Débat sur la politique européenne de la pêche
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique européenne de la pêche.
M. Jean-Claude Merceron, pour le groupe UDI-UC . - Ce débat intervient après le Conseil européen de la pêche qui s'est tenu le 22 avril. Où en sont les négociations à Bruxelles ? La France a le deuxième espace maritime du monde mais elle n'est qu'au quatrième rang européen pour la pêche, avec 10 % des captures. Ce secteur d'avenir, bien qu'en pleine mutation, représente 80 000 emplois directs et induits en France. Le déficit de la balance commerciale de l'Union européenne a doublé en trente ans ; l'Union importe désormais 65 % des poissons qu'elle consomme. La France a des atouts considérables, mais il faut préserver les stocks.
Depuis de nombreuses années, le Sénat s'est régulièrement penché sur ce dossier. Il a produit de nombreux rapports, notamment à la suite du Livre vert de Bruxelles. Nous avons créé un groupe de travail avec, en juin 2012, une proposition de résolution sur la politique européenne de la pêche, proposition adoptée le 3 juillet 2012 par le Sénat unanime.
Concernant la ressource actuelle, on est passé de 90 % de stock en surpêche à 47 %. Grâce à quoi on a pu autoriser la reprise ou l'accroissement de certaines captures. Le rendement maximal durable (RMD) est un changement d'objectif au regard de la politique commune de la pêche (PCP) de 2002, qui n'avait pour objectif que le maintien des stocks. En 2009, je disais que la surpêche n'était pas la seule cause de la raréfaction de la ressource. Élaborée dans les années 70, la PCP consistait à partager la ressource et son accès. Ensuite, on est passé à la protection. Aujourd'hui, on va encore plus loin.
Le Grenelle de la mer, voulu par M. Borloo en 2009, n'a pas été une réussite en tout point. Il faut toutefois mettre à son actif la gestion de stocks partagés entre plusieurs États membres, la création des comités consultatifs régionaux ainsi que le rapprochement entre scientifiques et professionnels de la pêche pour échanger leurs données sur la ressource.
Pouvez-vous nous confirmer le rendez-vous de fin mai et l'accélération du calendrier voulu par la présidence irlandaise ? La pêche doit être durable, responsable. Les professionnels accepteraient une diminution des rejets, mais pas leur interdiction immédiate. Comment les conserver dans les bateaux ? Au débarquement, se pose la question de la transformation en farines animales. Comment seront considérés les rejets ? Seront-ils intégrés dans les quotas ? Le gouvernement français doit soutenir une interdiction progressive des rejets avec un élargissement du calendrier. Le Parlement européen y est opposé, mais ce zéro absolu est un non-sens économique.
Les bateaux devront être modernisés. Le RMD est un système de gestion à long terme, afin de reconstituer les stocks. Soyons réalistes et pragmatiques.
M. Bruno Retailleau. - Très bien !
M. Jean-Claude Merceron, pour le groupe UDI-UC. - Certaines pêches sont en bonne situation, comme pour le cabillaud ou la sole. Retenir l'année 2020 serait un bon compromis.
L'accès aux données de la production était attendu depuis des années. Quelles sont les orientations pour renforcer le rôle des producteurs ?
J'en viens à la question du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Cet instrument financier doit élargir son champ d'intervention aux questions environnementales. Le Danemark souhaite aller dans cette direction. Est-ce le cas pour la France ?
Les aides à la modernisation de la flotte doivent être maintenues. On a besoin de bateaux fiables et confortables. La modernisation des navires n'entraîne pas la surpêche, bien au contraire.
Pour la gouvernance des pêches, la régionalisation n'a pas su s'imposer. La France compte sept comités consultatifs régionaux. La Commission européenne doit suivre les travaux au niveau régional, pour éviter toute renationalisation aveugle. La Vendée en est une bonne illustration.
M. Bruno Retailleau. - Très bien !
M. Jean-Claude Merceron, pour le groupe UDI-UC. - Scientifiques et professionnels ont su rapprocher leurs points de vue et je m'en félicite. Si les CCR sont le bon niveau pour les décisions, ils doivent bénéficier de l'expertise de l'Ifremer, qu'il faut conforter.
Les spécificités de la pêche ultramarine doivent être prises en compte. Nous devons les protéger, les aider, grâce aux aides européennes. Mayotte doit devenir une région ultrapériphérique de plein exercice au sens de la réglementation européenne. Enfin, la pêche en eaux profondes : quelle est la politique de l'Europe et de la France ?
