Protection pénale des forces de sécurité et usage des armes à feu
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l'usage des armes à feu.
Discussion générale
M. Louis Nègre, auteur de la proposition de loi . - Pourquoi cette proposition de loi ? Le rôle, le devoir et l'honneur du politique est de traiter les problèmes qui préoccupent la société. Il y a un malaise au sein des forces de l'ordre, et un ressenti du même ordre chez la population. La mission Guyomar fait ce constat et insiste sur un besoin de protection plus efficace. L'attente des forces de l'ordre est légitime, dit Mme Klès. Nos collègues de l'Assemblée nationale ont examiné en 2012 une proposition de loi Ciotti sur le même sujet.
La population aussi demande une protection renforcée pour les forces de l'ordre et une sanction plus forte des actes violents à leur encontre. Le sentiment populaire sur la question de la légitime défense est en contradiction avec les interprétations judiciaires, nationales et européennes : c'est un vrai problème de société.
Notre philosophie est à l'opposée de la vôtre. « On ne répond pas à la violence par la violence », dites-vous. C'est stigmatiser les forces de l'ordre, se comporter comme la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui parle de « force meurtrière » des forces de l'ordre. Nous parlons, nous, de légitime défense.
Sauf à confondre le bien et le mal, sauf à faire fi de toutes les valeurs qui fondent la société, on ne peut mettre sur le même pied ces deux cas de figure. Nous ne sommes pas au Far West, nous n'avons pas besoin de cow-boys, mais cette philosophie rousseauiste opposée à des malfaiteurs sans foi ni loi n'est pas admissible. L'uniforme ne protège plus, il devient une cible. Notre pays marche sur la tête. Il faut nous adapter à cette situation nouvelle. Le contrat social vole en éclat à cause d'une infime minorité. Nous sommes indignés. Nous souhaitons que cette indignation soit partagée sur tous les bancs, que l'on fasse un geste envers les forces de l'ordre qui n'ont pas à payer un aussi lourd tribut aux voyous.
Notre rapporteur reconnaît l'augmentation de la violence dans notre société. En juin 2012, deux femmes gendarmes ont été abattues ; elles étaient armées, ce sont elles qui sont mortes. Le 16 mai 2012, dans ma ville de Cagnes-sur-Mer, un malfaiteur, multirécidiviste, a tenté de s'emparer de l'arme d'une policière. On a évité le pire, de justesse. En octobre 2012, un capitaine est tué par une voiture qui a foncé sur lui : venu à ses obsèques, vous aviez vous-même qualifié cette mort d'insupportable, monsieur le ministre. La semaine dernière, suite à un vol à main armée, les gendarmes se sont retrouvés braqués par les malfaiteurs. Ils n'ont pas tiré. Que se serait-il passé si ces malfaiteurs avaient ouvert le feu ? Les gendarmes ne seraient plus là... D'autres affaires, à Chambéry, en Corse ou ailleurs, confirment cette situation intenable.
Le droit est interprété par la jurisprudence de telle sorte que les forces de l'ordre n'osent pas utiliser leurs armes, y compris dans une situation de légitime défense ! Tout cela à cause des conséquences judiciaires, administratives, financières de l'emploi de leur arme. Les forces de l'ordre ont le sentiment, comme la population, qu'ils ont moins de droits que les malfaiteurs qui les agressent. C'est un problème moral, alors que nous sommes dans une situation amorale. Le bon peuple constate que les policiers meurent, pas les malfaiteurs. Cela heurte le bon sens. D'où notre proposition de loi pour mieux protéger les forces de l'ordre afin de leur donner les moyens d'agir appropriés pour tenir compte de la violence et de la dangerosité des malfaiteurs d'aujourd'hui, qui ne sont plus ceux d'hier ! Nous devons agir pour ces hommes et ces femmes qui risquent leur vie tous les jours. Soit nous allons nous retrouver avec une multiplication de blessés et de morts au sein des forces de l'ordre, soit celles-ci se verront incitées, comme l'a fait un directeur départemental à « s'abstenir de toute poursuite des véhicules utilisés ; aborder la scène du crime seulement après être assuré du départ des malfaiteurs ; s'abstenir d'intervenir en se tenant sur un poste d'observation ».
Peut-on s'en étonner ? Il ne cherchait qu'à protéger ses hommes !
L'interprétation du droit par la jurisprudence, CEDH ou chambre criminelle de la Cour de cassation, pose un vrai problème. L'arrêt Ülüfer contre Turquie de juin 2012 définit un cadre légal très restrictif de l'usage des armes par nos forces de l'ordre, police ou gendarmerie. La mission Guyomar confirme que c'est bien la jurisprudence - pas le législateur - qui a imposé un sens restrictif. Nous, élus, nous avons des comptes à rendre au peuple. Les critères jurisprudentiels priment désormais sur le cadre légal. La CEDH pose la condition « d'absolue nécessité », interprétée de façon de plus en plus restrictive. Devant la prééminence du respect de la vie humaine, nous ne pouvons que nous incliner. Mais doit-on pour autant voir nos forces de l'ordre sacrifiées ? Le recours à la force meurtrière doit être « absolument nécessaire », dit la Cour de cassation, en imposant là encore une interprétation ultra-restrictive. Bref, la jurisprudence a vidé le cadre légal de toute efficacité juridique. La messe est dite. N'y a-t-il pas une présomption de culpabilité à l'égard du policier et du gendarme ? Le statu quo n'est pas admissible. Aucune des 27 propositions de la mission Guyomar n'a été mise en oeuvre. Les Français ne comprennent pas cette inaction. En attendant que le Gouvernement se manifeste, nous, nous avons décidé d'agir. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Virginie Klès, rapporteure de la commission des lois . - Permettez-moi d'abord de rectifier quelques points. La protection des policiers et des gendarmes que je demande n'est pas pénale mais fonctionnelle. Je sais que le ministère travaille avec les syndicats pour améliorer la protection fonctionnelle des policiers. Leur protection pénale nous semble suffisante. J'ai dit qu'en réponse à la violence, pour le retour de l'autorité, il faut des réponses, parfois fermes, intransigeantes, mais pas irréfléchies ou violentes. L'exposé des motifs de la proposition de loi a fait bondir beaucoup de collègues, y compris au sein du groupe des auteurs de la proposition de loi : on ne peut affirmer que les délinquants sont mis sur le même pied que les forces de l'ordre ! Au lieu de chercher à gagner les élections, lisez donc le code pénal !
