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Table des matières
Question prioritaire de constitutionnalité
Commissions (Démissions et candidatures)
Mission commune d'information et commission d'enquête(Désignations)
Débat sur le programme de stabilité
M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances
M. Philippe Marini, président de la commission des finances
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué
Mission commune d'information et commission d'enquête(Nominations)
Engagement de procédure accélérée
Débat sur l'immigration étudiante et professionnelle
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche
Mme Bariza Khiari, pour le groupe socialiste
Mme Geneviève Fioraso, ministre
SÉANCE
du mercredi 24 avril 2013
95e séance de la session ordinaire 2012-2013
présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaire : M. Jacques Gillot.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Question prioritaire de constitutionnalité
M. le président. - M. le Président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 24 avril 2013, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 135-1 du code de l'action sociale et des familles. Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Renvoi pour avis
M. le président. - Le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dont la commission des lois est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à leur demande, à la commission des affaires économiques, à la commission du développement durable, compétente en matière d'impact environnemental de la politique énergétique, et à la commission des finances.
Commissions (Démissions et candidatures)
M. le président. - J'ai reçu avis de la démission de M. Gaëtan Gorce, comme membre de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, et de M. Yvon Collin, comme membre de la mission commune d'information sur l'action extérieure de la France en matière de recherche et de développement.
Le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois en remplacement de M. Gaëtan Gorce, démissionnaire, et le groupe du RDSE a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la mission commune d'information sur l'action extérieure de la France en matière de recherche et de développement en remplacement de M. Yvon Collin, démissionnaire.
Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du Règlement.
Mission commune d'information et commission d'enquête(Désignations)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la désignation des 27 membres de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République, créée à l'initiative du groupe UMP en application de son droit de tirage, et des 21 membres de la commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre, créée à l'initiative du groupe CRC, en application de son droit de tirage.
En application de l'article 8, alinéas 3 à 11, et de l'article 11 de notre Règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été affichées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.
Rappel au Règlement
M. Vincent Delahaye . - La déclaration du Gouvernement qui va venir et qui a été soumise au vote à l'Assemblée nationale ne sera pas votée par le Sénat. Or, elle sera déterminante dans nos travaux de l'automne sur le projet de loi de finances. En refusant de nous faire voter, on préempte notre débat et on contrevient à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances. C'est aussi une marque de défiance à notre égard.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Tout à fait d'accord !
M. Vincent Delahaye. - M. Ayrault s'était pourtant engagé à respecter les droits du Parlement et à faire profit des travaux de notre Haute assemblée. Soit le Gouvernement estime que cette déclaration n'est pas importante, soit elle l'est et le Premier ministre ne respecte pas son engagement. Vous démontrez ainsi que vous ne respectez pas le Parlement. Le programme, en outre, est peu crédible, du fait que vous ne le soumettez pas à notre vote. Il ne respecte pas l'avis du Haut conseil que nous avons créé ces derniers mois, qui coûte 780 000 euros pour rien.
Pour toutes ces raisons, je souhaite que ce programme de stabilité, qui est important, soit soumis au vote du Sénat.
M. le président. - Acte est donné de votre rappel au Règlement.
Débat sur le programme de stabilité
M. le président. - L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le projet de programme de stabilité.
M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances . - La priorité, c'est un recul durable du chômage. Toute notre politique est tournée vers cet objectif. Le Gouvernement comme la majorité doivent répondre à deux questions. Comment redresser nos comptes sans étouffer la croissance ? Quelles réformes mener pour susciter activement la reprise de l'activité ?
C'est l'objet du premier programme de réforme que nous vous présentons et qui décrit la stratégie du Gouvernement. La procédure n'est donc pas celle d'une loi de finances, elle n'appelle pas à vote dans la même forme. Cependant, ce texte a une grande portée symbolique et politique. Il sera transmis à la Commission européenne, laquelle fera des recommandations, puis il sera adopté par l'Ecofin en juin.
Ce programme s'inscrit dans un contexte difficile. L'héritage est lourd à assumer. Nous sommes en responsabilité, c'est nous qui serons jugés sur les résultats. Or nous subissons les conséquences lourdes de la situation que nous avons trouvée.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous aggravez les choses !
M. Pierre Moscovici, ministre. - Vous avez aggravé le déficit de 600 milliards et il aurait encore été de 5,8 % en 2012 si nous n'y avions mis bon ordre. De 2007 à 2012, la croissance aura été nulle en moyenne, le nombre de chômeurs s'est accru de 1 million ; depuis dix ans, 750 000 emplois ont été détruits dans l'industrie.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Et ça continue !
M. Pierre Moscovici, ministre. - En 2002, le France était en excédent commercial et l'Allemagne était l'homme malade de l'Europe.
Si la crise de la zone euro est derrière nous, persiste une crise sans précédent dans la zone euro. Une deuxième année de récession guette et M. Barroso a bien dit qu'il fallait réviser la politique économique européenne.
Peut-on redresser l'économie sans redresser les finances publiques ? Une économie qui s'endette s'affaiblit, elle perd de sa souveraineté. Il ne faut pas être dogmatique, rigide, mais vigilant et responsable pour trouver un rythme de redressement de nos comptes publics qui ne casse pas toute croissance. La semaine dernière, j'étais au G 20 et j'ai noté une convergence très forte sur la croissance, l'emploi et sur l'amélioration des finances publiques. La priorité est à la croissance, à des réformes de structures indispensables, mais l'austérité n'est pas la solution.
Nos prévisions sont identiques pour 2013 et 2014 à celles de la Commission européenne. Ensuite, l'économie française reprendra un rythme de croissance plus élevé, à 2 % par an. Le Haut conseil des finances publiques...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - ...qui ne sert à rien, n'étant pas écouté.
M. Pierre Moscovici, ministre. - ...a rendu son avis. Il estime que la croissance est menacée par certains aléas (Mme Nathalie Goulet s'exclame) qui peuvent toutefois jouer aussi bien à la hausse qu'à la baisse. Nous ne voulons pas être pessimistes, ce serait faire preuve d'une défiance à l'endroit de notre économie, que rien ne justifie. L'Europe va progressivement redémarrer, les décisions du pacte de croissance vont produire leurs effets.
Les réformes que nous menons en France vont porter leurs fruits. La compétitivité est notre priorité, avec diverses mesures fiscales qui encouragent l'innovation : la BPI a été créée, la loi bancaire a été adoptée. En 2013, nous ferons des réformes majeures en matière économique et nous présenterons un projet de loi sur la consommation pour lutter contre les rentes injustifiées.
Le Gouvernement prépare l'avenir en encourageant les investissements, tant en matière de recherche que de logement ou dans le numérique. Nous allons amplifier la productivité grâce à une grande réforme de la formation professionnelle. Nous avons réformé le marché du travail avec l'accord national interprofessionnel, qui est perçu à l'étranger comme un signe majeur de réforme en France.
Ces réformes, qui permettent d'envisager une réduction des déficits publics, ont été approuvées à l'Assemblée nationale. (Exclamations à droite)
M. Jean-Claude Lenoir. - Pourquoi le Sénat ne vote-t-il pas ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'est qu'il n'y a pas de majorité...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Le Sénat veut s'exprimer par un vote !
M. Pierre Moscovici, ministre. - Nous devons trouver un bon équilibre dans le rétablissement de nos comptes. En 2013, il ne faut pas casser la croissance ; en 2014, nous ferons des économies de dépenses et, en 2015, nous poursuivrons l'effort. Notre politique est sérieuse et juste. Pour 2013, nous voulons éviter d'ajouter la crise à la crise en présentant un nouveau collectif budgétaire qui précipiterait l'économie française dans la récession. Les moteurs de la croissance doivent être soutenus.
Cette politique équilibrée garde le cap budgétaire. En 2014, nous réduirons le déficit à 2,9 %, afin de respecter nos engagements européens : 2014 sera une date charnière. (Exclamations à droite) Nous voulons préserver les priorités sociales et l'éducation, dont ont besoin les Français.
Notre ambition s'inscrit dans la durée...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'est mal parti.
M. Pierre Moscovici, ministre. - ...en gardant à l'esprit la justice sociale et la priorité à la jeunesse. Tout cela prendra du temps mais nous creusons notre sillon et la France pèsera davantage sur l'Union européenne.
Ne croyons pas que nous sommes plus forts en Europe si nous laissons faire. Ces choix sont sérieux, responsables, ambitieux, réalistes.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous cherchez à gagner du temps.
M. Pierre Moscovici, ministre. - Et j'attends du Sénat qu'il soutienne cette politique. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)
M. François Zocchetto. - Bel enthousiasme sur les rangs de la majorité.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ça ne va pas durer.
M. Alain Bertrand. Il y a un cap !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Faites-vous plaisir.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget . - Je vais vous présenter le programme de stabilité sur lequel nous allons nous engager devant la Commission européenne.
Depuis mai dernier, la situation des dépenses a-t-elle évolué ? La trajectoire s'est-elle améliorée ? Y a-t-il une volonté de procéder à des ajustements budgétaires par une augmentation systématique de l'impôt ? Comment a évolué la pression fiscale ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Bonne question !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Quelle est notre stratégie en matière de dépenses ? Quel est l'impact de la politique budgétaire sur la croissance ?
Le Haut conseil des finances publiques s'est prononcé sur les hypothèses de croissance.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - On ferait mieux de le supprimer.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Ce devrait être 1,2 % en 2014 et 2 % ensuite. Cela suppose que nous continuions à être volontaristes pour chercher la croissance. Volontarisme, dis-je, qui n'est pas le simple optimisme que l'on nous reproche.
La première loi de finances pour 2012, préparée par la précédente majorité, tablait sur 1,75 % de croissance. Tout le monde estimait que c'était optimiste. Quelques semaines plus tard, nous étions à 1 %. Le collectif suivant a tablé sur 0,5 %.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'était transparent ! Vous, vous faites l'autruche.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - C'était surtout beaucoup d'approximation, une navigation à vue.
C'est pourquoi des collectifs sont venus modifier les hypothèses de croissance. En 2013, nous ne le ferons pas car nous ne voulons pas modifier le niveau des recettes et des dépenses et qu'ajouter l'austérité à la crise, ce serait aller vers la récession. Nous sommes plus prudents que la droite ne le fut et nos hypothèses sont celles de la Commission européenne, qui est à 1,2 % pour 2014.
Sur l'évolution de nos dépenses publiques, je m'en tiendrai aux chiffres, qui sont incontestables. Entre 2002 et 2007, l'évolution des dépenses publiques a été de 2,3 % par an, puis de 1,7 % entre 2007 et 2012. En 2012, les dépenses publiques ont augmenté de 0,7 %, contre un objectif de 0,5 %, à cause des dépenses des collectivités locales. L'effort de l'actuel gouvernement est donc bien réel, nul ne peut le nier.
En 2012, nous avons vu une diminution des dépenses de l'État de 300 millions, pour la première fois depuis les débuts de la Ve République. L'habitude était qu'elles augmentent en moyenne de 5 à 6 milliards par an. Vos critiques sont donc infondées.
J'en viens aux dépenses de protection sociale : les dépenses de l'Ondam ont augmenté d'un peu plus de 2 %. Au cours du dernier quinquennat, elles augmentaient de plus de 4 %. Sans commentaire. En 2012, nous avons dépensé 1 milliard de moins que prévu par le gouvernement Fillon. Ces chiffres témoignent du mauvais procès qui nous est fait.
M. Marc Daunis. - Eh oui, c'est incontestable.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Je rejoins les propos de M. Arthuis d'il y a quelques jours : il disait qu'on ne pouvait échapper aux chiffres établis, qui reflètent le passé.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - C'est le passé regardé avec votre lorgnette.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Le semestre européen permet au Parlement d'être averti des intentions du Gouvernement face à l'Union européenne. Nous indiquons nos trajectoires, nous précisons nos objectifs et nos résultats. On voit ainsi ce qu'il en est : la précédente majorité prévoyait des augmentations d'impôt. Nous sommes à peu de chose près, en la matière, sur la même trajectoire.
Les déficits sont à ce point importants qu'il n'est pas possible de faire autrement, de les réduire par la seule diminution des dépenses publiques, sous peine d'une récession incontournable.
Pour 2014, nous avons un effort à faire de 20 milliards, pour les deux tiers pour des économies et pour un tiers pour une augmentation de la pression fiscale. Ensuite, cet effort se stabilisera.
