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Table des matières
Usage gratuit des locaux syndicaux
Gens du voyage dans le bois de Vincennes
Congés de reconversion pour les agents territoriaux
M. Jacques Cornano, en remplacement de M. Georges Patient
Desserte régionale et aménagement du territoire
Protéines animales dans l'alimentation des poissons
Loyers des maisons de retraite
Boîtiers électriques sous les trottoirs parisiens
Taxe sur les locaux commerciaux en Île-de-France
Privatisation des greffes outre-mer
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
Véhicules conduits par les agents territoriaux
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
Lutte contre l'obsolescence programmée des produits (Question orale avec débat)
M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question
Débat sur la politique vaccinale de la France
M. Georges Labazée, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
Mme Marisol Touraine, ministre
Saisine du Conseil constitutionnel
Débat sur l'efficacité des conventions fiscales internationales
M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain et citoyen
SÉANCE
du mardi 23 avril 2013
94e séance de la session ordinaire 2012-2013
présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente
Secrétaires : Mme Odette Herviaux, Mme Catherine Procaccia.
La séance est ouverte à 9 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions orales
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle vingt questions orales.
Usage gratuit des locaux syndicaux
Mme Marie-France Beaufils . - La lutte des travailleurs pour leurs droits n'a jamais été un long fleuve tranquille. Sans leur combat, les enfants travailleraient encore, il n'y aurait pas de congés payés ni de limitation de la durée du travail. C'est ainsi qu'en 1896, la municipalité de Châteauroux a souhaité encourager leur action républicaine et qu'en 1901, les locaux de la bourse du travail leur ont été ouverts. C'est que les syndicats ont besoin, pour défendre les droits des travailleurs et assurer leur mission d'intérêt général, de disposer de locaux. Pourtant, les syndicats Castelroussins sont en passe d'en être privés ; on a tenté de leur couper l'eau et le gaz, leur ascenseur a été neutralisé.
Monsieur le ministre, je connais votre attachement pour cette région. Il y a urgence. Je vous demande de faire cesser cette situation inacceptable. Certes, le préfet a indiqué qu'il ne prêterait pas le concours de la force publique, mais il faut parvenir, à présent, à un moratoire en attendant une solution pérenne. Reconnaître l'usage gratuit des lieux syndicaux est une nécessité. Comment s'exercera le dialogue social, si les syndicats sont considérés comme des SDF en puissance ? Comment comptez-vous avancer pour que la liberté syndicale soit effective ?
M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social . - Je suis heureux de vous retrouver ce matin, aux mêmes postes que dimanche matin. Tout le monde est d'accord pour dire que la démocratie sociale est essentielle ; mais que serait-elle si elle était privée de moyens ? La situation que vous évoquez est regrettable, douloureuse, condamnable, de la remise en cause par certains maires, à Chartes, Châteauroux et ailleurs, de l'hébergement des antennes syndicales locales ; l'usage est largement établi, parfois depuis plus de 100 ans. Ces élus sont peu nombreux encore mais d'autres peuvent les rejoindre demain.
J'ai demandé aux préfets de jouer un rôle de facilitateur de dialogue et de rechercher les solutions permettant aux syndicats de continuer à être hébergés. J'ai en outre chargé l'Igas d'évaluer la question du logement des antennes locales des syndicats en France, afin d'améliorer la sécurité juridique de leurs moyens. A la suite de son rapport et, si nécessaire, une initiative législative pourrait être envisagée. C'est une question de cohérence et de justice.
Mme Marie-France Beaufils. - Votre réponse va dans le sens attendu par les responsables syndicaux. L'exercice du droit syndical est garanti par le Préambule de la Constitution de 1946 comme par le code du travail ou la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Peut-être l'acte III de la décentralisation peut-il offrir le véhicule législatif indispensable. J'espère que nous pourrons rapidement aboutir à un texte sécurisant, y compris sur le plan du financement. La bourse du travail, qui regroupe l'ensemble des syndicats, est un outil important. Nous suivrons ce dossier avec attention.
Modalités du vote
M. Jean-Patrick Courtois . - L'article R. 60 du code électoral prévoit que dans les communes de plus de 3 500 habitants, les électeurs doivent présenter un titre d'identité pour voter. Les petites communes rurales associées, souvent de moins de 1 000 habitants, se trouvent de facto soumises à cette obligation, qui provoque des incompréhensions et des difficultés. Dans ces communes, tout le monde se connaît et les habitants ne comprennent pas qu'on exige d'eux une pièce d'identité, contrairement à ce qui se passe dans les communes voisines à faible population. Ne serait-il pas envisageable de reconnaître chaque commune associée comme une entité unique ?
M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation . - M. Valls s'excuse de ne pouvoir être présent. Les dispositions de l'article R. 60 du code électoral sont faites pour garantir la sincérité du vote. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, seule la carte électorale est demandée. Mais dans le cas des communes fusionnées de 3 500 habitants ou plus regroupant des sections électorales de moindre importance, la présentation d'un titre d'identité est obligatoire. Vous souhaitez une dérogation. Elle créerait des incompréhensions entre électeurs d'une même commune, certains étant tenus de produire une pièce d'identité et d'autres non. La validité des votes pourrait en outre être affectée par un moindre contrôle ; si le conseiller municipal président du bureau de vote n'était pas issu de la section électorale, il pourrait ne pas connaître ses électeurs.
M. Jean-Patrick Courtois. - Je partage l'analyse mais pas la conclusion. Une telle disposition est un frein à l'intercommunalité. Le risque que vous évoquez est proche de zéro. Dans une commune associée à Mâcon, nous avons conservé une commission consultative qui s'apparente à l'ex-conseil municipal ; ses membres tiennent le bureau de vote. Je ne manquerai pas de déposer un amendement au projet de loi de décentralisation à venir.
présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président
Demandeurs d'asile
M. Yves Chastan . - J'attire l'attention du ministre de l'intérieur sur l'accueil des demandeurs d'asile à Privas, préfecture de l'Ardèche, qui s'effectue dans des hébergements d'attente, notamment des hôtels, dans des conditions très difficiles. Depuis que l'association Espoir s'est vu retirer ses missions par l'État, les associations locales sont fortement mises à contribution, car les familles se retrouvent dans des locaux où elles ne peuvent pas cuisiner, situés dans des zones commerciales périphériques non desservies par les transports en commun. Les délais d'obtention de l'allocation temporaire d'attente sont, de surcroît, très longs. Les structures locales sont ainsi de plus en plus sollicitées et ne pourront poursuivre durablement leurs actions d'accompagnement.
L'arrêt Cimade et Gisti du 27 septembre 2012 de la Cour de justice de l'Union européenne a posé des conditions minimales d'accueil qui ne paraissent pas, en l'espèce, respectées. La charge financière de cette obligation pèse, aux termes de cet arrêt, sur l'État.
Comment assurer une meilleure prise en charge de ces personnes et familles, notamment en Ardèche et à Privas ?
M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation . - En 2012, la demande d'asile a augmenté de 35 % en Rhône-Alpes ; en 2013, de 60 %, quand elle baisse de plus de 20 % en Ardèche.
Les prestations d'accueil sont inscrites dans un cahier des charges qui fait l'objet d'une convention avec les associations concernées. L'association Espoir ne gère pas de Centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada), mais, pour le compte de la préfecture, un service d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile, à un coût jugé très élevé en 2012 au regard de ce que proposaient d'autres opérateurs. Aucun projet de l'association Espoir n'a été déposé dans le cadre de l'ouverture de 2 000 places de Cada en juillet 2013, à l'inverse de trois associations locales. Les demandeurs d'asile en Ardèche bénéficient, aux yeux du ministère de l'intérieur, d'une prise en charge satisfaisante.
À la suite de l'arrêt que vous avez cité, une instruction a été donnée à Pôle emploi, aux préfets et à l'Ofpra, afin que l'allocation temporaire d'attente (ATA) soit versée aux demandeurs d'asile.
M. Yves Chastan. - Votre réponse contient des éléments rassurants. Le principal souci, ce sont les conditions d'accueil actuelles. Nous avons beaucoup de demandeurs venant d'autres départements. L'impact sur les associations locales est fort. Il est nécessaire que les Cada soient renforcées et que des places supplémentaires soient envisagées.
Gens du voyage dans le bois de Vincennes
M. Christian Cambon . - Le Conseil de Paris a décidé d'implanter une aire d'accueil des gens du voyage à l'extrémité Est du bois de Vincennes. Sans mettre en question la nécessité républicaine d'organiser l'accueil des gens du voyage, nous considérons que les conditions légales de cette implantation ne sont pas réunies. Le site choisi se trouve à plus de cinq kilomètres de la première école, dans le XIIe arrondissement de Paris ; comme les transports en commun sont inexistants, les enfants devront y être amenés en navette, à travers les très nombreux embouteillages, tous les matins, et ramenés tous les soirs. Il n'existe pas non plus de centre de soins à proximité.
L'ensemble des communes riveraines du bois de Vincennes sont mobilisées. Nous avions signé une charte de protection du bois de Vincennes avec la Ville de Paris, qui possède des centaines d'hectares disponibles ailleurs sur son propre territoire. Le bois de Vincennes, comme le bois de Boulogne, doivent être intégralement réservés aux loisirs de plein air. Nous avons déjà la foire du Trône, des constructions irrégulières... Une pétition a déjà recueilli plus de 10 000 signatures. Le Conseil de Paris devrait revoir sa décision, à l'encontre de laquelle nous formons un recours devant le tribunal administratif.
M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation . - La loi du 5 juillet 2000 fixe les dispositions applicables au stationnement des gens du voyage dans des conditions décentes. Il appartient aux collectivités locales de réaliser des aires d'accueil. La délibération du Conseil de Paris que vous citez s'inscrit dans ce cadre. Elle a été contrôlée par la préfecture, sans qu'aucune observation relative à sa légalité n'ait été formulée. La question que vous soulevez est d'opportunité et non de légalité.
Le bois de Vincennes appartient à la Ville de Paris, qui consent un effort d'investissement de 4,8 millions pour réaliser cette aire d'accueil, qui bénéficiera d'un accès aux services publics et dont les enfants seront accueillis dans les écoles parisiennes avoisinantes. Les communes riveraines ne sont pas concernées.
M. Christian Cambon. - Je suis désolé de ces inexactitudes : la commission nationale de protection des sites et de l'environnement s'est prononcée contre, à l'unanimité. Son avis compte-t-il pour rien ? Venez voir sur place : il n'y a aucun transport en commun. Il faudra un système de navettes au milieu des embouteillages. Comment expliquer qu'on envoie les enfants dans des écoles situées à plus de cinq kilomètres ? C'est une action sociale à peu de frais pour se donner bonne conscience. La mairie de Paris ne s'en sortira pas ainsi ! Nous continuerons à mobiliser massivement l'opinion. Que Paris prenne exemple sur Londres, sur New York et rende les espaces verts aux Parisiens !
Congés de reconversion pour les agents territoriaux
Mme Catherine Deroche . - Certains agents, reconnus inaptes à leurs fonctions, sont placés à la retraite ou en longue maladie faute de pouvoir être reclassés. Dans cette position, ils n'ont pas accès aux actions de formation. Ne peut-on créer une position statutaire nouvelle, de type congé de reconversion, pour favoriser leur reclassement ? Dans quels délais pourrait-on la mettre en oeuvre ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique . - Votre question est très intéressante. Les modalités de reclassement des fonctionnaires devenus inaptes sont insuffisamment adaptées pour leur permettre une seconde carrière. Votre intention est louable. Le reclassement des fonctionnaires territoriaux est régi par la loi de 1984 et un décret de 1985. Un arrêt du Conseil d'État du 2 octobre 2002 impose aux autorités territoriales une obligation de moyens pour reclasser le fonctionnaire concerné. Une formation peut être nécessaire mais les textes ne la prévoient pas.
Le sujet fait partie de négociations que je mène sur l'amélioration des conditions de vie au travail, au même titre que la prévention des risques professionnels, y compris les risques psychosociaux. Cette négociation est organisée en groupes thématiques, notamment sur le passage d'une collectivité locale à une autre ou d'une collectivité locale à l'État. Je m'engage à ce que ces négociations apportent une réponse à votre question.
Mme Catherine Deroche. - En effet, les petites collectivités sont confrontées à de vrais problèmes. Ce chantier est très attendu.
Agents de catégorie B
M. Rachel Mazuir . - Un agent de la fonction publique peut être recruté s'il a réussi un concours et est inscrit sur une liste d'aptitude, par voie de promotion interne ou d'avancement de grade. Par dérogation, une collectivité peut, depuis la loi de 2012, recruter un agent non titulaire pour un an, renouvelable une seule fois.
Aujourd'hui, 40 agents de catégorie B sont contractuels dans le département de l'Ain et ne peuvent être renouvelés. Le département se trouve en situation délicate. Il forme des personnes qui ne pourront rester que deux ans. C'est pénalisant pour les agents, à qui l'on chipote les prêts bancaires, et pour les chefs de service. Les agents de catégorie A peuvent être recrutés en CDI au bout de six ans. Ceux de catégorie C peuvent être titularisés sans concours. Pour résoudre le problème des catégories B, le Sénat avait adopté un amendement qui portait la dérogation de deux à quatre ans, mais n'a malheureusement pas prospéré au cours de la navette. Le Gouvernement entend-il revenir sur l'article 41 de la loi de mars 2012 ou prévoir une règle particulière ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique . - Plusieurs projets ont été préparés, aucun n'a abouti. On a essayé de donner un peu plus de souplesse aux collectivités territoriales, tout en essayant de limiter les recours. Sous le gouvernement précédent, les organisations syndicales se sont émues des « reçus-collés » si problématiques. Faut-il porter à trois ans la durée d'emploi ? Je dois étudier avec vous le cas de votre département. Je ne peux accorder une dérogation qui ne s'appliquerait pas ailleurs. Je tiens à conforter le statut de la fonction publique territoriale de 1984, soit deux ans après les lois de décentralisation.
Je m'engage à étudier la situation de votre département comme de ceux qui se trouveraient dans la même situation, pas à toucher au statut.
M. Rachel Mazuir. - Merci madame la ministre de vous pencher sur les départements frontaliers, où nous formons des personnes qui vont ensuite travailler à Genève...
Habitat en Guyane
M. Jacques Cornano, en remplacement de M. Georges Patient . - Depuis la disparition de Guyane Habitat, il n'y a plus de guichet unique en Guyane. Si bien que les dossiers de logements évolutifs sociaux sont bloqués. Le Fonds de garantie habitat Guyane existe pourtant, mais n'est pas utilisé, alors que les crédits sont disponibles et que des collecteurs nationaux sont prêts à monter un guichet unique. Beaucoup d'opérations sont, en conséquence, arrêtées. La Guyane est le seul DOM à ne pas disposer de guichet unique.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique . - Les besoins de logement, particulièrement très social, sont énormes en Guyane. Dans le cadre du dispositif des logements évolutifs sociaux, l'aide de l'État est importante pour baisser autant qu'il se peut le reste à charge. Il faut accompagner les accédants dans leurs démarches et mobiliser les fonds disponibles, trouver une solution pour les gens qui enchaînent salariat et travail précaire.
Mme Duflot a demandé au préfet que les services concernés fassent jouer toutes les marges de manoeuvre et aient une interprétation facilitatrice des textes. Rien ne s'oppose au projet des collecteurs du 1 % logement de rouvrir un guichet unique en Guyane.
M. Jacques Cornano. - J'aurais aimé que votre réponse fût plus encourageante. En 2012, seuls 32 logements sociaux ont été financés sur la ligne budgétaire unique, alors que les besoins sont estimés à 700 par an. Et ils n'ont pu être financés que sur prêts bancaires ; les collecteurs ne sont plus autorisés à octroyer des prêts complémentaires. Des instructions doivent être données pour rouvrir, dans les plus brefs délais, le dossier du fonds de garantie.
La séance, suspendue à 10 h 25, reprend à 10 h 35.
Desserte régionale et aménagement du territoire
M. Jacques Mézard . - Depuis le 31 mars, les filiales régionales d'Air France ont été fusionnées dans la compagnie Hop, qui doit couvrir 136 destinations intérieures avec une flotte de 98 appareils. Ce regroupement vise, selon Air France, à améliorer la productivité ; la compagnie prévoit une baisse de 64 emplois de personnels navigants.
Le Cantal, vous le savez, est particulièrement enclavé ; les dessertes routières et ferroviaires sont à ce point dégradées que la ligne aérienne Aurillac-Paris est devenue un cordon ombilical indispensable. Or, les retards, annulations et déports de vols deviennent chroniques. Cette ligne d'aménagement du territoire bénéficie de financements publics, y compris venant des collectivités territoriales. Le projet d'Air France va entraîner une dégradation supplémentaire du service - c'est déjà le cas à Rodez. Comment l'État, actionnaire d'Air France et garant de l'égalité des territoires, entend-il réagir ?
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - L'État est en effet le garant de l'aménagement du territoire. Je vous rassure : la liaison Aurillac-Paris est pour nous prioritaire, et le restera. Objet d'obligation de service public, elle bénéficie de créneaux horaires réservés à Orly, qui ne peuvent être modifiés sans l'accord de l'État. L'intervention financière de l'État ne sera pas non plus remise en cause. La délégation de service public attribuée se poursuit sous Hop. Aucune raison, donc, de craindre une dégradation de la desserte d'Aurillac. Les clauses de la convention sont claires. Mes services seront là pour vous épauler en cas de dégradation.
M. Jacques Mézard. - Merci de ces propos rassurants. Les créneaux horaires réservés seront maintenus, fort bien. Il conviendra d'y veiller. L'intervention de l'État restera de même niveau ; j'en prends acte. Dans nos régions à faible potentiel fiscal, elle est indispensable. Je ne manquerai pas de vous alerter si la dégradation de la situation se confirme.
