, quand on confondait responsabilité de protéger et changement de régime. « Kadhafi doit partir ! » disait M. Juppé. L'occidentalisme tourne le dos à la vocation de la France, à savoir le dialogue entre les cultures et entre les nations, justement prôné par le président de la République.
On peut habiller l'ingérence de références aux « droits de l'homme » ; ceux-ci ne s'entendent pas sans les droits du citoyen. L'Arabie séoudite doit-elle être notre principale référence ? République laïque, la France n'a pas à prendre parti entre chiites et sunnites. La politique arabe de la France au temps du général de Gaulle était de favoriser les forces de progrès.
Nous voulons tendre la main aux nations émergentes qui façonnent le monde de demain. Alors, n'allons pas au rebours du monde ! La première exigence de la communauté mondiale et de la Charte de l'ONU est le respect de la souveraineté nationale pour l'intégrité des frontières et pour la non-ingérence. L'indépendance de la France ne peut aller contre ces principes sans saper ses propres fondements.
J'ai parlé avec franchise, monsieur le ministre, car je connais votre perspicacité, votre intelligence et vos talents qui peuvent rendre de très grands services à notre pays. C'est aussi dans l'intérêt du pays que je me suis exprimé. (Applaudissements à gauche et au centre)
Mme Kalliopi Ango Ela . - Je veux d'abord saluer, en tant que sénatrice écologiste des Français de l'étranger, la libération le 30 décembre de Georges Vandenbeusch, grâce à la coopération des autorités camerounaises, nigérianes et françaises.
La politique étrangère de la France doit répondre aux objectifs de réactivité, de pertinence et de pérennité. Écologistes, nous pensons que le recours à la force doit être le dernier recours. Ne confondons pas paix négative et positive, pour reprendre les termes du politologue norvégien Johan Galtung. La France a agi avec réactivité en lançant l'opération Sangaris en République centrafricaine pour mettre fin aux massacres. Il faut désormais gagner la paix. Le chaos qui règne dans ce pays est le résultat d'un marasme multifactoriel, alliant la nécrose du système politique à l'absence d'un État viable. Nous devons pour cela passer d'un cadre bilatéral à un cadre multilatéral.
La situation reste préoccupante au Mali, à l'approche des élections et un an après l'opération Serval.
J'ai aussi une pensée pour la situation dramatique de la République démocratique du Congo, avec les enfants soldats et les femmes violées dont le corps est utilisé comme une arme de guerre.
Nous ne construirons la paix durable que par la coopération avec les instances régionales et une solution globale. On le voit au Proche et au Moyen-Orient où, malgré l'accord du 24 novembre, des doutes subsistent sur ce que fera l'Iran. Vous les avez exprimés vous-même, monsieur le ministre, dans le Wall Street Journal le 18 décembre 2013. On pourrait, dans cette région, prendre exemple sur l'Afrique qui a bâti une zone exempte de toute arme nucléaire avec le traité de Pélindaba de 1996. L'Afrique du Sud a alors démantelé son arsenal nucléaire clandestin.
S'agissant de la Syrie, le vote de la résolution des Nations unies n'a été qu'un premier pas. La conférence de Genève II sera capitale. Notre politique étrangère doit être réactive, pertinente et s'inscrire dans la durée. Elle doit mettre l'accent sur la recherche d'une paix fondée sur la justice.
J'en terminerai par une citation de Roger Yomba Ngué issue de Qui menace la paix et la stabilité en Afrique ? « Le plus important, c'est l'enseignement qu'on en tire et les décisions que l'on prend pour en sortir afin de construire un avenir plus probant et prometteur pour les générations futures. ».
M. Christian Cambon . - L'UMP souhaite que soit enfin fixé un cap clair à notre politique étrangère. Nous ne sommes pas les seuls, certains parlent d'une politique brouillonne.
Un cap clair, cela suppose que la France soit entendue et respectée. Le président de la République a réussi le véritable tour de passe-passe de s'imposer en décidant les interventions au Mali et en République centrafricaine. Mais à quel prix ? La solitude et une réduction des moyens de notre armée. La réalité est que nous sommes seuls au Mali, comme en République centrafricaine. Nous ne pouvons pas jouer les casques bleus universels quand notre armée connaît des déflations importantes.
