Débat sur l'avenir de l'industrie (Suite)
M. le président. - Nous poursuivons le débat sur l'avenir de l'industrie en France et en Europe.
M. Alain Chatillon . - La part de l'industrie était de 22 % dans notre économie en 1989. Elle est aujourd'hui de 16 %. L'hémorragie des emplois s'accentue dans ce secteur. Nous connaissons les causes de notre mal mais les remèdes proposés par le Gouvernement n'y répondent pas. Le coût du travail est plus élevé en France qu'en Allemagne, et cela tient aux charges ; c'est pourquoi nous avions proposé la TVA sociale, qui aurait frappé aussi les importations.
Le CICE ne bénéficiera que très peu aux PME qui, pour la plupart, ne paient pas d'impôt. Je crains que le choc de confiance n'ait pas lieu, d'autant que le CICE ne bénéficiera aux entreprises qu'à l'année n + 1. Globalement, les PME pourraient développer l'emploi. Il faut les y aider. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait avec le crédit impôt recherche et les pôles de compétitivité.
Nos exportations diminuent depuis des années, contrairement à l'Allemagne. La montée en qualité des produits français est indispensable. L'Europe est une zone de prédilection pour les exportations françaises.
La fiscalité doit être plus incitative, il faut mieux répondre aux crédits export. Que fait donc la Coface ? Elle finance trop peu l'agroalimentaire, par exemple à destination de l'Espagne.
M. Ladislas Poniatowski. - C'est bien vrai !
M. Alain Chatillon. - Le made in France doit retrouver ses parts de marché. La France a perdu sa première place mondiale dans l'agroalimentaire. C'est pourtant le premier employeur industriel, avec 415 000 salariés et 14 % des exportations françaises. Le salon international de l'alimentation (SIA) doit apporter sa contribution aux entreprises françaises dans les pays émergents plutôt que de financer la concurrence en France ! (Applaudissements à droite)
Pour exporter, il faut un dollar plus élevé.
La formation professionnelle est une condition sine qua non de la compétitivité des entreprises, tout comme la flexibilité. Les PME conservent leurs emplois -favorisons donc l'alternance, quand on sait que 70 % des jeunes restent dans l'entreprise où ils se sont formés. C'est une bien meilleure piste que les emplois d'avenir sans avenir !
M. le président. - Il faut conclure.
M. Alain Chatillon. - Dans le BTP, la TVA a doublé en deux ans : c'est 40 000 emplois qui vont disparaître. Le problème de Dexia n'a pas été résolu.
La BPI ? Il faudrait déjà savoir qui va faire quoi...
Nous avons des décisions importantes à prendre, l'entreprise et les salariés les attendent ! (Applaudissements à droite)
M. Yannick Vaugrenard . - L'industrie européenne, c'est un potentiel de savoir-faire, 35 millions de salariés, 1 600 milliards d'euros de valeur ajoutée par an. Mais la crise a frappé : pertes d'emplois, stagnation de l'innovation, déficits commerciaux. La France a subi de plein fouet ce recul. Mais le Gouvernement a pris la dimension du problème et adopté un arsenal de mesures d'urgence et de plus long terme en direction des PME et PMI. La France compte 2,5 millions de PME, soit 97 % des entreprises qui emploient plus de 7 millions de salariés.
La BPI a été créée pour les aider : un fonds spécifique garantit les crédits accordés par les banques privées, à un niveau décentralisé. Le fonctionnement du marché de l'assurance crédit doit être amélioré pour protéger contre les aléas de la situation économique. Je me félicite de la consultation des acteurs annoncée par le Gouvernement et par vous, monsieur le ministre.
Les obligations légales qui pèsent sur nos entreprises découlent de la politique européenne de la concurrence, l'une des plus exigeantes au monde. Le succès du géant chinois est écrasant, grâce aux aides d'État dont bénéficient les entreprises de ce pays, qui représente 21,7 % de la production manufacturière mondiale, devant les USA et l'Union européenne. Les aides constituent une concurrence déloyale. Il faut exiger des membres de l'OMC le respect des normes de l'OIT afin de contrecarrer le dumping social.
