Économie sociale et solidaire
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire.
Discussion générale
M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation . - (Applaudissements à gauche) Ce projet de loi constitue un acte fondateur en ce qu'il consacre un pan entier de notre économie, un mode d'entreprendre spécifique, des solidarités bien ancrées dans la vie sociale et la création de richesses en France. La crise économique est aussi une crise de notre modèle entrepreneurial. Avec la financiarisation, le pouvoir économique n'a jamais été aussi abstrait pour les salariés, il n'appartient plus ni aux travailleurs ni aux citoyens.
À qui appartient-il de décider de nos vies ? Décider, ce n'est pas seulement voter ; c'est aussi conserver la maîtrise des choix qui ont une incidence sur notre vie. Roosevelt disait : « chacun de nous a appris les gloires de l'indépendance ; que chacun de nous apprenne désormais celles de l'interdépendance ».
Or, depuis des décennies, le moteur de l'économie est plutôt l'appât du gain individuel que l'intérêt collectif. « La morale commence où finit l'intérêt », écrivait Kant. Quelle est la morale de notre époque ?
C'est l'appât du gain qui explique la financiarisation de l'économie, le surendettement, les bulles spéculatives et, par là, la crise. On cherche à maximiser son intérêt privé, sans se soucier de l'intérêt public, conformément à la définition canonique de l'aléa moral selon Adam Smith.
Or, les entreprises qui n'ont pas abandonné leur dimension collective ni érigé la lucrativité en principe absolu mais maintenu leurs responsabilités sociales, ont résisté mieux que les autres à la crise. C'est qu'elles sont libérées de la pression du capital, qu'elles sont demeurées des personnes morales au sens plein du terme. Une chose leur appartient en propre : l'égalité entre leurs membres. La décision ne peut donc y être motivée par le seul intérêt financier.
L'économie sociale et solidaire n'est pas qu'une mode. C'est une économie à part entière. Ses principes fondamentaux sont au coeur de l'économie, depuis ses origines. En France, mutuelles, associations et coopératives ont souvent précédé les services marchands ou publics, et je salue leurs représentants dans les tribunes du Sénat. (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs au centre)
Il n'y a rien là de spécifique à la France. Sur tous les continents, il existe une économie distincte de l'économie capitaliste, fondée sur deux principes : la gestion en commun avec la participation de tous -« une personne égale une voix »- et la lucrativité limitée, au bénéfice d'intérêts sociaux.
Ne résumons pas l'économie sociale et solidaire à une économie de la réparation. Des pans entiers de notre économie n'existeraient pas sans les entreprises et organismes qui en font partie.
Cet esprit d'entreprise ne s'est pas essoufflé. Ces femmes et ces hommes demeurent fidèles à la pensée de Charles Gide qui écrivait, en 1885, dans le journal L'émancipation, un article intitulé Ni révoltés ni satisfaits, « créer par la coopération un ordre supérieur qui ne soit pas le résultat spontané de lois naturelles, ce qui serait amoral, mais le résultat d'efforts coordonnés et inlassables vers l'idéal ». Oui, l'économie sociale et solidaire contribue bien à « changer l'ordre existant », pour reprendre la définition de l'action d'entreprendre par Schumpeter.
Beaucoup considèrent qu'il n'y a d'entreprenariat qu'individuel. C'est faux. L'économie sociale et solidaire le prouve.
Je n'oppose pas une bonne et une mauvaise économie. L'économie sociale et solidaire a trop longtemps été délaissée par les pouvoirs publics. Le Gouvernement veut aider l'économie sociale et solidaire à changer d'échelle. Je veux prendre en compte le foisonnement d'activités participant à l'économie sociale et solidaire, en créant la catégorie d'« entreprises sociales ». L'apparition de ces nouveaux acteurs illustre le changement permanent de l'économie sociale et solidaire.
L'économie sociale et solidaire aidera à la co-construction d'une croissance plus robuste et plus riche en emplois, plus durable et plus juste socialement.
Ce texte est le fruit d'une large concertation, conformément aux principes définis par le président de la République, avec les professionnels et leurs représentants mais aussi les syndicats de salariés. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a été saisi et son avis suivi assez exhaustivement.
Ce projet de loi s'inscrit dans le cadre de l'initiative de la Commission européenne qui a appelé à soutenir l'économie sociale et solidaire pour sa contribution à une économie sociale de marché compétitive.
Les acteurs de l'économie sociale et solidaire demandaient une reconnaissance publique de leurs activités. Faute de définition légale, ils avaient retenus eux-mêmes les déterminants d'une définition politique ; faute de l'appui pérenne de l'administration, ils s'étaient organisés seuls. La création d'un ministère délégué constitue un tournant pour l'organisation du secteur et pour sa reconnaissance publique.
L'article premier définit l'économie sociale et solidaire, au terme d'un long et dense débat, par des principes qui lui sont communs : un but autre que le partage des bénéfices, la participation des associés à la gestion de l'entreprise et une lucrativité limitée. A rebours de l'économie financiarisée, l'économie sociale et solidaire place l'homme au coeur de l'économie. Cette définition englobe aussi bien les entités dotées de statuts traditionnels que les nouvelles entreprises solidaires.
La procédure de déclaration de principe prévue par le texte est une chance. L'économie sociale et solidaire ne se résume pas à ses entrepreneurs : ils doivent jouer un rôle moteur en matière de relations sociales.
L'utilité sociale devait aussi être définie afin de justifier des droits nouveaux. Nous avons choisi d'adapter l'agrément solidaire plutôt que d'en créer un nouveau. Il sera ciblé sur les entreprises à forte utilité sociale.
La commission a fort judicieusement défini l'innovation sociale, conformément à la doctrine du futur fonds d'innovation sociale, qui bénéficiera notamment des financements de la BPI.
Les chambres régionales de l'économie sociale et solidaire seront reconnues d'utilité publique et les préfets devront contracter avec elles. Elles seront chargées de la promotion de l'économie sociale et solidaire, de l'appui à la formation des dirigeants et des salariés et du suivi statistique. Vous avez voulu les autoriser à ester en justice, c'est une excellente initiative.
Le conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire sera chargé de rédiger la déclaration de principe qui fera ressortir aux yeux du public son exemplarité sociale.
Le renforcement de l'ancrage territorial de l'économie sociale et solidaire n'est pas moins indispensable. Il faut inciter les acteurs locaux à coopérer, sans désengagement des pouvoirs publics. Les collectivités territoriales ont vingt ans d'avance sur l'État et nous voulons toutes les mobiliser.
Les conférences régionales clarifieront la répartition des rôles.
Vous avez voulu que les dispositifs locaux d'accompagnement soient intégrés à l'économie sociale et solidaire. Ils ont fait leur preuve avec les emplois jeunes, ils sont de nouveau très sollicités pour les emplois d'avenir.
Le texte incite les acheteurs publics à soutenir l'économie sociale et solidaire. Vous avez souhaité introduire un article sur les marchés réservés en transposant par anticipation une directive européenne, sorte de Social Business Act, pour parler...
M. Alain Bertrand. - ...patois ! (Sourires)
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Voilà plus de dix ans que le monde associatif attendait que le régime des subventions soit sécurisé : ce sera chose faite.
Par une clause spécifique, vous avez donné un coup de pouce aux sociétés d'insertion, que vous avez aussi autorisées à recourir aux emplois d'avenir.
Le droit d'information sur les cessions et reprises des salariés a fait couler beaucoup d'encre. Je salue la présence dans les tribunes de Jean Auroux, ministre du travail de François Mitterrand. (Applaudissements à gauche) Nous tâchons de nous inscrire dans son sillage : les lois Auroux ont montré que le progrès social n'était pas l'adversaire de la performance économique.
Chaque année, au moins 50 000 emplois disparaissent dans des entreprises saines parce que la succession du chef d'entreprise a été mal préparée. Vous y avez tous été confrontés dans vos territoires. Nous ne pouvons nous y résigner, à l'heure du chômage de masse. Le Gouvernement veut donc permettre aux salariés de proposer une offre de reprise, en leur donnant le temps et les informations nécessaires pour ce faire, sous condition de confidentialité. Le droit de propriété n'est pas remis en question : la liberté du cédant reste intacte. Il eût été difficile de définir les conditions d'équivalence de deux offres et donner priorité aux salariés nous aurait exposé à une censure du Conseil constitutionnel.
Dans le respect du droit de propriété et de la liberté de commerce, j'ai constitué une espèce de trident : garantir l'information des salariés ; créer une « scop d'amorçage » pour faciliter la levée de fonds ; assurer la mise à disposition de fonds, par BPI France ou les régions. Tout cela ne servirait de rien sans des mesures d'accompagnement et de formation qui seront conduites par les chambres régionales de l'économie sociale et solidaire (Cress), les chambres de commerce et d'industrie (CCI) et les unions régionales de Scop. Le Gouvernement sera ouvert au débat sur les conditions d'accompagnement.
