SÉANCE
du mercredi 8 janvier 2014
52e séance de la session ordinaire 2013-2014
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
Secrétaires : M. Gérard Le Cam, Mme Marie-Noëlle Lienemann.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Débat sur l'égalité des territoires
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique du Gouvernement en matière d'égalité des territoires, à la demande du groupe RDSE.
M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE . - Ces dernières années, notre groupe s'est particulièrement attaché à la mise en place effective d'une politique d'égalité des territoires. Les élus sont attachés au lien social, à la proximité. Depuis mai 2012, leurs appels se multiplient ; le Sénat, chambre représentant les collectivités territoriales de par la Constitution - tout du moins pour quelques semaines encore - les a naturellement relayés. Le 13 décembre 2012, le Sénat a adopté à l'unanimité, avec votre soutien madame la ministre, la proposition de résolution du groupe RDSE. Plus d'un an après, il fallait faire le point sur cette question de haute importance. Les nombreux soubresauts qui ont émaillé notre vie politique ont montré qu'elle l'était effectivement.
Ministre de « l'égalité des territoires », car vous ne l'êtes pas seulement du logement, vous ne pouvez qu'approuver ces propos liminaires. Comment ne pas rappeler que tant de milliards distribués à la Bretagne pour l'écotaxe, tant de milliards pour Marseille à cause des raisons que l'on sait, ne constituent pas une véritable politique d'aménagement du territoire. S'il faut brûler des portiques pour obtenir des aides, où va-t-on ?
Les disparités entre les territoires existent ; je crains qu'elles se soient aggravées, les territoires les plus en difficulté n'ayant pas obtenu les secours qui s'imposaient. La centralisation, la régionalisation des activités économiques, les métropoles ont laissé à l'écart nombre de départements et de villes moyennes. Vous le voyez en tant que ministre du logement : les villes-centres perdent des habitants au profit des métropoles ou de leur périphérie, dans laquelle de véritables villes-dortoirs se sont créées. Tout cela rompt le principe d'égalité inscrit à l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Il y a urgence à bâtir une politique d'aménagement équilibré. Notre groupe RDSE a voté la création des trois grandes métropoles Paris, Lyon et Marseille. Je m'inquiète toutefois de la multiplication des métropoles régionales. Le président de la République, dans ses voeux, a annoncé une réduction de la dépense publique. Fort bien mais prenons garde : les territoires les plus fragiles ne doivent pas en être les premières victimes, comme cela a été trop souvent le cas.
Oui à la simplification, non à la disparition. Fermetures d'écoles, de gendarmeries, de bureaux de poste : l'accès au service public devient plus difficile dans les territoires ruraux. L'étude de l'Insee en décembre 2012 le montre. Ne soyons pas démagogues : nous savons bien que le même service public ne peut être offert sur tout le territoire. Ce qu'il faut, c'est l'équité.
M. Jean-Claude Lenoir. - Très bien !
M. Jacques Mézard. - Et l'équité, c'est la justice. Quelle est votre feuille de route, madame la ministre ? Quelles sont vos marges de manoeuvre ? La même difficulté prévaut dans le secteur de la santé. Cela est durement ressenti quand il y va de l'accès aux urgences, de la survie.
Le Gouvernement a prévu le déploiement de 1 000 maisons de services d'ici 2017. Leur succès n'est pourtant pas éclatant. L'acte III de la décentralisation doit prolonger le mouvement. Reste que, depuis 2005, la charte des services publics n'a jamais été appliquée. Les aides apportées à l'emploi, les réponses aux déserts médicaux et aux besoins en transport sont par trop insuffisantes.
Le transport, j'y reviens, car c'est une question essentielle pour le désenclavement des territoires. Que compte faire le Gouvernement pour financer l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) ? Vous me répondrez qu'il ne fallait pas suspendre l'écotaxe. Certes, mais c'est le Gouvernement qui a pris cette décision, cédant aux pressions de quelques grands élus bretons.
M. Jean-François Husson. - Tiens, tiens...
M. Jacques Mézard. - Je vous invite, madame la ministre, à visiter le département dans lequel je cumule encore des fonctions. (Sourires) Venez en train et repartez en voiture, vous en tirerez des leçons fructueuses. Quid de l'engagement n° 28 pris par le candidat Hollande pour lutter contre la fracture territoriale ? Où en est-on de l'entretien du réseau ferroviaire, de la création de nouvelles infrastructures ?