Protéines animales dans l'alimentation des poissons
M. Robert Tropeano . - La Commission européenne vient d'autoriser à nouveau l'usage de protéines animales transformées dans l'alimentation des poissons d'élevage et autres animaux de l'aquaculture. Les consommateurs, qui se souviennent de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, sont inquiets. L'interdiction d'alors ne fait-elle pas loi pour l'avenir ? Pouvez-vous nous garantir, monsieur le ministre, que les conditions de sécurité sont réunies ? Comment rassurer les consommateurs ? Mme Batho a évoqué la création d'un label « sans farines animales », qu'en pensez-vous ? Ou pour le moins d'un étiquetage spécifique « nourri avec... » ?
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Les protéines animales transformées (PAT) de porc et de volaille sont en effet autorisées à partir du 1er juin 2013. Cette décision, à laquelle la France s'est opposée, a suscité l'émotion. Notre position, cependant, n'était par d'ordre sanitaire, mais visait à promouvoir la qualité.
Les farines animales ne sont pas des PAT, lesquelles sont issues, non de cadavres, mais d'animaux sains, propres à la consommation humaine. Il n'y a donc pas de risques pour le consommateur ou l'environnement. Et il n'y a pas d'altération biologique : les poissons, pour plus de 80 %, sont carnivores. Les nourrir de protéines animales n'est donc pas contre nature.
L'aquaculture française est de grande qualité ; elle produit 50 000 tonnes par an et est engagée par une charte qualité dénommée « aquaculture de nos régions » couvrant 80 % de la production. Cet étiquetage indiquera que les poissons sont nourris sans ces produits, avec des matières premières végétales ou des farines de poisson. L'origine française est donc une garantie absolue de qualité et de sécurité.
Les pouvoirs publics sont déterminés à s'engager pour la qualité. Les professionnels de l'aquaculture travaillent dans un esprit de responsabilité.
M. Robert Tropeano. - Merci de votre réponse, mais cette autorisation est un fâcheux pas en arrière, qui ouvre la voie à toutes les aberrations. La Commission européenne envisage d'ailleurs d'ouvrir les PAT à l'alimentation des porcs et des volailles. Va-t-on ainsi pousser à un cannibalisme animal ?
LGV Montpellier-Perpignan
M. Roland Courteau . - Mon collègue Marcel Rainaud se joint à moi pour regretter que le schéma national des infrastructures de transport (Snit) ait souscrit des engagements de 245 milliards d'euros sans que le précédent gouvernement se soit interrogé sur les modalités de financement des infrastructures à venir. La ligne ferroviaire à grande vitesse Montpellier-Perpignan comporte des enjeux qui dépassent le seul plan local. La région est un carrefour à la croisée des lignes vers l'Europe du sud, l'Espagne et l'Italie, mais aussi l'Europe du nord. Ce projet répond aux objectifs de report modal du Grenelle. C'est aussi un enjeu économique majeur pour l'Eurorégion, qui nous reliera à la Catalogne.
Une commission est chargée d'expertiser les projets du Snit. Cela nous inquiète. Verra-t-on ce projet encore une fois reporté ? La mission Querrien, en 1990, nous promettait déjà ce projet à dix ans !
Vous m'avez indiqué vouloir dissiper mes craintes, en précisant que le fuseau de passage était déjà défini pour ce maillon stratégique de nos transports, ajoutant que les engagements seraient honorés. Pouvez-vous, face à la montée des inquiétudes, confirmer vos propos de juillet 2012 ? Tous les élus de la région sont mobilisés et attendent votre réponse, monsieur le ministre.
M. Marcel Rainaud et M. Robert Tropeano. - Très bien !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Merci de me donner l'occasion de vous assurer que mes engagements ne varient pas. Je compte sur le débat qui va s'installer avec les élus locaux pour donner un sens à notre politique d'infrastructure. Nous avons hérité d'un Snit au financement pour le moins problématique. Il faut donc définir des priorités. J'ai mesuré la mobilisation des élus. La commission mobilité 21 travaille ; je n'entends pas intervenir dans ses conclusions, qui consisteront en recommandations.
Le maillon Montpellier-Perpignan est stratégique. Mais des questions restent en suspens : quelles sections accueilleront du fret ? Quelle desserte pour quelles agglomérations ? Narbonne, Béziers, Perpignan sont des options. J'ai demandé au préfet de région d'ouvrir une consultation élargie.
L'Union européenne redéploie des crédits non consommés en 2007-2013. Compte tenu de l'intérêt de ce projet de loi, je lui ai demandé de participer aux études de ligne. C'est un projet de 6 milliards d'euros. L'enjeu n'est pas que régional, il est aussi national et européen. Une fois reçues les conclusions de la commission, je rencontrerai les parlementaires et les élus pour opérer des choix partagés.
M. Roland Courteau. - Notre détermination reste entière, vous l'avez compris. Quelque chose me dit que nous pouvons vous faire confiance pour prendre les bonnes décisions.
École vétérinaire d'Alfort
Mme Catherine Procaccia . - L'école vétérinaire de Maisons-Alfort vient de perdre son agrément européen. Elle est pourtant, depuis le XVIIIe siècle, l'une des écoles vétérinaires les plus prestigieuses d'Europe. Trente-cinq mille actes vétérinaires y sont assurés chaque année, dans une structure moderne inaugurée en 2009. Ses trois cliniques spécialisées en font un centre de référence.
Mais les coûts d'entretien des bâtiments historiques sont lourds, si bien que le directeur a dû retarder la visite de contrôle de l'Association européenne, ce qui a entraîné la perte de l'agrément européen de l'école. C'est un mauvais coup pour les étudiants et le diplôme, qui jouissait d'une vraie réputation en Europe. On risque d'affaiblir notre rayonnement universitaire, au profit de l'Allemagne et du Royaume-Uni.
Le Gouvernement entend-il remédier à cette situation ? Une double tutelle avec le ministre de la recherche n'aiderait-elle pas à la réalisation des travaux ?
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - M. Le Foll est à l'Assemblée nationale pour évoquer le même sujet.
Mme Catherine Procaccia. - J'ai écouté sa réponse.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. - Je serai fidèle à celle qu'il m'a demandé de vous transmettre.
L'école d'Alfort est un élément clé de notre dispositif de formation, essentiel dans la sécurité alimentaire. Rétablir sa santé financière est une priorité. Les efforts à consentir ne se feront pas au détriment de la qualité de la formation : c'est l'établissement qui a bénéficié le plus de crédits d'investissements ces dernières années : 22 millions d'euros entre 2008 et 2012 et 800 000 euros supplémentaires pour la mise en sécurité - et pas pour des dépenses de prestige.
Le nouveau directeur a engagé un plan de redressement qui porte ses fruits : réduction de moitié du déficit. La visite de l'association européenne a été suspendue, mais ce report n'aura pas d'effet sur la reconnaissance européenne du diplôme de l'école.
Une cotutelle ne serait pas une solution pour résoudre les difficultés financières, mais les deux ministères coopèrent dans le cadre du Pôle régional d'enseignement supérieur (Pres) Paris-Est dont fait partie l'école. L'installation de l'Anses sur le site sera également positive. Une mission va être diligentée sur la valorisation du patrimoine au profit du logement étudiant.
Mme Catherine Procaccia. - Je vous remercie de ces informations. M. Le Foll a accepté une table ronde et vous m'annoncez une mission. Le vrai problème ne tient pas à des rénovations de prestige, mais de sécurité. L'un des bâtiments n'a pas été rénové depuis 135 ans ! Je me réjouis de l'attention que porte le Gouvernement à l'école. Peut-être d'autres ministères pourraient-ils être associés à la rénovation de ces bâtiments historiques.
Loyers des maisons de retraite
M. Dominique Bailly . - Début février, le cabinet KPMG a publié son observatoire annuel des Ehpad, portant sur 323 établissements. Le coût mensuel d'une place est de 1 857 euros en moyenne, mais selon la situation géographique, les variations sont importantes : plus 26 % en Île-de-France. Un rapport de l'Igas a évalué à 2 200 euros mensuels en moyenne le coût d'une place. Or la pension de retraite moyenne d'une femme est de 1 100 euros. C'est un vrai problème, et qui ira s'accentuant alors que 12 millions de Français auront plus de 75 ans et un tiers plus de 60 ans en 2035.
Encadrement des loyers, plafonnement des prestations annexes ont été évoqués. Qu'entend faire le Gouvernement ?
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie . - La réforme de la dépendance est très attendue. Nicolas Sarkozy en était pleinement conscient qui déclarait, en février 2011, qu'attendre encore serait « une faute morale ». François Hollande n'attendra pas. Il a donné, le 25 juillet, à Lille, le top départ de la réforme, nous donnant mission, en outre, de rendre les maisons de retraite accessibles à tous les Français, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Nous envisageons toutes les pistes, dont l'encadrement des loyers sur le modèle de la loi Duflot. La transparence des tarifs, pour une vraie concurrence, est aussi indispensable. L'aide à la construction doit permettre la réhabilitation des établissements vétustes. Il faudra aussi réduire le reste à charge, et favoriser les solutions intermédiaires de logements adaptés dans la cité.
La réforme a un coût. Différentes pistes sont à l'étude. Des arbitrages seront pris d'ici à la fin de l'année, et l'effort sera réparti sur le quinquennat. Le contexte est difficile. Il faut trouver des recettes supplémentaires de solidarité, et expliquer clairement les choses aux Français, comme nous l'avons fait pour la Casa, dont les plus modestes sont exemptés. Nous avons une responsabilité envers tous les Français.
M. Dominique Bailly. - La réforme est en effet attendue. Des pistes sont ouvertes, je suis heureux de votre réponse.
Pharmacies en milieu rural
M. Didier Guillaume . - Les règles d'implantation des pharmacies ont été modifiées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Un transfert est possible pour les communes de 2 500 habitants au moins, ainsi que pour les tranches supplémentaires de plus de 4 500 habitants. Mais pour les communes de moins de 2 500 habitants, une licence ne peut être attribuée que si une pharmacie y existait par le passé. La Fédération des syndicats pharmaceutiques s'est insurgée contre cette mesure prise sans son avis.
On risque ainsi de remettre en cause le dynamisme de nos communes, et de miter le réseau de la présence pharmaceutique. Il faudrait au moins prendre en compte les PLU et les projets d'aménagement. Nombre de maires sont préoccupés.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie . - Je vous prie d'excuser Mme Touraine, qui est à l'Assemblée nationale.
L'officine de pharmacie joue un rôle essentiel dans l'accès aux soins. Des missions nouvelles de conseil vont d'ailleurs leur être attribuées, qui seront rémunérées.
Les règles d'implantation sont strictes, car la densité des officines pharmaceutiques est, en France, l'une des plus fortes d'Europe. Vous avez rappelé les règles en vigueur. Le critère des quotas de population reste le plus objectif, il a permis un maillage homogène du territoire. Il n'y a pas de déserts officinaux comme il y a des déserts médicaux.
Le pacte territoires-santé présente douze engagements, articulés autour de trois axes : faciliter la formation et l'installation des jeunes médecins, généraliser le travail en équipe, développer la télémédecine, accélérer le transfert des compétences ; s'attacher, enfin, aux territoires isolés. C'est une stratégie globale, où chaque mesure consolide les autres.
M. Didier Guillaume. - Je partage cette observation. Le pacte territoires-santé est bien fait pour lutter contre les déserts médicaux.
Reste que nous voulons défendre la ruralité, qui est dynamique dans notre pays. Quand on met en place des Ehpad, des maisons de santé, il devrait donc être prévu des dérogations à la loi sur l'implantation des officines.
Boîtiers électriques sous les trottoirs parisiens
M. Pierre Laurent . - Le sénateur de Paris que je suis veut attirer votre attention sur les boîtiers installés dans les années 1950 à Paris, et qui manquent d'entretien. Les incidents se multiplient.
Le Conseil de Paris, au vu de la gravité de la situation, a exprimé à plusieurs reprises sa volonté, auprès d'ERDF, de voir résolu ce problème. ERDF s'est engagée à faire disparaître ces boîtiers triphasés au plus tard fin 2011. Nous n'en sommes pas là, loin s'en faut. L'État est le principal actionnaire d'EDF dont ERDF est une filiale à 100 %. Loin de moi l'idée de vouloir, comme tant d'autres, déstabiliser cette entreprise publique mais le fait est qu'il existe des solutions simples en attendant la disparition programmée de ces boîtiers, comme l'injection de matière isolante que proposent les représentants du personnel. Pouvez-vous indiquer, madame la ministre, ce qui sera entrepris pour dresser un état des lieux de ces boîtes réseau, avant de les supprimer, en suivant les recommandations des syndicalistes, qu'il convient d'écouter plutôt que de les mettre en examen ?
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie . - Veuillez excuser Mme Batho qui est à Dublin pour un conseil européen informel.
Première ville de France à avoir été électrifiée, Paris hérite de réseaux anciens, qu'ERDF travaille à améliorer, en étroite collaboration avec la ville, propriétaire et autorité organisatrice, responsable du contrôle du réseau.
Les contrôles ont été améliorés pour renforcer la sécurité des personnes. Le Conseil de Paris s'est investi dans la suppression des équipements anciens, boîtes à réseaux diphasées, objectif atteint en 2011. Il reste 1 244 boîtes de branchement sur les trottoirs, dont l'une est à l'origine de l'accident du 27 janvier dernier. Leur suppression est prioritaire, de même que l'implantation en façade des immeubles de coffrets électriques de substitution.
Quant à la mise en examen de huit délégués syndicaux, le Gouvernement ne peut se prononcer sur une affaire qui regarde la justice et qui n'a d'ailleurs aucun lien avec la question que vous posez.
M. Pierre Laurent. - Merci pour votre réponse partielle. Des problèmes demeurent. Il faut accélérer le remplacement du matériel existant. Le 22 février, une boîte de réseau triphasée a explosé. Vous avez cité un chiffre. Il existe une solution technique pour inhiber le risque d'explosion, qui peut être utilisé en attendant le remplacement de ces boîtes, lequel doit être pris en considération sérieusement.
Concessions hydroélectriques
M. Georges Labazée . - Il y a quatre ans que le Gouvernement a décidé une mise en concurrence pour le renouvellement de ses concessions d'usines hydroélectriques à la demande de la Commission européenne, chose dont on peut d'ailleurs s'étonner sachant que plusieurs de nos voisins interdisent l'accès d'opérateurs étrangers à la gestion de leur réseau hydroélectrique. Reste que cette décision n'est toujours pas entrée en vigueur. Le site d'Ossan dans les Pyrénées atlantiques attend votre décision car il est le premier sur la liste dressée en janvier 2010. La régulation inscrite dans les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), les Sage, doit être réalisée. Quand sera enfin lancé le renouvellement des concessions ?
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie . - L'hydroélectricité et l'énergie décentralisée représentent des milliers d'emplois non délocalisables, 12 % de la production totale et 80 % de la production d'électricité renouvelable. L'énergie hydraulique constitue un maillon essentiel de la transition énergétique. Les deux tiers des installations sont gérées par EDF ; toutes celles de plus de 4,5 mégawatts, soit 93 % de la production hydroélectrique française, relèvent du régime de la concession depuis la loi de 1919 qui fait de l'énergie contenue dans les chutes d'eau un bien national dont l'État se réserve l'usage. La loi prévoit également que la durée d'une concession ne peut excéder 75 ans, or 37 ouvrages arrivent à échéance d'ici 2015. Ces concessions doivent donc être renouvelées.
Delphine Batho a souhaité réexaminer les scénarios pour ne pas brader ce patrimoine national. Une mission a été diligentée sur la mise en concurrence. Un point d'étape a été fait le 3 avril dernier en vue d'une publication dans un délai d'un mois. La question de la réciprocité de la mise en concurrence, celles de la place des collectivités territoriales, des usages de l'eau, ont été laissées en jachère par le précédent gouvernement. Le nôtre tiendra compte de l'expertise parlementaire avant de décider.
Je sais combien ces décisions sont attendues. Le Gouvernement se prononcera dans le cadre du débat national sur la transition énergétique qui doit s'achever en juin prochain.
M. Georges Labazée. - Transmettez à votre collègue les inquiétudes du personnel, les préoccupations des élus du territoire. Les sommes en jeu sont énormes. Tout le monde est d'accord pour ne pas brader notre patrimoine. Des réformes s'imposent avant la fin de l'année.
Logements anciens
M. Raymond Couderc . - Depuis longtemps, on manque d'attention pour le logement ancien, en centrant la politique du logement sur la construction de logements neufs.
La loi autorise le primo-accédant dans l'ancien à bénéficier du prêt à taux zéro (PTZ+), mais les conditions sont draconiennes. En cas d'achat d'un bien dégradé, il ne peut obtenir les aides de l'Agence nationale pour l'habitat (Anah) avant cinq ans ! Voilà qui n'est guère incitatif... Il faudrait élargir le programme « Habiter mieux » aux ménages qui ont 25 000 euros de revenu imposable. Quelles mesures compte prendre le Gouvernement pour valoriser l'accession à la propriété dans le logement ancien ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement . - Veuillez excuser Cécile Duflot, retenue à l'Assemblée nationale. Le président de la République a annoncé le 21 mars un plan ambitieux de vingt mesures en faveur de la construction et de la rénovation énergétique des logements, qui s'ajoute aux mesures sur l'investissement collectif.
Le recentrage sur le neuf a été maintenu par ce gouvernement pour concentrer les aides là où elles sont les plus efficaces. Pour encourager l'amélioration énergétique des logements anciens, il est possible de cumuler un PTZ+ avec un écoprêt énergétique.
Les ménages de classe moyenne auront une prime de quelque 1 300 euros qui s'ajoutera aux aides existantes dans l'ancien.