Il reste à parvenir à un compromis pour redonner confiance à ce secteur fragile. En mars, nous étions ensemble, monsieur le ministre, pour trouver le meilleur apprenti de France. Nous avons distingué un apprenti-pêcheur : ni la France, ni l'Europe ne doivent se désespérer ! (Applaudissements)
M. Bruno Retailleau . - Je remercie M. Merceron et son groupe pour ce débat qui tombe à point nommé. Nous parvenons au terme d'un processus entamé il y a quatre ans avec le Livre vert.
La Commission européenne présente un paquet législatif en trois phases : le règlement de base, le règlement d'organisation commune des marchés (OCM) et le FEAMP. Dans le Livre vert le Sénat avait exprimé des propositions équilibrées. Le 3 juillet 2012, nous avons voté à l'unanimité une proposition de résolution pour conforter le Gouvernement dans ses négociations. Depuis lors, le processus de codécision est en oeuvre entre le Conseil et le Parlement européen. Ce dernier exprime des positions très excessives et les discussions traînent. Le vote en commission pêche n'interviendra sans doute qu'en juillet.
Le premier volet concerne le règlement de base. Sur les concessions de pêche transférables, le danger est écarté mais les propositions étaient vraiment excessives, car cela aurait conduit à la privatisation de la ressource, ce qui aurait été dramatique pour la pêche nationale.
Le Conseil a une approche progressive et le Parlement européen une approche excessive, avec des dépassements de RMD dès 2015. On ne peut partir de la biomasse pour le RMD, ce serait bien trop brutal. Si nous devions appliquer ce dispositif, la France devrait fermer 50 % de ses pêcheries dès 2015.
Autre point d'inquiétude : la question des rejets. La Commission européenne veut que toutes les captures soient débarquées dès 2015 et le Parlement européen voudrait que la règle s'applique à toutes les espèces commercialisables. Nos pêcheurs, mais aussi nos ports et nos bateaux, ne peuvent appliquer cette disposition dans les dix-huit mois. Les collectivités locales devraient en outre payer. Ce serait de plus un encouragement à la filière minotière : est-ce vraiment ce que l'on veut ? En outre, on constituerait ainsi un marché parallèle. Le principe de zéro rejet est bon, mais son application doit être graduelle, le temps d'adapter les bateaux et les techniques de pêche. Enfin, il faudrait une tolérance autour de 10 %.
Quelle sera la position du Gouvernement sur les zones interdites de pêche ? Que penser de la capacité de la flotte voulue par les députés européens ? Le Parlement européen voudrait que les plans de gestion soient de la compétence partagée. Si c'était le cas, où irions-nous ?
Un mot sur le FEAMP : je regrette la baisse de 100 millions des crédits, mais il restera suffisamment d'argent. Cependant, les bateaux doivent être modernisés. Si l'on veut dès 2014, disposer d'une enveloppe, il faut agir très vite. Le Parlement européen devra se prononcer rapidement pour que le trilogue se prononce.
Le fonds prévoit de reconvertir des marins-pêcheurs vers d'autres métiers, cela me choque profondément. D'autant qu'après cela on va recruter des marins venus d'autres pays. Donnons plutôt des perspectives à nos marins-pêcheurs ! Nous devons avoir une vision de développement durable, afin de reconstituer les stocks, mais sans oublier la dimension sociale et économique.
Évitons une vision manichéenne de la pêche : pour sauver les poissons, il faudrait sacrifier les pêcheurs ? Non, d'autant que les prises européennes ne représentent que 5 % des prises mondiales. En outre, seule la moitié des stocks fait l'objet d'une évaluation scientifique.
La pêche, c'est beaucoup plus que la pêche. Nous avons le deuxième domaine maritime du monde ; il rassemble des richesses de tout ordre, aussi bien culturelles qu'en termes d'énergies nouvelles. Nous ne pourrons les faire valoir demain si nous sacrifions nos pêcheurs. (Applaudissements)
Mme Odette Herviaux . - Je salue l'initiative du groupe UDI-UC et les propos techniques de M. Merceron. Nous avons besoin de mobiliser les parlementaires sur ce thème ; je regrette que ce débat n'ait pas attiré plus de sénateurs. S'il y avait une meilleure connaissance du monde des pêcheurs, nous n'en serions pas là.
