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Table des matières
Demande d'avis sur une nomination
Bureau des douanes de Port-la-Nouvelle
Fermeture de la succursale biterroise de la Banque de France
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
Filière tabacole en Charente-Maritime
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt
Compensation de la fermeture de la base aérienne de Cambrai
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
Attribution de l'ordre national du Mérite aux officiers de gendarmerie
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
Réforme de la fiscalité de l'aménagement
Permanence des soins de nuit dans la Drôme
Prolongement du TGV Paris-Saint-Étienne
Quelle place pour les langues régionales dans le projet de loi d'orientation pour l'école ?
Respect de la laïcité dans le sport
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur
Égalité des femmes et des hommes dans le sport
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur
Déclassement du domaine public communal
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur
Abus de la liberté d'expression
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur
Affectation du versement transport
Avenir de la filière photovoltaïque
Stationnement en Seine-Saint-Denis d'un train chargé de déchets nucléaires
Question prioritaire de constitutionnalité
Avis de l'Assemblée de la Polynésie française
Débat sur les nouveaux défis du monde rural
M. Gérard Bailly, pour le groupe UMP
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt
Débat sur la politique étrangère
M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères
SÉANCE
du mardi 19 février 2013
62e séance de la session ordinaire 2012-2013
présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président
Secrétaires : M. Alain Dufaut, Mme Catherine Procaccia.
La séance est ouverte à 9 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Marcel Cavaillé, qui fut sénateur de la Haute-Garonne de 1971 à 1982.
Demande d'avis sur une nomination
M. le président. - Conformément aux dispositions de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et en application de l'article R. 131-6 du code de l'environnement, M. le Premier ministre, par lettre en date du 14 février 2013, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l'avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Bruno Léchevin à la présidence du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Cette demande d'avis a été transmise à la commission du développement durable.
Dépôt d'un rapport
M. le président. - M. le président du Sénat a reçu de M. Philippe Deslandes, président de la Commission nationale du débat public, le rapport d'activité de cette commission, établi en application de l'article L. 121-7 du code de l'environnement. Il a été transmis à la commission du développement durable et est disponible au bureau de la distribution.
Questions orales
M. le président. - L'ordre du jour appelle vingt questions orales.
Bureau des douanes de Port-la-Nouvelle
M. Roland Courteau . - À ma grande stupéfaction, j'ai appris un jour par les organisations syndicales, puis le lendemain par le président de la Chambre de commerce et d'industrie de Narbonne, et enfin par la presse, la suppression programmée du poste de douanes de Port-la-Nouvelle dans l'Aude.
Je déplore cette décision de l'administration des douanes. Deuxième port de Méditerranée pour les céréales et les hydrocarbures, Port-la-Nouvelle fait l'objet d'un projet de développement qui a vu s'ouvrir un débat public portant sur les 200 millions d'euros d'investissement pour son agrandissement. C'est le moment choisi pour annoncer, non pas un renforcement du service des douanes, mais sa suppression - funeste nouvelle, alors que le développement du port ne peut se faire sans le service des douanes. Allez y comprendre quelque chose ! Madame la ministre, dites à M. le ministre du budget de ne pas aller à contresens des perspectives de ce port, moteur de développement pour l'économie et l'emploi dans l'Aude et tout le sud de la France. Montrez, en refusant de valider ce projet, ce qu'est une vraie concertation, prouvez que vous rompez avec des méthodes révolues.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger . - L'implantation des services publics sur le territoire est une préoccupation majeure du Gouvernement, qui entend trouver un juste équilibre entre les besoins des territoires et des populations et le nécessaire rétablissement des comptes publics. Chacune des propositions d'évolution est validée par les ministères. Administration de service, la douane accompagne les entreprises à l'international, dans le cadre du pacte de compétitivité, en tournant tous ses efforts vers le zéro papier, vers l'analyse du risque afin de s'adapter aux enjeux réels de la fraude et de réduire les délais de traitement. L'organisation du réseau de dédouanement s'inscrit dans ce cadre. L'activité dédouanement de ce bureau ne supporte qu'1 % environ du trafic enregistré dans l'interrégion de Montpellier. Port-la-Nouvelle est l'un des principaux ports de Méditerranée, mais la douane n'intervient pas sur les opérations intracommunautaires. Sète pourrait récupérer le contrôle des hydrocarbures, en raison de son expertise, et Perpignan les opérations résiduelles de dédouanement. Des contrôles ciblés sur place pourraient continuer à être pratiqués. La réactivité de la douane sera préservée.
Il faut néanmoins tirer toutes les conséquences du plan de développement de Port-la-Nouvelle qui n'a été que récemment porté à la connaissance de l'État. Aucune décision ne sera prise avant le deuxième semestre 2013. Nous entendons rompre avec la RGPP en privilégiant la concertation avec les usagers et les agents. Cela n'empêche pas de refuser l'immobilisme. Mais nous écoutons et tenons compte des positions de chacun. Le ministre du budget ne manquera pas de vous faire part de la décision finale.
M. Roland Courteau. - L'ensemble des acteurs économiques concernés compte sur le Gouvernement. Nul ne comprendrait un désengagement de l'État au moment où tout est mis en oeuvre pour donner à ce port une autre dimension ; la douane est un maillon essentiel pour le bon fonctionnement du port. Nous vous faisons confiance, ne nous décevez pas !
TVA sur l'eau
M. Michel Doublet . - La Commission européenne a adopté, le 6 décembre 2011, une communication sur l'avenir de la TVA, simplifiant les procédures pour les entreprises et augmentant l'assiette.
La Commission préconise de restreindre la liste des activités pouvant bénéficier du taux réduit. Une consultation publique vient d'être close. Sont particulièrement visés les secteurs de l'eau, de l'énergie, des déchets. Dans le secteur de l'eau, les investissements pourraient baisser pour minimiser l'impact sur le consommateur de la hausse du taux de TVA. Quelle est la position du Gouvernement sur la taxation du secteur de l'eau, sachant que nous n'en sommes qu'au préambule du processus d'élaboration d'une directive européenne ?
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger . - La Commission européenne a préparé un questionnaire public fin 2012, destiné aux États et aux opérateurs économiques. Elle demande les arguments à faire valoir à propos de l'évaluation de la TVA sur l'eau, avec l'idée qu'un renchérissement de l'eau limiterait le gaspillage. La France a répondu clairement : elle considère que le taux réduit doit continuer à s'appliquer sur ce produit de première nécessité pour les ménages. Le passage au taux normal pénaliserait leur pouvoir d'achat sans grande incidence sur la consommation. La France et d'autres États s'y opposeront vigoureusement, sachant qu'en matière de fiscalité, conformément au Traité, l'unanimité est requise.
M. Michel Doublet. - Merci pour votre réponse qui nous rassure.
Fermeture de la succursale biterroise de la Banque de France
M. Raymond Couderc . - La Banque de France a annoncé, à l'automne dernier, son intention de restructurer son réseau, avec 2 500 suppressions d'emplois à la clé. Dans l'Hérault, les sites de Béziers et Sète sont menacés. À Béziers, la caisse de la banque serait fermée dès 2014, puis le bureau de surendettement et le bureau de cotation des entreprises. C'est un non-sens quand on sait que ce guichet a reçu 8 000 personnes pour le surendettement et que le nombre de dépôt de dossiers a augmenté de 50 % entre 2007 et 2011.
Le rôle des bureaux de proximité est majeur, il garantit le contact humain. Tous les acteurs économiques ont fait savoir leur désaccord avec ce projet de la Banque de France, dont les antennes locales ont tout leur rôle à jouer. Quelle mesure le Gouvernement entend-il prendre pour les maintenir comme interlocuteurs privilégiés des entreprises et des particuliers ?
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger . - M. Moscovici vous prie de l'excuser, il est en déplacement. La Banque de France est une autorité indépendante, mais l'État lui a confié certaines missions, comme la gestion du surendettement. Elle a engagé une réflexion sur l'optimisation de son organisation. Le Gouvernement a présenté au Comité central d'entreprise (CCE) du 21 septembre dernier, un plan de réorganisation qui concerne à la fois l'activité fiduciaire et tertiaire de la banque. L'État est attaché au maintien d'une couverture territoriale importante. Une implantation infra-départementale doit être assurée là où l'activité le justifie. C'est le cas dans les villes où la banque reçoit plus de 1 000 visiteurs par an ; 35 centres de gestion partagée et 40 centres de traitement partagé assurent respectivement le traitement des dossiers de surendettement et la cotation des entreprises.
Pour l'activité fiduciaire, le maillage du territoire sera assuré à partir de deux nouveaux centres en Seine-Saint-Denis et dans le Nord, avec un centre d'appui à Chamalières et 29 caisses qui assureront la sécurité des implantations et des transports. Ce n'est pas une activité qui implique le contact avec le public. Le plan de fermeture de caisses sera très progressif et accompagné d'un plan social très important. Compte tenu des départs en retraite, seuls 175 agents seront reclassés géographiquement ou fonctionnellement. Ce plan sera mis en oeuvre sans licenciements. La région Languedoc-Roussillon sera couverte par cinq unités permanentes. L'antenne économique de Béziers sera remplacée par un bureau d'accueil et d'information, et Montpellier verra son rôle accru pour répondre aux besoins des populations et des entreprises de la région. L'État sera attentif à la qualité du dialogue notamment avec les élus locaux qu'il est de la responsabilité de la Banque de France de mener.
M. Raymond Couderc. - Votre réponse n'apaise pas mes craintes. Les bureaux d'accueil sont des coquilles vides. Le Biterrois, c'est 300 000 habitants, - plus que certains départements ! - qui seront éloignés des services destinés à traiter leur dossier. La Banque de France doit négocier : au Gouvernement de l'y inciter.
Ouvriers d'État de la défense
M. Jean-Pierre Godefroy . - Ma question porte sur les bordereaux trimestriels des ouvriers d'État du ministère de la défense, suspendus depuis près de deux ans. Suspendus en 1977, les bordereaux de salaire ont été débloqués en 1981 par Pierre Mauroy. Si rien n'est fait, les jeunes ouvriers finiront leur carrière en deçà du Smic.
Le Sénat a voté mon amendement sur l'accès à la participation du personnel mis à disposition, amendement retoqué en CMP. Or il me paraît nécessaire. Je suis en outre préoccupé par l'application des jours de carence à ce personnel, qui pourrait avoir le sentiment de ne pas être considéré comme faisant partie des effectifs.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense . - Vous connaissez bien ce sujet, moi aussi. Le salaire horaire des ouvriers d'État varie selon leur affectation, en vertu des décrets salariaux de 1951 et 1967 qui prévoient les modalités de revalorisation annuelle. La programmation budgétaire triennale 2011-2013 a prévu en plus du gel du point d'indice de la fonction publique, la suspension des bordereaux. Le 2 octobre 2012, j'ai annoncé aux organisations syndicales l'ouverture de plusieurs chantiers relatifs aux ressources humaines. Parmi eux, ce dossier des modalités de rémunération et de recrutement potentiel des ouvriers d'État. Je suis bien conscient des difficultés actuelles. Je souhaite que l'on en sorte par le haut. J'ai demandé au groupe de travail de me faire des propositions en ce sens, pour prendre une décision juste. La question du personnel mis à disposition en fait partie. Je suis très attaché à ce dossier, comme vous.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Merci.
Filière tabacole en Charente-Maritime
M. Daniel Laurent . - Je tiens à vous faire part des inquiétudes des producteurs de la filière tabacole de France et de Charente-Maritime, qui doit se moderniser et bénéficier de prix commerciaux revalorisés. Dans le cadre des mesures 121C2 et 121C6 du programme de développement rural hexagonal, les exploitations peuvent bénéficier d'aides à l'investissement, d'autres aides provenant de FranceAgrimer et du Feader. Les producteurs ont donc investi dans l'esprit du développement durable. Or en Poitou-Charentes, les aides ont baissé de plus de 25 %, ce qui met en difficulté les planteurs. Le sud de la Charente-Maritime est particulièrement concerné.
Les coopératives sont confrontées à la baisse des surfaces et à la diminution du nombre des producteurs. Le marché international est déséquilibré, depuis l'arrêt du soutien direct via la PAC, qui a boosté la concurrence des pays émergents. Il est impératif de reconduire les aides à la qualité dans le cadre de la réforme de la nouvelle PAC. Quelles mesures comptez-vous prendre en faveur des producteurs de tabac, monsieur le ministre ?
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt . - L'aide aux investissements financée par FranceAgrimer s'élève à 1,4 million d'euros. Le dispositif régional a engagé plus de 85 % des aides. L'ensemble des fonds prévus pour la région seront bien utilisés.
L'aide à la restructuration du Feader, de 9 000 euros par exploitation n'a pas été ouverte par le conseil régional.
La troisième aide, à la qualité du tabac, ouverte au titre de l'article 68, s'élève à 9 millions d'euros par an pour 2012-2013.Un acompte de moitié a déjà été versé pour l'année 2012. Je suis particulièrement attentif à ce que ces aides soient attribuées. La filière tabacole doit s'adapter et se spécialiser dans une production de qualité, pour des raisons de santé publique. D'où l'importance de ces aides. Soyons ensemble tournés vers l'aide à la filière pour qu'elle s'adapte. La réforme de la PAC prendra peut-être un peu plus de temps que prévu, ce qui doit permettre de consolider cette filière en veillant à ce que la restructuration en cours n'oublie pas les producteurs de votre région.
M. Daniel Laurent. - Je serai vigilant. Même si l'on peut décrier le tabac, il génère des emplois en milieu rural. De nombreuses exploitations ont déjà disparu.
Compensation de la fermeture de la base aérienne de Cambrai
M. Jacques Legendre . - J'exprime le cri d'angoisse de tout un territoire qui a vu fermer cet été la base aérienne 103 de Cambrai, soit 1 500 emplois sur un territoire de 150 000 habitants - fermeture décidée par le précédent gouvernement pour des motifs que nous ne discutons pas. Mais il était prévu des mesures compensatoires. Vous avez estimé, monsieur le ministre, qu'il n'y avait plus lieu de transférer un autre service du ministère de la défense à Cambrai. Cette décision a d'autant plus angoissé notre territoire qu'il est très touché par les fermetures d'usines, à commencer par celle de Doux, ainsi que par la remise en cause du canal Seine-Nord Europe. Certains collègues, sénateur communiste et maire de Cambrai, ont été reçus la semaine dernière à Matignon. Pour ma part, j'ai reçu, le 21 janvier, du préfet du Nord, une lettre m'annonçant qu'il n'était pas possible de prolonger les mesures d'aides financières au titre des zones de restructuration de la défense. On ne peut dire non à tout. Notre territoire ne se remet pas de la situation.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense . - Nous avons déjà évoqué ensemble à plusieurs reprises votre préoccupation. Vous avez rappelé que cette décision a été prise par le gouvernement précédent. Je la suis parce qu'elle est nécessaire. Au transfert annoncé d'un service du commissariat général des armées a succédé, quand je suis arrivé, la création d'un centre d'expertise et d'analyse des coûts de 200 personnes qui n'était pas justifiée, à mes yeux, car redondante. Le tribunal administratif de Paris a rejeté la contestation de cette décision. Je suis très attentif à la situation de votre territoire. Je vous ai reçu récemment avec le président de la région. Je suis très attentif aux possibilités de créations d'emplois. Je prends connaissance à l'instant de la décision du préfet, et prends l'engagement de revoir ce point pour accompagner une reconversion que je sais difficile.
M. Jacques Legendre. - Je suis satisfait que nous ayons sur ce dossier un débat apaisé, mais il ne règle pas le problème...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je sais.
M. Jacques Legendre. - ... qui est sérieux : 1 500 emplois perdus dans une ville moyenne. Vous avez estimé que les emplois promis n'étaient pas pertinents. Ce qui compte pour nous, c'est l'implantation d'emplois ! Nous avons le sentiment que l'administration militaire n'a pas tenu l'engagement pris au plus haut niveau, ce qui est grave. Dans la conjoncture actuelle, il est très difficile d'attirer des projets industriels. Nous avons besoin de réponses concrètes.
Attribution de l'ordre national du Mérite aux officiers de gendarmerie
M. Jean-Pierre Leleux . - La réalisation du Plan d'adaptation des grades aux responsabilités exercées (Pagre) en gendarmerie entre 2005 et 2010 a conduit les 4 500 sous-officiers les plus méritants à intégrer le corps des officiers. Ils ne peuvent plus prétendre à la prestigieuse médaille militaire et n'atteindront pas les conditions d'ancienneté requises pour se voir décerner l'ordre national du Mérite, en dépit de leur engagement sans faille au service de l'État et de la population, souvent au péril de leur vie. Ils quitteront le service de la Nation sans autre décoration que la médaille de la défense nationale. Il semble légitime et nécessaire d'octroyer à la gendarmerie sur cinq ans un contingent exceptionnel supplémentaire de croix du Mérite pour manifester à ces valeureux militaires la reconnaissance de la Nation.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense . - Les conditions d'attribution de l'ordre national du Mérite n'empêchent nullement les officiers issus du rang de l'obtenir. La situation est connue et prise en compte par mes services. Toutefois la sélection des candidats ne peut être fondée sur la seule ancienneté de service. Ce sont les mérites individuels qui sont pris en considération.
Il est vrai que le contingent annuel de la défense a été réduit de 1 500 à 1 200 par le précédent gouvernement, mais la répartition interne au ministère garantit une totale équité entre les services.
M. Jean-Pierre Leleux. - Il m'avait semblé que la réalisation du Pagre empêchait les sous-officiers en ayant bénéficié de prétendre à une nomination dans l'ordre national du Mérite. Je prends acte de votre réponse et vous remercie.
La séance, suspendue à 10 h 30, reprend à 10 h 35.
Réforme de la fiscalité de l'aménagement
M. Francis Grignon . - L'application de la réforme de la fiscalité de l'aménagement inquiète les élus. L'article L. 331-6 du code de l'urbanisme prévoit une taxe d'aménagement, y compris pour des petites constructions : ainsi, pour un abri de jardin de 7,35 m² la taxe s'élève à 303 euros : plus que le coût des matériaux ! On entrevoit bien les problèmes que cela peut entraîner. Les gens ne déclareront plus. Ne peut-on aménager cette taxe ?