On a voulu donner davantage à ceux qui en ont le plus besoin, on n'a pas réduit ainsi les poches de pauvreté, faute qu'elles aient été bien identifiées. L'accumulation des zonages est typique de la myopie des bureaux parisiens, pour ne pas parler de leur aveuglement. Il est évident que l'égalité des territoires passe par une péréquation horizontale et verticale. On ne peut pas à chaque débat de loi de finances faire tourner les ordinateurs pour voir combien reçoit l'Ardèche ou la Seine-Saint-Denis. Quelle que soit la majorité, nous devons arriver à une procédure juste.
Depuis deux ou trois décennies, les gouvernements successifs ont abandonné la politique d'aménagement des territoires que l'on faisait avant la Ve République. Quelle est votre vision ? (Applaudissements sur les bancs du RDSE, au centre et à droite)
M. Hervé Maurey . - Il y a deux mois, nous tenions un débat sur ce sujet à l'initiative de notre groupe UDI-UC, preuve que la ruralité souffre et que nous nous en préoccupons.
Plutôt que de me répéter, reprenons quelques éléments. L'absence de réponse, d'abord. Certes, vous répondez à mes questions écrites : cela, pour autant, ne m'apporte pas de solution, de réponse sur le fond. Prenons l'exemple de la téléphonie mobile. On nous dit qu'il faut attendre la 4G ; les maires, eux, demandent seulement la 1G ! (Rires et applaudissements à droite) Idem sur le haut débit et la santé. Je pars tout à l'heure pour Verneuil. La communauté de communes y a créé une magnifique maison de santé - à laquelle il ne manque qu'un médecin !
M. Jean-Jacques Mirassou. - La faute à qui ?
M. Hervé Maurey. - Face à cela, que fait le Gouvernement ? Il se délivre des satisfecit. Qu'a-t-il réellement entrepris ? Les missions de service public ? Elles prolongent une idée de M. Mercier et seront financées par les collectivités locales. Vous remplacez la Datar par un haut conseil, qu'apporte ce changement de nom ? La RGPP se poursuit sous le nom de MAP. (On le conteste sur les bancs socialistes) Eh oui, rien n'a changé, sinon que de faire disparaître les pôles d'excellence rurale, ce qui inquiète les élus.
En ces temps de voeux, nous assistons à de nombreuses cérémonies. De quoi nous parlent les élus ? De la réforme des rythmes scolaires. Je serais caricatural ? Ne tentez pas de m'attendrir, madame la ministre ! (Sourires) Je le maintiens : cette réforme procède d'un jacobinisme caricatural.
Autre source d'inquiétude, le plan local d'urbanisme intercommunal. L'Assemblée nationale est revenue sur la minorité de blocage instaurée par le Sénat. Je vous demande de vous engager formellement à défendre un amendement pour revenir à la version de la Haute Assemblée. (Mme la ministre fait un signe affirmatif)
Comme M. Mézard, je voudrais bien savoir quelle est la feuille de route du Gouvernement.
M. Jean-Louis Carrère. - Lisez Le Monde !
M. Hervé Maurey. - J'avais demandé, entre autres, qu'on arrête de dilapider les crédits et qu'on travaille avec les élus. Là encore, nous n'avons pas eu la loi-cadre attendue sur l'aménagement du territoire. En plus de deux ans, vous n'avez même pas réuni de comité interministériel, c'est dire le peu de cas que vous faites de l'aménagement du territoire.
Alors, cessons de débattre ; il est urgent d'agir, voire de réagir. Il y va de l'égalité des territoires et de l'égalité entre les citoyens. (Applaudissements à droite)
M. Gérard Le Cam . - Je veux dire notre lassitude devant ces débats multipliés sur l'égalité des territoires. Disserter c'est bien mais l'égalité passe par des actes. J'avais défendu une proposition de loi pour une meilleure répartition de la dotation globale de fonctionnement. Refus. La Modernisation de l'action publique (MAP) a remplacé la RGPP, les dotations aux collectivités territoriales se réduisent quand les entreprises reçoivent les 20 milliards du CICE. De tout cela se nourrit le mouvement des Bonnets rouges dans une Bretagne en proie à un taux de chômage de plus de 9 %. En 2012, la région a vu ses allocataires du RSA augmenter de 4 000 foyers.