Peut-on alors parler, comme vous le faites, de « matraquage fiscal » ? Non, puisque dans les 6 milliards, un milliard est déjà acté. Des recettes prévues en 2013 n'ont pas encore été engrangées pour des raisons diverses. Je pense à la taxe sur les transactions financières ou à la tranche d'imposition à 75 %, annulée par le Conseil constitutionnel et qui entrera en vigueur en 2014, selon les modalités nouvelles que nous avons retenues. Nous attendons aussi 4 milliards de la lutte contre la fraude fiscale, sachant qu'en 2012, 2 milliards ont été récupérés sur les fraudeurs. Nous poursuivons et amplifions l'effort en 2014. Nous ajustons par des économies et ne sollicitons l'impôt qu'à la marge.
J'en arrive aux déficits. Le déficit structurel est passé de 30 à 100 milliards en dix ans.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - On est passé du vice à la vertu.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - La dette a pris 25 points de PIB entre 2007 et en 2012. En 2012, nous avons pris des dispositions fiscales pour éviter le dérapage des comptes de l'État. Si nous ne l'avions fait, le déficit aurait été de 5,5 % au lieu de 4,8 %.
Il a fallu, en outre, recapitaliser Dexia, combler le budget de l'Union européenne. On a compté aussi le 0,1 % de déficit supplémentaire de 2011. Ainsi, et cela seul nous est imputable, qu'une croissance qui est restée en deçà de l'hypothèse que nous avions retenue, à 0,3 %. Mais 2012 a marqué la baisse des déficits structurels.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Tout va bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Je comprends que ces chiffres gênent mais on ne peut échapper à leur réalité !
Cette politique de rigueur nous éloigne-t-elle de la croissance ? Le Gouvernement s'est engagé dans une politique d'investissement ambitieuse : 20 milliards pour le numérique, 500 000 logements sociaux neufs, sans compter les 120 milliards du pacte de croissance.
M. Jean Arthuis. - Taratata !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Si vous le souhaitez, je viendrai devant votre commission des finances détailler les actions menées dans le cadre de ce pacte.
La rigueur ne se fait pas au détriment de la croissance mais l'équilibre doit être subtil. Sans croissance, pas de rétablissement des comptes mais sans rétablissements des comptes, pas de croissance ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances . - Chacun mesure l'importance du programme de stabilité. Il s'agit d'un moment clé du semestre européen. L'interdépendance des économies européennes implique une vision commune. Les questions qui se posent à la France se posent partout en Europe.
Nous nous félicitons de voir l'Europe se saisir de sujets majeurs comme la croissance économique, l'union bancaire, la taxe sur les transactions financières, la lutte contre l'évasion fiscale. La volonté régulatrice de l'Union européenne s'affirme enfin. Si l'Europe s'anime, c'est parce que la France est entendue et que les autorités européennes prennent conscience d'une lourde erreur d'analyse économique qui allait mener l'Europe à mourir guérie. La théorie keynésienne est depuis peu réhabilitée contre l'ultralibéralisme ambiant. Écoutez les propos de nos principaux dirigeants internationaux, de Christine Lagarde à Manuel Barroso, en passant par Olli Rehn. C'est un vrai changement climatique.
De nouveaux défis nous attendent ; il faut plus de marge de manoeuvre budgétaire et réduire l'endettement. Mais cet ajustement ne doit pas conduire à la récession et au chômage. Nos concitoyens ne l'accepteraient pas ; nous devons préserver la croissance. Un ajustement trop brutal n'est pas souhaitable.
Ce programme repousse à 2014 le déficit à moins de 3 % du PIB. Le cap est clair, le redressement des finances publiques reste une priorité. Reporter les 3 % n'est pas renoncer aux efforts. La trajectoire ainsi proposée est ambitieuse et conforme à nos engagements européens. Les efforts programmés sont très conséquents : 20 milliards en 2014 et, au total, 110 milliards entre 2012 et 2017.
En 2012 et 2013, l'effort porte principalement sur les recettes et sur les ménages les plus aisés. Stratégie justifiée car elle a un moindre effet dépressif et limite l'impact négatif sur la demande intérieure. L'effort demandé aux entreprises est déjà en partie compensé par le CICE, qui allégera leurs charges de 20 milliards. Sur la période 2013-2017, l'effort portera pour près des deux tiers sur les dépenses.
Cet effort considérable suppose préparation, concertation et méthode. Telle est la démarche engagée par le Gouvernement dans le cadre de la modernisation de l'action publique : il s'agit, non d'une logique aveugle de réduction de la dépense mais de préserver nos services publics, de moderniser notre modèle social et de favoriser des politiques au service de la croissance et de la cohésion sociale. Nous héritons d'un lourd fardeau mais le redressement, bien engagé, est une nécessité, sauf à devoir demain procéder à des ajustements encore plus douloureux. Ce qui n'empêche pas le Gouvernement de mener une politique de gauche, avec des priorités en faveur de l'enseignement, de la cohésion sociale, de la sécurité et de la justice.
La crédibilité de la trajectoire retenue est un capital précieux mais fragile parce que nous n'avons pas toujours été vertueux. Le Gouvernement a déjà montré son sérieux budgétaire et engagé des réformes structurelles d'ampleur, poursuivi et réorienté les investissements d'avenir, créé la BPI, lancé le pacte pour la croissance et un choc de simplification en direction des PME.
Cette crédibilité est nécessaire pour mobiliser le pays. La fixation d'un cap sur la législature doit favoriser le retour de la confiance. Et nous devons être crédibles vis-à-vis de nos partenaires européens : on ne peut écarter ce que le président Arthuis appelle le « règlement de copropriété de l'euro » sans mettre en péril l'avenir de la zone.
Cette crédibilité est enfin importante pour les investisseurs. Les taux très bas auxquels nous émettons les titres de notre dette, la réduction de l'écart avec l'Allemagne montrent que notre politique ne suscite pas leur défiance, au contraire.
Le Haut conseil des finances publiques juge les hypothèses de croissance du Gouvernement optimistes, mais pas irréalistes. Elles ne sont pas hors de portée. Si la croissance ne permettait pas de revenir sous les 3 % en 2014, la question d'ajustements supplémentaires se poserait. Il faut inscrire notre trajectoire dans la durée -c'est ce que fait le Gouvernement.
Au niveau de l'Union européenne, les avancées, depuis un an, sont considérables : action de la BCE, union bancaire, pacte pour la croissance porté par le Président de la République. Nous allons vers plus d'intégration et plus de solidarité.
Tel est le sens de notre action depuis un an. Une prise de conscience semble émerger en Europe si l'on en juge par les signaux de ces derniers jours. Hier encore, Manuel Barroso évoquait une réorientation vers une stratégie axée sur la croissance. Nous avons bon espoir d'obtenir l'agrément de la Cour européenne sur ce programme et je souhaite que l'Union européenne, tout en maintenant une discipline collective, puisse relancer la croissance et une dynamique d'avenir pour le projet européen. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean Arthuis . - Le programme de stabilité et le programme national de réforme sont des actes majeurs mis ici furtivement en débat. Ils engagent la trajectoire budgétaire jusqu'en 2017, encadrent nos futures lois financières, décrivent les pistes de réforme qui permettront de tenir les objectifs. Comment admettre, dès lors, que ce débat ne soit pas sanctionné par un vote ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Bonne question !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Eh oui !
M. Jean Arthuis. - M. Moscovici nous a demandé notre soutien. Mais comment manifeste-t-on son soutien, si ce n'est par un vote ? Le précédent gouvernement avait autrement agi en avril 2011, et c'est ainsi que nous étions entrés dans le semestre européen. Jusque là, on nageait dans l'illusionnisme budgétaire, le volontarisme des hypothèses de croissance et la sous-évaluation des dépenses... Il a fallu la crise des dettes souveraines pour changer la donne et les procédures. La crise nous engage aujourd'hui à sortir du déni de réalité, dans l'intérêt de la France et de son redressement économique. Interdire au Sénat de voter, c'est une véritable humiliation.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Une vexation.
M. Jean Arthuis. - Comment la majorité a-t-elle pu se résigner ainsi ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Mais y a-t-il encore une majorité ?
M. Jean Arthuis. - Nos options ne sont pas les vôtres. En créant le Haut conseil des finances publiques, le Gouvernement n'entendait-il pas rompre avec le volontarisme d'antan ? Las, il n'en est rien. Le Haut conseil a fait la preuve de son indépendance et levé les suspicions à son égard. Il a osé déclarer que la France est en récession. Ce que nous voyons chaque jour dans nos départements le confirme. Mais le Gouvernement persiste dans l'irréalisme et des méthodes douteuses historiquement datées...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Tout à fait !
M. Jean Arthuis. - Qui peut croire à une croissance de 2 % en 2015, sans réformes de structure ni renonciation à vos dogmes ? Cessons de nous renvoyer la balle sur le passé. (Applaudissements à droite ; mouvements divers sur les bancs socialistes) Oui, on a laissé filer les déficits publics ; oui, on a oublié d'abroger les 35 heures ; mais ce qui compte aujourd'hui, c'est de sortir de la crise et d'enrayer le déclin. Nous devons nous rassembler sur l'essentiel.
Vos réformes ne produiront pas les effets attendus. La BPI n'est qu'un recyclage...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Mme Ségolène Royal en plus.
M. Jean Arthuis. - ...une structure dotée d'une gouvernance abracadabrantesque, comme en témoigne son dispositif de communication et de porte-parolat. La circulaire d'application du CICE compte quarante pages -où le choc de simplification annoncé ? Le dispositif opère un allégement des charges sociales, mais à la marge, très en-deçà de ce que préconisait Louis Gallois.
M. Roland Courteau. - Vous ne l'avez pas fait !
M. Jean Arthuis. - On commence enfin à reconnaître ici et là que les impôts sur la production poussent à la délocalisation et au chômage. Seule une action sur la TVA améliorerait le sort des entreprises françaises, qui ont les marges plus faibles des dix-sept pays de la zone euro. Pour la Commission européenne, nos réformes vont dans la bonne direction mais ne suffisent pas ; le Gouvernement devrait tenir compte de ce diagnostic.
Et le matraquage fiscal a ses limites. Alors qu'il est question de faire refluer les dépenses publiques, vous avez multiplié les initiatives coûteuses. J'en veux pour preuve le projet de refondation de l'école de la République avec le renforcement de l'accueil des enfants dès 2 ans ou le recrutement de 60 000 enseignants...
M. Roland Courteau. - Ce sont de bonnes mesures !
M. Éric Bocquet. - Des investissements d'avenir !
M. Jean Arthuis. - Où sont les mesures sur le temps de travail, la réforme des retraites que vous ne cessez de repousser ? C'est la chronique d'un désastre annoncé...
Ne transformons par l'Europe en bouc-émissaire. Certes, on peut lui reprocher d'avoir permis à la France de pratiquer aussi longtemps des déficits aussi importants sans la sanctionner. Si la France n'était pas dans la zone euro, elle serait dans une situation catastrophique, dévaluations en chaîne et explosion des prix de l'énergie et du chômage...
M. François Rebsamen. - C'est vrai !
M. Jean Arthuis. - Apocalypse Now... (Sourires)
L'austérité n'est que la sanction fatale du manque de rigueur. Les propos de M. Barroso ? Ceux que j'ai entendus à Berlin hier n'étaient pas de la même tonalité. (Marques d'intérêt à droite)
Le programme de stabilité aurait dû être légitimé par un vote. Vous maltraitez le Sénat (exclamations à gauche), comme s'il n'était qu'une anomalie démocratique.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'est scandaleux !
M. Jean Arthuis. - Je le regrette, comme je regrette la résignation de la majorité.
Alors que l'angoisse face à l'avenir est forte, le Sénat doit être un espace d'apaisement. (Nouvelles exclamations) Il est de notre responsabilité de montrer l'utilité de notre Haute assemblée. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Vincent Placé. - Le Sénat n'est jamais résigné !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Il ne l'est pas et c'est pour ça qu'on ne lui permet pas de voter !
M. Jacques Mézard . - S'il y avait un vote, nous voterions très majoritairement pour.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Fort bien ! Que chacun s'exprime !
M. Jacques Mézard. - Le déni de réalité, monsieur Arthuis, n'est pas l'apanage de ce gouvernement. En ce domaine, la continuité prévaut...
L'exercice, pour un ministre du budget, c'est la quadrature du cercle. Les prévisions macro-économiques ont sensiblement évolué par rapport à la loi de programmation, qui était beaucoup plus optimiste. La Commission européenne publiera ses recommandations d'ici fin mai. Ce programme aura valeur de test de crédibilité pour le pays.