M. Louis Nègre. - Vous vivez dans votre bulle !
Mme Virginie Klès, rapporteure. - En aucun cas, des citoyens qui se rebellent contre les forces de l'ordre ne peuvent être considérés comme étant en légitime défense. Le laisser croire, c'est dangereux !
M. Louis Nègre. - Ce qui est dangereux, c'est la mort !
Mme Virginie Klès, rapporteure. - Parlons-en ! Je déteste que l'on utilise des drames pour gagner des élections ! Dans ma commune, j'ai eu trois morts dans les forces de l'ordre : je sais donc de quoi je parle. Avec ce texte, vous ne cherchez qu'à gagner des élections en répandant des idées fausses.
M. Louis Nègre. - C'est vous qui cherchez à gagner les élections, pas nous !
M. Philippe Marini. - Nous voulons tous gagner les élections.
M. Gérard Longuet. - Ce n'est pas déshonorant !
Mme Virginie Klès, rapporteure. - Les gendarmes en question intervenaient dans une famille qu'ils connaissaient et ne se sont pas assez protégés...
M. Louis Nègre. - Bref, s'ils se font tuer, c'est leur faute !
Mme Virginie Klès, rapporteure. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Gérard Longuet. - Un peu quand même !
Mme Virginie Klès. - Ce n'est pas parce que je ne suis pas d'accord avec vous et que je suis une femme, que vous devez m'interrompre sans cesse. Respectez donc la position de la commission que je représente.
Ce serait un déshonneur que de tenter de faire croire que nos forces de l'ordre sont mal protégées par le code pénal.
Ne vous en déplaise, le nombre d'opérations au cours desquelles il y a des tirs augmente légèrement. Il y en a moins chez les gendarmes que chez les policiers. Avant de sortir son arme, tout homme, toute femme hésite : il ne le fait qu'en cas d'absolue nécessité. Le nombre de condamnations, malgré un examen systématique, est infime. Le sentiment d'insécurité, c'est vous qui le créez ! Nous sommes dans un État de droit où la vie des citoyens est protégée, y compris celle des forces de l'ordre. L'irresponsabilité pénale des agents de la force publique qui font usage de leur arme est régulièrement affirmée par la jurisprudence. L'absolue nécessité et la légitime défense est établie dès lors que la personne peut légitimement se sentir menacée. La simultanéité, la proportionnalité sont prises en compte.
Pourquoi cette différence entre policiers et gendarmes ? Elle existe : les gendarmes sont encore des militaires, ils ont accès à la formation des militaires, au tutorat - ce qui n'est pas le cas des policiers nationaux. Ceci étant, l'usage de l'arme par un gendarme est aussi subordonné au critère de l'absolue nécessité. Tirer son arme de son étui est un acte grave, il faut le rappeler. Il importe de dire que la société, le Gouvernement, la justice sont aux côtés de ces hommes et de ces femmes pour leur dire : vous avez eu raison, vous avez bien fait, au lieu de faire croire que l'on protégerait les délinquants !
Voilà pourquoi je ne pense pas qu'il faille rompre l'équilibre entre le droit de tuer accordé aux forces de l'ordre et le droit de vivre, inscrit dans notre Constitution. L'arrêt Ülüfer-Turquie du 5 juin 2012 ne dit pas autre chose. Ne faisons pas semblant d'ouvrir aux policiers un nouveau droit à faire usage de leur arme. Peut-être y a-t-il lieu de revoir l'article 2338-3 du code de la défense pour les gendarmes pour réduire leur droit à tirer. Je ne suis pas sûre que cela s'impose, mais la question a été posée au cours des auditions. Je ne crois pas non plus qu'il faille renforcer la présomption d'innocence : ce serait instaurer une présomption de culpabilité dans un domaine qui ne relève pas du contraventionnel. Créer une présomption de légitime défense ès qualité risquerait de rendre les juges un peu plus circonspects. Un policier est censé maîtriser les situations de stress, être formé à moins faire usage de son arme. Aujourd'hui, le juge estime que le policier a le droit d'avoir exactement les mêmes réflexes qu'un citoyen normal... Les policiers sont formés au maniement des armes mais pas à leur usage. Il est plus protecteur pour eux d'être traités comme n'importe quel citoyen, cher collègue !
Oui, nous avons le devoir de protéger les forces de l'ordre et de lutter contre la délinquance, mais ne levons pas les uns contre les autres, la justice contre les forces de l'ordre. Même à gauche, même une femme, peut souhaiter le retour de l'autorité. Mais cela ne se déclare pas à une tribune.