Cette disposition est universelle, elle a aussi vocation à transformer des entreprises classiques en entreprises de l'économie sociale et solidaire. Non que je croie ainsi changer le plomb en or ; je veux surtout éviter que l'or se change en plomb. (Applaudissements à gauche)
Je salue la contribution de la commission des affaires économiques, de son rapporteur et de son président avisé, ainsi que les commissions saisies pour avis. Merci au rapporteur de la commission des lois d'avoir préservé l'équilibre souhaité.
Nous modernisons enfin le régime juridique des coopératives. L'extension de la révision coopérative renforcera le secteur, comme jamais depuis 1947, mais aussi les mutuelles et associations.
C'est la première fois qu'un projet de loi exprime de telles ambitions en faveur de l'économie sociale et solidaire, entièrement au service de l'homme. Pour paraphraser le grand auteur anglais, qui était socialiste, Georges Bernard Shaw, il y a ceux qui regardent le monde, ici, l'économie, telle qu'elle est et se demandent pourquoi et ceux qui l'imaginent telle qu'elle devrait être et se disent pourquoi pas ? (Applaudissements vifs et prolongés à gauche)
M. Marc Daunis, rapporteur de la commission des affaires économiques . - Je m'astreindrai à juguler ma passion pour l'économie sociale et solidaire pour conserver le ton qui sied au rapporteur. (Sourires)
L'économie sociale et solidaire n'est pas une idée neuve. Dans les années 1840, les tisserands anglais se sont aperçus qu'en se regroupant, ils pouvaient se fournir à moindre coût et préserver leur indépendance. Aujourd'hui encore, l'économie sociale et solidaire est à l'avant-garde, par exemple, de l'économie circulaire. Par la coopération et la mutualisation, les associés recherchent la solution la plus efficace.
La crise financière a montré que l'entreprise capitalistique et son corollaire, l'intermédiaire financier, ne sont pas le seul modèle entrepreneurial. L'économie sociale et solidaire n'équivaut pas à l'assistanat. Ses entreprises sont aussi efficaces que les autres, sinon plus. Elles emploient leurs bénéfices au service de leur visée sociale. Sans opposer les deux modèles, force est de reconnaître que l'économie sociale et solidaire répond à des besoins qui ne sont pas satisfaits par l'économie classique.
Pas moins de 75 % des lieux de décision des coopératives sont en région, alors que les sièges des autres entreprises privées sont concentrés en Ile-de-France.
Merci, monsieur le ministre, d'avoir soumis ce texte en premier lieu au Sénat, qui a montré son intérêt pour le sujet. Ce texte est issu d'une longue et large concertation. Il allie vision d'ensemble et réponses concrètes pour chaque secteur.
Pour la première fois -enfin !-, le projet de loi définit le périmètre de l'économie sociale et solidaire en son article premier. Au-delà de fondations, associations, coopératives et mutuelles, l'économie sociale et solidaire comprendra les entreprises qui partagent et inscrivent les mêmes principes dans leurs statuts. La commission a approuvé cette définition inclusive, qui n'allait pas de soi. Tout en garantissant le respect des grands principes de l'économie sociale et solidaire, on fait en sorte qu'ils se diffusent dans toute l'économie.
La commission a réécrit l'article 2, qui définit l'utilité sociale et consacre l'existence des grandes institutions centrales de l'économie sociale et solidaire -Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire, Cress, Conseil national. Il favorise également le lien avec l'économie à travers les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE). Dans son volet territorial toujours, le texte inscrit l'économie sociale et solidaire dans les contrats de développement territorial du Grand Paris, mesure que notre commission a étendue à tous les schémas régionaux de développement économique.
À l'article 7, la commission a complété la règle relative à l'échelle des rémunérations au sein des entreprises de l'économie sociale et solidaire.
La notion de subvention est définie, pour l'essentiel, par la jurisprudence : il fallait remédier à cette insécurité juridique. La commission propose aussi une définition de l'innovation sociale.
Le titre II a été caricaturé. Il impose seulement l'information des salariés avant la cession de leur entreprise. La reprise par les salariés est le meilleur moyen de préserver l'emploi, de transmettre les talents, de poursuivre le projet entrepreneurial. On nous contestait le délai de deux mois. C'est pourquoi j'ai proposé un dispositif souple d'information des salariés tout au long de la vie des entreprises. Certains y voient une atteinte au droit de propriété mais la commission a garanti la confidentialité des informations. Vu le nombre d'emplois détruits chaque année, l'enjeu est de taille.
Le texte comprend ensuite des dispositions relatives à chacune des familles de l'économie sociale et solidaire. Le mouvement coopératif français est l'un des plus importants du monde : un Français sur deux est membre d'une ou plusieurs coopératives.
Merci à M. le ministre d'avoir repris bien des recommandations du rapport rédigé par Mme Lienemann pour la mission que je présidais. Sur le statut des coopératives, on a atteint un point d'équilibre.
Le projet de loi étend le champ de la révision coopérative ; il innove avec la création de Scop d'amorçage et autorise des regroupements de Scop. Des Scop détenant des filiales pourraient aussi être autorisés à les transformer en Scop sans en perdre le contrôle.
La commission a permis aux entreprises artisanales regroupées en coopératives d'avoir une politique commerciale commune, avec l'établissement de prix communs : nous avons sécurisé le dispositif.
Le projet de loi conforte les sociétés coopératives d'intérêt collectif : les collectivités locales pourront détenir jusqu'à 50 % de leur capital, pour les pérenniser.
Le titre IV traite des mutuelles : il supprime les verrous juridiques empêchant de conclure des contrats de coassurance et, plus généralement, des contrats collectifs, appelés à se développer avec la généralisation de l'assurance complémentaire dans les entreprises. Il institue des certificats mutualistes et des titres paritaires.
Les titres V et VI traitent des associations et des fondations. Le titre associatif, qui a rencontré peu de succès, est réformé et étendu aux fondations.
Le texte autorise les collectivités territoriales à en détenir jusqu'à 50 % pour les aider à se développer.
Les titres IV, V et VI concernent respectivement les mutuelles, associations et fondations.
L'article 49, seul article du titre VII, favorise le recours aux entreprises solidaires par les éco-organismes ; il a fait l'objet d'une présentation déformée : il ne détruira pas d'emplois ; au contraire, il en créera.
Au total, la commission des affaires économiques vous propose un texte enrichi sans en bouleverser les grands équilibres. Faire avancer l'économie sociale et solidaire n'est ni un bouleversement redoutable ni une pratique utopique ou marginale ; c'est un secteur porteur d'emplois et de croissance, une économie au service de l'humain. Nous poursuivrons nos échanges fructueux avec le Gouvernement, merci aux rapporteurs de leur contribution à ces débats qui s'annoncent prometteurs. (Applaudissements à gauche)
Mme Christiane Demontès, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales . - Ce texte, je le dis solennellement, marquera l'histoire de l'économie sociale et solidaire. Pour la première fois, une loi lui est consacrée.
Notre commission a restreint son avis à une dizaine d'articles ayant un lien direct ou indirect avec le code du travail. Elle a présenté une vingtaine d'amendements que la commission des affaires économiques a presque tous adoptés.
À l'article 7, nous avons ajouté les acteurs du logement et de l'hébergement des personnes défavorisées parmi les bénéficiaires de plein droit du nouvel agrément « entreprise solidaire d'utilité sociale ». Nous avons en outre porté à deux ans la durée de validité de l'actuel agrément.
À l'article 9, nous avons rendu obligatoire la conclusion de conventions dans toutes les régions entre les préfets et les maisons de l'emploi ou les gestionnaires des plans locaux pour l'insertion et l'emploi, de sorte que soient relancées les clauses sociales dans les marchés publics.
Nous avons réécrit, clarifié et sécurisé les dispositions de l'article 33, important en ce qu'il crée un nouveau contrat de travail au profit des entrepreneurs salariés associés aux coopératives d'activité et d'emploi. Celles-ci pourraient créer 10 000 emplois dans les cinq ans.
Trois de nos amendements n'ont pas été repris par la commission des affaires sociales. Le premier concerne la fourchette des rémunérations au sein des entreprises qui demandent à bénéficier de l'agrément de l'article 7 ; nous pensons qu'il vaut mieux se référer aux cinq plus faibles rémunérations dans l'entreprise plutôt qu'au salaire minimum. Notre but est de rendre le dispositif plus dynamique et plus vertueux pour attirer les talents et tirer les salaires vers le haut, en évitant les « trappes à pauvreté ».