M. Francis Delattre. - C'est mal parti !
M. Jacques Mézard. - Par le passé, nous n'avons guère été bons élèves. Qu'en est-il de ce programme ? Une prévision de croissance de 1,2% en 2014 qui repose beaucoup sur les capacités potentielles de rebond du pays. Le Haut conseil des finances publiques relève que la similitude des prévisions de taux de croissance de la France et de la Commission européenne repose sur des hypothèses de déficit très différentes. Les prévisions pour 2015 à 2017 sont par nature incertaines, tant les aléas -pour l'essentiel à la baisse- sont nombreux.
Que dira la Commission européenne de ces prévisions ? Entendra-t-elle les voix qui s'élèvent, y compris au FMI, contre les politiques de trop grande austérité ? Et la remise en cause de la thèse de Reinhart et Rogoff, selon laquelle un niveau de dette supérieur à 90 % entraîne mécaniquement un effondrement de l'économie, devrait conduire les chantres de l'austérité à revoir leurs priorités économiques.
Réaliser des économies, oui, mais il faut aussi conduire des réformes structurelles d'ampleur pour booster notre compétitivité. C'est l'équilibre difficile à trouver. Au niveau européen, il faut desserrer le calendrier de retour à l'équilibre, coordonner les politiques budgétaires, faire évoluer le rôle de la BCE. L'euro est aujourd'hui un handicap pour la compétitivité de l'économie européenne ; il est plus que temps que la BCE agisse ! Le positionnement égoïste et peu pragmatique de l'Allemagne doit prendre fin et l'on devrait lâcher du lest outre-Rhin sur l'inflation.
Le Gouvernement a pris d'importantes initiatives, que nous soutenons, comme le CICE ou la loi sur la sécurisation de l'emploi. Mais les effets du CICE gagneraient à être mieux connus. Le plus dur reste à faire, et il y faut du temps. L'Allemagne a su redresser la barre il y a une quinzaine d'années, mais le contexte était différent : l'Europe était en croissance et l'euro à moins d'un dollar. Renforcer notre tissu industriel et notre compétitivité ne se fera pas en quelques mois. Le pacte pour la croissance et la compétitivité sera décisif. Il y a un déficit de communication important quant aux mesures en faveur des entreprises, trop méconnues. Or, le redressement passe par le retour de la confiance. Il n'est plus temps de revenir sur le passé mais d'aller vers l'avenir.
Notre groupe apportera son soutien au programme de stabilité. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Jean-Vincent Placé . - Si l'ampleur des gels de crédit annoncée est sérieuse, il n'en va pas de même des prévisions qui la sous-tendent. Vos prévisions de croissance...
M. Francis Delattre. - Personne n'y croit !
M. Jean-Vincent Placé. - ...sont, pour le Haut conseil, trop optimistes. Vous arguez qu'elles sont calées sur celles de la Commission européenne, mais celle-ci se fonde sur un tout autre scénario, avec un déficit à 3,9 %.
La résorption du stock de dette doit se faire avec prudence, sans obérer l'économie. Certes, la France n'est pas dans l'état de la Grèce, mais vous prévoyez 14 milliards de mesures d'économie dont on se demande s'il faut les qualifier de sérieuses ou austères : 1,5 milliard en moins pour les collectivités territoriales, 7,5 milliards pour les administrations et services publics sans qu'on sache lesquels seront touchés, 5 milliards pour la sécurité sociale.
On risque le déclin économique, à l'heure même où le dogme de l'austérité se fissure -voir les erreurs dénoncées dans la théorie économique sur lesquelles il repose...
En Europe, des voix se sont élevées pour rompre avec cette loi d'airain, au sein du Gouvernement aussi, et pas des moindres. Pourquoi s'entêter ? C'est absurde. Et le comble de la mascarade, c'est qu'elle a assuré votre crédibilité ! Olli Rehn est peut-être rassuré mais les Français ne le sont pas. Même M. Barroso change de discours.
Il est urgent de rompre avec cette logique délétère qui est le péché originel du quinquennat, la signature du traité sans le renégocier.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Après avoir promis de le faire !
M. Jean-Vincent Placé. - L'Allemagne doit comprendre qu'elle ne pourra pas prospérer dans une Europe transformée en cimetière. Et la France peut agir de façon autonome ; une loi Fatca peut être mise en oeuvre pour faire bouger les lignes. Il n'est pas trop tard pour la grande réforme fiscale promise. (« Ah ! » à droite) Ni mettre fin aux grands projets pharaoniques et autres gadgets comme la force nucléaire aérienne... Alors que l'on demande aux Français de renoncer à leurs écoles et à leurs hôpitaux...
M. Bruno Sido. - De quels projets pharaoniques parlez-vous ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - De Notre Dame de Lourdes, voyons ! (Sourires)
M. Jean-Vincent Placé. - ...on sanctuarise le budget de la défense !
Mme Nathalie Goulet. - Allons ! Il fallait être au Mali !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - C'est un peu facile, monsieur Placé...
M. Jean-Vincent Placé. - En lieu et place de coupes à la hache dans les dépenses publiques, à quand une véritable fiscalité redistributive, à quand une politique vraiment écologique ?
En ces temps incertains, la gauche au pouvoir est une chance pour la concorde civile (exclamations à droite), pour les plus fragiles, pour l'environnement. Nous ne pouvons la laisser errer dans les décombres d'un modèle libéral moribond mais toujours dangereux. La gauche est une chance à condition qu'elle soit une audace, économique, écologique, démocratique.
M. le président. - Il faut conclure !
M. Jean-Vincent Placé. - Le Gouvernement n'a pas jugé indispensable de sanctionner notre débat par un vote : vous avez compris que celui du groupe écologiste n'aurait pas été favorable. (Applaudissements à droite)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - M. le ministre a peu parlé du programme de stabilité. Il a évoqué la vérité des chiffres, qui est toute relative. Alors je vais entrer dans le détail... Certes, avant 2007, nos dépenses publiques étaient trop élevées mais, suite à la crise, l'effort a été sans précédent. Il est fallacieux de comparer l'évolution des dépenses en 2012 et leur évolution sur une période de cinq ans. Oui, l'augmentation a été forte, parce la France a subi la crise ! (Exclamations sur les bancs CRC) Le plan de relance a été salué par tous les commentateurs internationaux, et il a permis à notre pays de mieux s'en sortir que l'Allemagne ; mais il a fait bondir nos dépenses publiques, qui ont ensuite sans cesse diminué, jusqu'à votre arrivée au pouvoir.
La France est au deuxième rang de l'OCDE pour le niveau de ses dépenses publiques. Or, la première fois que celles-ci ont diminué en valeur, c'est en 2011 : plus de 260 millions affectés au désendettement. Et en 2010, l'Ondam a été respecté pour la première fois de la décennie... Avec l'arrivée de François Hollande, le niveau des prélèvements obligatoires a explosé, atteignant le niveau record de 46,3 % en 2013.
Sous le précédent gouvernement, les objectifs de réduction du déficit étaient respectés. Si celui de 2012 ne l'est pas, c'est, dites-vous, à cause de la baisse de la croissance. Mais celle-ci est due à votre politique qui, imposant une pression fiscale sans précédent aux ménages, a fait reculer la consommation ; 32 milliards d'euros d'impôts nouveaux au total en six mois ! Ne venez pas nous donner de leçons ! Je ne me laisserai pas faire, monsieur le ministre, par votre dialectique perverse.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - M. le ministre est redoutable !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - J'en viens au programme de stabilité. A l'automne 2012, nous n'avons cessé de dénoncer l'optimisme de vos hypothèses de croissance ; plusieurs institutions avaient émis des hypothèses inférieures. Comment s'étonner que l'objectif des 3 % n'ait pas été atteint ? Vous n'avez cherché qu'à gagner du temps.
La version corrigée que vous présentez à la Commission européenne s'inscrit dans la procédure du semestre européen, qui devrait associer le Parlement pour montrer à l'Europe que vos choix sont partagés par votre majorité. Je regrette que vous n'ayez pas accepté de vote. N'avez-vous donc plus confiance en vos alliés au Sénat ? Notre assemblée mérite-t-elle moins de considération que l'Assemblée nationale ? En tout état de cause, ce n'est pas bon pour la crédibilité de ce programme.
Vous prévoyez une croissance de 0,1 % en 2013, le FMI voit l'activité régresser du même chiffre. Le Haut conseil des finances publiques juge vos chiffres trop optimistes. Mais vous balayez son avis. Il devait pourtant contribuer à la sincérité du débat économique. Que vous écartiez son premier avis n'augure rien de bon. D'autant que son argumentation est plutôt prudente puisqu'il estime que le Gouvernement n'a pas pris en compte certains aléas susceptibles de peser à la baisse...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Juste !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Comment raisonner « toutes choses égales par ailleurs » avec la politique que vous conduisez ? Il n'y aura pas de loi de finances rectificative ? Mais une telle loi vise à opérer, justement, des ajustements. Vous devez à la représentation nationale son droit de regard et de contrôle.
On ne peut évaluer la politique économique que vous menez. La « boîte à outils » dont parle François Hollande ? Je n'irai pas jusqu'à parler de bricolage... Mais où est le cap ? Où est la boussole ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - Il faut lire les trajectoires...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Les acteurs économiques ont besoin de visibilité et de confiance. Or, vos signaux contradictoires aboutissent au résultat inverse. Les hausses de fiscalité étouffent la croissance. Croyiez-vous donc qu'elle reviendrait comme par enchantement ? Entendez-vous contenir la dérive des dépenses publiques ou mener une politique de soutien à la consommation ? Ce n'est pas clair. Quand aux réformes de structure, vous ne les engagez pas parce qu'elles divisent votre majorité...
Valse hésitation entre baisse des charges et hausse de TVA, pacte de compétitivité qui n'est guère qu'un petit ballon d'oxygène pour passer 2013 avec un CICE d'une complexité administrative ahurissante, volonté affichée de baisser les impôts tout en augmentant le nombre de fonctionnaires et en rompant avec la RGPP : on voit mal où vous voulez aller.
Mieux canaliser l'épargne vers l'entreprise, dites-vous ? Mais comment entendez-vous vous y prendre ? Contrairement aux promesses du président de la République, les impôts augmenteront en 2014 : 6 milliards de TVA, 6 milliards de moins-values de recettes, 6 milliards qui manquent pour compenser le CICE. Pas seulement 6 milliards comme vous le dites, monsieur le ministre, mais 6 + 6 + 6. A quoi il faut ajouter le CICE... Que de contradictions ! Et quelle surdité à l'égard de toutes les préconisations venues d'ailleurs. Il est pourtant des réformes qui ont fait leurs preuves à l'étranger.
L'Allemagne, la Suède, le Canada ont su faire évoluer leur modèle économique. La Cour des comptes a rédigé deux rapports très intéressants qu'il faut suivre ; l'OCDE a publié un rapport ce mois-ci, la Commission a publié des documents.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - De quel bilan parlez-vous ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Le temps presse et vous ne cherchez qu'à en gagner. Nous avons la chance de bénéficier de taux d'intérêts bas mais s'ils venaient à remonter, ce qui est inéluctable, que se passera-t-il ?
Des réformes structurelles sont indispensables. Notre pays n'a pas besoin de chocs à répétition ni d'incantations en faveur de la croissance ! Il est temps de passer à l'action, en soutenant nos citoyens et en assainissant nos finances publiques ; avec ce programme de stabilité, nous espérions des choix ambitieux et intelligibles, mais il faudra attendre, attendre encore jusqu'à la loi de finances... Le groupe UMP, qui voulait un vote, ne peut accepter ce programme de stabilité. (Applaudissements à droit ; M. Jean Arthuis applaudit aussi)
M. Éric Bocquet . - Ce qui heurte notre groupe, ce n'est pas tant l'absence de vote que la perte de souveraineté du Parlement. Un Haut conseil des finances publiques largement peuplé de membres de la Cour des comptes, auxquels s'ajoutent les représentants de deux grandes banques privées, est là pour assurer le contrôle. Autrement dit, c'est l'expertise de la finance privée au secours de la puissance publique. N'est-elle pas là, la véritable humiliation ? Pour la première fois, l'élève France va rendre sa copie à la Commission européenne. Notre groupe s'était opposé à ce semestre européen. Les tenants de la politique budgétaire s'appuient sur le redressement des finances publiques et l'apurement de la dette, ce qui va se traduire par davantage de rigueur pour nos concitoyens, tant à l'égard des fonctionnaires que des salariés, avec l'ANI. Flexibilité accrue, mises en cause des garanties sociales... Le Medef peut exulter. Fallait-il à ce point rassurer les employeurs ?
