Attributions du garde des sceaux (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des amendements au projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°4 rectifié, présenté par M. Hyest et les membres du groupe UMP.
Rédiger ainsi cet article :
L'article 30 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 30. - Le ministre de la justice définit les orientations générales de la politique pénale. Il les adresse aux magistrats du ministère public pour application et aux magistrats du siège pour information. Il rend publiques ces orientations générales.
« Le ministre de la justice peut dénoncer aux procureurs généraux près les cours d'appel les infractions visées aux titres Ier et II du livre IV du code pénal dont il a connaissance et leur enjoindre, par des instructions écrites qui sont versées au dossier, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente des réquisitions écrites qu'il juge opportunes. Les instructions du ministre sont motivées, sous réserve des exigences propres au secret de la défense nationale, des affaires étrangères et de la sûreté intérieure ou extérieure de l'État.
« Sous réserve des dispositions de l'alinéa précédent, il ne peut donner aucune instruction dans les affaires individuelles.
« Il informe chaque année le Parlement, par une déclaration pouvant être suivie d'un débat, des conditions de mise en oeuvre de ces orientations générales. »
M. Jean-Jacques Hyest. - J'ai repris l'idée du rapporteur voulant que les instructions aux procureurs généraux et cours d'appel soient écrites et versées au dossier. C'est le moyen de préserver ces instructions, qui nous semblent indispensables.
M. le président. - Amendement n°7 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
, sauf motif impérieux d'ordre public
M. Jacques Mézard. - Le garde des sceaux doit pouvoir adresser des instructions générales sans qu'elles soient nécessairement publiées. Je pense, par exemple, aux affaires de terrorisme.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Hyest et les membres du groupe UMP.
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
M. Jean-Jacques Hyest. - Même objectif que mon amendement précédent.
M. le président. - Amendement n°2 rectifié bis, présenté par M. Hyest et les membres du groupe UMP.
Alinéa 4
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« Il ne peut adresser au ministère public aucune instruction dans des affaires individuelles.
« Cependant, il peut signaler au procureur général les manquements aux instructions générales dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de réquisitions conformes aux instructions générales.
M. Jean-Jacques Hyest. - Idem.
M. le président. - Amendement n°6, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Alinéa 4
Après le mot :
instruction
insérer les mots :
, sous quelque forme que ce soit,
Mme Esther Benbassa. - Nous nous félicitons que le texte mette fin aux instructions individuelles. Nous en renforçons le principe.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Défavorable à l'amendement n°4 rectifié, qui pourrait être retiré au bénéficie de l'amendement n°2 rectifié bis. Favorable à l'amendement n°7 rectifié bis. Défavorable à l'amendement n°1 rectifié mais favorable à l'amendement n°2 rectifié bis, sous réserve d'une rectification : le premier alinéa est déjà contenu dans le texte. Pour le reste, le garde des sceaux, responsable de la politique pénale devant le Gouvernement, doit pouvoir adresser des instructions générales aux procureurs de la République. Celles-ci doivent pouvoir être rendues publiques sauf si l'intérêt général s'y oppose. Si, dans un ressort, un procureur de la République n'applique pas ces instructions, le procureur général pourra prendre les mesures d'injonction pour y remédier. Défavorable, enfin, à l'amendement n°6.
M. Jean-Jacques Hyest. - Je retire l'amendement n°4 rectifié et accepte la rectification proposée par le rapporteur sur l'amendement n°2 rectifié bis.
M. le président. - Ce sera donc l'amendement n°2 rectifié ter présenté par M. Hyest et les membres du groupe UMP.
Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Cependant, il peut signaler au procureur général les manquements aux instructions générales dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de réquisitions conformes aux instructions générales.
L'amendement n°4 rectifié est retiré.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - L'amendement n°7 rectifié bis vise à nuancer l'obligation, introduite par l'Assemblée nationale, de rendre publiques ces circulaires. Ces circulaires ne sont pas confidentielles -elles sont publiées au Bulletin officiel- mais il peut être justifié, dans certains cas, que le garde des sceaux donne des instructions qui ne soient pas rendues publiques. Cela est de nature à rendre l'action de la justice plus efficace sur un certain nombre de contentieux. J'aurais même préféré que l'obligation elle-même fût supprimée car il y a aura toujours querelle sur le « motif impérieux d'ordre public ». Je suis donc tentée de proposer un amendement visant à supprimer cette mention.