Le deuxième amendement est relatif à l'article 11. Celui-ci prévoit un droit d'information des salariés sur les projets de cession, sans préciser de délai dans les entreprises de 50 à 249 salariés ; nous proposons un délai de deux mois en cas de carence du comité d'entreprise et du délégué du personnel. Ce délai vaudrait aussi pour les cessions de parts sociales, d'actions ou de valeurs mobilières à l'article 12. Enfin, nous voulions préciser que tous les entrepreneurs salariés, qu'ils soient associés ou non, ont les mêmes droits et obligations.
Voilà le fruit du travail de la commission des affaires sociales. Nous reviendrons, dans le débat, sur la définition de l'utilité sociale et de l'innovation sociale.
Pour terminer, reprenons les mots empreints de sagesse du prix Nobel de la paix et ancien sénateur, Léon Bourgeois : « la loi de solidarité des actions individuelles finit par apparaître entre les hommes non comme une nécessité arbitraire mais comme une loi d'organisation intérieure à la vie, un moyen de libération ». Solidarité, démocratie participative, voilà de beaux mots qu'illustre ce projet de loi, des mots qui -il faut bien le dire- sont trop souvent malmenés ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean Germain, rapporteur pour avis de la commission des finances . - Ce projet de loi vise à construire avec les entreprises de l'économie sociale et solidaire une stratégie de croissance plus robuste, plus durable, plus riche en emplois et plus juste socialement.
La commission des finances s'est d'abord intéressée aux dispositions relatives aux mutuelles et institutions de prévoyance. Ces sociétés de personnes ne peuvent pas accéder au marché de capitaux, elles peuvent seulement émettre des titres de dette. La mise en réserve de leurs résultats constitue leurs fonds propres. Pour autant, le monde mutualiste et paritaire représente 53 % de l'assurance automobile et l'essentiel des complémentaires de santé. Il a même démontré une étonnante résistance durant la crise. Il est confronté à un double défi : le renforcement de la concurrence et la directive Solvabilité II, qui lui impose de disposer de davantage de fonds propres de qualité pour couvrir ses engagements, avec pour conséquence une définition plus restrictive des instruments financiers pouvant être utilisés. D'où la création, dans ce projet de loi, de certificats mutualistes, qui relèvent du code de l'assurance, et de certificats paritaires, qui relèvent du code de la sécurité sociale.
Les certificats respectent les principes mutualistes ; ils n'emportent pas de droit de vote supplémentaire ni de droit sur l'actif net de l'émetteur et leur rémunération est plafonnée. Ils doivent aussi respecter les règles prudentielles et protéger l'épargnant. Sur tous ces points, nos amendements d'harmonisation ont été intégrés au texte de la commission des affaires économiques. Notre commission a donné un avis favorable à l'article 36 ainsi réécrit.
La commission des finances a également souhaité favoriser les opérations de coassurance, à l'article 34, dans le respect, là encore, des règles mutualistes. La commission des affaires économiques a soutenu cette initiative.
Dernier volet de notre saisine, le secteur associatif, des fondations et des fonds de dotation, qui représente un million d'organismes, 21 millions d'adhérents, 13 millions de bénévoles et 1,8 million de salariés. L'article 40 réforme les titres associatifs, remboursables à la seule initiative de l'émetteur et quasiment assimilables à des fonds propres, dont les associations font peu usage. Nous avons encadré les émissions, borné plus précisément l'horizon de remboursement et plafonné différemment la rémunération de ces nouveaux titres à durée déterminée, propositions acceptées par la commission des affaires économiques.
La commission a approuvé les articles 46 et 47. À l'article 48, relatif aux fonds de dotation créés par la loi de modernisation de l'économie, qui tend à éviter les fonds dormants, elle a mieux encadré le pouvoir réglementaire.
Enfin, aux articles 41 et 42, définir le droit applicable en cas de scission ou de fusion d'associations est une initiative heureuse du Gouvernement. Il faudra leur appliquer le même régime fiscal qu'aux scissions et fusions d'entreprises. Il faudra veiller à ce que la Direction de la législation fiscale s'empare du sujet.
La commission des finances a émis un avis favorable à l'adoption de ce très riche projet de loi. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Anziani, rapporteur pour avis de la commission des lois . - Chacun à conscience, sur tous les bancs, des limites de l'économie classique.
M. Bruno Sido. - Ce n'est pas vrai !
M. Alain Anziani, rapporteur pour avis. - Même en période de croissance, la seule recherche du profit ne permet pas de satisfaire tous les besoins collectifs. Bien sûr, l'économie sociale et solidaire ne résoudra pas à elle seule le problème du chômage, de la désertification de certains territoires, de la désindustrialisation de notre pays ; elle n'est pas non plus irréprochable. Nous reconnaissons tous, cependant, qu'elle répond à des besoins auxquels l'économie classique ne répond pas.
Une question se pose : d'où vient ce consensus ? Non d'une idéologie, mais de l'expérience : l'économie sociale et solidaire est une alternative là où l'économie classique échoue parce qu'elle représente une autre façon d'entreprendre, sans lucre. Dans le monde d'aujourd'hui, c'est une grande audace... Ce débat, comme l'a noté le ministre en citant des grands auteurs, se situe bien au niveau philosophique.
Comment mieux définir l'économie sociale et solidaire ? Comment favoriser son développement ? Telles sont les questions que s'est posée la commission des lois. Oui, il était temps de définir le périmètre de l'économie sociale et solidaire. Oui, il fallait se poser la question du financement. Celui-ci peut d?abord prendre la forme d'une subvention publique, objet juridique dangereux tant il est parfois difficile de la distinguer du marché public lui-même. Il était grand temps de sécuriser le dispositif ; nous avons proposé un amendement rédactionnel et de simplification de la définition.
Deuxième forme de financement, l'accès aux marchés publics. La part des entreprises solidaires est faible : 5 % pour les collectivités territoriales, 2,5 % pour l'État. Le texte invite au débat et non à l'obligation, avec le schéma de promotion des achats publics socialement responsables. Il faudra sans doute, un jour, aller plus loin. En attendant, nous proposons un seuil renvoyant à la démographie plutôt qu'au montant des achats. L'État doit augmenter sa part, qui est deux fois moindre que celle des collectivités territoriales. Autre mode de financement, la Scop d'amorçage que crée ce texte sur le modèle de la société d'amorçage -une idée remarquable. Ce qui marche dans l'économie classique doit aussi marcher ici.
Le droit à l'information des salariés sur les cessions a donné lieu, à mon goût, à trop de débats : c'est un simple droit prioritaire à l'information et rien d'autre. Prenons le cas d'un boulanger qui part à la retraite. Deux mois à avance, il devra en informer ses salariés. À supposer même que l'information soit divulguée -mais cette règle existe déjà pour les entreprises de plus de 50 salariés et, que je sache, on n'a pas constaté de dérives-, pensez-vous que cela suffise à faire fuir banquiers, fournisseurs et clients ? Bien sûr que non. Fions nous aux lois du marché : c'est la viabilité de l'entreprise qui déterminera la décision des banquiers et repreneurs éventuels.
Doit-on accorder un droit préférentiel de rachat aux salariés ? J'attire votre attention : comment justifier juridiquement que leur offre s'impose au propriétaire ? Comment le mettre en application ? Le montant de l'offre des salariés devra-t-il s'aligner sur celui des autres repreneurs ? Nous nous heurtons au droit de propriété et au principe de liberté contractuelle que le Conseil constitutionnel a invoqué dans son arrêt du 13 juin 2013.
Je me réjouis des dispositions facilitant la vie des associations. La commission des lois a approuvé l'ensemble de ces mesures. (Applaudissements à gauche)
M. Gérard Le Cam . - 900 emplois déjà supprimés en Bretagne dans l'agro-alimentaire, 1 400 emplois menacés dans l'automobile à Rennes, plus de 5 000 au total cette année ; le désespoir, qui conduit parfois à la violence, ne frappe pas seulement mon territoire. Voyez le combat des Conti et des Fralib, leur lutte contre les licenciements économiques alors que Continental et Unilever font des bénéfices. Nous ne pouvons ignorer cette urgence économique et sociale en abordant ce texte, une urgence qui appelle un changement de cap radical de la politique du Gouvernement et de la gestion des entreprises, à laquelle les salariés doivent être plus étroitement associés.
Les articles 11, 12 et 15 sont emblématiques, ils instituent un droit d'information des salariés en cas de cession d'entreprise ou de fonds de commerce ainsi que les Scop d'amorçage. Ces mesures, qui suscitent la fronde du Medef et l'émoi de la droite, sont très positives. Néanmoins, elles ne vont pas assez loin : il est temps de donner aux salariés les moyens d'agir en leur accordant un droit préférentiel de reprise. Plus de 50 000 emplois sont détruits chaque année parce des entreprises saines mettent la clé sous la porte faute de repreneur. Concernant le droit d'information stricto sensu, nous saluons les avancées réalisées par M. Daunis. Nous proposerons que les salariés, dès lors qu'ils ont fait une offre au cédant, puissent être assistés de la personne de leur choix et que celle-ci puisse se faire communiquer les documents comptables et financiers dans les mêmes conditions que le comité d'entreprise. Cette personne pourrait être un représentant des chambres régionales de commerce, d'agriculture ou des métiers. La création d'un espace régional de dialogue associant les partenaires sociaux conditionne l'effectivité du droit à l'information.