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation . - Merci de cette question de bon sens. La réglementation prévoit une taxe locale d'équipement pour tous les bâtiments jusqu'à 20 m², au-delà de 5 m². Tout le monde s'est ému des difficultés qu'entraîne cette situation : l'Assemblée nationale avait adopté un amendement au budget 2012 pour y remédier, mais il n'a pu être repris ici... Avec Mme Duflot et Mme Lebranchu, nous nous sommes engagées à revoir ce dispositif pour faire triompher le bon sens !
M. Francis Grignon. - Dans un premier temps, je conseillerais de ne pas excéder 5 m². Je vous fais confiance pour régler le problème.
Permanence des soins de nuit dans la Drôme
M. Didier Guillaume . - Les élus des territoires ruraux et les professionnels de santé s'inquiètent de la suppression des permanences de soins ambulatoires de nuit par l'Agence régionale de santé (ARS) - les gardes dites de nuit profonde, de minuit à 8 heures - dans la Drôme. Le médecin régulateur filtre les appels et les renvoie au Samu ou aux pompiers. La mission confiée aux médecins libéraux leur permet de vivre de leur profession en milieu rural : la leur ôter les conduirait à quitter le territoire. Le médecin local connaît les patients, il peut faire un diagnostic solide, apporter les premiers secours, voire faire le geste qui sauve, en peu de temps. La population veut garder sa médecine de proximité. Le pacte santé-territoire vise à garantir pour tous l'accès aux soins urgents. Cette décision ne va pas dans le sens de la lutte contre les déserts médicaux. Que compte faire le Gouvernement ?
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation . - Veuillez excuser Mme Touraine, retenue à Matignon. Je connais, en tant qu'élue locale, les difficultés que vous soulignez. Le nouveau cahier des charges des soins ambulatoires publié par l'ARS de Rhône-Alpes évoque le problème. Le plan santé-territoire y répond. Dans ce cadre, l'ARS Rhône-Alpes a décidé de supprimer les gardes de nuit profonde - citées par les jeunes médecins comme un obstacle à l'installation dans ces zones - quand on y recense moins d'un acte par semaine : à la Chapelle-en-Vercors, six actes en 2011 ! Je pourrais citer bien d'autres exemples.
L'ARS travaille à assurer l'accès de tous à des soins urgents de qualité dans un délai de trente minutes conformément à l'engagement du président de la République. La création des médecins correspondants du Samu est une solution pertinente. Pour s'assurer de la bonne organisation de la permanence des soins et de l'aide médicale d'urgence, l'ARS fera le point avec tous les médecins concernés le 27 février prochain à Valence.
M. Didier Guillaume. - J'y serai. Dans le cadre du pacte territoire-santé, il faut tenir compte des zones très rurales, loin de l'approche purement comptable de la RGPP. Là où il y a déjà des médecins, gardons-les ! Les gardes en nuit profonde leur apportaient un complément de revenu indispensable. N'éloignons pas les malades des médecins. En zone rurale, on ne raisonne pas en kilomètres, mais en temps de parcours. Les hôpitaux de Gap, Valréas et Orange sont loin des campagnes drômoises. La santé de nos concitoyens doit être une priorité, ces territoires ruraux ne doivent plus être les grands oubliés de la République.
Prolongement du TGV Paris-Saint-Étienne
M. Jean Boyer . - Comme l'a fait le député Laurent Wauquiez, j'interpelle à mon tour le Gouvernement sur la proposition visant à prolonger l'arrivée du TGV Paris-Saint-Étienne jusqu'à Firminy. Firminy, c'est la porte de la Haute-Loire, mais aussi de l'Ardèche et de la Lozère ! Ce voeu - nous en émettons qui ne sont pas des rêves - pourra-t-il voir le jour ?
Je prends depuis douze ans le TGV deux fois par semaine entre Paris et Le Puy. Le trajet dure entre cinq heures et cinq heures dix minutes. Croyez-moi, un arrêt à Firminy serait bien utile pour beaucoup de gens, et rationnel !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation . - Élue rurale, je sais ce qu'est l'enclavement. Le prolongement de la ligne TGV jusqu'à Firminy, qui irriguerait la Haute-Loire et la Lozère, poserait toutefois plusieurs difficultés. Le coût des travaux nécessaires et le surcoût d'exploitation ne permettent pas en l'état, selon la SNCF, l'extension de la desserte. Cela ne préjuge pas d'un aménagement financé par les collectivités locales demanderesses. La dette du système ferroviaire dérive chaque année. Le TGV n'a pas vocation à desservir toutes les gares, la Cour des comptes l'a rappelé, mais doit être finement coordonné avec les autres lignes, notamment les TER. La liaison Firminy-Paris se fait avec une correspondance à Saint-Étienne ou à Lyon ; le temps de parcours varie entre trois heures huit minutes et quatre heures quarante minutes.
M. Jean Boyer. - Votre réponse ne me surprend guère. S'il y avait un relais TER jusqu'à Firminy pour chacun des cinq TGV quotidiens arrivant à Saint-Étienne, ce serait déjà un grand progrès !
Interdictions de l'amiante
Mme Michelle Demessine . - L'Association des victimes de l'amiante organisait récemment un colloque au Sénat, intitulé Pour un monde sans amiante. L'objectif était de créer une sorte de multinationale des victimes de l'amiante pour lutter contre les entreprises, également multinationales, qui continuent d'utiliser ce produit, véritable bombe à retardement pour la santé publique - 100 000 victimes en France d'ici à 2025. Le lobby de l'amiante s'accommode mal de l'interdiction française, et l'annexe VII du Règlement européen Reach permet des dérogations. L'Allemagne notamment s'est engouffrée dans la brèche et a importé des dizaines de tonnes de fibres ; ces dérogations brouillent le message de l'Union européenne et exposent les populations à des risques inacceptables.
Il faut viser une interdiction mondiale de l'amiante et mettre fin au double standard entre pays développés et en voie de développement, les premiers exportant une épidémie de cancers dans les seconds où 125 millions de travailleurs sont exposés. Que compte faire le Gouvernement sur le plan diplomatique, pour débarrasser l'Europe et le monde de ce fléau ?
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation . - Veuillez excuser M. Cazeneuve, qui accompagne le président de la République en Grèce. Les dérogations permises par l'annexe XVII du règlement européen Reach pour les diaphragmes ont été revues en février 2009 ; les interdictions de mise sur le marché d'articles où l'amiante a été installée avant 2005 ont été renforcées ; toutefois, les pièces détachées d'un article concerné par la dérogation ne bénéficient pas de la même dérogation.
La Commission s'est engagée à élaborer des documents de restriction et à définir une liste harmonisée limitative au niveau communautaire. Les États membres devaient communiquer les dérogations à la Commission en 2011 ; en janvier 2013, celle-ci a saisi l'Agence européenne des produits chimiques, notamment concernant les diaphragmes contenant de la chrysolite. La France encouragera la Commission à limiter les marchés de seconde main et à contribuer à la substitution technologique. Elle lutte avec détermination pour l'interdiction totale de l'amiante.
Mme Michelle Demessine. - Dès que l'on ouvre une brèche, certains s'y engouffrent. Je me réjouis de la position de la Commission. Il faut bannir l'amiante sous toutes ses formes, agir au niveau international. Le Brésil progresse, encourageons ces évolutions !
Quelle place pour les langues régionales dans le projet de loi d'orientation pour l'école ?
M. Georges Labazée . - Quelle place pour les langues régionales dans le projet de loi de programmation et d'orientation pour l'école. Je salue ce texte ambitieux. N'oublions pas toutefois les langues régionales : elles sont notre patrimoine. Mon département s'enorgueillit des langues basque, béarnaise, occitane. Certes, l'article L. 312-10 du code de l'éducation, qui dispose que l'enseignement des langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité, ne sera pas modifié, mais l'absence de référence aux langues régionales dans le texte est regrettable. En attendant la ratification de la Charte européenne des langues régionales, réaffirmons l'importance de ces langues et de leur enseignement. Quelles sont les intentions du Gouvernement ? Entend-il étendre au premier degré l'application de l'article L. 151-4 du code de l'éducation ?
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, chargée de la réussite éducative . - Je veux souligner la continuité de notre action pour défendre les langues régionales - consacrées par l'article 75-1 de la Constitution, malgré l'hostilité des moins progressistes ! La loi de 2005 sur l'avenir de l'école a affirmé la possibilité pour les élèves qui le souhaitent de suivre un enseignement en langue régionale dans la région où elle est en usage. Environ 272 000 élèves pratiquent ainsi l'une des onze langues régionales reconnues, le nombre d'élèves intéressés a augmenté de 20 %. En Guyane, où je suis allée récemment, 80 % des enfants ne parlent pas le français à la maison ; des intervenants en langue maternelle y épaulent les instituteurs ; il faut reconnaître la dignité de cette langue.
Le projet de loi pour la refondation de l'école de la République ne fait pas référence aux langues régionales, en effet. Le choix a été de privilégier un nombre limité d'objectifs. La loi ne doit pas répéter ce qui existe ailleurs dans le droit, ni comporter des mesures d'ordre réglementaire - le Conseil constitutionnel y veille ! Le débat sera l'occasion de reparler de ces questions, mais attention à ne pas fragiliser la loi. La ratification de la Charte européenne des langues régionales est toujours à l'étude.
M. Georges Labazée. - Distinguons bien l'enseignement de la langue et l'enseignement dans la langue. Le bilinguisme doit être encouragé et bénéficier du soutien de l'État.
Respect de la laïcité dans le sport
M. Jacques Mézard . - Ma question s'adresse à Mme la ministre des sports. Je ne doute pas, monsieur le ministre de l'intérieur, que vous êtes qualifié pour y répondre...
Le 5 juillet dernier, la Fédération internationale de football (Fifa) autorisait le port du voile islamique pour les joueuses en compétition officielle - ce qui est contraire à ses règlements. Si la Fédération française en a pris acte, elle a réitéré son refus d'autoriser les joueuses à porter le voile, au nom du principe constitutionnel de laïcité, auquel les radicaux sont viscéralement attachés.
La décision de la Fifa est toutefois un signal lourd de sens à destination du monde du sport amateur et scolaire.
M. Jacques Rogge, président du Comité international olympique (CIO) explique que le port du voile ou du turban n'est pas incompatible avec la Charte olympique ni plus gênant que le port d'une croix. La Fédération mondiale de karaté vient récemment d'autoriser le port du hijab, peut-être pour obtenir le soutien de certains États pour faire de cet art martial une discipline olympique. Comment le Gouvernement compte-t-il faire respecter le principe de laïcité dans le sport professionnel et amateur ?
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur . - Veuillez excuser Mme Fourneyron. La décision de la Fifa est un important et inquiétant changement de doctrine. Une période de test a été ouverte jusqu'en mars 2014. Cette décision heurte la conception française de neutralité dans la pratique sportive, qui puise dans les valeurs universelles, à commencer par l'émancipation des femmes. Le sport doit rester un moyen d'apprentissage du vivre ensemble et d'éducation à la citoyenneté. Je sors du comité interministériel de la politique de la ville. Élu de banlieue parisienne, je sais la chape de plomb de machisme et de conservatisme qui pèse sur les jeunes filles dans certains quartiers, qui peuvent s'émanciper grâce à l'école et à d'autres activités sociales, dont le sport.
Le Gouvernement a soutenu la décision de la FFF de refuser le port du voile dans les compétitions nationales - tout en veillant à ne pas écarter certaines de la pratique sportive. Les athlètes doivent rester un exemple pour la jeunesse. La laïcité, garantie de paix et de concorde civiles, crée des limites à l'expression des préférences religieuses. L'Observatoire de la laïcité se saisira de ce sujet délicat. Nous serons vigilants sur l'application des lois. La laïcité reste un combat moderne, adapté à notre temps et porteur d'espoirs partout où les femmes se battent pour leur dignité.
M. Jean-Michel Baylet. - Très bien !
M. Jacques Mézard. - Merci de cette réponse, monsieur le ministre. Je connais vos convictions. Quand il s'agit de liberté, on ne saurait transiger. L'État doit veiller au respect du principe de laïcité. Voir des femmes revêtues d'un hijab sur un tatami ou un terrain de sport, c'est une aberration et un recul des libertés.
Égalité des femmes et des hommes dans le sport
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Je partage ces inquiétudes. Présidente de la Délégation sénatoriale aux droits des femmes, je m'inquiète des décisions de la Fifa, qui a modifié les règles du jeu pour les adapter au hijab dont la Fédération de karaté a aussi autorisé le port à partir de janvier 2013, tout en précisant qu'il « est réservé aux femmes ». Ces décisions violent la Charte olympique, qui proscrit toute entorse au principe de neutralité du sport et toute discrimination. Ces dérives sont inacceptables. Le Gouvernement a fait de la défense de l'égalité des hommes et des femmes un axe fort de sa politique. Que compte-t-il faire ?
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur . - Je me réjouis de votre question ; il est bon que l'on se préoccupe de laïcité sur tous les bancs. Les instances internationales du sport n'ont pas la même position que la France. Le CIO, composé majoritairement d'hommes, sans doute sensible au poids de certains pays, a autorisé le port du voile aux jeux Olympiques de Londres. La position du gouvernement français est claire : on ne met pas de voile pour faire du sport. Les valeurs d'égalité et de mixité doivent primer. Or les récentes décisions stigmatisent et discriminent : en couvrant les femmes d'un voile, on veut les soustraire aux regards de tous. Le sport est un formidable outil de lutte contre l'échec scolaire, d'émancipation et de réussite. Le Gouvernement souhaite que le monde sportif soit vigilant : le sport ne doit pas devenir un lieu de tension, de sexisme ou d'exclusion.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Merci de la fermeté de votre réponse. En effet, il faudrait que les instances internationales du sport comptent davantage de femmes. Il serait paradoxal, à l'heure où le Gouvernement défend la parité et les droits des femmes, que l'on enregistre de tels reculs sur le territoire. Nous devons tous nous mobiliser.
Déclassement du domaine public communal
M. Henri Tandonnet . - L'État et ses établissements publics sont dispensés du déclassement des dépendances du domaine public, en vertu de l'article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP). Le déclassement par anticipation, avant que l'immeuble ne soit matériellement désaffecté, permet aux hôpitaux, par exemple, de financer la construction de nouveaux immeubles dans lesquels les services pourront être transférés. Or les collectivités locales ne bénéficient pas de cette faculté : il faudrait harmoniser leur situation avec celle de l'État. Si la collectivité veut par exemple céder un terrain sportif, il lui faut démontrer qu'il n'est plus affecté au service sportif et donc y cesser les activités sur une période assez longue avant de transférer le bien. Ne pourrait-on apporter un peu de souplesse aux collectivités ?
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur . - Le CGPPP permet à l'État de déclasser un bien avant sa désaffectation matérielle. Il s'applique en particulier aux domaines des établissements de santé.
L'article L. 2141-2 ne permet pas la vente d'un bien au mépris des principes fondamentaux de la domanialité publique, lesquels n'excluent pas, cependant, la concomitance entre la désaffectation d'un bien et son déclassement ; l'organe délibérant d'une collectivité pourrait fort bien constater les deux dans la même délibération. Voilà qui répond à votre voeu de gestion optimale du patrimoine public.
M. Henri Tandonnet. - J'y vois une discrimination entre l'État et les collectivités territoriales, sans doute découlant d'une certaine suspicion envers les élus...
Abus de la liberté d'expression
Mme Nathalie Goulet . - Pour ma part, le port du voile par les sportives ne me gêne pas...
Je ne suis pas de nature liberticide. Mon attention a néanmoins été attirée sur les paroles des « chansons » de nombreux rappeurs : 113, Sniper, Salif, Ministère Amer, Smala ou encore Lunatic. Leurs textes sont d'une violence inouïe contre la France et ses institutions : « J'aimerais voir brûler Paname au napalm », « Leur laisser des traces et des séquelles », « Il faut brûler le drapeau »..., etc. Je passe sur des « paroles » beaucoup moins châtiées...
Ces chansons, entendues sur les radios, sont des appels à la violence et à la haine contre les autorités publiques et la police qui s'efforcent de faire respecter la loi, notamment dans ces zones grises où le risque de perte de contrôle n'est pas exclu, ce que la Représentation nationale ne peut tolérer. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, face à ce phénomène qui dépasse, de loin, ce que l'on peut tolérer au nom de la liberté d'expression ?
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur . - Je regrette votre position sur le voile dans le sport : certaines valeurs méritent d'être défendues. Le contenu de plusieurs albums de rap met gravement en cause l'honneur et les valeurs des forces de l'ordre et des autorités publiques. Le rap fait partie de la culture urbaine et compte de grands talents ; mais il y a des abus, le mot est faible. Je partage votre détermination de lutter contre les paroles agressives à l'encontre des autorités. Lorsque les faits sont avérés et non prescrits, je dépose plainte auprès de la garde des sceaux, c'est ensuite le juge judiciaire qui statue.
En 2012, la plateforme Pharos a dénombre 61 outrages à l'autorité publique sur Internet. Les propos que vous dénoncez sont prescrits car datant de plus de trois ans ; nous avons débattu ici même des délais de prescription en matière de presse, il faut encore y réfléchir. Le groupe Ministère Amer a déjà été condamné en 1995 à l'équivalent de 38 000 euros d'amende pour incitation au meurtre de policiers, à la suite d'une plainte du ministre de l'intérieur de l'époque. Lutter contre la violence, c'est refuser sa banalisation, même verbale. Nous ne faiblirons pas dans cette lutte.
Mme Nathalie Goulet. - Je ne doutais pas de votre fermeté. Nous avons en effet débattu ici des délais de prescription. Je veux faire une proposition de services s'agissant de l'adaptation de la loi de 1881 aux nouveaux médias. Le président Sueur s'est engagé à dépoussiérer ce texte. J'ai été moi-même victime de l'absence de droit à l'oubli sur Internet...
La séance, suspendue à 11 h 40, reprend à 11 h 50.
Affectation du versement transport
M. Jean-Patrick Courtois . - J'appelle votre attention sur la distinction budgétaire entre organisation des transports publics et organisation des transports scolaires. J'avais proposé, par amendement, aux projets de loi de finances 2011 et 2012, que le versement transport ne puisse être affecté aux transports scolaires. Mme Pécresse, puis Mme Bricq avaient alors confirmé que ce versement ne pouvait être ainsi utilisé. Mais des dérives perdurent.
