Débat sur le programme de stabilité
M. le président. - L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le projet de programme de stabilité.
M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances . - La priorité, c'est un recul durable du chômage. Toute notre politique est tournée vers cet objectif. Le Gouvernement comme la majorité doivent répondre à deux questions. Comment redresser nos comptes sans étouffer la croissance ? Quelles réformes mener pour susciter activement la reprise de l'activité ?
C'est l'objet du premier programme de réforme que nous vous présentons et qui décrit la stratégie du Gouvernement. La procédure n'est donc pas celle d'une loi de finances, elle n'appelle pas à vote dans la même forme. Cependant, ce texte a une grande portée symbolique et politique. Il sera transmis à la Commission européenne, laquelle fera des recommandations, puis il sera adopté par l'Ecofin en juin.
Ce programme s'inscrit dans un contexte difficile. L'héritage est lourd à assumer. Nous sommes en responsabilité, c'est nous qui serons jugés sur les résultats. Or nous subissons les conséquences lourdes de la situation que nous avons trouvée.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous aggravez les choses !
M. Pierre Moscovici, ministre. - Vous avez aggravé le déficit de 600 milliards et il aurait encore été de 5,8 % en 2012 si nous n'y avions mis bon ordre. De 2007 à 2012, la croissance aura été nulle en moyenne, le nombre de chômeurs s'est accru de 1 million ; depuis dix ans, 750 000 emplois ont été détruits dans l'industrie.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Et ça continue !
M. Pierre Moscovici, ministre. - En 2002, le France était en excédent commercial et l'Allemagne était l'homme malade de l'Europe.
Si la crise de la zone euro est derrière nous, persiste une crise sans précédent dans la zone euro. Une deuxième année de récession guette et M. Barroso a bien dit qu'il fallait réviser la politique économique européenne.
Peut-on redresser l'économie sans redresser les finances publiques ? Une économie qui s'endette s'affaiblit, elle perd de sa souveraineté. Il ne faut pas être dogmatique, rigide, mais vigilant et responsable pour trouver un rythme de redressement de nos comptes publics qui ne casse pas toute croissance. La semaine dernière, j'étais au G 20 et j'ai noté une convergence très forte sur la croissance, l'emploi et sur l'amélioration des finances publiques. La priorité est à la croissance, à des réformes de structures indispensables, mais l'austérité n'est pas la solution.
Nos prévisions sont identiques pour 2013 et 2014 à celles de la Commission européenne. Ensuite, l'économie française reprendra un rythme de croissance plus élevé, à 2 % par an. Le Haut conseil des finances publiques...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - ...qui ne sert à rien, n'étant pas écouté.
M. Pierre Moscovici, ministre. - ...a rendu son avis. Il estime que la croissance est menacée par certains aléas (Mme Nathalie Goulet s'exclame) qui peuvent toutefois jouer aussi bien à la hausse qu'à la baisse. Nous ne voulons pas être pessimistes, ce serait faire preuve d'une défiance à l'endroit de notre économie, que rien ne justifie. L'Europe va progressivement redémarrer, les décisions du pacte de croissance vont produire leurs effets.
Les réformes que nous menons en France vont porter leurs fruits. La compétitivité est notre priorité, avec diverses mesures fiscales qui encouragent l'innovation : la BPI a été créée, la loi bancaire a été adoptée. En 2013, nous ferons des réformes majeures en matière économique et nous présenterons un projet de loi sur la consommation pour lutter contre les rentes injustifiées.
Le Gouvernement prépare l'avenir en encourageant les investissements, tant en matière de recherche que de logement ou dans le numérique. Nous allons amplifier la productivité grâce à une grande réforme de la formation professionnelle. Nous avons réformé le marché du travail avec l'accord national interprofessionnel, qui est perçu à l'étranger comme un signe majeur de réforme en France.
Ces réformes, qui permettent d'envisager une réduction des déficits publics, ont été approuvées à l'Assemblée nationale. (Exclamations à droite)
M. Jean-Claude Lenoir. - Pourquoi le Sénat ne vote-t-il pas ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'est qu'il n'y a pas de majorité...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Le Sénat veut s'exprimer par un vote !
M. Pierre Moscovici, ministre. - Nous devons trouver un bon équilibre dans le rétablissement de nos comptes. En 2013, il ne faut pas casser la croissance ; en 2014, nous ferons des économies de dépenses et, en 2015, nous poursuivrons l'effort. Notre politique est sérieuse et juste. Pour 2013, nous voulons éviter d'ajouter la crise à la crise en présentant un nouveau collectif budgétaire qui précipiterait l'économie française dans la récession. Les moteurs de la croissance doivent être soutenus.
Cette politique équilibrée garde le cap budgétaire. En 2014, nous réduirons le déficit à 2,9 %, afin de respecter nos engagements européens : 2014 sera une date charnière. (Exclamations à droite) Nous voulons préserver les priorités sociales et l'éducation, dont ont besoin les Français.
Notre ambition s'inscrit dans la durée...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'est mal parti.
M. Pierre Moscovici, ministre. - ...en gardant à l'esprit la justice sociale et la priorité à la jeunesse. Tout cela prendra du temps mais nous creusons notre sillon et la France pèsera davantage sur l'Union européenne.
Ne croyons pas que nous sommes plus forts en Europe si nous laissons faire. Ces choix sont sérieux, responsables, ambitieux, réalistes.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous cherchez à gagner du temps.
M. Pierre Moscovici, ministre. - Et j'attends du Sénat qu'il soutienne cette politique. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)
M. François Zocchetto. - Bel enthousiasme sur les rangs de la majorité.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ça ne va pas durer.
M. Alain Bertrand. Il y a un cap !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Faites-vous plaisir.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget . - Je vais vous présenter le programme de stabilité sur lequel nous allons nous engager devant la Commission européenne.
Depuis mai dernier, la situation des dépenses a-t-elle évolué ? La trajectoire s'est-elle améliorée ? Y a-t-il une volonté de procéder à des ajustements budgétaires par une augmentation systématique de l'impôt ? Comment a évolué la pression fiscale ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Bonne question !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Quelle est notre stratégie en matière de dépenses ? Quel est l'impact de la politique budgétaire sur la croissance ?
Le Haut conseil des finances publiques s'est prononcé sur les hypothèses de croissance.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - On ferait mieux de le supprimer.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Ce devrait être 1,2 % en 2014 et 2 % ensuite. Cela suppose que nous continuions à être volontaristes pour chercher la croissance. Volontarisme, dis-je, qui n'est pas le simple optimisme que l'on nous reproche.