Depuis trente ans, notre pays a expérimenté la flexibilité afin, disait-on, d'encourager la création d'emplois.
Des centaines de milliards ont été dépensés en faveur des entreprises, en vain. Pensée unique oblige, sous prétexte qu'il n'y a pas d'alternative, les fonctionnaires de l'État ont été mis à contribution, ainsi que les collectivités locales qui assument plus de 70 % de l'investissement public. Les assurés sociaux et les ménages ont ainsi été victimes de ces politiques d'austérité.
Notre société connaît désormais un recul insupportable, alors que notre pays n'a jamais été aussi riche. Ce recul frappe les plus modestes et aiguise les tensions.
De plus, les inégalités sociales s'accroissent, grâce notamment aux cadeaux fiscaux pour les plus riches, sans parler de ceux qui fraudent, optimisent, laissent s'évader leurs capitaux. Un gouvernement élu pour le changement n'a rien à gagner à protéger ceux qui ont déjà tout et en veulent toujours plus. Le modèle allemand, tant vanté, mérite qu'on y regarde de plus près : le nombre de pauvres ne cesse d'augmenter outre-Rhin, avec les mesures du paquet Hartz 4. Où en est l'attractivité de l'Europe ? Les Croates se sont abstenus à 80 % pour élire leurs députés européens. Est-ce l'enthousiasme que l'on attendait pour la belle idée de l'Union ?
En dehors de nos rangs, des interrogations se font jour au sein du Gouvernement, et même des experts économiques du FMI, sur les politiques de rigueur.
Notre groupe, quand à lui, ne peut les cautionner. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Frédérique Espagnac . - En octobre 2009, nous avons découvert avec stupeur que les comptes grecs avaient été maquillés, avec l'aide de banques réputées. L'Union européenne, fragilisée par la crise, a dû venir en aide à la Grèce. La crise s'est aggravée et les égoïsmes nationaux l'ont emporté sur la solidarité européenne.
Le petit incendie s'est transformé en un embrasement général. Cette catastrophe restera dans les mémoires comme l'exemple même de l'impossibilité européenne à trouver une solution rapide.
Depuis, l'idée de solidarité européenne a fait son chemin avec, pour contrepartie, la coordination budgétaire.
Il s'agit de mettre fin à l'irresponsabilité des gouvernements qui feraient courir un risque majeur à la zone euro. On ne pourra plus dire que l'on ne savait rien avec les programmes de stabilité économique désormais obligatoires pour tous les pays. Cette politique commence à porter ses fruits et l'idée du soutien à la croissance prônée par le président de la République a été reprise par le président de la Commission.
En dix mois, le Gouvernement a mis en place des réformes ambitieuses sur lesquelles je ne reviendrai pas. La finance est à nouveau au service de l'emploi, ce qui permettra d'inverser la courbe du chômage. Le redressement de nos comptes publics reposera sur la justice sociale et l'efficacité économique. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, si nous n'avions pas agi rapidement, le déficit aurait été considérable. (M. Marc Daunis le confirme)
Nos efforts vont se poursuivre pour réduire le déficit public. Ensuite, nous nous attaquerons aux dépenses publiques, par un programme de modernisation de l'action publique, en concertation avec les intéressés, à la différence de la RGPP.
Il est indispensable de réduire les niches fiscales qui conduisent à l'inégalité devant l'impôt.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Vous avez raison, il faut les supprimer, toutes !
Mme Frédérique Espagnac. - L'objectif est de diviser par quatre le rythme d'évolution de la dépense publique et de réduire de 3 % le poids de la dépense publique dans le PIB. C'est dans cet esprit de responsabilité que le Gouvernement et la gauche vont assainir les finances publiques pour la croissance. Où sont alors les bons gestionnaires ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Partout !
Mme Frédérique Espagnac. - Ne laissons pas nos dettes en héritage à nos enfants ! Rejoignez-nous dans cette oeuvre salvatrice. Faites le choix de la réussite de la France. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Yannick Botrel . - La dégradation de l'économie mondiale depuis 2008 a conduit l'Europe à la situation actuelle, d'où la perte de confiance de nos concitoyens.
L'insincérité des comptes grecs menait ce pays à la faillite, sans l'intervention de l'Europe. Ce n'est pas elle qui mène à la perte de souveraineté mais les politiques nationales hasardeuses menées en Espagne, en fondant la croissance artificiellement sur le seul bâtiment, et les dérives des finances, y compris en France.
François Hollande a dit sa volonté de redresser les finances publiques : la dette atteint 1 800 milliards avec 47 milliards d'intérêts annuels malgré des taux d'intérêts très faibles. On ne saurait poursuivre dans cette voie. Quant à ne pas rembourser cette dette, comme cela a été proposé par certain candidat au cours de la présidentielle, mieux vaut ne pas y penser puisqu'elle est détenue à 50 % par des fonds souverains de pays amis, pour un quart par les banques, dont les nôtres, et pour le dernier quart par les compagnies d'assurance où nos compatriotes ont déposé leur épargne. Mme Pécresse a dit que la dette pourrait ne pas diminuer durant ce quinquennat. Mais c'est oublier un peu vite qu'elle a tant augmenté au cours de la précédente législature. Un peu de modestie ne nuirait pas.
Une action forte et concertée au sein de l'Union européenne est nécessaire et la France contribue à faire bouger les lignes.
La présidence précédente avait commencé par 16 milliards de cadeaux fiscaux. Cet héritage rend plus difficile le rétablissement des comptes
Le président de la République a fixé le cap et veut réduire les déficits à 3 %. Ce qui importe, c'est la trajectoire plus que la date. Il fallait en effet éviter tout risque de récession.
L'atonie de l'économie nous oblige à la prudence. Le groupe socialiste, sensible aux arguments du Gouvernement, soutient son action et sa politique.
Quand la reprise sera là, les mesures déjà votées à la demande du Gouvernement montreront tous leurs effets. Le CICE aura un impact considérable, tout comme les 150 000 emplois d'avenir et les 60 000 recrutements dans l'enseignement. Je salue également la signature de l'ANI, accord traduit dans la loi.
La prévision de croissance de 1,2 % en 2014, acceptée par la Commission, permettra d'inverser enfin la courbe du chômage. La stratégie suivie est donc la bonne : refuser l'austérité qui conduit à la récession, comme l'admet M. Barroso, remettre de l'ordre dans les finances publiques, apporter les moyens de la reprise de la croissance, refuser de céder à la facilité car l'avenir est en cause. Je donne acte au Gouvernement du travail accompli, même s'il reste beaucoup à faire. C'est dans la difficulté qu'on voit la valeur du capitaine et la solidité de l'équipage.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Absolument !
M. Yannick Botrel. - Nous sommes convaincus qu'il y a un cap et une boussole. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances . - En cette fin de débat, nos bancs se sont bien dépeuplés et cela se comprend puisqu'aucun vote n'interviendra. Voilà comment on suscite le désintérêt des parlementaires.
Je veux rappeler, devant M. Arthuis, que le principe d'un débat est issu d'une proposition que j'ai faite en mars 2010, de retour d'un déplacement au Portugal où l'association du Parlement aux efforts était mieux assurée.
M. Jean Arthuis. - Évidemment !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Le Sénat avait inséré ce débat dans la loi de programmation des finances publiques ; l'article 14 prévoit que le Parlement débatte et vote, dans chacune des assemblées. Il aurait sans doute fallu que cela figure dans une loi organique ou dans la Constitution, mais le principe de ce vote devrait être considéré comme une réalité... sur laquelle le Gouvernement s'assoit allègrement.
J'en viens au rôle du Haut conseil des finances publiques ; ce sont des débuts prometteurs. La loi organique du 17 décembre 2012 avait été adoptée de manière assez consensuelle.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Nous avions joué le jeu !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Certes, mais nous sommes rarement payés en retour. (Exclamations sur les bancs socialistes) Le Haut conseil a rendu son premier avis, et je rends hommage à sa compétence et à son indépendance. Mais que penser d'un programme de stabilité qui en tient si peu compte ?
M. Cahuzac avait été très clair en commission des finances : il nous disait que l'avis n'était pas contraignant, mais publié, et donc politiquement important et que le Gouvernement serait bien inspiré de le suivre.
Quelle sera la réaction de la Commission européenne ? Passer sous ses fourches caudines peut faire mal -sur ce point, je partage l'avis de M. Bocquet. Considérera-t-elle notre trajectoire comme crédible ? Partagera-t-elle l'analyse du Haut conseil ?
Les avis de cette instance seront examinés par le Conseil constitutionnel qui jugera de la sincérité des lois de finances.
Quelle pourra-t-être l'appréciation du Conseil constitutionnel sur une loi de finances construite sur des hypothèses macro-économiques ayant reçu une approbation aussi mitigée ? Le Haut conseil se prononcera bientôt sur le projet de loi de Règlement que notre rapporteur général va nous présenter. Il s'appuiera sur le PIB potentiel retenu en loi de programmation : que fera la Commission de Bruxelles si ses appréciations sont divergentes ? Le Haut conseil a dit qu'il reviendrait sur les appréciations divergentes du PIB potentiel.
En commission des finances, nous avons insisté sur la nouvelle gouvernance européenne. Si l'Europe ne doit pas être intrusive, encore faut-il ne pas lui en donner prétexte ! La pression de nos pairs est désormais très forte. La stratégie du Gouvernement est risquée pour la crédibilité de la politique économique de la France qui minimise le report des 3 %. A ce rythme, on va très vite atteindre un endettement à 100 % du PIB. Prenons garde à ne pas déboussoler l'opinion en lui donnant l'impression qu'on change le thermomètre pour des raisons d'opportunité. Aujourd'hui, on dit que trop d'efforts seraient préjudiciables à la croissance, mais on le savait déjà il y a quelques mois.
La crédibilité du Gouvernement est en jeu. M. Moscovici avait dit, à l'automne, que ce ne serait pas 3,1 %, pas 3,2 %, pas 3 % à peu près, pas 3 % si on peut, mais 3 %. Aujourd'hui, tout cela a disparu !
Quelle est la bonne répartition des efforts entre 2013 et 2014 ? Pas de collectif en 2013, avez-vous dit, avec un déficit à 3,7 %. Pour 2014, vous avancez un déficit de 2,9 %. La marche d'escalier sera bien haute. Les efforts seront encore plus difficiles à consentir et il n'y aura pas de miracle. Encore faut-il que le Conseil européen n'exige pas plus.
Le solde structurel aura dérapé de 0,25 % par an en 2012 et 2013, ce qui risque de déclencher le mécanisme automatique de correction.
La programmation se caractérise par un fort décalage entre les ambitions affichées et les moyens de sa mise en oeuvre.
Pour les objectifs, nous les faisons nôtres car ils sont bons mais, dans l'adversité, usant des vieilles recettes, le Gouvernement a changé de discours. L'effort sur les recettes devait être concentré sur 2013 et voici que le Gouvernement annonce pour 2014 6 milliards de recettes nouvelles ! Si à chaque difficulté conjoncturelle, on modifie le discours, est-on sûr de parvenir à tenir ces objectifs ?
Les dépenses publiques dans leur ensemble ont, en 2012, progressé plus vite que prévu. On attendait de vous une présentation détaillée des économies à réaliser. La Commission européenne trouvera-t-elle dans le programme de stabilité suffisamment de précisions ? Vous annoncez une stabilisation des aides fiscales mais ceci s'entend-il hors CICE, qui est la plus grosse niche ?
S'il y avait eu vote, le nôtre, à n'en pas douter, aurait été négatif devant des prévisions aussi floues et contradictoires. Certes, ce projet a été présenté de façon dialectique et intelligente mais il ne saurait emporter notre conviction. (Applaudissements à droite)
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué . - Merci pour toutes ces interventions qui ont permis de nous dire les choses franchement. Je m'en tiendrai aux chiffres. D'abord, nous disposons de l'avis du Haut conseil des finances publiques, qui présente des éléments équilibrés et justes. Les uns y lisent un avertissement, les autres un encouragement à poursuivre l'action engagée. C'est en tout cas un progrès dans la transparence. Nous continuerons à tenir compte de son avis objectif. Cette instance est utile à la démocratie.
Je remercie les orateurs de la majorité pour leur soutien. M. Placé a exprimé son désaccord mais, s'il était encore là, je lui ferais observer qu'à l'Assemblée nationale, le groupe écologiste a voté en faveur de ce programme de stabilité. J'en conclus, paraphrasant Edgard Faure, que M. Placé ne représente que lui-même et encore, pas tous les jours. (Sourires)
Je remercie M. Arthuis pour son exigence de précision et pour la qualité des conseils qu'il prodigue aux gouvernements, qu'il les soutienne ou pas.