Nous retenons la volonté du Gouvernement de structurer l'économie sociale et solidaire. La diversité des acteurs de ce champ représente une première difficulté, d'autant que le texte retient une définition incluant les sociétés commerciales. Attention : la pollinisation des valeurs de l'économie sociale et solidaire ne doit pas conduire à leur pollution... Renforçons les critères posés tels que le principe « une voix, un homme » et celui de la lucrativité limitée. Afin que les principes vertueux atteignent les plus hautes instances de l'économie sociale et solidaire, garantissons la parité au sein du Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire.
L'agrément « entreprise solidaire », parce qu'il conditionne l'accès à des aides publiques et des régimes fiscaux favorables, doit être strictement encadré ; il pourrait, sinon, être instrumentalisé par des sociétés commerciales.
Pour finir, nous sommes très favorables à l'extension de la révision coopérative grâce à laquelle on vérifie qu'une coopérative reste dans les clous. En revanche, les dispositions sur les mutuelles ne vont pas dans le bon sens : les règles prudentielles, excessives, ne sont pas adaptées au monde mutualiste, et encore moins au secteur de la santé. Les fusions sous contrainte qui pourraient en résulter mettraient à mal le système mutualiste. D'autres de nos réserves concernent le statut d'entrepreneur salarié associé ou les dispositions sur les fondations.
Nous espérons un texte plus ambitieux et ferons en sorte que les principes fondateurs de l'économie sociale et solidaire, qui reposent sur un autre mode d'appropriation des moyens de production et d?échange, sortent renforcés. (Applaudissements sur les bancs communistes et socialistes)
M. Jacques Mézard . - Quelque 21 000 coopératives, plus d'un million d'associations et de mutuelles irriguent nos territoires et contribuent à résorber les inégalités sociales. L'économie sociale et solidaire représente 10 % du PIB. Nous nous réjouissons que le Gouvernement présente au Sénat un texte qui permette à ce secteur de changer d'échelle. L'enjeu est essentiel pour l'emploi, la croissance et la solidarité.
Je me concentrerai sur les articles 11 et 12, qui imposent l'information des salariés en cas de cession afin de sauvegarder des activités et des emplois. Dans les territoires ruraux, la transmission d'entreprises est devenue difficile. Quoi de plus normal que d'informer les salariés ? C'est ce que prévoit la directive du 12 mars 2001, qui n'est toujours pas transposée... Les entreprises reprises par leurs salariés survivent plus souvent que celles qui ont été reprises par un tiers. Quelle aberration de voir fermer des entreprises en bonne santé !
Pour autant, monsieur le ministre, l'information, c'est bien ; la formation, c'est encore mieux. Il y a en la matière un vrai chantier à ouvrir.
Favorable à ce droit d'information, le RDSE a été troublé par le flou juridique de la formule « intention » de cession. Nous avons cherché à préciser les choses. Nous avons l'habitude, du fait de notre tradition, de notre expérience du terrain, de nos mandats locaux (sourires), de rechercher l'accord plus que l'affrontement. Ce texte sera un progrès s'il est perçu par les chefs d'entreprise non comme une contrainte mais comme une chance. La France est trop souvent prisonnière de blocages idéologiques stériles.
Nous avons compris que le ministre était prêt à prendre en compte nos propositions : notre groupe sera unanime pour voter ce projet de loi. (Applaudissements à gauche)
Mme Aline Archimbaud . - Merci à la commission des affaires économiques pour le travail constructif que nous avons conduit. Je salue la présence dans nos tribunes de M. Guy Hascouët (applaudissements à gauche), qui fut secrétaire d'État à l'économie sociale et solidaire, poste supprimé en 2002 si bien que le texte qu'il avait préparé ne put voir le jour. Assurément, voici un jour historique !
Cette loi était très attendue. Depuis plus de trente ans, l'économie sociale et solidaire se développe, soutenue par les collectivités territoriales, prolongeant une belle tradition née au XIXe siècle. En ce mois de l'économie sociale et solidaire, les écologistes soutiendront cette très belle loi. En commission, nous avons pu apporter notre pierre à l'édifice, sur la gouvernance démocratique et la parité entre autres. L'échelon territorial est cher aux écologistes, et nous nous réjouissons d'avoir obtenu des avancées sur cet aspect des choses.
Les articles premier et 2 répondent bien à la difficile tâche de définir l'économie sociale et solidaire et l'utilité sociale. Nous sommes satisfaits que le développement durable figure à sa juste place. L'économie sociale et solidaire ne doit pas être bornée par un statut mais inclure toutes les entités qui respectent certains principes.
À l'article 4, nous souhaitons que le texte mentionne, à côté des Cress, les agences régionales de l'économie sociale et solidaire.
Quant aux marchés publics visés à l'article 9, il faudrait prévoir que les schémas promeuvent les achats socialement mais aussi environnementalement responsables et fixer un objectif chiffré, qui pourrait être de 20 %.
À l'article 10 ter, il est heureux d'avoir réintroduit la mention de l'innovation sociale et de l'avoir rendue éligible au CIR.
Une étape très importante est franchie pour faciliter la reprise d'entreprises par leurs salariés. Nous avons tous des exemples à l'esprit. Nous défendrons un droit de rachat préférentiel des salariés, promesse de campagne du président de la République. Il y a là un colossal gisement d'emplois.
En cette période de crise et d'aspirations démocratiques, l'économie sociale et solidaire montre qu'il est possible pour une entreprise d'être viable tout en promouvant des valeurs de solidarité et en respectant des principes de participation. Face à la pauvreté galopante, il serait irresponsable de ne pas saisir cette chance. Ce secteur développe la vigilance démocratique et le lien social, mais c'est aussi un secteur économique d'avenir : accueil des enfants, travaux énergétiques, recyclage, la liste est longue.
Que l'économie sociale et solidaire soit reconnue à sa juste valeur et soutenue par les pouvoirs publics afin de changer d'échelle et d'essaimer dans toute l'économie ! (Applaudissements à gauche)
M. Gérard César . - Il n'est pas aisé de supporter de telles lapalissades, un tel verbiage sur les nouvelles valeurs de solidarité, habituels en la matière... Les premières lignes de l'exposé des motifs du projet de loi sont du niveau intellectuel d'un manuel d'économie « expliquée aux enfants ». Les postulats idéologiques se manifestent à chaque ligne, chaque mesure de ce texte.
M. Jean-Jacques Mirassou. - C'est l'économie sociale, solidaire et socialiste ! (Sourires)
M. Gérard César. - Laissez l'opposition s'exprimer !
Vous oubliez que l'enrichissement est un moteur économique essentiel et que tous les Français ont le droit d'oeuvrer à l'amélioration de leurs conditions de vie individuelle, ce qui passe avant tout par l'argent.
Inclure les services à la personne dans l'économie sociale et solidaire ne va pas de soi. C'est un secteur très important, dont les effectifs sont en forte croissance. La demande augmente plus vite que l'offre. Or le Gouvernement lui fait un cadeau empoisonné. L'agrément « entreprise solidaire » donnera droit à un soutien fiscal mais nous nous opposons fermement à ses conditions d'octroi. Outre les restrictions propres aux sociétés commerciales, l'article premier impose la poursuite d'une utilité sociale. On veut ainsi empêcher les grands groupes d'intégrer l'économie sociale et solidaire, mais les mailles du filet sont trop étroites : un auto-entrepreneur s'y fera prendre, vu les exigences irréalistes.
Combiné à l'article 7, cet article premier exclura de l'économie sociale et solidaire la plupart des sociétés commerciales du secteur des services à la personne. En l'état, le projet de loi provoquerait une distorsion de concurrence. Nous proposerons des amendements pour l'éviter.
Le droit d'information des salariés en cas de transmission à une entreprise saine vise, selon le Gouvernement, à préserver l'activité et l'emploi. Mais ses contours sont bien flous. L'expression « intention de vendre » est source de confusion. Quel acte formel peut l'attester ? L'obligation de discrétion imposée aux salariés ne sera guère observée. Ce droit d'information rendra les entreprises moins attractives pour les repreneurs étrangers. Le projet de loi ne prévoit d'ailleurs pas le risque de voir présenter une offre d'achat à seule fin de retarder la cession.