La première loi de finances pour 2012, préparée par la précédente majorité, tablait sur 1,75 % de croissance. Tout le monde estimait que c'était optimiste. Quelques semaines plus tard, nous étions à 1 %. Le collectif suivant a tablé sur 0,5 %.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'était transparent ! Vous, vous faites l'autruche.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - C'était surtout beaucoup d'approximation, une navigation à vue.
C'est pourquoi des collectifs sont venus modifier les hypothèses de croissance. En 2013, nous ne le ferons pas car nous ne voulons pas modifier le niveau des recettes et des dépenses et qu'ajouter l'austérité à la crise, ce serait aller vers la récession. Nous sommes plus prudents que la droite ne le fut et nos hypothèses sont celles de la Commission européenne, qui est à 1,2 % pour 2014.
Sur l'évolution de nos dépenses publiques, je m'en tiendrai aux chiffres, qui sont incontestables. Entre 2002 et 2007, l'évolution des dépenses publiques a été de 2,3 % par an, puis de 1,7 % entre 2007 et 2012. En 2012, les dépenses publiques ont augmenté de 0,7 %, contre un objectif de 0,5 %, à cause des dépenses des collectivités locales. L'effort de l'actuel gouvernement est donc bien réel, nul ne peut le nier.
En 2012, nous avons vu une diminution des dépenses de l'État de 300 millions, pour la première fois depuis les débuts de la Ve République. L'habitude était qu'elles augmentent en moyenne de 5 à 6 milliards par an. Vos critiques sont donc infondées.
J'en viens aux dépenses de protection sociale : les dépenses de l'Ondam ont augmenté d'un peu plus de 2 %. Au cours du dernier quinquennat, elles augmentaient de plus de 4 %. Sans commentaire. En 2012, nous avons dépensé 1 milliard de moins que prévu par le gouvernement Fillon. Ces chiffres témoignent du mauvais procès qui nous est fait.
M. Marc Daunis. - Eh oui, c'est incontestable.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Je rejoins les propos de M. Arthuis d'il y a quelques jours : il disait qu'on ne pouvait échapper aux chiffres établis, qui reflètent le passé.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - C'est le passé regardé avec votre lorgnette.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Le semestre européen permet au Parlement d'être averti des intentions du Gouvernement face à l'Union européenne. Nous indiquons nos trajectoires, nous précisons nos objectifs et nos résultats. On voit ainsi ce qu'il en est : la précédente majorité prévoyait des augmentations d'impôt. Nous sommes à peu de chose près, en la matière, sur la même trajectoire.
Les déficits sont à ce point importants qu'il n'est pas possible de faire autrement, de les réduire par la seule diminution des dépenses publiques, sous peine d'une récession incontournable.
Pour 2014, nous avons un effort à faire de 20 milliards, pour les deux tiers pour des économies et pour un tiers pour une augmentation de la pression fiscale. Ensuite, cet effort se stabilisera.
Peut-on alors parler, comme vous le faites, de « matraquage fiscal » ? Non, puisque dans les 6 milliards, un milliard est déjà acté. Des recettes prévues en 2013 n'ont pas encore été engrangées pour des raisons diverses. Je pense à la taxe sur les transactions financières ou à la tranche d'imposition à 75 %, annulée par le Conseil constitutionnel et qui entrera en vigueur en 2014, selon les modalités nouvelles que nous avons retenues. Nous attendons aussi 4 milliards de la lutte contre la fraude fiscale, sachant qu'en 2012, 2 milliards ont été récupérés sur les fraudeurs. Nous poursuivons et amplifions l'effort en 2014. Nous ajustons par des économies et ne sollicitons l'impôt qu'à la marge.
J'en arrive aux déficits. Le déficit structurel est passé de 30 à 100 milliards en dix ans.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - On est passé du vice à la vertu.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - La dette a pris 25 points de PIB entre 2007 et en 2012. En 2012, nous avons pris des dispositions fiscales pour éviter le dérapage des comptes de l'État. Si nous ne l'avions fait, le déficit aurait été de 5,5 % au lieu de 4,8 %.
Il a fallu, en outre, recapitaliser Dexia, combler le budget de l'Union européenne. On a compté aussi le 0,1 % de déficit supplémentaire de 2011. Ainsi, et cela seul nous est imputable, qu'une croissance qui est restée en deçà de l'hypothèse que nous avions retenue, à 0,3 %. Mais 2012 a marqué la baisse des déficits structurels.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Tout va bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Je comprends que ces chiffres gênent mais on ne peut échapper à leur réalité !
Cette politique de rigueur nous éloigne-t-elle de la croissance ? Le Gouvernement s'est engagé dans une politique d'investissement ambitieuse : 20 milliards pour le numérique, 500 000 logements sociaux neufs, sans compter les 120 milliards du pacte de croissance.
M. Jean Arthuis. - Taratata !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Si vous le souhaitez, je viendrai devant votre commission des finances détailler les actions menées dans le cadre de ce pacte.
La rigueur ne se fait pas au détriment de la croissance mais l'équilibre doit être subtil. Sans croissance, pas de rétablissement des comptes mais sans rétablissements des comptes, pas de croissance ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances . - Chacun mesure l'importance du programme de stabilité. Il s'agit d'un moment clé du semestre européen. L'interdépendance des économies européennes implique une vision commune. Les questions qui se posent à la France se posent partout en Europe.
Nous nous félicitons de voir l'Europe se saisir de sujets majeurs comme la croissance économique, l'union bancaire, la taxe sur les transactions financières, la lutte contre l'évasion fiscale. La volonté régulatrice de l'Union européenne s'affirme enfin. Si l'Europe s'anime, c'est parce que la France est entendue et que les autorités européennes prennent conscience d'une lourde erreur d'analyse économique qui allait mener l'Europe à mourir guérie. La théorie keynésienne est depuis peu réhabilitée contre l'ultralibéralisme ambiant. Écoutez les propos de nos principaux dirigeants internationaux, de Christine Lagarde à Manuel Barroso, en passant par Olli Rehn. C'est un vrai changement climatique.
De nouveaux défis nous attendent ; il faut plus de marge de manoeuvre budgétaire et réduire l'endettement. Mais cet ajustement ne doit pas conduire à la récession et au chômage. Nos concitoyens ne l'accepteraient pas ; nous devons préserver la croissance. Un ajustement trop brutal n'est pas souhaitable.