Doux a créé un séisme dans l'emploi tout en empochant les subsides de l'État. Cette saignée suscite la colère. Où est donc passé le redressement productif qui avait créé tant d'espoir ?
Le pacte d'avenir ? La Bretagne a été laissée de côté dans le schéma des infrastructures tant dans le secteur ferroviaire que routier.
Comment ne pas voir que ce pacte est sous-financé ? On annonce 2 milliards en comptant les fonds des collectivités territoriales et de l'Europe dans l'enveloppe. Depuis quinze ans, la Bretagne reçoit 90 millions de moins que la moyenne nationale.
M. Bruno Sido. - Et les routes gratuites ?
M. Gérard Le Cam. - La Bretagne, garde-manger de la France, reçoit peu de subsides de la PAC. Nous subissons les diktats libéraux de l'Europe.
Comme le dit Emmanuel Todd, « nous sommes confrontés à une ambivalence de l'impôt et de l'État », d'un État qui sert l'intérêt commun et des intérêts privés. Il est temps d'en venir à une réforme fiscale pour rétablir la justice. Nous attendons des actes ! (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Pierre Camani . - Deux débats en deux mois, cela démontre l'attachement du Sénat à la politique de l'aménagement du territoire. L'attente est forte après que la politique libérale menée par le précédent gouvernement a marginalisé les territoires ruraux. (On se gausse à droite) Ces effets ont été amplifiés par la RGPP. Entre 2007 et 2012, le Lot-et-Garonne a vu fermer son tribunal de grande instance, son tribunal d'instance, une gendarmerie, des écoles.
Le paradigme a changé depuis mai 2012. Le discours de stigmatisation des collectivités territoriales a fait long feu.
M. Jackie Pierre. - Abandon du rural !
M. Alain Gournac. - Et des dotations.
M. Pierre Camani. - Le Gouvernement a conclu un pacte de confiance, installé un Haut Conseil des territoires. La recherche de l'égalité des territoires ne constitue pas l'apanage de l'État ; charge aux collectivités territoriales de jouer leur rôle. Je me réjouis que la péréquation ait été renforcée malgré les difficultés financières.
M. Alain Gournac. - Que c'est drôle !
M. Jean-Louis Carrère. - Calmez-vous !
M. Pierre Camani. - Je pourrais citer d'autres preuves du volontarisme de l'État : la création de postes dans l'éducation nationale. Dans mon département, 21 postes d'enseignants à la rentrée 2013 - cela ne s'était pas vu depuis longtemps. Quoi qu'en dise M. Maurey, dont l'impatience confine à la démagogie...
M. Bruno Sido. - C'est vous qui êtes démagogues !
M. Pierre Camani. - ... le Gouvernement agit. Le précédent parlait d'un plan numérique. Celui-ci met en place un fonds : une enveloppe de 3 milliards est prévue pour financer le plan « France très haut débit ». (Exclamations à droite)
Autre exemple de l'action de l'État, le plan territoire santé ou encore le prochain texte de décentralisation qui conduira à plus d'égalité des territoires.
M. Bruno Sido. - Avec quels crédits ?
M. Pierre Camani. - L'égalité des territoires plutôt que l'aménagement du territoire ; ce n'est pas un simple changement de mots. Pour la première fois, il existe un ministre de l'égalité des territoires.
Pour finir, je citerai le sociologue Jean-Pierre Le Goff, qui écrit dans son ouvrage La fin du village, « notre pays dispose de réserves de forces vives, il n'a pas dit son dernier mot ». (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Claude Requier . - L'égalité des territoires, à laquelle est très attaché notre groupe, vise le bien-être et la richesse de tous nos concitoyens. Ce n'est pas une idéologie, c'est donner à tous les territoires des activités économiques, et non à des bobos privilégiés qui viennent à la campagne écouter les petits oiseaux.