Il est utile de simplifier la vie des entreprises, associations, coopératives et autres organismes de l'économie sociale et solidaire. Mais, dans l'ensemble, ce projet de loi nous inquiète. Il exprime la défiance du Gouvernement à l'égard de l'entreprise.
Nos 3,3 millions de chômeurs attendent autre chose qu'un surplus de pesanteur législative ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Henri Tandonnet . - La crise que traverse notre pays a accéléré la reconnaissance et le développement de l'économie sociale et solidaire. Par des pratiques plus respectueuses de l'homme et de l'environnement, celle-ci redonne sens à l'entreprise et sert aussi le développement des territoires. (Marques d'approbation sur les bancs socialistes)
Faire changer d'échelle ce secteur est un objectif que nous partageons. Mais attention aux écueils. Le droit d'information préalable des salariés, à première vue, facilite la transmission des entreprises. En réalité, il pourrait avoir l'effet inverse, en créant un climat anxiogène et en déstabilisant les relations de l'entreprise avec ses interlocuteurs et concurrents. La confidentialité du processus est essentielle, laissons donc au chef d'entreprise le choix du moment. S'il est envisageable que les salariés reprennent l'entreprise, l'information circulera. Je ne crois pas que l'hostilité des organisations patronales à cette mesure soit une posture.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Vraiment ?
M. Henri Tandonnet. - De votre trident, monsieur le ministre, il faudrait ôter une dent. (Sourires) En revanche, la Scop d'amorçage est utile. Les porteurs de capitaux seront incités à investir dans la coopérative pendant cette période. Des moyens seront mis à disposition des associés par les fonds solidaires.
Le projet de loi crée de nouvelles instances, comme les chambres régionales de l'économie sociale et solidaire. En revanche, il faudrait garantir la diversité de points de vue au sein des pôles régionaux de coopératives. Le projet de loi prévoit pas moins de vingt-deux décrets...
Les coopératives, notamment agricoles, ont besoin d'un cadre modernisé. Veillez à ne pas alourdir leur fonctionnement : je proposerai des amendements en ce sens.
L'économie sociale et solidaire et l'économie classique sont complémentaires. Rassurons les petites entreprises sur la portée de l'article 49, qui favorisera le recours aux entreprises solidaires pour les éco-organismes. Les petites entreprises risquent d'être prises en tenaille entre les entreprises de l'économie sociale et solidaire et les grands groupes...
Merci à la commission pour son esprit d'ouverture. Ce projet de loi confortera le rôle de l'économie sociale et solidaire dans nos territoires. Parce que certains de ses articles s'écartent de l'essentiel, le groupe UDI-UC va réserver sa décision. En novembre, tout prend racine ; alors, je souhaite bon vent à ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes et UDI-UC)
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Cette loi fera date comme les lois de 1901 sur les associations et de 1947 sur les coopératives. L'économie sociale et solidaire n'est pas un supplément d'âme. Elle forme « le tiers secteur » d'une économie contemporaine dont parlait Jacques Delors, à côté de l'économie classique et des services publics.
L'économie sociale et solidaire a fait la preuve de sa robustesse. On s'en souvient en temps de crise. Quand les choses vont mieux, on s'en détourne. Il fallait donc la munir de nouveaux instruments dans la durée.
Évitons à la fois la marginalisation et la banalisation. Le projet de loi réaffirme des principes, des exigences. Le groupe socialiste attache une grande importance aux statuts : l'économie sociale et solidaire est faite de sociétés de personnes, non de capitaux. Autre principe, la démocratie : « un homme, une voix », dit-on un peu rapidement. Le but poursuivi doit être d'intérêt général.
Vous avez eu raison de présenter ce texte d'abord devant le Sénat, monsieur le ministre, car l'économie sociale et solidaire est fortement territorialisée. Avec elle, ce sont des emplois locaux, des productions à usage local. Mais on peut aussi être ancré dans un territoire et exporter !
Quand les Chiffonniers d'Emmaüs ont commencé à récolter des vieilles hardes, qui eût cru qu'ils préfiguraient un nouveau type d'économie, l'économie circulaire ? Il y a, dans ce secteur, beaucoup de bénévoles, des gens qui s'engagent. Sa richesse est aussi là, dans l'homme.
L'économie sociale et solidaire n'est pas non plus le monde des Bisounours. Les contraintes sont telles qu'il fallait lui donner plus de moyens. Les organismes peuvent aussi oublier leurs principes. Dans le domaine bancaire, nous insistons pour que tous les sociétaires soient informés des choix de l'entreprise.
En incluant dans l'économie sociale et solidaire l'entreprenariat social, vous en exprimez une vision inclusive. Gare, cependant, au social washing.
Je ne comprends pas une telle crispation sur le droit d'information des salariés. Tous les syndicats y sont favorables y compris ceux de cadres, qui sont des acteurs déterminants en cas de reprise. Je croyais que tout le monde était pour le dialogue social. Eh bien, quand est-il plus nécessaire que lors de la cession d'une entreprise ? Patronat et opposition ne cessent de donner l'Allemagne en exemple ; dans ce pays, ce droit d'information qu'ils contestent ici est institutionnalisé.
Je proposerai un droit de rachat prioritaire. M. Anziani m'a opposé des arguments constitutionnels ; je lui en opposerai d'autres. Reste que le texte de la commission des affaires économiques est une avancée considérable. Il texte crée des outils territorialisés, c'est une bonne chose. Il crée aussi des outils financiers. La Cour de justice de l'Union européenne considère qu'il est légitime d'accorder à l'économie sociale et solidaire des avantages fiscaux, puisqu'elle n'a pas accès aux marchés financiers. L'essentiel, c'est l'humain. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Delphine Bataille . - Ce texte, à sa façon, encouragera cette autre manière d'entreprendre qu'est l'économie sociale et solidaire. Ce secteur connaît une croissance annuelle de 2 à 3 % et crée plus d'emplois que le secteur marchand.
Contrairement à l'économie classique, elle n'est pas fondée sur le profit. Le premier geste fort du président de la République fut de créer un ministère de plein exercice chargé de l'économie sociale et solidaire.
Ce projet de loi donne à cette économie une véritable impulsion. Il en propose une définition claire, modernise ses statuts et inclut les entreprises solidaires qui n'entrent pas dans les catégories habituelles. Il crée aussi des instances territoriales, comme les chambres régionales de l'économie sociale et solidaire.
Grâce à vos mesures, on pourra élaborer des stratégies plus cohérentes de développement de ces entreprises et de renforcement de leur ancrage territorial. À cet égard, les mesures introduites par le Sénat sur les collectivités territoriales sont bienvenues.
Enfin, je salue les dispositions facilitant la reprise des entreprises : droit d'information des salariés ; ceux qui le contestent mènent un combat d'arrière-garde ; Scop d'amorçage et, enfin, fonds d'aide à la transmission.
Avec ce texte, nous réaffirmons l'apport de l'économie sociale et solidaire qui veut compléter, et non concurrencer, l'économie traditionnelle.
M. Stéphane Mazars . - L'économie sociale et solidaire, apparue au XIXe siècle sous la forme de caisses d'épargne, de sociétés de secours mutuel et de caisses de prévoyance, s'est répandue au XXe siècle dans tous les secteurs : l'agriculture, les services à la personne, la banque. L'entreprenariat social se développe aujourd'hui sous la forme de SA ou Sarl.
Tout le monde a une idée de ce qu'est l'économie sociale et solidaire, mais qui peut la définir ?
Il manquait une grande loi cadre pour préciser son périmètre et proposer des mesures transversales pour tout le secteur.
Faut-il rappeler que l'économie sociale et solidaire représente 10 % du PIB et 12,5 % des emplois privés ? Faut-il rappeler qu'elle a fait preuve d'une plus grande résilience dans la crise ? Elle a besoin d'un cadre juridique clair pour poursuivre son essor.
La faire changer d'échelle, telle est l'ambition de ce projet de loi dont je me réjouis qu'il ait été déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat, représentant constitutionnel des territoires.
Ce texte a le grand mérite de proposer une définition de l'économie sociale et solidaire. Une définition inclusive dont il faudrait préciser les critères. Il présente cependant trop peu de mesures transversales à toutes les familles de l'économie sociale et solidaire et un déséquilibre en faveur des coopératives. Nous aurions aimé que le titre V sur les associations soit plus développé.
Le groupe RDSE apportera son soutien au texte à condition d'être rassuré. Veillons au respect des principes de l'économie sociale et solidaire à l'article premier. Précisons les articles 11 et 12, le terme « d'intention de vendre » paraît trop flou.