La mission Guyomar a cité les efforts à faire, et a clairement exclu ce que vous proposez dans votre texte ! Les efforts doivent porter sur la formation, sur le premier poste, le plus souvent difficile. Le premier acte administratif d'un policier est le plus souvent celui de sa demande de mutation, en raison de la difficulté de son premier poste. Prenons exemple sur la gendarmerie nationale en la matière. Il faut des efforts de communication, de respect des institutions. Cessons de stigmatiser les uns et les autres - certains ont accusé, en fonction de la nature des manifestants, les policiers de violence ! Un peu de cohérence...
M. Philippe Marini. - Êtes-vous vraiment bien placés pour faire la morale ? (Exclamations à gauche)
Mme Virginie Klès, rapporteure. - Je le crois. En matière de respect des institutions, vous ne me prendrez jamais en défaut !
M. Gérard Longuet. - Ce n'est pas une attaque personnelle mais une réflexion collective.
Mme Virginie Klès, rapporteure. - À laquelle je réponds !
M. Gérard Longuet. - Personnellement, pas collectivement.
Mme Virginie Klès, rapporteure. - Je ne pense pas collectivement mais mon groupe n'a pas à rougir de son comportement.
C'est sans doute à l'autorité hiérarchique à prendre en main la communication, à restaurer la confiance avec les policiers sur le terrain.
Oui à la protection fonctionnelle, il faut des mesures de reclassement pendant l'enquête, la mission Guyomar a tracé plusieurs pistes. Le ministère y travaille avec les syndicats.
La commission a émis un avis défavorable à votre proposition de loi - avec des voix de votre groupe - car nous refusons d'opposer police et gendarmerie nationale, de stigmatiser la justice. L'équilibre est atteint, ne le rompons pas, ayons un vrai discours de confiance. Les forces de l'ordre qui se dévouent tant méritent autre chose que des invectives. (Applaudissements à gauche)
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur . - Imposer l'ordre républicain en s'opposant aux individus qui le contestent, c'est la mission qui incombe aux policiers et aux gendarmes. Ils l'accomplissent avec le professionnalisme qui les caractérise. Cette mission n'est pas sans risque, en témoigne le nombre de celles et ceux qui sont tombés. Leurs noms sont notre fierté et il appartient à la République de les honorer.
En 2012, six policiers et gendarmes sont morts en mission. Le 6 février, nous avons, avec le Premier ministre, rendu un dernier hommage au capitaine Cyril Genest et au lieutenant Boris Voelckel, deux policiers de la BAC tués sur le périphérique parisien dans des circonstances d'une extrême gravité. Ce jour-là, toute la République était en deuil. Au-delà des chiffres, il y a la souffrance de la famille, des proches. Nous devons respecter ces souffrances, sans les exploiter.
Le sujet posé par cette proposition de loi est grave. Faire usage de son arme n'est pas anodin, c'est potentiellement ôter la vie et aucun policier ou gendarme ne peut aborder cette épreuve avec insouciance.
Tel est le fondement d'un État de droit : encadrer scrupuleusement le recours à la force légitime, en marquant bien la différence entre, d'un côté, les policiers et gendarmes, et, de l'autre, les voyous qui contestent l'autorité. La question de l'usage de l'arme est grave et ne peut être abordée dans l'émotion née de l'indicible et insupportable. Nous devons aborder cette question sereinement, ce qui n'est pas le cas d'une proposition de loi dont l'exposé des motifs affirme que la loi met « quasiment sur le même plan les malfaiteurs et les forces de l'ordre ». Qu'un législateur puisse écrire cela, c'est inconcevable, c'est stupéfiant ! Ce n'est pas parce que l'actualité est sur un autre sujet que l'on pourrait laisser passer de telles phrases. (Applaudissements à gauche)
Il faut une juste représentation du métier de policier. L'arme doit rester un ultime recours. Une intervention est réussie quand le policier a maîtrisé la situation, qu'il a neutralisé et interpellé le malfaiteur sans faire feu. Or cette proposition de loi centre tout sur l'usage de l'arme.
Une harmonisation des règles d'usage des armes n'est pas utile. Policiers et gendarmes sont dépositaires de l'autorité publique, tous portent une arme. Cette proposition de loi part d'une interprétation simpliste des textes les régissant, alors que la réalité est nuancée. Le Gouvernement s'est expliqué à l'Assemblée nationale sur ce point.
L'usage des armes par les forces de sécurité intérieure relève du principe général de la légitime défense tel qu'il est régi par l'article 122-5 du code pénal : l'auteur de violences ou d'un homicide volontaire est pénalement irresponsable lorsqu'il répond à une agression injuste, par une riposte immédiate, nécessaire et proportionnée. Ainsi, il ne peut être imputé aux policiers et aux gendarmes un usage illégal de la force dès lors qu'ils ont agi en état de légitime défense ou sous l'empire de la nécessité. En outre, l'article 431-3 du code pénal prévoit que les forces de l'ordre peuvent utiliser leurs armes pour dissiper un attroupement. En vertu du code de la défense, les gendarmes peuvent aussi utiliser leurs armes pour empêcher la fuite d'une personne ou d'un véhicule, après sommations faites à voix haute et s'il n'existe pas d'autres moyens.
Toutefois, la jurisprudence a largement tempéré cette différence apparente sur laquelle les auteurs de cette proposition de loi fondent leur raisonnement. La Cour européenne des droits de l'Homme et la chambre criminelle de la Cour de cassation estiment qu'il faut l'existence d'une « absolue nécessité », c'est-à-dire le respect du principe fondamental de proportionnalité.