L'Europe n'est pas sans réagir, en voulant porter la part de l'industrie dans le PIB à 20 % d'ici 2020. Le programme Galileo est un formidable exemple de recherche ; il assurera à l'Europe l'autonomie qui lui manque en matière de navigation par satellite -marché évalué à 200 milliards d'euros. C'est l'exemple type de ce qu'il faut faire.
Tous les espoirs sont permis, à certaines conditions : une vraie volonté politique avec détermination à mettre la finance au service de l'économie, un soutien aux PME, une vigilance sur le respect des droits sociaux et pas seulement de la « concurrence libre et non faussée »...
Je sais que vous partagez ces objectifs, monsieur le ministre. C'est pourquoi nous vous soutenons. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Gérard Longuet . - (Applaudissements sur les bancs UMP) Faute de temps, je serai schématique, en espérant ne pas être trop simpliste. Je veux attirer votre attention sur l'intensité capitalistique croissante de notre industrie. Le diagnostic est connu. Le recul de l'industrie française s'observe en termes de part de marchés mondiaux par rapport aussi à d'autres pays de la zone euros -preuve que l'euro n'est pas la cause du problème !
Sur une longue période, la productivité globale des facteurs de production a changé. Les marges des entreprises sont trop faibles : 10 % de moins que la moyenne européenne, 28 % contre 38 %. Moins de marges, c'est moins d'investissement. Notre recherche et développement, en pourcentage de marge, est aussi importante qu'en Allemagne. Mais comme nous avons moins de marge...
L'intensité capitalistique nécessaire pour créer de la richesse ou un emploi s'accroît. La lecture marxiste classique y voit la faillite du système capitalistique à cause du rendement décroissant du capital tandis que les libéraux estiment que l'intensité capitalistique plus forte en France s'explique par une législation plus rigide et par une absence de flexibilité dans l'utilisation de l'outil de travail.
Il faut équilibrer nos atouts. Nous n'avons pas l'atout du coût salarial, très bien : jouons sur la valeur ajoutée, en investissant dans la formation et dans l'outil de travail, sans interdire aux entreprises de réaliser des marges. Il n'y aura pas d'industrie sans capitaux, pas de réussite sans profits ! (Applaudissements à droite)
M. Alain Chatillon. - Excellent !
M. Jean-Claude Lenoir. - Analyse brillante et pertinente !
M. Jean-Jacques Mirassou . - Je me concentrerai sur l'industrie pharmaceutique. Sanofi-Aventis, quatrième laboratoire mondial avec un chiffre d'affaires de 40 milliards et des bénéfices de 5 à 9 milliards par an, est en tête du CAC 40 avec Total. On y annonce une réorganisation pour 2015, avec pour objectif de muscler la recherche. Les salariés, pourtant, en feront les frais, avec une suppression annoncée de 1 000 postes et de plusieurs sites -à Toulouse et à Montpellier notamment. Les employés de ces deux sites se mobilisent et avancent des arguments forts : la masse des dividendes servie aux actionnaires à doublé en dix ans. Or ce qui va aux actionnaires ne va pas dans la recherche : c'est la financiarisation de l'activité. De plus en plus de molécules tombent dans le domaine public ; si l'on ne prend pas de l'avance, si l'on n'innove pas, le laboratoire se retrouvera dans une situation difficile.
Or Sanofi externalise de plus en plus sa recherche vers les laboratoires publics ou les start-up.
Il veut mettre l'accent sur les vaccins, les médicaments sans ordonnance, la santé animale, voire les alicaments, par le biais d'un rapprochement avec Coca-Cola. Les salariés s'en inquiètent : on va les extraire de leur corps de métier, qui est d'inventer des médicaments pour soigner les gens !
Quelles sont vos intentions sur ce sujet, monsieur le ministre ? Je sais que vous partagez ces inquiétudes, vous qui suivez ce dossier depuis huit mois.