Nous sommes loin des 2 % du PIB recommandés. Rappel douloureux pour vous, mais il convient de le faire, les moyens engagés en Afrique vous viennent de la présidence Sarkozy.
Exister sur la scène internationale exige un dialogue permanent avec nos partenaires européens. Ceux-ci ne sont pas dupes de votre manière, dangereuse au reste, de surfer sur l'euroscepticisme ambiant ; ils aimeraient être consultés.
Un mot de notre présence africaine car, encore heureux, nous sommes encore présents sur ce continent. L'urgence est dorénavant diplomatique en République centrafricaine. Nous ne pouvons pas assurer la reconstruction de l'État de droit, j'allais dire l'État tout court, et au Mali et en République centrafricaine. Où en sont vos échanges avec les chefs d'État africains ? En janvier 2013, vous disiez que nous n'avions pas vocation à rester dans ces pays. Hélas, à ce jour, nous ne disposons pas de calendrier militaire et politique. Le besoin s'en fait d'autant plus sentir que les soldats français et tchadiens commencent à être accusés de partialité.
Nous avons salué la manière dont la France a obtenu l'adoption de la résolution 2127 à l'ONU. Mais quid du dialogue au sein de l'Union européenne ? Nous voici engagés sur un territoire de 600 000 km², en proie aux pillards et à des conflits religieux dont il était jusqu'alors préservé ; un pays frontalier de nations fragiles. Je regrette donc, encore une fois, la sous-dotation des Opex qui, quoi qu'on en dise, sont le bras armé de notre diplomatie. Nos soldats auront besoin de renforts face à des guerriers lourdement armés, pas seulement de soutien logistique. Les retours d'expérience du Mali et le premier bilan de l'opération Sangaris le montrent.
L'Afrique connaît un taux de croissance de 5 %. Que font les acteurs qui s'y sont installés depuis dix ans et profitent de cette manne ? Il faut donc réajuster les barèmes et les quotes-parts dans les enceintes internationales et au Fonds européen de développement. L'Inde et la Chine, elles, n'ont pas d'état d'âme et ne sont pas accusées de néocolonialisme.
Si la France doit intervenir dans chaque pays exsangue, cela suppose que nous en ayons les moyens. Partout, en Afrique on observe une fissuration des États ; voyez le Soudan du Sud. Nous nous interrogeons donc sur le récent sommet de l'Élysée ; un sommet africain de plus ?
La composante économique de notre diplomatie étrangère doit être renforcée et je salue votre action, monsieur le ministre, depuis votre arrivée au Quai d'Orsay. Nous n'avons pas à rougir de notre politique en Afrique : nous formons les gouvernants de demain.
Autre zone d'intérêt, le monde arabe où cet autre printemps arabe qu'est la Syrie n'en finit pas. Nous avons bien fait de ne pas y intervenir seuls et hors de tout cadre international. Pour autant, il faudra trouver une solution.
La Russie, sur laquelle M. Carrère a insisté, est un partenaire important ; nous devons dialoguer avec elle dans le respect de notre tradition. Quelles garanties comptez-vous obtenir ?
Quelles sont les initiatives franco-allemandes auxquelles le président de la République a fait allusion ? Je regrette les propos désobligeants tenus sur l'Allemagne l'an dernier, émanant des rangs de la majorité.
En cette période de voeux, je forme celui que la France soit à la hauteur de sa tâche et de sa mission dans le monde !
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. - Elle l'est !
Mme Nathalie Goulet . - Monsieur le ministre, on vous a interrogé sur tous les sujets. Reste que la diplomatie commence à la porte de nos ambassades... Entêtée, je vous reparlerai de la formation de nos ambassadeurs et de mes chers amis les ambassadeurs thématiques. J'avais proposé leur suppression, j'ai obtenu un rapport. Quels sont les critères de nomination ? Faut-il avoir été recalé du suffrage universel ? Quel est leur coût ? À qui rendent-ils des comptes ? La nomination de Mme Ledoux, ancienne députée des Ardennes et maire de Charleville-Mézières, à la « coopération régionale dans l'océan Indien » laisse perplexe. La Cour des comptes y a vu un bon exemple de gestion non transparente des deniers publics. Je crois que ces ambassadeurs thématiques peuvent parfaitement s'intégrer dans notre architecture : un ambassadeur à la culture en Asie centrale par exemple, ou encore à la coopération médicale, aux énergies renouvelables ou à la lutte contre la pollution. Un conseiller par ambassade, ce temps est fini.
