Débat sur la politique vaccinale de la France
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique vaccinale de la France.
M. Georges Labazée, rapporteur de la commission des affaires sociales. - La vaccination est, avec l'hygiène, la première arme de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses. C'est un secteur de recherche prometteur. Or notre commission a fait un constat inquiétant : des groupes divers, dont certains à tendance sectaire, relayés par internet, militent contre la vaccination ; et la réticence s'accroît au sein de la population.
Il est nécessaire de réaffirmer une politique vaccinale claire. C'est pourquoi notre commission des affaires sociales a demandé un rapport à la Cour des comptes - d'où sont sorties des recommandations auxquelles nous en avons ajouté d'autres.
En voici quelques-unes : agir en direction des populations en situation de précarité ; simplifier le paysage institutionnel ; assurer rapidement la mise en place d'un carnet de vaccination électronique, mettre en place un enseignement de la prévention dans la formation des professeurs des écoles et des professionnels de santé, renforcer la recherche publique sur le vaccin, assurer l'accès au vaccin des pays en développement. Nous souhaitons connaître votre avis sur ces propositions.
Les maladies infectieuses, variole, poliomyélite, tétanos ont été quasiment éradiquées dans notre pays grâce à la vaccination, ce qui a pu laisser penser à certains que celle-ci n'était plus nécessaire. Mais en dépit de la forte baisse de la prévalence, le risque lié à la maladie, supérieur au risque du vaccin lui-même, demeure : tant qu'une bactérie ou un virus demeure présent dans le monde, l'épidémie peut toujours réémerger dans une population non protégée. La tuberculose et la rougeole sont ainsi aujourd'hui la cause de nombreux décès.
La vaccination demeure donc un outil majeur de prévention, laquelle exige aussi que l'on renforce notre coopération sanitaire avec les pays en voie de développement.
Pour autant, la vaccination n'est pas toujours la stratégie la plus efficace pour lutter contre une maladie infectieuse. Elle n'est nécessaire que contre les virus et même dans ce cas, on ne recommande pas une vaccination générale dans toutes les situations, en vertu d'un équilibre coût-efficacité. C'est le cas pour le papillomavirus, dont le vaccin ne protège que contre quatre souches. Et les campagnes de vaccination massive sont souvent mal perçues par la population. Voyez ce qu'il s'est passé avec le virus H1N1. L'essentiel est d'adapter la vaccination aux besoins et aux attentes de la population.
Le premier axe d'une politique vaccinale moderne, c'est d'aller au plus près des populations dans leur diversité ; c'est pourquoi nous recommandons, avec la Cour des comptes, de permettre la vaccination dans les centres de prévention de l'assurance maladie ; je suis prêt à préparer une proposition de loi pour permettre la vaccination dans les centres de la sécurité sociale, qui accueillent des populations précaires.
Des études en matière de sociologie de la vaccination sont nécessaires pour mieux orienter les politiques de santé publique et éviter une politisation des enjeux. Les très encourageants travaux de l'Institut de veille sanitaire (InVS) mériteraient, à ce titre, d'être soutenus. Mettre en place un carnet vaccinal électronique au sein de la carte vitale serait également utile. Lors des auditions, j'ai été particulièrement intéressé par le projet du professeur Koeck, médecin des armées, qui a créé avec son équipe un tel carnet et un site internet expert. Il ne s'agit pas de dresser un simple recueil comptable, mais de permettre à chacun de savoir où il en est dans ses rappels, sans lesquels la couverture immunologique n'est pas garantie. Ainsi, pour les jeunes filles choisissant le vaccin contre le papillomavirus, trois rappels sont préconisés. Or une part importante d'entre elles ne va pas au bout du processus : elles ne sont pas réellement protégées, et l'argent public a été dépensé en vain. Je m'étonne que cette initiative ne rencontre pas plus d'écho au ministère de la santé. Est-ce le souvenir malheureux du DMP ?
J'ai entendu les responsables des principales structures intervenant dans le domaine de la vaccination. J'ai été frappé par la complexité du processus de décision ; il semble difficile de définir les frontières de compétences. Quelles sont les missions nécessaires, quelles structures pourraient évoluer ? Elles sont de statuts et de pouvoirs très variés. Ne pourrait-on rattacher le Haut Conseil de la santé publique à la Haute Autorité de santé, afin de limiter les risques d'avis divergents sans nuire à l'efficacité de la procédure ? La prochaine loi de santé publique pourrait être un bon véhicule ; qu'en pensez-vous, madame la ministre ?