Ce programme repousse à 2014 le déficit à moins de 3 % du PIB. Le cap est clair, le redressement des finances publiques reste une priorité. Reporter les 3 % n'est pas renoncer aux efforts. La trajectoire ainsi proposée est ambitieuse et conforme à nos engagements européens. Les efforts programmés sont très conséquents : 20 milliards en 2014 et, au total, 110 milliards entre 2012 et 2017.
En 2012 et 2013, l'effort porte principalement sur les recettes et sur les ménages les plus aisés. Stratégie justifiée car elle a un moindre effet dépressif et limite l'impact négatif sur la demande intérieure. L'effort demandé aux entreprises est déjà en partie compensé par le CICE, qui allégera leurs charges de 20 milliards. Sur la période 2013-2017, l'effort portera pour près des deux tiers sur les dépenses.
Cet effort considérable suppose préparation, concertation et méthode. Telle est la démarche engagée par le Gouvernement dans le cadre de la modernisation de l'action publique : il s'agit, non d'une logique aveugle de réduction de la dépense mais de préserver nos services publics, de moderniser notre modèle social et de favoriser des politiques au service de la croissance et de la cohésion sociale. Nous héritons d'un lourd fardeau mais le redressement, bien engagé, est une nécessité, sauf à devoir demain procéder à des ajustements encore plus douloureux. Ce qui n'empêche pas le Gouvernement de mener une politique de gauche, avec des priorités en faveur de l'enseignement, de la cohésion sociale, de la sécurité et de la justice.
La crédibilité de la trajectoire retenue est un capital précieux mais fragile parce que nous n'avons pas toujours été vertueux. Le Gouvernement a déjà montré son sérieux budgétaire et engagé des réformes structurelles d'ampleur, poursuivi et réorienté les investissements d'avenir, créé la BPI, lancé le pacte pour la croissance et un choc de simplification en direction des PME.
Cette crédibilité est nécessaire pour mobiliser le pays. La fixation d'un cap sur la législature doit favoriser le retour de la confiance. Et nous devons être crédibles vis-à-vis de nos partenaires européens : on ne peut écarter ce que le président Arthuis appelle le « règlement de copropriété de l'euro » sans mettre en péril l'avenir de la zone.
Cette crédibilité est enfin importante pour les investisseurs. Les taux très bas auxquels nous émettons les titres de notre dette, la réduction de l'écart avec l'Allemagne montrent que notre politique ne suscite pas leur défiance, au contraire.
Le Haut conseil des finances publiques juge les hypothèses de croissance du Gouvernement optimistes, mais pas irréalistes. Elles ne sont pas hors de portée. Si la croissance ne permettait pas de revenir sous les 3 % en 2014, la question d'ajustements supplémentaires se poserait. Il faut inscrire notre trajectoire dans la durée -c'est ce que fait le Gouvernement.
Au niveau de l'Union européenne, les avancées, depuis un an, sont considérables : action de la BCE, union bancaire, pacte pour la croissance porté par le Président de la République. Nous allons vers plus d'intégration et plus de solidarité.
Tel est le sens de notre action depuis un an. Une prise de conscience semble émerger en Europe si l'on en juge par les signaux de ces derniers jours. Hier encore, Manuel Barroso évoquait une réorientation vers une stratégie axée sur la croissance. Nous avons bon espoir d'obtenir l'agrément de la Cour européenne sur ce programme et je souhaite que l'Union européenne, tout en maintenant une discipline collective, puisse relancer la croissance et une dynamique d'avenir pour le projet européen. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean Arthuis . - Le programme de stabilité et le programme national de réforme sont des actes majeurs mis ici furtivement en débat. Ils engagent la trajectoire budgétaire jusqu'en 2017, encadrent nos futures lois financières, décrivent les pistes de réforme qui permettront de tenir les objectifs. Comment admettre, dès lors, que ce débat ne soit pas sanctionné par un vote ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Bonne question !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Eh oui !
M. Jean Arthuis. - M. Moscovici nous a demandé notre soutien. Mais comment manifeste-t-on son soutien, si ce n'est par un vote ? Le précédent gouvernement avait autrement agi en avril 2011, et c'est ainsi que nous étions entrés dans le semestre européen. Jusque là, on nageait dans l'illusionnisme budgétaire, le volontarisme des hypothèses de croissance et la sous-évaluation des dépenses... Il a fallu la crise des dettes souveraines pour changer la donne et les procédures. La crise nous engage aujourd'hui à sortir du déni de réalité, dans l'intérêt de la France et de son redressement économique. Interdire au Sénat de voter, c'est une véritable humiliation.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Une vexation.
M. Jean Arthuis. - Comment la majorité a-t-elle pu se résigner ainsi ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Mais y a-t-il encore une majorité ?
M. Jean Arthuis. - Nos options ne sont pas les vôtres. En créant le Haut conseil des finances publiques, le Gouvernement n'entendait-il pas rompre avec le volontarisme d'antan ? Las, il n'en est rien. Le Haut conseil a fait la preuve de son indépendance et levé les suspicions à son égard. Il a osé déclarer que la France est en récession. Ce que nous voyons chaque jour dans nos départements le confirme. Mais le Gouvernement persiste dans l'irréalisme et des méthodes douteuses historiquement datées...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Tout à fait !
M. Jean Arthuis. - Qui peut croire à une croissance de 2 % en 2015, sans réformes de structure ni renonciation à vos dogmes ? Cessons de nous renvoyer la balle sur le passé. (Applaudissements à droite ; mouvements divers sur les bancs socialistes) Oui, on a laissé filer les déficits publics ; oui, on a oublié d'abroger les 35 heures ; mais ce qui compte aujourd'hui, c'est de sortir de la crise et d'enrayer le déclin. Nous devons nous rassembler sur l'essentiel.
Vos réformes ne produiront pas les effets attendus. La BPI n'est qu'un recyclage...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Mme Ségolène Royal en plus.
M. Jean Arthuis. - ...une structure dotée d'une gouvernance abracadabrantesque, comme en témoigne son dispositif de communication et de porte-parolat. La circulaire d'application du CICE compte quarante pages -où le choc de simplification annoncé ? Le dispositif opère un allégement des charges sociales, mais à la marge, très en-deçà de ce que préconisait Louis Gallois.
M. Roland Courteau. - Vous ne l'avez pas fait !
M. Jean Arthuis. - On commence enfin à reconnaître ici et là que les impôts sur la production poussent à la délocalisation et au chômage. Seule une action sur la TVA améliorerait le sort des entreprises françaises, qui ont les marges plus faibles des dix-sept pays de la zone euro. Pour la Commission européenne, nos réformes vont dans la bonne direction mais ne suffisent pas ; le Gouvernement devrait tenir compte de ce diagnostic.