M. Raymond Couderc. - J'insiste : on peut avoir les meilleures intentions sur le papier, mais, dans la réalité, les conditions sont si restrictives que l'effet sur le terrain est nul. Il y a un décalage.
Taxe sur les locaux commerciaux en Île-de-France
Mme Sophie Primas . - La refonte en 2010 de la taxe sur les bureaux avait pour objet de financer le Grand Paris. Elle a augmenté de 180 % dans les Yvelines, de 176 % dans le Val d'Oise, mais de 41 % seulement en Seine-Saint-Denis et 58 % à Paris.
Le zonage est en cause. Le marché de l'immobilier d'entreprise yvelinois est tendu, alors que le chômage appelle des mesures fortes pour favoriser le développement économique.
Le préfet de région a mis en place un groupe de travail sur le zonage, dont le rapport a été rendu en juillet 2012. Pourquoi maintenir cette taxe à un tel niveau, alors que le Gouvernement semble se démobiliser du Grand Paris ? Quelles suites entend-il donner aux conclusions du Gouvernement ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement . - Il y a des différences entre les départements. La taxe que vous visez est une taxe fiscale destinée à financer des infrastructures et non pas une redevance pour service rendu. Elle ne saurait donc être proportionnelle au service rendu.
Les pistes dégagées par le Gouvernement, que vous avez évoquées, seront examinées en concertation avec les collectivités territoriales. Les engagements du Premier ministre sur le Grand Paris, affirmés le 6 mars dernier, devraient vous rassurer.
Mme Sophie Primas. - De nombreuses entreprises ont des difficultés aujourd'hui, qui sont aggravées par le taux élevé de cette taxe, qui la rend équivalente à la taxe foncière.
Privatisation des greffes outre-mer
M. Serge Larcher . - Les créateurs de TPE et des PME outre-mer attendent jusqu'à neuf mois leur immatriculation. Et les extraits de Kbis des entreprises existantes ne sont plus mis à jour. La loi du 20 novembre 2012 autorise les chambres de commerce outre-mer à tenir un registre au cas où le fonctionnement du greffe serait défaillant, elle n'abroge pas, cependant, la privatisation des greffes décidée par le gouvernement précédent. Nous en connaissons pourtant les risques pour de petits territoires comme les nôtres, où la concentration d'informations très sensibles entre les mains d'un greffier unique pourrait conduire à des situations que personne ne souhaite. Votre gouvernement envisage-t-il de mettre fin formellement à la privatisation des greffes ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice . - Vous aviez adressé votre question à la ministre de l'artisanat, vous n'aviez pas tout à fait tort...
La position du Gouvernement est claire : nous avons la chance d'avoir outre-mer des tribunaux mixtes de commerce ; sur des territoires où les gens se connaissent, la question de la confidentialité des informations du registre du commerce se pose. Ce sujet est porté principalement par le ministre de l'outre-mer et ma collègue Mme Pinel. Je veille, quant à moi, au bon fonctionnement des tribunaux, dont j'ai tenu à renforcer les effectifs des greffes. Dès novembre, huit vacataires ont été envoyés pour une durée de six mois ; quatorze emplois sont créés dès 2013.
Mon cabinet a reçu, à ma demande, le 29 mars, des parlementaires de nos outre-mer. J'ai veillé à ce que les représentants des Chambres de commerce et d'industrie locales soient également reçus, le 12 avril, à la Chancellerie. Nous allons travailler ensemble pour mettre en place les conventions nécessaires. Je veillerai scrupuleusement à ce que les parlementaires soient informés de l'évolution du dossier. Je vous conseille amicalement à continuer à exercer les pressions nécessaires sur mon collègue en charge des outre-mer...
M. Serge Larcher. - C'est toujours un plaisir de vous entendre, madame la garde des sceaux... Il s'agit d'apporter des solutions spécifiques à des problèmes spécifiques aux outre-mer. Je constate avec satisfaction que vous l'avez compris.
SDIS
M. Bruno Sido . - Ma question s'adressait à M. le ministre de l'intérieur. Elle concerne la coopération entre les conseils généraux et les Sdis. Secrétaire général de l'ADF et président du conseil général de Haute-Marne, je mesure les opportunités de mutualisation. Dans la situation financière difficile du pays, il s'agit de faire mieux avec autant de moyens.
En Haute-Marne, le conseil général met à disposition, dans le respect de l'autonomie des Sdis, plusieurs agents. Mais cette dynamique de mise en commun atteint ses limites. Nous souhaitons aller plus loin, en créant des services unifiés, comme le permet l'article 68 de la loi du 16 décembre 2010. Mais cette évolution suppose la signature d'un décret en Conseil d'État. Quand sera-t-elle acquise ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Valls. Vous savez ce que sont nos vies, je suis moi-même remplacée à l'Assemblée nationale pour être présente ici... On m'a chargée de vous apporter une réponse savante, pour éclairer la Haute assemblée et les citoyens, qui rappelle ce que sont les dispositifs législatifs et réglementaires existants qui permettent déjà des mutualisations. Il y a l'article L.1311-2 du CGCT, le dispositif de la loi de finances rectificative de 2005 qui a été prolongé jusqu'en 2013, la loi du 26 octobre 2009 qui permet aux départements d'effectuer, à la demande des Sdis, l'entretien de leurs moyens matériels, ou encore l'article L.511-1-1 du CGCT qui a ouvert de nouvelles possibilités. Les conventions conclues concerneront soit la mise à disposition soit le regroupement de services et/ou d'équipements.
D'autres dispositions législatives s'appliquent, mais j'ai bien entendu vos préoccupations sur le décret qui doit être pris en Conseil d'État. Je veillerai dès aujourd'hui, avec M. Valls, à ce que vous obteniez une réponse par écrit.
M. Bruno Sido. - Merci pour votre réponse. Je sais que vous êtes très scrupuleuse et suis heureux que vous m'ayez répondu. Nous avons évoqué le sujet avec le président de la République, il nous a dit que la loi était la loi, et que même l'État devait la respecter... Le décret que nous attendons simplifierait tout.
Véhicules conduits par les agents territoriaux
M. Dominique de Legge . - L'article L.221-2 du code de la route dispose que les « employés municipaux » détenteurs du seul permis B sont autorisés à conduire un tracteur de plus de 3,5 tonnes. Ma question ayant été envoyée successivement à plusieurs ministres, je ne doute pas, madame la garde des sceaux, que vous saurez réaliser la synthèse pour m'apporter enfin une réponse aujourd'hui, tant de multiples interrogations demeurent. À quoi correspondent les 3,5 tonnes ? S'agit-il du poids total autorisé en charge (PTAC) ? S'entend-il remorque comprise, quel que soit le poids de celle-ci ? Qu'entend-on par « employés municipaux », sachant que l'expression a été remplacée par « agents de la fonction publique territoriale ? Les agents des EPCI ou Sivom sont-ils concernés ? Des doutes subsistent à la lumière des différentes réponses des ministères concernés.
À l'heure où le président de la République parle de « choc de simplification », je souhaite une réponse claire à ces questions : quels sont les véhicules, avec ou sans remorque, que les agents territoriaux peuvent conduire et quelles sont les structures et agents concernés ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice . - J'essaierai d'être à la hauteur... L'article 87 de la loi du 22 mars 2012 autorise les employés municipaux et les affouagistes - j'ai toujours plaisir à venir devant le Sénat, chambre des collectivités, qui exige à juste titre que la loi soit précise et efficace pour être applicable, et qui me permet aujourd'hui de découvrir ce terme d'affouagistes... - à conduire un tracteur agricole ou appareil ou véhicule de ce type d'un PTAC de plus de 3 500 kilos.
Cette disposition ne doit pas être restrictive. Les agents des EPCI et des Sivom en bénéficient.
M. Bruno Sido. - Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Le nouveau permis C1 du groupe lourd permettra aux autres agents de conduire des véhicules de 3 500 à 7 500 kilos.
M. Dominique de Legge. - J'y vois un peu plus clair, mais je reprendrai votre verbatim pour m'en assurer complètement. Il faut que le permis C1 entre rapidement en vigueur, il règlerait beaucoup de difficultés en termes pratiques comme de responsabilité des employeurs. Sur ce dernier point, cependant, il reste quelques zones d'ombre...
La séance est suspendue à 12 h 20.
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
La séance reprend à 14 h 30.
Accord en CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
Lutte contre l'obsolescence programmée des produits (Question orale avec débat)
M. le président. - L'ordre du jour appelle une question orale avec débat de M. Jean-Vincent Placé à M. le ministre chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation sur la lutte contre l'obsolescence programmée et l'augmentation de la durée de vie des produits.
M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question . - L'écologie est notre préoccupation principale. Aussi, je me réjouis que nous disposions d'un groupe qui a porté à l'ordre du jour le sujet essentiel de l'obsolescence programmée, stratégie industrielle aux graves répercussions écologiques et sociales. La question est restée trop longtemps taboue.
Les ressources de notre planète sont finies ; il faut les préserver, d'autant que la population mondiale ne cesse de s'accroître. Or notre système de production repose sur une exploitation des ressources qui atteint ses limites, provoquant conflits géopolitiques et misère.
Nous sommes dans un monde de la rareté ; la course à l'abondance des Trente glorieuses est désormais chimérique. La consommation, une fois saturée, n'a pas diminué depuis. Les achats de produits électriques et électroniques ont été multipliés par six depuis 1990. D'où une multiplication des fameux D3E : 2 à 3 % de déchets supplémentaires sont chaque année produits en France, qui finissent incinérés, enfouis ou traités dans des filières informelles. Les appareils électroniques requièrent des terres rares. Les téléphones portables peuvent contenir jusqu'à douze métaux différents, pour 25 % de leur poids. L'OCDE affirme qu'avec ce taux de croissance, les ressources de cuivre, plomb, nickel, argent, zinc, ne dépasseraient pas 30 ans. Ce problème, dramatique pour l'environnement, pose aussi une question de santé publique. Les toxiques s'accumulent dans le sol, et passent dans l'alimentation.
L'empreinte écologique des pays à hauts revenus est cinq fois supérieure aux autres. Les pays du sud se retrouvent avec nos déchets, qui y sont envoyés par conteneurs entiers. Le modèle ne peut plus fonctionner. Il faut assumer nos responsabilités. Les hommes et femmes politiques vivent dans le temps court de l'élection, mais les projets de société requièrent une vision de long terme. Le Sénat est la chambre de la réflexion. Ses recommandations méritent de se transformer en actions et je me réjouis de l'intérêt dont témoigne le ministre car sous la Ve République c'est le gouvernement qui a l'initiative.
Il est urgent d'agir. L'obsolescence programmée, c'est l'ensemble des techniques visant à raccourcir la durée de vie d'un produit, pour augmenter son taux de remplacement. À l'obsolescence technologique, due à l'innovation, s'ajoute une obsolescence esthétique qui fait primer les phénomènes de mode, et techniques : les fabricants rendent les produits irréparables, faute de pièces détachées. C'est l'exemple même d'un modèle économique insoutenable. Ces procédés malhonnêtes maintiennent un système en déclin sous perfusion artificielle. L'idée a émergé en 1924. Les ampoules électriques sont conçues pour tenir 2 500 heures : les fabricants, organisés dans le fameux cartel joliment dit de Phoebus, les ont limitées à 1 000 heures. Je pourrais aussi parler des bas en nylon...
Mmes Laurence Rossignol et Marie-Christine Blandin. - Les collants !
M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question. - ... conçus pour filer ; des chargeurs de téléphone qui ne sont jamais standard ; des cartouches d'imprimantes, à 70 euros l'unité, pour l'encre noire, qu'il faut renouveler tous les deux mois. Mais il y a aussi les appareils électroménagers comme les chauffe-eau ou les machines à laver : tous les ménages l'ont constaté.
Dans son Livre vert sur les stratégies européennes sur les déchets plastiques, la Commission européenne dénonce ces pratiques, appelant à concevoir des produits les plus durables possible. D'autant que ces pratiques ont un impact sur le pouvoir d'achat des ménages, tant malmené en temps de crise. L'obsolescence programmée technique est donc aussi une question cruciale.
De nombreux experts ont été alertés. Le Sénat belge s'est emparé de la question en octobre 2011. Le Conseil européen de la consommation a récemment publié une étude, qualifiant l'obsolescence programmée de « dérive de la société de consommation ». L'Ademe a observé la dimension du problème pour les produits électriques et électroniques. Terra Nova, think tank bien-pensant, en parle aussi dans une contribution, tandis que les Amis de la Terre et le Centre national d'information indépendante sur les déchets (Cniid), avec lesquels nous avons travaillé, ont sorti des rapports très fournis. Le Conseil économique et social européen rendra aussi bientôt un rapport. Les médias ont pris le relais ; voir le fameux documentaire « Prêt à jeter » sur Arte. Les politiques commencent à se mobiliser, puisque les membres du groupe radical et divers gauche avaient, naguère, demandé un rapport, tandis que M. Labbé proposait en 2011 un amendement pour l'extension des garanties, et que François Hollande déclarait au Cniid vouloir lutter contre ces pratiques « en instaurant progressivement, via une garantie longue de cinq ans, portée à dix ans - je ne vois pas aussi loin ! - pour les biens de consommation durables et la modulation de l'écotaxe en fonction de la durée de vie garantie des produits ». Je le cite intégralement car je sais que M. Hamon est son soutien loyal... (Sourires)
Avec les collègues de mon groupe, nous ne pouvions rester muets. D'où le dépôt de notre proposition de loi. J'ai voulu une démarche positive, qui ne diabolise pas les entreprises. Il faut définir un cadre juridique contre les pratiques malhonnêtes des fabricants. Je propose donc, dans le texte, une définition de l'obsolescence programmée, ainsi qu'une extension de la garantie, qui incitera le fabricant à produire des biens plus durables - conformément à la directive de 1999, qui autorise les États à adopter des réglementations plus strictes, comme l'on fait le Royaume-Uni, l'Irlande et la Finlande. Autre levier, la réparation, source d'emplois non délocalisables. Il faut l'encourager par la mise à disposition des pièces détachées sous un mois durant dix ans. Je propose également de réfléchir à un bonus-malus sur l'écocontribution. Le Gouvernement devrait, enfin, présenter un rapport sur l'économie de fonctionnalité, complément de l'économie circulaire.
On remplace la vente du bien par celle de son usage .Voyez le succès du Vélib' à Paris : les gens n'ont plus besoin d'être propriétaires des biens pour être satisfaits.
Des solutions alternatives existent. On m'objectera que l'extension de garantie augmentera les prix. Quand bien même ce ne serait que de quelques dizaines d'euros, tous les consommateurs ont à y gagner. Les emplois, objet de toutes les menaces des lobbies dès que l'on s'attaque à eux ? Il y faut une étude d'impact du ministère, qui a les moyens de la mener. Je souhaite que cette proposition ait une portée européenne mais, pour que l'Union européenne se mobilise, notre initiative peut être utile.
Patagonia, Miele, Ikea font la promotion de produits durables. La France a tout intérêt à jouer elle aussi sur la qualité. Voyez comme les voitures allemandes se vendent bien - même si je préfère le vélo et les transports en commun. L'économie circulaire est notre avenir. J'appelle à l'audace. Il faut réagir dès à présent avec des propositions concrètes. Je souhaite un avis clair du Gouvernement sur les propositions qui lui sont présentées et serai très attentif aux contributions des groupes, de la majorité comme de l'opposition. (Applaudissements sur les bancs écologistes, CRC et du centre ; M. Jean-Jacques Filleul applaudit aussi)
Mme Hélène Masson-Maret . - Il est difficile de prendre la parole après un orateur plein d'autant d'enthousiasme. Il faut introduire des distinctions. L'obsolescence, c'est quand un produit est dépassé, remplacé par un autre, plus récent, parce que le consommateur le juge désuet ou démodé. Cette obsolescence subjective est le fait du consommateur. On peut y voir une dérive de la société de consommation, mais il est difficile au législateur de légiférer sur un état d'esprit.
Autre chose est l'obsolescence programmée, le fabricant réduisant volontairement la durée de vie d'un produit - par défaut fonctionnel, incompatibilité, péremption. Ces pratiques frauduleuses doivent être dénoncées. Économiquement, l'initiative du sénateur Placé est honorable... (Marques de satisfaction sur plusieurs bancs écologistes et socialistes )
M. Jean-Vincent Placé. - Mais...
Mme Hélène Masson-Maret. - ... puisqu'elle vise à lutter contre des pratiques qui pénalisent les ménages. Mais attention à ne pas réduire le pouvoir d'achat des consommateurs, en suscitant, par les règles qu'édicte la loi, des augmentations de prix.
Écologiquement, pourtant, l'obsolescence programmée provoque une surconsommation des ressources et augmente les déchets. Sont principalement visés les produits manufacturés, les appareils électriques et électroniques, mais ce phénomène peut toucher toute sorte d'objets. Il faut donc prendre en compte deux considérations majeures. Modifier les comportements des entreprises privées, mais sans pénaliser celles qui ont créé des filières de recyclage. Pour ceux qui vivent de ces filières, il ne faudrait pas que la loi soit source de manque à gagner. Faute de quoi, l'initiative est vouée à l'échec, sauf à prévoir des contraintes fortes, qui pèseraient sur la compétitivité des entreprises concernées.
Notre pays joue dans un marché réglementé. Notre droit interne découle pour beaucoup du droit de l'Union européenne. La France a transposé les deux directives relatives aux D3E et la directive-cadre déchets. La proposition de loi de M. Placé, qui traite de l'obsolescence programmée, dont aucun texte de notre droit intérieur ne traite à ce jour, s'inscrit dans la ligne de ce qu'ont fait les Belges et les Finlandais. Mais quelle inflexion veut-on donner à cette proposition. Les intentions des auteurs de ce texte sont bonnes...