Le soutien unanime que nous devrions apporter à ce texte s'inscrit dans notre tradition radicale. Et je veux saluer la présence dans les tribunes de Thierry Jeantet dont l'apport a été très précieux pour étudier ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Élisabeth Lamure . - (Applaudissements à droite) Nous abordons le troisième texte économique majeur, après la loi Consommation et la loi Alur, qui traite de sujets très différents. Je suis peu convaincue par la juxtaposition de la définition de l'économie sociale et solidaire avec, par exemple, les dispositions relatives à l'information des salariés.
Surtout, nous nous inquiétons de la place accordée aux entreprises commerciales dans ce texte.
Monsieur le ministre, vous avez retenu une définition certes inclusive de l'économie sociale et solidaire mais plus restrictive que celle proposée par la Commission européenne fin décembre 2011. L'OCDE, comme le Centre d'analyse stratégique, dans son rapport sur l'entreprenariat social, refusent d'opposer profit et utilité sociale.
Ma préoccupation va au secteur des services à la personne. Chacun sait qu'il représente un gisement d'emplois. Pourtant, si la demande augmente, l'offre diminue ; le volume d'heures déclarées diminue, à cause du travail dissimulé. Que vous aidiez le monde associatif sans conditions, passe encore ; mais pourquoi entraver la croissance d'entreprises souvent très petites ?
Le droit d'information des salariés sur les cessions s'exercera sous l'oeil amusé de la concurrence.
M. Jean-Claude Lenoir. - C'est bien le problème.
Mme Élisabeth Lamure. - Contraire au droit de propriété, il méconnaît la réalité de l'entreprise. Comment croire que les salariés d'une petite entreprise où tout le monde se connaît ne sont pas au courant d'un projet de cession ? Le Gouvernement confisque le droit à un entrepreneur de décider de son successeur. Faute d'assouplissements, nous aurons bien du mal à voter ce texte. (Applaudissements à droite)
M. Martial Bourquin . - L'économie sociale et solidaire n'est pas une économie marginale ; il était temps que cette loi vienne. La reconnaissance et la mobilisation pleine et entière des acteurs est nécessaire pour gagner la bataille de l'emploi.
Jamais les droits des salariés n'ont nui à l'efficacité économique. À vouloir protéger le secret, on risque de ne pas préserver l'affaire : 50 000 emplois sont détruits chaque année faute de repreneur. Toute innovation a trois stades, expliquait Schumpeter : elle paraît d'abord ridicule ; ensuite, elle est violemment combattue avant d'être finalement considérée comme évidente, depuis toujours.
Dans ma région de Franche-Comté, qui est celle de Proudhon, né à Besançon, l'économie sociale et solidaire représente 45 548 emplois et 11 % de l'emploi salarié. Ce sont 660 coopératives, 3 801 structures et associations.
L'innovation sociale doit être reconnue au même niveau que l'innovation technologique. (M. Marc Daunis, rapporteur, approuve) Créons des écosystèmes locaux afin d'identifier les besoins, de soutenir le montage et la finalisation des projets. Je proposerai des amendements afin de mieux associer les exécutifs régionaux.
Enfin, tout en aidant les petites structures d'insertion par l'économie, ne handicapons pas les plus grandes. Nous avons besoin de tout le monde.
Une croissance forte et durable passe par le développement de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le ministre, votre loi y contribuera ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Godefroy . - Le socialisme utopique, la république coopérative de Charles Gide, l'économie sociale et solidaire revendique cet héritage et ses valeurs. Avec ce texte, nos concitoyens pourront se réapproprier la décision économique et le pacte républicain. L'économie sociale et solidaire permet à chaque individu de s'emparer des enjeux économiques de manière collective. Votre projet de loi contient de nombreuses avancées en ce sens .Je pense au droit d'information des salariés, à la Scop d'amorçage, à la reconnaissance des pôles territoriaux de coopération économique et des coopératives d'activités et d'emplois.
L'économie sociale et solidaire peut ouvrir de nouveaux horizons ; j'adhère, comme tous les socialistes, à la philosophie de ce texte.
M. Yannick Vaugrenard . - Après que la crise systémique de 2008 a imprimé sa marque sur notre pays et sur le monde, nous en sommes venus à la reconstruction. C'est ce à quoi participe ce texte, qui porte une autre approche des rapports sociaux, crée des emplois non délocalisables et concourt au développement des territoires. Je salue le travail constructif et pragmatique de notre rapporteur Marc Daunis.
Mais je veux insister sur le droit d'information des salariés qui vise à stopper l'hémorragie des destructions d'emploi, faute de repreneurs. Le dispositif sera favorable aux chefs d'entreprises comme aux salariés. Comment comprendre l'attitude du Medef ? Après les 20 milliards accordés au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), il est inadmissible de le voir cracher dans la soupe. Il veut mettre un carton jaune au Gouvernement, il mérite un carton rouge ! (Applaudissements socialistes)
Il est temps que le Medef retrouve le chemin de la raison. (On doute, sur les bancs socialistes, que la chose soit possible) Monsieur le ministre, tenez bon ! L'heure est à l'initiative et au courage. Vous n'en manquez pas. Vous pouvez compter sur moi ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Maurice Antiste . - L'économie a mauvaise presse car elle est associée à l'individualisme narcissique. La crise actuelle a touché la Martinique, nous ne pouvons pas nous contenter d'une économie servant les intérêts de quelques-uns. Pour autant, ne sombrons pas dans le manichéisme : l'économie classique a ses bons côtés, l'initiative individuelle et le dynamisme, mais l'économie sociale et solidaire a le mérite de concilier profit et utilité sociale.
Le Gouvernement l'a compris, qui a créé, pour la première fois, un ministère de l'économie sociale et solidaire en mai 2012. Cette économie représente 12 000 emplois en Martinique, sa croissance est plus soutenue que celle de l'économie traditionnelle. Sans être une alternative, elle représente un complément non négligeable. D'après les prévisions, 600 000 postes seraient à pourvoir dans ce secteur d'ici 2020.
L'économie, synonyme d'austérité et de précarité, peut redevenir synonyme de prospérité et d'épanouissement, à condition de l'orienter vers des finalités nobles : le service de l'homme. Alors nous n'aurons plus à désespérer de l'économie parce que nous ne devons pas désespérer de l'homme. Écoutons Aimé Césaire : « Gardez-vous de vous croiser les bras dans l'attitude stérile du spectateur car la vie n'est pas un spectacle (...), car l'homme qui crie n'est pas un ours qui danse ! » (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Benoît Hamon, ministre délégué . - Belle citation, parfaitement appropriée !
Non, monsieur César, ce texte n'est pas assimilable à un manuel pour expliquer l'économie aux enfants. Il est très sérieux en ce qu'il vise à faire changer l'économie sociale et solidaire d'échelle avec des mesures de soutien dont le fonds d'innovation sociale.
Quelques mots sur le droit d'information des salariés : les salariés sont les alliés des chefs d'entreprises. Penser le contraire est archaïque.
Je défendrai au cours de l'examen des articles mon option politique : tirer les leçons de la crise et diffuser le modèle de l'économie sociale et solidaire.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. François Patriat . - Alors que l'insertion par l'activité représente 1 260 entreprises et 65 000 emplois, vous n'avez pas reconnu sa spécificité dans la définition de l'économie sociale et solidaire. Le projet de loi prend en compte le statut plutôt que la nature de l'activité. Je vous proposerai des amendements pour réparer cette erreur : faut-il exclure des entreprises déjà agréées au prétexte qu'elles ont un statut commercial alors qu'un club d'investisseurs en bourse en fera partie ? Les mammouths de l'économie sociale et solidaire affichent des chiffres considérables : 350 000 à la MAIF, 370 000 à la Macif, 691 000 dans les Caisses d'épargne et même 1 million à la CNP !
L'insertion par l'activité économique, elle aussi, a droit à la reconnaissance publique.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Dans des économies d'outre-mer très frappées par la crise, l'économie sociale et solidaire a un rôle crucial à jouer. Vous avez voulu nommer un représentant à l'économie sociale et solidaire à Mayotte, je m'en réjouis. J'ai décidé de créer une Cress, il n'était pas acceptable que seul notre département en soit dépourvu. J'insisterai sur la nécessité de l'accompagnement et de la formation. Et de prévoir des adaptations pour tenir compte des spécificités de l'outre-mer.
M. Roland Courteau . - L'économie sociale et solidaire, jusqu'à ce projet de loi, était ignorée. Enfin, elle est reconnue. Je comprends mal les inquiétudes qui entourent ce texte quand ce secteur a toute sa légitimité : il a créé 450 000 emplois nouveaux, soit une progression de 23 % contre 5 % dans l'économie classique.
Vous avez retenu une définition inclusive de l'économie sociale et solidaire pour qu'y trouvent leur place des entreprises aux côtés des grandes structures traditionnelles que sont les associations, les mutuelles, les coopératives et les fondations autour des critères suivants : poursuite d'un but social, gouvernance démocratique, lucrativité encadrée.