Le CICE est un dispositif complexe ? Il est simple puisque c'est une extension du CIR et, grâce à la BPI, les entreprises peuvent en bénéficier dès cette année.
J'ai entendu les critiques de Mme Des Esgaulx sur le CICE qui, d'après elle, aura moins d'effets que la TVA sociale. Pourtant, notre dispositif représente 20 milliards d'aides, contre 12 milliards d'allégement de charges prévus en échange de la TVA sociale voulue par le gouvernement Fillon. Et ainsi, l'État aurait récupéré une partie de cet allégement par l'impôt sur les sociétés : pour avoir le même effet que le CICE, il aurait fallu une rentrée de TVA d'environ 30 milliards...
M. Mézard a soutenu le Gouvernement et je l'en remercie. Certes, l'exercice est difficile mais la croissance est notre priorité. Il faut agir au niveau de l'Union européenne : l'union bancaire servira l'économie réelle ; la BCE peut désormais intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines pour maintenir les taux; la croissance sera favorisée, grâce à des investissements programmés. En outre, la France consacrera 20 milliards en dix ans au numérique et construira 500 000 logements sociaux.
Vous avez eu raison de dire, monsieur Bocquet, que la croissance ne se décide pas mais qu'elle est un combat. Notre gouvernement est résolument européen et mène le combat en Europe parce que l'Europe est la solution, pas le problème.
Je ne suis pas d'accord, madame Des Esgaulx, avec vos chiffres. Quelques exemples de nos désaccords. Vous utilisez habilement l'impact de l'évolution des dépenses publiques rapportées au PIB, mais ce ratio dépend des deux facteurs concernés. En 2011, la croissance du PIB a été plus importante qu'en 2012. Vous savez fort bien ce que vous faites et n'indiquez rien, avec ce ratio, sur l'évolution des dépenses publiques. En 2011, les dépenses de l'État ont augmenté de 4,4 milliards, contrairement à ce que vous avez dit. Je vous appelle à le vérifier car je vous crois de bonne foi. Je vois comme vous êtes précise. C'est pourquoi je me fonde sur les observations de la Cour des comptes qui dit que, dans le texte du printemps dernier, les dépenses étaient sous-estimées et les recettes surestimées. Nous avons donc dû prendre des mesures de gel pour y remédier sans augmenter le montant du prélèvement sur les Français. Grâce à quoi nous avons 4,8 % de déficit au lieu de 5,2 %. Nous ne sommes pas à notre objectif de 4,5 % ? C'est vrai, mais vous ne pouvez nous imputer le problème de Dexia, la sous-budgétisation du prélèvement européen. Seul nous est imputable le décalage entre la croissance dont nous avions retenu l'hypothèse et celle qui aura été effective.
Malgré nos différentes politiques, nous devons tous essayer, sur ces questions, de nous montrer absolument précis et rigoureux.
M. Marini a derechef déployé à la tribune son habileté, son talent, sa connaissance des choses. Il sait bien que le déficit nominal est le seul indicateur propre à définir le niveau de la dette. Nous maîtrisons la dette, qui s'est alourdie de 25 points de PIB, soit 900 milliards en dix ans.
Sur la question des économies, j'ai entendu des propos bien manichéens. Nous serions dépensiers, quand la précédente majorité aurait été vertueuse. Quelques chiffres. Entre 2009-2012, la RGPP a rapporté 11,9 milliards, dont 30 % imputables à la masse salariale, 22 % au fonctionnement et 48 % aux interventions. Encore faut-il voir que, sur les 3,6 milliards économisés en masse salariale, 1,9 ont été recyclés en mesures catégorielles. Au total, donc, l'économie réalisée n'est que de 10,2 milliards, soit en moyenne 2,5 par an. L'UMP nous demande de faire en un an six fois plus ! On voit bien que c'est là pure parole politique, sans rien de sérieux. Les chiffres sont parlants. Si je faisais ce que vous me demandez, ce serait si absurde que l'UMP serait la première à me le reprocher.
Je vous remercie pour ce débat et vous donne rendez-vous pour de prochains échanges sur ces questions rigoureuses et difficiles, mais passionnantes. (Applaudissements à gauche)
Mission commune d'information et commission d'enquête(Nominations)
M. le président. - Les groupes ont présenté leurs candidats pour la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République et pour la commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre.
La présidence n'a reçu aucune opposition. En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Philippe Adnot, Alain Bertrand, François-Noël Buffet, Pierre Camani, Luc Carvounas, Philippe Dallier, Marc Daunis, Éric Doligé, Jean-Léonce Dupont, Christian Favier, Jacques Gillot, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Yves Krattinger, Gérard Larcher, Dominique de Legge, Mme Hélène Lipietz, M. Rachel Mazuir, Mme Michelle Meunier, MM. Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Yves Rome, Mme Mireille Schurch, M. Bruno Sido, Mme Catherine Troendle, M. René Vandierendonck membres de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République et MM. Michel Bécot, Michel Berson, Éric Bocquet, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jacques Chiron, Yvon Collin, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, M. Christophe-André Frassa, Mme Nathalie Goulet, MM. Joël Guerriau, Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Roland du Luart, François Pillet, Charles Revet, Mme Laurence Rossignol, M. Richard Yung membres de la commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre.
Commissions (Nominations)
M. le président. - Le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois et le groupe du RDSE a présenté une candidature pour la mission commune d'information sur l'action extérieure de la France en matière de recherche et de développement. Le délai prévu par l'article 8 du Règlement est expiré. La présidence n'a reçu aucune opposition. En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame Mme Frédérique Espagnac membre de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, en remplacement de M. Gaëtan Gorce, démissionnaire, et M. Robert Hue membre de la mission commune d'information sur l'action extérieure de la France en matière de recherche et de développement, en remplacement de M. Yvon Collin, démissionnaire.
Engagement de procédure accélérée
M. le président. - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi organique et du projet de loi relatifs à la transparence de la vie publique, déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale le 24 avril 2013, et du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 24 avril 2013.
La séance est suspendue à 17 h 40.
présidence de M. Didier Guillaume,vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Débat sur l'immigration étudiante et professionnelle
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur l'immigration étudiante et professionnelle.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur . - L'immigration, part constitutive de notre nation, de son histoire, de son présent et surtout de son avenir, doit intéresser au premier chef la représentation nationale. Telle est la raison de notre débat. Les phénomènes migratoires s'accélèrent à l'échelle de la planète mais il s'agit ici de débattre de l'immigration que nous voulons pour répondre aux besoins de notre économie et renforcer le rayonnement de notre pays dans le monde.
La France est belle de ses paysages, de la diversité de ses reliefs, de la variété de ses plaines, du contraste de ses littoraux, mais elle est belle aussi de ses mille visages. Plurielle, cette France n'en a pas moins un seul idéal, la République. Sa langue, sa culture sont les garanties non négociables de notre unité.
Le monde globalisé a réduit les distances et la France doit être sûre d'elle-même et de ses atouts. Elle s'est en partie construite et renforcée au fur et à mesure des vagues d'immigration venue d'abord d'Europe, puis d'Afrique et d'Asie ; 19 % des Français sont immigrés ou fils d'immigrés. La France a été un grand pays d'immigration, elle ne peut le demeurer que dans un cadre réfléchi, organisé et régulé. Loin des clichés, des raccourcis et des outrances, nous devons aborder ce défi dans un esprit de responsabilité et d'apaisement.
Pour être acceptée, l'immigration doit être maîtrisée, contrôlée. Nous savons que les inquiétudes, les peurs, les pulsions existent, les sondages en témoignent. Comment être faible quand des filières exploitent la misère humaine ? Quand des marchands de sommeil profitent de la détresse de ceux qui n'ont rien ? Il faut être ferme quand un étranger sans titre se maintient sciemment et illégalement sur notre territoire. (M. André Reichardt approuve)
Comment bâtir une société si nous confondons maîtrise des flux migratoires et stigmatisation inacceptable ? Depuis onze mois, une nouvelle politique de l'immigration est menée, que je ne laisserai pas caricaturer. Nous agissons avec pragmatisme, avec humanité mais sans naïveté, avec fermeté mais sans arbitraire. La circulaire Guéant sur les étudiants étrangers a été abrogée. Nous avons défini des critères de régularisation exigeants, clairs et uniformément appliqués. Nous avons mis un terme, sauf circonstance exceptionnelle -je pense à Mayotte-, à la rétention des familles avec enfants et mis fin au délit de solidarité. Nous avons créé une retenue de 16 heures pour permettre aux services de police et aux préfectures de vérifier dans de bonnes conditions le droit au séjour ; dans quelques semaines, nous vous proposerons de généraliser le titre de séjour pluriannuel.
Aujourd'hui, nous débattons de l'immigration étudiante et professionnelle. Il faut dire que nous parlons plus souvent d'immigration que de flux migratoires et confondons souvent plusieurs réalités. Jamais nous n'acceptons de regarder sereinement les flux migratoires et de nous demander quelle politique est la mieux adaptée, quels étrangers nous pouvons et devons accueillir, ce que souhaite la représentation nationale. Je vous propose de nous poser collectivement ces questions.
Une formule résume la politique menée ces dernières années : empressement dans les réformes et emportement dans les discours ; la vérité est que les flux migratoires n'ont pas changé... A l'immigration familiale subie, il fallait substituer une immigration triée sur le volet -tellement triée que la carte « compétences et talents » n'est délivrée qu'à 300 personnes par an...
M. Jean-Pierre Sueur. - Beau succès !
M. Manuel Valls, ministre. - Ce n'est pas une politique.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est une antipolitique !
M. Manuel Valls, ministre. - L'urgence, ensuite, comme on ne pouvait réduire l'immigration familiale sinon en contrevenant à la Convention européenne des droits de l'homme, a été de faire fuir les étudiants étrangers diplômés qui voulaient travailler dans nos entreprises. On nous a expliqué qu'il y avait trop de naturalisés, puis trop d'immigrés ; qu'il fallait diviser par deux les flux migratoires. La mobilité étudiante en a été drastiquement diminuée. Est-ce bien ce que nous voulons ? De telles approximations ne font pas une bonne politique.
J'ai demande au Secrétariat général à l'immigration et à l'intégration de préparer ce débat et je vous ai soumis son rapport rédigé après concertation avec les différents acteurs concernés. C'est ainsi que nous pourrons ensemble définir des priorités d'action et regarder la réalité les yeux ouverts.
Quels sont les flux ? Un peu plus de la moitié -100 000 personnes- obéissent à une logique de droit : mariage, asile politique, maladie... Ce flux n'est pas subi mais reflète nos valeurs et ce que nous sommes, un État de droit.
Nous devons lutter contre la fraude, qui existe. Les préfectures renouvellent bien souvent les titres de séjour sans exercer de contrôle. Demain, le titre de séjour pluriannuel permettra de passer d'une logique de suspicion à une logique d'intégration, d'une logique de guichet à une logique de contrôle.
Le droit d'asile est un droit fondamental, qui doit être protégé. Mais les procédures sont complexes et peuvent conduire à des détournements. Nous devons raccourcir les délais, dans l'intérêt des demandeurs d'asile mais aussi dans celui de notre pays, pour permettre l'éloignement de ceux à qui l'asile a été refusé.
Nous devons aussi mieux accueillir ceux qui ont vocation à rester en France - ce sera l'objet du titre pluriannuel. Le contrat d'accueil et d'intégration doit être revisité ; la formation dispensée à ses signataires n'est pas à la hauteur de la République, non plus que des besoins des intéressés. Nous devons faire vivre les droits et les devoirs chers à Jean-Pierre Chevènement...
L'immigration de travail est très réduite depuis 1974 : 20 000 cartes par an, très loin des chiffres fantasmés que certains -et certaine- mettent en avant. Si le dispositif est très encadré, notre droit est devenu bien bavard : on compte quinze titres de séjour différents pour un étranger désirant travailler. La règle d'opposabilité de l'emploi, assortie d'exceptions multiples, est devenue illisible. Il existe une liste des métiers dits « en tension », qui date de 2008, sur le fondement d'une nomenclature de 2003... Plus personne ne s'y retrouve. A cette complexité inutile, je veux opposer des principes simples.
Les talents de certains étrangers constituent une véritable opportunité pour la France. De nombreux pays modifient leur législation pour attirer les meilleurs chercheurs et créateurs. Nous risquons d'être dépassés. C'est pourquoi il faut que nos règles soient plus lisibles et plus stables. Le droit au séjour reposera sur le titre pluriannuel, les conditions d'accueil seront adaptées ; les étrangers concernés pourront bénéficier d'un accès privilégié à un visa de circulation après l'expiration de leur titre de séjour. Pour favoriser l'accueil des talents étrangers, la France doit changer de discours.