Par le biais des AMM, les laboratoires voient leurs produits remboursés par la sécurité sociale ; ils bénéficient du CIR et des efforts consentis par les collectivités locales. Les pouvoirs publics ont un droit, et même un devoir, d'ingérence dans ce dossier !
La colère monte sur le site de Toulouse, face à la partie de poker menteur que joue la direction. Nous attendons les conclusions du chargé de mission que vous avez nommé pour envisager un traitement. Le groupe socialiste du Sénat a également demandé la nomination d'un médiateur pour rapprocher les points de vue car cela fait huit mois que le dialogue social est au point mort. Il s'agit d'un problème industriel, mais aussi d'un problème de santé publique. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Claude Carle . - Le leurre d'une transition vers une économie de services a vécu, l'importance d'un tissu industriel fort est reconnue. La France n'est plus dans le peloton de tête, faute d'avoir su anticiper l'évolution d'un capitalisme de production vers un capitalisme de spéculation. Il est urgent de déplacer le curseur de la fiscalité au profit du secteur productif. Deuxième raison, la France n'aime pas l'entreprise et l'entrepreneur. S'il réussit, il est l'objet de suspicion et de contrôles. Notre système éducatif privilégie les cols blancs, réservant l'apprentissage aux jeunes en situation d'échec. Résultat, le taux de chômage des jeunes est de 20 % en France, contre 7 % en Allemagne.
Troisième raison : trop peu de recherche et développement, trop peu de PME, qui n'ont pas les moyens nécessaires en matière de recherche et développement et peinent à trouver des repreneurs. Ces derniers, souvent étrangers, se comportent plus en financiers qu'en chef d'entreprises. Nous manquons d'ETI, facteur d'innovation. La France ne dépose que 304 brevets pour un million d'habitants, contre 579 en Allemagne.
Quatrième raison : un coût du travail trop élevé. Les charges sociales représentent 15,3 milliards d'euros, les PME françaises partent avec un handicap de 14 % par rapport à leurs concurrentes allemandes.
Nous avons pourtant des atouts, à commencer par notre compétitivité et notre productivité. Nous devrons redonner aux Français l'esprit d'entreprise, adapter notre système éducatif aux besoins de l'industrie, baisser les charges, modifier notre tissu industriel Cela suppose une politique industrielle agressive et efficace, qui devra être soutenue par l'Europe. N'oublions pas que celle-ci s'est construite sur la Ceca ! Que l'Europe de la contrainte, de la concurrence intérieure cède la place à celle de la croissance, des grands projets communs, de la confiance et acquière enfin une dimension politique ! (Applaudissements à droite)
Mme Delphine Bataille . - La filière automobile est stratégique pour la France : 10 % des emplois, 20 % de la valeur ajoutée. Elle joue un rôle essentiel dans la région Nord-Pas-de-Calais, où elle est le premier employeur et le premier investisseur local. C'est dire si le Nord est impacté par les difficultés que rencontre cette filière. L'année 2012 a été cruelle, mais la situation n'est pas nouvelle : le marché européen a baissé de 21 % en cinq ans, nous sommes au plus bas depuis 1990. La situation reste toutefois contrastée. Le marché européen est devenu un marché de remplacement.
Si la France reste le deuxième producteur automobile en Europe, elle est passée du quatrième au huitième rang mondial.
Les constructeurs français subissent de plein fouet la crise : Renault comme PSA sont surtout positionnés sur le milieu de gamme, où la demande s'effondre. Ils ont préféré préserver leurs marges plutôt que de s'adapter, et ont ainsi perdu des parts de marché et affaibli leurs équipementiers...
Un dialogue social renforcé permettrait une vraie gestion prévisionnelle des emplois.
M. Roland Courteau. - Très bien !
Mme Delphine Bataille. - L'Union européenne doit se doter d'une stratégie de soutien à sa production industrielle et revoir son cadre réglementaire.