La distinction budgétaire entre la ligne transport urbain et la ligne transport scolaire aurait le mérite de la clarté. Pourquoi pas une circulaire adressée aux préfets ? Que pensez-vous de cette suggestion ?
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Les lois de décentralisation ont transféré aux départements la responsabilité du fonctionnement et de l'organisation des transports scolaires ; lorsque ceux-ci sont assurés dans le périmètre des transports urbains, le financement est commun, sauf présentation séparée. D'où l'absence de distinction qui motive votre demande de clarification. Faut-il opposer le transport scolaire aux autres transports publics, également accessibles aux scolaires ?
Le transport public, qu'il soit scolaire ou non, dépend des subventions des collectivités locales, même après prélèvement du versement transport. La clarification de l'affectation de celui-ci modifierait assez peu la situation - un jeu de vases communicants, purement comptable.
La circulaire que vous appelez de vos voeux n'aurait qu'une valeur interprétative. Je me tourne vers la sagesse des collectivités, sachant que les opérateurs et les autorités organisatrices ont intérêt à optimiser l'organisation des transports. Le transport scolaire ne doit pas se faire au détriment du transport urbain. Il revient aux collectivités, aux opérateurs, aux autorités organisatrices de répondre aux besoins de service public et d'informer, le cas échéant, la population et les élus.
M. Jean-Patrick Courtois. - Il faut être clair avec les entreprises qui paient le versement transport. Certaines d'entre elles ont l'impression de payer les transports scolaires. Il faudra bien un jour clarifier les choses et permettre un meilleur contrôle.
Nuisances aériennes
Mme Claire-Lise Campion . - Le 15 novembre 2011, Mme Kosciusko-Morizet signait deux arrêtés modifiant la circulation aérienne en région parisienne, l'un deux ayant pour objectif d'atténuer les nuisances sonores. Il n'en est rien. Le relèvement des altitudes de 300 m ne réduit pas significativement le bruit et accroît la pollution, tout en étalant la zone de survol et donc le nombre de personnes subissant les nuisances. Le Conseil d'État a admis le 16 avril 2012 qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté du 15 novembre 2011, mais ne l'a pas pour autant suspendu. Le nouveau Gouvernement l'a abrogé, mais le problème des nuisances aériennes reste entier. Je sais votre attachement à la concertation, que vous avez rappelé au député Jacques Krabal. Où en sont les évaluations ? Quand sera lancée la concertation annoncée, et selon quelles modalités ?
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Le relèvement des trajectoires a commencé en 2007. Le public et les institutions concernées ont été consultés préalablement à la parution des arrêtés du 15 novembre 2011. Les règles ont été respectées. Pour autant, les oppositions restent fortes. La concertation n'a pas abouti à des solutions satisfaisantes. Le bilan des nouvelles trajectoires est mitigé ; si le niveau de bruit a baissé de deux à trois décibels dans les zones déjà survolées, l'allongement des trajectoires a entraîné de nouvelles nuisances sonores dans les zones nouvellement survolées. Vous avez fait référence au contentieux actuel, lequel ne relève pas du seul pouvoir exécutif. Oui, j'accorde une importance particulière au maintien du haut niveau d'implication de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), qui est en train de modéliser de nouveaux profils d'approche en tenant compte des avancées technologiques. Nous aurons, je l'espère, des améliorations d'ici quelques mois. Nous attendons la réponse de la juridiction administrative.
Mme Claire-Lise Campion. - Il est important d'avoir confirmation de ce travail de la DGAC et de ce bilan, dont je redis qu'il est très mitigé. La phase contentieuse est en cours. Il est nécessaire que le Gouvernement montre son haut niveau d'implication. Les impacts sont réels. C'est avec impatience que les populations et associations concernées attendent le résultat des études que vous avez évoquées. Puissent-elles n'avoir à attendre des années...
Avenir de la filière photovoltaïque
M. Michel Teston . - Le Gouvernement a annoncé le 7 janvier dernier des mesures d'urgence très attendues pour la relance de la filière photovoltaïque. Cependant, certaines entreprises, petites ou moyennes, sont inquiètes des délais de mise en oeuvre des derniers appels d'offres et de la baisse de 20 % du tarif T5. C'est notamment le cas en Ardèche, où les petites installations sont en attente depuis l'annonce du moratoire ; aucun projet de grande installation n'y a en outre été retenu dans le cadre des appels d'offres de 2012. La plupart de ces projets ont été conçus dans un objectif de développement local maîtrisé. Les délais risquent de mettre en difficulté les entreprises concernées. Pouvez-vous, monsieur le ministre, répondre à ces inquiétudes ?
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Je vous prie d'excuser Mme Batho, qui inaugure le salon des énergies renouvelables à Lyon. Elle réaffirme combien le Gouvernement souhaite soutenir le développement de ces énergies, conformément aux engagements du président de la République qui le 14 septembre a affirmé cette priorité devant la conférence environnementale. Chaque filière doit faire l'objet d'une politique de soutien durable.
Vous évoquez l'insécurité dans laquelle la politique du précédent gouvernement a plongé les porteurs de projets photovoltaïques.
Les fabricants chinois ont envahi des marchés qui souffrent aujourd'hui de surcapacités importantes. C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité sécuriser le secteur. Mme Batho a présenté, le 7 janvier, des mesures d'urgence, afin de soutenir les technologies françaises innovantes sur les grandes installations. L'objectif est d'atteindre le développement d'au moins 1 000 mégawatts en 2013. Un appel d'offres sera lancé dans quelques semaines. Le coût des projets sera valorisé, ainsi que leur contribution à la protection de l'environnement. Pour les installations de taille moyenne, les appels d'offres seront améliorés, notamment quant à leurs retombées industrielles. Ils seront prorogés pour un an. Les projets qui protègent le climat seront valorisés. Enfin, il s'agit de modifier les tarifs et récompenser la qualité des petites installations. La grille tarifaire a été simplifiée ; tous les projets pourront bénéficier d'une bonification supplémentaire pour prendre en compte les différences de coûts ; le tarif T5 a été modifié au regard des impératifs de développement local.
En tout, cela représente un investissement de 2 milliards d'euros, pour 10 000 emplois, soit un effort de 1 à 2 euros par an et par ménage.
M. Michel Teston. - Merci de votre réponse. Le plan de relance du Gouvernement a pour objet de développer l'énergie photovoltaïque, de soutenir les entreprises françaises en particulier et de créer des emplois. Je constate que lors de l'appel d'offres de 2012, seuls deux projets ont été retenus en Rhône-Alpes et aucun en Ardèche, ce que je regrette vivement. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) devra avoir une vision beaucoup plus équilibrée des implantations sur l'ensemble du territoire national.
Stationnement en Seine-Saint-Denis d'un train chargé de déchets nucléaires
Mme Aline Archimbaud . - Un train chargé de déchets nucléaires en provenance de Borssele aux Pays-Bas et à destination de La Hague est resté une journée entière en Seine-Saint-Denis. Il contenait 6,7 tonnes de combustible usagé à base d'uranium. Il a stationné plus de douze heures à Drancy, le 13 décembre 2012, en milieu urbain dense, à quelques mètres d'une gare RER bondée, du stade de football et de nombreuses écoles. Deux autres wagons « Castor » ont été accrochés à 14 heures. D'où provenaient-ils ? Quatre wagons « Castor » ont été repérés le samedi 5 janvier 2013, à 12 h 15 ; ils sont repartis le dimanche 6 janvier entre 20 heures et 21 h 15. Pourquoi les élus locaux n'ont-ils pas été prévenus ? S'il n'y a pas de danger, pourquoi éviter les heures de pointe ?
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Mme Batho et moi-même accordons une grande importance à la question du transport des marchandises dangereuses. Toutes les mesures sont prises pour assurer la sécurité et la sûreté de nos concitoyens. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) procède à cette fin, pour les matières qui la concernent, à des inspections et instruit les demandes d'agrément, en s'assurant de l'absence de risque de radiation et de contamination. Les conditions d'emballage et de transport sont soumises à une règlementation rigoureuse.
Le débit à proximité des véhicules est plafonné ; en pratique, il est beaucoup plus faible que les plafonds. Des mesures de radioprotection indépendantes ont été réalisées lors des inspections. Les transports des combustibles usés néerlandais s'inscrivent dans le cadre d'un accord : ils ont vocation à retourner dans leur pays d'origine.
La sécurité impose de réduire au minimum le temps de parcours, d'où la traversée de la région parisienne. Le convoi que vous avez mentionné a atteint Le Bourget à 6 h 08 et est reparti à 20 h 59 pour éviter les heures de pointe. Les services du ministère de l'intérieur ont été associés à la sécurité du transport. Les élus n'ont pas été informés pour des raisons de confidentialité : une diffusion à plusieurs centaines de personnes ne permettrait pas de satisfaire celle-ci. Je le redis, l'ASN apporte toutes garanties.
Mme Aline Archimbaud. - Merci pour ces précisions. Cela dit, je demeure inquiète. Le 21 janvier, il y a eu un déraillement dans la Drôme. Preuve que des accidents peuvent arriver. Le 6 février dernier, un autre train a stationné toute la journée à la gare du Bourget. La Seine-Saint-Denis compte 1,5 million d'habitants. Imaginez les conséquences terribles qu'aurait un accident ! Je tiens à relayer les inquiétudes de bonne foi de la population.
La séance est suspendue à midi et demi.
présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président
La séance reprend à 14 h 35.
Question prioritaire de constitutionnalité
M. le président. - M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 15 février 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et aux libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
Avis de l'Assemblée de la Polynésie française
M. le président. - M. le président a reçu, par lettre du 16 janvier 2013, les rapports et avis de l'Assemblée de la Polynésie française concernant : le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la république de Serbie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces ; les trois projets de loi autorisant la ratification de traités de coopération en matière de défense entre la France et respectivement le Sénégal, Djibouti et la Côte d'Ivoire ; le projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la république de Croatie à l'Union européenne. Ces documents ont été transmis à la commission des affaires étrangères.
Débat sur les nouveaux défis du monde rural
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les nouveaux défis du monde rural.
M. Gérard Bailly, pour le groupe UMP . - Je suis très heureux que ce débat ait été inscrit à notre ordre du jour : deux heures trente de débat pour ce monde rural, qui représente 85 % de notre territoire, 30 000 communes et 22 % de la population.
M. Charles Revet. - Eh oui ! Il est bon de le rappeler.
M. Gérard Bailly. - Par-delà la diversité des campagnes françaises, les flux de population se sont inversés : après l'exode rural, le solde migratoire vers nos campagnes est devenu positif à la fin des années 1970. Mais la crise pose la question de la résilience des économies rurales ; les fractures sociales et générationnelles se creusent. Le contexte est plus mouvant et incertain que jamais. Les opportunités cèdent le pas devant les menaces, de plus en plus nombreuses.
Plutôt que de céder au découragement, identifions avec lucidité les leviers structurels qui conditionnent l'avenir économique, social et culturel de nos campagnes. Les capacités d'imagination des acteurs seront primordiales. Les campagnes ne sont pas une charge mais une chance : voyez ces vastes espaces, cette nature fragile mais généreuse, si nécessaire à l'épanouissement des communautés humaines.
Protégeons ce laboratoire ! Ces territoires ne peuvent plus être pensés hors de leur rapport avec les villes. Les surfaces agricoles utiles représentent 51 % du territoire, les espaces verts, boisés, les landes, les zones humides, 40 % ; les sols artificialisés seulement 9 %. L'artificialisation des sols s'est accélérée entre 2003 et 2009 : l'équivalent d'un département français est perdu pour l'agriculture tous les sept ans. La forêt a gagné de l'espace sur les terres agricoles, notamment en montagne, entraînant parfois une fermeture des paysages. Quelle diversité, entre les campagnes très agricoles, les campagnes espaces de vie pour des citadins, dans un rayon de trente kilomètres autour des agglomérations, les campagnes mixtes, et aussi les campagnes vieillies, de faible densité, difficiles d'accès.
Le monde rural doit croire en ses chances. Encore faut-il que son ambition soit accompagnée par l'État.
M. Jean-Claude Lenoir. - Très bien !
M. Didier Guillaume. - Ces dix dernières années, cela a fait mal !
M. Gérard Bailly. - Premier levier, l'intercommunalité a été très bénéfique pour les territoires ruraux en facilitant la réalisation d'équipements : foyers-logements, crèches, terrains de sport, maisons de santé, zones artisanales, groupes scolaires. Tout cela a un coût, plus élevé dès que le terrain est rocheux, en zone de montagne. Il faut accompagner les intercommunalités tout en leur laissant davantage d'initiative, en particulier pour ce qui concerne les normes. Les exigences ne peuvent être partout identiques.
Les dotations ensuite. Les communautés de communes doivent bénéficier des mêmes dotations que les villes. Entre 128 euros par habitant pour les communes de plus de 150 000 habitants et la moitié pour les petites communes - comment comprendre ces écarts de DGF, que l'Association des maires ruraux juge inique ?
M. Rémy Pointereau. - Tout à fait.
M. Gérard Bailly. - Est-ce parce que ces décisions n'appartiennent qu'aux citadins ?
Quelques mots sur la représentativité. L'Hémicycle titrait récemment sur un redécoupage des cantons qui maltraite les zones rurales.
MM. Jean-Claude Lenoir, Alain Fouché et Rémy Pointereau. - Oui, et c'est honteux.
M. Charles Revet. - Eh oui !
M. Rémy Pointereau. - Les territoires ruraux sont sacrifiés.
M. Gérard Bailly. - Que restera-t-il de la proximité ?
M. Rémy Pointereau. - Rien !
M. le président. - Poursuivez, monsieur Bailly.
M. Charles Revet. - C'est important !
M. Gérard Bailly. - Il y aura moins de porte-voix des territoires ruraux. (On renchérit à droite ; protestations sur les bancs socialistes) Leur superficie ne sera plus prise en compte...
M. Charles Revet. - C'est vrai !
M. Gérard Bailly. - L'environnement, ensuite, doit être préservé. Il faut un assainissement collectif ou individuel pour assurer la qualité des eaux, et cela a un coût. Les territoires ruraux ont un atout : les énergies. On y installe les éoliennes, le solaire, on y produit biomasse, bois-énergie et biocarburants. Mais ces territoires ne peuvent vivre sans désenclavement. Cela passe par le haut et le très haut débit. (Marques d'approbation à droite) Qui paie ? La péréquation nationale peine à se mettre en place.
M. Didier Guillaume. - Zéro euro dans le fonds...
M. Gérard Bailly. - Les transports ? Il faut entretenir les réseaux routiers. Une PME ne s'installera pas sans désenclavement physique et numérique.
Les territoires ruraux ne doivent pas être les parents pauvres du système éducatif. Un élève ne doit pas passer plus de 30 à 40 minutes dans le bus, matin et soir.
La présence de médecins dans les territoires ruraux doit être encouragée, avec des maisons de santé, voire des mesures coercitives. M. Guillaume a évoqué ce matin le problème des gardes. Les temps de parcours doivent rester raisonnables. La population des campagnes est âgée : il faut des foyers- logements, des Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). La présence médicale est indispensable pour les ruraux comme pour les nouveaux résidents.
M. Charles Revet. - Absolument !
M. Gérard Bailly. - Ces défis peuvent être relevés. Les atouts sont réels, à commencer par l'agriculture, ce pétrole vert, comme le disait un ancien président de la République. Elle procure tant d'emplois dans l'industrie agroalimentaire, en Bretagne notamment. AOC, labels, circuits courts doivent être encouragés. L'élevage est indispensable, là où la charrue ne peut remplacer l'animal. Or il diminue. En 1980, l'élevage ovin était de 12 800 têtes ; on n'en compte plus que 7 800 et les prédateurs, protégés par les ministres de l'environnement successifs, achèvent de décourager les éleveurs.
L'agriculture peut jouer un grand rôle pour les territoires ruraux, entretenir les paysages, créer des emplois. Chaque jour, la planète compte 200 000 humains de plus. Alors, ne gâchons pas notre capacité productive. Pas question pour autant d'autoriser les OGM sans être certain de leur innocuité, laquelle doit être contrôlée en conjuguant les moyens européens.
Autre atout, nos forêts, nos grumes que nous exportons tout en important des produits à valeur ajoutée. Comment faire face à l'avance technologique de l'Europe du nord ? La filière bois crée des emplois locaux dans nos villages, elle mérite une attention particulière. Investissons dans les plantations, comme l'ont fait nos ancêtres.
Le tourisme est aussi déterminant pour nos territoires ruraux. Il faut accompagner les collectivités, car ces emplois sont non délocalisables. Les activités qui attirent les touristes sont une source de vitalité, elles font vivre les manifestations culturelles.
Les PME font la richesse de nos territoires ruraux. Elles procurent du travail, elles sont facteur de croissance, d'équilibre des territoires. Aidons-les, avec le désenclavement numérique, et avec un accompagnement fiscal.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Gérard Bailly. - Je saute un paragraphe... (On le regrette à droite ; on feint de le déplorer à gauche)
Les défis sont nombreux. Il faut aider ces territoires : les plus petits sont les plus fragiles. Il faut être vigilant. Le Gouvernement compte un ministre chargé de l'égalité des territoires : il faudra veiller à l'égalité fiscale, scolaire, sanitaire.
M. Alain Fauconnier. - Qu'en avez-vous fait ?
M. Gérard Bailly. - Pour se battre, il faut des armes égales ! Demain, plus encore, les habitants des grandes agglomérations auront besoin des campagnes pour se reposer. La complémentarité ville-campagne est indispensable, car, comme le disait le général de Gaulle, « La fin de l'espoir est le commencement de la mort ». (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Gérard Larcher . - (Applaudissements sur les bancs UMP) Ce débat important intervient quelques jours après l'accord sur le cadre pluriannuel financier de l'Union européenne, qui marque une baisse de 13 % de la politique agricole commune, soit 3 % pour la France.
L'agriculture façonne les paysages, les rend attractifs. Le monde rural n'est pas un ensemble homogène : certains territoires ruraux attirent et se développent, autour des villes et sur le littoral touché par l'héliotropisme. D'autres déclinent, victimes de l'enclavement géographique et technologique. Ces territoires les plus fragiles sont souvent consacrés à l'élevage. Y aurait-il une fatalité à leur inexorable déclin ?