Le second principe, c'est que nous devons protéger notre marché de l'emploi. Il faut d'abord penser à la formation des chômeurs. Mais il peut exister des besoins particuliers dans certaines régions. Mes services travaillent avec ceux de M. Sapin et les partenaires sociaux pour déceler ces besoins -sans méconnaître les obstacles techniques.
Le nombre d'étudiants dans le monde a doublé en quinze ans et il doublera encore d'ici 2020. Les accueillir n'est pas un acte de générosité mais un levier stratégique, un acte de réalisme pour assurer à la France, d'ici vingt ou trente ans, une place centrale dans la circulation des savoirs et de la recherche. 41 % des doctorants sont de nationalité étrangère, mais nous perdons du terrain ; l'Allemagne nous dépasse. Pour tenir notre rang, il faut une approche quantitative mais aussi et surtout qualitative.
Il faut repenser le dispositif de sélection, tenir un discours clair : on vient en France pour réussir -un redoublement par cycle est suffisant. Parce que nous voulons attirer les meilleurs, il faut mieux les accueillir, limiter les démarches inutiles, améliorer les bourses, accompagner aussi les universités. Faire contribuer les étudiants étrangers ? Il faudra en débattre. Nous devons clarifier dans la loi quels étudiants peuvent changer de statut sans que puisse leur être opposée la situation de l'emploi.
La fermeté, ce n'est pas la fermeture. Notre droit doit savoir distinguer. Il faut maîtriser les flux migratoires mais être une destination de choix dans la mobilité de l'excellence. (Applaudissements à gauche)
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Il y a un an, le Gouvernement a abrogé la circulaire Guéant, texte de fermeture et de repli, de rupture avec la tradition d'accueil de notre pays. Avec cette circulaire, nous nous sommes coupés des étudiants étrangers. C'en est fini, mais nous devons aller plus loin pour attirer les talents, les étudiants et les chercheurs de demain. C'est un enjeu stratégique.
Les pays émergents fondent leur développement sur l'élévation du niveau de qualification et la recherche. Voyez la situation en Corée du sud, qui consacre 4,3 % de son PIB à la recherche et développement quand la France n'y consacre que 2,2 %. Elle est le huitième pays d'accueil pour les étudiants coréens, qui s'inscrivent surtout dans des filières artistiques ou littéraires parce que la France n'est pas perçue comme une puissance scientifique et qu'aucun cours n'est dispensé en anglais. L'Inde envoie aussi très peu d'étudiants en France, alors que la mondialisation est en marche. Les pays d'accueil s'organisent, développent des stratégies d'accueil, les grands pays anglophones prennent des positions offensives efficaces.
La France ne doit pas rester à l'écart de cette évolution. Chaque année, 290 000 étudiants étrangers étudient dans notre pays. Nous pouvons nous honorer de notre rayonnement international mais nous avons perdu du terrain, passant de la troisième à la cinquième place mondiale pour l'attractivité de l'enseignement supérieur. Les meilleurs étudiants sont en science et ils ne viennent pas chez nous. Tout a été mis en place pour les décourager. Il a fallu inverser la tendance.
Le Gouvernement considère que les étudiants et les chercheurs étrangers sont une richesse et une opportunité, pas un problème. Ils sont les cadres de demain, où que se déroule leur parcours professionnel. Les mobilités créent des partenariats utiles au développement de nos échanges extérieurs, qui en ont bien besoin. Nous devons nous tourner vers les pays émergents, mais aussi vers l'Afrique, où la Chine est très présente. Il faut intensifier nos partenariats avec les universités étrangères, améliorer les conditions d'accueil et de séjour, sécuriser la première expérience professionnelle. La France doit savoir aussi envoyer ses étudiants en Asie, en Afrique, au Maghreb.
Nous devons aussi améliorer la lisibilité de notre enseignement supérieur. Personne ne s'y retrouve parmi les plus de 3 700 intitulés de licences... Imaginez ce qu'il en est vu de Séoul ou de Tokyo ! La carte des formations sera simplifiée. Il faudra aussi améliorer l'enseignement en langue étrangère, la situation actuelle fait obstacle à la venue d'étudiants des BRICS. Nous élargirons ainsi le socle de la culture francophone en accueillant des étudiants qui vont aujourd'hui le plus souvent dans les pays anglophones.
Nous devons aussi simplifier la chaîne d'accueil, aujourd'hui un véritable parcours du combattant ! Nous allons encourager la dématérialisation et la simplification des procédures d'inscription et de délivrance des visas.
Campus France doit faire la promotion de l'enseignement en France. Nous devons attribuer des titres de séjours valables pour toute la scolarité ; le renouvellement annuel de la carte angoisse les étudiants. Songeons que le brillant assistant ukrainien de Serge Haroche, prix Nobel de physique, est contraint en famille de faire une queue interminable devant la préfecture pour voir renouvelé son titre de séjour ! Je remercie M. Valls d'avoir annoncé la carte de séjour pluriannuel, qui doit devenir la règle.
Un guichet unique sera créé pour que les étudiants et chercheurs puissent y accomplir toutes leurs démarches. Enfin, 40 000 logements étudiants seront bâtis d'ici 2017 ; une part des 13 000 premiers logements sera affectée aux étudiants étrangers.
Le renforcement de notre compétitivité passe par une ouverture du marché du travail à ces étudiants. Un allongement d'un an de l'autorisation provisoire de séjour permettrait d'améliorer la situation.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est bien !
Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Les étudiants étrangers sont une chance extraordinaire pour notre pays. Je salue l'action menée par Jean-Pierre Chevènement, en son temps. Nous voulons une France tournée vers le progrès, parce qu'une France qui s'ouvre, c'est une France qui se renforce. (Applaudissements à gauche)
Mme Bariza Khiari, pour le groupe socialiste . - Le président de la République s'était engagé à ce que la question de l'immigration fasse l'objet d'un débat annuel. Ce débat est déconnecté de l'actualité, c'est une bonne chose ; il sera apaisé et, pourquoi pas, consensuel, fondé sur des données partagées. Votre rapport, monsieur le ministre, est un premier pas vers l'apaisement. Nos débats pourront ainsi échapper aux figures imposées et souvent périlleuses.
Nous ne sommes pas friands, dans cette enceinte, de polémiques ou de caricatures. En 2007, la droite républicaine s'était opposée ici à l'introduction des tests ADN dans la procédure de regroupement familial ; en 2009, ma proposition de loi supprimant la condition de nationalité dans certaines professions réglementées a été votée à l'unanimité. Et l'abrogation de la circulaire Guéant n'a pas fait tant de vagues... Il y a un an, les étudiants étrangers avaient alerté sur le mauvais sort qui leur était fait par ce texte aberrant. L'attractivité de la France avait été sacrifiée sur l'autel de la politique du chiffre. Tout cela a laissé des traces, le rayonnement de la France a été écorné. Ce débat ne vise pas à dire s'il faut réduire ou augmenter l'immigration professionnelle mais à éclairer les Français sur ce qu'est l'immigration étudiante.
Le rapport souligne que l'immigration professionnelle est en recul en France depuis 2008. C'est qu'elle est souvent l'aboutissement d'un parcours commencé par des études en France... Elle s'inscrit dans une stratégie de mobilité internationale et s'élève à moins de 105 000 personnes en 2012. La France n'est plus un pays à forte immigration alors que la mobilité va être multipliée par deux d'ici 2020. Le monde se dispute les étudiants, tous les pays font des efforts pour les attirer... Le nombre d'étudiants étrangers est un indicateur d'attractivité.
Si les étudiants étrangers estiment que notre système d'enseignement est excellent, ils critiquent les conditions administratives de leur séjour. L'indignité de leur traitement a tenu lieu de politique de fermeté. Vous venez d'annoncer, monsieur le ministre, la création d'un titre de séjour pluriannuel. Ce sera un progrès considérable. Il est indispensable de mettre fin aux fils d'attentes interminables à l'extérieur des préfectures. Est-il admissible, dans notre République, que des personnes soient obligées d'attendre des jours et des nuits pour un simple renouvellement de document ?
Envisagez-vous de généraliser le caractère pluriannuel du titre d'étudiant à d'autres titres ? La dématérialisation des formalités administratives et la prise de rendez-vous par internet ? Il reste encore onze titres de séjour différents. Ne serait-il pas temps de simplifier tout cela pour parvenir à trois ou quatre catégories ?
En matière d'immigration, la sincérité des chiffres permettra de mettre fin aux inquiétudes de nos compatriotes. Le rapport sur l'immigration devrait également donner les chiffres de sortie. Il faut moderniser notre dispositif statistique, monsieur le ministre.
L'autorisation de travail est une procédure lourde et complexe, qui dissuade les entreprises de recruter des étrangers. Les listes de métiers en tension pourraient être un outil pertinent, mais cette liste est plurielle et peu lisible. Le tableau 14 occupe quatre pages du rapport, avec 100 métiers qui peuvent donner lieu à titre de travail en fonction de la nationalité des postulants... Or, il faut à la fois considérer les besoins des entreprises et protéger le marché du travail en évitant le dumping social. Les outils actuels, lourds et complexes, n'incitent-ils pas les entreprises à contourner la loi ?
Ne faut-il pas envisager un titre intégrant une prolongation d'un an après le diplôme pour permettre à l'ancien étudiant de faire une première expérience professionnelle ? Aujourd'hui, 75 % des diplômés qui demandent un changement de statut l'obtiennent.
En 2008, le Sénat avait approuvé la suppression de la condition de nationalité pour diverses professions.
Les emplois de la fonction publique restent inaccessibles, sauf pour les enseignants chercheurs de l'enseignement supérieur ; pourquoi pas pour les enseignants du secondaire, si le besoin s'en fait sentir ?
Un mot sur l'immigration familiale, qualifiée de « subie » mais à qui nous confions le soin de s'occuper de nos enfants et de nos vieux... Une étude récente a montré que le travail des femmes immigrées avait un effet positif sur le PIB. Pourquoi les services à la personne sont-ils absents des listes des métiers sous tension alors que les besoins vont croissants, eu égard à une natalité qui ne faiblit pas, à l'allongement de l'espérance de vie et au fractionnement des cellules familiales ? Que l'on ne vienne pas nous dire que l'on subit ces travailleurs ! A nous de faire augmenter le taux d'activité des femmes venues dans le cadre de l'immigration familiale, en leur ouvrant des formations.
Instrumentalisée, l'immigration, réalité ancienne, aspire à la dignité. Le prochain projet de loi devra s'attaquer à ce mal récurrent, l'extrême sensibilité à l'égard de l'autre. J'espère qu'ensemble, nous pourrons démentir ce mot de Kundera selon lequel « l'immigré reste et restera le grand souffrant ». (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Chevènement . - Voilà de très bonnes orientations, conformes à celles qu'a fixées le président de la République et cohérentes avec le pacte pour la compétitivité qui fait suite au rapport Gallois. Voilà qui est conforme à la meilleure tradition française, et je tiens à en féliciter l'un et l'autre ministres. L'excellent rapport qui nous a été transmis en finit avec l'ère des approximations.
Une grande part de l'immigration est régie par des règles qui s'imposent à la France. Le solde, 110 000 personnes, est inférieur à celui des autres grands pays occidentaux. Le niveau de qualification est moindre et l'immigration de travail, inférieure à 20 000, est particulièrement faible.
Il faut accroître l'attractivité universitaire de la France qui, au cinquième rang mondial, est passée derrière l'Allemagne -on aurait pu s'attendre à pire après le quinquennat Sarkozy... Nos performances, dues à la qualité de notre système universitaire, sont le résultat de l'action de trois ministres des années 1998-1999, quand M. Guéant n'était pas à la manoeuvre.
Mais s'il y a 10 % d'étudiants chinois, on compte peu d'étudiants des autres grandes puissances émergentes. L'anglais comme langue d'enseignement, madame la ministre, ne sera pas, cependant, le meilleur moyen d'améliorer l'attractivité de la France. (M. Jacques Legendre approuve)
Pourquoi si peu d'étudiants russes en France quand il y en a quatre fois plus en Allemagne ? Que font les services de Campus France ? (Mme Dominique Gillot renchérit) Et les bureaux parisiens ? Une présélection serait bienvenue, pour répondre à la demande et à nos besoins. La Russie souhaite envoyer ses étudiants dans nos écoles d'ingénieurs. Si la réglementation interdit des quotas par écoles, changeons-là !