L'unification qu'appelle cette proposition de loi a déjà eu lieu, avec la réunion au sein du ministère de l'intérieur des deux corps de la police nationale et de la gendarmerie nationale, l'harmonisation des terrains d'intervention en raison de l'urbanisation croissante, la proximité des missions de sécurité intérieure.
En outre, l'article premier de cette proposition de loi ouvre aux policiers un usage des armes plus large qu'à la gendarmerie dans certains domaines, moins large dans d'autres, alors que vous dites souhaiter unifier l'usage des armes.
Inutile, cette demande d'harmonisation des régimes n'est pas non plus opportune car la différence de régime qui subsiste est justifiée par le statut militaire des gendarmes et par la porosité, en Guyane par exemple, entre missions de maintien de l'ordre et missions militaires.
Ce texte entend créer une présomption de légitime défense afin de les encourager à aller plus loin dans l'usage des armes à feu. C'est une très mauvaise idée, que ce retournement de la charge de la preuve. C'est un piège vers lequel je refuse de conduire les policiers et les gendarmes dont j'ai la responsabilité. M. Guéant l'avait rejeté l'an dernier en y voyant un « permis de tuer ». Les forces de l'ordre sont entraînées au maniement des armes. Maintenir l'ordre et protéger nos concitoyens sans faire feu est leur fierté. C'est faire injure à leur professionnalisme que prévoir cette légitime défense a priori. Qui peut croire que cette disposition désarmerait les délinquants et rendrait plus sûr le métier des policiers et gendarmes ?
En revanche, avec ce texte, vous opposez la justice aux forces de l'ordre. Protéger davantage les policiers passe par l'usage de l'arme, semblez-vous estimer. C'est une idée simpliste. Les solutions sont ailleurs et le Gouvernement les met en oeuvre.
M. Nègre a raison de dire que les responsables politiques doivent traiter les questions qui préoccupent nos concitoyens. La question de la sécurité en est une, et c'est ma priorité de ministre de l'intérieur, comme c'était celle de mes prédécesseurs. Mais répondre à un tel sujet par ce type de proposition facilitant l'usage des armes n'est pas à la hauteur des enjeux.
Dans les affaires que vous avez évoquées, les gendarmes et les policiers étaient en légitime défense. Prétendre qu'ils n'ouvriraient pas le feu par peur de tracasseries judiciaires ou administratives n'est pas sérieux. Le sang-froid, le discernement des forces de l'ordre ne peuvent être ravalés au rang d'une faiblesse. Je n'oublie pas les policiers municipaux, qui font face à une contestation parfois virulente de leur autorité. Dès ma prise de fonction, j'ai voulu renforcer la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes, d'où la mission que j'ai confiée à M. Guyomar.
Mon ministère n'abandonne pas les policiers et les gendarmes. La protection que l'État doit à ses agents a été renforcée à ma demande. Les fonctionnaires doivent savoir que l'État sera toujours là pour les soutenir. Le rapport Guyomar a été remis en juillet dernier et ses propositions ont été mises en oeuvre. Les conjoints sont mieux protégés, y compris les concubins et les pacsés. La protection juridique des policiers et gendarmes est déjà une réalité. Le nombre de mesures de protection, pour les agents victimes, comme pour les agents mis en cause, a dépassé les 20 000 en 2012. Le droit à l'assistance juridique est désormais assuré dès la phase d'enquête administrative. Protéger les agents, c'est aussi éviter de précariser leur carrière lorsqu'ils sont mis en cause. La suspension préventive était devenue la règle ; désormais, le maintien en service sera privilégié.
Il faut aussi réfléchir à la façon de mieux réagir à la délinquance. La question est plus complexe que vous ne le semblez croire, monsieur Nègre. Lorsque vous étiez au pouvoir vous n'avez d'ailleurs jamais proposé un tel texte.
Les délinquants sont de plus en plus jeunes et utilisent des armes de guerre. Ce n'est pas le bilan de notre seul gouvernement et vous le savez bien, mais je ne m'attarderai pas à insister sur ces dix dernières années car le problème est plus large : l'autorité est contestée, qu'il s'agisse de la famille, de l'école, de la société. L'État doit incarner l'autorité, en repensant l'intervention des forces de l'ordre qui doivent être mieux équipées, mieux formées. Il est étonnant que cette proposition de loi vienne de la droite, qui, lorsqu'elle était au pouvoir, a supprimé plus de 10 000 postes de policiers et gendarmes. Les équipes sont réduites, les effectifs manquent sur le terrain.
Ainsi, un terme a été mis au non-remplacement des départs à la retraite. En outre, 500 policiers et gendarmes supplémentaires seront recrutés chaque année. En matière de formation, des assises ont été organisées au sein de la police nationale pour programmer la politique de demain. Des initiatives ont été prises pour la formation initiale et continue des policiers. Les policiers ont aussi besoin de moyens matériels pour l'accomplissement de leurs missions. Cela passe par des avancées technologiques comme la géo-localisation des véhicules ou les caméras embarquées qui permettent de dépêcher les effectifs nécessaires en renforts. Je pense aussi aux caméras-piétons qui contribueront au rétablissement du rapport de confiance avec la population, tout comme le retour du matricule ou le nouveau code de déontologie.