Premier point, la gouvernance. Un certain nombre de réformes proposées vont conduire à ce que ces territoires ne soient plus représentés que de manière marginale. (Applaudissements au centre et à droite) C'est un élu urbain qui le dit ! Nous sommes l'assemblée des territoires, de la correction des inégalités entre territoires. (Applaudissements sur les bancs UMP). L'annonce de la baisse des dotations de l'État aux collectivités territoriales pèsera beaucoup moins sur Rambouillet que sur les communes rurales du sud des Yvelines. L'avenir même de ces territoires est en jeu. Cette question de la gouvernance est bien centrale. (Applaudissements à droite et au centre) N'opposons pas territoire rural et territoire urbain. Les villes ne doivent pas considérer les territoires urbains comme des lieux de récréation mais comme un facteur de développement.
Monsieur le ministre, vous êtes l'un des seuls à gérer un secteur excédentaire. Attention à ne pas faire de l'agriculture de demain la sidérurgie d'hier ! Le vétérinaire que je suis ne peut que s'inquiéter des normes imposées au nom du bien-être animal, quand elles ont pour effet la disparition de 20 % des exploitations avicoles bretonnes spécialisées dans les poules pondeuses.
M. Charles Revet. - Bien sûr.
M. Gérard Larcher. - Le sud-Yvelines est un territoire céréalier, je me réjouis pour eux des revenus dont bénéficient les céréaliers. Mais celui des éleveurs du Perche, à côté, est moitié moindre. Et je ne parle pas de celui des maraîchers depuis que vous avez supprimé l'exonération partielle de ceux qui viennent les aider pour la récolte. Ce faisant, vous avez pris une décision qui va contre la compétitivité de l'agriculture française ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. - Ce n'est pas vrai !
M. Gérard Larcher. - Vous avez réduit les subventions à l'installation des jeunes agriculteurs.
L'agriculture est une chance pour la France. Il faut une agriculture intégrée, orientée vers l'exportation, pour nourrir le monde. L'industrie agroalimentaire est l'un des rares secteurs à avoir évité la désindustrialisation. Il faut une autre politique de gouvernance des territoires, une politique volontariste de l'aménagement du territoire et un soutien à l'agriculture ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Pierre-Yves Collombat. - Très bien !
Mme Renée Nicoux . - Je me félicite que le monde rural soit à l'honneur aujourd'hui. Cette question est en effet cruciale. Il y a quelques semaines, j'ai cosigné avec Gérard Bailly un rapport du Sénat sur l'avenir du monde rural. Nous nous accordons sur le constat que l'état des lieux est alarmant. Si rien n'est fait, nos campagnes seront sacrifiées. Alors que les territoires ruraux connaissent une démographie positive, le risque de les voir relégués en espace secondaire est grand.
L'agriculture traverse une crise inégale selon les secteurs, aggravée par le détricotage de la PAC. La ruralité, ce n'est certes pas seulement l'agriculture, mais ce secteur est essentiel. L'artificialisation des sols se poursuit inexorablement. La crise énergétique a eu un lourd effet sur nos campagnes. La sociologie des populations rurales se modifie : si un Français sur quatre réside dans une commune rurale, il n'y en a qu'un sur huit à y travailler. On assiste à une immigration de la pauvreté vers les campagnes tandis que les services publics de proximité diminuent, du fait de la RGPP, comme l'offre de santé.
M. Jean-François Husson. - Ce sera mieux avec la MAP !
Mme Renée Nicoux. - Bref, les inégalités territoriales s'accroissent, mais il n'est pas trop tard, car la prise de conscience du potentiel de nos campagnes a eu lieu il y a quelques années. Les graines d'un développement harmonieux sont en terre, à nous de les faire germer.
Quatre leviers de croissance sont à notre disposition, et d'abord la gouvernance de nos territoires. La ruralité doit être mieux prise en compte. Renouons avec une véritable politique d'aménagement des territoires, les normes pénalisant les communes rurales. Une aide en ingénierie territoriale est plus que jamais nécessaire pour prendre en compte les spécificités géographiques et démographiques.
M. le président. - Concluez.
Mme Renée Nicoux. - Laissez-moi continuer, monsieur le président ! Mon groupe a de la marge et je ne déborderai pas davantage que M. Bailly.
Il faut renforcer la politique de redistribution de la solidarité nationale. Le désenclavement de nos campagnes est indispensable. Il faut sanctuariser les financements pour le rail et la route. De même, le très haut débit est une condition sine qua non d'efficacité à l'heure du télétravail, de la télémédecine, de la téléformation. Il serait contradictoire que ceux qui ont le plus besoin du haut débit en soient privés.
Le dynamisme et le volontarisme des territoires les mettront en position de relever les défis ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)
M. le président. - Majorité et opposition sont maintenant à égalité pour les dépassements. Dorénavant, je n'en tolérerai plus.
M. Gérard Le Cam . - Je salue la qualité des travaux de Mme Nicoux et de M. Bailly. Pourtant, ce n'est pas la première fois que nous échangeons sur ce thème. Alors que la majorité a changé, nous attendons toujours une nouvelle politique en ce domaine. Avec la droite, le marché était sacralisé et les territoires ruraux étaient les premiers touchés. Il faut maintenant passer d'un constat à l'action.
La démocratie dans les territoires doit être réaffirmée, avec le rôle prépondérant des communes. L'intercommunalité à marche forcée est incompatible avec une telle évolution, les villes attirant tout à elles. La préparation de l'acte III de la décentralisation doit redonner sa place au monde rural. Les communes et leurs représentants doivent être respectés. L'asphyxie financière programmée des communes n'est pas acceptable. Cela porterait un frein insupportable. Les dotations doivent être revalorisées. Pourquoi ne pas taxer les actifs financiers ? Avec le milliard d'euros ainsi récupéré, les petites communes pourraient bénéficier de la même DGF par habitant que les grandes.
La réforme des rythmes scolaires va peser lourdement sur les communes. (On le confirme à droite)
M. Rémy Pointereau. - Très bien !
M. Gérard Le Cam. - Alors que les élus de la nouvelle majorité s'opposaient naguère aux transferts de charges, nous attendons que la politique menée en ce sens évolue. Il est curieux que le groupe UMP ait demandé ce débat, après avoir soutenu la RGPP. (Exclamations à droite)
M. Rémy Pointereau. - Le discours commençait mieux qu'il ne continue.
M. Gérard Le Cam. - L'ancien gouvernement a privatisé La Poste, ce qui a eu des conséquences dramatiques dans les campagnes. La gauche l'a dénoncé. Pourquoi n'avoir rien fait depuis mai 2012 ? Les critères de la présence postale doivent être revus. La loi HPST aussi a été combattue à gauche, et nous attendons que, parvenue au pouvoir, elle en revoit les critères pour les fermetures d'hôpitaux. Même chose à propos des fermetures de classes en zones rurales. Il faut répondre à l'intérêt général et adapter la législation à la spécificité rurale.
Les transports et le numérique ne peuvent être laissés à la seule initiative privée.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Gérard Le Cam. - Nous serons très attentifs à la nouvelle PAC. Les pouvoirs publics doivent faire en sorte que puissent être accueillis les nouveaux habitants de nos campagnes. La ruralité mérite mieux que des mots. Il faut maintenant relever le défi et poser des actes pour le changement.
M. Aymeri de Montesquiou . - Fondamentaliste de la ruralité, je la vois en synonyme de modernité, à preuve sa transformation spectaculaire ces dernières années. Elle est confrontée à trois défis, à commencer par l'accès au très haut débit qui doit être une priorité. Cela coûte cher ? Imitons le plan téléphone lancé par le président Giscard d'Estaing.
Les zones blanches sont encore trop nombreuses. Personne ne peut vivre sans Internet. Quel est le calendrier de l'aménagement numérique du Gouvernement ? Le sud-ouest est souvent touché par la sécheresse. Les agriculteurs devraient pouvoir créer des retenues collinaires, comme ils le font dans le Gers, mais des règlements l'interdisent. (On le confirme à droite) (Applaudissements au centre et à droite)
À quand une simplification administrative pour les petits ouvrages ? Le barrage de Charlas irriguerait six départements et il fait l'unanimité. Pourquoi ne pas le construire ?
L'Allemagne est devenue le premier exportateur mondial, alors que ses terres et son climat sont plus mauvais que les nôtres. Quelle anomalie, quel paradoxe !
Nos produits sont de qualité, mais ont un coût trop élevé, d'où la concurrence des Russes, des Ukrainiens, voire des Kazakhs. Réduisons donc les charges des agriculteurs !
Agissez, monsieur le ministre, pour éviter que nos productions soient pénalisées. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et à droite)
M. Christian Bourquin . - Voilà un débat qui tombe à point nommé, à la veille de l'ouverture de la nouvelle PAC 2014-2020.
Les aides sont essentiellement dirigées vers les villes. Rien n'interdit pourtant d'aider la ruralité. Les habitants des villes sont loin de se désintéresser des campagnes, et ils aimeraient pouvoir s'y installer si elles étaient aménagées.
Il faut changer de paradigme, créer une véritable solidarité républicaine entre le monde rural et urbain. Des échanges fructueux doivent pouvoir se développer. Le monde rural représente 80 % du territoire et 20 % de la population. Le projet de résolution du RDSE, voté à l'unanimité, l'a rappelé. La démographie et la compétitivité ne peuvent seules être prises en compte pour mener une politique.
Les territoires ruraux ne sont pas des zones figées dans le temps : de nouvelles populations s'y installent mais souhaitent y trouver de nouveaux équipements, des services publics fiables et les technologies de la communication. Ces dernières sont essentielles, mais n'entrent pas dans ce débat. Des décisions ont déjà été prises pour le haut débit ; il reste à rattraper le retard qui a été pris.
La gouvernance, tout d'abord. Il s'agit d'un enjeu important. Les communes, les cantons sont essentiels. Or, la commune ne répond plus aux besoins d'aménagement, même si elle reste le lieu de vie par excellence. Toutefois, c'est la communauté de communes qui prend le plus souvent les décisions d'investissement et de gestion. Il faut réfléchir sur le niveau pertinent. Les parcs naturels régionaux sont devenus des outils de protection stricts, ce qui est réducteur. Les bassins de vie doivent être intégrés dans des zones bien plus larges, en fonction des réseaux de transport et des échanges économiques.
Dans ma région, j'ai développé le schéma de développement durable. Les cinq aéroports du Languedoc-Roussillon apportent 10 millions d'euros de chiffre d'affaires à la Lozère alors que le plus proche aéroport se situe à 180 kilomètres. C'est cela l'unité rurale.
Les atouts du monde rural sont nombreux : il est attrayant, par sa qualité de vie, à condition de maintenir des services et des activités agricoles.
Dans ma région, l'arrachage des vignes est un désastre pour l'emploi et un repoussoir pour tous ceux qui veulent s'imprégner de la culture méditerranéenne.
M. Didier Guillaume et M. Jean-Jacques Lozach. - Très bien !
M. Christian Bourquin. - Je pourrais aussi parler de la Bretagne : quand un marais est asséché, bientôt surgissent des inondations !
M. Jean-Luc Fichet. - Eh oui !
M. Christian Bourquin. - L'eau, le bois, la pêche, la chasse font vivre les territoires. (On le confirme à droite)
Je souhaite à nos ruralités des projets résolument modernes. Pourvu que le prochain rapport nous détaille le meilleur scénario possible et non pas le « moins pire ». (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE ; M. Jean Boyer applaudit aussi)
M. Jean-Pierre Raffarin. - Jacques Blanc est de retour !
M. Joël Labbé. - Les espaces maritimes font partie de la ruralité.
M. Christian Bourquin. - Oui, il ne faut pas oublier la Méditerranée !
M. Pierre-Yves Collombat. - Ne laboure-t-on pas la mer ?
M. Joël Labbé . - On ne peut dissocier l'avenir des campagnes de celui des villes et comme l'a dit une prospectiviste, il faut réorienter les campagnes vers un devenir souhaitable - et non un avenir -, le devenir étant ce que nous construisons ensemble, l'avenir ce que nous prévoyons. Pour construire ensemble nous devons partager certains constats. Je veux saluer le rapport remarquable de nos deux collègues.
Les services sont les premiers pourvoyeurs d'emplois en ville, mais aussi dans les campagnes. L'emploi agricole subit une baisse continue, tandis que le tertiaire poursuit son accroissement. Les villes petites et moyennes et les bourgs dotés d'équipements structurants peuvent irriguer les territoires.
J'en viens au développement agricole : l'environnement pourrait être un atout si un nouveau modèle agricole était présenté. L'« agro-écologie », un concept nouveau, est une piste intéressante, monsieur le ministre. Les espaces agricoles gagneraient en cohérence. L'agriculture ne doit pas subir les nécessaires normes environnementales comme une contrainte mais comme un atout : tout en produisant elle contribuerait à préserver la biodiversité. Il faut aider au développement d'une agriculture de proximité qui réponde à la demande d'une alimentation de qualité. Or la pression urbaine entraîne une surévaluation du foncier. L'aménagement du territoire mériterait d'être repensé. La réforme de la politique foncière agricole est un défi difficile mais un formidable levier pour faire progresser notre modèle agricole. Le productivisme nous mène droit dans le mur. Les éleveurs sont acculés, les abattoirs de proximité ferment, les uns après les autres, notamment en Bretagne. La sécurité alimentaire et la traçabilité sont des priorités de santé publique. Notre législation doit être modifiée en ce sens. (Applaudissements sur les bancs écologistes et socialistes)
M. Benoît Huré . - Je suis heureux de ce débat : 90 % de la population sur 10 % du territoire, est-ce acceptable ? Jean Ferrat...
M. Didier Guillaume. - Un Ardéchois !
M. Benoît Huré. - ... chantait « La montagne » ! Il aurait pu dire « La campagne » : « ils quittent un à un le pays pour s'en aller gagner leur vie loin de la terre où ils sont nés... ». Pour que ce ne soit plus une fatalité, il faut donner aux habitants, et d'abord aux jeunes, de bonnes raisons de rester au pays. Les communes rurales voient enfin de nombreux habitants s'installer, qui choisissent la qualité et le cadre de vie, mais ils attendent des services nouveaux. Il faut donc créer des crèches, des haltes-garderies, des écoles, des équipements sportifs et culturels, un réseau de communications performant, des commerces de proximité, des services médicaux modernes, je pense aux maisons de santé.
Gagnons la bataille de la croissance démographique qui repose sur la volonté des élus, des collectivités. Il faut s'appuyer sur un maillage des petites villes de bourgs-centres. Les grandes communautés de communes répondent mal à cette nécessité : ne confondons pas chiffre d'affaires et bénéfice ! L'immobilier local doit être développé, car nombre de personnes ne peuvent emprunter pour acheter. Le tissu associatif et les transports collectifs doivent être encouragés.
Le nouvel espace rural doit être attractif, comme l'avait souligné Jean François-Poncet. Les territoires ruraux se développeront grâce à l'agriculture, au commerce, à l'artisanat, au tourisme, au télétravail, à l'économie sociale et solidaire.
Les décideurs parisiens réduisent, pourtant, le peu de moyens affectés à la ruralité. Nous avons plus que jamais besoin de l'État, qui doit être le garant d'une péréquation plus juste entre les villes et les campagnes. L'écart entre territoires riches et pauvres s'est accru de manière indécente. Il en va de la crédibilité de nos institutions.
Or, la création de très grandes métropoles va concentrer les moyens, tandis que les dotations aux collectivités locales vont encore se réduire, ce qui les fragilisera un peu plus.
Enfin, la réforme des conseils généraux va réduire le nombre d'élus ruraux les mieux à même de défendre ces territoires. La reconcentration de l'État au profit des régions, au détriment des départements, va rendre l'État plus lointain, au risque de le mettre en complet décalage avec le monde rural. Même si le pire n'est pas certain, il est certain que nous allons devoir nous mobiliser.
Nulle polémique dans mes propos car je n'ai pas attendu le printemps dernier pour découvrir l'état calamiteux de nos finances publiques et je suis d'accord pour résorber le déficit, mais les efforts nécessaires doivent être équitablement répartis. Que compte faire le Gouvernement pour relever ces défis ? Ne faut-il pas mettre fin aux inégalités, modifier la DGF, la DSU, la DSR, repenser la péréquation ? Il faut renforcer la péréquation horizontale entre riches et pauvres, bien plus que la précédente majorité n'avait commencé à le faire. Or l'enveloppe a été en partie amputée, pour que la Seine-Saint-Denis et les Bouches-du-Rhône puissent bénéficier d'un surplus de ressources. Réduire les écarts de richesse, c'est rétablir l'équité entre les territoires et investir dans l'avenir. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Luc Fichet . - De quels défis parle-t-on ? La folie bancaire et financière a plongé notre pays dans la crise...
Mme Laurence Rossignol. - Très bien !
M. Jean-Luc Fichet. - Il faut recréer des emplois dans l'industrie, repenser la filière agroalimentaire, alors que l'Europe est frappée par un nouveau scandale alimentaire. La population des communes de moins de 2 000 habitants a progressé ces dernières années car les gens ont l'espoir d'y mieux vivre mais il demeure des problèmes d'aménagement du territoire et de développement économique. D'où l'utile nomination d'un ministre en charge de l'égalité des territoires. Égalité 2.0 : si nous ne parvenons pas à connecter au très haut débit chaque bourg, chaque hameau, chaque quartier, chaque maison, nous condamnons les territoires à la respiration artificielle. La Bretagne amènera le très haut débit à tous à l'horizon 2030, à partir d'un principe simple : une ligne fibrée en ville égale une ligne fibrée en zone rurale. Ce plan a été salué par Mme Fleur Pellerin.
Autre défi majeur d'égalité et de justice : l'accès aux soins. C'est le coeur du travail que j'ai mené avec Hervé Maurey sur les déserts médicaux. Nous avons souhaité aller plus loin que les mesures structurelles, à portée encore trop limitée. Il faut agir de façon volontariste sur tous les leviers, depuis l'organisation des études de médecine jusqu'à la rémunération des médecins, en passant par le conventionnement ou l'obligation pour les spécialistes d'exercer pendant deux ans dans des hôpitaux de proximité.