M. Jean-Jacques Mirassou. - Ça va se gâter... (Exclamation sur les bancs écologistes)
Mme Hélène Masson-Maret. - ... mais ne risque-t-il pas de provoquer une levée de boucliers des lobbies ?
M. Jean-Jacques Mirassou. - Voilà !
Mme Hélène Masson-Maret. - Il existe des filières de recyclage qui permettent de réutiliser les ressources, fonctionnent bien et ont créé des emplois. Soyons vigilants, faute de quoi, on pourrait assister à un transfert d'emplois d'un secteur à un autre. Il faudra alors réfléchir sur notre mode de production et nos modes de consommation.
Un exemple : pour l'Ademe, en 2010, 334 000 tonnes de D3E ont été collectées, 320 000 tonnes ont été traitées et recyclées, soit environ 75 %. La proposition de M. Placé est bienvenue ...
M. Ronan Dantec. - L'UMP avec nous !
Mme Masson-Maret. - ... mais ce texte présente des risques. Et que dire des effets sur notre système économique, qui repose de plus en plus sur le recyclable. Quand les entreprises font des sacs recyclables, n'est-ce pas l'obsolescence programmée intelligente ?
M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question. - Ce n'est pas le sujet !
M. Ronan Dantec. - Et les centrales nucléaires ?
Mme Hélène Masson-Maret. - Il faudrait donc distinguer dans l'obsolescence programmée, selon qu'elle est à but mercantile ou environnemental. Or, ce texte ne fait pas de distinction, au risque d'ouvrir la voie à des effets pervers pour les fabricants qui oeuvrent honnêtement pour la défense de l'environnement. Une loi trop stricte pourrait avoir de graves conséquences économiques et sociales. (Applaudissements sur quelques bancs UMP)
Mme Laurence Rossignol . - Bien que certaines ONG se soient très longtemps préoccupées de l'obsolescence programmée, on a beaucoup dénoncé un fantasme de décroissance ou une vision complotiste de l'industrie.
Or, ces pratiques, bien que masquées, sont de grande ampleur. Ce sujet mérite débat. Il faut apporter des réponses transversales à la crise : l'obsolescence programmée, face cachée de notre société de consommation, en est une. Bernard London, l'inventeur de l'expression dans les années 1970, disait que l'enjeu n'était plus de stimuler la production mais d'organiser les comportements des consommateurs. Mais en les flouant sur le véritable rapport qualité-prix, l'obsolescence programmée aliène leur pouvoir d'achat, et aggrave la crise écologique et économique.
Il s'agit donc ici d'agir sur la durée de vie des objets. La gratuité des ressources naturelles a favorisé leur surexploitation, dont les analyses économiques ne prennent pas en compte les conséquences.
Le législateur doit savoir que ce coût se répercute toujours sur la collectivité publique. Nous ne savons pas traiter la masse des déchets produits, qui finissent pour l'essentiel dans les filières informelles ; et le coût, in fine, est supporté par les collectivités locales.
Il faut mettre au centre de notre action la fiscalité environnementale, en particulier sur les déchets. C'est un outil majeur pour modifier les comportements et préserver l'environnement.
Mais cela ne suffira pas à construire une économie verte. Il ne suffit pas de se demander comment produire mais pourquoi produire, afin de rompre avec une logique consumériste, qui a failli à ses promesses en faisant croire à une généralisation, impossible, de l'abondance, restée le privilège de 20 % à 30% de la population mondiale.
Péril écologique et injustice sociale se renforcent ainsi. Il faut passer d'une sobriété subie à une sobriété voulue. Du temps où l'ouvrier, qui avait un savoir-faire, savait réparer sa voiture, il avait un statut social qui a disparu dans notre société désindustrialisée. Quand on achète aujourd'hui des objets que l'on est incapable de réparer, on n'a plus prise sur rien. Il est des solutions, parmi lesquelles l'économie circulaire. Je sais, monsieur le ministre, que vous travaillez à un projet de loi sur la consommation pour juin, que nous travaillerons à enrichir. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
Mme Évelyne Didier . - Je remercie le groupe écologiste de son initiative. L'obsolescence programmée signe les dérives du système capitaliste. Qu'une innovation technologique rende des produits obsolètes, c'est le fait du travail de l'intelligence et du génie humain, facteur d'émancipation. Mais l'obsolescence programmée, faite pour une mise au rebut plus rapide des produits, n'est pas admissible. Le consommateur est abusé.
L'obsolescence programmée est diverse. Il y a l'obsolescence technique, avec des pièces défectueuses. On parle moins de l'obsolescence réglementaire, liée à la multiplication des normes pas toujours nécessaires. Comme de l'obsolescence symbolique : les nouveaux modèles de smartphones justifient-ils que l'on jette les anciens, qui ont un an, au panier ? Non.
Il y a quelques décennies encore, l'ouvrier qui achetait une voiture la gardait longtemps, parce qu'il savait réparer les pannes ordinaires. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Les gens modestes n'ont plus prise sur ce qu'ils achètent. Même les garagistes ont du mal à intervenir sur certaines voitures. L'obsolescence programmée, stratagème fondé sur la tromperie orchestrée par les « fils de pub », a été développée dès les années 30 par General Motors, obligeant Ford, qui misait sur la longévité, à changer de stratégie. Elle est le fruit d'une réflexion concertée des tenants du système capitaliste, où surconsommation et surendettement vont de pair.
L'externalisation des coûts en est une autre conséquence : augmentation des déchets, abaissement du coût du travail, enchérissement du crédit et surendettement en sont les corollaires. Quand on nourrit des addictions, jusqu'à organiser des ventes à minuit, orchestrées comme une ruée vers l'or, à quoi vise-t-on ? À fausser la compétition et à mettre les peuples en concurrence !
Des citoyens se libèrent de cette emprise. Les structures associatives ne sont pas en reste. Les pratiques alternatives ne sortent pas toutes du système, mais promeuvent l'échange et le partage. Notre rôle est de comprendre ce phénomène et de protéger nos concitoyens. L'obsolescence programmée est un pilier du système capitaliste. On ne sait plus produire sans se préoccuper de ce que deviendra le produit au terme de sa vie. Oui, la fiscalité, madame Rossignol, est un levier puissant.
C'est à une révolution des valeurs, qui remet l'homme au coeur de notre action, que nous appelons. (Vifs applaudissements à gauche)
Plusieurs voix socialistes. - Très bien !
Mme Laurence Rossignol. - C'est la gauche unie.
M. Yves Détraigne . - La systématisation de la production en série a, au temps de la prospérité, profité aux consommateurs. Mais les temps ont changé. Les industriels disposent de trois armes pour accélérer la rotation des produits : la publicité, le crédit, l'obsolescence programmée. On est passé d'une logique de croissance à une autre, en contradiction avec notre objectif d'économiser nos ressources et réduire notre production de déchets, mais aussi préserver le pouvoir d'achat. L'étude de l'Ademe est instructive. L'outil juridique nous amène à travailler sur la garantie, dont la durée doit être égale à la durée de vie minimale du produit.
M. Alain Chatillon. - Très bien !
M. Yves Détraigne. - Beaucoup de biens ont été dégradés : exemple les ampoules électriques. Nous, gestionnaires d'installations de traitement de déchets, devons subir beaucoup de normes en plus de l'accumulation des déchets, lesquels seraient réduits par des produits mieux conçus. Pourquoi nous interdire d'imposer des normes aux constructeurs ? Les téléphones dits intelligents sont limités par la durée de vie de leurs batteries. Quand la batterie ne marche plus, c'est le téléphone qu'il faut changer. Va-t-on nous faire changer de voiture à la première crevaison ? (Sourires)
Nous devons travailler sur l'éco-contribution : c'est l'outil financier. Pourquoi ne pas la moduler en fonction de la qualité de la durabilité et du caractère recyclable des produits ? À ceux qui objectent que nous fragiliserions la croissance, je réponds : à l'économie du jetable, substituons l'économie du durable selon la logique de l'éco-circulation chère à Mme Jouanno. Quel industriel préfère être un fabricant de déchets plutôt qu'un fournisseur de nouveaux services ? Misons sur l'innovation en valorisant toutes nos ressources, y compris humaines. (Applaudissements)
Mme Laurence Rossignol. - Très bien !
M. Raymond Vall . - Merci à M. Placé d'avoir proposé cette question à l'ordre du jour.
Les enjeux environnementaux, sociaux et économiques sont considérables, à l'échelle planétaire... Comment avons-nous pu passer de productions de qualité, via une forme de marketing créant des besoins, à l'obsolescence liée à la concentration du système de distribution ? Il n'y a pas de hasard, mais une volonté de créer des conditions toujours plus ardues pour le consommateur. Toujours plus de chiffre d'affaires, de bénéfices... La grande distribution est l'une des grands responsables. Bien sûr qu'il fallait faire baisser le coût des produits, mais jusqu'à un certain niveau. Si vous y mettez le prix, votre téléviseur est garanti cinq ans et non deux ans. J'y vois une forme de...
Mme Évelyne Didier. - D'arnaque !
M. Raymond Vall. - Je vous ai laissé dire le mot auquel je pensais. (Sourires) On ne pourra pas continuer à produire plus. L'économie circulaire ne règle pas le problème de fond ; nous devons légiférer pour relier le coût d'un produit à celui de l'énergie, du recyclage, qui incombe au consommateur.
La concentration de la distribution multiplie les tromperies. Il y va aussi de l'avenir de la planète. Nous soutenons cette initiative. (Applaudissements)
M. Alain Bertrand. - Un véritable écologiste !
M. Joël Labbé . - Les faits sont avérés. Ils pèsent lourdement sur le budget des familles, l'environnement. Il ne s'agit pas d'une fatalité, que l'on ne pourrait qu'accepter au nom de la performance, mais d'une stratégie délibérée pour faire croître la demande, symbolique de la société capitaliste : produits indémontables, irréparables, car la réparation devient un non-sens économique. La vérité, c'est qu'un tel système est un non-sens social.
Le rapport européen sur la consommation plaide pour une extension progressive de la durée de la garantie légale de conformité, idée reprise par la proposition de loi de Jean-Vincent Placé. Je l'ai portée par amendement lors de l'examen du projet de loi de Frédéric Lefebvre. Ouvrons la voie à un changement de mode de production, pour des produits durables et réparables. Incitons les éco-organismes à prélever des pièces détachées pour réparer les produits. La réparation offre une réponse sociale concrète, riche en emplois non délocalisables.
Cette proposition de loi insère le concept d'obsolescence programmée dans le code de la consommation en en faisant un délit. Il faut faire cesser ces pratiques, contraires au sens de l'histoire, et mettre le progrès au service du développement durable, comme le disait Jean-Vincent Placé. Ayons ce courage collectivement. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Jean-Jacques Filleul . - Les systèmes de production évoluent. Beaucoup, avec Jeremy Rifkin, en appellent à un changement de paradigme. Ce débat sur l'obsolescence programmée interroge notre société. J'espère que nous retrouverons les mesures ici préconisées dans un prochain projet de loi.
L'obsolescence programmée augmente les déchets et la surexploitation des ressources naturelles. L'OCDE alerte dans son rapport publié en novembre dernier sur la gravité de la situation. Le recyclage ne suffira pas à résorber les tensions sur les matières premières. Légiférer pour lutter contre la faible qualité des produits est urgent. L'Allemagne l'a fait en 1994 et le Japon en 2000.
La filière de traitement des D3E a été mise en place chez nous en 2006. Le modèle de production des produits électroménagers est justement contesté, car il pousse à la surconsommation. La durée de vie des équipements raccourcit.
La réparation conserve des emplois locaux, en particulier dans le secteur de l'économie sociale et solidaire auquel vous êtes attentif, monsieur le ministre ; Le matériel doit être pensé pour être réparé et réutilisé. Passons du « tout jetable » au « tout utile ».
Mme Laurence Rossignol. - Très bien !
M. Jean-Jacques Filleul. - Arrêtons d'imposer des produits à bas prix et de faible qualité ; un autre modèle doit émerger, intégrant la fonctionnalité, privilégiant l'usage à la possession, valorisant le recyclage : c'est tout un mode de vie à repenser. Remplaçons les bouteilles en plastique par des bouteilles en verre. Luttons contre le gaspillage, alors que 30 % des produits sont jetés dans certains restaurants scolaires. Favorisons la fabrication d'un chargeur universel pour les téléphones portables. Montrons aux enfants et aux adultes les bonnes pratiques. Ces évolutions doivent être acceptées par nos concitoyens. Notre pays ne peut pas être en reste. (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Jean-Claude Lenoir. - Très bien !
Mme Delphine Bataille . - Cette question renvoie à l'avenir de notre modèle économique. M. Placé la situe dans le sillage de l'Ademe. L'obsolescence programmée réduit artificiellement la durée de vie des produits. Il est logique de penser que les fabricants arbitrent en fonction des coûts ou de la concurrence. Les producteurs cherchent à offrir, dans la plupart des cas, le meilleur rapport qualité-prix. Pour continuer à vendre sur nos marchés concurrentiels et suréquipés, ils incitent les consommateurs à renouveler leurs achats. L'arrêt de la production de pièces détachées est un levier puissant. Il est certain que notre mode de consommation produit de plus en plus de déchets. Il est nécessaire d'allonger la durée de vie des produits. Le président de la République s'est saisi de la question. Mais des mesures trop brutales auraient un impact négatif sur l'économie. La priorité actuelle est de préserver l'emploi de notre modèle productif. Les critiques contre la société de consommation qui fleurissaient à la fin des Trente Glorieuse apparaissent désormais comme un luxe réservé aux sociétés de plein emploi. L'emploi est devenu notre bien le plus précieux. Aucune de nos initiatives ne doit lui nuire. Cette lutte doit donc être menée à l'échelle européenne, voire internationale.
La proposition de loi s'inscrit dans une perspective de transition entre une économie de consommation et une économie d'usage. Il est indispensable de faire preuve de beaucoup de vigilance en ces matières plus complexes qu'il n'y paraît. Comment garantir la durée de vie d'un produit incorporant des intrants fabriqués à l'étranger ? Quelles seront les réponses ? Le coût social réel ? Attention à ne pas nous retrouver dans l'impasse. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous proposerez des réponses justes. (Applaudissements sur certains bancs socialistes et sur les bancs CRC)
M. Jean-Jacques Mirassou . - Qui, venant d'acheter un article électroménager, ne s'est demandé quelle était sa durée de vie ? Chacun se trouve confronté à l'obsolescence programmée, comme M. Jourdain faisait de la prose... Nous avons franchi un palier depuis les Trente Glorieuses, quand nous parlions de société de consommation. Ce débat est donc bienvenu.
Une suspicion règne, qui nous pousse à nous interroger, avec UFC-Que choisir qui nous incite à une lecture critique de notre économe. Les tests menés en laboratoire ont été peu probants, ce qui incline l'association à parler plutôt d'obsolescence organisée. Notre débat ne doit être interprété de manière simpliste comme une remise en cause indifférenciée de tous les secteurs industriels. Pour les experts, il y a au moins quatre types d'obsolescence.
Politiques, penchons-nous sur la nature de notre société, pour redéfinir notre rapport à la consommation et à la croissance. Est-il impossible de concilier l'écoconception des produits et la dynamique industrielle ? Je ne le crois pas. Soyons inventifs ! La course à l'innovation, les phénomènes de mode jouent leur rôle dans ce phénomène. Monsieur le ministre, il se dit que vous pourriez inclure des mesures dans le cadre de la grande loi sur la consommation. Il ne s'agit pas que d'un problème environnemental. Les filières de production et de distribution doivent être repensées.
Le secteur de la réparation compte quelque 70 000 entreprises, il pourrait être créateur d'emplois. En cette période de crise, redéfinissons notre modèle économique, avant tout au service des consommateurs. Telle est votre ambition, monsieur le ministre, nous la partageons. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation . - Merci d'avoir mis ce débat à l'ordre du jour. Il nous donne l'occasion de réfléchir ensemble à l'écart, pour un temps, du tumulte de l'actualité politique, parce qu'il concerne notre système de valeurs.
Gilles Lipovetsky, philosophe de l'hyperconsommation, trace, dans son essai, Le bonheur paradoxal, la figure de ce consommateur plus libre, plus informé, mais dont le plaisir est de plus en plus lié à la possession, aux modèles répandus par la publicité. Or le sentiment de frustration reste intact en dépit de la logique d'accumulation. Comme le dit l'économiste Daniel Cohen, la course-poursuite est vaine car les autres aussi veulent vous dépasser. Les externalités environnementales négatives doivent être prises en compte. Le paradoxe de l'économie low cost atteint vite ses limites : à toujours vouloir des prix plus bas, on achète le droit d'être au chômage. C'est ainsi que le consommateur arbitre contre ses propres intérêts.
On ne peut proposer à nos concitoyens de consommer toujours plus. La transition écologique nous incite à repenser nos modes de production et de consommation. Sans consommation, pas d'investissement, ni de croissance, ni d'emplois.
Mme Laurence Rossignol. - On n'en est pas là !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - La consommation n'a progressé que de 0,2 % par an depuis 2008. Quand les dépenses contraintes, comme l'énergie, augmentent, d'autres secteurs voient leurs ventes baisser, notamment celui des produits électroniques. Nous ne pouvons nous résigner à voir ce moteur de la croissance s'éteindre à son tour, d'où les mesures que nous avons prises en faveur du pouvoir d'achat. Nous devons atteindre un juste équilibre. Car il est juste de dire, aussi, qu'allonger les durées d'usage des produits crée des emplois non délocalisables, en favorisant l'économie circulaire et en nous rendant moins dépendants.
C'est dans ce contexte que je place ce débat. La surconsommation de certains produits n'a aucun effet positif sur l'emploi en France.