Les mesures annoncées sont bienvenues -visa permanent pour les doctorants étrangers, guichet unique, accueil personnalisé, pourquoi pas des emplois-jeunes ? Je suis contre la modulation des droits d'inscription, car il faut renverser la vapeur.
J'en viens à l'immigration professionnelle. La France comptant plus de 3 millions de chômeurs, on ne saurait supprimer le système d'autorisation (M. André Reichardt approuve), mais on peut l'alléger, accorder des dérogations, notamment pour les chercheurs et les artistes. Sur l'immigration de travail, les préfectures ont été sensibilisées... dans le mauvais sens. Je dis oui à une politique de l'immigration ferme et humaine, avec de nouveaux outils pour l'immigration qualifiée.
L'immigration professionnelle et étudiante, loin d'être un danger, est un atout pour notre pays et le redressement de son commerce extérieur. Nous vous faisons confiance pour aller de l'avant, audacieusement, au service de la France. (Applaudissements à gauche)
Mme Esther Benbassa . - Je centrerai mon intervention sur l'immigration étudiante, la moitié de l'immigration légale annuelle. J'attends la réalisation des promesses annoncées, alors que la France prend un retard croissant dans tous les domaines. Entre 2005 et 2011, le nombre d'étudiants étrangers admis au séjour a augmenté de 40 %. L'année 2012 a été, en revanche, marquée par un reflux. En 2011, 81,4 % des étudiants étaient extracommunautaires, dont 41 % étaient inscrits en doctorat, ce qui témoigne du dynamisme persistant de la recherche française mais est aussi liée au coût très bas des frais de scolarité : quelques centaines d'euros, à comparer avec les 45 000 dollars demandés à Harvard. (M. André Reichardt approuve)
Les trois quarts des étudiants sont inscrits à l'université, les écoles de commerce et d'ingénieurs ne viennent qu'ensuite. Les liens historiques persistent avec nos anciennes colonies : la majorité des étudiants étrangers viennent d'Afrique ; nous parvenons plus difficilement à attirer des ressortissants de pays émergents, même si nous avons 10,3 % de Chinois. La proportion est féminine à 52,9 %, hormis pour l'Afrique où elle n'est que de 42,8 %.
Qui dit immigration dit aussi fuite des cerveaux, si elle se transforme en immigration durable. On ne peut en faire fi. Reste que la France doit devenir une destination de premier choix pour l'enseignement de haute qualité, y compris en ouvrant des antennes à l'étranger. Chaque établissement doit définir ses orientations internationales et être appuyé par Campus France.
Il faut améliorer les conditions d'accueil. Le titre de séjour pluriannuel et le titre permanent pour les doctorants y pourvoiront. Il serait bon, aussi, d'améliorer l'orientation. Il n'est pas normal qu'un étudiant recalé à Harvard soit accueilli à la Sorbonne, où j'enseigne.
M. André Reichardt. - Eh oui !
Mme Esther Benbassa. - Et il faut s'intéresser aux bourses, comme le font les États-Unis.
M. Jacques Legendre. - Très bien !
Mme Esther Benbassa. - L'anglais est devenu langue dominante dans le monde : nos universités, M. Chevènement ne me suivra pas, devraient en tenir compte. Les Roumains ont accepté que leur université de Cluj enseigne en anglais, si bien que celle-ci attire un grand nombre d'étudiants du monde en médecine et en dentisterie.
Enfin, il est urgent d'élaborer une législation claire relativement au passage du statut d'étudiant à celui de salariés. Les pays émergents ont besoin de talents, de courages. L'immigration étudiante peut leur en fournir. A nous de les y aider. (Applaudissements à gauche)
M. André Reichardt . - Ce débat est l'occasion pour le groupe UMP d'imposer avec clarté et sincérité ses positions, loin des polémiques exacerbées. L'immigration est une constante, expression tantôt de liberté, tantôt de réaction à la misère. Notre époque n'échappe pas à cette dualité. Quelle réponse apporter, à cette aune, au phénomène ?
L'immigration d'aujourd'hui sera la richesse de demain. C'est dans cet esprit que nous abordons les choses. Former les forces vives d'autres nations participe au rayonnement de notre pays, via le soft power -puisque l'anglais n'est pas tabou pour certains.
L'immigration étudiante reste stationnaire. Notre formation politique ne lui est pas hostile, au contraire. Elle est favorable aux projets d'étude construits. Il est normal de distinguer entre titres de séjour étudiants et professionnels. Nous souhaiterions en savoir plus sur le titre pluriannuel à venir, monsieur le ministre. En revanche, nous sommes réservés sur le visa permanent pour les doctorants, d'autant qu'on a vu des diplômes de complaisance délivrés par le passé. Les frais de scolarité sont très bas dans nos universités, il faudra en tenir compte, d'autant que chez nos voisins, les coûts sont bien plus élevés.
L'immigration de travail, qui représente 25 000 personnes par an, doit s'intégrer à une politique migratoire clairement définie : il faut prendre en compte les 75 % de migrants familiaux, qui ont aussi accès au marché du travail. Il ne s'agit pas de faire peur mais d'alerter. La France est déjà très accueillante, en particulier pour les emplois à faible valeur ajouté, alors que le chômage explose. Nous attendons, monsieur le ministre, des éclaircissements sur vos orientations.
Certes, l'immigration de travail vient combler des manques mais n'est-elle pas précisément le symptôme d'une inadaptation de nos demandeurs d'emplois et d'un manque de compétitivité de nos entreprises ? Et, partant, une étape sur le chemin de la délocalisation ? Sans l'inflation des diplômes, la tertiarisation excessive de nos étudiants, peut-être en irait-il autrement. La question est structurelle et doit nous alerter sur nos politiques de l'emploi.
Nous ne sommes pas pour l'immigration zéro mais pour une immigration maîtrisée. C'est dans cet esprit que nous avons agi durant la précédente législature, loin des caricatures qui en ont été faites et des idéologies nauséabondes que nous récusons bien évidemment. La loi du 16 juin 2011, ni injuste ni laxiste, fut accommodante avec les immigrés qui le méritaient et facilitait le travail de la justice. Les jeunes majeurs étrangers confiés à l'aide sociale à l'enfance ont eu droit à une carte de travail temporaire l'année suivant leurs 18 ans. On est loin d'une politique du tout répressif. Si bien que je comprends mal l'indignation peu maîtrisée de certains. Les exigences liées à la langue et au respect des principes de la République étaient, sans doute, insuffisants. Les dispositions relatives à la rétention et à la compétence des juges ont été injustement critiquées.
La France a été le premier État à avoir mis en oeuvre la directive dite « carte bleue européenne » pour les travailleurs hautement qualifiés. Une carte de séjour temporaire de trois ans leur a été octroyée, étendue à leur conjoint. La circulaire Guéant, vilipendée ? (« Oui » à gauche) Nous ne la renions pas. (Marques d'indignation sur les mêmes bancs) Ce n'est pas un mauvais sentimentalisme qui a conduit notre action. Nous continuerons à militer pour une politique rigoureuse, qui seule fera de l'immigration étudiante et professionnelle une richesse pour notre pays. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Dominique Gillot . - On connaît les enjeux attachés à la formation des élites dans la mondialisation, qui a fait entrer la logique de la concurrence entre les universités. Pour exister, elles doivent attirer les meilleurs étudiants et les meilleurs chercheurs. Cela contribue au soft power des États. La France s'est située dans cette tradition et a bénéficié de l'apport de brillants étrangers. Le gouvernement Jospin a été novateur. Les gouvernements alternés ont poursuivi, jusqu'à la création d'un opérateur unique, Campus France, dont l'efficacité reste à construire.
Las, une politique brutale a eu des effets désastreux. En dépit de l'augmentation du nombre d'étudiants accueillis, nous sommes relégués au cinquième rang, derrière l'Australie et l'Allemagne. On semble considérer l'étudiant étranger comme un clandestin potentiel. La circulaire Guéant a été désastreuse pour l'image de la France. Vous l'avez abrogée sans tarder, rétablissant l'image de notre pays auprès des étudiants et chercheurs du monde, qui sont les meilleurs ambassadeurs de notre pays, après leur séjour en France.
Trop d'obstacles cependant, demeurent. Des processus administratifs kafkaïens, des exigences vexatoires font, à l'heure d'internet, un mal considérable. Il faut améliorer les dispositifs d'accueil dans le pays d'origine. Je me réjouis de l'annonce d'un titre pluriannuel. Le sérieux des études devra être vérifié chaque année. Cela simplifiera la vie des étudiants et le travail des préfectures. Le guichet unique va également dans le bons sens. Je propose, dans ma proposition de loi...
M. Ronan Kerdraon. - Excellente proposition de loi !
Mme Dominique Gillot. - ...un titre de séjour pluriannuel pour la durée des études et je me réjouis que Mme Fioraso ait soutenu cette idée, comme celle de faciliter la circulation dans tout l'espace Schengen. Il faut aussi assouplir l'accès à l'emploi car seule une expérience professionnelle permettra aux étrangers, à leur retour, de déployer leur savoir-faire dans leurs pays. Et l'on est aussi en droit de vouloir garder certains des talents que l'on a formés.
Il ne suffit pas, pour faire une bonne politique, de simplifier les démarches administratives. Une vraie politique doit se déployer en trois axes. Vers les pays en développement, il faut définir des cibles ou des publics prioritaires, et envisager une modulation des droits d'inscription en fonction des conditions locales. Il n'est pas logique de demander les mêmes droits à un Togolais qu'à un Chinois. Au-delà, il faudra accompagner nos établissements pour qu'ils implantent des campus dématérialisés à l'étranger. Enfin, il faut favoriser l'accueil des étudiants de troisième cycle.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Dominique Gillot. - L'immigration étudiante et professionnelle est une chance pour notre pays, un investissement d'avenir durable. (Applaudissements à gauche)
Mme Cécile Cukierman . - L'immigration est un sujet sensible s'il en est et il est bon que le Parlement en débatte. On se souvient des mesures iniques prises par le précédent gouvernement. Peut-être serait-il temps de revoir le Ceseda en profondeur, tant la droite a durci notre législation en ce domaine.
Les immigrés participent à l'économie de notre pays. Je m'associe à ceux qui demandent la régularisation des sans-papiers selon des critères justes. La France, à en croire les rapports, n'est plus un pays de forte immigration. Il y a donc un décalage entre le discours sur un prétendu « trop d'immigration » et les données chiffrées. Cependant, on ne perçoit guère le changement qu'a apporté l'arrivée de la gauche. L'immobilisme du Gouvernement est un renoncement à poser les bases d'une réforme en profondeur.
Voyager et changer librement de pays est un privilège des riches, dans notre monde ouvert... Il n'en va pas de même pour l'immigration qui, en France, reste liée à notre histoire, et loin des proportions constatées en Allemagne avec l'immigration venue des anciennes Union soviétique et Yougoslavie.
Le savoir est la propriété de l'humanité. L'échange le forge. L'immigration est donc une chance fantastique pour le pays d'accueil. Les jeunes vont où ils ont les meilleures chances de réussir, vers les sociétés les plus fluides, les plus ouvertes à l'avenir, pas vers celles qui se referment sur leur passé.
Or nous assistons à une privatisation des savoirs, accompagnée d'une restriction au séjour. Les étudiants, via les centres d'études en France, sont de plus en plus drastiquement sélectionnés, sur un critère financier. Comment peuvent-ils vivre avec 620 euros par mois sans se jeter dans la gueule du patronat ? Le processus de Bologne est aussi une harmonisation des exigences patronales en Europe. Il est temps de remettre le savoir au coeur de la solidarité.
Un grand nombre de migrants vivent en Europe mais avec des visas touristiques. Il faut s'interroger sur le nombre de redoublements possibles. La France dispose de nombreux atouts et nous ne devons pas y revenir. Une politique de simplification administrative s'impose pour faciliter la vie des étudiants étrangers. (Applaudissements à gauche)
M. Vincent Capo-Canellas . - Le Gouvernement souhaitait organiser ce débat, qui a lieu en premier devant le Sénat. C'est une bonne chose.
La venue des étudiants étrangers est voulue par tous ; encore faut-il en définir les modalités. Pour l'immigration professionnelle, les besoins des entreprises existent et nous devons en tenir compte. Vous voulez dépassionner le débat, monsieur le ministre, et c'est heureux pour aborder de telles questions. Évitons les approches idéologiques qui voudraient, les unes, accueillir tous les étrangers, les autres, fermer les frontières ; nous sommes pour une approche réaliste.