Autre recommandation, une formation dès l'école me semble le moyen de lutter contre la désinformation sur internet. Une étude des pays en voie de développement, où le problème est crucial, et du mode d'action des vaccins dans l'organisme serait ainsi utile.
Il faudrait de même faire en sorte que les médecins et les professionnels de santé se prêtent à la vaccination - ce qui n'est guère le cas aujourd'hui.
La recherche française possède un savoir-faire et des capacités industrielles importantes. Mais elle semble en perte de vitesse par rapport aux pays émergents et aux anglo-saxons. Les instituts de recherche publics ont décidé de mutualiser leurs efforts au sein du réseau Corevac afin de fédérer les travaux de leurs équipes. Des études doivent être menées sur la possibilité de vaccins curatifs contre des maladies dont la prévalence augmente.
Il faut traiter efficacement les questions qui se posent sur la sécurité du vaccin, notamment en raison de la présence d'aluminium dans les adjuvants vaccinaux. La réponse du professeur Maraninchi a été rassurante, mais il faut approfondir les recherches sur cette question. Selon l'association des malades du myofasciite à macrophages, les études complémentaires n'ont pas encore été entreprises. Pouvez-vous nous en dire plus ? Un vaccin contre la DTPolio sans aluminium est également attendu ; quand les industriels seront-ils prêts ? Le principe de précaution doit l'emporter sur tout enjeu industriel ou financier. (Applaudissements à gauche)
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Je salue M. Labazée pour la qualité de son rapport, documenté et riche, qui nous aidera à progresser. La vaccination est l'une des plus grandes avancées des politiques de santé publique, qui a sauvé des millions de vie et permis d'éradiquer nombre de maladies infectieuses.
Se vacciner, c'est se protéger soi-même, mais c'est aussi protéger la collectivité dans son ensemble, protéger les autres, en particulier les plus fragiles. Une politique vaccinale doit donc atteindre, pour être efficace, un taux de couverture de 80 à 90 % selon les maladies.
Les premiers vaccins, au XIXe siècle, ont lutté contre la rage, la typhoïde, la peste, qui étaient alors des fléaux. Au XXe siècle, ils sont devenus des armes efficaces de prévention contre la tuberculose, la diphtérie, le tétanos, la variole, la poliomyélite, la fièvre jaune... La variole, qui décimait des populations entières, a été éradiquée. Les décès par rougeole ont baissé de 71 % entre 2000 et 2011. La diphtérie et la poliomyélite ont disparu de France. Grâce aux avancées de la science, l'espoir de découvrir un vaccin contre la dengue, le paludisme ou le sida n'est pas vain. Des horizons nouveaux, s'ouvrent vers une nouvelle politique vaccinale.
Mais ces espoirs doivent nous laisser vigilants. Les maladies couvertes par un vaccin n'effraient plus. Pourtant, elles n'ont pas disparu. Ainsi de la rougeole, en recrudescence, en raison, notamment, d'une baisse de la vaccination. C'est que la maladie n'a pas disparu ! Quand on cesse de se vacciner, la maladie ressurgit. Également, la suspension de la vaccination BCG automatique a suscité des cas de tuberculose, parce que les préconisations de vaccination dans certains cas n'avaient pas été respectées.
N'oublions pas que onze millions d'enfants dans le monde meurent par défaut de vaccination. Notre responsabilité est immense, nous ne devons pas baisser la garde mais relever des défis nouveaux. La prévalence des maladies émergentes est aggravée par la circulation des personnes et des biens ; certains cancers sont aggravés par des virus ; nous devons affronter des maladies infectieuses latentes qui peuvent être prévenues par certains vaccins.
Si notre pays dispose d'une bonne couverture vaccinale, des progrès restent à accomplir. Les nourrissons sont bien vaccinés, mais les nouveaux vaccins, perçus comme seulement recommandés, peinent à percer ; les adolescents et les adultes se vaccinent moins. Comment expliquer ces dysfonctionnements ? C'est que la réticence à la vaccination, fondée sur des raisonnements non scientifiques, parfois irrationnels, s'amplifie, et que l'information n'est pas toujours bien passée. Nous devons y veiller. D'autant que l'information est complexe, notamment en ce qui concerne les rappels. Chacun ici peut, à titre de test, se poser la question : où en suis-je de mes rappels ?