Il y a quelques jours, à Clermont-Ferrand, des policiers me disaient la difficulté de patrouiller dans certains quartiers. Je veux que les policiers soient respectés, ce qui implique une police respectueuse. Tout acte d'agression verbale ou physique doit être puni. Je serai demain à Amiens pour faire le point sur la zone de sécurité prioritaire. Tous ceux qui s'en sont pris aux forces de l'ordre ont été arrêtés et déférés. La mise en cause permanente de la justice affaiblit l'état de droit. Hier soir, à Aubervilliers et à Pantin, j'ai vu une coopération exemplaire entre la police, les douanes et la justice pour lutter contre les trafics. L'action coordonnée entre la police et la justice apporte ses premiers résultats à Amiens, à Grigny, à Marseille. Il faudra du temps, qui est parfois contraire à l'émotion.
Cette proposition de loi apporte une mauvaise réponse à une bonne question. Les violences contre les personnes augmentent depuis 30 ans et touchent d'abord les plus fragiles, notamment les femmes. Aujourd'hui se tient une convention de l'UMP sur la sécurité, qui s'attaquera sans doute à la garde des sceaux et au ministre de l'intérieur : c'est la nouvelle stratégie, je l'ai compris. (M. Roger Karoutchi le conteste) Mais cette proposition de loi ne doit pas être adoptée. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Charon . - (Applaudissements sur les bancs UMP) Cette proposition de loi s'inscrit dans un contexte d'hyper-violence, dont les acteurs sont de plus en plus lourdement armés. Les canifs des blousons noirs de jadis ont cédé la place aux Kalachnikov. Régulièrement, un policier ou un gendarme perd la vie face à ces délinquants. Ce sont les risques du métier, entend-on dire, mais notre respect doit être total. Chaque année, 10 000 policiers sont blessés, d'où cette proposition de loi, qui a une portée symbolique.
L'État de droit repose sur le monopole de la violence légitime, dit Max Weber. Il se fonde aussi sur le respect de liberté. Si l'on oublie un de ces deux socles, la société bascule. Soit la loi du plus fort, l'anarchie, soit le totalitarisme. Ce souci permet d'équilibrer cette proposition de loi. Les policiers voient leurs conditions de travail se détériorer chaque jour, il faut leur venir en aide, sans permettre bien sûr l'utilisation libre des armes à feu. Contrairement aux gendarmes et aux douaniers, les policiers ne sont autorisés à utiliser leur arme à feu qu'en réponse à une agression de même nature, ce qui est inadmissible.
Les policiers doivent pouvoir faire usage de leurs armes, sous réserve de limitation. Les forces de l'ordre doivent bénéficier de la présomption de légitime défense. Faut-il qu'un policier se fasse tirer dessus pour pouvoir tirer ?
Un exemple : un individu se fait tirer dessus par un policier à trois reprises, après l'avoir menacé d'un pistolet. Or une balle a frappé le délinquant dans le dos, ce qui exclut de facto la légitime défense. Il a suffi que cet individu menaçant se retourne une fraction de seconde. Les juges ont tout le temps de décortiquer cela mais comment le policier menacé aurait-il pu le faire en moins d'une seconde ?
Notre proposition de loi élargit le droit des policiers à utiliser leurs armes, afin d'inciter les délinquants à respecter, ou du moins à craindre, les policiers. Certains redoutent des violences policières. Pourtant, les gendarmes disposent déjà du droit que nous voulons étendre aux policiers sans qu'on ait constaté les dérives redoutées. Il n'y a aucune raison de ne pas faire confiance aux policiers, que je sache ! Ils ne sont pas des cow-boys, la France ne vit pas dans la terreur des violences policières !
Les conditions d'utilisation des armes par les policiers et les gendarmes doivent être harmonisées. Si 87 % des jeunes ont confiance dans l'armée et donc dans la gendarmerie, le taux est bien moindre pour la police. Il est de notre devoir d'améliorer l'image des gardiens de la paix.
Il ne s'agit pas de délivrer une licence pour tuer, mais de mettre fin à un soupçon permanent qui pèse sur la police. Ces hommes et femmes sont régulièrement insultés, méprisés. Qui peut nier que la violence et l'insécurité augmentent dans notre pays ? Peut-on refuser aux policiers le droit de se défendre ? En 2005, à Clichy, les policiers se sont réfugiés derrière des boucliers pour se défendre des tirs d'arme de chasse. Qui peut parler de cow-boys ?
Je souhaite que cette question ne soit pas enterrée. Si nous négligeons les protecteurs de la paix, nous risquons de la perdre. (Applaudissements à droite)
Mme Éliane Assassi . - Quand le législateur réagit aux faits divers, il méconnaît les principes de notre société démocratique. Occupés à agiter le chiffon rouge de la délinquance, vous faites la part belle à l'extrême droite.
Il est curieux que nos collègues méconnaissent à tel point la jurisprudence. Le CRC s'oppose à cette proposition de loi (rires à droite), d'autant plus que ce sont les politiques menées par la droite qui ont largement contribué aux dérives de cette société violente.
Il faut guérir et non punir, éduquer et non combattre, accompagner et non isoler. La droite propose un texte inutile et dangereux qui méconnaît les principes constitutionnels et internationaux, notamment le droit à la vie. Le code de la défense fait référence à une « absolue nécessité », et le droit à la vie est reconnu par la Cour européenne des droits de l'Homme.
Les gendarmes ne bénéficient pas d'un régime plus permissif pour l'usage de leurs armes, ne vous en déplaise. Avec cette proposition de loi, vous induisez en erreur les forces de l'ordre et vous les fragilisez plus que vous ne les protégez. La violence génère la violence, pensons-nous, ce qui nous a conduits à présenter une proposition de loi contre l'utilisation d'armes de quatrième catégorie. Les forces de l'ordre ont un traitement plus protecteur que les citoyens. Il serait plus utile de respecter le droit à la vie, de renforcer la formation initiale et continue et de mieux gérer le stress. On ne doit pas faire croire à une impunité qui pourrait susciter une escalade de la violence. En outre, l'article 2 de ce texte est parfaitement inutile. Le doute profite au mis en examen, puisqu'il existe une incertitude de son infraction.