La nomination des ambassadeurs ? Sur les 22 pays de la Ligue arabe, nous n'avons que 6 ambassadeurs parlant l'arabe. Celui qui vient d'être envoyé aux Émirats arabes unis n'en connaît pas un mot. Il remplace un excellent arabisant et remarquable diplomate - à qui on a proposé l'Irlande !
Nous avons besoin d'outils d'évaluation renforcés. J'insiste sur la nécessaire cotutelle du ministère du commerce extérieur sur l'AFD, qui a accordé récemment un prêt à l'Azerbaïdjan, qui n'en a guère besoin... Oui à la diplomatie économique.
Je ne vous parlerai pas de l'Iran pour lequel j'ai des yeux de Chimène, mais je vous parlerai de l'Azerbaïdjan, vous n'y échapperez pas ! (Sourires) Notre pays détient un record Guinness : cela fait dix-sept ans qu'aucun ministre des affaires étrangères français ne s'est rendu à Bakou. Or ce pays a changé, il joue un rôle important. Il faut sortir du statu quo dommageable dans le conflit sur le Haut-Karabakh ; le groupe de Minsk que la France préside, y a insisté. L'Arménie doit libérer les sept provinces qui entourent le Haut-Karabakh et dont chacun reconnaît qu'elles sont occupées.
En dépit des points de vue divergents que nous pouvons exprimer dans l'hémicycle, nous sommes totalement solidaires du Gouvernement à l'étranger. Vous pouvez avoir confiance dans notre diplomatie parlementaire, elle n'est pas maladroite.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet . - Je veux vous parler de l'Afrique, et plus précisément des pays pauvres et de l'aide au développement.
Tout cet argent pour quoi faire ? Malgré les satisfecit donnés ici et là, nous n'avons pas tiré les leçons de l'intervention au Mali. La France ne peut se contenter de jouer un rôle de gendarme.
Nous avons une expertise sur le Sahel avec les rapports Chevènement-Larcher et j'ai été aussi convaincu par M. Michailof : la situation au Sahel présente des analogies inquiétantes avec l'Afghanistan : une région soumise à une crise environnementale à cause de la pression démographique, sans investissements publics, sans équipements, avec une population dans un complet dénuement, en proie à des tensions interethniques voire religieuses. Des zones rurales, sous-administrées voire dépourvues d'institutions étatiques, une population très jeune frappée par un chômage de masse, des groupes armés mobiles financés par divers trafics, s'appuyant sur un fondamentalisme religieux proposant une idéologie séduisante, des zones de repli : autant d'éléments pour que se déclenche au Sahel et au-delà une crise multiforme - politique, économique, humanitaire et sécuritaire comme nous l'avons vu au Mali, mais aussi au Niger et au Burkina Faso.
Or je ne constate aucune inflexion dans la loi de finances pour 2014. Nos outils de coopération sont inadaptés : prêts de l'AFD, ou annulations de dettes dont ces pays ne bénéficient que marginalement.
Il faudrait d'abord doubler, donc porter à 400 millions, l'aide projet à destination de ces pays, la France amorçant un fonds dont elle conserverait la gouvernance en raison de son expertise.
Il faut ensuite doubler l'aide Fonds de solidarité prioritaire au Sahel. Cela implique de raboter les ressources affectées au fonds Sida - bien que ce soit peu politiquement correct - celles affectées aux multiples fonds ONU, dont l'efficacité n'est pas prouvée, de diminuer les crédits d'accompagnement du FMI, de réduire les frais de personnel du Scac et de faire des économies sur tous les postes.
Je finirai par deux questions. Quelle est la position de la France par rapport au MNLA, dans la zone de Kidal ? Des critiques s'élèvent à Bamako, qui risquent de ruiner notre crédit après l'opération Serval ?
