Élection des sénateurs (Suite)
M. le président. - Nous en revenons à l'examen du projet de loi relatif à l'élection des sénateurs.
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. J.C. Gaudin et les membres du groupe UMP.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, le projet de loi relatif à l'élection des sénateurs (n° 377, 2012-2013).
M. Philippe Bas . - On aimerait donner acte au Gouvernement de ses bonnes intentions en matière de parité, de représentativité et de pluralité. Hélas, charité bien ordonnée commence par soi-même. (« Oh ! » à gauche)
Le Gouvernement aurait dû l'assumer clairement : vous voulez fortifier votre majorité en 2014 et vous voulez une garantie de résultats. En peu de mois, le code électoral n'aura jamais été autant modifié.
M. Charles Revet. - C'est le chamboule-tout !
M. Philippe Bas. - Alors que le parti socialiste court-circuite les préfets dans le redécoupage des cantons pour le compte du ministère de l'intérieur (exclamations sur les bancs socialistes), voici que nous devons délibérer toutes affaires cessantes du mode de scrutin sénatorial alors que la France est en récession, que le chômage explose, la délinquance augmente...
M. Manuel Valls, ministre. - C'est faux !
M. Philippe Bas. - L'agenda gouvernemental n'est pas seulement déroutant mais inconvenant.
Aucun d'entre nous n'est obligé d'invoquer la morale pour justifier son action, mais celui qui le fait s'expose à être jugé à cette aune. Rien ne vous arrête dans votre travail méthodique de destruction de l'originalité du Sénat.
Heureusement, la Constitution et le Conseil constitutionnel vous retiennent. Le collège électoral doit être composé en majorité d'élus locaux avait indiqué le Conseil en 2000. Ce qui n'a pas empêché M. Jospin, à la fin de l'année dernière, de proposer à nouveau un système baroque ; le Conseil ne s'y serait pas trompé. Je donne acte au Gouvernement d'y avoir renoncé. Pour lui la crainte du Conseil constitutionnel est le commencement de la raison politique.
Reportez-vous à l'article 24 de la Constitution. Le Sénat doit être élu par un corps électoral composé principalement d'élus.
M. Alain Fauconnier. - C'est le Sénat pour tous !
M. Philippe Bas. - C'est le fondement historique de l'institution qui fit dire à Gambetta que le Sénat est le grand conseil des communes de France. Ne vous indignez donc pas que le Sénat soit élu en grande majorité par les délégués municipaux. Si vous voulez changer cela, ce n'est pas le mode électoral qu'il faut changer mais le Sénat. Le constituant aurait pu vouloir pas de Sénat ou un autre Sénat. La République a voulu à côté de la représentation du peuple une représentation des territoires ; elle a instauré un puissant défenseur des collectivités locales comme contrepoids au jacobinisme, avec les excès de pouvoir qu'amplifie le fait majoritaire. Le Sénat est le meilleur défenseur des libertés locales. Si l'on admet l'utilité et même la nécessité du Sénat, il faut aussi admettre non comme une anomalie mais comme un bienfait la représentation des territoires. Les collectivités ne sont pas de simples circonscriptions électorales mais des communautés humaines.
Nous ne vivons pas dans un régime fédéral, mais depuis la révision constitutionnelle de 2003, la Constitution proclame que la République est décentralisée. Cette réforme, même modeste, porte en germe la négation de l'identité de notre assemblée. Vous avez le droit de dire que le Sénat vous gêne et nous serions prêts à en débattre. Le Sénat n'est pas inféodé au pouvoir en place, quel qu'il soit, il est libre, il n'est pas inféodé au système bipartisan. Si comme Lionel Jospin vous considérez que le Sénat est une anomalie démocratique, assumez-le. Mais si notre institution trouve grâce à vos yeux, arrêtez de la dénigrer. (Marques d'approbation à droite)
Le critère démographique ne peut résumer le débat à lui seul. La composition du collège sénatorial est très variable d'un département à un autre. Il s'agit de représenter des territoires et non des populations à l'Assemblée nationale. Un exemple : la Moselle a 601 communes contre 369 pour la Drôme, alors que leur population est équivalente. C'est d'ailleurs la légitimité propre du Sénat. En allant contre cela, vous niez les spécificités du Sénat.
M. Charles Revet. - Très bien !
M. Philippe Bas. - Par votre réforme, vous allez le fragiliser en ajoutant une fournée de grands électeurs non élus, comme sous la Restauration. (M. Manuel Valls, ministre, rit)
M. François Rebsamen. - C'est à peine exagéré !
M. Philippe Bas. - Vous faites le choix de la politisation. Ce n'est pas la bonne voie, même si le Conseil constitutionnel avait admis de tempérer l'exigence d'élection par des élus. Dans les pays fédéraux, ce n'est pas l'équilibre démographique mais la représentation des territoires qui l'emporte.
M. François Rebsamen. - Ce n'est pas vrai en Allemagne !
M. Philippe Bas. - J'y viendrai ensuite... Aux États-Unis, deux sénateurs par État, quelle que soit la population. En Allemagne, la Rhénanie du Nord-Westphalie a 12 sièges au Bundesrat, pour 18 millions d'habitants, autant que la Bavière et ses 12 millions d'habitants.