M. Jacques Mézard. - Pourquoi pas.
M. le président. - Ce sera l'amendement n°17, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 3
Supprimer les mots :
, qui sont rendues publiques
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - La commission ne pourra y être favorable.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Défavorable, en revanche, à l'amendement n°1 rectifié, qui réintroduit les instructions individuelles. Leur suppression est l'un des objectifs de ce projet de loi. Certains mettent en avant l'existence de situations particulières justifiant les instructions individuelles. Mais quelles situations ? Le garde des sceaux, outre des instructions générales, peut donner des instructions sur certains contentieux particuliers, ou visant une partie du territoire. Toutes les situations qu'a évoquées M. Vial à la tribune, hier, peuvent entrer dans ces cas. Le seul cas que l'on peut avoir encore en tête, c'est l'intérêt supérieur de la Nation. Autrement dit, la lutte contre le terrorisme. Mais s'il existe une section anti-terroriste qui fonctionne bien, je ne vois pas la nécessité d'instructions individuelles. D'autant que l'article 40 permet au garde des sceaux de contraindre le procureur à réagir. Il n'y a donc pas de risque. A l'inverse, réintroduire les instructions individuelles est risqué car elles contribuent à la défiance envers l'institution judiciaire. Défavorable donc à l'amendement n°2 rectifié bis, ainsi qu'à l'amendement n°6 car cela va de soi.
L'amendement n°6 est retiré.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Sur le nouvel amendement du Gouvernement, je rappelle que j'avais été battu par la commission, et notamment par mon groupe. D'où le repli sur l'amendement Mézard. A titre personnel, donc, je suis favorable à l'amendement n°17, mais la commission ne l'est pas.
L'amendement n°17 est adopté.
L'amendement n°7 rectifié bis n'a plus d'objet.
L'amendement n°1 rectifié est adopté.
L'amendement n°2 rectifié ter n'a plus d'objet.
L'article premier, modifié, est adopté.
L'article premier bis A est adopté.
ARTICLE PREMIER BIS
M. le président. - Amendement n°15, présenté par le Gouvernement.
Supprimer cet article.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je rappelle que ce projet de loi est complémentaire du projet de loi constitutionnelle, même si celui-ci est profondément modifié, en particulier pour l'impartialité des conditions de jugement. Les précisions ici introduites ne concernent que le ministère public. Mais l'impartialité concerne aussi les juges du siège. Et si l'on introduit cette précision ici, il faudrait l'introduire dans tous les articles du code concerné, sauf à ne viser que le présent cas.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Hyest et les membres du groupe UMP.
Supprimer les mots :
, dans le souci de l'intérêt général et
M. Jean-Jacques Hyest. - Je vous suis. D'autant que ceci fait partie des règles déontologiques déclinées par le Conseil supérieur de la magistrature.
M. le président. - Amendement n°10, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.
Remplacer les mots :
du principe d'impartialité auquel
par les mots :
des principes d'indépendance et d'impartialité auxquels
Mme Cécile Cukierman. - C'était une précision mais puisque le Gouvernement demande la suppression...
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je pourrais le faire mais je ne demande pas une deuxième délibération sur l'article premier, puisque ce projet de loi est en navette. Reste que M. Hyest aurait été bien inspiré de retirer son amendement n°1 rectifié, qui rétablit les instructions individuelles, puisque la commission avait adopté son amendement n°2 rectifié ter.
Pour cet article premier bis, nous sommes favorables à l'amendement de suppression du Gouvernement.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Les amendements nos3 rectifié et 10 seraient satisfaits par l'adoption du nôtre.
M. Jean-Jacques Hyest. - J'entends le rapporteur. Si la garde des sceaux avait accepté l'amendement n°2 rectifié bis, j'aurais volontiers retiré l'amendement n°1 rectifié. Mais c'était non et non.
Il y a tout de même des parquetiers très spéciaux. On ne peut plus sanctionner ; qu'au moins on puisse dire que cela ne va pas.
Dans la confusion où nous travaillons sur ce texte, il n'est pas étonnant que l'on en soit arrivé à un vote comme celui de tout à l'heure.
L'amendement n°15 est adopté, l'article premier bis est supprimé.
Les amendements nos3 rectifié et 10 n'ont plus d'objet.
ARTICLE 2
M. le président. - Amendement n°8 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Alinéa 2, deuxième phrase
Supprimer cette phrase.
M. Jacques Mézard. - La loi pénale doit s'appliquer sur l'ensemble du territoire de la République. Seul le garde des sceaux définit la politique pénale. Les procureurs généraux ne peuvent adapter ses instructions, ni les procureurs adapter celles des procureurs généraux.
On nous dit de ne pas nous inquiéter. Soit, mais il y a parquet et parquet, et l'on sait que l'on trouve, dans certains, comme l'a évoqué M. Hyest, des originaux. Il ne faut pas leur donner la possibilité d'adapter les instructions générales. Sur ce point, nous ne transigerons pas.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Avis défavorable car les procureurs généraux doivent disposer d'une certaine latitude. Si cet amendement était adopté, cela ne les empêcherait pas d'appliquer les instructions de façon souple, comme les y autorise déjà le « guide des principes directeurs pour les procureurs généraux » de 2008.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Même avis défavorable. Je lui ai déjà répondu mais M. Mézard ne veut pas se laisser convaincre. Depuis 1958, la responsabilité des procureurs généraux existe. Ils doivent animer et coordonner la politique pénale dans leur ressort. Ils transmettent le rapport annuel sur l'activité et la gestion de la cour de leur ressort et ils répondent de la politique pénale menée sur leur territoire. Nous n'avons pas voulu modifier l'ordonnance de 1958 mais nous renforçons les pouvoirs du garde des sceaux en matière de définition de la politique pénale et nous faisons référence à l'article 20 de la Constitution. Lorsqu'un ressort présente des caractéristiques particulières, le garde des sceaux peut diffuser des circulaires territoriales. J'en suis à la cinquième.