Les constructeurs doivent définir leur stratégie, en tenant compte aussi des facteurs hors coûts. La refondation de la filière passe par un meilleur partenariat avec les sous-traitants et par la transition vers les véhicules décarbonnés. Pour cela, il faut un État stratège. Le plan de soutien à la filière automobile lancé par le Gouvernement a été suivi par le plan Car 2020 de la Commission européenne. Il s'agit de restaurer la compétitivité d'une filière qui conserve de nombreux atouts, en France et en Europe. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Alain Fouché . - Je veux évoquer l'industrie de la céramique et de la porcelaine : ce sont 7 000 emplois, dont 2 000 pour la porcelaine, sans parler des emplois induits. Or cette industrie est fragilisée. Ce fleuron de notre culture industrielle est frappé par la concurrence asiatique. La filière est menacée par le dumping de la Chine. Les produits chinois n'ont cessé de prendre des parts de marché en Europe : en France de 20 à 67 % !
L'Union européenne a mis en place une politique de protection, pour six mois seulement. Le groupe leader, Deshoulières-Apilco, présent dans mon département, n'en a pas moins perdu la moitié de ses effectifs. Il doit être soutenu par Oseo, même s'il a reçu des capitaux étrangers : pour ce groupe à l'origine du label « origine France garantie », il est invraisemblable de le lui refuser.
Une mesure provisoire ne suffira pas à résoudre les difficultés de la filière porcelainière : il faut des mesures d'accompagnement. Que compte faire le Gouvernement? (Applaudissements à droite et au centre)
M. Michel Teston . - Renault a cédé les parts qu'il détenait dans Volvo AB, avec pour objectif d'investir dans les sites français. Mais Volvo AB contrôle à 100 % Renault Trucks, qui emploie 10 000 salariés en France et fait travailler beaucoup de sous-traitants. Volvo AB décidera désormais seul de l'avenir de Renault Trucks. Or le secteur de poids lourds est en pleine crise -plus encore que l'automobile.
Volvo AB s'est restructurée non par marques mais par zones géographiques ; plus de 4 000 salariés de Renault Trucks sont au chômage partiel depuis janvier 2013. Volvo AB a-t-il donné des garanties sur le maintien des sites de Renault Trucks en France ?
Également présent en France, Iveco, qui fabrique tous ses moteurs à Bourbon-Lancy, et Scania. Qu'envisagez-vous, monsieur le ministre, pour soutenir la filière poids lourds ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 25.
M. Jean-Pierre Vial . - Je me concentrerai sur le secteur de l'énergie, évoqué par le rapport Gallois. Que dire de la décision de la CRE d'autoriser deux centrales de biomasse dans la région du grand sud-est ? On risque de déstabiliser les entreprises de traitement des déchets et de détruire des centaines d'emplois...
La filière électro-intensive doit être défendue : ce sont des dizaines de millions d'emplois qui sont en jeu. La France, qui disposait avec le nucléaire d'une énergie à bas coût, est concurrencée par des pays comme les États-Unis, qui disposent du gaz de schiste, mais aussi par l'Allemagne, où l'énergie est plus chère. Le gouvernement allemand pratique la compensation financière pour les entreprises électro-intensives. L'effacement se voit consacrer un budget de 350 millions, qualifié de subvention à l'industrie. Les besoins de l'industrie en énergie à prix compétitif sont-ils en contradiction avec le développement des énergies renouvelables ? A l'évidence, non.
La transition énergétique doit être régulée et équilibrée, elle ouvre la voie à un nouveau modèle économique qui ne sera pas le modèle allemand mais qui peut inspirer un modèle européen.