S'agissant de la République centrafricaine, la force multinationale africaine est-elle en mesure de prendre notre relais ? On dit le Tchad opposé à une intervention des Casques bleus : quelle sera la position de la France à l'ONU ? (Applaudissements)
Mme Josette Durrieu . - Je concentrerai mon intervention sur l'Iran.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Josette Durrieu. - L'accord passé à Genève le 24 novembre 2013 est un bon accord : nous avons obtenu toutes les concessions exigées de l'Iran. D'aucuns regretteront que les usines d'enrichissement n'aient pas été toutes fermées. L'accord ne traite pas de la militarisation, il n'envisage pas la fermeture de l'usine souterraine de Fordo. Une exigence plus grande aurait été courir le risque de l'échec. Cet accord limite les capacités de l'Iran dans son élan vers l'arme nucléaire si tant est que ce soit son choix.
Certains diront que l'Iran peut rapidement enrichir son plutonium mais d'autres objecteront qu'en quelques minutes des missiles détruiraient ses installations nucléaires.
Cet accord transitoire favorise les modérés et le président Rohani. Son pays va pouvoir vendre un million de barils de pétrole par jour, la moitié de ce qu'il vendait il y a dix ans. Souhaitons que les négociations aboutissent à un accord complet.
On peut s'interroger sur l'effet des sanctions sur le régime, elles n'ont pas enrayé le programme nucléaire. En 2006, espérions-nous vraiment faire plier l'Iran, qui lançait la construction d'un réacteur au plutonium à Arak ? Nous devons faire vivre cet accord, avec vigilance. Peut-il changer la donne dans la région ?
Israël y voit une « erreur historique ». M. Netanyahou campe sur une ligne dure partagée par l'Arabie saoudite et une grande partie du Congrès américain. Israël peut-il maintenir sa menace militaire ? Ce pays n'est pas lié par cet accord non plus que par le traité de non-prolifération nucléaire ni par la convention sur les armes chimiques.
La menace nucléaire est réelle, elle ne doit pas être le moyen pour Israël d'occulter la question palestinienne. Le statu quo, l'occupation et la colonisation de la Cisjordanie, l'annexion de Jérusalem-Est sont intenables. L'existence d'Israël passera par son insertion dans la région.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Gilbert Roger . - La violence de la crise économique en Europe freine les ambitions du continent en matière de défense. Londres s'est ainsi opposé au déploiement des groupements tactiques en Afrique. Cela étant, la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) a conduit à une trentaine d'opérations à ce jour.
Il faut se réjouir que le dernier Conseil européen ait placé ces enjeux à l'ordre du jour, alors que les dépenses de défense baissent de 10 % en Europe, passant ainsi sous l'enveloppe que les pays asiatiques consacrent à ces questions.
Cyberdéfense, ravitaillement en vol, drones communs, revitalisation du tissu industriel commun... Ces questions feraient consensus si nous partagions une vision stratégique commune. Paris affirme sa responsabilité à promouvoir l'Europe de la défense, mais Berlin ne souhaite pas s'engager sur le terrain. Au-delà, nos agendas politiques sont profondément déconnectés.
Mme Catherine Ashton a proposé des avancées dans le financement des missions, mais la coopération devrait se limiter à quelques programmes spécifiques, entre autres sur les drones. Catherine Ashton remettra en outre un rapport au premier semestre 2014 sur le financement des Opex, sujet qui nous tient à coeur.
Le monde entier se réarme. Avoir une politique de défense n'est pas un luxe mais une nécessité pour protéger nos valeurs. (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)
M. Jeanny Lorgeoux . - En ce jour anniversaire du décès de François Mitterrand, je veux vous parler de l'Afrique, un continent auquel il était très attaché. En République centrafricaine le relais de l'intervention française par des troupes onusiennes est jugé prématuré, ce qui laisse mal augurer du prochain sommet de l'Union africaine. La France a eu raison d'intervenir en République centrafricaine ; il en allait de la défense de nos valeurs. L'Europe doit comprendre qu'une partie de son avenir est en Afrique.
En attendant, la France fait face, en redéployant son dispositif militaire au Sahel, étendu d'est en ouest tout en maintenant ses pôles prépositionnés : elle a raison.
La France fait face avec l'opération Sangaris. Nos 1 600 soldats remplissent des tâches difficiles de maintien de l'ordre et de désarmement des milices, préparent le terrain aux solutions politiques.