Enfin, il faut rompre avec la RGPP. Nous y voyons toute l'hypocrisie de l'UMP, qui a organisé la fonte des effectifs des forces de l'ordre et présente aujourd'hui cette proposition de loi. Le Gouvernement a recadré la politique du chiffre imposée par la droite. Le malaise est réel chez les forces de l'ordre, avec une cinquantaine de suicides par an.
Plus des trois quarts des personnes interrogées citent le chômage, la précarité et l'emploi en tête de leurs préoccupations. La violence que nous devons combattre est économique et sociale. Cette proposition de loi est dangereuse, le CRC votera contre. (Applaudissements à gauche)
M. Vincent Capo-Canellas . - Cette proposition de loi est liée à plusieurs événements tragiques. En avril 2012, la condamnation d'un policier qui avait été menacé par un multirécidiviste avait indigné la profession. En 2012, plus de 11 000 policiers et gendarmes ont été blessés : on le sait, leur mission est très difficile à exercer.
Faut-il modifier l'utilisation des armes ? Oui. Cette proposition de loi est-elle suffisante ? Je n'en suis pas sûr.
Ce texte soulève des questions juridiques et pratiques, comme l'a reconnu le rapporteur UMP à l'Assemblée nationale. J'ai donc déposé un amendement de suppression de l'article 2, qui n'a pas d'utilité pratique.
L'article premier donne la possibilité aux policiers d'utiliser leurs armes quand ils sont menacés. C'est le cas pour les gendarmes. J'ai déposé un amendement pour rendre cet article conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l'Homme. L'absolue nécessité doit être impérative, tant pour les policiers que pour les gendarmes. Le rapprochement des deux forces de sécurité impose d'ailleurs une telle évolution.
Le texte applicable aux gendarmes ne devrait-il pas intégrer la jurisprudence qui s'est développée ? Il convient de poser le problème de fond et d'aboutir à des principes communs. Certes, la doctrine pour les gendarmes correspond à la mission militaire et il ne faut pas affaiblir leur situation. Reste qu'en cas de contrôle routier, si un véhicule ne s'arrête pas mais ne les menace pas, les gendarmes ne doivent pas tirer, même s'ils en ont théoriquement le droit.
Le groupe UDI-UC s'abstiendra, car de nombreuses questions restent sans réponse. Je voulais insister sur la demande très forte d'un renforcement de la protection juridique des policiers et gendarmes mais le ministre a donné des éléments très positifs en la matière ; je ne puis donc que souhaiter qu'il amplifie cet effort.
M. François Fortassin . - La proposition de loi fait écho à des faits divers dramatiques où des membres des forces de l'ordre ont perdu la vie dans l'exercice de leurs fonctions. Ces tragédies suscitent à chaque fois une profonde émotion. Le sentiment prévaut, fondé ou non, que les policiers hésitent à riposter par crainte d'une bavure qui serait pénalement sanctionnée. Le précédent président de la République était friand de la mise en scène de réponses législatives hâtives, au risque d'alimenter un certain populisme pénal.
M. Jean-Louis Carrère. - Très bien !
M. François Fortassin. - Gardons-nous de sombrer dans l'émotionnel, d'autant que la jurisprudence est plutôt protectrice des policiers et gendarmes. Le rapprochement des conditions d'usage des armes à feu entre gendarmes et policiers ne me semble pas pertinent au regard de leurs spécificités respectives. Les premiers interviennent majoritairement en zone rurale, les seconds surtout en zone urbaine, ce qui suppose des modes d'intervention différents au regard de la densité de population. Qu'apporterait aux policiers le régime de la sommation, sinon, comme le relèvent certains syndicats de policiers, un risque supplémentaire alors que la légitime défense est possible sans sommation en cas de menace ? Élus de terrain, nous savons que nos commissariats et nos casernes manquent de moyens face à des criminels bien équipés et puissamment motorisés. Le problème de proportionnalité des équipements est illustré par l'utilisation banalisée des armes de guerre... Je sais que l'heure est à l'économie, mais nos agents ont besoin de moyens pour exercer sereinement leurs missions : assurer la sécurité de nos concitoyens.
Je me réjouis de voir que vous mettez en oeuvre les mesures préconisées par le rapporteur Guyomar sur la protection fonctionnelle.
Afin de ne pas rompre le subtil équilibre de la jurisprudence, le RDSE ne votera pas cette proposition de loi. L'élu de terrain que je suis a pu mesurer combien la majorité des policiers et gendarmes apprécient l'action du ministre de l'intérieur, (applaudissements sur les bancs socialistes) menée avec fermeté, mesure et humanisme. Vous êtes, monsieur le ministre, le plus sûr garant de l'ordre et des valeurs républicaines. Vous vous éloignez des laxistes comme des boutefeux qui ne rêvent que plaies et bosses. C'est un honneur et une fierté de vous apporter mon fidèle soutien ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. André Gattolin . - Cette proposition de loi ne tient pas la route, faute d'avoir été suffisamment réfléchie. Certes, comment ne pas s'indigner que des policiers soient blessés ou tués ? Garants du respect de la loi et de la sécurité de tous, ils sont en première ligne des angoisses de la société, de ses déviances et de ses dérives.