L'obsolescence programmée n'est pas un concept paranoïde ou complotiste, mais une pratique établie de longue date. Le juge américain a, dès avant la Seconde Guerre mondiale, sanctionné le cartel Phoebus, qui jouait sur la durée des ampoules électriques. Plus les marchés sont concentrés entre le moins grand nombre d'opérateurs, plus de telles pratiques sont rendues possibles. Il y a aussi l'obsolescence technique, voire l'obsolescence ressentie, subjective, promue par le marketing.
Vos proposez de définir un délit d'obsolescence programmée. Le projet de loi consommation, que je présenterai la semaine prochaine, propose un alourdissement des sanctions, en portant l'amende à 300 000 euros pour une personne physique, voire 10 % du chiffre d'affaires pour les personnes morales, au regard des gains induits par l'obsolescence programmée. Si de telles sanctions avaient été prises avant l'affaire de la viande de cheval, les parties impliquées dans cette tromperie auraient réfléchi à deux fois : il ne faut pas que l'éventuelle sanction soit moindre que le gain attendu de la tromperie.
D'autre part, nous instaurerons en droit français l'action de groupe grâce à laquelle les consommateurs pourront mieux faire valoir leurs droits. Ce sont deux voies concrètes d'action. Je n'ignore pas pour autant l'importance symbolique et politique de votre proposition. Nous en débattrons donc lors du débat sur le projet de loi.
M. Jean-Vincent Placé. - Très bien !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Lutter contre l'obsolescence programmée, c'est aussi favoriser l'émergence d'autres pratiques. Porter la garantie de deux à cinq ans n'aurait pas de sens pour tous les produits. Je pondère toutefois moi-même cette réserve : on peut imaginer que, demain, il paraisse normal de renouveler plus lentement un bien que l'on veut aujourd'hui renouveler très vite.
Augmenter la garantie de deux à cinq ans, c'est un renchérissement de 20 % du prix, ce qui serait malvenu en ces temps de crise. J'ajoute que les fabricants proposent des extensions payantes de garantie, sources de valeurs importantes pour des acteurs fragilisés par la concurrence des pure players. Il faut donc songer aux conséquences.
J'entends votre proposition de moduler l'éco-contribution selon la durée de vie du bien. Les textes le permettent ; j'ai engagé des discussions.
Le consommateur doit être parfaitement informé de l'existence de la garantie légale de conformité et de la garantie légale de vice caché. Le projet de loi sur la consommation prévoit une information claire et lisible sur le lieu de vente comme dans les conditions générales de vente.
Le développement de modes de consommation plus responsables est une nécessité, en même temps qu'une demande du consommateur, qui devient un acteur éclairé et responsable. Encore faut-il qu'il puisse exercer ses droits et sa liberté d'arbitrage en toute connaissance de cause. Ainsi de l'existence et de la disponibilité des pièces détachées nécessaires à une réparation, que les producteurs seront tenus de fournir pendant un laps de temps qui devra être précisé.
Mieux informé, le consommateur pourra faire le choix du produit le plus durable. Cela profitera aussi au secteur du réemploi. Nous devons développer une telle filière qui contribuera à relocaliser une partie des emplois. Les entreprises de l'économie sociale et solidaire en bénéficieront, qui sont très présentes dans ce secteur. L'une d'elles est très innovante et leader dans le recyclage des écrans plasma.
Voilà les propositions que je porterai bientôt. Je vous remercie de la qualité de nos échanges, qui présagent d'un débat riche sur le projet de loi relatif à la consommation. Il nous faut passer d'une économie du gaspillage à une économie du sens et de la tempérance, fondée sur d'autres valeurs que la rentabilité à court terme et la surconsommation. (Applaudissements à gauche et au centre)
Débat sur la politique vaccinale de la France
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique vaccinale de la France.
M. Georges Labazée, rapporteur de la commission des affaires sociales. - La vaccination est, avec l'hygiène, la première arme de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses. C'est un secteur de recherche prometteur. Or notre commission a fait un constat inquiétant : des groupes divers, dont certains à tendance sectaire, relayés par internet, militent contre la vaccination ; et la réticence s'accroît au sein de la population.
Il est nécessaire de réaffirmer une politique vaccinale claire. C'est pourquoi notre commission des affaires sociales a demandé un rapport à la Cour des comptes - d'où sont sorties des recommandations auxquelles nous en avons ajouté d'autres.
En voici quelques-unes : agir en direction des populations en situation de précarité ; simplifier le paysage institutionnel ; assurer rapidement la mise en place d'un carnet de vaccination électronique, mettre en place un enseignement de la prévention dans la formation des professeurs des écoles et des professionnels de santé, renforcer la recherche publique sur le vaccin, assurer l'accès au vaccin des pays en développement. Nous souhaitons connaître votre avis sur ces propositions.
Les maladies infectieuses, variole, poliomyélite, tétanos ont été quasiment éradiquées dans notre pays grâce à la vaccination, ce qui a pu laisser penser à certains que celle-ci n'était plus nécessaire. Mais en dépit de la forte baisse de la prévalence, le risque lié à la maladie, supérieur au risque du vaccin lui-même, demeure : tant qu'une bactérie ou un virus demeure présent dans le monde, l'épidémie peut toujours réémerger dans une population non protégée. La tuberculose et la rougeole sont ainsi aujourd'hui la cause de nombreux décès.
La vaccination demeure donc un outil majeur de prévention, laquelle exige aussi que l'on renforce notre coopération sanitaire avec les pays en voie de développement.
Pour autant, la vaccination n'est pas toujours la stratégie la plus efficace pour lutter contre une maladie infectieuse. Elle n'est nécessaire que contre les virus et même dans ce cas, on ne recommande pas une vaccination générale dans toutes les situations, en vertu d'un équilibre coût-efficacité. C'est le cas pour le papillomavirus, dont le vaccin ne protège que contre quatre souches. Et les campagnes de vaccination massive sont souvent mal perçues par la population. Voyez ce qu'il s'est passé avec le virus H1N1. L'essentiel est d'adapter la vaccination aux besoins et aux attentes de la population.
Le premier axe d'une politique vaccinale moderne, c'est d'aller au plus près des populations dans leur diversité ; c'est pourquoi nous recommandons, avec la Cour des comptes, de permettre la vaccination dans les centres de prévention de l'assurance maladie ; je suis prêt à préparer une proposition de loi pour permettre la vaccination dans les centres de la sécurité sociale, qui accueillent des populations précaires.
Des études en matière de sociologie de la vaccination sont nécessaires pour mieux orienter les politiques de santé publique et éviter une politisation des enjeux. Les très encourageants travaux de l'Institut de veille sanitaire (InVS) mériteraient, à ce titre, d'être soutenus. Mettre en place un carnet vaccinal électronique au sein de la carte vitale serait également utile. Lors des auditions, j'ai été particulièrement intéressé par le projet du professeur Koeck, médecin des armées, qui a créé avec son équipe un tel carnet et un site internet expert. Il ne s'agit pas de dresser un simple recueil comptable, mais de permettre à chacun de savoir où il en est dans ses rappels, sans lesquels la couverture immunologique n'est pas garantie. Ainsi, pour les jeunes filles choisissant le vaccin contre le papillomavirus, trois rappels sont préconisés. Or une part importante d'entre elles ne va pas au bout du processus : elles ne sont pas réellement protégées, et l'argent public a été dépensé en vain. Je m'étonne que cette initiative ne rencontre pas plus d'écho au ministère de la santé. Est-ce le souvenir malheureux du DMP ?
J'ai entendu les responsables des principales structures intervenant dans le domaine de la vaccination. J'ai été frappé par la complexité du processus de décision ; il semble difficile de définir les frontières de compétences. Quelles sont les missions nécessaires, quelles structures pourraient évoluer ? Elles sont de statuts et de pouvoirs très variés. Ne pourrait-on rattacher le Haut Conseil de la santé publique à la Haute Autorité de santé, afin de limiter les risques d'avis divergents sans nuire à l'efficacité de la procédure ? La prochaine loi de santé publique pourrait être un bon véhicule ; qu'en pensez-vous, madame la ministre ?
Autre recommandation, une formation dès l'école me semble le moyen de lutter contre la désinformation sur internet. Une étude des pays en voie de développement, où le problème est crucial, et du mode d'action des vaccins dans l'organisme serait ainsi utile.
Il faudrait de même faire en sorte que les médecins et les professionnels de santé se prêtent à la vaccination - ce qui n'est guère le cas aujourd'hui.
La recherche française possède un savoir-faire et des capacités industrielles importantes. Mais elle semble en perte de vitesse par rapport aux pays émergents et aux anglo-saxons. Les instituts de recherche publics ont décidé de mutualiser leurs efforts au sein du réseau Corevac afin de fédérer les travaux de leurs équipes. Des études doivent être menées sur la possibilité de vaccins curatifs contre des maladies dont la prévalence augmente.
Il faut traiter efficacement les questions qui se posent sur la sécurité du vaccin, notamment en raison de la présence d'aluminium dans les adjuvants vaccinaux. La réponse du professeur Maraninchi a été rassurante, mais il faut approfondir les recherches sur cette question. Selon l'association des malades du myofasciite à macrophages, les études complémentaires n'ont pas encore été entreprises. Pouvez-vous nous en dire plus ? Un vaccin contre la DTPolio sans aluminium est également attendu ; quand les industriels seront-ils prêts ? Le principe de précaution doit l'emporter sur tout enjeu industriel ou financier. (Applaudissements à gauche)
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Je salue M. Labazée pour la qualité de son rapport, documenté et riche, qui nous aidera à progresser. La vaccination est l'une des plus grandes avancées des politiques de santé publique, qui a sauvé des millions de vie et permis d'éradiquer nombre de maladies infectieuses.
Se vacciner, c'est se protéger soi-même, mais c'est aussi protéger la collectivité dans son ensemble, protéger les autres, en particulier les plus fragiles. Une politique vaccinale doit donc atteindre, pour être efficace, un taux de couverture de 80 à 90 % selon les maladies.
Les premiers vaccins, au XIXe siècle, ont lutté contre la rage, la typhoïde, la peste, qui étaient alors des fléaux. Au XXe siècle, ils sont devenus des armes efficaces de prévention contre la tuberculose, la diphtérie, le tétanos, la variole, la poliomyélite, la fièvre jaune... La variole, qui décimait des populations entières, a été éradiquée. Les décès par rougeole ont baissé de 71 % entre 2000 et 2011. La diphtérie et la poliomyélite ont disparu de France. Grâce aux avancées de la science, l'espoir de découvrir un vaccin contre la dengue, le paludisme ou le sida n'est pas vain. Des horizons nouveaux, s'ouvrent vers une nouvelle politique vaccinale.
Mais ces espoirs doivent nous laisser vigilants. Les maladies couvertes par un vaccin n'effraient plus. Pourtant, elles n'ont pas disparu. Ainsi de la rougeole, en recrudescence, en raison, notamment, d'une baisse de la vaccination. C'est que la maladie n'a pas disparu ! Quand on cesse de se vacciner, la maladie ressurgit. Également, la suspension de la vaccination BCG automatique a suscité des cas de tuberculose, parce que les préconisations de vaccination dans certains cas n'avaient pas été respectées.
N'oublions pas que onze millions d'enfants dans le monde meurent par défaut de vaccination. Notre responsabilité est immense, nous ne devons pas baisser la garde mais relever des défis nouveaux. La prévalence des maladies émergentes est aggravée par la circulation des personnes et des biens ; certains cancers sont aggravés par des virus ; nous devons affronter des maladies infectieuses latentes qui peuvent être prévenues par certains vaccins.
Si notre pays dispose d'une bonne couverture vaccinale, des progrès restent à accomplir. Les nourrissons sont bien vaccinés, mais les nouveaux vaccins, perçus comme seulement recommandés, peinent à percer ; les adolescents et les adultes se vaccinent moins. Comment expliquer ces dysfonctionnements ? C'est que la réticence à la vaccination, fondée sur des raisonnements non scientifiques, parfois irrationnels, s'amplifie, et que l'information n'est pas toujours bien passée. Nous devons y veiller. D'autant que l'information est complexe, notamment en ce qui concerne les rappels. Chacun ici peut, à titre de test, se poser la question : où en suis-je de mes rappels ?
Il s'agit de rendre le parcours vaccinal plus lisible. D'abord, en clarifiant et simplifiant le calendrier vaccinal, afin de diminuer le nombre d'injections. Pour les nourrissons, il y aura une vaccination en moins. Pour les adolescents, le rappel DTCoq est supprimé. Au-delà, les rappels auront lieu à âge fixe plutôt qu'au terme d'une période.
Les professionnels de santé ont été dûment informés en amont. Pour sensibiliser nos concitoyens, la semaine européenne de la vaccination sera le bon vecteur.
Nous entendons ensuite favoriser, comme vous le proposez, la vaccination dans les centres de santé de l'assurance maladie. Le Conseil constitutionnel avait censuré l'article 64 de la loi de financement de la sécurité sociale, au motif que c'était un cavalier. Il faut donc trouver un nouveau véhicule.
La troisième mesure concerne le carnet de vaccination électronique, pour un meilleur suivi, au moins des nourrissons. Cela peut entrer dans le DMP de deuxième génération - le dossier pharmaceutique pouvant, pour anticiper, être mobilisé, puisqu'il a vocation à alimenter le DMP.
Élargir le nombre des professionnels habilités à prescrire et à réaliser une vaccination est une autre piste. Le regroupement des professionnels au sein des maisons de santé contribuera à fluidifier le parcours vaccinal. Au-delà, il pourrait être permis aux sages-femmes de vacciner l'entourage des femmes enceintes, aux infirmiers à vacciner au sein d'une pharmacie ou aux pharmaciens à pratiquer de leur propre initiative les rappels chez les patients adultes - comme cela se fait au Portugal depuis cinq ans. Ces perspectives doivent être étudiées de façon concertée.
Je vous renouvelle, monsieur le rapporteur, mes remerciements pour votre initiative. (Applaudissements)
Mme Laurence Cohen . - Ce débat fait suite à notre demande de rapport à la Cour des comptes. Je félicite le rapporteur pour son excellent travail et me réjouis, madame la ministre, que vous repreniez certaines de ses recommandations.
Si la vaccination est une pratique ancienne, l'obligation vaccinale est plus récente, et a été restreinte à la diphtérie, le tétanos et la polio. On assiste aujourd'hui à la recrudescence de certaines maladies, comme la rougeole.
Il faut assurer à tous une politique constante dans le temps. Cela suppose l'adhésion de la population. Comment mieux l'informer, pour lui faire prendre conscience de l'utilité du vaccin et contrer les campagnes de désinformation ? Dans un monde ouvert, on ne peut non plus se désintéresser des pays en développement.
Pourquoi la France est-elle en retard sur ses voisins ? La campagne de vaccination contre le virus H1N1, orchestrée par Mme Bachelot, a eu des effets désastreux, entraînant un climat de peur sous la menace d'une pandémie mondiale... qui ne s'est jamais produite. Des quantités énormes de vaccins sont restées inemployées, et tandis que les finances publiques supportaient ces coûts inutiles, les laboratoires ont réalisé des profits colossaux, avec peut-être la complicité ou la négligence de certains « experts ». Il faut dénoncer avec fermeté le poids des lobbies et les conflits d'intérêts dans un domaine si sensible.
L'association des malades de myofasciite à macrophages nous ont alertés sur les dangers des sels d'aluminium dans les vaccins, désormais reconnus par les plus hautes autorités de santé ; vous-même, madame la ministre, vous êtes engagée sur la mise en place d'un comité de pilotage et d'un comité scientifique. Où en est-on ? Il y a urgence. Entendez-vous peser sur Sanofi pour qu'un vaccin DTPolio sans aluminium soit remis en circulation ?
Quelles mesures du programme national 2012-2017 sont-elles déjà mises en oeuvre ? Pouvez-vous nous donner un calendrier ?
Il ne s'agit pas de diaboliser les vaccins, mais de s'assurer que toutes les précautions sont prises. Pourquoi pas un comité public de la vaccination, indépendant et impartial pour prévenir les conflits d'intérêts ? C'est ainsi que nous redonnerons confiance à la population. (Applaudissements à gauche)
M. Gilbert Barbier . - En cette semaine européenne de la vaccination, la campagne lancée par l'InVS est bienvenue. La résurgence de la rougeole est alarmante. Et les objectifs fixés pour l'hépatite B et le cancer du col de l'utérus ne sont pas atteints. Sans compter que la couverture vaccinale n'est pas la même dans toutes les régions. La comparaison avec nos voisins européens n'est pas flatteuse...
C'est que le regard a évolué. Si les réticences, d'ordre naturaliste, hygiéniste ou libertaire ont toujours existé, le mouvement est aujourd'hui plus large, qui va jusqu'à remettre en cause la balance bénéfice-risque. La campagne sur le vaccin contre l'hépatite B a été mal conduite, de même que celle sur le papillomavirus, ce qui n'a pas aidé. Ajoutons que, sur internet, bien des contrevérités circulent sans contrôle. La commission d'enquête sur les mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé a montré que les mouvements militant contre la vaccination sont très actifs. Les sectes ont mieux compris que les pouvoirs publics les enjeux d'un bon référencement sur la toile.
Il faut un discours politique de conviction. La communication publique est intermittente, laissant le champ libre à la propagande privée. La loi de 2011 encadre la publicité non institutionnelle mais la HASP s'y oppose : quelle est votre position ?
Dans le rapport du Haut Comité, les anthropologues analysent les mécanismes de refus des populations. Il faut comprendre ce phénomène. On ne peut se contenter d'asséner des affirmations sur la nécessité de se vacciner.
Dans son très bon rapport M. Labazée fait des propositions que je partage. L'élu de Dole que je suis ne peut pas ne pas rappeler la mémoire de Pasteur. Les maladies infectieuses émergentes et résurgentes, les cancers, posent de redoutables défis. La France dispose d'atouts indéniables, mais la recherche est trop fragmentée.
