Bioéthique (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen de la proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, présentée par M. Jacques Mézard et des membres du groupe RDSE. Nous en étions parvenus, au terme de la discussion générale, à l'examen de la motion tendant à opposer la question préalable.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Cette proposition prévoit de passer d'une interdiction de la recherche sur l'embryon avec dérogation à une autorisation encadrée. Ce texte permettrait d'asseoir notre recherche et de poser des principes clairs : il s'agit d'une avancée majeure, attendue par nos chercheurs.

M. Retailleau avait en 2011 dénoncé une instabilité juridique, réclamant une forme de moratoire. Mais il ne suffit pas de suspendre la réflexion pour régler le problème et parce que la question est délicate il est impossible de la traiter à la satisfaction de tous. Du point de vue scientifique, l'intérêt de la recherche sur les cellules souches n'est plus à démontrer. Une alternative est-elle possible ? Certes non, en tout cas pas dans l'immédiat, car chacune des solutions de rechange comporte des inconvénients majeurs.

La dimension éthique du sujet est sensible. Je suis une ministre rationnelle. Toutes les avancées scientifiques ne sont pas bonnes en soi. La notion de progrès suppose un sens, une direction.

Il revient à la politique de définir les projets collectifs et de fixer les caps, pour le bienfait de la société.

À la logique du soupçon, je préfère celle de la confiance pour que la recherche puisse se développer en toute liberté. Il nous revient de mettre à la disposition des scientifiques un cadre légal : il ne s'agit pas de déréglementer, mais de se donner les moyens de trouver des réponses thérapeutiques. Revenir sur cette interdiction, c'est un signe fort que vous adressez aux chercheurs, dans leur liberté académique, mais aussi aux malades et à la société tout entière. (Applaudissements à gauche)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°1 rectifiée bis, présentée par MM. de Legge, Revet, G. Bailly, Bas, Vial, Bécot, Retailleau, Gélard, César, Darniche, J. Boyer, Hyest, Pointereau, Cardoux, Bizet, Leleux, Frassa, Trillard, Pierre, Reichardt, Pinton, de Montgolfier, Lorrain, Sido, Guené, B. Fournier, Ferrand, Mayet, Lecerf, Charon, Couderc et Billard, Mmes Sittler, Troendle, Giudicelli, Lamure et Duchêne, MM. du Luart, Gilles, Détraigne, Lefèvre, Pozzo di Borgo, Laufoaulu, Saugey et Marini, Mme Hummel et M. Grignon.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires (n° 11, 2012-2013).

M. Dominique de Legge .  - Avant d'aborder la question de fond, je m'élève contre la manière dont ce texte vient en débat ce soir. Inscrite un lundi soir d'octobre, l'examen de cette proposition de loi a été tronqué, puisque nous ne le poursuivons que ce soir, en catimini. La démocratie parlementaire se trouve malmenée. (On le confirme à droite) Or il s'agit d'une disposition centrale de la loi bioéthique. Un appel de 100 députés à l'élargissement de la procréation médicalement assistée (PMA) a de quoi inquiéter, dans le contexte actuel. Une consultation globale aurait été préférable. Y a-t-il une urgence ? Je suis gêné par la méthode, comme beaucoup d'entre nous, quelle que soit leur position sur le fond ou leur appartenance politique.

Venons-en au fond. La loi de juillet 2011 avait été précédée d'un large débat national. Le Gouvernement avait organisé les états généraux de la bioéthique, après avoir pris l'avis des instances scientifiques. La contribution finale a permis de donner la parole à nos concitoyens. Ensuite, le Parlement a été saisi d'un projet de loi sur la bioéthique. Nos auditions ont complété notre réflexion. En séance, chacun avait pu s'exprimer en son âme et conscience. Notre texte avait tenu compte de tous les avis et nous avions finalement retenu le principe de l'interdiction avec dérogation. Cette proposition de loi prévoit une autorisation encadrée. Est-ce la même chose ? Certes, non. Poser le principe de l'autorisation va entraîner une accélération de la recherche. Il s'agit bien d'un revirement à 180 degrés. Revenir, dix-huit mois à peine après le vote, sur ce principe n'est pas acceptable. Certes, une majorité peut défaire ce qu'une autre majorité a fait, mais j'espère que ce texte ne répond pas à la seule volonté de détricoter systématiquement ce qu'a fait le précédent gouvernement.