Il s'agit de rendre le parcours vaccinal plus lisible. D'abord, en clarifiant et simplifiant le calendrier vaccinal, afin de diminuer le nombre d'injections. Pour les nourrissons, il y aura une vaccination en moins. Pour les adolescents, le rappel DTCoq est supprimé. Au-delà, les rappels auront lieu à âge fixe plutôt qu'au terme d'une période.
Les professionnels de santé ont été dûment informés en amont. Pour sensibiliser nos concitoyens, la semaine européenne de la vaccination sera le bon vecteur.
Nous entendons ensuite favoriser, comme vous le proposez, la vaccination dans les centres de santé de l'assurance maladie. Le Conseil constitutionnel avait censuré l'article 64 de la loi de financement de la sécurité sociale, au motif que c'était un cavalier. Il faut donc trouver un nouveau véhicule.
La troisième mesure concerne le carnet de vaccination électronique, pour un meilleur suivi, au moins des nourrissons. Cela peut entrer dans le DMP de deuxième génération - le dossier pharmaceutique pouvant, pour anticiper, être mobilisé, puisqu'il a vocation à alimenter le DMP.
Élargir le nombre des professionnels habilités à prescrire et à réaliser une vaccination est une autre piste. Le regroupement des professionnels au sein des maisons de santé contribuera à fluidifier le parcours vaccinal. Au-delà, il pourrait être permis aux sages-femmes de vacciner l'entourage des femmes enceintes, aux infirmiers à vacciner au sein d'une pharmacie ou aux pharmaciens à pratiquer de leur propre initiative les rappels chez les patients adultes - comme cela se fait au Portugal depuis cinq ans. Ces perspectives doivent être étudiées de façon concertée.
Je vous renouvelle, monsieur le rapporteur, mes remerciements pour votre initiative. (Applaudissements)
Mme Laurence Cohen . - Ce débat fait suite à notre demande de rapport à la Cour des comptes. Je félicite le rapporteur pour son excellent travail et me réjouis, madame la ministre, que vous repreniez certaines de ses recommandations.
Si la vaccination est une pratique ancienne, l'obligation vaccinale est plus récente, et a été restreinte à la diphtérie, le tétanos et la polio. On assiste aujourd'hui à la recrudescence de certaines maladies, comme la rougeole.
Il faut assurer à tous une politique constante dans le temps. Cela suppose l'adhésion de la population. Comment mieux l'informer, pour lui faire prendre conscience de l'utilité du vaccin et contrer les campagnes de désinformation ? Dans un monde ouvert, on ne peut non plus se désintéresser des pays en développement.
Pourquoi la France est-elle en retard sur ses voisins ? La campagne de vaccination contre le virus H1N1, orchestrée par Mme Bachelot, a eu des effets désastreux, entraînant un climat de peur sous la menace d'une pandémie mondiale... qui ne s'est jamais produite. Des quantités énormes de vaccins sont restées inemployées, et tandis que les finances publiques supportaient ces coûts inutiles, les laboratoires ont réalisé des profits colossaux, avec peut-être la complicité ou la négligence de certains « experts ». Il faut dénoncer avec fermeté le poids des lobbies et les conflits d'intérêts dans un domaine si sensible.
L'association des malades de myofasciite à macrophages nous ont alertés sur les dangers des sels d'aluminium dans les vaccins, désormais reconnus par les plus hautes autorités de santé ; vous-même, madame la ministre, vous êtes engagée sur la mise en place d'un comité de pilotage et d'un comité scientifique. Où en est-on ? Il y a urgence. Entendez-vous peser sur Sanofi pour qu'un vaccin DTPolio sans aluminium soit remis en circulation ?
Quelles mesures du programme national 2012-2017 sont-elles déjà mises en oeuvre ? Pouvez-vous nous donner un calendrier ?
Il ne s'agit pas de diaboliser les vaccins, mais de s'assurer que toutes les précautions sont prises. Pourquoi pas un comité public de la vaccination, indépendant et impartial pour prévenir les conflits d'intérêts ? C'est ainsi que nous redonnerons confiance à la population. (Applaudissements à gauche)
M. Gilbert Barbier . - En cette semaine européenne de la vaccination, la campagne lancée par l'InVS est bienvenue. La résurgence de la rougeole est alarmante. Et les objectifs fixés pour l'hépatite B et le cancer du col de l'utérus ne sont pas atteints. Sans compter que la couverture vaccinale n'est pas la même dans toutes les régions. La comparaison avec nos voisins européens n'est pas flatteuse...
