Premiers secours
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire.
Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que cette discussion serait interrompue à 18 h 30 ; en outre la ministre doit nous quitter à ce moment-là pour rejoindre le Stade de France.
Discussion générale
M. Jean-Pierre Leleux, auteur de la proposition de loi . - Les accidents de la route restent un problème en France, même si la mortalité routière est en baisse, de 18 000 en 1972, 9 000 dans les années 90, puis 5 000 depuis 2006, et un peu moins de 4 000 depuis 2009. Le parc roulant et le trafic ont pourtant plus que doublé entre-temps.
Les conducteurs sont donc devenus plus respectueux du code de la route ; les pouvoirs publics ont amélioré l'état des routes, et pris d'autres mesures de sécurité routière : port obligatoire de la ceinture et du casque, permis à points, alourdissement des sanctions et permis probatoire en 2003.
Nous pourrions allez plus loin en améliorant les premiers secours portés aux victimes. Les formations généralistes existantes sont peu adaptées. Elles touchent beaucoup moins de personnes qu'espéré.
Selon un sondage récent, 98 % des Français sont favorables à une formation aux premiers secours lors du passage du permis de conduire. Avant l'arrivée du Samu ou des pompiers, il peut se passer plusieurs dizaines de minutes. Or tout se joue parfois dans les premiers instants. Entre 250 et 300 vies pourraient être ainsi sauvées en France chaque année.
Il faut passer d'une formation confidentielle à une formation de masse. Songez aux « trois gestes qui sauvent », en matière cardiaque, promus par la Fédération française de cardiologie. Il s'agirait d'un enseignement pratique en quatre heures, limité aux urgences vitales : deux gestes d'alerte : alerter, baliser ; trois gestes de survie : ventiler, comprimer, sauvegarder.
Le comité interministériel concerné s'y est déclaré favorable dès 1994. Diverses propositions de loi ont été déposées depuis, allant dans le même sens. La loi du 12 juin 2003 a prévu de sensibiliser aux notions élémentaires des premiers secours les candidats au permis de conduire, mais le décret d'application ne fut jamais publié.
Nous revenons sur cet oubli. Je remercie et félicite la commission des lois, son président et sa rapporteure qui, tout en préservant l'esprit, ont simplifié la lettre de ma proposition de loi en supprimant l'épreuve supplémentaire et en se positionnant sur le caractère réglementaire de ces dispositions, écartant ainsi un obstacle opposé à une semblable proposition de loi à l'Assemblée nationale.
Qu'entend-on par « notions élémentaires de premiers secours » ? Il est possible de le préciser sans empiéter sur les prérogatives du Gouvernement.
Je souhaite que notre débat permettre d'avancer et de faire des suggestions sur l'organisation de la formation. La ventilation n'a pour objet que de libérer les voies aériennes, en relevant le menton de l'accidenté. Ce n'est qu'ensuite, si la respiration ne reprend pas, que l'on pratique le bouche-à-bouche ou le bouche-à-nez. Il n'est pas question de pratiquer la respiration artificielle par un geste manuel. Quant à la position latérale de sécurité, inventée par le professeur Marcel Arnaud, fondateur du secourisme routier, elle empêche que l'on ne s'étouffe en régurgitant. Enfin, la compression consiste simplement à appuyer sur une plaie en cas d'hémorragie, nullement à poser un garrot comme on le préconisait autrefois.
Ce sont là des gestes élémentaires. On les retrouve jusque dans Les premiers secours pour les nuls ! Tous ceux qui suivent une formation de secourisme, partout dans le monde, les apprennent. Peut-être faudra-t-il les renommer pour en faciliter l'acceptation et la mémorisation. Ces gestes doivent devenir un réflexe pour éviter la panique.
Plus d'une dizaine d'États européens ont déjà adopté des dispositifs similaires. J'insiste pour que le décret encadre la notion de « premiers gestes » et inclue à la fois les gestes d'alerte et de survie. Ne s'agirait-il que de sauver une seule vie, il vaudrait la peine de voter ce texte. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois . - Cette proposition de loi rend obligatoire une formation aux premiers secours lors du passage du permis de conduire. En cas d'accident, les premières minutes sont vitales. L'OMS remarquait en 2005 que « les systèmes de secours les plus sophistiqués et les mieux équipés ne peuvent pas grand-chose si les témoins n'appellent pas à l'aide et ne pratiquent pas les premiers secours avant que les services de secours n'arrivent sur place ».