En France, on essaie de grignoter ici ou là quelques voix en substituant à des élus des militants bien choisis, au nom du principe d'égalité et de parité. (Applaudissements à droite)
M. Alain Richard. - Quelle médiocrité !
M. Philippe Bas. - La proportionnelle dans les départements de trois sénateurs, est un recul, les deux principaux partis seront favorisés, l'attribution du troisième siège relèvera de la loterie.
Ce système permettrait de favoriser l'élection de sénatrices ? Ce n'est pas certain : les listes dissidentes risquent de se multiplier.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Rien à voir !
M. Philippe Bas. - Enfin, souvenez-vous qu'il a fallu réviser la Constitution en 1999 pour favoriser la parité, c'est-à-dire la disqualification de candidats en raison de leur sexe masculin. La restriction de la liberté des candidatures peut faire progresser l'accès des femmes, elle ne fait pas progresser la démocratie.
Le Sénat devrait être sensible à la sollicitude du Gouvernement, mais il n'a nul besoin d'une telle attention. Si vous voulez changer le Sénat, modifiez la Constitution. Quant à nous, nous souhaitons que la commission puisse travailler sur le bicamérisme, d'où cette motion. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Michel . - M. Bas a détourné une fois de plus le Règlement du Sénat. Pourquoi pas une exception d'irrecevabilité puisque vous n'avez cessé de parler de la Constitution ? Pourquoi ne pas être intervenu en discussion générale ? Encore aurait-il fallu que votre président de groupe ne prenne pas les trente minutes dévolues à votre groupe.
La commission a bien travaillé ; son président s'excuse de ne pouvoir être présent, il assiste aux funérailles de Pierre Mauroy. Ce projet de loi, restreint, apporte des corrections à la marge. Il faut repousser cette motion. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - Avis défavorable : les débats en commission ont été fournis. J'ai auditionné tous les présidents de groupe et les experts du ministère de l'intérieur et je ne vois pas ce qu'apporterait le retour en commission.
Le nombre de grands électeurs non élus ne doit pas représenter une part substantielle, a dit le Conseil constitutionnel. Avant ce projet de loi, cette part était de 8 %, elle sera de 10 %.
Mme Catherine Procaccia. - 18 % dans certains départements !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - Vous saisirez le Conseil constitutionnel et nous verrons.
Mme Catherine Procaccia. - Nous n'y manquerons pas !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - De plus, il ne faut pas que le nombre des grands électeurs non élus soit majoritaire dans un département. Nous en sommes encore bien loin.
Quant aux 41 départements qui élisent deux sénateurs, je vous rappelle que 17 sont entièrement à gauche, 15 entièrement à droite et 9 partagés entre droite et gauche... (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Manuel Valls, ministre. - Rien ne justifie un renvoi en commission. C'est de bonne guerre, comme l'a dit M. Hyest, encore faudrait-il que vos arguments soient solides.
M. Charles Revet. - Ils le sont !
M. Manuel Valls, ministre. - Un débat sur le bicamérisme ? Mais il ne justifie pas une représentation différente des territoires. M. Richard a rappelé en commission des lois qu'un important travail avait été effectué pour améliorer la représentativité des collectivités locales. C'est vrai pour les élections cantonales, pour le Conseil de Paris, même si nous n'avons pas été jusqu'au bout. Grâce au Conseil constitutionnel, que certains ne souhaitaient pas saisir, nous approfondirons notre réflexion et notre texte. Soyez prudent, si vous saisissez le Conseil constitutionnel, monsieur Bas !
Nul besoin de rappeler en permanence le nom de M. Jospin ! Des propositions ont été faites, toutes ne sont pas prises en compte, ce fut le cas de la commission Balladur. Ce que nous proposons l'a été il y a treize ans et le Conseil constitutionnel n'a rien dit à propos des départements à trois sénateurs. Pour le reste nous modifions à la marge la représentation des départements et des collectivités locales qui reste affirmée. Ne craignez donc rien. Les modes de scrutin ne changent pas les résultats. Si vous voulez débattre du bicamérisme, parlez-en à M. Copé, qui se fera un plaisir d'organiser un colloque ! (Rires à gauche)
Jamais depuis 2012 le Sénat n'a joué un tel rôle dans notre vie politique. (Applaudissements sur les bancs socialistes) et parfois aux dépens du Gouvernement. J'apprends beaucoup au contact de M. Mézard, de Mme Assassi ou de Mme Lipietz et je n'ignore pas la rugosité de M. Rebsamen (Sourires) Le Sénat compte pleinement dans la République, alors arrêtez de vous faire peur ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
À la demande du groupe socialiste, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 345 |
Pour l'adoption | 167 |
Contre | 178 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. - Nous poursuivrons la discussion de ce projet mardi prochain à 14 h 30.
La séance est suspendue à midi quarante-cinq.
présidence de M. Charles Guené,vice-président
La séance reprend à 15 heures.