Les communes rurales doivent être mieux représentées dans les instances de décision territoriale. Les débats sur la BPI ont mis en relief les doutes sur l'efficacité de l'action économique des collectivités territoriales, réelle, mais qui peut être mal appréhendée dans les territoires ruraux. Il faut la rendre plus visible par des schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire. L'investissement des collectivités pour le développement économique dépasse 5 milliards d'euros. Il faut maintenir ce haut niveau d'investissement pour la croissance. Sans renoncer à réduire les déficits, engageons un nouveau pacte territorial favorable à l'emploi et à la croissance. (Applaudissements à gauche)
M. Henri Tandonnet . - (Applaudissements au centre et à droite) Les questions rurales ont un impact particulier au Sénat. Je salue le travail de Gérard Bailly et Renée Nicoux. Je regrette l'absence de Mme le ministre de l'égalité des territoires. (« Ah ! » à droite)
La ruralité reste une alternative à la métropolisation galopante. L'exemple réussi de l'installation de l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap) à Agen est éloquent. N'amplifions pas la concentration ! Pourquoi ne pas délocaliser vers les villes moyennes les emplois contraints, administratifs et tertiaires ?
La couverture numérique est un vrai motif d'inquiétude. Je rappelle que le Fonds d'aménagement numérique du territoire demeure une coquille vide. Pourquoi ne pas avoir repris la proposition de loi de M. Maurey qui lui aurait apporté des recettes ? Il est urgent de prendre l'engagement de développer la fibre optique dans les territoires ruraux. Pourquoi toujours ces mêmes réticences ?
Le monde rural s'est profondément métamorphosé depuis quinze ans. La réforme de la PAC est un enjeu pour nos agriculteurs... Or la PAC à venir va voir son budget amputé de 13,7 %.
M. Charles Revet. - C'est énorme !
M. Henri Tandonnet. - Les arbitrages à venir sont de la plus haute importance, en particulier pour les filières spécialisées comme la prune. Le découplage des aides a montré ses limites. Les pruniculteurs engagés dans une démarche de production plus responsable ont besoin d'un maintien des aides directes le temps que leurs vergers produisent à plein.
Les ressources en eau doivent être gérées et stockées, pour éviter les conflits d'usage. Le sud-ouest devrait connaître davantage de périodes de sécheresse à cause du réchauffement climatique. Il faut subir ou anticiper. La métropole toulousaine grandit et ses besoins en eau aussi. Pourquoi ne pas créer des réserves ? D'autre part le projet de barrage de Charlas est au point mort. L'environnement et l'agriculture forment un tout indivisible. Les agriculteurs doivent être associés au développement de notre ruralité. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. Philippe Bas . - Nous avons pris l'habitude de séparer la question de la campagne de celle de la ville, alors qu'elles sont complémentaires. Tout se passe comme si les crédits étaient réservés aux banlieues - sans que leur situation s'améliore. Les crédits liés à l'amélioration de l'habitat rural s'amenuisent, voire disparaissent...
M. Didier Guillaume. - Cela fait cinq ans !
M. Philippe Bas. - Les gendarmeries ferment, les médecins partent en retraite et ne sont pas remplacés.
M. Didier Guillaume. - Cela fait dix ans !
M. Philippe Bas. - Nous avons besoin d'une politique ambitieuse d'égalité territoriale pour lutter contre la fracture territoriale. Le Sénat attend une réponse à la hauteur des enjeux à son appel unanime à ce sujet.
A l'issue des Assises des territoires ruraux, en 2009, 40 mesures simples et concrètes ont été adoptées. Les zones de revitalisation rurale (ZRR) et les pôles de compétitivité ont été renforcés sous l'impulsion de Bruno Le Maire, les missions de service public en milieu rural ont bénéficié d'une forte impulsion...
M. Roland Courteau. - On ne s'en est pas aperçu !
M. Philippe Bas. - Le contrat avec les buralistes donne de nouveaux relais de service public. Cet effort est à poursuivre et à amplifier.
Les valeurs de la ruralité sont au coeur de notre République, le monde rural demeure une formidable source de richesses pour notre pays.
Les campagnes ne sont pas une charge mais une chance pour la France, comme le soulignent Gérard Bailly et Renée Nicoux dans leur rapport.
M. Didier Guillaume. - Absolument !
M. Philippe Bas. - La santé et l'éducation sont essentielles mais l'agriculture tient la première place, or elle est menacée. Sur les sept prochaines années, elle bénéficiera en Europe de 47 milliards de moins que sur la période précédente. Le Gouvernement cherche à nous rassurer, mais il ne doit pas nous masquer la réalité. Quand on se souvient des accords de Berlin, qui avaient sanctuarisé la PAC pour dix ans, (Mme Bernadette Bourzai s'exclame) de l'engagement de Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin face au Chancelier Schröder, on mesure la faiblesse actuelle de la France sur la scène européenne, son isolement politique face à un axe franco-britannique qui ne cesse de se renforcer, son manque de volontarisme pour défendre nos intérêts majeurs. (Applaudissements à droite)
M. Roland Courteau. - Vous ne manquez pas d'air !
M. Philippe Bas. - L'avenir de notre modèle familial d'exploitation à taille humaine est en jeu...
La protection de l'environnement est nécessaire mais il faut revoir les normes pesant sur l'agriculture. Sinon, un mouvement de concentration sans précédent se produira, comme en Europe du nord, avec une extension des friches.
Le projet de loi que vous présentez va affaiblir la représentation des territoires ruraux, aggraver les difficultés du monde rural. (Applaudissements à droite ; protestations à gauche)
La perspective de nouveaux transferts non financés, le pacte de confiance avec les collectivités étant rompu, nous rend inquiets pour l'avenir de la ruralité. Le monde rural sera affaibli, les ressources propres des collectivités territoriales seront réduites et la nouvelle décentralisation ne servira qu'à alléger les charges de l'État. Engagez-vous résolument dans une autre politique, plus conforme aux attentes des territoires ruraux. (Applaudissements à droite)
Mme Laurence Rossignol . - Merci à Renée Nicoux et à Gérard Bailly de leur travail, à l'opposition qui a voulu ce débat. Il est bon d'avoir un ministre qui sait que les mondes rural et agricole ont cessé depuis longtemps de se confondre. (Protestations à droite)
Un colloque, que j'ai organisé au Sénat, avec l'ENS et l'Inra, a traité de l'évolution et des représentations du monde rural, souvent utilisées comme alibi des conservatismes.
M. Alain Fauconnier. - Bravo !
Mme Laurence Rossignol. - Or les élus ruraux sont souvent moins rétrogrades face aux évolutions de la société que ceux qui prétendent parler en leur nom. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Comme tous les Français, les ruraux veulent des services publics, des écoles, des commerces, de la convivialité. Or la promesse d'une vie tranquille et heureuse n'est pas toujours tenue : le bon air et l'espace ne compensent pas l'isolement, aggravé par le renchérissement du prix de l'essence. Les politiques publiques menées ces dernières années n'ont pas été en phase avec leurs attentes. D'où la fracture démocratique que manifestent l'abstention et le vote extrême.
Ce matin s'est tenu le comité interministériel des villes. Il faut aussi mobiliser le Gouvernement en faveur des campagnes. Nous devons restaurer tout ce qui a été détruit ces dernières années. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Nous débattrons prochainement de la loi bancaire. Or les territoires ruraux produisent de l'épargne, mais leur argent n'est pas réinvesti localement.
Mme Bernadette Bourzai. - Bravo !
Mme Laurence Rossignol. - Or ces territoires créent des emplois non délocalisables. Nous voulons de la transparence et du réinvestissement local ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. - Bravo !
M. Didier Guillaume . - La ruralité est une chance pour la France, nous l'avons tous dit. Évoquons les choses positives, ne soyons pas des pleurnicheurs, mais des promoteurs de la ruralité ! Pensons à ces femmes et à ces hommes qui croient en l'avenir de leurs territoires ! Battons-nous, avançons ! Comme le disait Fernand Braudel, « La France se nomme diversité ».
Mais la ruralité a beaucoup souffert. Elle a été stigmatisée. La RGPP a été dévastatrice pour les zones rurales. (Exclamations à droite) Elle s'est appliquée partout, de façon aléatoire et sans tenir compte des situations locales. Ce fut une erreur. (Protestations sur les mêmes bancs) Le conseiller territorial aurait diminué le nombre d'élus par deux. Nous maintenons le même nombre d'élus, les cantons seront plus grands, mais nous préservons la proximité, le lien essentiel avec le territoire (Applaudissements sur les bancs socialistes ; protestations à droite)
Il faut changer notre perception du monde rural. Premier défi sur lequel nous pouvons nous retrouver : la santé. Allons-nous continuer à voir les médecins déserter le monde rural ? Avec le pacte santé-territoire, le Gouvernement veut combattre le déclin, moderniser notre appareil de santé. Deuxième défi, l'école : que de classes fermées depuis des années ! Cette année, grâce aux postes créés par le Gouvernement, des classes ouvrent dans le monde rural (Exclamations à droite) Troisième défi : le numérique. Les collectivités territoriales sont à la pointe des réseaux et de leurs usages. Un fonds national a bien été créé mais avec zéro euro, battons-nous pour que la ruralité soit couverte. Quatrième défi, l'économie. Commerçants, artisans, TPE, structures de l'économie sociale et solidaire font vivre nos territoires ruraux.
J'aurais pu évoquer l'agriculture, monsieur le ministre ; vous avez sauvé la PAC. Il faut aller plus loin, traiter le problème du foncier, lutter contre l'artificialisation des terres, créer réellement les 5 000 installations prévues. Et si on veut que la ruralité se développe, il faut dire clairement que le loup est incompatible avec le pastoralisme. (Marques d'approbation sur divers bancs)
Créons des contrats ruraux de cohésion territoriale, des contrats gagnant-gagnant entre l'État, les collectivités territoriales et les acteurs de la ruralité ! (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Camani . - Le monde rural est en constante évolution. Trois quarts des communes vivent dans l'aire d'influence des villes. Mais aujourd'hui l'exode rural se transforme en exode urbain. La formule de Jean-François Gravier, « Paris et le désert français », n'est plus de mise.
Élu du treizième département le plus rural de France, je mesure les défis à relever pour résorber les fractures aggravées par le précédent gouvernement, avec une RGPP mise en oeuvre dans la seule logique comptable. Des territoires ont été stigmatisés, l'État s'est désengagé, des services publics ont fermé. Le malaise des populations est grand. Les défis sont nombreux pour le nouveau gouvernement, qui seront relevés grâce à la confiance nouvelle qu'il manifeste dans l'intelligence des territoires et des collectivités territoriales.
La démographie médicale est un défi majeur. Il faut agir vite, sinon la situation deviendra irréversible. En Lot-et-Garonne, un tiers du territoire pourrait se retrouver sans médecin d'ici sept ans. Le département, en partenariat avec les services de l'État et les professionnels de la santé, a mis en place une commission départementale de la démographie médicale, et défini quinze aires de santé où les professionnels sont regroupés en réseau autour d'un projet.
Le très haut débit est un enjeu d'attractivité et de compétitivité, comparable à ceux de l'adduction d'eau et de l'électrification. La mission diligentée par Fleur Pellerin ouvre des perspectives encourageantes. Les territoires ruraux sont en attente de mesures fortes et de financement pour déployer les réseaux.
Le monde rural n'est pas replié sur lui-même, il est capable de faire face à ces défis, pour peu que l'État s'engage au côté des collectivités territoriales. (Applaudissements à gauche)
Mme Odette Herviaux . - Un enjeu a parfois été oublié au cours de ce débat : l'avenir des territoires insulaires, condensé des potentialités et des problèmes des territoires ruraux. On connaît les îles parce qu'on y va en vacances ; que sait-on du combat quotidien de leurs habitants ? Toujours concernés par la loi Littoral, contraintes au plan financier, nos îles métropolitaines et ultramarines doivent faire face à des tensions extrêmes qui menacent jusqu'à leur survie.
Le retrait de la puissance publique, l'exode des jeunes ménages peut les réduire à des campagnes-nature, des campagnes-cadre de vie, ne vivant que l'été ou pendant les vacances scolaires. Devant l'insuffisance des infrastructures de santé, le renchérissement du coût d'approvisionnement, la pression résidentielle sur des espaces sensibles et les difficultés d'assurer la continuité territoriale, il appartient à la puissance publique de s'engager rapidement pour maintenir et soutenir les producteurs éco-responsables et les activités innovantes qui favorisent l'emploi et le maintien de la population. Les décisions nationales devront s'inscrire dans le cadre de la politique de cohésion de l'Union européenne et être déclinées finement dans le cadre des contrats de projets État-régions. Comme tous les territoires ruraux, les îles entendent contribuer au dynamisme de la France. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt . - (Applaudissements à gauche) Je me félicite de la tenue de ce débat, de sa qualité et de sa pertinence comme de son utilité. Nous reviendrons sur toutes les questions évoquées lors de l'examen de la loi sur l'égalité des territoires.
La ruralité est liée à l'agriculture. Je réponds à ceux qui s'inquiètent de l'accord sur les perspectives financières de l'Union européenne. Le contexte d'aujourd'hui n'est pas celui d'hier, compte tenu de la crise et des déficits budgétaires des uns et des autres. Nous avons obtenu un budget conforme à nos objectifs. Le président de la République Nicolas Sarkozy avait donné son accord à un budget où la contribution globale des États devait baisser de 200 milliards d'euros, loin de ce que nous avons obtenu ! Ces 100 milliards de différence sont dus à l'action du président de la République ; la PAC, la politique de cohésion, la politique de croissance ont été privilégiées.
Le budget de la PAC a baissé, c'est vrai ; mais la tendance n'est pas nouvelle. La position de la France a fait que le budget de la PAC a été établi à 56,3 milliards d'euros, contre 56,9 dans les perspectives antérieures. Nous avons préservé notre agriculture, la baisse sur le premier pilier a été compensée sur le deuxième. Nous avons défendu l'ambition agricole de la France et de l'Europe.
Les dotations aux collectivités territoriales... Lors de la campagne présidentielle, le candidat Nicolas Sarkozy avait proposé de les réduire de 10 milliards d'euros.
M. Gérard Larcher. - Mais non !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Relisez les programmes ! Chacun doit faire des efforts. (Mouvements divers à droite)
M. Gérard Larcher. - Ils pèseront sur les petites communes ! Nous vous jugerons à l'oeuvre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Les dotations ont été maintenues en 2013. L'objectif est de permettre à chaque collectivité de poursuivre ses investissements. (Exclamations sur les mêmes bancs)
Mme Sophie Primas. - Impossible !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Le conseiller territorial avait comme objectif de réduire le fameux millefeuille, au motif que les élus étaient trop nombreux, monsieur le président Larcher. Nous proposons de régler le problème qui tourne depuis si longtemps de l'équilibre entre les cantons...
M. Gérard Larcher. - Avec mesure !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - C'est ce que nous faisons. (Protestations à droite) Nous sommes tous attachés au monde rural. J'ai été maire d'un village de 256 habitants dès l'âge de 23 ans, j'y ai vécu trente-cinq ans. Je le connais parfaitement. C'est un enjeu de territoire, de société, de socialisation des individus. On parle encore d'aménagement du territoire, alors que la question posée aujourd'hui n'est plus celle des infrastructures mais de ce qu'on offre aux habitants.
Un territoire est perdu lorsqu'il est coupé du reste de la société. Le « rural profond » est le pendant des ghettos de banlieue. Tel est l'enjeu de la couverture numérique, de l'accès à la culture. Il faut des efforts spécifiques. Pour le numérique, un plan et des investissements sont nécessaires ; le président de la République s'est exprimé sur la question.
La Banque européenne d'investissement (BEI), recapitalisée, est aussi là pour favoriser les investissements dans la couverture numérique. Marisol Touraine a fait des propositions sur la santé et les territoires. Il faudra réfléchir à une organisation en réseaux, au-delà des maisons de santé, à la répartition de l'activité médicale sur le territoire, à la télémédecine, au partage des soins entre médecins et infirmières.
L'éducation est servie par les créations de postes qui permettent de maintenir des écoles.
M. Didier Guillaume. - Absolument !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - La dimension économique du territoire est enfin essentielle. Toutes les mesures prises par le Gouvernement, le CICE, le contrat de génération, les emplois d'avenir, concerneront les zones rurales et les activités agricoles ; j'y ai veillé.
Début mars, je présenterai un projet sur la méthanisation ; notre agriculture, notre industrie agroalimentaire doit être capable d'allier performance économique et performance écologique.
Les mots eux-mêmes doivent changer. Parlons socialisation, attachons-nous aux bourgs et aux centres-bourgs. Ensemble, nous devons réfléchir à l'urbanisation du monde rural autour des bourgs, arrêter la construction de lotissements consommateurs de terres agricoles. Le centre-bourg doit être réinventé. En 2030, la France comptera 71 millions d'habitants. C'est dire que l'espace devra être consommé autrement. Nous avons les Scot et les PLU, mais nous devrons avoir des schémas d'occupation agricole de l'espace, pour protéger les terres agricoles.
Je crois en l'avenir du monde rural. Il faut penser à la fois l'urbain et le rural, nous appuyer sur les intercommunalités et les bourgs, revoir les dotations, encourager les activités économiques et l'agriculture, essentielle pour relever les défis de l'alimentation et de l'environnement. C'est un beau projet, nous y reviendrons bientôt. (Applaudissements à gauche)
La séance est suspendue à 17 h 05.
présidence de M. Jean-Pierre Bel
La séance reprend à 17 h 10.
Débat sur la politique étrangère
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la politique étrangère à la demande du groupe UDI-UC et la commission des affaires étrangères.
M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC . - Je salue la tenue de ce débat et je remercie le président de la commission. Lorsque nous étions au pouvoir, il était un adversaire rude de la politique de la droite et du centre ; il est devenu un président convivial qui a su donner une nouvelle dimension à la commission. (M. le président de la commission remercie)
M. Jean-Michel Baylet. - C'est louche... (Sourires)
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je remercie également la Conférence des présidents d'avoir accepté la demande de débat de l'UDI-UC.
La politique étrangère de la France a longtemps été un angle mort du contrôle des assemblées. Nous avons trop longtemps vécu sur cette idée du consensus gaullien selon lequel nous devrions nous en remettre entièrement au président de la République. Après plus d'un demi-siècle de gel de la réflexion sur les orientations prioritaires de notre diplomatie, j'espère que ce débat permettra à la Haute Assemblée d'être pionnière.