Les cellules souches adultes ne sont-elles pas une alternative crédible à la recherche sur l'embryon ? Les cellules reprogrammées, dites IPS, pourront régénérer des tissus humains. Cette avancée scientifique, que nous devons au professeur Yamanaka, a été saluée par de nombreux chercheurs, dont Axel Kahn.

Cette proposition de loi, loin d'être innovante, est contredite par les avancées scientifiques récentes. Certains chercheurs ont déclaré en mars 2011 au Sénat qu'on avait pris beaucoup de retard dans la recherche sur les cellules IPS.

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent que la recherche française ne prenne pas de retard. Mais leur initiative ne risque-t-elle pas justement d'aggraver ce retard dans ce domaine en concentrant les crédits, qui ne sont pas extensibles, sur le recherche sur l'embryon ?

Enfin, ce texte contrevient à l'article 46 de la loi de 2011 qui prévoit un débat public préalable à chaque modification de la loi avec convocation d'états généraux. Le moins que l'on puisse dire, c'est que toutes ces étapes ont été ignorées. Le Gouvernement, toujours prompt à créer des comités Théodule et à commander des rapports sur des sujets bien connus, a confisqué le débat. Le rapport de M. Barbier fait état de quatre auditions seulement. De l'absence de concertation naît l'arbitraire. Nous sommes aux antipodes de l'esprit qui avait présidé à nos débats de 2011.

Lors de la CMP, nous avions débattu de l'opportunité de réviser la loi tous les cinq ans. Au final, nous étions tombés d'accord sur la nécessité d'organiser un débat dès qu'une modification de la loi s'imposait.

Cette proposition de loi est donc contraire aux préconisations de la loi de 2011. Pour ces raisons scientifiques, éthiques, juridiques, nous avons déposé cette motion, mesure de sauvegarde vis-à-vis d'un texte scientifiquement inopportun, juridiquement illégitime et méthodologiquement irrecevable. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jacques Mézard .  - Il ne s'agit pas d'un projet de loi du Gouvernement mais d'une proposition de loi du groupe RDSE, qui l'assume complètement. Ce dossier, comme d'autres, doit faire l'objet d'un examen du Parlement. Nous sommes maîtres de la gestion de notre espace réservé. C'est la vie démocratique.

Ce texte dépasse les clivages politiques traditionnels.

Depuis 1892, notre groupe défend la liberté d'expression et de conscience. Il refuse l'obscurantisme et approuve les avancées sociétales. Nous respectons les arguments de nos opposants, même lorsque nous réprouvons certaines affirmations, comme celle de M. Retailleau qui parlait de transgression anthropologique : c'est aller trop loin.

Certes, ce texte pose des questions de principe : comment dans un tel débat oublier le combat de tous ceux qui ont fait avancer la raison. En 1975, la loi Veil, dont mon père fut le rapporteur, était ici débattue et j'ai suivi les débats depuis la tribune du public : comment oublier la violence des opposants qui combattaient l'avortement au nom de la loi Neuwirth qu'ils avaient combattue ? Nombre de ceux qui criaient « laissez-les vivre » votaient quelques années après contre l'abolition de la peine de mort. Ceux qui combattent le mariage pour tous nous vantent aujourd'hui le Pacs, qu'ils avaient combattu avec hargne...

Notre proposition remettrait en cause, arguent certains, la loi de 2011. Mais nous n'en modifions qu'une seule disposition !

Notre texte vise à autoriser la recherche sur l'embryon et les cellules souches : il prévoit d'en clarifier le régime juridique. En 2004, le législateur avait maintenu l'interdiction de principe tout en prolongeant les dérogations pendant cinq ans. En 2011, contre toute attente, l'interdiction a été maintenue. C'était un gage donné par le président de la République de l'époque à une partie de la droite catholique.

Cette loi place la communauté scientifique dans une position inconfortable : elle interdit sauf dérogation. Nous prévoyons de passer à une autorisation strictement encadrée. Cela ne constitue pas un grand bouleversement puisque des protocoles sont prévus. L'embryon, nous oppose-t-on, serait une personne humaine potentielle...

M. Charles Revet.  - Bien sûr !

M. Jacques Mézard.  - Mais la recherche ne concerne que les embryons qui ne font plus l'objet d'un projet parental et sont voués à la destruction. Est-ce à dire, pour nos opposants, que la destruction ne poserait pas les problèmes éthiques que pose la recherche ?