En 2012, pour la première fois, la France, qui était exportatrice d'électricité en Allemagne, est devenue importatrice. Le marché de charbon et de l'acier est à l'origine de l'Union européenne ; celle-ci s'est par la suite bien peu préoccupée de son industrie. Ne croyez-vous pas que la transition énergétique soit l'occasion de créer une Europe de l'énergie ? (Applaudissements à droite et sur les bancs UDI)
M. Martial Bourquin . - La désindustrialisation est malheureusement une réalité, avec des dégâts économiques et sociaux impressionnants. On ne peut rien imaginer de pire que la perspective d'une société de travailleurs sans travail, disait Hannah Arendt. Essayons donc de comprendre et d'agir, retrouvons une culture commune pour faire de l'industrie une véritable cause nationale.
La France ne sera pas une grande nation sans un socle industriel puissant : la stratégie doit être globale, volontariste et en même temps de filière ; sans cela, il n'y aura pas de réindustrialisation. Au sein du Conseil national de l'industrie, les partenaires sociaux ont reconnu le volontarisme du Gouvernement et le vôtre, monsieur le ministre.
La stratégie de filière est avant tout une stratégie de coopération. Les grandes entreprises et les PME doivent travailler ensemble au sein d'un écosystème productif qui mêle recherche et développement, dialogue et coopération.
Nous avons besoin d'une montée en gamme, d'innovation dans l'ensemble de l'industrie, et pas seulement dans l'automobile ; le CIR doit également bénéficier aux PME. Un moteur écologique de 2 litres doit être rapidement mis au point pour assurer l'avenir de notre industrie automobile.
Nous avons également besoin d'une politique industrielle européenne, dont la concurrence ne soit pas l'alpha et l'oméga. La question de la réciprocité est primordiale. Les États-Unis ont préservé leur filière photovoltaïque en bloquant en 48 heures l'entrée des panneaux solaires chinois. A quand la même politique en Europe ?
M. Arnaud Montebourg, ministre. - C'est notre demande !
M. Martial Bourquin. - Il n'y aura pas d'avenir industriel sans politique de croissance, sans une politique des énergies renouvelables ou de nouvelles technologies... L'industrie d'hier est morte, construisons celle de demain.
Enfin, les délais de paiement sont beaucoup trop longs et pénalisent les PME -à hauteur de 11 milliards d'euros, autant de cash qui ne va pas à l'investissement et à l'innovation. Une mission gouvernementale m'a été confiée pour réfléchir à une meilleure régulation.
Industrie, investissement et innovation sont les trois mots clé. J'y ajoute la formation. Ayons-les en tête, soyons volontaristes et il y aura un avenir pour notre industrie. Nous y croyons, votre ministère aussi ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Aymeri de Montesquiou . - Jamais un pays n'aura mené une politique à ce point contraire à ses intérêts ; cette formule provocatrice de l'économiste Christian Saint-Étienne nous appelle à réagir et à repenser notre modèle économique et social. Une fiscalité punitive, un marché du travail sclérosé y sont pour beaucoup. Le rapport Gallois est la base d'un futur rebond ; mettez-le en oeuvre ! La Cour des comptes est notre conscience budgétaire ; écoutez-la !
Nos grands groupes sont des vitrines mais ne créent plus d'emplois ; les PME industrielles, elles, en créent. L'investissement est obéré par la complexité administrative et une fiscalité décourageante. Donnons envie à nos étudiants, à nos cadres, aux investisseurs de rester ou de venir en France. En contraignant les moteurs de notre économie à l'exil par la fiscalité et une ambiance hostile, vous rejetez toute une fraction de la population qui fait la prospérité de notre pays. (Exclamations sur les bancs socialistes)
L'absence de dialogue est un problème majeur dans un marché du travail englué dans des procédures administratives kafkaïennes, vicié par une lutte des classes d'un autre âge. Le rapport de forces est-il le seul moyen de négociation ? Provoquez le dialogue entre les entreprises et l'État, entre les entreprises entre elles, entre syndicats et patronat, favorisez le dialogue au sein de l'entreprise. Il faut que tous en aient conscience : un entrepreneur prend des risques, engage ses biens, fragilise sa vie personnelle ; son salaire ne spolie pas ses salariés ! Son intérêt est d'avoir de bons collaborateurs, il doit être équitable, les rémunérer correctement et les responsabiliser grâce à l'intéressement. Si la nouvelle taxation de l'intéressement est contreproductive, le projet de participation des salariés au conseil d'administration est une très bonne initiative.