Les prochaines semaines seront rudes. Le plus difficile, malgré le courage des responsables religieux, est de rompre le cycle infernal de la haine et de la violence.
Pour reconstruire les bases d'un dialogue national, l'Europe pourrait s'engager pour élargir les termes du mandat que le Conseil de sécurité des Nations unies nous a confié.
Est-ce impossible ? Notre diplomatie a déjà montré les ressources insoupçonnables de son talent, à l'image de son ministre !
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. - Merci.
M. Jean Besson . - Cette dernière intervention sera consacrée à la Chine. Nous fêtons les cinquante ans de l?établissement des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine, et recevrons prochainement son président Xi Jinping.
L'arrivée au pouvoir d'une nouvelle équipe pour les dix prochaines années avec le président Xi Jinping et le Premier ministre Li Keqiang, s'avère très prometteuse. Les premières rencontres officielles, celles d'avril 2013 et du mois dernier, se sont parfaitement bien passées. Les relations franco-chinoises sont aujourd'hui excellentes. J'ai invité l'ambassadeur chinois au Sénat. Nous recevrons bientôt le président chinois en France. Nos deux pays sont héritiers d'une culture plurimillénaire qui ont été peu en contact. La venue d'étudiants ouvriers chinois en France, tel Deng Xiaoping, qui allait prendre des responsabilités importantes au sein de la République populaire ; des écrivains français - et je pense à Malraux, ont contribué à nous mieux connaître.
La France a été le premier pays à étudier la Chine, au Collège de France et à l'Institut des langues orientales. Le peuple français admire le courage et l'intelligence du peuple chinois. Ensemble, nous voulons créer un monde multipolaire.
Nous avons chacun nos défis à affronter. Nous avons besoin de la puissance économique et financière de la Chine, la Chine a besoin d'une France forte dans une Europe unie et nous le dit. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères . - Permettez-moi tout d'abord de vous présenter tous mes voeux, à vous-mêmes ainsi qu'à l'institution sénatoriale.
Monsieur le président Carrère, je viendrai devant vous aussi souvent que nécessaire. J'apprécie, vous le savez, l'atmosphère du Sénat, où les échanges sont francs sans que l'on s'apostrophe comme le faisaient les héros d'Homère avant le combat, - sans jamais se combattre. (Sourires)
J'ai déjà eu l'occasion de dire mon sentiment sur la conjoncture internationale. Émergence de nouvelles puissances, dont la Chine, hésitation américaine entre présence et retrait, attitude russe, vous avez évoqué tout cela. N'oublions pas les mutations technologiques. Nous vivons, en effet, un grand chambardement du monde, selon la formule qu'a bien voulu reprendre M. Chevènement. Longtemps, nous avons vécu dans un monde bipolaire, avec l'opposition et la complicité objective ou subjective de l'URSS et des États-Unis, qui dictaient le chemin. La France avait alors une position forte et indépendante. La chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'URSS a laissé place à un monde unipolaire dominé par les États-Unis à tous égards.
On qualifie désormais le monde de multipolaire. Ce n'est pas exact : nous y tendons. Le monde est, pour l'heure, « zéro-polaire ». Aucune puissance, aucun accord de puissance, ne se dégage. Le Conseil de sécurité des Nations unies est paralysé et aucune solution ne s'impose par son évidence. Dans cette situation, la France, membre permanent du Conseil de sécurité, - merci de Gaulle ! - est une puissance globale par son appareil diplomatique, son rayonnement culturel, sa force nucléaire, Sa voix est entendue. Les États-Unis ont le pouvoir d'agir, mais ils ne veulent plus envoyer de soldats sur le terrain. Le Royaume-Uni affirme ses positions, que la Chambre des communes contredit, voyez la Syrie. Reste la France.
Monsieur Cambon, vous avez été très sévère sur les moyens alloués à nos armées. Vous connaissez l'expression : « Quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console ». Malgré nos défauts et toutes nos imperfections, nous avons la première armée en Europe et faisons ce que les autres ne font pas.