Respect de l'embryon ? Soit, mais il fallait alors interdire totalement la recherche. Pourtant, M. de Legge a voté l'amendement prévoyant des dérogations à l'interdiction. Certains nous accusent de légiférer sous la pression de la communauté scientifique. La science ne doit pas dicter la loi. Mais la loi ne doit pas, au nom d'une idéologie parfois obscurantiste, pénaliser le progrès scientifique. Il n'y a pas d'alternative à la recherche sur les cellules embryonnaires. L'interdiction a conduit les chercheurs à travailler sur les cellules souches adultes, mais leur potentiel est plus restreint.

En dépit des travaux du professeur Yamanaka, qui ont fait progresser la recherche, les cellules IPS ne peuvent dispenser de recourir aux cellules souches embryonnaires : elles sont des sortes d'OGM qui peuvent se développer et proliférer, comme un cancer. La recherche sur les cellules souches embryonnaires accuse, en France, un retard considérable. Nous occupons la huitième place en Europe et la quinzième place dans le monde dans ce domaine. La Grande-Bretagne compte une quarantaine d'équipes qui travaillent sur ces cellules. Aux États-Unis, le président Obama a voulu conserver le leadership en ce domaine. En France, nous avons peu d'équipes qui travaillent dans ce domaine. En 2002, Roger-Gérard Schwartzenberg parlait d'un impératif éthique de solidarité et d'un devoir de la société. Il y a là un véritable enjeu pour la thérapie cellulaire, afin de traiter des maladies dégénératives. On pourrait aussi en mesurant les effets toxicologiques sur les cellules éviter l'expérimentation sur l'homme et éviter des drames humanitaires, comme le Mediator.

Avec cette proposition de loi, nous enverrions un signal positif à toute la communauté scientifique. Je vous demande de rejeter cette motion, puisqu'elle n'est pas fondée et puisqu'elle ne va pas dans le sens de l'humain, du progrès, de la vie. (Applaudissements à gauche, au centre et sur quelques bancs à droite)

M. Gilbert Barbier, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - J'aurais préféré que nous allions au bout du débat en octobre, mais je sais gré à la Conférence des présidents d'avoir accepté l'inscription de cette proposition de loi ce soir. Cette motion pose la question de la légitimité de cette proposition de loi. Nous savons quelles pressions le Sénat a subies sur cette question en 2011, à la veille d'une élection importante. Le texte ne revient pas sur la loi bioéthique. Je n'ai pas fait de multiples auditions mais je suis persuadé qu'il faut avancer sur cette question. La loi de 2011 est juridiquement dangereuse. Depuis le début de la discussion de ce texte en octobre, deux recours en annulation ont été introduits contre des recherches en cours, soit sept au total. La seule alternative aurait été de réclamer l'interdiction totale de la recherche. Nous préférons l'autorisation encadrée.

Opposer la recherche sur les cellules IPS aux cellules embryonnaires n'est pas la bonne façon de poser le débat, puisque ce sont souvent les mêmes équipes qui travaillent sur ces deux types de cellules. Il y a actuellement 63 projets de recherche autorisés dans notre pays. Je doute que votre proposition de loi en augmente le nombre, car seules 36 équipes sont capables de mener ces recherches. Ce texte apporte en revanche clarté et sécurité juridique aux chercheurs.

Les chercheurs d'origine étrangère ne viennent plus en France, du fait de la loi de 2011. Nos équipes françaises se trouvent disloquées et dans l'incertitude.

La recherche est porteuse dans de nombreux domaines. Je ne me sens pas le droit d'interdire à une équipe de mener la recherche. D'un point de vue législatif, l'article 46 de la loi de 2011 n'a pas une valeur superlégislative : ce que le législateur a fait, le législateur peut le défaire. Il ne faut donc pas voter cette motion.

Mme Geneviève Fioraso, ministre.  - Je demande le rejet de cette motion.

M. Charles Revet .  - Je voterai cette motion. Ce texte fait polémique dans notre société qui a tant de problèmes à régler. Les avis scientifiques divergent sur cette question. C'est pourquoi un débat public aurait été nécessaire, avant de modifier la loi de 2011. Or il n'y a pas eu d'états généraux, ni même de colloque sur le sujet. Le Sénat ne se croit-il pas au-dessus de la loi ? (Exclamations à gauche)

M. Jean Desessard.  - Nous faisons la loi !

M. Charles Revet.  - Alors que le président de la République veut nous faire légiférer sur le mariage pour tous, ce qui pose des questions de conscience à nombre d'élus, j'appelle mes collègues à la prudence.

