Situation des universités françaises (Questions cribles)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la situation des universités françaises à l'heure de la rentrée 2013.
M. Robert Tropeano . - (Applaudissements sur les bancs du RDSE) On annonce la fermeture de l'antenne de Béziers de l'université de Montpellier III à la prochaine rentrée. L'application d'une telle décision fragiliserait mon territoire. Cette université connaît des difficultés, avec un déficit structurel de 3 millions. La sous-estimation de la masse salariale - 90 % de son budget - lors de la réforme LRU et l'augmentation du nombre des élèves boursiers en sont les causes. Reste que l'on ne comprendrait pas, au vu des engagements du président de la République pour la jeunesse, et de la mobilisation de toute la communauté éducative, cette fermeture. Pensez-vous nous donner les premiers éléments de l'audit que vous avez diligenté et les pistes que vous envisagez ? La présidente de l'université a fustigé l'attitude du Gouvernement disant qu'il mentait sur les chiffres. Je n'ose la croire. (Applaudissements sur les bancs du RDSE).
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Au-delà du cas très médiatique de Montpellier III, la réalité est que le passage en RCE des universités pose difficulté dans certains cas - pas tous - en particulier la première année, car les universités doivent alors intégrer dans leurs comptes les dotations aux amortissements. Comme vous, j'ai appris par la presse le déficit de 3 millions ; comme vous, j'ai appris par la presse la fermeture envisagée de Béziers. Aussi ai-je commandité un audit, dont je n'ai pas encore le résultat. Le Gouvernement est résolu à accompagner Montpellier III, encore faut-il que nos efforts soient conjugués pour sortir de cette impasse.
M. Robert Tropeano. - Merci de cette réponse. Le Gouvernement doit tout faire pour rétablir la situation dans un climat serein.
M. Jean-Pierre Raffarin. - La riposte était sereine ! (Sourires)
Mme Colette Mélot . - Alors que le coût des frais d'inscription universitaire, selon l'Unef et la Fage, a progressé de 1,6 % à la rentrée, le logement représente 55 % du budget des étudiants : 500 euros en régions et 700 en Île-de-France. Le Gouvernement s'était fixé pour objectif 40 000 logements sociaux étudiants nouveaux d'ici 2017. Comme cela se traduira-t-il dans la loi de finances ? Les 20 millions d'euros accordés au Crous ne suffiront pas, annoncent les associations étudiantes. Dans le parc privé, ne faut-il pas élargir le dispositif de cautionnement solidaire au parc privé ? Tous les étudiants connaissent des difficultés de logement.
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Merci de cette question sur le logement étudiant qui est notre priorité. Le dernier plan a été réalisé à moitié - 19 000 logements seulement en construction. Le président de la République a fixé un objectif ambitieux de 40 000 logements sociaux d'ici cinq ans. Nous en avons déjà identifié 30 000, grâce au plan Campus et aux contrats de plan État-régions. Nous avons dégagé 20 millions pour le Crous en plus des 50 millions et 400 millions pour les bourses d'ici trois ans. Dès cette rentrée, nous avons livré 8 500 logements ; la moitié en rénovation, la moitié en construction.
Nous faisons tout pour améliorer les conditions de vie étudiante ! (Applaudissements à gauche)
Mme Colette Mélot. - J'insiste sur le cautionnement solidaire dans le parc privé : tous les étudiants en ont besoin. (Applaudissements à droite)
Mme Chantal Jouanno . - Il est difficile de se faire une idée claire de la situation dans les universités. Le Gouvernement est dans son rôle en annonçant la création de 5 000 postes dans les universités et en augmentant leur budget de 0,44 %. Les associations étudiantes sont aussi dans leur rôle en demandant davantage. La présidente de Montpellier III l'est moins en annonçant la fermeture de l'antenne Béziers pour protester contre sa dotation.
Si l'on y regarde de plus près, les perspectives sont inquiétantes : 400 postes gelés - c'est beaucoup sur les 1 000 créations annoncées - et baisse du budget des universités, si l'on tient compte de l'inflation, de 0,46 %, hors GVT. Madame la ministre, comment entendez-vous concrétiser vos engagements pour l'université ? (Applaudissements au centre)
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Effectivement, il est difficile d'y voir clair dans la situation des universités françaises, en raison du passage en RCE qui a été mal accompagné. L'évolution des salaires et du CAS pension n'a pas été prise en compte. Depuis notre arrivée, nous faisons de notre mieux pour améliorer leur situation - nous avons provisionné 90 % de leur budget - que nous avons trouvé dégradée, et restaurer leur image. Nos universités sont de qualité ! (Applaudissements à gauche)
Mme Chantal Jouanno. - Merci pour cette réponse et pour votre compétence.