Le monde a changé, mais pas nous. Le rapport de la CIA sur l'état du monde en 2050 est édifiant. Que représente 1 % de la population mondiale face à l'Inde, la Chine, le Brésil ? Entre 1999 et 2011, notre production industrielle dans notre PIB a diminué de 30 points. Nous vivons, selon les mots de Christian Saint-Étienne, un « mai 1940 économique ». L'Union européenne représente 25 % de la richesse mondiale ; elle n'en pèsera plus que 12,5 % en 2050. L'affaiblissement de notre continent est patent. L'Europe des affaires étrangères est un cas exemplaire de la diplomatie de réaction. Le bilan de Mme Ashton est décevant et l'Europe reste sur la scène diplomatique un agrégat informe de diplomaties parallèles.
Seule, la France est condamnée au déclassement. Or son destin et celui de l'Europe sont liés, il n'y aura pas de France respectée dans le monde sans une Europe forte et pas d'Europe forte sans la restauration de notre force économique. La France doit mettre à profit son histoire pour faire de l'Europe le lieu d'une diplomatie de prospection adaptée à l'échelle du monde ; ce qui passe par l'élaboration d'une politique stratégique de voisinage avec nos voisins continentaux.
En 2050, le continent africain comptera deux milliards d'habitants. Dans son discours de Dakar, Nicolas Sarkozy avait parlé à l'Afrique d'avenir, de croissance, de démocratie et donné le Sénégal en exemple d'une Afrique qui est sortie des impasses d'un colonialisme dépassé. Mais les réflexes de la Françafrique sont encore là. Nous menons une politique africaine désuète, en retard d'une génération. Le geste le plus spectaculaire de la France en Afrique ces dernières années est sans doute notre intervention au Mali, que le groupe UDI-UC soutient. Mais il y a quatre ans, nous parlions d'un dialogue d'égal à égal dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée. Nous restons embourbés dans des opérations de police alors que la Chine s'est lancée dans une vaste politique d'influence économique à l'échelle du continent. Elle prend possession des terres, des entreprises et des finances africaines. C'est la stratégie d'un grand pays.
La France et l'Europe sont restées à l'écart de ce mouvement, alors que ce continent est tourné vers l'avenir. Grande puissance militaire, la France est pourtant incapable d'entraîner l'Europe vers une politique de défense commune et reste impuissante devant le dynamisme chinois. L'Union, affaiblie, va manquer son rendez-vous avec un continent d'avenir.
La Russie devrait aussi être un partenaire majeure de l'Union européenne et de la France. Les liens entre l'Europe et la Russie sont le produit de la nécessité historique et de la réalité géographique. La Fédération de Russie est une nation soudée par une langue et une religion ; l'Europe, elle, est riche de sa diversité mais ne parvient pas à l'exploiter. Face à la Russie, c'est le Saint-Empire face à la France de Louis XIV.
Plus le temps passe, plus l'interdépendance entre l'Europe et la Russie, déjà soulignée par le général de Gaulle en 1949, s'accroît, mais les relations manquent d'ambition, alors que la Russie a les ressources en énergie et en matières premières dont nous avons besoin.
Nous condamnons le pouvoir russe sans mesurer qu'un processus de transition est en cours. Nous jugeons la Russie au regard de nos standards politiques sans comprendre qu'elle est passée en vingt-cinq ans du communisme au statut de puissance énergétique émergente. La France et l'Europe restent figées dans une diplomatie de la réaction. Depuis des années, je proclame que l'Europe n'a pas d'avenir sans la Russie. Une fenêtre de dialogue existe, mais elle est étroite. Tout reste à faire. La France investit plusieurs milliards d'euros en Russie mais les investissements russes restent timides dans notre pays. Le sentiment d'insécurité fiscale dissuade les Russes d'investir chez nous.
Notre réseau diplomatique est le deuxième du monde, nous dit-on. Certes, nous sommes une puissance nucléaire et nous avons un représentant permanent au Conseil de sécurité ; atouts qui sont hypothéqués par l'absence de réformes économiques et une politique fiscale erratique et dissuasive.
La France a besoin d'une « ville-monde ». Fernand Braudel a montré que la concentration géographique parisienne a été l'un des facteurs du rayonnement de la France. L'Île-de-France, c'est 30 % de la richesse nationale, la première région d'Europe ; pourquoi ne serait-elle pas la première du monde ? Il nous faut pour cela refuser un Grand Paris au rabais.
Notre pays souffre d'un vice majeur. Alfred Sauvy disait de la France des années 1930 qu'elle était « un vieux pays, avec de vieilles gens qui avaient de vieilles idées » - formule qui reste vraie aujourd'hui. Nos concitoyens se replient sur eux-mêmes, rejettent le monde extérieur.
Le Gouvernement a annoncé l'été dernier sa volonté de renforcer l'initiative économique dans la diplomatie française en créant une direction de la diplomatie économique. Qu'en est-il, monsieur le ministre ? Le principe d'une diplomatie économique est-il pertinent dans la période de crise actuelle ? Ne faudrait-il pas au préalable restaurer notre influence économique en Europe ?
Nous avons besoin d'une feuille de route claire pour faire de la France, non la plus grande des puissances moyennes, selon la formule du président Giscard d'Estaing, mais le fer de lance et le leader continental de l'orientation diplomatique d'une Europe intégrée.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères . - Je me félicite de la tenue de ce débat qui ne s'explique pas seulement par l'engagement au Mali, mais qui montre les liens étroits entre la politique étrangère, la place de la France dans le monde et celle de son bras armé, sa défense. La résolution des crises internationales a montré que la France jouait un rôle essentiel.
Disposerons-nous demain des moyens de nos ambitions ?
M. Robert del Picchia. - Bonne question !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Jusqu'à présent, c'est à peu près le cas. « Nous sommes à l'os » disait votre prédécesseur en 2008. Et les choses ne se sont pas améliorées depuis. Le Livre blanc inquiète notre commission. Nous risquons un déclassement de notre pays sur la scène internationale.
Quelle conception avons-nous de la politique que doit mener la France ? Le monde a changé et change chaque jour. Si le temps de la prééminence des pays occidentaux est révolu, nous n'entendons pas nous laisser dicter notre avenir par d'autres. Le vice-président Biden, le 2 janvier, ne disait pas autre chose à la conférence de Berlin. La France reste une grande puissance moyenne, elle agit par elle-même avec ses partenaires européens et ses alliés. Si nous devions nous priver des moyens de mener une telle politique, il faudra le dire. Rien n'est tranché, mais les termes du débat sont sur la table.
Vous étiez hier à Bruxelles, monsieur le ministre. L'Europe est-elle en train de quitter le cours de l'histoire, demandait M. Védrine. Je ne le crois pas. Certes, il y a motif à s'inquiéter, surtout de la pathétique inexistence de ceux qui devraient incarner une politique internationale digne de ce nom, comme nous avons pu le voir lors de l'intervention au Mali, ou face au drame syrien. L'Europe est trop absente ; elle ne fait que financer, n'agissant plus. Son problème n'est pas que d'organisation, nous avons principalement besoin d'une pensée stratégique commune. Or, nous devons agir de façon communautaire. Avec les blocages britanniques, le pacifisme allemand et le désir des autres de se mettre sous le parapluie américain, l'optimisme ne peut être de mise. Si nous ne faisons pas l'Europe de la défense, nous allons nous dissoudre dans l'Otan et notre industrie de la défense passera sous contrôle américain comme le laisse pressentir la revue des règles Itar à laquelle l'administration Obama travaille sous la pression de ses industriels.
L'Asie et le Pacifique doivent devenir la nouvelle frontière de notre diplomatie. Le voyage du président de la République en Inde témoigne de nos intérêts. Mais si nos moyens sont réduits, ne devrons-nous pas nous en remettre à d'autres dans la zone géographique où vont bientôt se concentrer la croissance économique et les foyers de tensions du fait de la montée en puissance militaire de la Chine. Le lieu du « duel du siècle », selon le mot de Benoît Franchon et Daniel Vernet. Tous les pays de la zone se déterminent en fonction de la Chine. Il y a elle et les autres. Quelle est notre ligne directrice en la matière ?
Le bilan de dix ans d'intervention en Afghanistan est mitigé. La situation militaire reste très fragile, les insurgés toujours dynamiques. L'armée afghane prend le relais, mais connaît de lourds revers. Le soutien des armées occidentales lui reste indispensable. L'insurrection attend son heure pour agir. Comment éviter que ne se reproduise un effondrement comparable à celui du régime Najibullah après le retrait soviétique ? Que fera la France ? Quelles conséquences tirer de la phrase brillante d'un diplomate estimant que M. Karzai « partage avec ses compatriotes, au nom d'une courtoisie immémoriale, cette culture du travestissement de la réalité », que nous appelons autrement ? Quid du clientélisme, qui repose largement sur l'aide extérieure ? La guerre civile ne risque-t-elle pas de renaître ?
Nous avons réagi vite et fort au Mali, et nous avons remis les Maliens et l'ONU au centre du jeu. La faiblesse des États est une menace. Au Mali, il faut restaurer l'État, avec des élections que je crois possibles puisque, désormais, 98 % de la population pourraient voter en juillet. Reconstruire l'État, c'est aussi reconstruire l'armée, la gendarmerie, la police. Nos forces peuvent y contribuer mais ne nous leurrons pas : l'armée malienne reste tiraillée entre diverses loyautés.
Reconstruire l'État, c'est surtout se réconcilier pour lui donner une assurance vie sur le long terme. La feuille de route permettra-t-elle d'instaurer un vrai dialogue pour l'instant pas vraiment engagé ? L'économie permettrait d'éloigner les finances du terrorisme. Évitons les erreurs du passé. Luttons contre la corruption. La diplomatie française doit proposer des solutions concrètes.
Quels enseignements tirer de cette crise pour nous-mêmes ? Nos trous capacitaires, connus de tous, sont confirmés. Certains programmes pour le ravitaillement, les drones ou le transport sont lancés. Mais les décisions qui risquent d'être prises en loi de programmation militaire font peser de fortes incertitudes sur le maintien des moyens de nos armées. Une des leçons du Mali c'est que nous devons pouvoir compter sur nos propres forces, faute de prise de conscience de nos partenaires !
L'importance de nos forces prépositionnées est manifeste : notre intervention au Mali aurait été impossible si nous n'étions présents en Afrique. La future loi de programmation devra prendre en compte la nécessité de pouvoir intervenir en premier. Comment, sans ces points d'appui, aurions-nous pu être sur le terrain cinq heures après la décision présidentielle ?
Nous avons eu la démonstration éclatante de l'importance de conserver intacte notre capacité à entrer en premier. Sachons en tirer les conséquences dans la future loi de programmation militaire.
Sur le plan diplomatique, enfin, il saute aux yeux que l'action militaire rencontre des limites évidentes. Elle n'a de légitimité qu'en fonction d'un objectif politique. La guerre n'est qu'un moyen. Dès la première minute d'un conflit, nous devons avoir une approche globale, incluant les questions de gouvernance, de restauration de l'Etat, de développement, dans une dynamique régionale. Nous avons beaucoup à apprendre de l'expérience de l'Afghanistan et de l'Irak. Nous savons que vous en avez conscience et c'est pourquoi nous vous soutenons, monsieur le ministre. (Applaudissements à gauche et sur divers autres bancs)
Mme Michelle Demessine . - En cette période mouvementée, le politique doit prendre le temps de la réflexion. Nous devons nous pencher sur le Mali, la Tunisie, l'Égypte et la Syrie.
Concernant le Mali, vos explications nous apporteront sans doute des éclaircissements. Je rends hommage à nos soldats. La première partie de la mission est une réussite. À Bamako, le président de la République a précisé que notre mission n'était pas terminée. Monsieur le ministre, vous déclariez que nos troupes pourraient commencer à se retirer dès le mois de mars. Que veut, que peut faire la France au Mali ? Nous venons d'achever de nous déployer et une nouvelle phase est en cours pour pourchasser les terroristes. Devons-nous le faire nous-mêmes ? Ce serait hasardeux.
Les forces africaines devraient être en mesure de prendre le relais rapidement. Face à la guérilla et au terrorisme urbain, le France ne peut rester seule. Nous approuvons donc vos efforts diplomatiques afin que nous soyons soutenus par la communauté internationale. L'ONU et l'Union européenne doivent s'engager à nos côtés.
La logique et l'efficacité commandent de mettre la force africaine sous le contrôle de l'ONU. La tâche est difficile, nous le savons. Cette intervention nous oblige, de facto, à assumer la lourde responsabilité de veiller à la bonne application de la feuille de route, avec les élections en juillet. La réconciliation nationale du Mali devra avoir lieu ; elle requiert un dialogue constructif avec tous afin de réduire la fracture entre le nord et le sud du pays.
La réponse au chaos ne peut être exclusivement militaire, mais aussi politique et sociale. Il faut que l'État recouvre sa souveraineté sur tout le territoire malien, que ce soit un État de droit qui garantisse un juste partage des richesses. Passé le premier temps de l'intervention, nous craignons que les intérêts particuliers l'emportent. Des relations éco-équitables sont nécessaires. Saisissez l'occasion de cette crise pour refonder notre aide au développement.
En Tunisie et en Égypte, les printemps arabes évoluent de façon étrange. Le modèle de société qui veut être imposé est récusé par le peuple tunisien. Rappelons le respect des principes de tolérance et de démocratie. Aidons les forces démocratiques de ce pays allégeons sa dette.
La situation de la Syrie reste dramatique. Comment la France peut-elle apporter son soutien à l'opposition syrienne ? L'Union européenne n'a pas levé son embargo sur les armes létales, comme ce fut le cas en Libye. L'opposition syrienne doit contrôler les groupes islamistes, avant de pouvoir compter sur notre soutien actif. (Applaudissements à gauche)
Mme Nathalie Goulet . - Cinq minutes pour faire le tour d'un monde qui va si mal ! (Sourires)
Je rentre de Turquie, pays allié et ami. Quelles sont les perspectives pour son adhésion à l'Union européenne ? Ce pays a une frontière commune avec la Syrie, dont la guerre civile a des conséquences inattendues pour le Caucase du sud, pour lequel vus connaissez mon attachement. Les réfugiés syriens d'origine arménienne sont en effet installés dans des territoires occupés d'Azerbaïdjan dans le Haut Karabakh ainsi que dans les régions de Lachin et Kelbadjar. Cette politique arménienne constitue une violation du droit international humanitaire y compris de la quatrième convention de Genève. Cette tentative de l'Arménie de modifier la démographie de l'Azerbaïdjan montre son intention de consolider les résultats de son agression contre ce pays. Au lendemain d'élections arméniennes prétendument démocratiques et de l'ouverture de l'aéroport de Khojaly, la France, correspondante du groupe de Minsk, doit faire respecter le statu quo dans cette région oubliée des médias.
Toute la zone risque d'être ébranlée. La Russie risque de reprendre toutes ses marques dans un Caucase qu'elle considère comme sien. L'Azerbaïdjan restera le seul pays sûr de cette région. Quoique membre de la Conférence islamique, il entretient des relations avec Israël et les femmes y votent depuis 1918. Il faut absolument que vous soyez attentif à cette zone, monsieur le ministre.
J'en termine en saluant votre action dans ce ministère que vos prédécesseurs avaient laissé s'embrumer. (Protestations à droite) Vous pouvez compter sur mon soutien, monsieur le ministre. (Applaudissements sur quelques bancs)
M. Jean-Michel Baylet . - Dans un monde en grand bouleversement, ce débat est bienvenu.
Tout d'abord, le Mali : le 16 janvier, nous en avons débattu ici même. L'intervention fut largement approuvée. Ne pas répondre à l'appel de ce pays aurait entraîné son écroulement et peut-être même de toute la région. Le président de la République a exposé les grandes orientations de sa politique africaine. La France a choisi d'assurer les responsabilités qui lui incombent sans perpétuer une politique d'ingérence. Cet épisode pose une fois de plus la question de l'Europe de la défense.
Il faut rétablir un État malien solide pour restabiliser la région. L'action de nos forces engagées dans l'opération Serval doit être louée. Les terroristes se sont repliés dans l'immensité saharo-sahélienne aux frontières poreuses. Ils demeurent une menace. Rétablir l'État malien passera par la remise du pouvoir aux civils et le rétablissement de l'ordre constitutionnel.
Le Conseil de sécurité de l'ONU se réunira dans les prochaines semaines et évoquera le possible déploiement de Casques bleus. L'Europe pourrait participer à la reconstruction de l'État malien. Une conférence des États observateurs pour le Mali coorganisée par l'Union européenne et la France se réunira la semaine prochaine à Bruxelles. Quel est l'objectif du Gouvernement ? Je n'oublie pas les otages français détenus au Sahel, non plus que les sept Français kidnappés cet après-midi à l'extrême nord du Cameroun, toute une famille. Il faut lutter avec détermination contre ce business de l'enlèvement.
La stabilisation des pays d'Afrique du Nord est essentielle. Les inquiétudes sont vives en Tunisie et en Égypte ; deux ans après le « printemps arabe », ces deux pays sont menacés par des tensions politiques et sociales liées au terrorisme religieux. Quelles actions, monsieur le ministre, pour favoriser une réelle transition démocratique ?
Où en sommes-nous sur la Syrie ? Le blocage au Conseil de sécurité persiste. Aucun des deux camps ne semble en mesure de l'emporter. Le risque d'enlisement existe bel et bien. Sans la Russie, aucune solution n'est possible. Quels seront les rapports de force dans une éventuelle Syrie post-Assad ?
Quant à l'Iran, il est jeté dans une fuite en avant qui va s'exacerber avec la campagne présidentielle prochaine ? Que pensez-vous de l'attitude pour le moins ambiguë des monarchies pétrolières du Golfe, en particulier du Qatar et de l'Arabie séoudite ?
La Turquie doit être considérée comme une partie prenante de l'Europe. Cessons de la rejeter.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. - Quand il s'agit de l'Histoire, la France est au rendez-vous ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Leila Aïchi . - Sans loi, la légitimité de toute autorité est insignifiante. Il est bon de rappeler certains principes essentiels de sortie de crise qui devraient être au coeur de la politique étrangère de la France.