L'impôt doit être incitatif et juste, ce qui n'est pas contradictoire. Votre fiscalité tue l'envie, or l'envie est un moteur essentiel ; je suis certain que vous en êtes convaincu, monsieur le ministre. Observez le comportement des diplômés des grandes écoles, qui sont nos futurs cadres : combien se destinent à une carrière à l'étranger, sachant qu'ils ne reviendront pas ?
Le CIR est l'exemple même d'une fiscalité incitative. Les plus petites entreprises doivent y avoir accès. Le CICE est incompréhensible, donc très difficilement applicable, alors que la TVA sociale était simple, facile à mettre en oeuvre et permettait de rééquilibrer les échanges.
Simplifiez le droit du travail, libérez les énergies au lieu de les sanctionner par ces Himalaya que sont le code du travail et le code général des impôts. Les entreprises disparaissent parce qu'elles sont dépassées. Les Scandinaves l'ont compris ; sommes-nous capables de l'admettre en France ? Cessons l'acharnement thérapeutique sur les secteurs moribonds. L'industrie a besoin de chercheurs, de cadres, d'entrepreneurs : la formation est essentielle ; il est urgent de créer des passerelles entre les écoles et l'université.
Nous devons parier sur les filières d'avenir et d'excellence, les bio et nanotechnologies, l'agroalimentaire ; le luxe, la mode, le tourisme restent des atouts, ne les gâchons pas par une administration étouffante et une fiscalité stérilisante. Les marges des entreprises françaises sont déjà inférieures de dix points à la moyenne européenne...
Nous manquons de PME et d'ETI. La coopération entre elles et les grands groupes est le chaînon manquant de notre économie. Souhaitons que le pacte PME y remédie afin de dynamiser les relations entre les grands groupes et leurs sous-traitants, ce que savent si bien faire les Allemands.
Une harmonisation fiscale européenne est enfin vitale ! 60 % de notre commerce extérieur se fait en direction de l'Union européenne. Allez-vous relancer le small business act européen ? Oui, la réciprocité est indispensable. Certains grands projets ne peuvent être portés que par l'Union européenne. Pour exister, l'Europe doit jouer un rôle géopolitique.
La gauche ne voulait pas désespérer Billancourt ; il ne faut pas qu'elle désespère ceux qui aiment la France et veulent y réussir ! (Applaudissements sur les bancs UDI et à droite)
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif . - Merci pour ce débat sur le sens de notre politique industrielle. Il est fondamental de s'intéresser à la production. Dans toutes les allégories sous l'Ancien Régime était célébrée la capacité à créer la richesse. Pendant de longues années, une certaine classe dirigeante a théorisé sur la fin des usines en France, comme si l'industrie était une forme de luxe. Mais un pays qui ne produit plus est dans la main de ceux qui produisent ! Si la France ne produit plus, elle s'affaiblit et elle ne peut plus financer son modèle social, ses services publics, ses dépenses militaires, son rayonnement culturel...
Notre désindustrialisation est statistiquement visible, politiquement sensible, socialement douloureuse ; en dix ans, 750 000 emplois industriels ont été détruits, tous sont frappés, de l'ingénieur à l'ouvrier. Après une tempête, lorsque les arbres sont tombés, il faut du temps et beaucoup d'efforts pour les faire repousser. Même chose pour l'industrie : nous vivons une tempête, nous la subissons, à nous de la surmonter. Vous avez fait un diagnostic partagé et beaucoup de propositions partageables. Plutôt que de nous affronter, conjuguons nos efforts. Mon ministère a pris le taureau par les cornes.