Au fond, que voulez-vous faire ? Beaucoup m'ont posé cette question un peu critique, qui n'est pas méritée. Notre politique poursuit quatre objectifs : la paix et la sécurité d'abord, y compris en intervenant militairement, la planète ensuite, c'est-à-dire l'organisation générale de la planète et la protection de l'environnement. Nous aurons l'honneur de présider la Conférence de Paris en 2015, qui, je l'espère, prendra des décisions pour sauver la planète du dérèglement climatique. Troisième objectif, l'Europe et enfin, le redressement, le rayonnement de notre pays. L'administration du ministère sert ces quatre objectifs fondamentaux.
Quel dommage que la France ne soit pas le seul pays en Europe, est-on tenté de répondre à certains d'entre vous ! Nous sommes parmi les 28 certainement le pays le plus sensé mais nous devons convaincre les autres... Prenez la défense européenne : si l'on est contre, et je ne sache pas que le parti de Mme Demessine y soit vraiment favorable, il ne faut pas regretter que les pays hostiles à une défense européenne ne nous accompagnent pas ! Le parti auquel vous appartenez au niveau européen, monsieur Cambon, c'est le PPE. Quand je rencontre mes collègues ministres européens une très grande majorité d'entre eux sont de cette sensibilité. Mettez donc votre talent, que nous savons grand, au service de ce beau projet et attachez-vous à convaincre vos collègues européens de nous aider !
Vous avez soutenu l'intervention au Mali. Elle a été exceptionnelle sur tous les plans. Le monde entier nous dit bravo, et il faut venir dans votre assemblée pour s'entendre faire des reproches !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Cela relève de la psychanalyse !
M. Laurent Fabius, ministre. - Le 11 juin 2013 j'étais à côté du président de la République quand le président malien, M. Traoré, l'a appelé au téléphone en lui disant : « Monsieur le président, si vous n'intervenez pas, je suis mort ! ». Nous sommes intervenus et le terrorisme a été largement éradiqué au nord ; des élections, plus régulières que jamais, ont été organisées.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Des élections qui ont connu une forte participation !
M. Laurent Fabius, ministre. - Et les sommes engagées ont suivi des circuits parfaitement transparents. Le partenariat avec l'Afrique, ce n'est pas la Françafrique.
M. Jeanny Lorgeoux. - Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. - Nos soldats seront au nombre de 1 600 en février, avant que nous ramenions nos troupes à un millier. Les choses ne sont certes pas terminées, mais ne boudons pas ces résultats exceptionnels.
La République centrafricaine est une autre affaire. Mettez-vous à la place de ceux qui gouvernent : le président de la République ne s'est tout de même pas creusé la tête pour justifier l'envoi de troupes dans ce pays et y saper la transition démocratique. Le pays sombrait. On nous reproche de n'avoir pas agi assez vite, il faut choisir ses arguments. Le président de la République avait alerté l'ONU en septembre sur la situation au Mali ; il a été le premier à prendre une décision. La veille, 1 000 morts avaient été recensés. Sans notre intervention, il aurait pu y en avoir beaucoup plus, 50 000 peut-être ?
Lorsqu'un pays ami se trouve en difficulté et requiert votre intervention, on ne peut détourner le regard. Nous ne nous substituons pas pour autant aux Africains. Nous apportons un soutien sécuritaire - désarmement, protection de l'aéroport - humanitaire, et une aide à la transition démocratique. Une élection ne suffit pas à régler les problèmes, mais rien n'est possible sans.
Il n'y a aucune contradiction entre la présence de la Misca et une opération de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU. Cette dernière n'interviendrait que dans six mois, et aurait un rôle complémentaire à celui de la Misca - l'organisation des élections par exemple. Le moment venu, les Casques bleus seront pour l'essentiel africains.
De leur propre aveu, les pays africains n'ont pas, pour la plupart, les moyens de régler les crises eux-mêmes : cela suppose des moyens matériels et un état-major ; dans ces pays, cela n'est pas évident. On appelle la France parce qu'elle est efficace et qu'on l'aime. La seule manière de sortir de la contradiction est de bâtir une force interafricaine, comme le propose l'Union africaine pour 2015.