Protéger ceux qui nous protègent est un devoir fondamental. Mais cette proposition de loi n'apporte qu'une réponse en trompe-l'oeil, une apparence de sécurité. Les délinquants n'ont pas peur des policiers ! Surtout, ils sont persuadés qu'ils ne se feront pas prendre ! Ne seront-il pas tentés de dégainer encore plus vite ? Attention à ne pas nourrir la surenchère. L'usage de l'arme par les policiers et les gendarmes est un dernier recours : les encourager à tirer plus tôt, plus vite, les expose à un risque juridique plus grand et de riposte plus élevé.
Qui dira aux policiers qu'ils sont dans leur droit quand la jurisprudence de la Cour de cassation et de la CEDH reste très restrictive ? Il est paradoxal de vouloir une égalité factice entre gendarmes et policiers. Le rapport de Mme Klès en montre bien les effets pervers. La présomption de légitime défense ne vaut pas : le port d'arme concerne aussi les convoyeurs de fonds ou les gardiens de prison ! Pourquoi seules deux catégories de porteurs d'armes seraient présumées être en état de légitime défense ? N'est-ce pas prendre le risque d'un usage accru de leurs armes, donc de bavures ou d'erreurs (exclamations sur les bancs UMP) face à des personnes présumées encore innocentes ?
Ce texte relève de la logique infernale de la réponse instantanée à l'actualité, du réflexe séculaire « oeil pou oeil, dent pour dent ». Pour protéger efficacement les forces de l'ordre, il faut une présence plus importante sur le terrain pour prévenir et dissuader. Le groupe écologiste votera évidement contre cette proposition de loi d'affichage et de communication politiques. Les gardiens de la paix et le respect du travail parlementaire méritent bien davantage. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Vincent Placé. - Bravo !
M. Philippe Kaltenbach . - Pour MM. Nègre et Charon, les règles encadrant l'usage des armes à feu par les forces de l'ordre seraient inadaptées. L'exposé des motifs est pour le moins déroutant : ces dix dernières années, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a appliqué la politique du fait divers, à coup de réponses législatives de circonstance. Nous n'en voulons plus.
Mme Cécile Cukierman. - Très bien !
M. Philippe Kaltenbach. - Pas moins de quatre faits divers sont cités dans l'exposé des motifs, d'autres l'ont été à la tribune. Comme s'il était nécessaire d'en faire état pour prendre conscience de la dangerosité du métier de policier ou de gendarme... Propos qui ne démontrent rien, sinon la mauvaise foi des auteurs du texte, pour qui « il est inacceptable qu'aujourd'hui, en France, un policier doive avoir été blessé pour être juridiquement en mesure de riposter ». C'est méconnaître gravement le sujet. Rappelons plutôt les méfaits de la RGPP pour les policiers et les gendarmes, qui a conduit à réduire les exercices de tir et supprimé 11 000 postes. Depuis l'élection de François Hollande, nous nous employons à ce que les policiers et gendarmes soient plus nombreux, mieux formés, mieux équipés. Je salue les efforts du ministre de l'intérieur.
Cette proposition de loi fait écho à une proposition de loi UMP rejetée à l'Assemblée nationale le 6 décembre dernier. Un amendement des deux députés du Front national proposant une exception de légitime défense au profit des policiers et gendarmes y avait été refusé par les auteurs mêmes du texte. Vous l'intégrez à votre proposition de loi. Il y a des rapprochements révélateurs...
Le sujet mérite mieux qu'une proposition de loi démagogique. La présomption de légitime défense aurait l'effet inverse que celui que vous recherchez, Mme Klès l'a démontré. La jurisprudence européenne pose des exigences strictes ; elle s'impose à nous. Nous ne pouvons sortir du cadre jurisprudentiel. S'il y a alignement un jour, il se fera sans doute dans le sens opposé...
Enfin, cette proposition de loi est en décalage complet avec les conclusions de la mission Guyomar, qui préconise le statu quo en matière d'usage des armes et exclut la création d'un nouveau cas de présomption de légitime défense. Elle traite plutôt des armes intermédiaires, rejette l'idée d'un alignement d'un régime civil sur un régime militaire et fait des propositions pour renforcer la protection fonctionnelle, ce que demandent de longue date les organisations syndicales. Le Gouvernement a pris le dossier en main.
M. Charon n'a pas toujours tenu un discours aussi bienveillant envers les forces de l'ordre. Il y a une semaine, il mettait en cause le professionnalisme et la légitimité de l'intervention des forces de police, que vous accusiez de s'en prendre aux enfants ! (On renchérit à gauche) Peut-être notre collègue a-t-il une conception du maintien de l'ordre à géométrie variable, comme de l'indépendance de la justice d'ailleurs...
Ce texte va à l'encontre de toute la jurisprudence, du rapport Guyomar ; il créerait une grande insécurité juridique et ne répond pas aux attentes des policiers, comme les auditions l'ont montré. C'est un texte d'affichage dont les visées électoralistes ne trompent personne, un texte qui n'a pas vocation à être adopté. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », écrivait Montesquieu. En l'espèce, ce texte est non seulement inutile mais néfaste. Le groupe socialiste votera contre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Pierre Charon. - Vous direz cela au prochain enterrement de policier !