Au Mali, il faut reconstruire un pouvoir légitime, qui réponde aux aspirations de la société civile. Le gouvernement malien a annoncé des élections présidentielle et législatives. François Hollande a appelé au dialogue politique lors de son déplacement.
La résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations unies est très claire. Ces élections cruciales auront valeur de test. Le respect des droits de l'homme est fondamental. La protection des civils au Mali incombe au premier chef aux autorités maliennes. Or des exécutions sommaires ont eu lieu, dont au moins onze personnes ont été victimes. Le Haut Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme a lancé un appel solennel à tous les protagonistes du conflit pour empêcher les représailles, reconnaissant ainsi leur réalité.
En Afghanistan, quel bilan de dix ans de guerre contre le terrorisme, alors que l'espérance de vie est de 48,7 ans, que la mortalité infantile est très élevée et la situation des femmes alarmante ?
Le régime de Hosni Moubarak est tombé il y a deux ans. L'Égypte semble toujours profondément divisée. Avons-nous une juste appréciation de sa réalité politique ? L'inquiétude est aussi de mise en Tunisie où Chokri Belaïd a été assassiné. Là aussi, interrogeons-nous sur notre capacité à appréhender une situation politique complexe.
En Syrie, la situation est tragique. La Russie semble se préparer à évacuer des Russes. Elle est une clé maîtresse de toute sortie de crise. Pendant ce temps, les civils meurent, la guerre continue.
Sans institutions solides, la tyrannie de la force l'emporte sur le règne du droit. Sans loi, la légitimité de toute autorité est inexistante. Sans légitimité, la concorde civile est impossible. Dans un monde instable, notre diplomatie doit être éclairée, audacieuse et visionnaire.
M. Gérard Larcher . - (Applaudissements sur les bancs UMP) C'est en tant que coprésident, avec Jean-Pierre Chevènement, du groupe Sahel de la commission des affaires étrangères et de la défense, que je m'exprime.
La guerre au Mali contre le terrorisme est-elle gagnée ? Évidemment non. Ne nous leurrons pas sur les victoires d'une guerre de mouvement dont nous avons su imprimer le tempo. Un soldat du 2e REP vient de tomber. Le risque terroriste demeure, de même que le risque d'exactions, le risque de diffusion et d'enkystement des terroristes. Nous n'en avons pas fini avec cette guerre, qui met nolens volens notre pays seul en avant.
La lecture de la presse de certains pays est éloquente et décourageante. Serval, comme Janus a un double visage : guerre nécessaire, absence d'une structure de défense réellement africaine.
M. Henri de Raincourt. - Bien dit !
M. Gérard Larcher. - Si nous n'étions pas intervenus le 11 janvier, Bamako tombait. Saurons-nous transformer cette opération en stabilité politique ? Nous rencontrons avec Jean-Pierre Chevènement, les autorités maliennes la semaine prochaine. Qui pourrait jurer que toute allégeance prétorienne serait absente ? Le jour d'après ne peut être que celui d'une refondation. Mais comment reconstruire un pacte social en lambeaux ?
Le calendrier électoral est-il tenable ? Quelle sera la gouvernance du nord ? Peut-on s'inspirer du Niger ? Nombre de nos collectivités ont tissé des liens avec les élus locaux. La classe dirigeante malienne est décomposée, au moment même où elle doit imaginer un nouveau modèle de République. État, justice : voilà les piliers qu'il faut refonder. À partir du 6 avril, se posera un problème de légitimité du président de la République et du Premier ministre au Mali.
Saurons-nous mobiliser la communauté internationale ? Le Mali sortira bientôt de l'agenda médiatique, n'en doutons pas ! Saurons-nous éloigner le spectre d'un scénario somalien, en nous appuyant sur l'incontournable Algérie, en position positive actuellement ?
Traitons les causes et non seulement les conséquences. Quels enseignements tirer de notre engagement au Mali ? Conserverons-nous notre outil de défense ? Nous touchons aujourd'hui les bénéfices de nos choix d'hier, qu'en sera-t-il demain ?
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Nos choix d'avant-hier !
M. Gérard Larcher. - La dépense publique, c'est au total 56 % du PIB, dont 1,5 % pour la défense. L'esprit de Lancaster House semble souffler plus fort que celui de Weimar plus.
La France doit rester cet acteur incontournable de la vie internationale, qui ne subisse pas les évolutions du monde, mais qui conserve la faculté d'en infléchir le cours, qui exerce une influence mondiale bien au-delà de son poids économique et démographique. C'est là tout le génie de notre politique étrangère depuis le général de Gaulle. Nous sommes nombreux, sur tous les bancs, à souhaiter que cela continue, sans doute dans le contexte renouvelé du xxie siècle, mais sans renoncement. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Josette Durrieu . - Je reviens sur les printemps arabes. Les chutes en série des régimes autoritaires dont nous nous sommes accommodés pendant des années nous ont frappés. Depuis lors, les islamistes ont gagné toutes les élections. Peut-être n'a-t-on pas vu leur ancrage, leur force sociale et politique. Ce n'est qu'un début. Radicalisme ou modernité ? Islamisme ou démocratie ? Les salafistes, les djihadistes ne sont pas tous terroristes et mafieux, mais les groupes terroristes et mafieux se réclament du djihadisme.
Les musulmans conservateurs sont majoritaires. En Tunisie, ils sont 80 % des sièges. Ils sont de droite, comme Ennahda. D'autres sont de gauche, comme le président de la République de Tunisie, qui compare les démocrates islamiques à nos démocrates chrétiens. Il existe aussi des libéraux. Ils n'ont pas encore d'ancrage dans la société. D'où l'absence d'alternance idéologique. Quelle évolution possible de l'expérience de la démocratie musulmane ?
Le Sahara occidental intéresse-t-il la France ? La stratégie des islamistes évoluera-t-elle ? Ils savent paralyser, radicaliser, islamiser les conflits locaux, comme ils l'ont fait avec les Touaregs. Où en est la mission de l'ONU ?
La crise malienne comporte-t-elle une possibilité de trouver une solution pour le Sahara occidental ? Quels sont les enjeux pour le Maghreb ? Le Maroc est-il exposé? Statu quo ou instabilité ? (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Michel Boutant . - L'an dernier, la France a commémoré le cinquantième anniversaire du traité d'Évian et de la fin de la guerre d'Algérie, l'Algérie, le cinquantenaire de son indépendance. Que d'amertume et de ressentiment entre l'Algérie et l'ex-colonisateur !
Pourtant, l'émigration algérienne vers la France a fourni à notre pays une importante main-d'oeuvre, pendant que notre pays a continué à acheter du gaz et du pétrole à l'Algérie.
Où en sont nos relations ? Au moment où notre pays est engagé au Mali pour lui permettre de recouvrer son intégrité menacée par des bandes armées, nous partageons un intérêt commun et peut-être une cause commune, point de départ d'une relation de confiance.
C'est l'occasion de régénérer nos relations - les signes d'un changement de nature de ces relations existent. Les choses bougent, au niveau institutionnel.
Dans le dialogue indispensable entre les rives nord et sud de la Méditerranée, la France et l'Algérie peuvent jouer un rôle déterminant. Une lumière est allumée. Nous pouvons surmonter le passé, comme l'ont fait la France et l'Allemagne.
L'accueil réservé au président de la République par la population est le signe du réchauffement de nos relations. Monsieur le ministre, comment considérez-vous les rapports franco-algériens ? Quel regard portent sur eux vos homologues algériens ? Comment ces deux pays peuvent-ils écrire une nouvelle page de notre histoire dans leur intérêt partagé ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Daniel Reiner. - Très bien !
M. Joël Guerriau . - Le groupe UDI-UC rend hommage à nos militaires, tout particulièrement à l'officier du commando du 2e REP de Calvi qui vient d'être tué.
La France sera demain moins isolée lors des retombées économiques qu'elle ne l'est aujourd'hui avec son intervention. Avons-nous une stratégie économique globale ? Le groupe français Areva a perdu l'exclusivité des sources d'uranium au Niger, au profit des États-Unis et du Canada, mais surtout de la Chine, qui pratique la diplomatie du cadeau.
La France est présente, en Libye, mais très peu de ressortissants français se trouvent sur son territoire. La Libye peut pourtant devenir une nouvelle terre d'échanges pour le développement du commerce et de l'industrie française. Aujourd'hui, l'Allemagne et l'Italie, absentes du conflit, disposent d'une ligne aérienne régulière, pas la France, pourquoi ? Notre pays doit pouvoir jouir là-bas de son aura. Avons-nous des perspectives?
En Algérie, qui veut être la puissance hégémonique du Maghreb, plus de 50 % des échanges se font en dehors de la France. La démocratisation de l'Afrique subsaharienne conduit à l'ouverture de ses marchés. La France dispose d'atouts pour nouer des liens solides. Je suis partisan de la générosité, mais pas de la naïveté.
Le développement des échanges économiques doit figurer parmi nos objectifs. (Applaudissement sur les bancs du RDSE et UDI-UC)
M. Raymond Couderc . - Depuis bientôt deux mois, les observateurs concentrent leur attention sur les événements au nord de l'Afrique, ainsi que sur la dramatique et inextricable situation syrienne.
Pourtant, le 12 février dernier, la Corée du Nord a démontré au monde que le terrorisme n'est pas la seule menace. Ce nouvel essai nucléaire est différent de ceux de 2006 et 2009. Le régime nord-coréen est capable d'équiper ses missiles balistiques d'ogives nucléaires, selon ses sources officielles. Le début de la miniaturisation témoigne de la ferme volonté de mise en place d'un arsenal nucléaire. Pourtant la situation économique du pays est catastrophique, la population exsangue alors que la Corée du Nord s'était engagée à ne développer un programme nucléaire que pour la seule production d'électricité. Depuis quinze ans que la Corée du Nord exerce son chantage, les accords de Kedo de 1994 sont devenus caducs.
Depuis 2006 nous en sommes au troisième essai et à la violation des résolutions du Conseil de sécurité. Les espoirs suscités à la suite du décès de Kim Jong-il se sont révélés vains. Ce fut une occasion ratée pour toute évolution positive du régime. Bien sûr, il convient de nous féliciter que la Chine ne cautionne pas et condamne ce nouvel essai. Mais de là à prendre des sanctions, il y a un pas qui ne risque pas d'être franchi.
Le nouveau gouvernement sud-coréen semble plus ouvert au dialogue que son prédécesseur. La France travaille avec ses partenaires du Conseil de sécurité et de la région à un renforcement des sanctions contre la Corée du Nord. Mais peut-on aller au-delà des sanctions actuelles ?
Le président Obama dans son adresse au Congrès a annoncé une réduction de son arsenal nucléaire. Outre qu'il ne sera pas suivi par le Sénat, le traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires ne sera pas adopté et il perd sa crédibilité.
Le sommet de Séoul sur la sécurité nucléaire, qui s'est tenu en mars dernier, a abouti à des résultats. Mais qu'en reste-t-il un an plus tard ? Quelle sera l'approche de la France au prochain sommet qui se tiendra en 2014 aux Pays-Bas ? Israël, l'Inde et le Pakistan ne se cachent plus. La Corée du Nord et l'Iran bénéficient de la diplomatie financière chinoise et de grands investissements. Plus que de provocation, il s'agit d'émulation, alimentée par la faiblesse des pays occidentaux et de l'ONU. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Gilbert Roger . - À peine le président de la République a-t-il pris ses fonctions, qu'il a aussitôt été plongé dans le grand bain international. Il a su prouver, contrairement à ce que Nicolas Sarkozy prétendait durant la campagne, qu'il avait la carrure de sa fonction. En Europe, il a su imposer une stratégie de relance et de sortie de crise, en faisant céder la Chancelière au sommet du 29 juin dernier.
Au nord-Mali, il a empêché, à l'approbation de la communauté internationale, que le pays bascule tout entier aux mains des extrémistes, alors que l'intervention du président sortant en Libye n'avait pas fait consensus. Ces résultats ne peuvent empêcher un débat sur le déclassement stratégique de la France. Rien ne doit nous permettre d'aller en deçà de 1,5 % de PIB, pour notre budget de la défense, comme l'a déclaré le président Gérard Larcher.
L'industrie de la défense doit être considérée comme un moyen et non une fin. Notre réintégration dans le commandement militaire de l'Otan n'a pas permis d'européaniser la défense, écartelée entre les démarches multilatérales et bilatérales. La politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) sont au point mort. Le risque de voir l'Otan devenir une simple alliance, jadis dénoncée par François Mitterrand, est toujours d'actualité.
Quelle valeur ajoutée pour la France dans les décisions prises ? Quelle voix particulière la France souhaite-t-elle faire entendre ? La France a toujours été le porte-voix des sans voix. Cette singularité, fidèle à son histoire, doit être préservée, dans la tradition qui court de la Révolution française à de Gaulle et Mitterrand. Ne la perdons pas de vue, faute de perdre notre influence sur la scène internationale. (Applaudissements à gauche)
présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente
M. René Beaumont . - Nos collègues ont évoqué le Mali. Pour ma part, je souhaite parler de la nouvelle carte géopolitique des mers.
Nous avons déjà parlé de la lutte contre la piraterie maritime. Les espaces maritimes sont immenses, en termes de surface, mais aussi d'importance économique.
Les océans sont un nouveau théâtre de la mondialisation. Je tiens à rendre hommage au rapport de MM. Trillard et Lorgeoux sur la maritimisation, qui décrit une situation nouvelle, peu prise en compte dans les agendas diplomatiques.
M. Trillard et moi-même étions intervenus en 2010 sur la piraterie maritime. Notre politique étrangère doit être plus perspicace, les supertankers représentant un fonds d'investissement qui permet aux pirates de se doter de véritables arsenaux. Les compagnies embauchent des sociétés privées de sécurité et leurs primes d'assurance ont fortement augmenté et les risques environnementaux ne doivent pas être négligés, s'agissant de transport de produits chimiques ou de pétrole.
En 2010, les actes de piraterie étaient condamnés par tous les pays, sans exclusion. Mais depuis, les délits, avec leur multiplication, se sont banalisés.
Les pirates font vivre des régions entières. Pire, des mécanismes de microcrédits se sont développés. Il existe de moins en moins de frontière entre crime organisé et redistribution sociale.
Au début de l'année, la hausse de l'essence a aggravé la situation. Au Nigéria, des contrebandiers ont organisé un marché parallèle. Les pirates sont désormais considérés comme des bienfaiteurs. La Somalie n'a plus d'état central depuis longtemps et les trafics de cargaison atteignent des records : 28 bâtiments et 600 marins seraient retenus au large de ses côtes. Certes, la sécurisation des transports est prévue, mais là ne réside pas la solution. La France doit responsabiliser les États et les aider à se développer. Que compte faire le Gouvernement pour pacifier ces transports ? (Applaudissements à droite)
M. Jacques Berthou . - (Applaudissements sur les bancs socialistes) La France développe une politique internationale majeure. Les conflits nous concernent tous. La politique conduite est cohérente. Avec notre tradition diplomatique, s'appuyant sur les principes universels des droits de l'homme.
La France est intervenue au Mali, à la demande du président de la République malienne, pour éviter que ce pays ne sombre dans l'intégrisme. Le monde a changé, il est devenu divers et notre action doit être multipolaire en intégrant les défis de l'économie, de l'écologie et de la démographie.
En quelques mois, nous avons orienté notre politique mais nous devons nous donner les moyens de réussir : l'économie sera le vecteur de notre influence.
J'ai commis un rapport d'information intitulé : « Pour une équipe France à l'expertise internationale ». Ce titre reprenait votre expression, monsieur le ministre. Nos opérateurs sont fragilisés face à la concurrence. Nous avons du mal à y faire face et c'est pourquoi nous devons atteindre la masse critique nécessaire pour emporter les appels d'offres. Une réduction des crédits marquerait notre décrochage sur la scène internationale.
La présence française doit s'appuyer sur notre expertise internationale et sur l'Agence française de développement.
Nos représentations dans le monde jouent un rôle important : notre réseau diplomatique défend notre culture et nos valeurs et il doit aider nos entreprises à vendre à l'étranger.
Vous avez créé, monsieur le ministre, une direction des entreprises et de l'économie internationale. Nos entreprises doivent pouvoir compter sur notre réseau pour les épauler, les appuyer. La facette économique est incontournable, monsieur le ministre. Notre personnel à l'étranger ne doit pas oublier que notre présence économique est indispensable au rayonnement de la France, comme l'est notre culture. L'équipe France doit bousculer nos habitudes. Je souhaite que vous réussissiez, monsieur le ministre, car la réussite de la France en dépend. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Nathalie Goulet et M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien !
M. Robert del Picchia . - On vous a fait faire le tour du monde, monsieur le ministre. (Sourires)
La politique étrangère est l'expression de la Nation sur la scène internationale. Certains principes sont intangibles, l'envoi des troupes françaises est un outil de la diplomatie de la France, mais elle marque un certain échec de la politique, s'il est vrai que la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens... (Sourires) L'envoi de troupes est une décision grave qui demande réflexion. Sans stratégie, le recours à la force armée est un échec. Avec l'opération Serval, il me semble que nous avons tiré les leçons des expériences et des échecs précédents de l'administration Bush.
Cette opération est limitée dans le temps, elle vise à pacifier le Mali, à agir contre la corruption, à soutenir un processus politique, à s'appuyer sur des organisations régionales. Les axes sont bien définis, mais qu'en est-il du reste ?
Quelle vision à moyen terme de nos actions ? Disposons-nous d'un document qui permette d'anticiper pour éclairer les décisions à prendre comme l'Allemagne en a rédigé un pour ses rapports avec l'Afrique ? J'avais rédigé un rapport sur l'anticipation stratégique, idéal à atteindre, avec des incertitudes réduites. La prospective permet de réduire les scénarios possibles, en utilisant les connaissances actuelles pour imaginer l'avenir. Pourtant, la révolution de Jasmin a pris tout le monde de cours. Même remarque pour la crise bancaire ou les conséquences nucléaires du tsunami au Japon. Nous avons largement fait preuve de complaisance vis-à-vis du président Gbagbo.
Gouverner, c'est prévoir, mais il est vrai que c'est un art difficile. Il est important d'anticiper l'avenir. Mais comment prévoir qu'un jeune chômeur s'immolant par le feu allait faire tomber le régime tunisien ? Un micro-événement sera-t-il le catalyseur de la fin du régime nord-coréen ?