Et le matraquage fiscal a ses limites. Alors qu'il est question de faire refluer les dépenses publiques, vous avez multiplié les initiatives coûteuses. J'en veux pour preuve le projet de refondation de l'école de la République avec le renforcement de l'accueil des enfants dès 2 ans ou le recrutement de 60 000 enseignants...
M. Roland Courteau. - Ce sont de bonnes mesures !
M. Éric Bocquet. - Des investissements d'avenir !
M. Jean Arthuis. - Où sont les mesures sur le temps de travail, la réforme des retraites que vous ne cessez de repousser ? C'est la chronique d'un désastre annoncé...
Ne transformons par l'Europe en bouc-émissaire. Certes, on peut lui reprocher d'avoir permis à la France de pratiquer aussi longtemps des déficits aussi importants sans la sanctionner. Si la France n'était pas dans la zone euro, elle serait dans une situation catastrophique, dévaluations en chaîne et explosion des prix de l'énergie et du chômage...
M. François Rebsamen. - C'est vrai !
M. Jean Arthuis. - Apocalypse Now... (Sourires)
L'austérité n'est que la sanction fatale du manque de rigueur. Les propos de M. Barroso ? Ceux que j'ai entendus à Berlin hier n'étaient pas de la même tonalité. (Marques d'intérêt à droite)
Le programme de stabilité aurait dû être légitimé par un vote. Vous maltraitez le Sénat (exclamations à gauche), comme s'il n'était qu'une anomalie démocratique.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'est scandaleux !
M. Jean Arthuis. - Je le regrette, comme je regrette la résignation de la majorité.
Alors que l'angoisse face à l'avenir est forte, le Sénat doit être un espace d'apaisement. (Nouvelles exclamations) Il est de notre responsabilité de montrer l'utilité de notre Haute assemblée. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Vincent Placé. - Le Sénat n'est jamais résigné !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Il ne l'est pas et c'est pour ça qu'on ne lui permet pas de voter !
M. Jacques Mézard . - S'il y avait un vote, nous voterions très majoritairement pour.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Fort bien ! Que chacun s'exprime !
M. Jacques Mézard. - Le déni de réalité, monsieur Arthuis, n'est pas l'apanage de ce gouvernement. En ce domaine, la continuité prévaut...
L'exercice, pour un ministre du budget, c'est la quadrature du cercle. Les prévisions macro-économiques ont sensiblement évolué par rapport à la loi de programmation, qui était beaucoup plus optimiste. La Commission européenne publiera ses recommandations d'ici fin mai. Ce programme aura valeur de test de crédibilité pour le pays.
M. Francis Delattre. - C'est mal parti !
M. Jacques Mézard. - Par le passé, nous n'avons guère été bons élèves. Qu'en est-il de ce programme ? Une prévision de croissance de 1,2% en 2014 qui repose beaucoup sur les capacités potentielles de rebond du pays. Le Haut conseil des finances publiques relève que la similitude des prévisions de taux de croissance de la France et de la Commission européenne repose sur des hypothèses de déficit très différentes. Les prévisions pour 2015 à 2017 sont par nature incertaines, tant les aléas -pour l'essentiel à la baisse- sont nombreux.
Que dira la Commission européenne de ces prévisions ? Entendra-t-elle les voix qui s'élèvent, y compris au FMI, contre les politiques de trop grande austérité ? Et la remise en cause de la thèse de Reinhart et Rogoff, selon laquelle un niveau de dette supérieur à 90 % entraîne mécaniquement un effondrement de l'économie, devrait conduire les chantres de l'austérité à revoir leurs priorités économiques.
Réaliser des économies, oui, mais il faut aussi conduire des réformes structurelles d'ampleur pour booster notre compétitivité. C'est l'équilibre difficile à trouver. Au niveau européen, il faut desserrer le calendrier de retour à l'équilibre, coordonner les politiques budgétaires, faire évoluer le rôle de la BCE. L'euro est aujourd'hui un handicap pour la compétitivité de l'économie européenne ; il est plus que temps que la BCE agisse ! Le positionnement égoïste et peu pragmatique de l'Allemagne doit prendre fin et l'on devrait lâcher du lest outre-Rhin sur l'inflation.
Le Gouvernement a pris d'importantes initiatives, que nous soutenons, comme le CICE ou la loi sur la sécurisation de l'emploi. Mais les effets du CICE gagneraient à être mieux connus. Le plus dur reste à faire, et il y faut du temps. L'Allemagne a su redresser la barre il y a une quinzaine d'années, mais le contexte était différent : l'Europe était en croissance et l'euro à moins d'un dollar. Renforcer notre tissu industriel et notre compétitivité ne se fera pas en quelques mois. Le pacte pour la croissance et la compétitivité sera décisif. Il y a un déficit de communication important quant aux mesures en faveur des entreprises, trop méconnues. Or, le redressement passe par le retour de la confiance. Il n'est plus temps de revenir sur le passé mais d'aller vers l'avenir.
Notre groupe apportera son soutien au programme de stabilité. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Jean-Vincent Placé . - Si l'ampleur des gels de crédit annoncée est sérieuse, il n'en va pas de même des prévisions qui la sous-tendent. Vos prévisions de croissance...
M. Francis Delattre. - Personne n'y croit !
M. Jean-Vincent Placé. - ...sont, pour le Haut conseil, trop optimistes. Vous arguez qu'elles sont calées sur celles de la Commission européenne, mais celle-ci se fonde sur un tout autre scénario, avec un déficit à 3,9 %.
La résorption du stock de dette doit se faire avec prudence, sans obérer l'économie. Certes, la France n'est pas dans l'état de la Grèce, mais vous prévoyez 14 milliards de mesures d'économie dont on se demande s'il faut les qualifier de sérieuses ou austères : 1,5 milliard en moins pour les collectivités territoriales, 7,5 milliards pour les administrations et services publics sans qu'on sache lesquels seront touchés, 5 milliards pour la sécurité sociale.
On risque le déclin économique, à l'heure même où le dogme de l'austérité se fissure -voir les erreurs dénoncées dans la théorie économique sur lesquelles il repose...
En Europe, des voix se sont élevées pour rompre avec cette loi d'airain, au sein du Gouvernement aussi, et pas des moindres. Pourquoi s'entêter ? C'est absurde. Et le comble de la mascarade, c'est qu'elle a assuré votre crédibilité ! Olli Rehn est peut-être rassuré mais les Français ne le sont pas. Même M. Barroso change de discours.