M. Bruno Sido. - Il a raison !
M. Jean-Claude Requier. - Rendre les territoires attractifs, c'est développer toutes les politiques avec les acteurs locaux ; c'est une question de transversalité. Prenons l'exemple de l'éducation nationale. La dernière enquête Pisa n'est pas flatteuse pour la France : elle fait apparaître notre pays comme un de ceux où le lien entre inégalités sociales et échec scolaire est le plus net. Ce, alors que les ZEP sont passées de 10 % du territoire en 1981 à 20 %. La ruralité est trop souvent oubliée.
La politique d'égalité des territoires, c'est plus de péréquation, mais aussi des grands projets de transport comme la LGV Lyon-Turin, même si cela gêne les crapauds et autres libellules.
Le Conseil économique et social préconise une loi-cadre sur l'égalité du territoire. À l'État d'assumer ses responsabilités envers les habitants de la ruralité et de l'hyper-ruralité. Ils font partie intégrante de la République et, à cet égard, aucun doute n'est permis ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
Mme Esther Benbassa . - Il y a plus d'un an, nous débattions de la politique de la ville, puis d'une proposition de résolution du groupe RDSE.
Nous faisons aujourd'hui le même constat, il est d'autant plus urgent d'agir que les municipales approchent. Dans les quartiers, certains habitants sont déçus par la gauche, disais-je en 2012. L'abstentionnisme pourrait bien être le grand gagnant : quand certains concitoyens ont de plus en plus la rage au coeur, ils peuvent être tentés par le repli communautaire ou religieux, bien plus dangereux que les violences ou les émeutes, qui veulent faire réagir le reste de la société.
M. Claude Dilain. - C'est vrai !
Mme Esther Benbassa. - La Cour des comptes dans un rapport de 2012 pointait du doigt le manque de coordination entre les ministères, d'une part, entre l'État et les collectivités territoriales, d'autre part, pour expliquer la situation dans les quartiers. Comme l'a établi le rapport de l'Observatoire national des ZUS, la pauvreté y progresse, les jeunes y connaissent un taux de chômage de 47 %. Et je ne parle pas de la santé, des transports, des discriminations.
Les habitants des quartiers doivent être considérés comme une richesse pour la France et mis au coeur de la politique de la ville.
M. Claude Dilain. - Bravo !
Mme Esther Benbassa. - Le rapport Bacqué-Mechmache en souligne l'enjeu politique. La lutte contre la stigmatisation et les discriminations doit être implacable. Le débat sur le port du voile a exacerbé l'islamophobie.
Il faut faire converger les politiques de l'État et des collectivités, réunir l'urbain et le social dans un projet global co-élaboré avec les acteurs, appuyé sur des initiatives citoyennes. Il faut changer le regard sur les quartiers.
M. Jean-Claude Lenoir. - Il y a du boulot !
Mme Esther Benbassa. - Donnons-nous en les moyens ! Le groupe écologiste se réjouit de ce débat et de l'examen du projet de loi sur la cohésion urbaine la semaine prochaine. Nous proposerons des amendements pour que ce texte ne représente pas un énième plan Marshall pour les banlieues mais marque un tournant : une politique urbaine conçue et pensée depuis le bas. Nous y reviendrons ! (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes)
M. Jean-François Husson . - « Que les citoyens soient quelque chose et que les fonctionnaires ne soient pas tout », voilà un extrait d'un texte sur la décentralisation datant de1865, connu comme le programme de Nancy. Nancéen je suis, lorrain je reste : il est bon de connaître ses racines pour fonder ses valeurs. Plus d'un siècle après, la formule fait frémir : que les citoyens soient quelque chose. Quel que soit le lieu où l'on habite, chacun a droit d'avoir accès aux services publics. Or malgré la création d'un ministère de l'égalité des territoires, les écarts s'aggravent en matière de téléphonie mobile, de très haut débit mais aussi de mobilité. Au-delà des mots, ce sont nos concitoyens qui, dans leurs multiples activités, souffrent de cette situation.