La lutte contre l'immigration illégale est indispensable. Nous ne pouvons accepter non plus la ghettoïsation de certaines communautés. Comme le disait M. Rocard, notre pays ne peut pas accueillir toute la misère du monde même s'il doit y prendre toute sa part. Depuis votre arrivée place Beauvau, vous menez une politique réaliste. Vous faites preuve de fermeté et nous vous approuvons. En Seine-Saint-Denis, nous sommes montés jusqu'à une centaine de camps de Roms, certes pauvres mais où prospèrent les trafics en tout genre. Votre approche réaliste se traduit par le refus de régularisations massives, comme ce fut le cas en 1981. Les régularisations sont restées des exceptions.
La nécessaire maîtrise des flux migratoires ne peut se faire au détriment des étudiants étrangers ni des besoins des entreprises. La protection du marché du travail impose de garder en l'état la législation en vigueur. Peut-être faut-il simplifier les procédures complexes qui dissuadent les employeurs de recruter. Vous proposez de promouvoir une politique d'attractivité pour attirer les travailleurs les plus qualifiés, nécessaires à notre économie. Attention de ne pas ouvrir les vannes ! Sans doute faudrait-il revisiter la liste des métiers en tension.
L'immigration étudiante fait consensus. Les pays émergents forment de plus en plus leurs jeunes et nous devons recruter des étudiants en maîtrise ou en doctorat, tout en évitant la fuite des cerveaux de ces pays. La France occupe une place honorable, même si elle a perdu du terrain ces dernières années. L'accueil de ces étudiants participe au rayonnement de la France.
Vous proposez un titre de séjour pluriannuel et c'est une bonne chose. L'administration devra pourtant continuer à surveiller les flux migratoires. Vous le voyez, nous sommes réalistes en ce domaine. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Yves Leconte . - Débattre de manière apaisée de l'immigration, c'est essentiel, comme l'avait dit le président de la République. Nous devons accueillir des jeunes étudiants, qui seront les ambassadeurs de notre pays pour la vie. De même faut-il recevoir les immigrants professionnels dont notre économie a besoin.
La France accueille de nombreux étudiants étrangers, mais elle a perdu de son attractivité. La circulaire Guéant a eu des effets désastreux qu'il sera difficile d'effacer. Les demandes administratives devront être simplifiées, mais la réputation de notre enseignement supérieur ne peut être déconnectée de la réalité économique.
Et puis il faut parler de Campus France et de ses dysfonctionnements. La procédure suivie est lente, compliquée et coûteuse. Campus France émet un avis sur le dossier des étudiants et les consulats émettent, ou non, des visas. Tout ceci est incompréhensible.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. - Voyez les chiffres au Mali ou en Russie. Les étudiants finiront par aller chercher ailleurs une formation qualifiante. Plutôt que d'être l'antichambre des consulats, Campus France devrait être placé sous l'égide des universités de l'enseignement européen. Profitons de notre réseau à l'étranger pour proposer des mises à niveau dans notre langue aux aspirants étudiants.
Le prochain boom démographique est en Afrique. C'est notre devoir que d'accompagner ce continent en l'aidant à s'accrocher au train de la croissance.
La généralisation des titres de séjour pluriannuels est une excellente nouvelle. Nous simplifions ainsi la vie des étudiants en France et allégeons les tâches des préfectures.
L'accès au marché du travail est le commencement des études. L'APS passera de six mois à un an. Les anciens étudiants doivent pouvoir avoir accès à un CDI. Enfin, la suppression de la mention de retour au pays d'origine est une nécessité. Au nom de quoi les obliger à rentrer chez eux ? La question de frais de scolarité est posée. La France doit offrir la qualité maximale sans que cela soit supporté par les contribuables français, mais il est difficile de prévoir des tarifs différenciés en fonction des nationalités, hors ressortissants européens.
Notre marché du travail n'est pas indépendant de celui des autres pays européens. Faisons en sorte que notre droit du travail ne soit pas contourné.
Posons-nous la question du montant de la taxe pesant sur les immigrants. Pourquoi taxer l'employeur qui emploie un étranger alors que c'est cet emploi qui permettra de dynamiser notre société ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Ronan Kerdraon . - J'ai eu beaucoup de plaisir à entendre les propos du ministre, qui tranchent avec ceux du gouvernement antérieur. Depuis la fin des années 90, le nombre d'étudiants étrangers a considérablement augmenté : aujourd'hui, un étudiant sur dix est étranger. La France est perçue comme un pays ayant un rôle culturel et intellectuel primordial.
Hors dans quelques établissements qui les accompagnent, les étudiants qui débarquent sont seuls, c'est un choc de cultures. Livrés à eux-mêmes, ils doivent comprendre notre système universitaire compliqué, trouver un logement, ouvrir un compte bancaire... Si bien que 80 % des étudiants étrangers souffrent de difficultés financières. Ils se plaignent des mauvaises conditions d'accueil dans les universités françaises. Les informations sont données au compte-gouttes et sont trop parcellaires. Les préfectures de police et les organismes de logement donnent aussi trop peu d'informations. De nombreux rapports ont été publiés sur le sujet. Au Gouvernement d'agir, maintenant, en créant un guichet unique.
Dans cette course à l'excellence, la France a les moyens de son ambition. La très controversée circulaire Guéant, heureusement abrogée, portait atteinte à l'image de notre pays.
La carte pluriannuelle est une bonne nouvelle et referme le chapitre ouvert par l'ancien gouvernement. Je salue la proposition de loi Gillot, qui répond à une revendication forte des étudiants étrangers. Campus France doit revoir sa politique et il n'est plus possible de demander aux étudiants étrangers de disposer de 7 000 euros par an -le décret de septembre 2011 doit être retiré.
Le président de la République s'est engagé à accueillir 50 000 étudiants par an, nous devons offrir un accueil de qualité à tous ceux qui viennent chercher l'excellence dans nos universités. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Geneviève Fioraso, ministre . - Je remercie le groupe socialiste d'avoir pris l'initiative de ce débat, qui s'est déroulé de façon sereine. L'accueil et les conditions de vie des étudiants méritent d'être améliorés, tout le monde l'a dit. Le Gouvernement s'est engagé pour le logement, nous travaillons sur la question des cautions avec Mme Duflot.
La francophonie... L'Afrique subsaharienne est importante, très convoitée par les pays asiatiques. Nous avons développé des relations particulières avec le Maroc et le Sénégal, pays sur lesquels nous entendons nous appuyer. J'ai évoqué les BRICS... Je remercie M. Chevènement d'avoir insisté sur la Russie, avec laquelle nous avons des liens linguistiques historiques ; le niveau scientifique et technologique en Russie est très élevé, nous devons accueillir davantage d'étudiants.
La défense de la francophonie n'est pas incompatible avec l'accueil des étudiants coréens, indiens ou brésiliens. Mais l'obstacle du langage est important, surtout pour les formations scientifiques et technologiques ; nous avons donc proposé de déroger, de manière très encadrée, à la loi Toubon, afin d'autoriser des formations en anglais, mais aussi en allemand -étant entendu que le passage du diplôme se fera en français. Nous pourrons ainsi accueillir des étudiants qui, sinon, iraient dans les universités anglo-saxonnes, ce qui permettra d'élargir à la fois notre influence et nos marchés économiques.
Vous avez évoqué les programmes Erasmus, qui bénéficient d'une augmentation de leur financement, même si les programmes en direction de la Méditerranée ont été touchés. Je me suis battue avec d'autres pour que la Commission européenne développe des programmes Erasmus dans les filières technologiques et professionnelles.
Sur les droits d'inscription, le débat n'est pas tabou, mais il ne faut pas s'attendre à gagner beaucoup de devises... Le nombre d'étudiants concernés serait faible. Pourquoi d'ailleurs ne pas faire un avantage de nos droits historiquement bas ?
Je me félicite des titres pluriannuels de séjour et de l'extension à un an après les études, aussi de notre convergence de vues.
Campus France fait l'objet d'une évaluation conjointe par le ministère des affaires étrangères et le mien ; l'institution est récente, mais les dysfonctionnements sont trop nombreux pour être négligés. Le Sénat sera tenu informé.
Merci de partager notre état d'esprit, mesdames et messieurs les sénateurs. Nous animons insuffisamment nos réseaux d'alumni -un nom un peu barbare pour désigner nos réseaux d'anciens étudiants étrangers (Mme Esther Benbassa s'amuse), alors qu'il s'agit d'un outil redoutablement efficace. Nous avons là des marges de progression. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Manuel Valls, ministre . - J'ai été moi aussi heureux de la sérénité des débats de ce soir. La Haute assemblée sait prendre du recul et se méfier des idées reçues ; voilà qui lui fait honneur. Les migrations internationales sont l'un des grands phénomènes du XXIe siècle. Il faut oser en débattre sans a priori, sans angélisme ni naïveté.
La France a une position singulière en Europe. Elle a une démographie favorable, position enviable comparée à celle de l'Allemagne ou l'Italie. Pour autant, notre pays affronte une crise qui pèse sur la situation de l'emploi.
A court terme, une circulaire mettra en oeuvre les dispositions que vous avez évoquées sur le titre de séjour pluriannuel, la sélection des étudiants, l'autorisation de travail, l'accueil en préfecture. Oui, madame Gillot, il faut mettre fin au cauchemar annuel du renouvellement des titres de séjour. Nous devons améliorer l'accord des étrangers en préfecture, avec des rendez-vous par internet.
L'action de Campus France devra être évaluée dans le cadre d'une stratégie fondée sur l'excellence, ce qui impliquera de responsabiliser les universités.
A court terme, il faut aussi réfléchir à l'évolution des outils de l'immigration professionnelle : le foisonnement de normes et des dispositifs nuit à notre attractivité. Mes services travaillent avec ceux de mon collègue en charge du travail pour définir un cadre plus efficace et plus réactif.
À moyen terme, il faudra faire évoluer le cadre légal. Un projet de loi sera déposé, je le souhaite cet été, afin de généraliser les titres de séjour pluriannuels, améliorer l'accueil en préfecture pour concentrer les moyens sur le contrôle, refondre les titres de séjour et renforcer les moyens de lutte contre l'immigration irrégulière dans le respect du droit. Ce texte ne sera pas une cathédrale législative mais elle permettra de tirer un trait définitif sur la loi Guéant. Nous travaillons ainsi à une réforme d'équilibre, durable et responsable. J'espère qu'un large consensus sera possible.
A plus long terme, il faudra réfléchir aux questions migratoires avec deux objectifs : la lutte contre l'immigration irrégulière mais aussi l'attractivité de notre territoire. Si nous nous refermons sur nous-mêmes, demain nous serons marginalisés.
Tout cela nécessite de la pédagogie, les peurs sont encore là. Si l'immigration devenait incontrôlée, nos concitoyens nous jugeraient sévèrement. Nous avons besoin du comité interministériel pour contrôler les flux, établir des statistiques fiables et exhaustives, s'appuyer sur les travaux des experts et des chercheurs. J'ai proposé au Premier ministre de refonder le comité en ce sens.
Il nous faudra aussi dynamiser l'accueil des migrants les plus pauvres. Si l'immigration professionnelle est limitée, il y a aussi une immigration familiale qui a accès au marché du travail. La formation professionnelle devra être améliorée -60 % des migrants familiaux ont un niveau inférieur au baccalauréat. Les primo-arrivants ont du mal à trouver du travail, leur insertion est lente -on sait ce qu'il en est dans certains quartiers.
Quid des métiers réservés aux nationaux ? Il faudra y réfléchir. Enfin, il y a des employeurs sans scrupule qui contournent les règles, emploient des étrangers sans papier ou des travailleurs communautaires faussement détachés. Un plan national a été adopté. Les contrôles seront renforcés et les sanctions exemplaires. Ce qui n'exclut pas une régularisation au cas par cas dans les conditions strictes, uniformes et transparentes de la circulaire du 28 novembre 2012.
Le débat de ce soir n'est qu'une étape sur la voie de la refondation de notre politique migratoire, qui doit être intelligente et responsable. Il a démontré que l'on peut discuter dans un cadre apaisé. Je salue vos interventions et l'implication de Mme Fioraso : notre pays redeviendra le pôle d'attractivité qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Le débat est clos.
Prochaine séance, aujourd'hui, jeudi 25 avril 2013, à 9 h 30.
La séance est levée à minuit trente.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du jeudi 25 avril 2013
Séance publique
A 9 heures 30
1. Débat sur la loi pénitentiaire.
A 15 heures
2. Questions d'actualité au Gouvernement.
A 16 heures 15
3. Débat sur la politique européenne de la pêche.