C'est que le regard a évolué. Si les réticences, d'ordre naturaliste, hygiéniste ou libertaire ont toujours existé, le mouvement est aujourd'hui plus large, qui va jusqu'à remettre en cause la balance bénéfice-risque. La campagne sur le vaccin contre l'hépatite B a été mal conduite, de même que celle sur le papillomavirus, ce qui n'a pas aidé. Ajoutons que, sur internet, bien des contrevérités circulent sans contrôle. La commission d'enquête sur les mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé a montré que les mouvements militant contre la vaccination sont très actifs. Les sectes ont mieux compris que les pouvoirs publics les enjeux d'un bon référencement sur la toile.
Il faut un discours politique de conviction. La communication publique est intermittente, laissant le champ libre à la propagande privée. La loi de 2011 encadre la publicité non institutionnelle mais la HASP s'y oppose : quelle est votre position ?
Dans le rapport du Haut Comité, les anthropologues analysent les mécanismes de refus des populations. Il faut comprendre ce phénomène. On ne peut se contenter d'asséner des affirmations sur la nécessité de se vacciner.
Dans son très bon rapport M. Labazée fait des propositions que je partage. L'élu de Dole que je suis ne peut pas ne pas rappeler la mémoire de Pasteur. Les maladies infectieuses émergentes et résurgentes, les cancers, posent de redoutables défis. La France dispose d'atouts indéniables, mais la recherche est trop fragmentée.
Une meilleure évaluation de la sécurité et des adjuvants aluminiques et autres est nécessaire. Votre réforme du calendrier vaccinal est une première réponse mais elle n'est pas satisfaisante. La Cour des comptes a proposé d'améliorer la prise en charge de la vaccination, qui doit encore mieux protéger les populations. (Applaudissements)
Mme Aline Archimbaud . - Je salue l'excellent rapport de M. Labazée. Depuis deux siècles, la vaccination a éradiqué des maladies très graves et évité leur réémergence. Dans un monde sans frontières, il est illusoire de penser éradiquer totalement une maladie de notre territoire. Mais la vaccination est un outil de prévention même s'il existe parfois d'autres stratégies pour lutter contre les maladies infectieuses.
Les critiques de la Cour de comptes sur la campagne de vaccination contre le H1N1sont significatives. J'insiste sur l'importance d'études indépendantes et sur la vigilance nécessaire à l'égard des conflits d'intérêt. La vaccination n'est pas sans risques. Il est nécessaire de faire preuve de vigilance à l'égard des sels d'aluminium utilisés comme adjuvants, qui peuvent provoquer des pathologies invalidantes. Un enfant n'est pas admis à l'école s'il n'est pas vacciné. Jusqu'en 2008, le vaccin DTPolio distribué par l'Institut Pasteur ne contenait pas de sels aluminiques. Les médecins sont obligés de pratiquer des vaccinations obligatoires avec des vaccins qui en contiennent. Il convient de mettre sur le marché un vaccin alternatif, par exemple dans le cadre d'une commande publique. Des produits existent. Madame la ministre, l'équipe de recherche qui a été constituée aura-t-elle les moyens de mener ses travaux ?
M. Alain Milon . - Des progrès significatifs ont été réalisés pour protéger les populations des maladies infectieuses par la vaccination, dont le rôle est parfois contesté. Elle prévient chaque année, selon l'OMS, entre 2 et 3 millions de décès. Cent neuf millions d'enfants de moins d'un an en 2010 ont été vaccinés contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche. Malheureusement, cette même année, 1,7 million d'enfants décédaient de maladies qui auraient pu être évitées grâce à la vaccination. L'éradication totale de la polio fera économiser 50 milliards de dollars en 2035.
C'est dire l'enjeu de la politique de vaccination. Le rapport Labazée suit les pas de Paul Blanc. La communication est essentielle. Notre politique vaccinale est paradoxale. La France dispose d'une expertise reconnue, le calendrier vaccinal est exigeant. Mais les résultats ne sont pas à la hauteur. Un discours protestataire trouve un écho inquiétant auprès des Français. Madame la ministre, certaines décisions ont été catastrophiques : la suppression de la vaccination contre le BCG fut l'une de ces erreurs graves.