La commissaire Maria Damanaki m'a dit qu'il était impossible de parler avec les Français : « Je défends, dit-elle, les poissons et vous les pêcheurs ». Un tel point de vue est dramatique ! Les pêcheurs ne sont pas fous et ils ont bien compris qu'il fallait préserver les stocks. Nous devons aller au-delà de la position du Parlement européen. Comme beaucoup, j'ai été déçue par l'attitude du Parlement européen.
M. Bruno Retailleau. - Hélas !
Mme Odette Herviaux. - Encore pires que celle de la Commission européenne, ses propositions sont intenables pour beaucoup de pays européens. Sur divers sujets, notre ministre a fait preuve d'une détermination qui va nous permettre d'aller vers une réforme durable. Mais la Commission européenne a ignoré les efforts faits par les professionnels de la mer et les scientifiques, ce qui est fort regrettable. Je me félicite que les eurodéputés socialistes français aient voté contre le Règlement général de la politique commune de la pêche. Nous voulons continuer à porter une ambition forte pour la pêche en France et en Europe, qui concilie l'attractivité économique de nos littoraux, l'emploi et les droits sociaux des gens de mer, une préservation des milieux et des ressources ainsi que le respect de la diversité des pratiques de pêche.
Nous approuvons le principe du RMD, mais il ne sera accepté que si les observations sont fiables, objectives et débattues avec les pêcheurs.
Une interdiction totale et brutale des rejets ne fera que déplacer le problème à quai ; on va créer une filière parallèle de farines animales et déstabiliser la chaîne alimentaire. L'Union européenne ne doit pas porter un coût d'arrêt aux pêcheries, alors qu'elle importe déjà 65 % des produits marins qu'elle consomme. Le débarquement obligatoire de tous les rejets va détruire nos entreprises de pêche et tous les emplois directs et induits. Et comment concilier l'absence de rejet avec la sécurité de nos navires et celle des marins-pêcheurs.
Comme pour le RMD, nous réclamons une mise en oeuvre progressive qui associe les professionnels de la mer. Basées sur des calendriers réalistes et respectueux des pêcheries, les propositions du Conseil nous satisfont davantage que celles du Parlement.
Nous restons aussi attentifs à la proposition de la Commission de supprimer en deux ans les chaluts de fond et les filets maillants de fond. Encore un coup de massue contre la filière, alors que cette pratique est bien encadrée. Grâce à une réduction de moitié de l'effort de pêche, on assiste à une reconstitution des stocks de lingue bleue, de sabre noir et de grenadier.
Cette réforme durable a besoin de l'adhésion des pêcheurs. Nous apportons notre soutien plein et entier au ministre de la pêche pour une appréciation réellement durable de la politique commune de la pêche, sur la base de trois piliers écologique, économique et social. Je compte sur son action lors du Conseil des 14 et 15 mai. Le montagnard que vous êtes monsieur le ministre, sait du moins ce que signifie une défense équilibrée du développement durable. (Applaudissements au centre)
M. Éric Bocquet . - En juillet 2011, la Commission européenne a engagé la réforme de la pêche et a dressé un bilan juste de la situation, mais il nous reste à définir une autre politique prenant en compte les enjeux sociaux. Il est urgent d'harmoniser par le haut le statut des travailleurs.
Si un consensus se dégage sur une pêche durable, la méthode ne fait pas l'unanimité, notamment en ce qui concerne le RMD. Même opposition sur les rejets zéro.
Dès juillet 2012, le Sénat s'est saisi de cette question. Le Parlement européen a fait part de ses propositions et un comité de conciliation a été chargé d'aboutir à des solutions partagées. Les négociations à huis clos ne laissent que peu de place à la défense de nos principes.
Le système de droit transférable ne sera pas retenu et c'est heureux, car il aurait abouti à une privatisation et à une concentration de ce secteur. Le « zéro rejet » fait courir un risque considérable à nos pêcheries. Une phase de transition est absolument indispensable. Les instruments de pêche devraient être plus performants. M. Le Cam avait fait des propositions en ce sens.
MM. Jean-Claude Merceron et Bruno Retailleau. - Elles étaient positives.
M. Éric Bocquet. - Les associations caritatives devraient bénéficier des rejets débarqués. Les accidents du travail en mer sont nombreux. La concurrence déloyale doit cesser. Les syndicats de pêcheurs font des propositions simples et de bon sens. L'Europe ne peut pas faire supporter sa politique par la filière. Elle doit aider les pêcheurs et participer à la modernisation de la flotte.