Nous serions seuls au sein de l'Europe ? Nous avons abordé très souvent la question avec nos partenaires avant notre intervention au Mali et en Centrafrique. L'Europe de la défense n'existe pas, nous le regrettons mais c'est un fait. Il y a des unités qui, sur le papier, peuvent réunir 1 500 soldats. Pour le semestre qui vient, c'est la Grande-Bretagne qui en assure le leadership. Or celui qui a le leadership assume les frais. Quand nous avons consulté nos amis anglais sur l'intervention en République centrafricaine, ils ont répondu : trop cher et trop européen... Les autres pays européens ? Certains n'ont pas les troupes adéquates, d'autres ont des difficultés avec leur parlement, d'autres encore ne veulent pas participer... On peut le regretter mais c'est comme ça... Le président de la République et moi-même n'avons pas désarmé, pardonnez-moi ce mauvais jeu de mots ; nous aurons une réunion ministérielle le 20 janvier avec un rapport de Mme Ashton afin de trouver des solutions à court et moyen terme à la crise en RCA. Je vous en fais l'aveu : je ne peux à moi seul convaincre tous nos partenaires de la nécessité d'une défense européenne...
La Syrie... Je vous ai apporté la lettre que nous a adressée M. Ban Ki-moon pour nous inviter à participer à la conférence de Genève II. Il y insiste notamment sur le communiqué publié après Genève I, qui détaille les objectifs à poursuivre : une « transition conduite par les Syriens », « un accord sur une autorité transitoire dotée des pleins pouvoirs exécutifs formée sur la base d'un consentement mutuel », « le respect des droits de l'homme », des forces de sécurité et des institutions « placées sous une direction qui inspire confiance à la population sous le contrôle de l'autorité transitoire ». M. Ban Ki-moon ajoute que la participation d'un pays vaut adhésion à ces objectifs. Genève II qui, je l'espère, aura lieu, vise à mettre fin aux massacres et à créer les conditions de la transition.
L'Iran pour le moment rejette ces objectifs qu'il qualifie de « conditions ». Oui ce pays importe, madame Durrieu, mais encore faut-il qu'il adhère aux objectifs de la conférence. Si Bachar el-Assad envoie des représentants à Genève, c'est qu'il accepte que ses pouvoirs soient transmis à un gouvernement transitoire. Quant à l'opposition modérée, celle que nous soutenons, elle est divisée et fait face à beaucoup de difficultés ; si elle vient à Genève, c'est qu'elle aura accepté les objectifs dont j'ai parlé.
La France n'est ni l'Europe à elle seule, ni le Conseil de sécurité des Nations unies à elle seule. Un de mes premiers actes, en arrivant au Quai d'Orsay, a été de réunir les amis de la Syrie. C'était une époque où il n'y avait pas l'Iran en Syrie, pas le Hezbollah, pas de terroristes, M. Bachar el-Assad était sur le fil. Il aurait fallu pousser un peu... Mais il y avait les élections aux États-Unis, les pays arabes étaient divisés... L'affaire a été gelée jusqu'en février 2013. La position de la France n'a pas changé. Il existe une alliance objective entre Bachar el-Assad et les terroristes, dont un groupe a pris le contrôle de puits de pétrole ; à qui croyez-vous qu'ils vendent leur pétrole ? Au régime... Le problème s'enkyste, a des excroissances au Liban, en Jordanie, en Irak, avec des conséquences redoutables.
Deux extrémismes, en somme, se renvoyant la faute l'un l'autre. Les Russes disent qu'ils ne veulent pas du chaos ; mais le chaos, c'est aujourd'hui. Nous risquons, demain, une partition de la Syrie et la propagation des terrorismes, au Caucase et ailleurs.
L'opinion publique trouve tout cela bien ennuyeux... On entend dire que l'Afrique, que la Syrie sont loin. Non, elles sont tout près ! Une puissance globale comme la France ne peut détourner le regard. Bref, ayons une vision globale.
L'Iran... Nous avons été très actifs. Nous sommes arrivés à un accord intermédiaire, il faut maintenant l'appliquer. À chacun de respecter les engagements pris ; pour nous, l'allégement de certaines sanctions. Il y a un nouveau climat, c'est bien. Mais le plus dur reste à venir. En définitive, l'Iran entend-il renoncer, oui ou non, à l'arme nucléaire ? La question n'est pas encore tranchée. Pour autant, ne minimisons pas la portée de l'accord, c'est une première étape. Il y est écrit : « En aucune circonstance, l'Iran ne se dotera ni ne possèdera l'arme nucléaire ». L'Iran l'a signé ; reste à le vérifier.