La Cour des comptes souligne que nos résultats sont décevants. Le taux de vaccination contre l'hépatite B est trop faible et celui de la vaccination contre la rougeole, les oreillons et la rubéole n'est pas à notre avantage dans les comparaisons internationales. Comment le Gouvernement entend-il redéfinir des objectifs spécifiques ? En 2009, j'ai présenté sous la présidence de François Autain, un rapport d'information de vaccination contre la grippe A H1N1, qui m'a permis de découvrir les faiblesses de la communication interministérielle. L'absence de fichier des médecins m'est apparue stupéfiante. Où en est-on aujourd'hui ?
Les efforts déployés pour convaincre les Français de se faire vacciner sont demeurés vains. Il y eut des maladresses. Aucune publication n'a fait état de la dangerosité, alléguée par la rumeur, de la vaccination contre le H1N1. L'insistance de certains messages gouvernementaux a pu accroître la défiance à l'égard de la parole publique. Avoir écarté les médecins de la campagne fut une erreur fondamentale. Pour restaurer la confiance des Français, nous devons commencer par restaurer la place du corps médical dans ce dispositif.
Redonnons-lui toute sa place dans la politique de santé publique et formons les médecins à cette fin.
La désertification médicale et l'absence de revalorisation de l'acte médical sont deux obstacles majeurs. Nous devons convaincre les Français de l'efficacité de la vaccination. Nous ne pouvons nous permettre des échecs récurrents de notre politique vaccinale. (Applaudissements à droite)
Mme Michelle Meunier . - Le constat est sans appel : la politique vaccinale française souffre d'insuffisances. Notre politique de santé est destinée à soigner plus qu'à prévenir. La vigilance se relâche. C'est regrettable. Quand les prestations familiales étaient liées à la vaccination effective des enfants, cette politique était couronnée de succès. La politique est désormais surtout incitative. Pourtant le vaccin protège individuellement et collectivement. Comment mobiliser la population autour de cette double nécessité ? Quel suivi des vaccinations ? Qui est au clair avec ses dates de vaccin et de rappels ?
Passée la période d'inscription dans le carnet de santé, il n'est plus possible d'avoir une vision longitudinale. La création d'un carnet vaccinal électronique individuel serait utile, ce système pourrait être adossé à la carte vitale. Il permettrait une approche statistique fiable, fiabilité qui n'est pas avérée aujourd'hui. L'amélioration de la couverture vaccinale suppose la mobilisation des professionnels de santé, médicaux mais aussi paramédicaux.
De nombreux pays étrangers confient la vaccination aux infirmières et infirmiers. Les résultats sont probants. Pour les populations à risque, la vaccination des nourrissons pourrait être pratiquée à la maternité. Le personnel infirmier peut se voir confier cet acte, moyennant son rattachement à un médecin coordonnateur. Lançons des expérimentations en métropole ou outre-mer, à l'occasion de la mise en oeuvre du nouveau calendrier vaccinal et sensibilisons les professionnels à la nécessité de se vacciner eux-mêmes...
Protéger les enfants est un souci permanent pour les parents. Ciblons notre communication en conséquence, associons-les à la confection des supports. Les résistances à la vaccination ont un prix en pertes de vies humaines. Voyez les décès dus aux rougeoles. Faisons évoluer les mentalités. (Applaudissements à gauche)
M. Bernard Cazeau . - Merci, monsieur le rapporteur, pour votre remarquable contribution à ce débat difficile, mais fondamental. Nombre d'échecs de vaccinations sont dus à des résistances humaines. Deux tiers des Français se déclaraient, en septembre, hostiles à la vaccination contre la grippe. La France se classe au rang des mauvais élèves parmi les pays comparables.
L'épisode H1N1 est l'illustration d'une politique vaccinale aveugle, au point que, dans les universités anglo-saxonnes, on en fait l'exemple même de ce que ne doivent pas faire les décideurs publics. Rien ne peut se faire dans ce domaine sans les professionnels de santé. C'est pourtant ce qui fut décidé en 2009... L'administration a sous-estimé le rôle des professionnels de santé auprès des populations.
Les erreurs se sont accumulées, ruineuses pour la sécurité sociale. Nous les avons payées cher.
Je partage pleinement le constat de M. Labazée sur le rôle important de l'action de proximité. Le généraliste connaît, en général, son malade. Je pense en particulier à la prévention du tétanos : le nombre de cas n'a cessé de diminuer sans campagne officielle, uniquement grâce aux généralistes.