Mme Dominique Gillot . - Le plan « Réussite en licence » du précédent gouvernement n'avait pas donné de résultats. La loi ESR de juillet dernier érige la réussite étudiante en priorité. Depuis, l'université Cergy-Pontoise a mis en place un semestre « Nouveau départ ». De quels outils disposez-vous pour mettre en place ce processus qui doit mobiliser l'éducation nationale ? Les bacheliers professionnels et technologiques bénéficieront d'un accès plus ciblé en STS et IUT. A-t-on une idée de l'impact de la mesure ? Pour faire rentrer l'université dans le XXIe siècle, vous insistez sur le numérique. Quelles mesures concrètes pour l'introduire dans l'université ? (Applaudissements à gauche)
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - La France se situe en deçà de l'objectif de Lisbonne d'amener 50 % des étudiants à un diplôme bac+3. Comment redresser la barre ? Nous avons introduit des critères qualitatifs tels que le module « -3+3 », l'accompagnement des élèves en difficulté en première année, ou encore l'introduction du numérique non comme un gadget mais comme un outil pédagogique - pour allouer des subventions spécifiques aux universités. C'est ainsi que nous irons vers la réussite étudiante, qui est au coeur de nos priorités.
Mme Dominique Gillot. - Merci de cette réponse complète, bien que nécessairement courte dans le cadre de cette séance.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - La LRU et le passage aux RCE mises en place par le précédent gouvernement ont mis les universités en difficulté. L'autonomie a consisté en un transfert de la pénurie, vecteur de l'application de la RCPP dans l'enseignement supérieur. Cette évolution n'a hélas pas été remise en cause. En cette rentrée, 15 universités sont en déficit, quand les autres n'atteignent l'équilibre qu'au prix d'économies drastiques. La création annoncée de 1 000 postes ne compensera pas les gels intervenus depuis 2008 ; 500 sont annoncés pour 2014. Les universités devront utiliser l'argent de ces postes pour assurer le fonctionnement, chauffer les locaux. Les étudiants en pâtissent : des formations, des sites entiers ferment. Comment entendez-vous y remédier ? (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - La situation que j'ai trouvée en 2012 était certes difficile mais notre université est de qualité. N'allons pas laisser penser qu'elle ne l'est pas en réclamant des dotations. (Exclamations sur les bancs CRC) Nous créons 1 000 emplois, ce qui n'avait pas été fait depuis des années. (On le confirme sur les bancs socialistes)
La priorité doit être la lutte contre l'échec en premier cycle. Dès lors, limiter la multiplication des mastères pour concentrer les moyens sur le premier cycle n'est pas injustifié. L'université est au service de la formation des étudiants. Les difficultés budgétaires ne portent, je le rappelle, que sur 10 % du budget, puisque les 90 % de la masse salariale sont sanctuarisés. Et nous ne supprimons pas des emplois : au contraire, nous en créons, alors que ce n'était pas le cas depuis des années. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Les difficultés des universités sont nées de la LRU et du passage aux RCE. Le budget continue de baisser. On ne remédiera pas à cette situation sans rupture avec les politiques précédentes.
Alors que les Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) se mettent difficilement en place au sein des universités, il est temps que l'État assume ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Corinne Bouchoux . - Les ESPE ont ouvert leurs portes à la rentrée. Elles doivent former les enseignants et les conseillers d'éducation, comme l'avait promis le président de la République pour revenir sur la suppression catastrophique des IUFM.
Mais les enseignements restent trop disciplinaires, alors que le Parlement aurait souhaité plus de pédagogie, de prévention des violences et des intervenants extérieurs.
Alors que les universités peinent à boucler leurs budgets, il faut garantir l'intégrité des programmes dans les ESPE, qui ne doivent pas servir de variable d'ajustement. La volonté du Parlement et du Sénat sera-t-elle respectée par les universités ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Les ESPE sont au coeur de notre projet pédagogique, de la maternelle au doctorat. Nous allons former 300 000 enseignants, le tiers du corps professoral. Tous les efforts ont été fait pour cette rentrée tant la situation était désastreuse. Nous progresserons encore.
Le travail en groupe et en équipe plutôt que la formation individuelle, nous sommes d'accord. La prévention des violences, la pédagogie différenciée seront prises en compte. Le recteur Filâtre a été missionné avec M. Édouard Leroy pour suivre la mise en place des ESPE.
Nous suivons plus particulièrement six ESPE qui connaissent des difficultés. Nos équipes sont mobilisées pour qu'elles progressent, au service de la réussite. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Corinne Bouchoux. - Merci de ces réponses sur un dossier qui tient à coeur à Mme Blandin. Les ministères de l'enseignement supérieur, de l'éducation et de la culture et les collectivités locales doivent travailler ensemble. Nous irons voir sur le terrain !
Mme Natacha Bouchart . - Quelle est la politique du Gouvernement pour le soutien aux formations scientifiques et techniques dans les universités de proximité ? L'université de la Côte d'Opale, dont les antennes sont à Boulogne, Calais, Dunkerque et Saint-Omer a lancé l'École du Littoral ; elle compte 250 étudiants à bac+2 qui obtiendront un diplôme d'ingénieur après deux ans de formation.