Quelle sera la part du fonds commun attribuée à la France ? Il nous semble difficile de nous prononcer alors que tant d'incertitudes demeurent. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Claude Requier . - Comme dit la chanson : « Tous les ruisseaux vont à la mer / Quand on s'endort en y pensant / On entend gronder l'océan ... ». (« Bravo ! » et applaudissements)
La pêche est un secteur déterminant pour la vie de nos littoraux, elle fait partie de nos traditions. Nous devons la défendre contre tous ceux, notamment la Commission européenne, qui considèrent que les pêcheurs sont des pilleurs. Or ils ont intérêt à la protection de la ressource, ils sont porteurs de savoir-faire, de solutions pour une pêche durable. Pour restaurer la confiance, amis écologistes, fallait-il multiplier les communiqués triomphants après les décisions du Parlement européen ? Il n'y a pas d'un côté les amis des poissons et de l'autre ceux des pêcheurs !
La généralisation des concessions de pêche transférables a fait la quasi-unanimité contre elle. Sur la mise en oeuvre du RMD, la position du Parlement européen paraît irréaliste et méconnaît la diversité des situations. En Méditerranée, la collecte de données fiables est déjà compromise ! Et que dire de l'interdiction des rejets en mer ! L'effort aurait dû porter sur la sélectivité ; l'objectif zéro déchet va alimenter la filière des farines animales que la France rejette... Il eût été plus réaliste d'être plus progressif.
M. Bruno Retailleau. - Très bien !
M. Jean-Claude Requier. - La gestion régionalisée du FEAMP va dans le bon sens. Il doit accompagner la mutation vers une pêche plus durable, l'installation des jeunes et le renouvellement d'une flotte vétuste.
« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » proclame Baudelaire. Les marins la chérissent, mais ils sont de moins en moins libres. Je ne doute pas que le Gouvernement fera preuve de pragmatisme pour relever les défis de la politique européenne de la pêche. (Applaudissements)
M. André Gattolin . - La réforme de la politique commune de la pêche est, si j'ose dire, un serpent de mer. Elle soulève des enjeux considérables. Nous nous approchons toutefois de la conclusion. Notre position est connue, même si elle est parfois caricaturée ; elle s'explique par un chiffre : en Europe 88 % des stocks de poissons sont surexploités. L'ancienne politique commune de la pêche a échoué, mettant en péril la biodiversité, l'alimentation mondiale et les pêcheurs eux-mêmes. Il faut changer radicalement de cap, pour aller, avec tous les pêcheurs, gros et petits, vers une gestion durable de la ressource. Nous devons définir des critères d'accès aux droits de pêche fondés sur une économie de la ressource ; mettre en place des plans de gestion à long terme, ce qui implique la collecte de données scientifiques ; gérer de façon décentralisée la politique et les moyens. C'est à la pêche artisanale que doit être donnée une priorité. Les concessions de pêche transférables que la Commission prétendait imposer auraient concentré les droits de pêche au profit de quelques-uns, au détriment de celle-ci. Nous nous félicitons que le Parlement l'ait rejeté, monsieur le ministre, j'espère que la France veillera à ce que cette avancée ne soit pas remise en cause.
L'interdiction des rejets en mer oblige les pêcheurs à rapporter à terre toutes les quantités qui ne correspondent pas aux critères de taille ou d'espèce et bien souvent ne survivent pas. Nous avons sur ce point un désaccord avec le Gouvernement. Nous souhaiterions même aller plus loin en déduisant tous les poissons débarqués des quotas. L'aide à la modernisation et à la recherche nécessite des moyens conséquents. Mais le manque de moyens du nouveau fonds est patent. Aidons les pêcheurs à moderniser leur flotte. Monsieur le ministre, où en sont les discussions budgétaires entre le Conseil et le Parlement européen ?