Ma circulaire générale d'orientation indique comment traiter l'ensemble des contentieux mais, dans un même ressort, il peut y avoir certaine délinquance particulière. Il revient aux procureurs de faire en sorte qu'elle soit traitée de façon plus différenciée, plus ciblée.
Les groupes locaux de traitement de la délinquance, structures judiciaires mises en place par les procureurs, sont des déclinaisons de la politique pénale pour lutter contre certaines délinquances. L'avis est donc défavorable.
L'amendement n°8 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°11, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Le procureur général adresse au ministre de la justice un rapport annuel de politique pénale sur l'application de la loi et des instructions générales ainsi qu'un rapport annuel sur l'activité et la gestion des parquets de son ressort. »
Mme Cécile Cukierman. - Je présenterai en même temps l'amendement n°13.
M. le président. - Amendement n°13, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Tout rapport particulier doit être versé au dossier de la procédure. »
Mme Cécile Cukierman. - Nous voulons que les rapports particuliers soient supprimés et, si ce n'est pas accepté, qu'ils soient versés au dossier.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Défavorable.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Même avis. Les rapports particuliers sont nécessaires. Le garde des sceaux reste responsable de la politique pénale mais aussi du fonctionnement du service public de la justice. Il a besoin d'être informé.
Ces rapports particuliers ne sont pas liés à la procédure. Quand le harcèlement sexuel a été supprimé par le Conseil constitutionnel, j'ai envoyé une circulaire demandant si possible la requalification des faits pour éviter l'annulation des procédures et j'ai demandé qu'on m'en fasse rapport. Cela m'a permis d'informer la représentation nationale et aussi de préciser les conditions d'application de la loi : dans la circulaire qui a suivi son adoption, j'ai demandé à ce que des affaires de viol ne soient pas requalifiées en agression sexuelle ou harcèlement sexuel.
Le procès PIP, à Marseille, a nécessité de trouver des financements particuliers pour accueillir les nombreuses victimes. Je demande donc le retrait des amendements.
Mme Cécile Cukierman. - Je les retire, ainsi que les suivants à l'article 3, qui étaient de cohérence.
Les amendements nos11 et 13 sont retirés ainsi que les amendements nos12 et 14.
M. Jacques Mézard. - Notre amendement qui était fondamental n'ayant pas été adopté, nous ne voterons pas cet article.
L'article 2 est adopté.
ARTICLE 2 BIS
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Cet article vise à modifier l'article 36 du code de procédure pénale qui traite du pouvoir hiérarchique du procureur général sur les procureurs de la République et indique que le procureur général peut adresser toute instruction qui « lui paraît opportune ».
Il précise que les instructions du procureur général au procureur de la République concernant des affaires individuelles doivent être « conformes aux instructions générales prévues à l'article 30 », c'est-à-dire conformes aux instructions du ministre de la justice.
Cette formulation restreint à l'excès les possibilités d'instructions légitimes du procureur général, qui peuvent très souvent ne pas trouver leur fondement dans des instructions générales préexistantes émanant du ministre de la justice.
Je comprends le souci de la commission des lois mais nous sommes dans un système d'opportunité des poursuites. Avis défavorable.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Les instructions individuelles étant supprimées, à titre personnel, je crois l'amendement du Gouvernement opportun. (M. Jean-Jacques Hyest partage cet avis)
L'amendement n°16 est adopté ;l'article 2 bis est supprimé.
ARTICLE 3
M. le président. - Amendement n°9 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 39-1. - Le procureur de la République met en oeuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice.
M. Jacques Mézard. - C'est toujours le même raisonnement : la loi pénale doit s'appliquer de façon égale sur l'ensemble du territoire de la République. La définition de la politique pénale ne peut donc relever que du garde des sceaux. A ce titre, et comme pour le pouvoir d'adaptation alloué aux procureurs généraux, le pouvoir d'adaptation des instructions générales du garde des sceaux alloué aux procureurs de la République ouvre la voie à une application différenciée de la politique pénale, ce qui n'est pas acceptable. Nous voulons éviter toutes difficultés sur le terrain.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Avis défavorable, comme à l'article précédent.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Même avis. Je salue la constance de M. Mézard mais n'en demeure pas moins constante.
A Marseille, outre les circulaires générales, j'ai envoyé une circulaire territoriale pour que le procureur de la République mène une action particulière au titre de la justice des mineurs et apporte des réponses différenciées en raison des circonstances.
A Lille, dans le cadre des orientations générales, le procureur, vu la recrudescence des agressions racistes, a mobilisé le parquet sur ce sujet.
L'amendement n°9 rectifié n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté, ainsi que l'article 4.
Le projet de loi est adopté.
La séance est suspendue à midi cinquante.
présidence de M. Jean-Pierre Bel
La séance reprend à 15 h 5.