Je soutiens ce texte qui contribuera à relancer l'emploi et la croissance. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Michel Vergoz . - Ce texte restera un marqueur de ce quinquennat, après la création d'un secrétariat à l'économie sociale et solidaire par le gouvernement Jospin.
La discussion générale en témoigne : la gauche et la droite, ce n'est pas la même chose. Si la droite avait gagné en mai 2012, nous ne discuterions pas aujourd'hui de ce texte.
L'économie classique n'a pas su juguler la gangrène du chômage dans les outre-mer : 45 % de chômeurs peu ou pas diplômés, 60 % des 15-24 ans au chômage à La Réunion !
Il nous faudra redoubler d'efforts pour faire marcher nos économies ultramarines sur leurs deux jambes : c'est après tout la meilleure façon de marcher. Voilà, après la loi sur les outre-mer, un nouvel enrichissement de notre boîte à outils. Il vous faut désormais gagner la bataille de la communication, monsieur le ministre. C'est une toute autre histoire !
M. Jean-Jacques Mirassou . - Au risque d'être répétitif, je veux dire que cette loi procède d'une démarche éminemment politique. L'économie sociale et solidaire plonge ses racines au XIXe siècle et s'est ensuite développée de façon empirique. Elle acquiert enfin ses lettres de noblesse. Quelle différence avec d'autres secteurs de l'économie où l'on a pour seule ambition de satisfaire la soif des actionnaires !
M. Bruno Sido. - Quelle finesse !
M. Jean-Jacques Mirassou. - La gouvernance démocratique, le réinvestissement des bénéfices ne sont pas moins importants. Sur ces bancs, personne n'oppose une économie sociale et solidaire qui serait vertueuse à l'économie marchande diabolique. Quand 50 000 emplois disparaissent chaque année dans des entreprises saines, on n'a pas le droit de rester les bras ballants !
Ce texte novateur répond à une exigence sociale, économique et citoyenne. Les trois principes de l'économie sociale et solidaire sont ceux du pacte républicain (M. Henri de Raincourt s'exclame) dans lequel nous nous reconnaissons. Nous voulons voir le projet de loi aboutir et en ferons le service après-vente dans nos départements, pour mieux lutter contre le chômage. (Applaudissements à gauche)
M. Gérard César. - Coiffez le bonnet rouge !
M. Jean-Jacques Mirassou. - C'est mieux qu'un bonnet d'âne !
M. le président. - Amendement n°213 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol et Fortassin, Mme Laborde et MM. Hue, Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
I. - L'économie sociale et solidaire est une forme d'organisation d'activités économiques, fondée sur la solidarité collective, qui assure la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. Elle contribue et participe au développement économique, social ou environnemental et peut intervenir dans tous les domaines de l'activité humaine. En font partie des personnes morales de droit privé qui remplissent les conditions suivantes :
M. Jacques Mézard. - L'article premier définit le champ de l'économie sociale et solidaire de manière à y inclure non seulement les secteurs traditionnels mais aussi les sociétés commerciales dès lors qu'elles satisfont à certaines exigences. Cette définition inclusive est nécessaire. Nous voulons l'étoffer en nous inspirant de l'avis du Cese et en précisant que tous les domaines de l'activité humaine sont concernés.
M. le président. - Amendement n°259 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Alinéa 1
Après le mot :
entreprendre
insérer les mots :
adapté à tous les domaines de l'activité humaine
M. Jacques Mézard. - Défendu : c'est un amendement de repli.
M. Marc Daunis, rapporteur. - L'amendement n°213 rectifié contient des éléments qui relèvent plutôt d'un exposé des motifs. Retrait au profit de l'amendement suivant et de l'amendement n°132.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Cet article a fait l'objet d'intenses discussions. Nous sommes arrivés à un point d'équilibre qui reflète notre vision inclusive de l'économie sociale et solidaire, notre volonté de voir l'économie classique pollinisée par l'économie sociale et solidaire. L'amendement n°213 rectifié perturbe cet équilibre. Retrait. Avis favorable au suivant qui exprime bien le fait que l'économie sociale et solidaire n'est pas qu'une économie de réparation.
M. Jacques Mézard. - On voit là l'intérêt des amendements de repli...
L'amendement n°213 rectifié est retiré.
L'amendement n°259 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°214 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano et Vall.
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° Un but non lucratif ou une lucrativité limitée qui consiste à utiliser leurs bénéfices en priorité pour atteindre leur objet principal, et à mettre en place des procédures et des règles prédéfinies pour toutes les situations exceptionnelles où des bénéfices sont distribués aux actionnaires et aux propriétaires, garantissant qu'une telle distribution de bénéfices ne dessert aucunement leur objet principal ;
M. Jacques Mézard. - Nous précisons la notion de lucrativité nulle ou limitée. Une définition inclusive ne doit pas abaisser les exigences.
M. Marc Daunis, rapporteur. - Cet amendement est satisfait par les alinéas 5 et 6, ce dernier étant inspiré de la loi de 1901. Retrait.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Même avis. M. Mézard veut s'assurer que les bénéfices ne pourront être distribués que de manière exceptionnelle. L'exemple de la Scop Chèque déjeuner montre que des entreprises de l'économie sociale et solidaire appartenant au secteur marchand distribuent régulièrement leurs bénéfices à leurs salariés. Ne les empêchons pas.
L'amendement n°214 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°74, présenté par M. Le Cam et les membres du groupe CRC.
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Une gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant la participation, non strictement proportionnelle à leur apport en capital ou au montant de leur contribution financière, des associés et parties prenantes aux réalisations de l'entreprise ;
M. Gérard Le Cam. - Le principe d'une gouvernance démocratique impose le respect de la règle « une personne, une voix ». Mais, dans les sociétés coopératives d'intérêt collectif, il est possible de pondérer les voix, via des collèges. En faisant entrer des sociétés commerciales dans l'économie sociale et solidaire, on prend le risque d'affaiblir ce principe, qui se heurte à celui selon lequel la pondération des voix dépend des parts sociales. D'où notre proposition.
M. le président. - Sous-amendement n°298 à l'amendement n°74 de M. Le Cam et les membres du groupe CRC, présenté par M. Daunis, au nom de la commission des affaires économiques.
Amendement n° 74, alinéa 3
Remplacer les mots :
non strictement proportionnelle
par les mots :
dont l'expression n'est pas seulement liée
M. Marc Daunis, rapporteur. - Cet amendement paraît opportun à condition d'une modification rédactionnelle.
M. le président. - Amendement n°133, présenté par M. Godefroy et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 3
Supprimer les mots :
ou participative
M. Jean-Pierre Godefroy. - Des personnes morales de droit privé peuvent appartenir à l'économie sociale et solidaire à condition d'en respecter les critères. C'est le sens de la définition inclusive donnée par l'article premier, dont l'articulation en trois parties peut conduire au dévoiement du principe de gouvernance démocratique. La participation peut impliquer d'autres acteurs. Faisons, au contraire, partager ce principe ambitieux aux acteurs de l'économie classique. À mon sens, la rédaction actuelle n'est pas suffisamment contraignante.
M. Marc Daunis, rapporteur. - Retrait au profit de l'amendement n°74 sous-amendé, plus complet.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Le Gouvernement souhaite lui aussi donner force au principe de gouvernance démocratique. Retrait de l'amendement n°133. Avis favorable à l'amendement n°74 sous réserve de l'adoption du sous-amendement.
L'amendement n°133 est retiré.
M. Bruno Sido. - Certes, il y a des figures imposées, mais que certains préjugés sont difficile à extirper ! Franchement, connaissez-vous une seule entreprise dont le seul but soit le partage des bénéfices ? C'est vrai pour les entreprises du CAC 40 -l'objectif de Total, c'est de trouver du pétrole, de développer sa compétitivité et de faire vivre ses salariés ! Et c'est encore plus vrai des PME !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Il n'y a là nul préjugé : nous avons repris la définition de l'entreprise dans le code civil...
Le sous-amendement n°298 est adopté.
L'amendement n°74, sous-amendé, est adopté.
M. le président. - Amendement n°215 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Alinéa 6, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
ni incorporées au capital
M. Jacques Mézard. - Sous l'oeil de Portalis, je me garderai de toucher au code civil... Précisons que les réserves obligatoires ne peuvent être ni distribuées ni incorporées au capital.
M. Marc Daunis, rapporteur. - La loi de 1947 autorise les coopératives à incorporer une partie des réserves à leur capital sous certaines conditions. Ne leur créons pas de difficultés, même s'il faut empêcher les dérives -ce que nous faisons par d'autres moyens. Retrait de l'amendement n°215 rectifié.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Même avis. La loi de 1947 fixe des conditions précises à l'incorporation. Une interdiction générale serait trop stricte.