Une politique adaptée aux enjeux est une espèce précieuse. N'y renonçons pas ! Faisons en sorte que l'Europe, les pêcheurs et les citoyens ne reviennent pas bredouille d'une quête qui n'a que trop duré ! (Applaudissements sur les bancs écologistes)
M. Marcel-Pierre Cléach . - Je suis très heureux, monsieur le ministre, de vous retrouver au banc du Gouvernement. La pêche est aussi ancienne que l'humanité. Elle représente 20 % de l'apport en protéines animales de l'alimentation mondiale. Or sur notre planète, couverte à 80 % d'océans, l'homme a atteint la limite de leur exploitation. Si la question de la gestion de la pêche est mondiale, elle est aussi française et européenne. Les données scientifiques jouent un rôle crucial. La pêche fut longtemps une activité sans frein, ce n'est plus le cas désormais. Mange tes méduses dit un ouvrage récent, qui pointe le non-renouvellement des réserves halieutiques. En mer du Japon et en Méditerranée, 92 % des espèces sont surexploités. La survie du thon rouge n'est due qu'à l'application rigoureuse des limitations de captures imposées par la Commission européenne.
La PCP n'a pas donné les résultats escomptés. La Cour européenne regrette la faiblesse de la fixation des objectifs pour l'Espagne, la Pologne, le Royaume-Uni notamment. Elle pointe l'équipement des navires, la faiblesse des programmes de déclassement et souligne que la surcapacité de la pêche européenne est l'une des causes de l'échec de la PCP. Une gestion durable est indispensable, qui équilibre la flotte avec la ressource et utilise les moyens de façon plus sélective, plus sûre et mieux encadrée.
Les difficultés de la pêche française sont connues : sa spécialisation chalutière l'expose en particulier à la hausse du coût de l'énergie. Les pêcheurs, qui ont constaté le dynamisme des populations de cabillaud en Atlantique nord-est, sont peu enclins à accepter certaines décisions...
Rien ne serait pire qu'une contestation systématique ou qu'une politique d'atermoiements. Des décisions courageuses mais nécessaires à la survie de nos pêcheries doivent être prises. Les députés européens ont voté le principe de ne plus outrepasser les quotas, de respecter le RMD et d'interdire les rejets. Le Gouvernement et les parlementaires européens français de l'UMP et socialistes ont rejeté ces décisions. La nécessité d'une coopération entre scientifiques et professionnels figurait déjà dans le rapport que j'avais rédigé en 2008 pour l'OPESCT, titré Marée amère. La position française, constante, rassemble les professionnels, les parlementaires et les ministres successifs. Est-ce vraiment rendre service au monde de la pêche que d'ignorer la réalité et de gagner du temps ? Je ne le crois pas. Une gestion rigoureuse doit permettre l'atteinte des objectifs fixés.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - Bien sûr !
M. Marcel-Pierre Cléach. - La baisse de la pression de pêche doit être poursuivie dans la durée car les pêcheries sont fragiles dans le monde entier. Il y a urgence. Dans l'est canadien, le hareng et la morue ont disparu. En Namibie, on pêchait 1,5 million de tonnes de sardines en 1960, lors de la campagne d'évaluation de 2007 on n'en a pêché que... deux.
M. Jean Desessard. - C'est significatif !
M. Marcel-Pierre Cléach. - Oui, hélas ! Des crises traversent la profession. Mais seule une politique de vérité et de long terme permettra la restauration des stocks et la renaissance économique et sociale du secteur. Je souhaite que nous trouvions le chemin de la négociation et des adaptations nécessaires pour sauver le métier et permettre à tous les acteurs de la pêche d'envisager un avenir commun. (Applaudissements)
Mme Frédérique Espagnac . - La pêche artisanale française connaît des difficultés, c'est vrai aussi dans les Pyrénées atlantiques. Le Parlement européen a donné en février sa vision de la réforme de la PCP ; en matière de gouvernance, il a plaidé pour une approche décentralisée et l'association de toutes les parties prenantes au processus de décision. Nos collègues socialistes au Parlement européen, notamment notre collègue Isabelle Thomas, que je salue pour le travail qu'elle mène pour la préservation de la pêche artisanale, ont proposé d'ajouter une classification des micro-entreprises et PME, ainsi que le critère du patron « embarqué ».
Plusieurs instruments doivent être articulés, pour mettre en oeuvre une véritable gestion durable et de proximité des pêcheries. Tous les dispositifs devront être accessibles au plus grand nombre. Les mécanismes d'appui doivent être opérationnels rapidement dans les situations d'urgence.