Une meilleure évaluation de la sécurité et des adjuvants aluminiques et autres est nécessaire. Votre réforme du calendrier vaccinal est une première réponse mais elle n'est pas satisfaisante. La Cour des comptes a proposé d'améliorer la prise en charge de la vaccination, qui doit encore mieux protéger les populations. (Applaudissements)
Mme Aline Archimbaud . - Je salue l'excellent rapport de M. Labazée. Depuis deux siècles, la vaccination a éradiqué des maladies très graves et évité leur réémergence. Dans un monde sans frontières, il est illusoire de penser éradiquer totalement une maladie de notre territoire. Mais la vaccination est un outil de prévention même s'il existe parfois d'autres stratégies pour lutter contre les maladies infectieuses.
Les critiques de la Cour de comptes sur la campagne de vaccination contre le H1N1sont significatives. J'insiste sur l'importance d'études indépendantes et sur la vigilance nécessaire à l'égard des conflits d'intérêt. La vaccination n'est pas sans risques. Il est nécessaire de faire preuve de vigilance à l'égard des sels d'aluminium utilisés comme adjuvants, qui peuvent provoquer des pathologies invalidantes. Un enfant n'est pas admis à l'école s'il n'est pas vacciné. Jusqu'en 2008, le vaccin DTPolio distribué par l'Institut Pasteur ne contenait pas de sels aluminiques. Les médecins sont obligés de pratiquer des vaccinations obligatoires avec des vaccins qui en contiennent. Il convient de mettre sur le marché un vaccin alternatif, par exemple dans le cadre d'une commande publique. Des produits existent. Madame la ministre, l'équipe de recherche qui a été constituée aura-t-elle les moyens de mener ses travaux ?
M. Alain Milon . - Des progrès significatifs ont été réalisés pour protéger les populations des maladies infectieuses par la vaccination, dont le rôle est parfois contesté. Elle prévient chaque année, selon l'OMS, entre 2 et 3 millions de décès. Cent neuf millions d'enfants de moins d'un an en 2010 ont été vaccinés contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche. Malheureusement, cette même année, 1,7 million d'enfants décédaient de maladies qui auraient pu être évitées grâce à la vaccination. L'éradication totale de la polio fera économiser 50 milliards de dollars en 2035.
C'est dire l'enjeu de la politique de vaccination. Le rapport Labazée suit les pas de Paul Blanc. La communication est essentielle. Notre politique vaccinale est paradoxale. La France dispose d'une expertise reconnue, le calendrier vaccinal est exigeant. Mais les résultats ne sont pas à la hauteur. Un discours protestataire trouve un écho inquiétant auprès des Français. Madame la ministre, certaines décisions ont été catastrophiques : la suppression de la vaccination contre le BCG fut l'une de ces erreurs graves.
La Cour des comptes souligne que nos résultats sont décevants. Le taux de vaccination contre l'hépatite B est trop faible et celui de la vaccination contre la rougeole, les oreillons et la rubéole n'est pas à notre avantage dans les comparaisons internationales. Comment le Gouvernement entend-il redéfinir des objectifs spécifiques ? En 2009, j'ai présenté sous la présidence de François Autain, un rapport d'information de vaccination contre la grippe A H1N1, qui m'a permis de découvrir les faiblesses de la communication interministérielle. L'absence de fichier des médecins m'est apparue stupéfiante. Où en est-on aujourd'hui ?
Les efforts déployés pour convaincre les Français de se faire vacciner sont demeurés vains. Il y eut des maladresses. Aucune publication n'a fait état de la dangerosité, alléguée par la rumeur, de la vaccination contre le H1N1. L'insistance de certains messages gouvernementaux a pu accroître la défiance à l'égard de la parole publique. Avoir écarté les médecins de la campagne fut une erreur fondamentale. Pour restaurer la confiance des Français, nous devons commencer par restaurer la place du corps médical dans ce dispositif.
Redonnons-lui toute sa place dans la politique de santé publique et formons les médecins à cette fin.
La désertification médicale et l'absence de revalorisation de l'acte médical sont deux obstacles majeurs. Nous devons convaincre les Français de l'efficacité de la vaccination. Nous ne pouvons nous permettre des échecs récurrents de notre politique vaccinale. (Applaudissements à droite)
Mme Michelle Meunier . - Le constat est sans appel : la politique vaccinale française souffre d'insuffisances. Notre politique de santé est destinée à soigner plus qu'à prévenir. La vigilance se relâche. C'est regrettable. Quand les prestations familiales étaient liées à la vaccination effective des enfants, cette politique était couronnée de succès. La politique est désormais surtout incitative. Pourtant le vaccin protège individuellement et collectivement. Comment mobiliser la population autour de cette double nécessité ? Quel suivi des vaccinations ? Qui est au clair avec ses dates de vaccin et de rappels ?
Passée la période d'inscription dans le carnet de santé, il n'est plus possible d'avoir une vision longitudinale. La création d'un carnet vaccinal électronique individuel serait utile, ce système pourrait être adossé à la carte vitale. Il permettrait une approche statistique fiable, fiabilité qui n'est pas avérée aujourd'hui. L'amélioration de la couverture vaccinale suppose la mobilisation des professionnels de santé, médicaux mais aussi paramédicaux.
De nombreux pays étrangers confient la vaccination aux infirmières et infirmiers. Les résultats sont probants. Pour les populations à risque, la vaccination des nourrissons pourrait être pratiquée à la maternité. Le personnel infirmier peut se voir confier cet acte, moyennant son rattachement à un médecin coordonnateur. Lançons des expérimentations en métropole ou outre-mer, à l'occasion de la mise en oeuvre du nouveau calendrier vaccinal et sensibilisons les professionnels à la nécessité de se vacciner eux-mêmes...
Protéger les enfants est un souci permanent pour les parents. Ciblons notre communication en conséquence, associons-les à la confection des supports. Les résistances à la vaccination ont un prix en pertes de vies humaines. Voyez les décès dus aux rougeoles. Faisons évoluer les mentalités. (Applaudissements à gauche)
M. Bernard Cazeau . - Merci, monsieur le rapporteur, pour votre remarquable contribution à ce débat difficile, mais fondamental. Nombre d'échecs de vaccinations sont dus à des résistances humaines. Deux tiers des Français se déclaraient, en septembre, hostiles à la vaccination contre la grippe. La France se classe au rang des mauvais élèves parmi les pays comparables.
L'épisode H1N1 est l'illustration d'une politique vaccinale aveugle, au point que, dans les universités anglo-saxonnes, on en fait l'exemple même de ce que ne doivent pas faire les décideurs publics. Rien ne peut se faire dans ce domaine sans les professionnels de santé. C'est pourtant ce qui fut décidé en 2009... L'administration a sous-estimé le rôle des professionnels de santé auprès des populations.
Les erreurs se sont accumulées, ruineuses pour la sécurité sociale. Nous les avons payées cher.
Je partage pleinement le constat de M. Labazée sur le rôle important de l'action de proximité. Le généraliste connaît, en général, son malade. Je pense en particulier à la prévention du tétanos : le nombre de cas n'a cessé de diminuer sans campagne officielle, uniquement grâce aux généralistes.
Plusieurs professeurs de médecine ont interpellé les pouvoirs publics sur l'utilisation des sels d'aluminium comme adjuvants, en raison des risques mis en évidence par plusieurs études. Un moratoire a été demandé dès mars 2012 par les députés du groupe d'études sur la vaccination. Quelle est votre position, madame la ministre ?
Pour restaurer la confiance, il faut réaffirmer la place du corps médical dans nos politiques de santé : 98 % des Français font confiance à leur médecin de famille. L'idée d'un carnet vaccinal va dans le bon sens.
Il a fallu attendre 40 ans pour connaître les effets secondaires de certains vaccins. Voilà qui milite pour une formation sérieuse des médecins, auxquels il faut aussi laisser le choix du vaccin le mieux adapté à chaque patient. Il doit aussi pouvoir parler des risques, mais avec lucidité et modération. Car s'il peut y avoir un risque pour quelques-uns, pour des millions de personnes il y a un bénéfice. (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Procaccia . - Je félicite à mon tour le rapporteur, qui m'a permis de faire le lien avec la problématique de la vaccination des étudiants, alors que je préparais, pour notre commission des affaires sociales, avec Ronan Kerdraon, un rapport sur la santé des étudiants.
À l'époque du service militaire, la moitié des jeunes étaient vaccinés. Aujourd'hui les étudiants des deux sexes relèvent des services universitaires de médecine préventive qui constatent que peu d'entre eux sont à jour de leur vaccination. Aucune visite obligatoire pour les étudiants Erasmus au niveau master et doctorat, alors que plusieurs cas de tuberculoses résistantes chez des étudiants venus de pays de l'Est ont été signalés. Pour ceux qui sont soumis à visa, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) impose une visite médicale. Ils sont donc mieux suivis, si j'en crois un système qui me paraît tout de même bien compliqué. Mais pour les autres, aucune obligation ne s'impose. Les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (Sumpps) auraient ici un rôle à jouer.
L'objectif affiché d'accroître le nombre d'étudiants étrangers doit nous inciter à la vigilance sur la politique vaccinale. Ne faut-il pas rendre le contrôle vaccinal obligatoire dès la première année ?
La vie étudiante est un moment de rupture dans le suivi médical du jeune, Français comme étranger. Pourquoi ne pas imposer dès l'inscription en fac une vérification des vaccinations ?
Je croyais la tuberculose éradiquée en France. Elle reste une pathologie lourde et parfois mortelle. Régulièrement, de nouveaux cas sont dépistés dans mon département. Sa réapparition est-elle liée au fait que la vaccination contre le BCG n'est plus obligatoire depuis 2006 en France ? L'Île-de-France est la première touchée, ce qui s'explique aisément, par l'importance de la population, l'immigration, la contamination possible dans les transports en commun. A-t-on pu établir un lien avec cette suppression de l'obligation vaccinale ?
Pour que les Français se vaccinent, faudrait-il encore que les professionnels de santé soient eux-mêmes vaccinés ? Ils sont les plus à même de faire passer les bons messages... s'ils en sont eux-mêmes convaincus !
Recherchons les moyens d'inciter les médecins à montrer l'exemple. Cela irait dans le sens d'une meilleure maîtrise des dépenses de santé. Seulement 11 % des infirmières salariées et 3 % des infirmières libérales se font vacciner contre la grippe saisonnière. Nous ne ferons pas l'économie à moyen terme d'un débat sur l'obligation de la vaccination pour les professionnels de santé. Pourquoi ne pas faire dans un département une expérience de vaccination gratuite une année pour faire une comparaison l'année suivante ? Il y a aussi beaucoup d'efforts à faire en direction des futurs professionnels de santé.
Je crois enfin à l'utilité des applications de Smartphones incitant chacun à mieux se prendre en charge : pourquoi n'organiseriez-vous pas un concours pour récompenser la meilleure application ? (Applaudissements à droite, et sur quelques bancs socialistes)
Mme Catherine Deroche. - Très bien !
M. Philippe Madrelle . - Le 29 janvier, j'ai posé une question orale sur le grave problème de l'utilisation des sels d'aluminium comme adjuvants. Mme Delaunay m'a répondu en évoquant le souhait du Gouvernement d'engager des recherches supplémentaires.
Dans quels délais le Gouvernement répondra-t-il à l'attente légitime des familles qui veulent pouvoir choisir des vaccins sans aluminium, comme cela était possible avant 2008 ?
La recherche doit bénéficier de crédits appropriés. Je vous fais confiance, madame la ministre. Merci de nous éclairer.
Mme Catherine Deroche . - Je joins mes félicitations à toutes celles qui ont été adressées à M. Labazée. Selon la Cour des comptes, notre politique vaccinale enregistre des résultats contrastés.
Des millions de vies ont pu être sauvées grâce à ce geste simple de prévention. L'opinion publique est trop souvent habitée par le doute alors que son adhésion est indispensable à la réussite de cette politique. Il faut donc lui redonner confiance.
La vaccination peut être victime de son succès, comme l'a montré la recrudescence de la coqueluche. Permettons aux Français de disposer de repères clairs, grâce à des actions pédagogiques, où le rôle des professionnels de santé, notamment des infirmières, mais aussi de l'école, est crucial.
Il y faut des moyens supplémentaires, certes, mais en retour, une meilleure prévention entraîne des économies.
La communication compte beaucoup. J'en veux pour preuve celle qui a été faite sur la rougeole, et a conduit à un recul de la maladie en 2012. L'information doit être adaptée à Internet. La Cour des comptes recommande une présence pérenne, pour contrer le discours anti-vaccination qui s'y développe. Les sites qui apparaissent les premiers sur Google sont les sites anti-vaccinaux : aucun site public sur la première page de résultat. C'est fâcheux. Pour la Cour des comptes, l'InVS devrait mettre en oeuvre une stratégie pluriannuelle de communication sur Internet et les réseaux sociaux. Quelle suite envisagez-vous de donner à cette recommandation ? Quid de l'idée de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) d'un site grand public ? (Applaudissements à droite)
Mme Marisol Touraine, ministre . - Merci de la qualité de ces débats, qui montrent que la politique vaccinale est pour nous tous un enjeu majeur de santé publique. Oui, il faut développer des stratégies d'information offensives sur les réseaux sociaux. Je souhaite que nous y travaillions, car nous sommes en retard. La propagation d'une rumeur peut avoir des effets dévastateurs. Au Royaume-Uni, celle qui s'est propagée sur le vaccin contre la rougeole, favorisant prétendument l'autisme, a entraîné une baisse sensible de la vaccination suivie d'une recrudescence de l'épidémie : 800 cas dans le seul pays de Galles.
Il faut tirer la leçon de ce qui s'est passé durant la pandémie H1N1 et mieux associer les professionnels de santé. Nous y avons réfléchi, pour associer le plus en amont possible les professions et les représentants des patients en cas de crise.
La décision de 2007 de remettre en cause l'obligation de la vaccination BCG a-t-elle eu un impact ? Nous ne disposons pas d'étude permettant de faire un lien de cause à effet. Mais le fait est que certains des enfants qui présentaient les caractéristiques pour être vaccinés ne l'ont pas été. Reste que l'augmentation du nombre de tuberculeux est liée à la venue de populations sur notre territoire, qui viennent s'y faire soigner, car la France offre des traitements de troisième ligne. Les populations socialement les plus fragiles et les enfants d'immigrés sont les plus exposés au risque de contracter cette maladie.
Plusieurs orateurs se sont inquiétés de la présence d'aluminium dans les vaccins. Sachez que la sécurité vaccinale est pour nous essentielle. C'est en raison de considérations de sécurité sanitaire que le vaccin sans aluminium contre la tuberculose a été retiré : des cas de réaction allergique sévère avaient été relevés. Il n'existe pas aujourd'hui de vaccin antidiphtérique ou antitétanique sans aluminium. Et il n'en existe pas dans d'autres pays européens. J'ai donc demandé que la recherche se poursuive.
Les vaccins contenant de l'aluminium présentent-ils un risque pour la santé ? Comme tout médicament, les vaccins peuvent présenter des effets secondaires. Oui, une réaction est possible au point d'injection, mais on ne peut dire qu'elle serait à l'origine du moindre syndrome clinique problématique.
Le comité de pilotage, dont j'ai annoncé la mise en place, est constitué et se réunira le 27 mai. Les associations concernées seront entendues. Le travail d'évaluation collective sera mené.
Je vous remercie pour la qualité de ce débat. (Applaudissements à gauche)
Renvoi pour avis
M. le président. - Le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, dont la commission de la culture est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à leur demande, à la commission des affaires sociales et à la commission des finances.
La séance est suspendue à 18 h 45.
présidence de M. Charles Guené,vice-président
La séance reprend à 22 heures.
Conférence des présidents
M. le président. - Je vais vous donner lecture des conclusions de la Conférence des présidents qui s'est réunie cet après-midi. Le groupe socialiste a demandé l'inscription, dans son espace réservé, du mardi 14 mai, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi. La Conférence des présidents a pris acte de cette demande. En conséquence, l'ordre du jour du mardi 14 mai s'établit désormais comme suit :
MARDI 14 MAI 2013
De 14 heures 30 à 18 heures 30 :
Ordre du jour réservé au groupe socialiste :
1°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi (texte de la commission, n° 531, 2012-2013)
2°) Projet de loi relatif à l'élection des sénateurs (n° 377, 2012-2013)
Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi ce jour, par plus de 60 députés et plus de 60 sénateurs, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Le texte de ces saisines est disponible au bureau de la distribution.
Débat sur l'efficacité des conventions fiscales internationales
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur l'efficacité des conventions fiscales internationales.
M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain et citoyen - Notre sentiment est partagé à l'ouverture de ce débat qui se tient à la demande de notre groupe. On eût pu espérer, au vu de l'actualité, qu'il se tînt en prime time... Mais l'essentiel n'est pas là.
Le rapport récent de l'OCDE sur l'érosion des bases d'imposition révèle que les conventions fiscales, à rebours de leur nature, sont un système de double non-imposition, grâce au savoir-faire et à l'ingéniosité des cabinets de conseil et autres avocats fiscalistes, qui jouent à plein. Les conventions fiscales internationales sont des vecteurs de la normativité fiscale internationale. Le droit international n'est pas le plus puissant des droits. Cette faiblesse ne nous empêche pas de le préférer à la force pure.
Certaines conventions internationales sont bilatérales, d'autres multilatérales. Certaines s'apparentent au plan international à notre législation interne ; les conventions d'entraide et d'assistance judiciaires concernent essentiellement les délits fiscaux. Ces instruments sont souvent des échecs.
La souveraineté fiscale est déjouée par les contribuables les plus indélicats. L'échange d'information joue un rôle essentiel dans les procédures de sécurisation du droit.