Qu'avons-nous fait dans la tempête ? Nous avons fait face. On a raillé mon ministère, brancardier, pompier de service... Mais il n'y a pas de sot métier... Nous avons organisé la riposte avec le Ciri, avec des missions Ciri dans toutes les régions. Il n'y a pas une entreprise, pas un emploi qui ne nous intéresse. Je veux rendre hommage à mon équipe ministérielle, à tous ceux qui travaillent auprès de nous. Il n'y a pas de fatalité ; ne rien faire, c'était accepter par avance la défaite. Nous avons d'abord travaillé à maintenir l'outil industriel -une stratégie à l'allemande. Non, une industrie en difficulté n'est pas condamnée ; ça, c'est la doctrine libérale. Doit-on abattre sans sommation un malade qui se présente à l'hôpital pour permettre aux vivants de continuer à prospérer ? Cette vision malthusienne est absurde, nous en faisons la démonstration tous les jours. Nous avons 1 900 entreprises en difficulté. Parfois, nous arrivons à sauver 100 % des emplois et l'outil industriel ; parfois il faut accepter des sacrifices, que ce soient les actionnaires, les dirigeants, les salariés. Je pense à l'entreprise JM à Strasbourg, tous les emplois sauvés ; aussi à TRW, dans la vallée de la Moselle, 83 emplois sauvés sur 313 mais l'outil préservé... Avec Michel Sapin, nous cherchons toutes les solutions possibles, nous luttons contre la préférence française pour le licenciement.
Nous devons aussi bâtir, reconstruire. Vous avez évoqué divers instruments. Oui, la politique des filières doit être poursuivie. Nous avons engagé le travail de solidarité de filière, les grandes entreprises travaillent avec les petites, les laboratoires privés avec leurs homologues publics, les collectivités locales mettent la main à la pâte. Les médiateurs interviennent lorsque les relations sont difficiles. Et puis il y a la BPI pour financer cette solidarité ; les fonds filières se multiplient.
L'État joue son rôle de leader technologique. Le nucléaire embauchera 110 000 personnes d'ici 2020, l'aéronautique a créé 13 000 emplois l'année dernière. J'ai demandé à la filière automobile où elle en était sur le moteur 2 litres et le moteur zéro émission.
Les grands programmes de développement industriel seront systématisés. Ainsi en est-il pour la filière ferroviaire. En contrepartie de la commande publique, 4 à 5 milliards sur le quinquennat, nous avons fixé à la filière l'objectif d'un TGV du futur pour 2018, qui consomme moins et qui emporte 300 passagers de plus par rame.
Mme Archimbaud a évoqué la transition écologique. Le sujet est important ; selon Nicolas Hulot, il faut choisir entre des différents impossibles. Nous travaillons avec les différents acteurs sur des orientations stratégiques partagées, le photovoltaïque, l'éolien, le stockage de l'énergie...
Beaucoup de remarques se sont concentrées sur les outils. Que faire du grand emprunt ? J'ai évoqué le travail sur les filières, un grand programme de renouveau industriel sera prêt en juillet. 28 milliards ont été engagés au titre des investissements d'avenir, il en reste un peu ; le Premier ministre a arbitré pour un redéploiement vers l'industrie et l'innovation. Le CIR, mesure d'unité nationale, a été inventé par M. Jean-Pierre Chevènement, amplifié par M. Sarkozy et sanctuarisé par François Hollande. (Exclamations à droite)
Le CICE sera un outil à l'usage des partenaires sociaux dans les entreprises, un outil de dialogue social. Les accords du 11 janvier montrent comment ils peuvent s'en emparer pour sauver des emplois. Les salariés font des efforts, les employeurs et les actionnaires aussi, l'équilibre des concessions est un progrès. La préservation de l'emploi est une priorité.
20 milliards sont sur la table au titre du CICE ; c'est un effort historique, toute la nation doit se mobiliser. Le Premier ministre a arbitré en faveur de la stabilité fiscale dans cinq domaines : c'est la première fois qu'un gouvernement s'engage ainsi sur cinq ans.