Il est urgent de rompre avec cette logique délétère qui est le péché originel du quinquennat, la signature du traité sans le renégocier.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Après avoir promis de le faire !
M. Jean-Vincent Placé. - L'Allemagne doit comprendre qu'elle ne pourra pas prospérer dans une Europe transformée en cimetière. Et la France peut agir de façon autonome ; une loi Fatca peut être mise en oeuvre pour faire bouger les lignes. Il n'est pas trop tard pour la grande réforme fiscale promise. (« Ah ! » à droite) Ni mettre fin aux grands projets pharaoniques et autres gadgets comme la force nucléaire aérienne... Alors que l'on demande aux Français de renoncer à leurs écoles et à leurs hôpitaux...
M. Bruno Sido. - De quels projets pharaoniques parlez-vous ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - De Notre Dame de Lourdes, voyons ! (Sourires)
M. Jean-Vincent Placé. - ...on sanctuarise le budget de la défense !
Mme Nathalie Goulet. - Allons ! Il fallait être au Mali !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - C'est un peu facile, monsieur Placé...
M. Jean-Vincent Placé. - En lieu et place de coupes à la hache dans les dépenses publiques, à quand une véritable fiscalité redistributive, à quand une politique vraiment écologique ?
En ces temps incertains, la gauche au pouvoir est une chance pour la concorde civile (exclamations à droite), pour les plus fragiles, pour l'environnement. Nous ne pouvons la laisser errer dans les décombres d'un modèle libéral moribond mais toujours dangereux. La gauche est une chance à condition qu'elle soit une audace, économique, écologique, démocratique.
M. le président. - Il faut conclure !
M. Jean-Vincent Placé. - Le Gouvernement n'a pas jugé indispensable de sanctionner notre débat par un vote : vous avez compris que celui du groupe écologiste n'aurait pas été favorable. (Applaudissements à droite)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - M. le ministre a peu parlé du programme de stabilité. Il a évoqué la vérité des chiffres, qui est toute relative. Alors je vais entrer dans le détail... Certes, avant 2007, nos dépenses publiques étaient trop élevées mais, suite à la crise, l'effort a été sans précédent. Il est fallacieux de comparer l'évolution des dépenses en 2012 et leur évolution sur une période de cinq ans. Oui, l'augmentation a été forte, parce la France a subi la crise ! (Exclamations sur les bancs CRC) Le plan de relance a été salué par tous les commentateurs internationaux, et il a permis à notre pays de mieux s'en sortir que l'Allemagne ; mais il a fait bondir nos dépenses publiques, qui ont ensuite sans cesse diminué, jusqu'à votre arrivée au pouvoir.
La France est au deuxième rang de l'OCDE pour le niveau de ses dépenses publiques. Or, la première fois que celles-ci ont diminué en valeur, c'est en 2011 : plus de 260 millions affectés au désendettement. Et en 2010, l'Ondam a été respecté pour la première fois de la décennie... Avec l'arrivée de François Hollande, le niveau des prélèvements obligatoires a explosé, atteignant le niveau record de 46,3 % en 2013.
Sous le précédent gouvernement, les objectifs de réduction du déficit étaient respectés. Si celui de 2012 ne l'est pas, c'est, dites-vous, à cause de la baisse de la croissance. Mais celle-ci est due à votre politique qui, imposant une pression fiscale sans précédent aux ménages, a fait reculer la consommation ; 32 milliards d'euros d'impôts nouveaux au total en six mois ! Ne venez pas nous donner de leçons ! Je ne me laisserai pas faire, monsieur le ministre, par votre dialectique perverse.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - M. le ministre est redoutable !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - J'en viens au programme de stabilité. A l'automne 2012, nous n'avons cessé de dénoncer l'optimisme de vos hypothèses de croissance ; plusieurs institutions avaient émis des hypothèses inférieures. Comment s'étonner que l'objectif des 3 % n'ait pas été atteint ? Vous n'avez cherché qu'à gagner du temps.
La version corrigée que vous présentez à la Commission européenne s'inscrit dans la procédure du semestre européen, qui devrait associer le Parlement pour montrer à l'Europe que vos choix sont partagés par votre majorité. Je regrette que vous n'ayez pas accepté de vote. N'avez-vous donc plus confiance en vos alliés au Sénat ? Notre assemblée mérite-t-elle moins de considération que l'Assemblée nationale ? En tout état de cause, ce n'est pas bon pour la crédibilité de ce programme.
Vous prévoyez une croissance de 0,1 % en 2013, le FMI voit l'activité régresser du même chiffre. Le Haut conseil des finances publiques juge vos chiffres trop optimistes. Mais vous balayez son avis. Il devait pourtant contribuer à la sincérité du débat économique. Que vous écartiez son premier avis n'augure rien de bon. D'autant que son argumentation est plutôt prudente puisqu'il estime que le Gouvernement n'a pas pris en compte certains aléas susceptibles de peser à la baisse...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Juste !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Comment raisonner « toutes choses égales par ailleurs » avec la politique que vous conduisez ? Il n'y aura pas de loi de finances rectificative ? Mais une telle loi vise à opérer, justement, des ajustements. Vous devez à la représentation nationale son droit de regard et de contrôle.
On ne peut évaluer la politique économique que vous menez. La « boîte à outils » dont parle François Hollande ? Je n'irai pas jusqu'à parler de bricolage... Mais où est le cap ? Où est la boussole ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - Il faut lire les trajectoires...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Les acteurs économiques ont besoin de visibilité et de confiance. Or, vos signaux contradictoires aboutissent au résultat inverse. Les hausses de fiscalité étouffent la croissance. Croyiez-vous donc qu'elle reviendrait comme par enchantement ? Entendez-vous contenir la dérive des dépenses publiques ou mener une politique de soutien à la consommation ? Ce n'est pas clair. Quand aux réformes de structure, vous ne les engagez pas parce qu'elles divisent votre majorité...
Valse hésitation entre baisse des charges et hausse de TVA, pacte de compétitivité qui n'est guère qu'un petit ballon d'oxygène pour passer 2013 avec un CICE d'une complexité administrative ahurissante, volonté affichée de baisser les impôts tout en augmentant le nombre de fonctionnaires et en rompant avec la RGPP : on voit mal où vous voulez aller.