Deux textes sont à venir : un de programmation sur la ville et l'autre, deuxième tome de la loi de décentralisation, sur la déconcentration. Je crains qu'ils n'apportent aucune amélioration. La réforme est scindée, c'est mauvais signe. Le Gouvernement n'aime pas la ruralité, pour certains, en tout cas il lui donne trop peu de preuves d'amour. L'inflation normative sera-t-elle le fossoyeur de nos villages ? La réforme des rythmes scolaires est inapplicable dans les petites communes : faute de locaux pour les activités périscolaires, les parents devront payer.
M. Jean-Louis Carrère. - Idéologie !
M. Jean-François Husson. - En Meurthe-et-Moselle, plus de 80 % des communes sont dans un regroupement scolaire intercommunal, 20 % dans un regroupement dispersé. Ajoutons à cela la baisse des dotations aux collectivités territoriales. C'est la double peine.
M. Jean-Louis Carrère. - Quelle dialectique !
M. Jean-François Husson. - Certes, cette réforme n'est pas la vôtre, madame la ministre.
M. Jean-Louis Carrère. - C'est la nôtre et nous y tenons.
M. Jean-François Husson. - Sous couvert d'égalitarisme de façade, les élus constatent que les inégalités se creusent. Venons-en à l'équité, prolongeons la péréquation horizontale initiée par le gouvernement de M. Fillon.
J'ai à vous proposer quelques pistes, en considérant les territoires en réseaux : c'est le moyen de consolider l'armature des territoires ruraux, d'accompagner les agglomérations tout en redynamisant les bourgs-centres. La loi SRU a confié aux territoires la réflexion sur un urbanisme de projet : si les régions ne jouent pas toujours leur rôle, avec les schémas régionaux d'aménagement, le Scot est le bon outil d'aménagement, je vous ferai des propositions en tant que président d'un Scot dans un département qui a la particularité d'être bi-Scot.
M. Jean-Louis Carrère. - C'est craquant !
M. Jean-François Husson. - Après deux ans de travail, nous avons conclu un pacte dont on pourrait s'inspirer.
M. Jean-Louis Carrère. - Restez donc optimistes.
M. Jean-François Husson. - Au-delà des mots, il faut des actes. Nous notons la création du Commissariat général à l'égalité des territoires, du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Soit, mais quels sont les moyens pour atteindre nos ambitions ?
Je dénonce dans la baisse des dotations aux collectivités territoriales un coup de poignard dans le dos. Entendez la France qui gronde, entendez ceux qui continuent de vouloir entreprendre et de participer au sursaut pour redresser la France : ne les bridez pas ! (Applaudissements à droite)
Mme Delphine Bataille . - Pour la première fois, un ministère de l'égalité des territoires a été créé et le président de la République a réaffirmé sa volonté de résorber la fracture territoriale. Il le fallait après le démantèlement des services publics opéré par le gouvernement précédent, dont les effets ont été évidemment aggravés par la crise.
Face à ce défi, le Gouvernement a confié à diverses personnalités des missions, s'ajoutant aux rapports parlementaires. Il est temps de présenter une loi-cadre. Le Commissariat général à l'égalité des territoires devra mobiliser plus efficacement tous les acteurs publics alors que l'approche a été jusqu'à présent sectorielle et complexe, avec la multiplication des zonages et des normes. Les élus réclament une simplification et une intervention à l'échelle des bassins de vie. Depuis trois ans le département du Nord mène une politique volontariste d'aménagement du territoire qui passe par une contractualisation dans les bassins de vie pour développer des partenariats de concert avec les acteurs locaux, pour sortir de la logique de guichet.
L'accès aux services publics représente un enjeu majeur, surtout dans les territoires ruraux isolés.
Le développement du numérique non seulement freinera l'exode rural, car des entreprises pourront s'installer à la campagne, mais participera d'une meilleure couverture médicale et de la prise en charge des personnes âgées. L'objectif de la couverture totale du territoire en dix ans est ambitieux et le rôle régulateur de l'État sera déterminant...