Les dossiers des grandes crises actuelles sont sur votre bureau, monsieur le ministre, et je loue le travail de votre équipe au Conseil de sécurité de l'ONU. Mais il faut prévoir le reste, l'avenir. Vous voulez renforcer au sein du quai d'Orsay un centre de prospectives. Je m'en félicite.
Demain, un projet de loi sera présenté en conseil des ministres sur la représentation des Français de l'étranger. Cette réforme a provoqué une levée de boucliers car elle est assimilée à une disparition de l'Assemblée des représentants. Des gestes politiques seront nécessaires. Nous arriverons à trouver des solutions. J'en suis persuadé.
En tant que Viennois j'ai cherché, pour paraphraser Freud, sinon à vous permettre de voir clair, du moins à vous montrer clairement les obstacles qui vous attendent. (Sourires ; applaudissements à droite)
M. Jeanny Lorgeoux . - Dans un monde instable, un Moyen-Orient en ébullition, la Turquie reste hésitante sur la direction à prendre. Ses questionnements représentent autant d'opportunités stratégiques pour nous rapprocher de ce pays. Ce grand vaisseau de pierre arrimé en Méditerranée constitue un îlot naturel de stabilité et un pont entre l'Europe et l'Asie.
Dans les domaines de la technologie et de l'innovation, du commerce, de l'éducation, même si la laïcité chère à Mustafa Kemal est un peu ébréchée, l'avenir de la Turquie se construit avec l'Europe, tandis que l'Europe trouve un allié en termes de défense et un partenaire économique.
Certes, l'opinion française est traditionnellement défavorable à la Turquie, en raison de dossiers douloureux, mais les épouvantails agités à l'égard de la Turquie sont souvent infondés. Non, l'immigration turque ne submerge pas l'Europe, la Turquie se développe et se modernise, en surfant sur une croissance de 8 %.
La Turquie est sûre de son destin, fière de son passé et conquérante diplomatiquement.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Jeanny Lorgeoux. - Il existe une espérance de l'ouverture des marchés turcs pour nos entreprises, même si son économie se tourne de plus en plus vers les pays arabes.
Où va la Turquie ? Pour l'avoir tenue en lisière, l'Europe risque de perdre un atout majeur. Si cet éloignement advenait, ce serait préjudiciable pour l'Europe et la France, un véritable contresens stratégique.
François Ier, qui vécut à Romorantin, a signé un traité commercial dit des « capitulations » le 4 février 1536 avec Soliman le Magnifique. Souvenons-nous en aujourd'hui, alors que la Sublime Porte revient sur le devant de la scène. N'y a-t-il pas lieu de pousser plus avant le dégel de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne dont vous avez récemment pris l'initiative...
M. Robert Hue. - Très bien !
M. Jeanny Lorgeoux. - Certes, le verrou chypriote existe, mais la position turque sur l'Iran, la Syrie, le déploiement des missiles Patriot au-delà de Diyarbakir n'appellent-ils pas la bienveillance française et européenne ? L'ancienne Constantinople n'est-elle pas la véritable capitale de l'Europe du sud-est ?
Cette réalité géopolitique mérite une féconde méditation. (Applaudissements sur les bancs socialistes et UDI-UC)
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères . - Je veux d'abord exprimer une pensée particulière pour une famille avec de jeunes enfants qui a été prise en otage au nord du Cameroun près de la frontière nigériane, vraisemblablement par un mouvement qui sévit au Nigéria. S'il s'agit bien de Boko Haram, il ne faut pas oublier que ce groupe terroriste est proche de ceux qui sévissaient au nord-Mali. Nous sommes en contact avec les gouvernements concernés.
Je pense aussi au soldat français tombé aujourd'hui dans le nord du Mali, dans des combats extrêmement durs ; sa mort rappelle qu'une intervention militaire contre des groupes terroristes expose des vies.
Ce débat est de haute tenue. Vous avez fait un tour du monde et beaucoup ont évoqué un monde nouveau. Tocqueville écrivait dans De la démocratie en Amérique : « Il faut prendre garde de juger les sociétés qui naissent avec les idées de celles qui ne sont plus ». Cette mise en garde est bienvenue.
D'autres thèmes sont moins apparus. La question iranienne d'abord, qui demeure. Les Iraniens veulent se doter de l'arme nucléaire. Nous avons choisi une stratégie : la négociation, qui est la seule bonne, pour que l'Iran, grand peuple, grande civilisation, s'il peut se doter de l'énergie nucléaire civile, ne puisse accéder à l'arme nucléaire ; et, si la négociation n'aboutit pas, des sanctions de plus en plus fortes. Nous sommes dans la phase de négociation, sans résultat jusqu'à présent. En juin auront lieu des élections en Iran ; ensuite, il faudra apprécier la situation.
Nous n'avons pas beaucoup parlé du conflit israélo-palestinien, père de tous les conflits du Moyen-Orient. Je sais que nous partageons la même vision : la solution à deux États. La situation actuelle n'est favorable ni aux Palestiniens, ni à Israël. L'attitude du gouvernement israélien, qui poursuit la colonisation, rend la recherche de la paix plus difficile.
Le développement durable n'est pas seulement un slogan, c'est un défi pour le monde au même titre que les défis économique, démographique, sécuritaire, démocratique ; c'est une ambition et une nécessité. La France est candidate pour accueillir la grande conférence du climat en 2015. Il faudra que notre pays et l'Europe avancent.
Nous avons peu parlé aussi de francophonie et de rayonnement éducatif et culturel ; éléments qu'on ne peut séparer de l'économie et de la puissance d'influence de la France.
Enfin, il a peu été question d'Europe. Le président de la République, le Gouvernement sont résolument favorables à une Europe réorientée et différenciée, dont le coeur battant sont les pays de la zone euro mais qui puisse aller de l'avant, sur la base du volontariat, dans des domaines tels que l'énergie ou la défense.
Monsieur Pozzo di Borgo, je vous rejoins sur l'importance des aspects économiques. Il n'y a pas de puissance de la France si elle continue à s'affaiblir sur le plan économique. Un jour viendra où on nous demandera « d'où nous parlons ». S'il n'y a pas de poids, il n'y a pas de rôle ! C'est l'une des grandes questions qui se posent à la France comme à l'Europe.
Le président Carrère a soulevé des questions très pertinentes, comme à l'accoutumée, notamment en matière de défense. Bien sûr, nous connaissons des contraintes budgétaires. L'Europe ne fait que formaliser nos difficultés. La France est endettée, si elle veut assurer son indépendance et l'avenir de ses enfants, elle doit investir et investir encore, tout en faisant des économies sur le fonctionnement. La contrainte s'applique à la défense comme au reste. L'opération au Mali montre qu'il faut faire des choix ; elle révèle nos forces et nos faiblesses : les drones américains nous sont précieux dans l'Adrar des Ifoghas ; des avions ravitailleurs, des avions de transport d'autres pays nous ont permis d'acheminer nos troupes et les troupes africaines. Si nous avons été efficaces, c'est aussi parce que nous avions des troupes prépositionnées. Tout ne peut pas être prioritaire. Vous aurez un débat, dont les termes ont été bien posés par le président Carrère.
Mme Demessine s'est interrogée sur le Mali. Elle s'est dite favorable à la transformation de la base juridique de notre intervention en opération de maintien de la paix, c'est ce que nous souhaitons. En revanche, elle a estimé que nous agissions pour nos intérêts économiques dans la région. Tel n'est pas le cas. Au Niger, nous en avons, c'est évident, pas au Mali.
Mme Goulet et M. Lorgeoux sont intervenus sur la question turque et sur le soutien à l'Azerbaïdjan : au sein du groupe de Minsk nous maintenons notre position qui est conforme aux principes de Madrid. Nos relations avec la Turquie se sont beaucoup améliorées ces derniers mois, il reste beaucoup de points à discuter avec nos amis turcs. Nous avons pris l'initiative, sans préjuger de l'avenir, d'ouvrir le chapitre 22. Nous estimons que la Turquie est une puissance d'avenir. Divers éléments doivent être appréciés ou développés.
M. Baylet a parlé du Mali, de l'Iran, de la Syrie, j'y reviendrai.
Mme Aïchi a fait un tour du monde. J'ai dit au Premier ministre du Mali, que je viens de rencontrer, que la France tenait beaucoup à ce que les élections aient lieu en juillet ; il me l'a confirmé.
Le président Larcher a fait une analyse pertinente en tant que coprésident, avec Jean-Pierre Chevènement, du groupe sur le Sahel. Il faut en effet tirer les leçons de nos interventions précédentes.
Mme Durrieu a évoqué les printemps arabes, elle a posé des questions redoutables : l'islam et la démocratie sont-ils compatibles ? La loi s'imposera-t-elle à la religion ? Prenons garde en tout cas aux mots que nous employons. Un ambassadeur dans un pays du Golfe m'a appris que la traduction de certains de nos propos était parfois surprenante. Quand nous disons « islamistes », la chaîne Al Arabiya traduit ce mot par « musulman » ; pour nous, « djihadiste » n'est pas un compliment, mais pour un musulman, ce n'est pas nécessairement péjoratif ; c'est la recherche pour aller au bout de soi-même. C'est pourquoi, lorsque nous parlons des groupes auxquels nous faisons face, nous parlons désormais de groupes terroristes ou narcoterroristes.
M. Boutant a parlé de l'Algérie. Nos relations ont longtemps été délicates, mais l'évolution récente est très positive, tant avec les autorités que la population. Je m'en réjouis. Les Algériens, qui ont souffert du terrorisme plus que tout autre peuple, voient bien que les groupes terroristes ne peuvent se différencier ; notre coopération est pleine et entière, ce qui est très important pour envisager l'avenir du Maghreb.
M. Guerriau a posé plusieurs questions sur le Mali et la Libye. À la demande des autorités libyennes, nous avons tenu une réunion sur la sécurité la semaine dernière. Nous les avons mises en contact avec toute une série de représentants d'affaires. Une ambassadrice a été nommée qui m'a adressé un compte rendu des entretiens. Les choses progressent, nous suivons la situation au jour le jour. La Libye est un pays ami, qui a des ressources considérables ; nous voulons travailler avec lui comme il veut travailler avec nous.
M. Couderc a consacré son propos à la Corée du Nord. Ce qui s'est passé est effectivement d'une importance considérable : ce pays a fait exploser un élément miniaturisé dont la puissance est estimée entre 25 % et 100 % de celle de la bombe d'Hiroshima et est capable de lancer des missiles balistiques. Si le matériau utilisé est celui que nous redoutons, la menace est à un très haut niveau. J'ai reçu un coup de téléphone très alarmiste de mon collègue japonais. Les Chinois, dont l'influence est décisive, ont condamné cet essai et convoqué l'ambassadeur de Corée du Nord. Nous travaillons au Conseil de sécurité sur les termes d'une résolution. Cette affaire ne doit pas être prise à la légère, même si elle est intervenue à un moment particulier, alors que le président Obama prêtait serment et que les nouvelles autorités chinoises arrivaient au pouvoir ; la réalité est que ce régime possède à la fois des lanceurs et la technique nucléaire. Sa dangerosité est extrême.
M. Roger a parlé de l'Otan. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui. Vous savez que mon groupe politique n'était pas favorable à la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l'Otan. La question de la sortie de l'Otan n'est pas aujourd'hui d'actualité. Le président Sarkozy nous disait que nous allions obtenir une position plus forte dans l'Otan et construire une défense européenne. Les Américains s'intéressent de plus en plus à l'Asie et éprouvent eux aussi des problèmes budgétaires ; les Européens, au Mali, voient à la fois les nécessités et les apories. On a parlé de façon un peu négligente de « Weimar » et de « Weimar plus ». Il y a une place pour des processus de mutualisation. Si nous avons besoin d'avions ravitailleurs ou de drones, ne le faisons pas séparément ; ce sera bon pour l'idée d'Europe, bon pour une industrie européenne de défense qui est largement française.
Monsieur Beaumont, la « maritimisation », la nouvelle carte des océans sont des sujets passionnants, je suis à votre disposition pour en parler.
Monsieur del Picchia, je vous confirme que mon ministère met sur pied le Caps, centre d'analyse, de prévision et de stratégie. Il y avait un Centre d'analyse et de prévision (CAP), mais il faut que la réflexion, aussi élaborée soit-elle, serve la stratégie. Nous avons besoin d'une anticipation stratégique.
Un mot sur la diplomatie économique : ce n'est pas un gadget, c'est un choix absolument décisif pour préparer les années qui viennent. Le quai d'Orsay s'occupe des crises, mais pas des crises économiques... Les ambassadeurs ne m'ont pas attendu, bien sûr, mais l'objectif doit être affiché clairement. Nous avons le deuxième réseau au monde, 15 000 personnes ; au regard de notre déficit commercial et de la situation difficile de notre compétitivité, nous devons prendre des initiatives, de la simple instruction donnée aux ambassadeurs de se fixer un objectif économique à celle de créer un conseil économique à leurs côtés. Je pense aussi à la création au Quai d'une direction chargée des normes internationales, à l'interface avec les PME, aux personnalités, dont M. le Premier ministre Raffarin ici présent, qui ont accepté de prendre sur leurs épaules les relations avec des pays identifiés, l'Algérie, la Russie, le Mexique ou le Japon. J'ai aussi proposé aux présidents de région de mettre à leurs côtés des ambassadeurs actuellement sans affectation, qui les aideront à mobiliser le réseau diplomatique pour les PME.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. - Il faut aussi ajuster notre réseau diplomatique à nos objectifs et au monde d'aujourd'hui. Soyons davantage présents en Chine, en Inde et en Indonésie, là où se fait le futur et un peu moins dans des postes sans doute prestigieux mais où nous n'avons pas besoin de centaines de personnes.
Adaptons-nous au monde nouveau. Dans vingt ans, la Chine comptera 143 villes de plus de 5 millions d'habitants : nous avons des savoir-faire en matière d'urbanisme à faire connaître et à valoriser.
Le Mali... Je compte trois volets inséparables : sécurité, politique, développement. Sur le premier point, nous avons, avec les Maliens et les Africains, reconquis et sécurisé les villes. Nous n'avons pas vocation à y rester, les Maliens et les Africains devront nous remplacer. Nous n'allons pas laisser tomber, nous sommes là pour remplir notre mission, rétablir le Mali dans son intégrité, mais il n'y aura pas de présence permanente. L'Europe met à disposition 500 personnes pour former l'armée malienne. La recherche des groupes terroristes et de leurs chefs fait partie de la sécurité.
Madame Demessine, vous souhaitez que la base juridique de notre intervention au Mali, aujourd'hui sur la base de la résolution 2085 de décembre, soit transformée, en plein accord avec les autorités maliennes qui ont écrit en ce sens au Secrétaire général des Nations unies, en une opération de maintien de la paix ; c'est aussi notre volonté. L'opération aura ainsi un cadre durable et sera prise en charge financièrement par l'ONU. Nous ne prévoyons pas de grande difficulté. Ce sera un changement important. Nous sommes allés au Mali dans un but précis dans un délai précis. Nous avons tiré la leçon des événements en Somalie et en Afghanistan. Si tout se passe bien, nous devrions commencer à réduire la présence de nos forces à partir du mois de mars.
L'aspect politique est fondamental. Il doit y avoir discussion, dialogue. Le Premier ministre Cissoko a confirmé l'installation de la commission du dialogue avant la fin de ce mois...
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien, très important !
M. Laurent Fabius, ministre. - ... et l'élection présidentielle aura lieu en juillet. Ce gouvernement et ce président sont légitimes, mais ils sont de transition et ne peuvent se représenter. Il y aura une nouvelle équipe. Le Premier ministre Cissoko m'a assuré que des enquêtes seront menées ; les soldats maliens qui se seraient rendus coupables d'exactions ne resteront pas impunis.
Deux principes sont intangibles pour engager le dialogue : le respect de l'intégrité du Mali, et le refus de parler avec les groupes terroristes.
Sur le développement, une conférence des donateurs, coprésidée par les autorités de Bruxelles et la France, se réunira en mai. Le développement doit porter sur l'accès à l'électricité, à l'eau, aux transports. La population est dans un dénuement absolu dans certaines zones.
En Syrie, la situation est dramatique et la comptabilité macabre : près de 100 000 morts selon John Kerry. Il doit y avoir près de 600 000 réfugiés. Dans le désert jordanien un camp en accueille 100 000... La situation n'est pas tenable pour la Syrie comme pour les pays voisins. Il faut que cela cesse. La bonne solution, c'est le départ de Bachar. Le président de la coalition nationale syrienne est un homme remarquable, les principes qu'il défend nous conviennent. Les droits de toutes les communautés doivent être respectés, à commencer par ceux des Alaouites. C'est compliqué, il y a une certaine diversité dans la coalition, ils demandent des financements et de l'autre côté des armements arrivent d'Iran ou de Russie. Le rapport de force est inégal. Imaginez la situation de ces combattants bombardés et presque sans moyens. Mais à qui donner des armes pour qu'elles ne se retournent pas contre nous, comme ce fut le cas en Libye ?
Le dialogue pourrait se nouer avec des gens du régime qui n'ont pas de sang sur les mains. Nous discutons avec les Russes, les Américains, le médiateur de l'ONU. Espérons que les discussions avancent, sinon ce sera la victoire des extrémistes, Aqmi ou autres. Ce n'est pas une affaire locale, comme le soutiennent les Russes, mais une affaire régionale, internationale, qui nous concerne tous.
Au poste où je suis depuis neuf mois, après huit tours du monde, j'ai la conviction que la France est une puissance d'influence, que lorsqu'elle s'exprime elle est entendue, attendue, écoutée. Son rayonnement économique et culturel, sa puissance économique, son siège permanent au Conseil de sécurité, son histoire, les principes de sa Révolution, son action internationale, tout cela joue. Je suis heureux de voir que vous êtes nombreux à vous rassembler autour de la politique étrangère de la France ; je suis toujours heureux de venir au Sénat, où je constate votre élévation de pensée et ce rassemblement. (Applaudissements)
Prochaine séance demain, mercredi 20 février 2013, à 14 h 30.
La séance est levée à 20 h 25.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du mercredi 20 février 2013
Séance publique
À 14 h 30
1. Débat sur l'avenir de l'industrie en France et en Europe.
À 17 heures
2. Débat sur la situation à Mayotte.