Nous devons faire le point sur les travaux menés en France et à l'étranger. Les recherches sur les cellules souches embryonnaires menées depuis vingt ans n'ont pas donné de grands résultats, même aux États-Unis.

En Allemagne, le principe d'interdiction est maintenu. Malgré des années de recherche, des investissements colossaux, les cellules souches embryonnaires donnent naissance à des cellules incontrôlables et causent des rejets.

Le prix Nobel de médecine, accordé aux recherches sur les cellules souches adultes, dites IPS, devrait nous inviter à la prudence, puisque d'autres voies sont possibles.

La directive européenne de septembre 2010, relative à la protection des animaux, est plus protectrice que ce texte sur les embryons humains. Est-ce concevable ?

Outre l'article 46 de la loi de 2011, des états généraux s'imposent. La prudence s'impose, et c'est pourquoi nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - Nous sommes surpris d'avoir à nous prononcer une nouvelle fois sur la loi de 2011, surtout après l'ampleur du débat public. Comment oser modifier cette loi à la faveur de deux séances de nuit ? Est-ce acceptable ? Je regrette qu'une procédure plus normale ne soit pas privilégiée, d'autant qu'il s'agit d'une disposition centrale de la loi de 2011. Vous proposez de passer de l'interdiction avec dérogation à une permission encadrée.

De plus, autoriser la recherche sur l'embryon humain risque de priver de crédits la recherche sur les cellules souches pluripotentes.

Enfin, que faites-vous de l'article 46 de la loi de 2011 ?

C'est pourquoi certains de mes collègues de l'UDI-UC et moi-même voterons cette motion. (Applaudissements à droite)

Mme Françoise Laborde .  - Cette motion, je m'en suis expliquée en octobre, est irrecevable pour nous. Je ne puis laisser dire que nous mettrions en cause toute la loi de 2011, alors que nous ne faisons que revenir sur une de ses dispositions. Passer d'un régime d'interdiction avec dérogation à un régime d'autorisation encadrée n'apportera pas de grands bouleversements éthiques. Tous les rapports convergent : la recherche sur cellules souches embryonnaires est une nécessité.

Et que l'on ne vienne pas m'opposer l'argument du débat tardif : nous savons, au Sénat, débattre à toute heure. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Desessard .  - Les derniers états généraux ont eu lieu en 2009 : aux termes de la loi, les prochains devraient donc se dérouler bientôt, en 2014. Les chercheurs, lors du dernier débat public, ont conclu à l'inadaptation de la loi. Car il s'agit de recherche et non de pratique biomédicale : on ne peut extrapoler sur les applications pour décider de son autorisation ou de son interdiction. Les citoyens ont clairement compris qu'il s'agit d'embryons sans projet parental. Je ne m'étends pas davantage, puisqu'il paraît que ce n'est pas bienvenu en soirée. (Sourires à gauche et exclamations à droite)

M. Charles Revet.  - On dit le contraire : il faut un vrai débat !

M. Jean Desessard.  - Bref, si l'on en avait suivi les conclusions du débat public, l'autorisation aurait été accordée depuis longtemps.

Le groupe écologiste votera, dans sa majorité, contre la motion.

À la demande de la commission des affaires sociales, la motion n°1 rectifié bis est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 305
Nombre de suffrages exprimés 281
Majorité absolue des suffrages exprimés 141
Pour l'adoption 87
Contre 194

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion de l'article unique

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Mézard et Mme Laborde.

Alinéa 4

Remplacer les mots :

, le cas échéant à caractère fondamental,

par les mots :

, fondamentale ou appliquée,

M. Jacques Mézard.  - La formule « le cas échéant » était génératrice d'ambiguïté. L'amendement précise que la recherche tant fondamentale qu'appliquée peut être autorisée dès lors qu'elle s'inscrit dans une finalité médicale et qu'elle répond aux autres critères posés par l'article L. 2151-1.

M. Gilbert Barbier, rapporteur.  - Le terme « le cas échéant » pourrait permettre de passer outre aux quatre conditions impératives posées par le texte : favorable.

Mme Geneviève Fioraso, ministre.  - Même avis.

Mme Isabelle Pasquet.  - Cette proposition de loi propose un compromis acceptable, qui apporte toutes les garanties requises. Nous nous sommes interrogés sur la portée de cet amendement, sachant que la recherche appliquée a des visées commerciales, à la différence de la recherche fondamentale. Se pose donc la question de la nature de la recherche appliquée, majoritairement portée par des fonds privés : il faudrait un grand pôle public.