Il est temps de placer les acteurs d'une pêche artisanale, durable et à faible impact au coeur de la PCP. Accordons le droit de pêcher à ceux qui ont les pratiques les plus durables ! (Applaudissements)
M. Maurice Antiste . - Ce débat est l'occasion de rappeler l'extrême importance de ce secteur, en particulier dans les départements d'outre-mer. La France doit à sa diversité géographique d'avoir la deuxième surface maritime du monde.
Nos marins-pêcheurs traditionnels sont parfois en difficulté face à la réglementation communautaire. Il n'est pas question de revenir sur les objectifs de la PCP, belle synthèse entre la nécessité de préserver les ressources halieutiques et les outils de travail des pêcheurs.
Le cadre européen est inadapté aux régions ultrapériphériques (RUP). La réglementation relative au temps de travail et la gestion fluctuante et inadaptée du fonds d'aide à la construction navale sont particulièrement pénalisantes pour les petits pêcheurs. En matière de temps de travail, les différents niveaux de règlementation atteignent une telle complexité qu'il est impossible de s'y retrouver. Je compte sur votre aide, monsieur le ministre, pour simplifier. Le difficile accès au crédit bancaire, les dégâts du chlordécone restent des handicaps. La plupart de nos bateaux de pêche mesurent plus de 7 mètres.
Dans nos îles, la pêche est un atout qui doit être valorisé, car elle est naturellement sélective et durable.
La réforme de la politique commune de la pêche et le futur FEAMP sont l'occasion d'adapter la réglementation aux spécificités de nos outre-mer - c'est d'ailleurs ce que disait le rapport de la Commission de 2008, « Les Rup, un atout pour l'Europe ». Il est nécessaire de s'en souvenir. Dans le cadre de la délégation à l'outre-mer, j'ai été coauteur d'une proposition de résolution sur le sujet, devenue résolution du Sénat le 3 juillet 2012.
Monsieur le ministre, il faut restaurer l'aide à la construction des navires et à l'investissement à bord, retrouver des financements publics. Pour cela, il importe de mettre à profit les instruments communautaires. Les pêcheurs de nos régions ont besoin de vous, l'Europe est sourde depuis trop longtemps à leurs cris ! Je compte sur vous et vous remercie, en restant à votre disposition pour la suite du combat. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)
Mme Laurence Rossignol . - Je suis le porte-voix du lobby des poissons, peu bruyants et peu actifs devant les sous-préfectures. (Sourires) Je ne crois pas que le monde des pêcheurs soit a priori porté à veiller à la reproduction de la ressource, de même que les agriculteurs ne protègent pas spontanément les nappes phréatiques...
Nous sommes là pour réguler, dans un monde où la surpêche est le corollaire de la surconsommation ; nous consommons trop de poissons. Respectivement 80 % et 47 % des stocks halieutiques en Méditerranée et en Atlantique du nord-est sont menacés par la surpêche.
Le taux de subvention à l'activité de pêche est très élevé, de loin supérieur à celui de l'agriculture - 80% et 6 000 euros par emploi en moyenne. Subventions qui vont pour l'essentiel à la pêche industrielle et semi-industrielle. À un tel niveau, il faut penser accompagnement et transition, comme le fait Stéphane le Foll pour l'agriculture biologique.
Nous n'avons rien à perdre à soutenir la position du Parlement européen, qui vise la reconstitution des stocks à l'horizon 2020. Je ne comprends pas cette crispation sur les rejets.
Mme Odette Herviaux. - Il faut aller sur les bateaux !
Mme Laurence Rossignol. - Je suis légitime à m'exprimer, même si je ne suis pas pêcheur ! Un quart de ce qui est prélevé est rejeté. Les scientifiques évaluent ; l'interdiction est nécessaire, pour autant que nous ayons un débat transparent.