Plusieurs professeurs de médecine ont interpellé les pouvoirs publics sur l'utilisation des sels d'aluminium comme adjuvants, en raison des risques mis en évidence par plusieurs études. Un moratoire a été demandé dès mars 2012 par les députés du groupe d'études sur la vaccination. Quelle est votre position, madame la ministre ?
Pour restaurer la confiance, il faut réaffirmer la place du corps médical dans nos politiques de santé : 98 % des Français font confiance à leur médecin de famille. L'idée d'un carnet vaccinal va dans le bon sens.
Il a fallu attendre 40 ans pour connaître les effets secondaires de certains vaccins. Voilà qui milite pour une formation sérieuse des médecins, auxquels il faut aussi laisser le choix du vaccin le mieux adapté à chaque patient. Il doit aussi pouvoir parler des risques, mais avec lucidité et modération. Car s'il peut y avoir un risque pour quelques-uns, pour des millions de personnes il y a un bénéfice. (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Procaccia . - Je félicite à mon tour le rapporteur, qui m'a permis de faire le lien avec la problématique de la vaccination des étudiants, alors que je préparais, pour notre commission des affaires sociales, avec Ronan Kerdraon, un rapport sur la santé des étudiants.
À l'époque du service militaire, la moitié des jeunes étaient vaccinés. Aujourd'hui les étudiants des deux sexes relèvent des services universitaires de médecine préventive qui constatent que peu d'entre eux sont à jour de leur vaccination. Aucune visite obligatoire pour les étudiants Erasmus au niveau master et doctorat, alors que plusieurs cas de tuberculoses résistantes chez des étudiants venus de pays de l'Est ont été signalés. Pour ceux qui sont soumis à visa, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) impose une visite médicale. Ils sont donc mieux suivis, si j'en crois un système qui me paraît tout de même bien compliqué. Mais pour les autres, aucune obligation ne s'impose. Les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (Sumpps) auraient ici un rôle à jouer.
L'objectif affiché d'accroître le nombre d'étudiants étrangers doit nous inciter à la vigilance sur la politique vaccinale. Ne faut-il pas rendre le contrôle vaccinal obligatoire dès la première année ?
La vie étudiante est un moment de rupture dans le suivi médical du jeune, Français comme étranger. Pourquoi ne pas imposer dès l'inscription en fac une vérification des vaccinations ?
Je croyais la tuberculose éradiquée en France. Elle reste une pathologie lourde et parfois mortelle. Régulièrement, de nouveaux cas sont dépistés dans mon département. Sa réapparition est-elle liée au fait que la vaccination contre le BCG n'est plus obligatoire depuis 2006 en France ? L'Île-de-France est la première touchée, ce qui s'explique aisément, par l'importance de la population, l'immigration, la contamination possible dans les transports en commun. A-t-on pu établir un lien avec cette suppression de l'obligation vaccinale ?
Pour que les Français se vaccinent, faudrait-il encore que les professionnels de santé soient eux-mêmes vaccinés ? Ils sont les plus à même de faire passer les bons messages... s'ils en sont eux-mêmes convaincus !
Recherchons les moyens d'inciter les médecins à montrer l'exemple. Cela irait dans le sens d'une meilleure maîtrise des dépenses de santé. Seulement 11 % des infirmières salariées et 3 % des infirmières libérales se font vacciner contre la grippe saisonnière. Nous ne ferons pas l'économie à moyen terme d'un débat sur l'obligation de la vaccination pour les professionnels de santé. Pourquoi ne pas faire dans un département une expérience de vaccination gratuite une année pour faire une comparaison l'année suivante ? Il y a aussi beaucoup d'efforts à faire en direction des futurs professionnels de santé.
Je crois enfin à l'utilité des applications de Smartphones incitant chacun à mieux se prendre en charge : pourquoi n'organiseriez-vous pas un concours pour récompenser la meilleure application ? (Applaudissements à droite, et sur quelques bancs socialistes)
Mme Catherine Deroche. - Très bien !
M. Philippe Madrelle . - Le 29 janvier, j'ai posé une question orale sur le grave problème de l'utilisation des sels d'aluminium comme adjuvants. Mme Delaunay m'a répondu en évoquant le souhait du Gouvernement d'engager des recherches supplémentaires.