La répartition du droit d'imposer engage notre capacité à défendre notre souveraineté fiscale. Le président de la République, lors de la campagne présidentielle, avait souhaité renégocier certaines conventions, avec la Belgique et la Suisse notamment. Où en sommes-nous, monsieur le ministre ? A-t-on remédié aux situations de double non-imposition ? Quel est votre programme de négociation ?
Quid des dérogations au modèle OCDE ? Quelles contreparties sont obtenues ? Il convient d'évaluer les conditions dans lesquelles l'intérêt public est défendu par ces conventions, instrument par instrument. Nous sommes demandeurs des résultats et de leur synthèse, monsieur le ministre.
Quant à la gestion administrative de l'impôt et de son contrôle, le bouclier se transforme souvent en arme d'autodestruction. L'OCDE a été chargée par le G20 - celui-là même qui a supprimé, en 2009, les paradis fiscaux, souvenez-vous - de lutter contre l'évasion fiscale et les territoires non coopératifs. Naming and shaming, donc. Mais combien de ces territoires sont sortis de la liste noire pour avoir signé des conventions fiscales avec leurs semblables aussi peu scrupuleux ? Plaidez, monsieur le ministre, à l'OCDE pour mettre fin à cette imposture.
Commençons d'ailleurs par faire le ménage, chez nous, en Europe et en France. Combien de temps devrons-nous tolérer que la Suisse, le Luxembourg, l'Autriche trichent ? Peut-on accepter que la France vide sa liste de territoires non coopératifs ? Combien de demandes administratives ont-elles été adressées ? Et à qui ? Avec quel résultat ? La France a, heureusement, tourné le dos à la tentation de signer les accords dits Rubik, soit une amnistie fiscale...
Quelles initiatives ont-elles été prises au nom de la France devant l'attitude de certains de nos partenaires qui pratiquent une duplicité inadmissible en signant d'une main ce qu'ils déchirent de l'autre ? Il est de plus en plus question d'un Fatca européen ; pour être efficace, il devra être adossé à une ferme volonté politique, qui fait manifestement défaut. Que nos amis américains l'appliquent d'abord au Delaware et au Wyoming...
Selon une étude, le durcissement des conditions dans un pays, la Suisse, par exemple, se traduit par un déplacement des capitaux, disons, vers Singapour... Il faudrait évaluer les flux entrant et sortant de l'Union européenne, les surveiller et les contrôler. Je suis très favorable à l'échange automatique d'informations, mais le système actuel est inadapté, comme nous l'a expliqué M. Van Ruymbeke. La question des conditions d'application concrète des conventions fiscales nous inquiète. Où en sommes-nous des litiges qui nous opposent à nos cocontractants ? En matière de prix de transfert, réussissons-nous à faire prévaloir le droit ?
Pour tenter de résoudre les problèmes de gouvernance, notre commission d'enquête sénatoriale a proposé la création d'un Haut Commissariat à la défense des intérêts financiers publics.
Comment l'application de la convention bilatérale avec la Suisse a-t-elle pu aboutir à ce qu'un ministre de l'économie et des finances avoue avoir été « utilisé » à propos des mouvements du compte de M. Cahuzac ? La liste donnée par M. Falciani, mal nommée « liste des 3 000 » pose bien des questions. L'administration fiscale a dit d'abord ne pas l'avoir exploitée, ce qui est bien étrange... Puis elle en a eu connaissance par l'intermédiaire du procureur de Nice : 3 000 titulaires de compte et 8 000 occurrences, auraient été identifiés. Le procureur de Nice nous dit qu'il n'y retrouve pas ses petits... Une enquête administrative, ainsi que nous l'avons demandé, a-t-elle été diligentée ? Avez-vous, monsieur le ministre, vérifié l'existence de tractations avec l'administration fiscale, sur l'existence desquelles le procureur s'est interrogé devant notre commission d'enquête ?
Quelques mots sur les conventions d'entraide judiciaire : les témoignages que nous avons recueillis sont très inquiétants. Le Royaume-Uni est très réticent à transmettre la moindre information. Où en est le projet de parquet financier européen ? Nous suggérons au président de la République d'étendre son horizon à cette Europe de l'ombre qu'il est plus urgent de rendre transparente que le parc de vélocipèdes de tel ou telle ministre. (Applaudissements à gauche ; M. Philippe Marini, président de la commission des finances, applaudit aussi)
Mme Marie-France Beaufils . - Le rapport de la commission d'enquête créée à notre demande a eu quelque succès. Le montant de la fraude, de l'évasion et de l'optimisation fiscales se chiffre en dizaines de milliards d'euros et avoisine celui du déficit budgétaire. Dans Les 600 milliards qui manquent à la France, Antoine Peillon a bien situé l'enjeu : « la France et l'Europe laissent filer des centaines de milliards de ressources financières alors que les économies européennes en ont besoin pour faire face à leurs difficultés ». On ne saurait mieux dire.
La découverte de l'existence des paradis fiscaux n'est pas nouvelle. Un paradis fiscal ne l'est pas pour tous. Il peut rester un enfer pour la majorité de la population. À Saint-Martin, dont la partie française est devenue collectivité territoriale, ne s'applique plus qu'une règlementation fiscale adaptée. La première décision de l'assemblée territoriale a été la suppression de l'ISF... Telle est la logique des paradis fiscaux : faire échapper les gros patrimoines et les revenus élevés à l'impôt.
L'exemple suisse parle de lui-même. Les travailleurs frontaliers voient leur revenu prélevé à la source en Suisse et sont bien peu imposés en France. À Ornex, où le revenu fiscal moyen est supérieur à 40 000 euros par an, seuls 4,3 % des sommes déclarées sont imposés, en vertu de ce prélèvement à la source.
Rien à voir, toutefois, avec le forfait fiscal dont bénéficient les plus riches ; il rapporte à la Confédération 120 000 francs suisses, sans commune mesure avec la perte fiscale pour le pays d'origine au égard au patrimoine et aux revenus ainsi traités.
Nous avons débattu depuis 2008-2009 d'une vingtaine de conventions dont la fameuse convention avec le Qatar. Quelle est leur efficacité réelle ? Combien de procédures d'échanges d'informations ont-elles été engagées ? Avec quel résultat ?
La France n'a pas à suivre aveuglément les recommandations de l'OCDE quant aux transferts financiers. Nous avons demandé une nouvelle commission d'enquête pour éclairer ce sujet et le rôle du secteur financier dans les processus d'évasion. Nous devons faire valoir notre approche de la transparence, en nous situant clairement au premier rang de la lutte contre la fraude. La liste des territoires non coopératifs est en question. Que devient la convention entre la France et les îles Caïman, territoire où 350 personnes gèrent l'équivalent du quart des fonds de la City à Londres ?
L'impôt, dans notre démocratie, doit faire participer chacun selon ses capacités. La fraude fiscale doit être la priorité du Gouvernement. Qu'il s'en donne les moyens. (Applaudissements sur les bancs CRC ; MM. François Marc et Jean-Yves Leconte applaudissent aussi)
Mme Nathalie Goulet . - Quand vous cherchez « conventions fiscales internationales » dans un moteur de recherches, vous tombez sur des sites vantant les mérites de tel ancien inspecteur des impôts... La lutte contre la fraude fiscale, c'est la lutte de l'obus contre le blindage... Les conventions fiscales internationales ne sont pas les outils les plus efficaces pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ; notre réseau conventionnel n'est pas cohérent et génère lui-même des outils d'évasion.
Les prix de transfert offrent une caricature. On ne se lasse pas de lire l'article 57 du code général des impôts... Il s'agit en quelque sorte d'une opération d'import-export au sein d'un même groupe. Le commerce intragroupe représenterait 70 % du commerce mondial, la perte fiscale résultant de ces transferts 53 milliards de dollars aux États-Unis, 23,6 milliards en France, 1,24 % du PIB, soit l'équivalent de ce que nous mendions pour notre défense nationale...
Glencore, société suisse, fait perdre à la Zambie 200 millions de dollars en surévaluant ses coûts de production, en sous-évaluant le volume de celle-ci et en manipulant les prix de transfert. Et ce n'est qu'un exemple de triche parmi bien d'autres... On voit des rasoirs vendus 113 dollars l'unité, des seringues à 140 dollars... mais des diamants naturels à 13,4 dollars le carat, ce qui est plutôt intéressant ! (Sourires) Et des missiles vendus par une société américaine à Israël, après le passage par plusieurs paradis fiscaux, arrivent en terre promise pour 50 dollars. À ce prix-là, nous envahissons tous l'Iran !
L'administration de Bercy, que le monde entier nous envie, n'est pas inactive. De nombreux accords de coopération sont conclus. La Direction générale des finances publiques (DGFIP) a été élue l'an dernier à la présidence de la coordination des administrations fiscales. Ce n'est pas rien. Dans cette nuit fiscale, je salue les décisions des régions Île-de-France et Alsace, qui s'efforcent de promouvoir la transparence fiscale. Il faut suivre leur exemple, monsieur le ministre. La direction générale des douanes, auditionnée par notre commission d'enquête, a déploré l'absence d'outils juridiques, pointant l'inutilité des conventions pour éviter l'évasion fiscale.
Oui, balayons devant notre porte. Modifions notre règlement pour donner plus d'importance à l'examen en séance publique des conventions fiscales, soumises pour l'instant à une procédure « simplifiée » de quelques secondes en séance publique.
M. Merceron, sénateur de Vendée, m'a dit que certaines entreprises de sa région ont des problèmes avec le Pérou, en l'absence de conventions. Je rentre du Golfe, que je connais un peu... Il semble que le Qatar et les Émirats arabes unis ne soient pas traités de la même façon dans les conventions respectives qui nous lient à eux.
Progresser sur ce thème améliorera l'état de nos finances publiques. (Applaudissements)
M. François Fortassin . - Ce débat est d'une actualité brûlante, bien qu'il fût demandé avant les affaires qui ont ébranlé la France et le monde...
Quand le ministre de l'économie affirme que la convention fiscale avec la Suisse ne lui a pas permis d'obtenir toutes les informations à propos d'une affaire récente, on mesure l'inefficacité de certains instruments.... Il faut dire que la Suisse est un des plus mauvais élèves, contrairement à ce qu'on dit, elle n'a jamais renoncé à son sacro-saint secret bancaire. Elle a contesté une bonne part des demandes françaises au motif qu'elles n'étaient pas « vraisemblablement pertinentes »...
Comment renforcer l'efficacité des échanges d'informations ? Les États-Unis ont montré le chemin avec une loi qui impose à tous les établissements financiers de transmettre les informations sur leurs ressortissants ; l'union bancaire en Europe pourrait faire chanceler le Luxembourg, le Liechtenstein, et l'Autriche qui s'accrochent encore à leur secret bancaire.
Si des échanges automatiques d'informations sont établis, il faudra que les moyens humains et matériels de l'administration fiscale soient à la hauteur. Or les services de contrôle de la DGFIP sont sous-dotés par rapport aux services de gestion. La capacité de l'administration à s'adapter à la multiplicité des formes de fraude est en cause. Le rapport de la commission d'enquête fait des propositions très intéressantes à cet égard : il faut mieux former les agents aux nouvelles technologies, créer un corps interministériel d'informaticiens-enquêteurs rompus au sujet.
Le récent G20 est encourageant. Mais le passé nous incite à faire preuve de prudence. Souvenez-vous de celui de Londres et des déclarations tonitruantes de notre président de la République de l'époque : « les paradis fiscaux et le secret bancaire, c'est terminé ! ».
M. Roland Courteau. - Eh oui !
M. François Fortassin. - La liste des paradis fiscaux s'est rapidement vidée à la suite de la signature de conventions entre territoires non coopératifs. Méfions-nous des excès d'enthousiasme et agissons concrètement, non seulement contre l'évasion fiscale mais aussi contre la concurrence fiscale déloyale, de façon coordonnée avec nos partenaires européens. Le groupe RDSE soutiendra le Gouvernement dans son action. Le rapport de la commission d'enquête est une source d'inspiration bienvenue. L'homme de la rue ne croit pas à la transparence. Seuls peut-être les eurocrates bruxellois, forts de leur savoir, y prêtent foi. Mais la bataille sera extrêmement rude.
M. Philippe Marini. - Jolie chute.
M. André Gattolin . - Je remercie le groupe CRC et le sénateur Bocquet pour avoir demandé l'inscription de ce débat à notre ordre du jour. Les enjeux concernent la solidarité au sein des nations et entre les nations, la bonne gouvernance, l'équité internationale. Il n'est que temps de nous en emparer, comme le président de la République et le Gouvernement semblent déterminés à le faire.
Le système de conventions fiscales est absurde quand il s'agit de lutter contre la fraude fiscale. Les grands groupes se jouent de la division des tâches entre places financières - qui plus est en respectant la légalité. L'Union européenne est trop souvent éloignée du rôle qui devrait être le sien. Plusieurs de ses membres et partenaires sont des paradis fiscaux. La règle de l'unanimité qui prévaut en matière fiscale a empêché toute harmonisation. On en voit les effets pour les libraires et les disquaires, concurrencés par les entreprises d'internet qui répartissent leurs filiales pour échapper à l'impôt...
M. Philippe Marini. - Certes.
M. André Gattolin. - Même chose pour les accords bilatéraux entre l'Union européenne et les États-Unis, le Canada ou le Japon, qui vont aboutir à réduire des droits de douane déjà minimes. A-t-on vraiment besoin de d'affaiblir les finances de l'Union ? Le Luxembourg et l'Autriche ont évolué sous la pression des États-Unis et non de l'Union européenne. La France elle-même a traîné les pieds - on en voit le résultat dans les difficultés à fiscaliser le numérique.
M. Philippe Marini. - Absolument !
M. André Gattolin. - La discussion de la loi bancaire a montré combien le lobby des banques était puissant et déterminé, à l'encontre des mesures pourtant destinées à lutter dans la transparence contre les abus.
L'OCDE, longtemps hostile, semble s'être convertie. Le ministre de l'économie a appelé la législation de l'Union européenne à évoluer pour se rapprocher des règles américaines. Monsieur le ministre, le groupe écologiste vous soutient pour aller aussi loin que possible. Espérons que la France sera aussi bruyante et efficace que nécessaire au sein des instances européennes et internationales. Soyons à la hauteur des enjeux. (Applaudissements)
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Philippe Marini . - Monsieur le ministre, je vous salue pour votre première participation à la séance publique du Sénat au titre de vos nouvelles fonctions. Hommage soit rendu à l'initiative du groupe CRC, alors qu'une nouvelle commission d'enquête va être créée au Sénat.
La commission des finances s'intéresse de près aux conventions fiscales. Elle traite au fond les projets de loi de ratification. Notre tradition est d'approfondir la recherche pour éclairer la Haute Assemblée.
Nous pouvons témoigner de l'ampleur du changement de braquet de la politique française dans ce domaine ces dernières années, tant pour le contenu que pour le nombre des conventions. L'impulsion a été donnée par le président Sazkozy. Je me réjouis qu'elle soit reprise par le gouvernement actuel. À l'automne 2008, en pleine crise financière, Nicolas Sarkozy, président du Conseil européen, a su agir pour mettre à l'ordre du jour du G20 de Londres la lutte contre les paradis fiscaux, bancaires et judiciaires. C'est ainsi que les standards de l'OCDE, qui dormaient dans les cartons du château de la Muette, se sont concrétisés ; le Forum mondial veille aujourd'hui à ce qu'ils soient respectés.
Depuis 2009, la France a signé des conventions avec 28 États et territoires, dont Andorre, la Suisse, le Liechtenstein ou Jersey pour se conformer au modèle de l'OCDE. Les progrès, au regard de ce qui prévalait avant cette date, sont réels. Le Gouvernement a gardé le cap, en soumettant à ratification de nouvelles conventions sur ce modèle, avec les Philippines ou Aruba.
Notre préoccupation permanente, c'est que ces accords soient effectivement mis en oeuvre. Notre commission ne se contente pas béatement de mots, mais a toujours veillé à leur application. C'est ainsi que lors de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2009, qui a créé la notion d'État non coopératif, nous avions avec le président Arthuis déposé un amendement visant à inscrire la Suisse sur la liste noire après que la Confédération eut suspendu le processus de ratification de l'avenant à la convention qui la liait à la France - c'était l'affaire du listing HSBC. Fin 2011, notre collègue Bricq nous a également incités à rejeter un avenant à une convention avec le Panama. Plus récemment, les rapports de Mme André rappellent que si un État peut être retiré de la liste, il peut aussi y être réintégré s'il ne respecte pas ses engagements.
L'enquête Offshore Leaks a bien montré que les paradis fiscaux demeurent une réalité. D'où la nécessité de développer l'échange automatique d'informations, qui signerait la fin du secret bancaire. Les positions du précédent gouvernement pour remettre en cause les dispositions sur la directive Épargne ont été reprises par l'actuel. Avec quatre autres États, la France a lancé un appel au commissaire européen à la fiscalité pour que soit mis en place en Europe un dispositif inspiré du Fatca américain.
Deuxième piste, mieux utiliser les outils existants. L'actualité récente m'a amené à m'intéresser à nos conventions avec la Suisse et Singapour. Sur la première, dont le dernier avenant remonte à 2010, le « jaune » budgétaire comporte des passages critiques : 55 réponses seulement sur 98 demandes, alors qu'il est bien connu que l'avenant franco-suisse a été complété en 2010 par un échange de lettres permettant d'interroger la Suisse même quand on n'en connaît pas la banque concernée. On n'utilise pas à plein cette faculté... Sommes-nous entrés dans une nouvelle ère, ou les réserves du « jaune » restent-elles d'actualité, monsieur le ministre ? Un test du niveau de notre coopération sera le sort réservé à la demande d'assistance de la France concernant les 353 contribuables démarchés par UBS...