L'Union européenne, par souci d'équité avec les nouveaux entrants, a autorisé et contribué au développement de l'aquaculture. Quant à la pêche profonde, elle a, en six ans, épuisé 80 % des ressources en eau profonde de la zone Atlantique nord-est. Nous serions bien inspirés de soutenir les recommandations de l'ONU. Le scepticisme sur la réalité des travaux scientifiques n'est pas le meilleur service que l'on puisse rendre à cette activité si l'on veut la rendre durable. Tout cela me rappelle les retards que la planète a pris pour avoir cédé longtemps au climato-scepticisme. (MM. André Gattolin, Marcel-Pierre Cléach et Serge Larcher applaudissent)
M. Serge Larcher . - La pêche constitue une activité essentielle dans l'ensemble des outre-mer, y compris en Guyane, seul territoire non insulaire en leur sein. Pêche coutumière, pêche côtière, hauturière : les situations sont diverses et fort différentes des pêches européennes, auxquelles on ne peut les assimiler. Nous avons le plus grand mal à faire admettre cette réalité à Bruxelles. Notre délégation à l'outre-mer a pris l'initiative d'une résolution européenne en mai 2012, confiée à nos deux excellents rapporteurs, MM. Antiste et Revet. Qu'en est-il advenu ? Il semble que la Commission européenne, tout en faisant quelques concessions de principe, refuse obstinément l'insertion dans le Règlement de base de l'article 349, socle juridique de la spécificité de l'outre-mer. La France propose, non sans ambition, la constitution d'un comité propre aux RUP. Comme il n'existe pas, outre-mer, d'évaluation fiable de la ressource, l'appel à la modernisation des équipements reste une pétition de principe.
Le retard du processus de révision du Règlement FEAMP nous préoccupe. La France ne pourrait-elle demander une enveloppe dédiée à la zone de convergence, assortie de conditions assouplies et de mécanismes d'avance de fonds ? La rumeur enfle d'une modification en profondeur du Posei agricole, qui fragiliserait la position française. Avec le cadre des aides de minimis, la pêche artisanale sera mise en difficulté.
Monsieur le ministre, nous avons conscience de la difficulté de votre tâche, nous comptons tous sur votre vigilance, votre pugnacité pour défendre ces activités riches de sens et de lien social outre-mer. (Applaudissements)
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes . - Je vous prie d'excuser M. Cuvillier, qui accompagne le président de la République en Chine. Vous connaissez son intérêt pour la pêche et la mer. Je l'ai croisé la semaine dernière à Luxembourg à l'occasion du Conseil consacré à la réforme de la PCP. Mon portefeuille me rend légitime pour porter sa parole dans ce débat. L'intérêt du Sénat pour ce sujet est connu.
Vous aviez constitué un groupe de travail il y a un an, regroupant des sénateurs et sénatrices de sensibilité diverses, qui a abouti à deux résolutions européennes du Sénat, adoptées à l'unanimité, l'une sur la réforme de la PCP, l'autre sur son incidence pour la pêche ultramarine.
La pêche est une activité économique importante et structurante pour notre littoral : plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires, plus de 90 000 emplois directs et induits et 680 millions pour l'aquaculture. Ce constat nous oblige, la France doit promouvoir des objectifs fondés sur le développement durable. La PCP doit permettre le maintien d'un taux d'emploi élevé. La France défend le droit social des marins-pêcheurs et la sécurité au sein des navires chère à M. Bocquet.
Dès sa nomination, le Gouvernement s'est mobilisé sur ce dossier. La PCP est très intégrée au niveau européen. Frédéric Cuvillier est particulièrement conscient des enjeux : il a participé à huit conseils « pêche », dont quatre n'ont abouti qu'à l'aube après de longues nuits de négociation. Pour la première fois, des textes importants dans ce domaine seront adoptés en codécision entre le Conseil des ministres et le Parlement européen. Si les objectifs nous rassemblent, il y a parfois des divergences dans leur mise en oeuvre. Nous sommes prêts à soutenir une accélération du calendrier, mais la forme ne doit pas primer sur le fond. Nous avons nos lignes rouges.
Le texte le plus avancé est le règlement OCM, un accord est proche sur les principaux points - renforcement des organisations de producteurs, reconnaissance des interprofessions, amélioration des informations aux consommateurs... La discussion se poursuit sur l'étiquetage ; la France n'est pas favorable à l'inclusion de la date de capture parmi les informations communiquées au consommateur. Les négociations sont plus longues et plus difficiles sur le règlement de base de la PCP.
La position du Conseil a été prise en juin dernier et fait droit aux demandes de la France. Sur le RMD, la position du Conseil est équilibrée : il sera atteint progressivement, entre 2015 et 2020, afin de tenir compte des impacts sociaux et économiques. Nous devons en effet prendre en compte la situation des pêcheries en France, qui sont le plus souvent mixtes. La transition se fera en souplesse.
J'indique à M. Gattolin que, selon la Commission, pour la surexploitation des stocks en Atlantique nord-est, nous sommes revenus de 75 % à 47 %. Nous sommes donc sur la bonne voie. Le rapprochement entre scientifiques et pêcheurs a été utile. Les travaux de l'Ifremer y ont contribué.