M. Roland Courteau. - Bien sûr !
Mme Delphine Bataille. - ... tant les opérateurs privés s'intéressent peu aux territoires ruraux. Après la loi sur les métropoles, que nombre d'élus ruraux ont ressentie comme un abandon, je plaide pour plus de solidarité nationale et, donc, plus de moyens. Les réponses du Gouvernement doivent traduire sa volonté de donner un second souffle à ces territoires et de l'espoir à leurs habitants ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Claude Lenoir . - Madame la ministre, en décembre 2012, vous étiez pleine de flamme ; vous aviez l'enthousiasme d'un ministre nouvellement arrivé et dénonciez avec fougue la politique du gouvernement précédent. En novembre, votre ton était plus mesuré. Sans doute, l'expérience du Gouvernement modifie-t-elle le jugement sur ce qui a été fait et ce qui peut l'être...
Vous annonciez une loi-cadre, elle n'est pas venue. Le Sénat, quoi qu'en disent certains, a agi à votre place en élaborant une nouvelle version, plus équilibrée, de la loi sur les métropoles en y ajoutant les territoires ruraux ou territoires d'équilibre.
Je crois aux pays, il est fédérateur des intercommunalités. Ce n'est pas une structure supplémentaire, c'est le lieu où se rencontrent les élus à l'échelon pertinent.
D'ailleurs, les Scot sont portés par les pays.
M. Jean-Louis Carrère. - C'est une possibilité !
M. Jean-Claude Lenoir. - Deuxième observation, pour que les pays...
M. Jean-Louis Carrère. - Une idée verte !
M. Jean-Claude Lenoir. - ... puissent travailler, il faut de la contractualisation, parce qu'elle impose de la concertation, du dialogue. Madame la ministre, vous semblez être d'accord avec cette approche, pouvez-vous me le confirmer ? Que seront les contrats de ville que vous avez annoncés ? Pour l'heure, leurs contours restent flous.
Troisième remarque, à quoi servent ces pays ? À organiser les services apportés au public. Gardons-nous de croire que les nouvelles technologies sont la panacée.
M. Jean-Louis Carrère. - On tweete moins dans le monde rural !
M. Jean-Claude Lenoir. - Il manque des infrastructures, l'accès au très haut débit est indispensable.
Il ne faut pas penser en silo, disiez-vous, madame la ministre. La formule m'avait plu : les fonctionnaires ne sont pas prêts à travailler ensemble lorsqu'ils relèvent de ministères différents. Il faut s'ouvrir aux nouvelles technologies, comme il faut développer les infrastructures de transport. Notre collègue a parlé de « département bi-Scot », il y a des deux fois deux voies, des « bi-routes », comme disait un député breton il est vrai, nuitamment, qu'il conviendrait de mettre en chantier, par exemple pour joindre Paris à Brest, - je vous le dis comme maire de Mortagne-au-Perche, une jolie sous-préfecture...
M. Gérard Larcher. - ... dans un beau département !
M. Jean-Claude Lenoir. - Il faut innover. Le président de La Poste nous a indiqué en commission comment il entendait maintenir l'activité de son entreprise malgré la diminution du courrier : on peut envisager de maintenir un lien humain, de servir les abonnés de la bibliothèque ou de la médiathèque, de distribuer des médicaments... Il y a dans le monde rural des trésors d'imagination.
Nous ne savons pas adapter la loi aux besoins. Laissons l'intelligence des territoires s'exprimer. Voyons comment faire mieux avec moins d'argent. Durant des années, le modèle était la ville, avec les villes nouvelles et les métropoles d'équilibre. Incontestablement, on observe actuellement un retour de balancier : le Perche attire des actifs.
Madame la ministre, je vous vois moins comme une ministre de l'égalité des territoires que comme une ministre de l'équilibre des territoires. Je vous demande à tout le moins l'équité, et si possible l'équilibre, un mot citoyen qui nous rassemble ! (Applaudissements sur les bancs UMP, UDI-UC, du RDSE et socialistes)
M. Jean-Jacques Mirassou . - J'évoquais, lors d'une séance de questions cribles sur la montagne, la détresse des quatre cantons de Haute-Garonne durement frappés par les inondations de juin 2013, victimes de leur enclavement et prisonniers de la mono-activité économique. N'en déplaise aux amnésiques, la RGPP a fait des ravages. Le Gouvernement va créer d'ici 2017 1 000 maisons de services publics, 64 zones de sécurité prioritaires, 500 postes supplémentaires dans la gendarmerie et la police et j'en passe. Il apportera son soutien aux communes avec 570 millions. Il travaille à la simplification des normes, réclamée lors des états généraux de la démocratie territoriale.