Mieux canaliser l'épargne vers l'entreprise, dites-vous ? Mais comment entendez-vous vous y prendre ? Contrairement aux promesses du président de la République, les impôts augmenteront en 2014 : 6 milliards de TVA, 6 milliards de moins-values de recettes, 6 milliards qui manquent pour compenser le CICE. Pas seulement 6 milliards comme vous le dites, monsieur le ministre, mais 6 + 6 + 6. A quoi il faut ajouter le CICE... Que de contradictions ! Et quelle surdité à l'égard de toutes les préconisations venues d'ailleurs. Il est pourtant des réformes qui ont fait leurs preuves à l'étranger.
L'Allemagne, la Suède, le Canada ont su faire évoluer leur modèle économique. La Cour des comptes a rédigé deux rapports très intéressants qu'il faut suivre ; l'OCDE a publié un rapport ce mois-ci, la Commission a publié des documents.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - De quel bilan parlez-vous ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Le temps presse et vous ne cherchez qu'à en gagner. Nous avons la chance de bénéficier de taux d'intérêts bas mais s'ils venaient à remonter, ce qui est inéluctable, que se passera-t-il ?
Des réformes structurelles sont indispensables. Notre pays n'a pas besoin de chocs à répétition ni d'incantations en faveur de la croissance ! Il est temps de passer à l'action, en soutenant nos citoyens et en assainissant nos finances publiques ; avec ce programme de stabilité, nous espérions des choix ambitieux et intelligibles, mais il faudra attendre, attendre encore jusqu'à la loi de finances... Le groupe UMP, qui voulait un vote, ne peut accepter ce programme de stabilité. (Applaudissements à droit ; M. Jean Arthuis applaudit aussi)
M. Éric Bocquet . - Ce qui heurte notre groupe, ce n'est pas tant l'absence de vote que la perte de souveraineté du Parlement. Un Haut conseil des finances publiques largement peuplé de membres de la Cour des comptes, auxquels s'ajoutent les représentants de deux grandes banques privées, est là pour assurer le contrôle. Autrement dit, c'est l'expertise de la finance privée au secours de la puissance publique. N'est-elle pas là, la véritable humiliation ? Pour la première fois, l'élève France va rendre sa copie à la Commission européenne. Notre groupe s'était opposé à ce semestre européen. Les tenants de la politique budgétaire s'appuient sur le redressement des finances publiques et l'apurement de la dette, ce qui va se traduire par davantage de rigueur pour nos concitoyens, tant à l'égard des fonctionnaires que des salariés, avec l'ANI. Flexibilité accrue, mises en cause des garanties sociales... Le Medef peut exulter. Fallait-il à ce point rassurer les employeurs ?
Depuis trente ans, notre pays a expérimenté la flexibilité afin, disait-on, d'encourager la création d'emplois.
Des centaines de milliards ont été dépensés en faveur des entreprises, en vain. Pensée unique oblige, sous prétexte qu'il n'y a pas d'alternative, les fonctionnaires de l'État ont été mis à contribution, ainsi que les collectivités locales qui assument plus de 70 % de l'investissement public. Les assurés sociaux et les ménages ont ainsi été victimes de ces politiques d'austérité.
Notre société connaît désormais un recul insupportable, alors que notre pays n'a jamais été aussi riche. Ce recul frappe les plus modestes et aiguise les tensions.
De plus, les inégalités sociales s'accroissent, grâce notamment aux cadeaux fiscaux pour les plus riches, sans parler de ceux qui fraudent, optimisent, laissent s'évader leurs capitaux. Un gouvernement élu pour le changement n'a rien à gagner à protéger ceux qui ont déjà tout et en veulent toujours plus. Le modèle allemand, tant vanté, mérite qu'on y regarde de plus près : le nombre de pauvres ne cesse d'augmenter outre-Rhin, avec les mesures du paquet Hartz 4. Où en est l'attractivité de l'Europe ? Les Croates se sont abstenus à 80 % pour élire leurs députés européens. Est-ce l'enthousiasme que l'on attendait pour la belle idée de l'Union ?
En dehors de nos rangs, des interrogations se font jour au sein du Gouvernement, et même des experts économiques du FMI, sur les politiques de rigueur.
Notre groupe, quand à lui, ne peut les cautionner. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Frédérique Espagnac . - En octobre 2009, nous avons découvert avec stupeur que les comptes grecs avaient été maquillés, avec l'aide de banques réputées. L'Union européenne, fragilisée par la crise, a dû venir en aide à la Grèce. La crise s'est aggravée et les égoïsmes nationaux l'ont emporté sur la solidarité européenne.
Le petit incendie s'est transformé en un embrasement général. Cette catastrophe restera dans les mémoires comme l'exemple même de l'impossibilité européenne à trouver une solution rapide.
Depuis, l'idée de solidarité européenne a fait son chemin avec, pour contrepartie, la coordination budgétaire.
Il s'agit de mettre fin à l'irresponsabilité des gouvernements qui feraient courir un risque majeur à la zone euro. On ne pourra plus dire que l'on ne savait rien avec les programmes de stabilité économique désormais obligatoires pour tous les pays. Cette politique commence à porter ses fruits et l'idée du soutien à la croissance prônée par le président de la République a été reprise par le président de la Commission.
En dix mois, le Gouvernement a mis en place des réformes ambitieuses sur lesquelles je ne reviendrai pas. La finance est à nouveau au service de l'emploi, ce qui permettra d'inverser la courbe du chômage. Le redressement de nos comptes publics reposera sur la justice sociale et l'efficacité économique. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, si nous n'avions pas agi rapidement, le déficit aurait été considérable. (M. Marc Daunis le confirme)
Nos efforts vont se poursuivre pour réduire le déficit public. Ensuite, nous nous attaquerons aux dépenses publiques, par un programme de modernisation de l'action publique, en concertation avec les intéressés, à la différence de la RGPP.
Il est indispensable de réduire les niches fiscales qui conduisent à l'inégalité devant l'impôt.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Vous avez raison, il faut les supprimer, toutes !
Mme Frédérique Espagnac. - L'objectif est de diviser par quatre le rythme d'évolution de la dépense publique et de réduire de 3 % le poids de la dépense publique dans le PIB. C'est dans cet esprit de responsabilité que le Gouvernement et la gauche vont assainir les finances publiques pour la croissance. Où sont alors les bons gestionnaires ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Partout !
Mme Frédérique Espagnac. - Ne laissons pas nos dettes en héritage à nos enfants ! Rejoignez-nous dans cette oeuvre salvatrice. Faites le choix de la réussite de la France. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Yannick Botrel . - La dégradation de l'économie mondiale depuis 2008 a conduit l'Europe à la situation actuelle, d'où la perte de confiance de nos concitoyens.