M. Jacques Mézard. - Soit, mais je ne suis pas tout à fait convaincu.
L'amendement n°215 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°216 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Alinéa 6, seconde phrase
Remplacer les mots :
de l'actif net
par les mots :
du boni
M. Jacques Mézard. - Nous remplaçons l'actif net par le boni dans la dévolution prévue à l'alinéa 6. Celle-ci doit concerner les bénéfices qui n'ont pas été distribués au cours de la vie de l'entreprise.
M. le président. - Sous-amendement n°299 à l'amendement n°216 rectifié de M. Mézard, présenté par M. Daunis, au nom de la commission des affaires économiques.
Amendement n° 216 rectifié, alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
de liquidation
M. Marc Daunis, rapporteur. - L'amendement de M. Mézard est tout à fait opportun. Nous précisons seulement la nature du boni.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Un mot à M. Sido : au moment où l'on crée une entreprise, on ne cherche évidemment pas qu'à distribuer des bénéfices. Encore une fois, je citais le code civil.
M. Bruno Sido. - Merci de cette précision.
Le sous-amendement no299 est adopté.
L'amendement n°216 rectifié, sous-amendé, est adopté.
M. le président. - Amendement n°132, présenté par M. Godefroy et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 7
Après le mot :
production
insérer les mots :
, de distribution, d'échange et de consommation
M. Jean-Pierre Godefroy. - La définition de l'économie sociale et solidaire se limite ici à la production de biens et de services. N'oublions pas les activités de distribution, d'échanges, de consommation, non plus d'ailleurs que l'économie circulaire.
M. Marc Daunis, rapporteur. - La définition prévue est très large mais on peut se demander si elle inclut, par exemple, les coopératives de consommateurs, qui sont parmi les formes les plus anciennes de l'économie sociale et solidaire. Avis favorable à cet amendement de précision.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Même avis.
L'amendement n°132 est adopté.
M. le président. - Amendement n°244 rectifié bis, présenté par MM. C. Bourquin, Mézard, Alfonsi, Baylet, Bertrand, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
I. - Alinéa 8
Après le mot :
les
insérer les mots :
organismes de l'économie sociale et solidaire,
II. - Alinéa 9
Après la première occurrence du mot :
les
insérer les mots :
entreprises de l'économie sociale et solidaire,
III. - Alinéa 15
Après le mot :
qualité
insérer les mots :
d'organisme ou
M. Jean-Claude Requier. - Nous entendons distinguer plus clairement les organismes sans but lucratif de l'économie sociale et solidaire -coopératives, mutuelles, fondations, associations- et les sociétés commerciales qui peuvent bénéficier de la qualité « d'entreprises de l'économie sociale et solidaire ».
M. Marc Daunis, rapporteur. - Une entreprise est un organisme menant une action économique. Au premier alinéa, on définit l'économie sociale et solidaire comme un mode d'entreprendre. L'amendement, sans réelle portée juridique, complique la rédaction. Retrait.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Même avis. Ne laissons pas croire à une fragmentation au sein de l'économie sociale et solidaire. Un arrêt du 23 avril 1991 de la Cour de justice de l'Union européenne précise que la notion d'entreprise correspond à toute entité exerçant une activité économique, indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement.
M. Jean-Claude Requier. - Si la Cour européenne le dit...
L'amendement n°244 rectifié bis est retiré.
M. le président. - Amendement n°231 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Alinéa 8
Après le mot :
fondations
insérer les mots :
respectant une gouvernance démocratique
M. Jean-Claude Requier. - Nous voulons nous assurer que les fondations respecteront le principe de gouvernance démocratique.
M. Marc Daunis, rapporteur. - Associations, fondations, coopératives et mutuelles appartiennent de plein droit à l'économie sociale et solidaire. Voilà la logique. Il serait dangereux d'en sortir. Les entreprises qui relèvent d'autres statuts doivent, elles, respecter certains critères. Retrait.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Même avis.
L'amendement n°231 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°217 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Alinéa 8
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Pour ces personnes morales, la gouvernance démocratique, dans le respect des dispositions légales spécifiques à chaque type d'organisation, est fondée sur des instances statutaires dont les membres sont élus ou désignés par et parmi les personnes composant l'organisation ;
M. Jean-Claude Requier. - Il s'agit de préciser la notion de gouvernance démocratique.
M. Marc Daunis, rapporteur. - Même avis que précédemment ; la rédaction est en outre source d'insécurité juridique.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Plutôt que de segmenter l'économie sociale et solidaire, tenons-nous en à l'amendement de M. Le Cam sous-amendé, qui satisfait largement vos préoccupations.
L'amendement n°217 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°130 rectifié, présenté par MM. Patriat et M. Bourquin.
Après l'alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« ...° Par les personnes morales de droit privé qui, au titre de l'article L. 5132-4 du code du travail, ont pour objet l'intégration sociale et professionnelle de travailleurs défavorisés ;
M. François Patriat. - M. Daunis disait que l'économie sociale et solidaire est un mode d'entreprendre. Les entreprises d'insertion et entreprises de travail temporaire d'insertion se sont constituées depuis trente-cinq ans en tant qu'acteurs fondateurs de l'économie sociale et solidaire, reconnus comme tels. L'amendement traduit cette réalité historique et de terrain. 1 260 entreprises d'insertion font l'objet d'un conventionnement par l'État. Ne les humiliez pas en leur imposant de passer par la petite porte. On ne peut pas dire qu'elles ne faisaient pas partie du premier périmètre.
M. Marc Daunis, rapporteur. - Avis défavorable, à mon grand regret. Nous avons tous un immense respect pour ces structures -j'en ai créé une moi-même- mais le texte fixe des conditions cumulatives sur le mode d'entreprendre et le respect de règles minimales pour les sociétés commerciales. Toutes les entreprises qui y satisfont, c'est-à-dire l'immense majorité des entreprises d'insertion, seront directement incluses. N'affadissons pas la notion d'entreprise sociale et solidaire. Sans quoi, au lieu de la pollinisation de l'économie classique par l'économie sociale et solidaire, nous assisterons à une pollution de l'économie sociale et solidaire par l'économie classique.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Remettre au travail des salariés cabossés par la vie, voilà l'objet de l'insertion par l'activité économique ; 40 % des entreprises concernées sont à objet commercial. Le secteur vient de voir son financement rationnalisé sous l'égide de Mme Demontès et nous avons augmenté l'aide au poste.
L'économie sociale et solidaire se définit par un mode d'entreprendre, non par un objet social. L'immense majorité des entreprises d'insertion par l'activité économique vont y entrer. Mais il en est d'autres, commerciales, par exemple des entreprises adaptées, qui n'y entreront pas ; nous les soutenons, nous reconnaissons leur travail, mais elles n'ont pas besoin de l'agrément et des financements auxquels il donnera accès. Et un grand groupe peut se fixer un but social sans être une entreprise solidaire.
M. François Patriat. - Les Caisses d'épargne y auront accès, elles !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - C'est le modèle privé non lucratif que nous voulons soutenir prioritairement. Avis défavorable.
M. François Patriat. - Je ne suis pas convaincu. La gouvernance est-elle plus démocratique à la Caisse d'épargne que dans les petites entreprises d'insertion ? Cela dit, je propose un sous-amendement pour éviter que les trois grandes entreprises que l'on cite toujours soient incluses dans l'économie sociale et solidaire.
M. Marc Daunis, rapporteur. - Il faudrait réunir la commission. Attendons la deuxième lecture.
Mme Christiane Demontès, rapporteure pour avis. - Présidente du Conseil national de l'insertion par l'activité économique, je me suis posée des questions. Mais je renvoie M. Patriat à l'article 7. Veillons à ne pas établir de hiérarchie entre les structures de l'économie sociale et solidaire. Les entreprises d'insertion, quel que soit leur statut, y appartiennent de plein droit dès lors qu'elles ont l'agrément. Je ne voterai pas l'amendement.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Toutes les entreprises d'insertion n'ont pas d'utilité sociale, au sens d'un service rendu à la population. Pensez à une Scop qui vendrait des cigarettes...
C'est tout le sens du social business, même si nous devons veiller à ce qu'il ne soit pas un paravent, un prétexte avant une éventuelle cotation en bourse. Combien d'entreprises de l'insertion par l'activité économique ne recevront pas l'agrément ? Très peu ! Suivons l'avis du rapporteur.
M. Bruno Sido. - M. le ministre et le rapporteur ont beaucoup travaillé le texte, ce n'est pas mon cas... Si j'ai bien compris, la définition de l'économie sociale et solidaire figure au I de l'article premier. Je ne vois pas pourquoi M. Patriat s'obstine... Je ne voterai pas son amendement.
M. François Patriat. - Allez donc l'expliquer aux intéressés !
L'amendement n°130 rectifié n'est pas adopté.