Le Commissariat général à l'égalité des territoires constitue aussi une avancée. Cela ne suffit pas, néanmoins, à former une véritable politique d'égalité des territoires pour le XXIe siècle.
Il faut définir une politique globale en adéquation avec les besoins des territoires et répondre aux appréhensions des élus locaux, au premier rang desquels les maires. De nombreux rapports ont été remis.
L'acte III de la décentralisation suscite l'inquiétude des élus locaux, qui avec les métropoles, craignent un affaiblissement supplémentaire de leurs territoires. Tous les acteurs doivent penser ensemble le rural et le phénomène urbain. Il ne faut pas opposer une ruralité vitrifiée dans son passé à la modernité urbaine. Tout le monde reconnaît que le département continuera à jouer son rôle car c'est un facteur de cohésion sociale et de solidarité territoriale, même si la création des nouveaux cantons n'est pas exempte de critiques. Cependant les critiques les plus violentes émanaient de l'ancienne majorité... qui avait acté sa disparition. (Protestations à droite)
Le nouveau mode de scrutin favorise la parité, qui est - qui peut le nier ? - facteur d'égalité des territoires. Les élus locaux ne devront pas hésiter à s'approprier ces nouvelles règles. Je suis persuadé qu'entre la résignation et la gesticulation, il reste toute sa place pour l'action. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement . - J'ai grand plaisir à vous retrouver en ce début d'année pour évoquer l'égalité des territoires, deux mois après le débat de contrôle précédent.
Le président de la République a réaffirmé hier en présentant ses voeux aux corps constitués son attachement à ces questions. Soyez assurés que ma détermination n'a pas fléchi.
M. Jean-Claude Lenoir. - Nous allons le vérifier !
Mme Cécile Duflot, ministre. - Le temps est venu de déployer une action plus vaste, en faveur de l'égalité des territoires.
Depuis 2012, la péréquation a été renforcée. L'exigence de solidarité nous oblige, aujourd'hui plus que jamais. Un fonds de solidarité, doté de 570 millions, va être créé, tandis que DSU et DSR augmenteront de 4 % en 2014. La DGF, quant à elle, sera adaptée à la réalité des territoires.
La solidarité, la réparation des inégalités passent aussi par la présence médicale et l'accès aux soins. Sur ce sujet le Gouvernement est déterminé. Le FNADT a subventionné les maisons de santé pluridisciplinaires, portant à 300 le nombre de ces structures financées par l'État en trois ans. Cette action est complémentaire du pacte « Territoire santé » de Mme Touraine.
La connexion entre les territoires est un autre enjeu majeur. C'est l'une des clés du développement - je reviendrai sur le très haut débit. Le Premier ministre l'a dit, la taxe poids lourds est nécessaire au financement de l'Afitf, et en particulier de la rénovation du réseau ferré secondaire ; de nombreuses lignes sont en effet fragilisées, faute d'investissements. Je souhaite que tous les partis qui ont voté cette taxe trouvent la voie du consensus. La commission d'enquête dédiée s'est réunie aujourd'hui à l'Assemblée nationale. En attendant que ses travaux aboutissent, la TPL a été suspendue, vous le savez.
Le plan THD financera 20 milliards d'euros en dix ans pour que le territoire soit couvert en 2017 ; 4,7 milliards sont déjà mobilisés, deux à trois projets conséquents sont examinés chaque mois. Le milieu rural et les zones de montagne ne sont pas laissés de côté. Cela ne doit pas nous faire oublier les difficultés qui persistent dans certains territoires, les zones blanches ; tout le monde est mobilisé pour leur résorption.
Nos travaux sur le développement des usages et des services numériques se poursuivent. Là est la valeur ajoutée pour les territoires. Des initiatives sont prises, qui doivent être encouragées et accompagnées. Ce sera le cas en 2014.
J'ai décidé en outre de soutenir les pôles territoriaux de coopération économique, à hauteur de 2 millions d'euros. Entreprises traditionnelles ou de l'économie solidaire, structures de formation, associations, seront encouragées à travailler ensemble pour offrir de nouveaux services. La concurrence n'est pas le seul modèle possible.