Dans quels délais le Gouvernement répondra-t-il à l'attente légitime des familles qui veulent pouvoir choisir des vaccins sans aluminium, comme cela était possible avant 2008 ?
La recherche doit bénéficier de crédits appropriés. Je vous fais confiance, madame la ministre. Merci de nous éclairer.
Mme Catherine Deroche . - Je joins mes félicitations à toutes celles qui ont été adressées à M. Labazée. Selon la Cour des comptes, notre politique vaccinale enregistre des résultats contrastés.
Des millions de vies ont pu être sauvées grâce à ce geste simple de prévention. L'opinion publique est trop souvent habitée par le doute alors que son adhésion est indispensable à la réussite de cette politique. Il faut donc lui redonner confiance.
La vaccination peut être victime de son succès, comme l'a montré la recrudescence de la coqueluche. Permettons aux Français de disposer de repères clairs, grâce à des actions pédagogiques, où le rôle des professionnels de santé, notamment des infirmières, mais aussi de l'école, est crucial.
Il y faut des moyens supplémentaires, certes, mais en retour, une meilleure prévention entraîne des économies.
La communication compte beaucoup. J'en veux pour preuve celle qui a été faite sur la rougeole, et a conduit à un recul de la maladie en 2012. L'information doit être adaptée à Internet. La Cour des comptes recommande une présence pérenne, pour contrer le discours anti-vaccination qui s'y développe. Les sites qui apparaissent les premiers sur Google sont les sites anti-vaccinaux : aucun site public sur la première page de résultat. C'est fâcheux. Pour la Cour des comptes, l'InVS devrait mettre en oeuvre une stratégie pluriannuelle de communication sur Internet et les réseaux sociaux. Quelle suite envisagez-vous de donner à cette recommandation ? Quid de l'idée de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) d'un site grand public ? (Applaudissements à droite)
Mme Marisol Touraine, ministre . - Merci de la qualité de ces débats, qui montrent que la politique vaccinale est pour nous tous un enjeu majeur de santé publique. Oui, il faut développer des stratégies d'information offensives sur les réseaux sociaux. Je souhaite que nous y travaillions, car nous sommes en retard. La propagation d'une rumeur peut avoir des effets dévastateurs. Au Royaume-Uni, celle qui s'est propagée sur le vaccin contre la rougeole, favorisant prétendument l'autisme, a entraîné une baisse sensible de la vaccination suivie d'une recrudescence de l'épidémie : 800 cas dans le seul pays de Galles.
Il faut tirer la leçon de ce qui s'est passé durant la pandémie H1N1 et mieux associer les professionnels de santé. Nous y avons réfléchi, pour associer le plus en amont possible les professions et les représentants des patients en cas de crise.
La décision de 2007 de remettre en cause l'obligation de la vaccination BCG a-t-elle eu un impact ? Nous ne disposons pas d'étude permettant de faire un lien de cause à effet. Mais le fait est que certains des enfants qui présentaient les caractéristiques pour être vaccinés ne l'ont pas été. Reste que l'augmentation du nombre de tuberculeux est liée à la venue de populations sur notre territoire, qui viennent s'y faire soigner, car la France offre des traitements de troisième ligne. Les populations socialement les plus fragiles et les enfants d'immigrés sont les plus exposés au risque de contracter cette maladie.
Plusieurs orateurs se sont inquiétés de la présence d'aluminium dans les vaccins. Sachez que la sécurité vaccinale est pour nous essentielle. C'est en raison de considérations de sécurité sanitaire que le vaccin sans aluminium contre la tuberculose a été retiré : des cas de réaction allergique sévère avaient été relevés. Il n'existe pas aujourd'hui de vaccin antidiphtérique ou antitétanique sans aluminium. Et il n'en existe pas dans d'autres pays européens. J'ai donc demandé que la recherche se poursuive.
Les vaccins contenant de l'aluminium présentent-ils un risque pour la santé ? Comme tout médicament, les vaccins peuvent présenter des effets secondaires. Oui, une réaction est possible au point d'injection, mais on ne peut dire qu'elle serait à l'origine du moindre syndrome clinique problématique.
Le comité de pilotage, dont j'ai annoncé la mise en place, est constitué et se réunira le 27 mai. Les associations concernées seront entendues. Le travail d'évaluation collective sera mené.
Je vous remercie pour la qualité de ce débat. (Applaudissements à gauche)