L'insincérité des comptes grecs menait ce pays à la faillite, sans l'intervention de l'Europe. Ce n'est pas elle qui mène à la perte de souveraineté mais les politiques nationales hasardeuses menées en Espagne, en fondant la croissance artificiellement sur le seul bâtiment, et les dérives des finances, y compris en France.
François Hollande a dit sa volonté de redresser les finances publiques : la dette atteint 1 800 milliards avec 47 milliards d'intérêts annuels malgré des taux d'intérêts très faibles. On ne saurait poursuivre dans cette voie. Quant à ne pas rembourser cette dette, comme cela a été proposé par certain candidat au cours de la présidentielle, mieux vaut ne pas y penser puisqu'elle est détenue à 50 % par des fonds souverains de pays amis, pour un quart par les banques, dont les nôtres, et pour le dernier quart par les compagnies d'assurance où nos compatriotes ont déposé leur épargne. Mme Pécresse a dit que la dette pourrait ne pas diminuer durant ce quinquennat. Mais c'est oublier un peu vite qu'elle a tant augmenté au cours de la précédente législature. Un peu de modestie ne nuirait pas.
Une action forte et concertée au sein de l'Union européenne est nécessaire et la France contribue à faire bouger les lignes.
La présidence précédente avait commencé par 16 milliards de cadeaux fiscaux. Cet héritage rend plus difficile le rétablissement des comptes
Le président de la République a fixé le cap et veut réduire les déficits à 3 %. Ce qui importe, c'est la trajectoire plus que la date. Il fallait en effet éviter tout risque de récession.
L'atonie de l'économie nous oblige à la prudence. Le groupe socialiste, sensible aux arguments du Gouvernement, soutient son action et sa politique.
Quand la reprise sera là, les mesures déjà votées à la demande du Gouvernement montreront tous leurs effets. Le CICE aura un impact considérable, tout comme les 150 000 emplois d'avenir et les 60 000 recrutements dans l'enseignement. Je salue également la signature de l'ANI, accord traduit dans la loi.
La prévision de croissance de 1,2 % en 2014, acceptée par la Commission, permettra d'inverser enfin la courbe du chômage. La stratégie suivie est donc la bonne : refuser l'austérité qui conduit à la récession, comme l'admet M. Barroso, remettre de l'ordre dans les finances publiques, apporter les moyens de la reprise de la croissance, refuser de céder à la facilité car l'avenir est en cause. Je donne acte au Gouvernement du travail accompli, même s'il reste beaucoup à faire. C'est dans la difficulté qu'on voit la valeur du capitaine et la solidité de l'équipage.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Absolument !
M. Yannick Botrel. - Nous sommes convaincus qu'il y a un cap et une boussole. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances . - En cette fin de débat, nos bancs se sont bien dépeuplés et cela se comprend puisqu'aucun vote n'interviendra. Voilà comment on suscite le désintérêt des parlementaires.
Je veux rappeler, devant M. Arthuis, que le principe d'un débat est issu d'une proposition que j'ai faite en mars 2010, de retour d'un déplacement au Portugal où l'association du Parlement aux efforts était mieux assurée.
M. Jean Arthuis. - Évidemment !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Le Sénat avait inséré ce débat dans la loi de programmation des finances publiques ; l'article 14 prévoit que le Parlement débatte et vote, dans chacune des assemblées. Il aurait sans doute fallu que cela figure dans une loi organique ou dans la Constitution, mais le principe de ce vote devrait être considéré comme une réalité... sur laquelle le Gouvernement s'assoit allègrement.
J'en viens au rôle du Haut conseil des finances publiques ; ce sont des débuts prometteurs. La loi organique du 17 décembre 2012 avait été adoptée de manière assez consensuelle.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Nous avions joué le jeu !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Certes, mais nous sommes rarement payés en retour. (Exclamations sur les bancs socialistes) Le Haut conseil a rendu son premier avis, et je rends hommage à sa compétence et à son indépendance. Mais que penser d'un programme de stabilité qui en tient si peu compte ?
M. Cahuzac avait été très clair en commission des finances : il nous disait que l'avis n'était pas contraignant, mais publié, et donc politiquement important et que le Gouvernement serait bien inspiré de le suivre.
Quelle sera la réaction de la Commission européenne ? Passer sous ses fourches caudines peut faire mal -sur ce point, je partage l'avis de M. Bocquet. Considérera-t-elle notre trajectoire comme crédible ? Partagera-t-elle l'analyse du Haut conseil ?
Les avis de cette instance seront examinés par le Conseil constitutionnel qui jugera de la sincérité des lois de finances.
Quelle pourra-t-être l'appréciation du Conseil constitutionnel sur une loi de finances construite sur des hypothèses macro-économiques ayant reçu une approbation aussi mitigée ? Le Haut conseil se prononcera bientôt sur le projet de loi de Règlement que notre rapporteur général va nous présenter. Il s'appuiera sur le PIB potentiel retenu en loi de programmation : que fera la Commission de Bruxelles si ses appréciations sont divergentes ? Le Haut conseil a dit qu'il reviendrait sur les appréciations divergentes du PIB potentiel.
En commission des finances, nous avons insisté sur la nouvelle gouvernance européenne. Si l'Europe ne doit pas être intrusive, encore faut-il ne pas lui en donner prétexte ! La pression de nos pairs est désormais très forte. La stratégie du Gouvernement est risquée pour la crédibilité de la politique économique de la France qui minimise le report des 3 %. A ce rythme, on va très vite atteindre un endettement à 100 % du PIB. Prenons garde à ne pas déboussoler l'opinion en lui donnant l'impression qu'on change le thermomètre pour des raisons d'opportunité. Aujourd'hui, on dit que trop d'efforts seraient préjudiciables à la croissance, mais on le savait déjà il y a quelques mois.
La crédibilité du Gouvernement est en jeu. M. Moscovici avait dit, à l'automne, que ce ne serait pas 3,1 %, pas 3,2 %, pas 3 % à peu près, pas 3 % si on peut, mais 3 %. Aujourd'hui, tout cela a disparu !
Quelle est la bonne répartition des efforts entre 2013 et 2014 ? Pas de collectif en 2013, avez-vous dit, avec un déficit à 3,7 %. Pour 2014, vous avancez un déficit de 2,9 %. La marche d'escalier sera bien haute. Les efforts seront encore plus difficiles à consentir et il n'y aura pas de miracle. Encore faut-il que le Conseil européen n'exige pas plus.