Le Parlement européen voudrait un règlement plus contraignant, mais il s'agit pour nous d'une ligne rouge, et M. Cuvillier l'a redit lundi à Luxembourg. Nous sommes opposés à un système de concession de droit de pêche transférable, incompatible avec notre organisation, qui entraînerait la privatisation du droit d'accès, et favoriserait la spéculation et la concentration du secteur au détriment des artisans.
Nous avons obtenu que chaque État membre pourra définir son système, conformément au principe de subsidiarité. Nous sommes donc optimistes. Nous sommes favorables à la régionalisation, pour tenir compte de l'opinion des pêcheurs qui connaissent le terrain. Une approche par grandes aires géographiques est néanmoins indispensable, même s'il faut éviter une renationalisation de la politique de la pêche. Un compromis acceptable est en vue.
Nous sommes favorables au renforcement des conseils consultatifs régionaux.
MM. Antiste et Serge Larcher sont intervenus sur l'outre-mer. MM. Cuvillier et Lurel ont défendu une meilleure prise en compte de l'outre-mer à Bruxelles. Nous avons obtenu la mise en place d'un conseil consultatif spécifique pour la pêche ultramarine et le Parlement européen soutient cette mesure. À la demande de la France, le Conseil européen souhaite que la protection des 100 milles nautiques réservée aux régions ultrapériphériques de l'Espagne et du Portugal soit étendue aux RUP françaises. Le Parlement européen ne soutient pas cette proposition, mais nous espérons que grâce à l'appui de la Commission, la raison l'emportera.
Nous voulons que les Antilles et la Guyane bénéficient du Posei pêche. Ce n'est pas chose faite, mais nous y travaillons. N'hésitez pas à saisir les parlementaires européens de cette question.
À propos de l'interdiction des rejets de poissons en mer la France s'est inquiétée d'une approche radicale. Le « zéro rejet » pose des problèmes pour l'aménagement et la sécurité des navires et pour la gestion des prises. Seule une approche réaliste permettra à la filière de s'adapter. Le Conseil accepte cette souplesse mais une majorité des États membres est favorable au principe de l'interdiction des rejets de poissons sous quotas. Cette mesure sera étalée dans le temps, jusqu'à 2018 ou 2019 selon les zones.
Le Parlement européen est beaucoup plus radical. Il veut interdire tous les rejets en mer, rapidement et avec peu de souplesse. Un compromis est donc nécessaire : il faut une approche comprise par les pêcheurs pour que la réforme soit un succès.
La présidence irlandaise veut conclure d'ici le 30 juin. La France est prête à accepter les propositions faites, sous réserve de ne pas franchir les lignes rouges.
Sur le FEAMP, le calendrier est contraint. Le futur fonds devra soutenir la modernisation des navires, réduire l'impact environnemental de la flotte, aider à la remotorisation des bateaux et à l'ajustement des capacités.
L'accompagnement du secteur permettra de relever les défis de la politique commune de la pêche. Cet instrument financier doit soutenir les organisations de producteurs et les entreprises de commercialisation, contribuer au traitement des rejets à terre et à la collecte des données.
L'enveloppe globale se monte à environ 6 milliards, en légère diminution. Le maintien de la ligne est déjà une victoire. Les négociations sont ardues, et durent depuis onze mois.
Frédéric Cuvillier est mobilisé pour faire prévaloir les intérêts de la pêche française.
Ses bonnes relations avec Mme Damanaki ont un effet facilitant. Nous comptons sur tous les députés européens mais aussi sur vous tous pour que notre pêche soit durable et responsable, créateur de richesses, et participe à un développement équilibré de nos territoires, en France et en Europe. (Applaudissements)
Le débat est clos.
Prochaine séance mardi 14 mai 2013, à 14 h 30.
La séance est levée à 18 h 30.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du mardi 14 mai 2013
Séance publique
de 14 h 30 à 18 h 30
1. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi
Rapport de M. Claude Jeannerot, rapporteur pour le Sénat (n° 530, 2012-2013)
Texte de la commission (n° 531, 2012-2013)
2. Projet de loi relatif à l'élection des sénateurs (n° 377, 2012-2013)
Rapport de M. Philippe Kaltenbach, fait au nom de la commission des lois (n° 538, 2012-2013)
Résultat des travaux de la commission (n° 539, 2012-2013)