Les formations générales aux premiers secours ne suffisent pas aux conducteurs. En France, il n'existe qu'une formation obligatoire, à destination des élèves du premier et du second degré ; mais seulement 20 % des élèves de troisième la reçoivent. Aucune obligation n'existe pour les candidats au permis de conduire, même professionnel. Pour les permis poids lourds, seule une formation théorique est dispensée. La loi du 6 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière a prévu la sensibilisation aux premiers secours ; faute de décret d'application, cette disposition est restée lettre morte.
Plusieurs propositions de loi, dont l'une du président Sueur, prévoyaient une obligation similaire pour les permis de transport de personnes, ou pour le permis B. Dans plusieurs pays européens, cette formation est déjà obligatoire, sans qu'une épreuve spécifique soit imposée aux candidats.
Le texte initial de la proposition de loi prévoyait une telle épreuve. Le surcoût aurait pesé sur les candidats, alors que le permis de conduire coûte déjà 1 500 euros en moyenne. Si la formation est dispensée, non à l'auto-école, mais au sein d'associations de secourisme, il faudra de nouveaux enseignants, à moins d'allonger considérablement le délai d'obtention d'un permis, alors que celle-ci conditionne souvent l'accès à l'emploi.
Certains des cinq gestes de premiers secours sont contestés, à l'instar de la ventilation, en cas d'accident de la circulation. Laissons donc au pouvoir réglementaire le soin de définir le contenu de la formation.
L'obligation de suivre une formation serait sanctionnée, puisque des questions à ce sujet pourront être posées au cours de l'examen théorique. On m'opposera que cette proposition de loi relève du domaine réglementaire. Il en va de même, normalement, de la durée de cotisation pour l'obtention d'une retraite à taux plein, que le Gouvernement a pourtant voulu inscrire à l'article 2 du projet de loi portant réforme des retraites. Pensons aussi aux normes relatives aux détecteurs de fumée, à la sécurité des piscines privées. Dans ces deux domaines, la loi est intervenue. Il y a donc des précédents. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative . - Ce texte intéresse les Français à double titre. Parce qu'il concerne le permis de conduire, d'abord : pour les jeunes, c'est souvent le moyen d'acquérir son indépendance, de trouver un emploi, de devenir adulte.
Parce qu'il a trait, ensuite, à la sécurité routière. Trop de Français meurent encore sur les routes, malgré les progrès enregistrés. Sauver des vies, c'est souvent accomplir les bons gestes, dès les premières minutes.
Je partage donc vos préoccupations, mais je suis en désaccord sur les moyens. D'abord, parce que cette proposition de loi relève du domaine réglementaire. Loin de nous défausser, nous assumons nos responsabilités. Le texte initial comportait des incertitudes. Une troisième épreuve aurait obligé à recruter des inspecteurs supplémentaires.
Pour mémoire, en 2004, le passage de la durée de l'épreuve pour obtenir le permis B de 22 à 35 minutes avait nécessité de recruter 195 inspecteurs supplémentaires. De plus, les associations de secourisme agréées ne disposent pas du maillage nécessaire pour former les 900 000 candidats. Inutile d'ajouter de nouvelles inégalités territoriales à celles qui existent.
Enfin, les cinq gestes qui sauvent, quand bien même cette proposition de loi ne les mentionne plus dans son titre, ne font plus consensus, et ne peuvent pas être mis sur le même plan - la ventilation par le bouche-à-bouche peut être préjudiciable en cas de traumatisme du rachis - c'est ici le médecin qui s'exprime.
Les objections de fond, qui avaient conduit le Gouvernement à refuser la proposition de loi du député Gérard, nous amènent à émettre un avis défavorable à ce texte. Le Gouvernement s'est engagé à prendre des mesures. Voyez l'arrêté du 13 mai 2013, qui entrera en vigueur le 1er juillet 2014 et renforce la sensibilisation aux comportements à adopter en cas d'accident. En outre, l'article 16 de la loi du 12 juin 2003 sera enfin mis en application : c'est l'objet d'un projet de décret qui sera transmis au Conseil d'État avant la fin de l'année. Enfin, dans le courant de l'année 2014, nous renforcerons la formation théorique aux gestes de premiers secours pour l'épreuve du code. Mme la rapporteure a le mérite de ne pas créer une troisième épreuve pour la délivrance du permis de conduire. Le Gouvernement prend note de vos propositions dont certaines sont déjà satisfaites et la volonté unanime de votre commission d'avancer sur ce dossier. Aussi le Gouvernement s'en remettra-t-il à la sagesse du Sénat. (Applaudissements)
La séance, suspendue à 18 h 35, reprend à 18 h 40.