Zone des cinquante pas géométriques
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques.
Discussion générale
M. Serge Larcher, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires économiques . - « Le Gouvernement a enfin décidé de résoudre la trop vieille question des cinquante pas géométriques aux Antilles». Ainsi s'exprimait mon grand-oncle, Marius Larcher, avocat général à la retraite, dans un ouvrage intitulé La solution définitive de la question des cinquante pas géométriques aux Antilles, publié en janvier... 1949 ! Plus de soixante ans après, nous examinons cette proposition de loi que j'ai déposée le 26 mars avec les membres du groupe socialiste, qui traite de la gestion des cinquante pas géométriques, sujet bien connu dans les Antilles mais encore mystérieux pour les élus métropolitains...
C'est sous l'Ancien Régime qu'a été créée la zone dite des cinquante pas du roi, afin d'assurer la défense des îles ainsi que l'avitaillement et l'entretien des navires. L'édit de Saint-Germain-en-Laye de 1674 l'a intégrée au domaine de la Couronne, la rendant inaliénable et imprescriptible. Un décret de 1790 et une ordonnance de février 1827 ont confirmé cette inaliénabilité.
Dès la fin du XVIIIe siècle, les zones ont pourtant été occupées par des personnes sans titre de propriété, à commencer par les anciens esclaves en quête de terres libres où s'installer. Des autorisations d'occupation révocables, devenues progressivement définitives, ont été accordées au XIXe siècle. Deux décrets du président de la République de 1882 et 1887 ont introduit des exceptions en autorisant sous conditions la délivrance de titres de propriété.
Le décret de juin 1955 a transféré les zones des cinquante pas au domaine privé de l'État et mis fin à l'imprescriptibilité. La loi Littoral de 1986 les a réintégrées dans le domaine public de l'État.
La loi du 30 décembre 1996 visait à apporter une solution à la situation d'occupation sans titre de ces zones ainsi qu'à leur aménagement : délimitation par les préfets des zones urbaines et naturelles, fixation des modalités de cession, aide financière aux acquéreurs de terrains occupés pour édifier leur résidence principale, création d'agences ad hoc pour l'aménagement des zones urbaines.
En un peu plus d'un siècle, quatre textes ont été adoptés, parfois dans des directions contradictoires ; cette frénésie législative s'explique car le sujet est loin d'être anodin : 15 % à 20 % de la population de chacun des départements concernés habitent ces zones. La loi de 1996 a été modifiée à plusieurs reprises, notamment pour modifier la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques. La dernière en date, celle dite Grenelle II, a prévu de la prolonger jusqu'au 1er janvier 2014 et de confier les missions des agences à des établissements publics fonciers d'État ; la date limite de dépôt des dossiers de régularisation a été fixée au 1er janvier 2013. Tel est l'état du droit.
Dix-huit ans après son adoption, le bilan de la loi de 1996 est mitigé. Le processus de régularisation a pris du retard : plus de 6 000 demandes ont été déposées en Guadeloupe pour 700 régularisations effectives. Outre que la population concernée est pauvre, la procédure est longue et complexe. Enfin, nombre de locaux sont situés en zone rouge ; les terrains ne sont ni cessibles ni régularisables.
Le Grenelle II a permis d'accélérer le processus : en Guadeloupe, plus de 57 % des dossiers déposés l'ont été ces trois dernières années, 40 % en Martinique. L'agence de ce dernier département dispose de moyens conséquents d'une véritable expertise.
Cette proposition de loi permet de prolonger la durée de vie des agences jusqu'au 1er janvier 2016 et de repousser la date limite de dépôt des demandes de régularisation au 1er janvier 2015. Ce texte est bienvenu, et même attendu dans les deux départements concernés, mais il ne s'agit que d'un texte de transition.
La création des établissements publics fonciers d'État n'est plus d'actualité. Les collectivités territoriales ont décidé de leur côté de créer des établissements publics fonciers locaux. La disparition des agences au 1er janvier 2014 risquait de provoquer une rupture. Le délai de deux ans doit être mis à profit pour réfléchir à l'avenir des agences, à la gestion de la zone des cinquante pas géométriques, à la mutualisation des différentes structures et à la reconstitution des titres de propriété. Je me réjouis que vous ayez lancé en avril, monsieur le ministre, une mission d'inspection sur le problème du foncier aux Antilles. Le transfert des missions de régularisation des agences aux EPFL est aujourd'hui envisagé, notamment en Guadeloupe.
Enfin, trois observations : si les agences disparaissent, il faudra se préoccuper du sort du personnel ; le transfert de la domanialité aux conseils généraux pourrait être envisagé ; la gestion par l'Office national des forêts des parcelles urbanisées de la forêt domaniale du littoral est parfois un peu brutale...
La commission des affaires économiques a adopté à l'unanimité les articles premier et 2 de la proposition de loi et introduit un article 3 qui porte sur la reconstitution des titres de propriété. L'absence massive de ces titres est un véritable fléau, car ils sont la condition de l'accès au crédit bancaire et du développement économique. Or, de 40 à 60 % du territoire de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion sont concernés...
L'article 35 de la Lodeom s'était inspiré de l'exemple corse ; mais quatre ans après, le GIP prévu n'a pas été créé, faute de décret. Une mission de préfiguration a été lancée en mai 2011, un projet de décret a été soumis au Conseil d'État, qui l'a rejeté. Je salue l'initiative du Gouvernement qui va confier la mission de titrement soit à un GIP, soit aux organismes fonciers existants.
Je vous invite à adopter cette proposition de loi à l'unanimité, comme l'a fait la commission des affaires économiques. (Applaudissements à gauche)