Quelles seront les incidences des conflits syrien et irakien, de l'attitude russe, de la position de l'Iran sur la situation au Moyen-Orient ? Tout est séparé mais tout est lié... Et il ne faut pas oublier le contexte politique dans certains des pays de la zone... Les décisions ne sont pas faciles à prendre à la veille d'élections... En tout cas, ceux qui s'exposent au vent s'exposent aussi au destin du vent.
L'Europe... Elle connaîtra cette année des échéances importantes avec la tenue des élections, une nouvelle Commission va s'installer. L'Europe de la défense, abordée lors du sommet de décembre, est un sujet à retravailler, en particulier avec nos amis allemands. Les calendriers de François Hollande et de Mme Merkel concordent désormais, nous pouvons travailler à ce que pourraient être de grands projets communs, tant sur le plan économique, maintenant que le SPD est là, qu'en matière d'énergie, d'environnement et de défense. Nous parlerons aussi du traité transatlantique et de celui avec le Japon. L'alliance franco-allemande n'est pas exclusive, elle est ouverte, mais aussi déterminante.
Madame Goulet, à vos questions pertinentes et facétieuses sur les ambassadeurs, je répondrai que j'essaie de tenir compte des réalités humaines et des résultats obtenus. J'ai trouvé un certain nombre d'ambassadeurs dans la corbeille ; ne soyons pas injustes : certains d'entre eux font du bon travail.
L'AFD ? Nous conclurons dans quelques jours un contrat d'objectifs et de moyens, M. Canfin y travaille. À ma connaissance, madame Goulet, il n'y a pas eu de sommes versées à l'Azerbaïdjan.
Pour terminer, quelques mots de la Chine et de la Russie. Si nous ne sommes pas d'accord sur tout avec cette dernière, il n'y a aucun doute : c'est un de nos grands partenaires. M. Chevènement le sait mieux que quiconque puisqu'il est mon représentant spécial pour la coopération économique et fait un travail remarquable. Malgré nos divergences politiques, nous entretenons une très bonne relation. L'Ukraine, est un pays complexe et non un bloc... L'Europe ne lui proposait qu'un accord d'association, pas une adhésion. Le président ukrainien s'en est peut-être servi pour faire pression sur les Russes. Les problèmes du pays n'en seront pas pour autant résolus... À tout le moins, évitons les approches manichéennes. L'Ukraine n'a pas à choisir entre l'Europe et la Russie. Un rapprochement des deux premières sera bénéfique à la troisième.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Absolument !
M. Laurent Fabius, ministre. - Quant à la Chine, nous avons mille choses à faire avec elle. Le président de la République y a été excellemment reçu à Pékin, nous accueillerons bientôt M. Xi Jinping. Nos relations diplomatiques sont excellentes, développons nos activités économiques, qui sont déséquilibrées. Un seul exemple : la Chine accueille plus de touristes français que nous de touristes chinois. Seulement 1,2 million, qui consacrent à leur voyage en moyenne 1 600 euros, sur un potentiel de 90 millions et demain 300 millions. S'ils étaient 5 millions, nous réduirions de 10 % le déficit de notre balance commerciale...
La Chine est ouverte à un approfondissement du dialogue. J'ai été frappé par le bon accueil des autorités chinoises. Nos relations sont marquées par une estime mutuelle, nous avons beaucoup de points communs dont le riche héritage des civilisations anciennes. Dans un monde multipolaire, nous n'avons pas à choisir entre la Chine, la Russie ou encore le Japon. Approfondissons nos relations avec tous ces pays !
Je suis parfois un peu surpris par la teneur des débats sur la politique étrangère de la France. Je ne vous demande pas de m'applaudir debout, seulement de lire la presse internationale. S'il y a un pays qui a une politique étrangère, à laquelle beaucoup rendent hommage, c'est la France ! (Applaudissements)
Le débat est clos.
La séance est suspendue à 20 heures.
présidence de M. Didier Guillaume,vice-président
La séance reprend à 22 heures.