Le solde structurel aura dérapé de 0,25 % par an en 2012 et 2013, ce qui risque de déclencher le mécanisme automatique de correction.
La programmation se caractérise par un fort décalage entre les ambitions affichées et les moyens de sa mise en oeuvre.
Pour les objectifs, nous les faisons nôtres car ils sont bons mais, dans l'adversité, usant des vieilles recettes, le Gouvernement a changé de discours. L'effort sur les recettes devait être concentré sur 2013 et voici que le Gouvernement annonce pour 2014 6 milliards de recettes nouvelles ! Si à chaque difficulté conjoncturelle, on modifie le discours, est-on sûr de parvenir à tenir ces objectifs ?
Les dépenses publiques dans leur ensemble ont, en 2012, progressé plus vite que prévu. On attendait de vous une présentation détaillée des économies à réaliser. La Commission européenne trouvera-t-elle dans le programme de stabilité suffisamment de précisions ? Vous annoncez une stabilisation des aides fiscales mais ceci s'entend-il hors CICE, qui est la plus grosse niche ?
S'il y avait eu vote, le nôtre, à n'en pas douter, aurait été négatif devant des prévisions aussi floues et contradictoires. Certes, ce projet a été présenté de façon dialectique et intelligente mais il ne saurait emporter notre conviction. (Applaudissements à droite)
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué . - Merci pour toutes ces interventions qui ont permis de nous dire les choses franchement. Je m'en tiendrai aux chiffres. D'abord, nous disposons de l'avis du Haut conseil des finances publiques, qui présente des éléments équilibrés et justes. Les uns y lisent un avertissement, les autres un encouragement à poursuivre l'action engagée. C'est en tout cas un progrès dans la transparence. Nous continuerons à tenir compte de son avis objectif. Cette instance est utile à la démocratie.
Je remercie les orateurs de la majorité pour leur soutien. M. Placé a exprimé son désaccord mais, s'il était encore là, je lui ferais observer qu'à l'Assemblée nationale, le groupe écologiste a voté en faveur de ce programme de stabilité. J'en conclus, paraphrasant Edgard Faure, que M. Placé ne représente que lui-même et encore, pas tous les jours. (Sourires)
Je remercie M. Arthuis pour son exigence de précision et pour la qualité des conseils qu'il prodigue aux gouvernements, qu'il les soutienne ou pas.
Le CICE est un dispositif complexe ? Il est simple puisque c'est une extension du CIR et, grâce à la BPI, les entreprises peuvent en bénéficier dès cette année.
J'ai entendu les critiques de Mme Des Esgaulx sur le CICE qui, d'après elle, aura moins d'effets que la TVA sociale. Pourtant, notre dispositif représente 20 milliards d'aides, contre 12 milliards d'allégement de charges prévus en échange de la TVA sociale voulue par le gouvernement Fillon. Et ainsi, l'État aurait récupéré une partie de cet allégement par l'impôt sur les sociétés : pour avoir le même effet que le CICE, il aurait fallu une rentrée de TVA d'environ 30 milliards...
M. Mézard a soutenu le Gouvernement et je l'en remercie. Certes, l'exercice est difficile mais la croissance est notre priorité. Il faut agir au niveau de l'Union européenne : l'union bancaire servira l'économie réelle ; la BCE peut désormais intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines pour maintenir les taux; la croissance sera favorisée, grâce à des investissements programmés. En outre, la France consacrera 20 milliards en dix ans au numérique et construira 500 000 logements sociaux.
Vous avez eu raison de dire, monsieur Bocquet, que la croissance ne se décide pas mais qu'elle est un combat. Notre gouvernement est résolument européen et mène le combat en Europe parce que l'Europe est la solution, pas le problème.
Je ne suis pas d'accord, madame Des Esgaulx, avec vos chiffres. Quelques exemples de nos désaccords. Vous utilisez habilement l'impact de l'évolution des dépenses publiques rapportées au PIB, mais ce ratio dépend des deux facteurs concernés. En 2011, la croissance du PIB a été plus importante qu'en 2012. Vous savez fort bien ce que vous faites et n'indiquez rien, avec ce ratio, sur l'évolution des dépenses publiques. En 2011, les dépenses de l'État ont augmenté de 4,4 milliards, contrairement à ce que vous avez dit. Je vous appelle à le vérifier car je vous crois de bonne foi. Je vois comme vous êtes précise. C'est pourquoi je me fonde sur les observations de la Cour des comptes qui dit que, dans le texte du printemps dernier, les dépenses étaient sous-estimées et les recettes surestimées. Nous avons donc dû prendre des mesures de gel pour y remédier sans augmenter le montant du prélèvement sur les Français. Grâce à quoi nous avons 4,8 % de déficit au lieu de 5,2 %. Nous ne sommes pas à notre objectif de 4,5 % ? C'est vrai, mais vous ne pouvez nous imputer le problème de Dexia, la sous-budgétisation du prélèvement européen. Seul nous est imputable le décalage entre la croissance dont nous avions retenu l'hypothèse et celle qui aura été effective.
Malgré nos différentes politiques, nous devons tous essayer, sur ces questions, de nous montrer absolument précis et rigoureux.
M. Marini a derechef déployé à la tribune son habileté, son talent, sa connaissance des choses. Il sait bien que le déficit nominal est le seul indicateur propre à définir le niveau de la dette. Nous maîtrisons la dette, qui s'est alourdie de 25 points de PIB, soit 900 milliards en dix ans.
Sur la question des économies, j'ai entendu des propos bien manichéens. Nous serions dépensiers, quand la précédente majorité aurait été vertueuse. Quelques chiffres. Entre 2009-2012, la RGPP a rapporté 11,9 milliards, dont 30 % imputables à la masse salariale, 22 % au fonctionnement et 48 % aux interventions. Encore faut-il voir que, sur les 3,6 milliards économisés en masse salariale, 1,9 ont été recyclés en mesures catégorielles. Au total, donc, l'économie réalisée n'est que de 10,2 milliards, soit en moyenne 2,5 par an. L'UMP nous demande de faire en un an six fois plus ! On voit bien que c'est là pure parole politique, sans rien de sérieux. Les chiffres sont parlants. Si je faisais ce que vous me demandez, ce serait si absurde que l'UMP serait la première à me le reprocher.
Je vous remercie pour ce débat et vous donne rendez-vous pour de prochains échanges sur ces questions rigoureuses et difficiles, mais passionnantes. (Applaudissements à gauche)