Je rappelle au passage que nous ne sommes au pouvoir que depuis huit mois : M. de Montesquiou attaque non la gauche mais la France quand il s'en prend à l'administration. (Exclamation à droite) La bureaucratie inutile ne date pas d'hier. Des gouvernements qu'il soutenait ont été au pouvoir pendant dix ans et n'ont rien fait ! (Exclamations à droite) J'ai ainsi découvert dans mon ministère une commission de la paperasse qui n'a rien fait non plus !
Nous allons nous attaquer aux normes. (Exclamations à droite) Le Conseil national de l'industrie est un outil pour rassembler l'ensemble des forces de production. Il s'exprimera sur l'euro trop fort, il mènera le débat avec le Parlement sur les questions industrielles. Nous avons là un mini parlement de l'industrie.
Vous avez été nombreux à évoquer la politique européenne. Les États qui ont résisté dans la crise sont ceux qui ont été les plus unis. C'est pourquoi mon travail consiste à rassembler les Français autour du made in France, qui progresse dans les têtes : 77 % des Français sont prêts à payer plus cher un produit fabriqué en France. Quant aux producteurs, certains refont leurs calculs... Les salaires comme le prix de l'énergie sont en train de monter dans les pays émergents, les coûts de la logistique augmentent. Smoby, Atoll, Rossignol relocalisent, beaucoup d'autres y songent.
Cet engouement est un phénomène de société, nous devons prendre appui sur lui. La mobilisation passe par le financement de l'innovation, par l'hommage que la société peut accorder à ceux qui prennent des risques, par l'attention portée au design, par le mentorat, par une politique à destination des PME. Tout cela ne peut se faire sans données macro-économiques plus favorables ni réorientation de la politique européenne.
La bataille a commencé dès juin pour cette réorientation vers la croissance. Pour ce qui me concerne, le travail a commencé il y a plusieurs mois. La réciprocité est indispensable : nous devons pouvoir nous prémunir contre l'arme monétaire et le dumping social ou environnemental. Nous avons créé Reach, les normes CO2, mais il faut mettre à parité les règles du jeu mondial. L'arbitrage n'est pas entre la France et l'Allemagne mais entre l'Europe et le reste du monde. Il faut imposer la taxe carbone aux frontières, je l'ai dit à Bruxelles, pour que la compétition soit équilibrée. Même chose sur le plan social. Nous devons nous défendre. Les polémiques ne manquent pas avec la Commission, mais elle a déjà pris des mesures contre les importations de porcelaine chinoise, évoquées par le sénateur de la Vienne. Même chose pour les aciers spéciaux ou le photovoltaïque. L'Union européenne commence à se réveiller. Est-ce suffisant ? Certes non ! Les règles du jeu mondial doivent encore évoluer.
La France et l'Allemagne veulent un assouplissement des règles tatillonnes sur les aides d'État. Aujourd'hui, les pays émergents investissent des milliards dans les nouvelles technologies, mais les Européens s'interdisent tout investissement étatique. A nous de nous défendre, de favoriser la recherche, l'innovation. Le commissaire européen s'est fixé pour objectif que l'industrie représente 20 % du PIB européen d'ici 2020 ; l'ambition est considérable et suppose que les politiques de l'Union européenne soient révisées à cette aune, politique de la concurrence, politique commerciale au premier chef.
Nous avons besoin de votre soutien, dans cette période de transition d'une ère à une autre. Jules Ferry disait à Vierzon, en 1883, dans un lycée d'enseignement professionnel : « Sur le champ de bataille industriel, les nations peuvent tomber et périr. On peut être surpris par excès de confiance ou adoration de soi-même, on peut perdre en peu de temps une supériorité jusqu'alors incontestée. C'est à ce grand danger que doit parer notre enseignement professionnel. Relever l'atelier, c'est relever la patrie ! ». Tel est l'esprit dans lequel travaille le Gouvernement. La France a besoin de toutes les énergies, à vous de les lui donner. (Applaudissements à gauche)
présidence de M. Jean-Pierre Bel