Les universités de proximité sont un atout quand leurs formations s'inscrivent dans leur bassin économique. Cette École du Littoral renforcera l'économie locale et offrira des débouchés aux étudiants.
Comment renforcer ces antennes ? Comment orienter vers elles la taxe d'apprentissage, trop souvent aspirée par les métropoles ? (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - J'ai rencontré les universités et l'Ifremer à Boulogne. J'ai vu combien les coopérations étaient fortes, dans l'agroalimentaire, sur le Campus de la Mer, mais aussi dans la cosmétique. Le partenariat avec les entreprises doit se développer, ce qui fera fructifier la taxe d'apprentissage.
Le CFA Formasup est là pour apporter son aide, et le ministère continuera d'intervenir pour assurer la réussite étudiante et l'insertion professionnelle dans ce territoire. Un contrat de site donnera à ces établissements les moyens nécessaires à leur intégration dans leurs territoires. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Natacha Bouchart. - Il y aura donc un contrat de site : c'est une bonne nouvelle. J'insiste sur la question de la taxe d'apprentissage.
M. David Assouline . - Votre réforme prend à bras-le-corps la réussite étudiante : c'était nécessaire, au vu du taux d'échec indécent en premier cycle. Les conditions de vie matérielle et sociale de certains étudiants n'y sont pas pour rien ! Quand un étudiant sur trois renonce à des soins, quand beaucoup ont recours à un habitat précaire, quand ils sont de plus en plus obligés de travailler, comment mener de bonnes études ?
Le précédent gouvernement s'était désintéressé du problème. Vous, vous y avez fait face avec l'augmentation des bourses, la création de logements et l'amélioration de la santé étudiante. Pouvez-vous nous indiquer les nouveautés de la rentrée et ce qu'il en sera en 2014 ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Notre priorité, c'est la réussite des étudiants. Nous avons dégagé, en trois ans, 457 millions, en plus de l'augmentation du budget : 150 millions fin 2012 pour couvrir l'impasse du précédent gouvernement sur les bourses, 150 millions de revalorisation en 2013 et 157 millions en 2014. Nous avons voulu agir de façon qualitative et cibler les catégories les plus désavantagées : le bas de la classe moyenne, où les jeunes ne bénéficiaient que d'allocations mensuelles ; les 100 euros que nous leur donnons pendant dix mois leur éviteront de travailler plus de quinze heures ; les familles les plus précaires, avec une augmentation de 23 % des bourses destinées à leurs enfants ; enfin, les jeunes désocialisés, qui ont bénéficié d'une allocation entre 4 500 et 5 500 euros. Ils sont 7 000 aujourd'hui. Au total, 100 000 jeunes seront touchés par ces nouvelles bourses ; nous amplifierons ces aides tout au long du quinquennat jusqu'à arriver à une allocation d'autonomie.
La caution locative concerne à titre expérimental 2 000 jeunes cette année, 20 000 l'an prochain. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. David Assouline. - Merci pour votre réponse concrète. Le cynisme du précédent gouvernement sur les bourses avait choqué les jeunes ; vous nous rassurez en nous donnant des chiffres clairs. Le remboursement des frais de scolarité est à la charge des universités : il faudra veiller à ce que les universités qui accueillent le plus de boursiers ne soient pas pénalisées.
M. Maurice Antiste . - L'université Antilles-Guyane doit être attractive dans son environnement, elle ne rayonnera qu'en élargissant son périmètre d'influence. Il faut donc diversifier son offre de formation et encourager les filières innovantes ancrées sur les spécificités du territoire : agroalimentaire, halieutique, botanique médicale, créole.
Le coefficient correcteur devrait être étendu, pour accompagner les déplacements et mieux intégrer les unités de recherche dans leur environnement. Les acquis de l'ordonnance de 2008 seront-ils conservés ? Une large concertation avec les acteurs s'impose. Une mission d'information sur la situation des universités ultramarines serait aussi bienvenue. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - L'université Antilles-Guyane, implantée sur trois sites, devrait développer son partenariat avec les universités des Caraïbes. Elle fait l'objet de toute notre attention, car, dans le cadre de la transition énergétique, nous voulons développer la recherche sur la mer, pour aller vers la « croissance bleue ». Nous avons dix-huit mois pour parvenir à des synergies. La concertation va s'engager dans les semaines qui viennent avec les acteurs de l'université et les collectivités territoriales pour répondre aux besoins des jeunes de l'outre-mer, dans l'optique d'un développement durable et partagé. Nous serons au rendez-vous. (Applaudissements à gauche)
M. Maurice Antiste. - L'université des Antilles-Guyane est éclatée en trois, vous l'avez reconnu : vous aurez donc trois fois plus d'attention pour elle.
M. le président. - Belle lecture optimiste du travail sénatorial !
La séance est suspendue à 15 h 50.
La séance reprend à 16 heures.