La création du commissariat à l'égalité des territoires est une avancée majeure. Non pas outil de planification mais charnière des relations entre l'État et les collectivités territoriales, il sera le garant de la continuité territoriale, le catalyseur des initiatives locales, dans une logique ascendante.
Les nouveaux contrats de plan État-région sont une échéance importante en 2014. Ils contiennent de nombreuses novations, font la part belle à la transition énergétique et écologique, comprennent un important volet territorial afin de lutter contre les inégalités infrarégionales. Nos concitoyens seront encouragés à participer davantage à la vie locale, via des mécanismes de financement d'initiatives citoyennes.
Comme l'a dit le Premier ministre devant le dernier congrès des maires, le Gouvernement fait de la question de l'accès aux services publics une priorité absolue. Un titre spécifique du projet de loi « Mobilisation des régions » que présentera Mme Lebranchu sera consacré à cette question. Des schémas d'accessibilité aux services publics seront rendus obligatoires dans tous les départements. Certains départements volontaires se sont déjà prêtés à l'exercice, à l'instar du Lot-et-Garonne. L'objectif est ambitieux : 1 000 maisons de services publics d'ici 2017. Nous n'avons rien inventé : la maison des services publics de Clichy a changé le quotidien de ses habitants, il faut généraliser ces initiatives à l'ensemble des territoires. Un fonds de développement des maisons de services publics sera créé en 2014, alimenté à 50 % par l'État et les opérateurs, qui financera la moitié des coûts de fonctionnement de ces maisons, soit 35 millions d'euros par an en vitesse de croisière.
L'objectif demeure celui d'une maison des services publics dans chaque canton pour maintenir un contact humain dans chaque territoire. Je salue la mobilisation des opérateurs, les groupes de travail techniques sont en place.
Le maillage équilibré du territoire est un impératif. C'est l'ambition du programme décidé en novembre dernier et le président de la République a rappelé hier cette exigence. Il faut recréer les bourgs-centres - la contractualisation est un bon outil, j'en suis d'accord, monsieur Lenoir - et réorienter les crédits d'État en matière de logement, de santé, d'emploi des jeunes. Nous entendons accompagner les collectivités à mettre en place des projets transversaux non consommateurs d'espaces agricoles ou naturels, qui intègrent toutes les dimensions de la revitalisation. Je me suis rendue en Meurthe-et-Moselle à l'invitation de Mme Didier, je sais l'implication des élus. Je répondrai volontiers à d'autres sollicitations et viendrai volontiers goûter les fromages du Cantal, monsieur Mézard...
Le FNADT a pour ce faire été abondé de 15 millions supplémentaires en 2014, les crédits progressent donc, contrairement à ce que certains disent. Une enveloppe spécifique pour les aides à la pierre a été débloquée dans le cadre de ce programme, car nous devons aussi répondre aux besoins des habitants dans les zones moins tendues. Comme l'a dit le président de la République, faire plus pour les territoires ruraux et fragiles est une priorité. Il a annoncé hier, lors de ses voeux aux corps constitués, des contrats spécifiques, sur le modèle de la politique de la ville, pour mieux cibler et articuler l'action de l'État.
Monsieur Maurey, j'ai pris un engagement devant vous : il sera tenu. Le 14 janvier prochain, je déposerai à l'Assemblée nationale un amendement qui reprend le dispositif relatif au PLUI tel qu'imaginé par le Sénat.
Je souhaite enfin que nous disposions de nouveaux indicateurs de richesse, au-delà du PIB par habitant, afin de mieux piloter la politique d'égalité des territoires.
Le ton de ce discours était moins lyrique que les précédents...
M. Jean-Claude Lenoir. - On l'a noté !
Mme Cécile Duflot, ministre. - ... mais il était surtout l'occasion de dresser un premier bilan et des perspectives claires de l'action de mon ministère et du Gouvernement en matière d'égalité des territoires. Merci, monsieur Requier, d'avoir cité M. Eugène Claudius-Petit ; l'égalité est un projet que nous devons continuer à construire ensemble, je compte sur vous pour le nourrir ! (Applaudissements à gauche)
Le débat est clos.
La séance, suspendue à 16 h 50, reprend à 17 h 10.