Eu égard au discours du Gouvernement, on aurait pu penser que les pays bénéficiaires contribueraient à l'analyse des mouvements suspects, notamment quand les règles du pays intéressé sont sur le point de se durcir. Comment faire comprendre que le principe de proportionnalité doit aussi valoir pour la requête, qui ne peut être totalement précise ? En cas de refus trop fréquents, ne devrions-nous pas solliciter le Forum mondial pour de nouvelles investigations ?
Dernière piste, renforcer le contrôle démocratique. Notre souveraineté fiscale est menacée par des pratiques illicites ou immorales d'évasion et la manipulation des bases d'imposition par les grandes entreprises ; une bonne information des citoyens et du Parlement est essentielle. Or, le « jaune » reste trop maigre ; il mériterait d'être étoffé par des données qualitatives. Je regrette aussi que l'annexe à la loi de finances faisant le bilan des contrôles de l'administration fiscale n'ait toujours pas été publiée.
Quelques pistes, donc, en préambule des riches travaux à venir que conduiront Éric Bocquet et Philippe Dominati. Je leur adresse tous mes encouragements. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Michèle André . - Comme rapporteure au nom de la commission des finances sur plusieurs conventions fiscales, j'ai été amenée à me pencher sur ces instruments. Notre politique conventionnelle s'inscrit dans le cadre multilatéral de l'OCDE, dont le directeur nous disait il y a quelques jours qu'elle est un outil au service des politiques, qui doivent s'en saisir.
Dès 2000, l'OCDE a publié une liste des paradis fiscaux et en 2002, élaboré un modèle de convention pour l'échange de renseignements, qui couvre depuis 2008, un champ plus large encore, qui permet d'éviter aux États d'aller à la pêche aux informations. Il a fallu attendre 2009 pour que la communauté internationale s'engage plus avant, avec la publication de trois listes, noire, grise et blanche. L'OCDE a prévu des modalités de contrôle, via un examen en deux phases, sur le cadre normatif dans chaque État et l'effectivité de la coopération.
La commission des finances a toujours été attentive aux recommandations de l'OCDE. Mme Bricq a ainsi refusé de signer l'avenant à la convention avec le Panama. La convention ne peut être assimilée à un blanc-seing. Un État non coopératif peut toujours être rajouté sur la liste.
L'échange de renseignements est un préalable indispensable pour lutter contre l'évasion, même s'il faut aller plus loin. Si les listes se sont vidées, comme on le reproche à l'OCDE, c'est aussi qu'elles ont fonctionné. Pour faire progresser le nombre et la qualité des informations échangées, il faut, outre des moyens, un système informatisé. Le projet de loi de régulation bancaire obligera les banques à publier la liste de leurs filiales et des informations sur leur activité. Cela aidera à détecter les transactions effectuées dans les paradis fiscaux. C'est une fenêtre de tir qui s'ouvre, alors que l'évasion fiscale prive nos pays de ressources indispensables. Aux États-Unis, prévaut la législation Fatca, dont l'Europe pourrait s'inspirer. En février 2012, plusieurs États membres ont convenu d'une approche commune avec les autorités américaines, dans le respect de la confidentialité des données personnelles. Mais en Europe, c'est le principe de la résidence qui prévaut, ce qui limite nos capacités d'investigation.
Le Conseil européen à venir sera déterminant. Quelles mesures, monsieur le ministre, pour inciter nos partenaires à renforcer l'arsenal fiscal européen ? (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)
M. Philippe Dominati . - Le débat s'inscrit dans le cadre de la réflexion approfondie engagée au Sénat à l'initiative d'Éric Bocquet, que je salue.
Le 3 octobre dernier, notre débat en séance a permis de prolonger les travaux de la commission d'enquête que j'ai eu l'honneur de présider.
Les conventions fiscales permettent l'échange d'informations et visent à attribuer à un seul des deux pays le domicile de la personne, donc l'étendue de ses obligations fiscales. Mais l'administration fiscale restait démunie face aux opérations transfrontalières. Nicolas Sarkozy avait fait de la coopération fiscale une priorité. Des actions concrètes ont ainsi été engagées avec des résultats probants.
La coopération a progressé à grands pas sous le précédent quinquennat. Le rapport général de notre commission d'enquête le reconnaît. Même dans les sites offshore, le secret recule. Des progrès restent à accomplir, mais le bilan est positif, même si l'affaire Cahuzac a jeté le doute.
On pourrait améliorer la rapidité de la réponse aux demandes d'information. En une semaine, Bercy n'a reçu que 28 réponses sur les 426 demandes adressées à la Suisse. Il faut aussi travailler en amont : nous vivons dans un environnement fiscal concurrentiel. Si notre fiscalité est confiscatoire, le risque est grand qu'elle provoque l'évasion. Les prélèvements obligatoires restent extrêmement élevés, la taxation à 75 % a eu des effets dévastateurs. L'exil fiscal aurait été multiplié par cinq en 2012. Nous proposions, dans notre rapport, de faire en sorte que notre administration dispose de données précises, sans avoir besoin de recourir à un think tank puisque nous avons appris que l'un d'eux va envoyer un questionnaire à plus de 200 professionnels français, belges suisses et britanniques pour apprécier le phénomène...
L'évasion fiscale, que nous avons évaluée entre 30 et 36 milliards d'euros, pourrait se chiffrer à 50 milliards, voire 80 milliards d'euros, soit plus que l'impôt sur les sociétés de 2012. Ce n'est pas en cherchant des remèdes a posteriori que l'on luttera contre le phénomène, mais en évitant l'expatriation de nos compatriotes. Notre fiscalité est l'une des plus lourdes d'Europe, donc du monde. Et nous n'avions pas prévu le choc fiscal d'octobre 2012.Et ce n'est pas fini : il va y avoir cette année une petite rallonge de 6 milliards ! Les expatriés ne sont pas des fraudeurs. Ce sont, pour l'essentiel des cadres ou dirigeants d'entreprises qui délocalisent leur siège social à contrecoeur.
Le débat sur l'efficacité des conventions fiscales internationales ne doit pas occulter celui sur l'inefficacité de la pression fiscale en termes de richesse, de croissance et d'emploi. (M. Philippe Marini et Mme Nathalie Goulet applaudissent)
M. Jacques Chiron . - L'évasion fiscale révolte nos concitoyens, qui subissent la crise de plein fouet. Lutter contre elle doit être une priorité, y compris en Allemagne où la fraude fiscale, monsieur Dominati, est bien plus élevée qu'en France...
Mme Marie-France Beaufils. - Bien sûr !
M. Jacques Chiron. - L'impôt est ce qui permet de créer notre patrimoine commun, nos services publics : chacun devrait être honoré de s'en acquitter. Or l'évasion fiscale pèse presque 100 milliards d'euros en France. Jean Monnet disait que l'Europe se ferait dans les crises, en les surmontant. Face à la crise de l'imposition, des solutions existent. L'Europe doit mettre fin au moins disant fiscal.
La prise de conscience gagne chaque jour du terrain. Les annonces du président de la République vont dans le bon sens. Nous devons être plus exigeants encore avec les établissements installés en France. Les hésitations sur la définition des paradis fiscaux font naître des listes à géométrie variable. Si ces listes ont leur intérêt, la question de leur mise en oeuvre effective reste posée. Or seuls 60 % de nos demandes reçoivent réponse. Il est fâcheux de voir que les médias qui ont obtenu des listes (HSBC, USB) sont plus efficaces que l'action de l'administration fiscale.
Nous avons besoin de magistrats spécialisés pour gagner en efficacité. Il a fallu quatre ans pour qu'un parquet se saisisse de l'affaire HSBC. Les propositions du président de la République ont donc toute leur pertinence. Et l'on peut se réjouir que la lutte contre l'évasion fiscale ait été mise à l'ordre du jour du prochain Conseil européen.
M. Moscovici appelle à un Fatca européen, qui ferait de l'échange automatique la règle. L'accord devra se faire sans sursis ni dérogation, afin de négocier, en force, à 27, avec les États non coopératifs comme la Suisse, au lieu d'y aller, comme dans les accords Rubik, en mode dispersé. Songeons que les revirements de l'Autriche et du Luxembourg sont le fait de la pression de la société civile. L'Union européenne est restée trop tolérante à l'égard de ces pays : des sommes considérables, notamment, au Luxembourg, celles liées à l'économie numérique, nous échappent. Une Union européenne forte pourrait peser sur l'OCDE, pour que l'échange automatique d'informations entre dans son modèle de convention.
Saisissons l'élan qui se dessine au G20 pour demander un calendrier précis et nous attaquer résolument à des pratiques qui menacent notre modèle républicain et fragilisent l'Europe. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Yves Leconte . - Sénateur des Français de l'étranger, je veux souligner que les conventions fiscales sont une nécessité. Reste qu'elles sont devenues des outils d'optimisation pour les plus aisés, voire de fraude. Cela nuit à l'image de nos expatriés, victimes des turpitudes de personnalités en vue. Sait-on pourtant que l'impôt sur le revenu est plus faible en France qu'en Belgique ? Ce n'est plus sur des bases bilatérales que l'on peut, en Europe, traiter de l'imposition. Pas d'union budgétaire sans union fiscale. Une harmonisation s'impose. À 28 pays membres, il faudrait 756 conventions bilatérales pour décrire les relations entre pays européens ! Que de failles à exploiter pour ceux qui savent s'y prendre !
En Europe, on crée des impôts sans se concerter. Voyez aussi ce qui se passe entre la France et l'Italie. Le décret Salva Italia du gouvernement Monti vient contredire la convention bilatérale. Un recours a été soulevé mais en attendant, les personnes concernées doivent passer à la caisse. Est-il légitime, monsieur le ministre que des conventions fiscales soient ainsi mises en cause ? N'oublions pas que la moitié des Français de l'étranger vivent dans l'Union européenne. Les petits contribuables n'ont pas les mêmes facilités d'optimisation que les gros. S'il est urgent de renégocier certaines conventions comme celle avec la Suisse pour les successions, il l'est plus encore de travailler à une harmonisation. Car on voit les limites, dans le cas que je viens de citer, de la négociation bilatérale. Et que dire des conventions liant la France à des pays hors Union européenne. Souvenons-nous de notre débat sur la convention liant la France au Panama. Comment obtenir la liste des actionnaires d'une société immatriculée au Panama ? Sans parler de notre convention avec le Qatar...
Mme Nathalie Goulet. - Eh oui !
M. Jean-Yves Leconte. - ... pays qui fut l'objet de tous les soins d'un ancien président de la République.
Sur l'imposition à l'ISF, on accorde l'exemption sur le seul fondement de la nationalité. On atteint le sommet de l'hypocrisie en matière de moralisation et de transparence. (Mme Nathalie Goulet apprécie)
Oui à l'harmonisation, à un Facta européen donc, mais il faut aussi balayer devant notre porte : il faut des moyens pour notre administration fiscale et tirer véritablement les conséquences du défaut de coopération, en réintégrant les pays récalcitrants sur la liste noire. (Applaudissements à gauche)
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget . - Je vous remercie pour la qualité de vos interventions sur ce sujet de préoccupation fort. Merci au sénateur Bocquet pour son travail très documenté. Il rappelle des exigences légitimes et pose des jalons pour l'avenir, qui guideront le Gouvernement.
Quelles sont nos orientations ? Cette question extraordinairement complexe peut avoir des conséquences économiques sérieuses, par l'érosion des assiettes fiscales. Il faut prendre des dispositions nationales et européennes. Au plan national, des dispositions ont déjà été prises dans la loi de finances rectificative pour 2012 et la loi de finances pour 2013, de même que dans la loi sur la régulation bancaire. Monsieur Bocquet, vous avez évoqué les transferts de bénéfices de sociétés françaises qui érodent les bases fiscales. L'inversion de la charge de la preuve impose aux sociétés concernées de justifier ces transferts. Quant aux particuliers qui ne pourraient justifier de leurs avoirs dans des paradis fiscaux, ils seront lourdement taxés, à 60 %. Nous pouvons désormais documenter toutes les activités bancaires françaises à l'étranger. Une institution financière ou bancaire doit communiquer les éléments dont elle dispose sur des mouvements opaques à Tracfin.
Il faut aller au-delà : au plan national, nous allons renforcer, par un texte présenté en conseil des ministres demain, les moyens humains de l'Office de lutte contre la corruption et la fraude fiscale, qui pourra compter sur un parquet fiscal.
Le climat a changé. Sur la liste des territoires non coopératifs aussi, nous avons progressé. Elle s'est allégée des États qui ont accepté de signer des conventions avec la France. Il n'y en a plus que huit d'inscrits. Mais nous considérons que cela ne suffit pas. Des conventions ont été signées avec des États qui ne renseignent pas, en dépit de la lettre de ces conventions.
Je ne veux pas ici indiquer à quelles réinscriptions nous allons procéder. Nous discutons avec certains États pour faire progresser leur doctrine. Ce n'est pas une faiblesse, tout au contraire, c'est une manière de pression. Nous saurons prendre des décisions fermes, indépendamment de la proximité géographique.
Il est vrai que ces conventions sont nombreuses, bien que de qualité inégale : nous en avons conclu avec 130 États de la planète. Elles ont pour but d'éviter les doubles impositions qui freinent la circulation des marchandises et des personnes, mais aussi de lutter contre la fraude fiscale, par la transmission d'informations. L'interprétation de ces conventions est parfois complexe, au point parfois que leur application ne dissipe pas l'opacité existante.
Nous avons pris des dispositions particulières à cet égard, je pense par exemple à la privation de la qualité de résident aux bénéficiaires apparents de certains revenus.
Monsieur Bocquet, pour la Suisse, les négociations ont abouti à l'élaboration d'un texte en juillet dernier, dont la signature est en bonne voie. Nous discutons avec la Belgique et le Luxembourg.
La liste HSBC a suscité des fantasmes et des interrogations légitimes. L'administration fiscale a traité avec diligence l'ensemble des éléments reçus. Sur ces dossiers se concentre la police fiscale, dont le président de la République a annoncé qu'il renforcerait les moyens.
J'ai communiqué il y a quelques jours le nombre de cas traités sur les plans fiscal et judiciaire. J'ai dit aux présidents des commissions des finances et aux rapporteurs généraux que j'étais à leur disposition pour leur communiquer des éléments d'information plus précis.
Sur les transferts la France est très active au G20 ; elle codirige le groupe de travail de l'OCDE.
Avec la Grèce, nous avons une convention qui nous permet d'échanger des renseignements fiscaux. Madame Beaufils, nous partageons votre souci de ne pas faire de Saint-Martin un paradis fiscal. Un dispositif d'ensemble a été mis en place, afin que l'administration fiscale française obtienne tous les renseignements utiles.
Au 20 novembre 2012 nous avions présenté 1 140 demandes à des États non coopératifs contre 2 200 à tous nos autres partenaires.
Sur le régime des forfaits suisses, nous avons réagi, en refusant fin 2012 aux forfaitaires les avantages de la convention fiscale. Il n'est question d'aucun accord Rubik avec quelque pays que ce soit. Ce serait une forme d'amnistie fiscale avec maintien du secret bancaire.
Madame Goulet, vous avez évoqué les motions des assemblées délibérantes de certaines régions, qui partent d'un bon sentiment. Pour autant, elles reposent parfois sur des éléments obsolètes. Nous négocions avec le Pérou, mais il faut être deux pour signer ! La convention France-Qatar a été renégociée lors du précédent quinquennat, dans un sens particulièrement généreux envers les investissements qataris en France. Nous ne souhaitons pas dupliquer cette exception.
Monsieur Marini, nous connaissons votre vigilance sur les conventions fiscales, que vous n'avez pas manqué d'exercer récemment pour deux d'entre elles, en usant de vos pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place, au risque parfois de faire du surplace.... Ces conventions sont parfois très anciennes. Avec la Suisse, nous ne sommes pas face à un texte qui permette des échanges optimaux ; nous souhaitons agir avec ce pays comme avec d'autres de l'Union européenne. Il faut aller vers l'harmonisation car il ne peut y avoir de marché unique sans harmonisation fiscale et sociale. Il faut en finir avec la pusillanimité et les hésitations.
Monsieur Dominati, nous pouvons aujourd'hui négocier dans le cadre de la directive épargne de l'Union européenne pour être plus efficaces et plus sélectifs. La directive prévoit une convention type d'échanges d'informations. Beaucoup de pays sont allants. Pierre Moscovici est à la pointe du combat, avec ses collègues allemand et italien. Certains pays se font attendre : comme le Luxembourg ou l'Autriche, qui a pourtant accepté de signer avec les États-Unis une convention de type Fatca : ils leur donnent les informations qu'ils nous refusent. D'où l'objectif d'un mandat donné à l'Union européenne de passer des conventions Fatca avec les pays tiers, pour organiser notre lutte commune contre les paradis fiscaux et la fraude fiscale.
Je n'ai pas été exhaustif. Vous avez posé beaucoup de questions sur lesquelles nous reviendrons, notamment dans le cadre de votre commission d'enquête. Le Gouvernement partage vos préoccupations.
Malgré toutes les imperfections, en 2012 nous avons enregistré 2 milliards d'euros de recettes de plus dans la lutte contre la fraude fiscale. Des 6 milliards d'impôts que vous avez évoqués, monsieur Dominati, sachez que 4,5 milliards viennent des recettes de la lutte contre la fraude fiscale, 2 milliards de la suppression de niches fiscales et sociales incongrues et un milliard du relèvement des cotisations de retraite complémentaire : rien là qui puisse vous empêcher de dormir ! (Sourires)
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 24 avril 2013, à 14 h 30.
La séance est levée à minuit et demi.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du mercredi 24 avril 2013
Séance publique
À14 HEURES 30,
1.Désignation :
- des vingt-sept membres de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République
- des vingt-et-un membres de la commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre
2.Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le projet de programme de stabilité
À 21 HEURES 30
3.Débat sur l'immigration étudiante et professionnelle