Mme Virginie Klès, rapporteure. - Être co-auteur d'une proposition de loi qui a reçu un avis négatif de la commission des lois ne vous autorise pas, monsieur Charon, à dénaturer des propos : jamais je n'ai entendu un commissaire exprimer un sentiment de méfiance à l'égard des policiers et gendarmes. S'il y a méfiance, c'était envers votre texte ! (Applaudissements à gauche)
M. Manuel Valls, ministre . - « Vous verrez au prochain enterrement », ai-je entendu sur les bancs de la droite. Assister à des obsèques, c'est ce qu'il y a de plus difficile pour un ministre, pour un maire. J'ai vu Claude Guéant interpellé par la veuve du policier tué à Chambéry. L'exploitation de ces faits, de cette douleur, ne mérite-t-elle pas une autre attitude, une certaine hauteur de vue ? Les situations étaient toutes différentes dans les exemples que vous avez cités. Il y aura encore malheureusement des événements tragiques. Ce que les familles demandent, c'est une réponse judiciaire rapide et efficace. Les deux femmes gendarmes tuées dans des conditions abominables, le 17 juin dernier, étaient armées.
M. Louis Nègre. - Je l'ai dit.
M. Manuel Valls, ministre. - Aurait-il fallu un troisième gendarme ? Aurait-il fallu des hommes ? Ces femmes aguerries étaient armées, je le répète. À la justice d'être impitoyable envers ceux qui portent ainsi atteinte à l'autorité de l'État.
Je suis ouvert à toutes les solutions techniques, juridiques, financières, pour protéger les policiers et gendarmes. Mais jamais cette proposition n'a été avancée par les précédents ministres de l'intérieur ; le débat a surgi au cours de la campagne électorale. Face à des délinquants qui utilisent des armes de guerre, faut-il équiper les policiers des mêmes armes ? Attention à l'escalade !
La spécificité des terrains d'intervention de la gendarmerie justifie les différences, monsieur Capo-Canellas. En Guyane, nos gendarmes effectuent des opérations de guerre ! Deux d'entre eux ont été tués et deux autres blessés récemment.
M. Fortassin a soulevé la question des moyens humains - que j'ai maintenus malgré les contraintes budgétaires - et celle de la dangerosité des armes issues des trafics employées contre les forces de l'ordre. Nous sommes engagés dans une stratégie déterminée de démantèlement des trafics de stupéfiants et d'armes qui vont souvent ensemble.
Monsieur Gattolin, nous partageons les mêmes exigences. Nous avons trop de respect pour nos policiers et gendarmes pour nous satisfaire d'une telle proposition de loi. J'ai fait un autre choix, celui de la sécurisation des interventions par la formation, l'encadrement, la restauration de la confiance que nous devons aux forces de l'ordre. Je ne leur demande pas que des chiffres, mais d'agir dans la durée, selon des pratiques professionnelles sécurisées et valorisées, en lien étroit avec le parquet.
M. Kaltenbach a rappelé le rapport Guyomar, qui, après une très large consultation, a proposé des pistes utiles. Je suis très ouvert à un débat sur le rapport entre forces de l'ordre et citoyens, sur l'efficacité de la lutte contre une délinquance de plus en plus dangereuse et qui évolue rapidement. Mais je serai toujours opposé aux propositions démagogiques qui ne rendent pas service aux forces de l'ordre. (Applaudissements à gauche)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Article premier
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Capo-Canellas.
Rédiger ainsi cet article :
Le chapitre V du titre Ier du livre III du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L'intitulé est ainsi rédigé : « Port, transport et usage » ;
2° Il est complété par un article L. 315-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 315-3 - Les fonctionnaires des services actifs de la police nationale ne peuvent, en l'absence de l'autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée, en cas d'absolue nécessité, que dans les cas suivants :
« 1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu'ils sont menacés par des individus armés ;
« 2° Lorsqu'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiées ou, enfin, si la résistance est telle qu'elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
« 3° Lorsque les personnes armées refusent de déposer leur arme après deux injonctions à haute et intelligible voix :
« - Première injonction : "Police, déposez votre arme" ;
« - Deuxième injonction : "Police, déposez votre arme ou je fais feu" ;
« 4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt.
« Ils sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s'arrêtent pas à leurs sommations. »
M. Vincent Capo-Canellas. - Cet amendement vise à préciser juridiquement l'encadrement du déploiement de la force armée applicable aux forces de police nationale. Il intègre dans le texte l'apport de la jurisprudence de la Cour de cassation qui précise que l'usage des armes est conditionné par une « absolue nécessité ».
Mme Virginie Klès, rapporteure. - La commission a été sensible à votre effort de précision. Mais l'alignement de l'usage des armes entre gendarmerie nationale et police nationale ne nous convient pas pour les raisons qui ont été rappelés au cours de la discussion générale. En outre, intégrer la jurisprudence dans le texte rigidifierait les choses. Ne touchons pas à l'équilibre actuel.
M. Manuel Valls, ministre. - Même avis.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article premier n'est pas adopté.
Article 2
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Capo-Canellas.
Supprimer cet article.
M. Vincent Capo-Canellas. - L'article 2, qui crée une présomption de légitime défense pour les forces de l'ordre, ne paraît pas pertinent et pourrait se retourner contre les forces de l'ordre en donnant l'illusion d'une irresponsabilité pénale.
Mme Virginie Klès, rapporteure. - La commission, hostile à la proposition de loi, ne peut que vous suivre. Favorable.
M. Manuel Valls, ministre. - Sagesse.
M. le président. - Si cet amendement de suppression est adopté, il n'y aura plus lieu de voter sur la proposition de loi.
L'amendement n°2 est adopté.
L'article 2 est supprimé.
M. le président. - Le texte est rejeté.