Sera-t-il possible de breveter les innovations applicables qui seraient issues de ces recherches fondamentales ou bien la règle de la non-brevetabilité du vivant s'appliquera-t-elle ?

M. Philippe Bas.  - Il n'était pas très élégant de traiter d'obscurantistes les tenants de la motion. Cela dit, je comprends mal l'intérêt de cet amendement. La recherche, c'est la recherche en général. Au reste, le texte adopté par la commission péchait par la même superfluité. On justifie ce texte par la nécessité d'accomplir des thérapeutiques « majeures », et voilà qu'une simple finalité médicale suffirait. Bref, on ouvre encore plus les possibilités de recherche.

L'amendement n°2 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 3° En l'état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ;

Mme Geneviève Fioraso, ministre.  - Les recherches visant à mobiliser les pathologies pourraient être exclues, en l'état de la rédaction. Or les connaissances sur tous les types de cellules ne permettent pas aujourd'hui d'exclure les cellules IPS et cellules souches embryonnaires du champ de la recherche, voire d'un même projet de recherche.

M. Gilbert Barbier, rapporteur.  - Cette formulation est effectivement plus adéquate à la réalité de la recherche. Distinguer entre recherches sur des cellules embryonnaires souches et cellules IPS n'est pas pertinent. Favorable à l'amendement n°4.

Je suis surpris, monsieur Bas, que vous ne compreniez pas, en tant que membre du Conseil d'État, l'imbroglio juridique où nous sommes. C'est précisément dans un but médical que nous devons favoriser la recherche.

M. Philippe Bas.  - Ce n'est pas en caricaturant nos positions respectives que nous progresserons. Le mot « majeur » disparaît : cela m'inquiète. Et il ne sera pas difficile de démontrer qu'un projet de recherche est à finalité médicale. L'amendement du Gouvernement est inutile : une recherche « impossible » est une recherche « qui ne peut être menée ».

L'amendement n°4 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Desessard, Mmes Archimbaud, Aïchi, Benbassa, Ango Ela, Blandin, Bouchoux et Lipietz et MM. Dantec, Gattolin, Labbé et Placé.

Alinéa 7

Troisième phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

La recherche ne pourra débuter que dans un délai de trois mois après cet accord.

M. Jean Desessard.  - La proposition de loi confirme le rôle de l'Agence de la biomédecine et maintient toutes les conditions posées, l'assentiment du couple est indispensable. Il doit être informé de l'ensemble des alternatives et un délai de rétractation de trois mois est prévu. C'est faire peser une lourde charge sur le couple, en revanche, que de lui demander confirmation au terme de ces trois mois. Nous proposons de supprimer cette exigence.

M. Gilbert Barbier, rapporteur.  - La commission n'a pas pu examiner l'amendement rectifié, dont je comprends bien qu'il allège la procédure. Je crains toutefois qu'il ne soit pas compris, et soit vu comme une limitation à la liberté de choix du couple. La confirmation est aussi une garantie pour les chercheurs. Personnellement, je souhaite un retrait.

Mme Geneviève Fioraso, ministre.  - Je suis sensible aux arguments de M. Desessard mais la confirmation fait partie de la démarche éthique. Mieux vaut s'en tenir à la rédaction actuelle, qui privilégie une responsabilité partagée et assure la transparence nécessaire. Retrait, sinon rejet.

M. Jean Desessard.  - Le problème, c'est que l'on demande à un couple qui a donné son accord, qui garde trois mois durant la possibilité de se rétracter, de renouveler son accord. Autant lui demander : « Vous êtes bien sûrs ? ». C'est le culpabiliser. Cela étant, je me rends aux arguments du rapporteur et de la ministre, qui m'ont « compris ». (Sourires)

L'amendement n°3 rectifié est retiré.

Interventions sur l'ensemble

M. Alain Milon .  - Avec quelques-uns de nos collègues de l'UMP, nous voterons cette proposition de loi. En 2007, j'avais fait un rapport d'étape sur l'application de la loi de 2004. Tous les décrets n'étaient pas publiés. En 2011, le gouvernement et la majorité à l'Assemblée nationale ne souhaitaient pas de clause de revoyure à cinq ans. C'est le Sénat qui l'a imposée. Le rapporteur de l'Assemblée nationale, en CMP, rappelait que ce qu'une simple loi a fait, une autre loi pouvait le défaire. C'est une partie de la réponse. On peut modifier cette loi sans passer par la clause des cinq ans.

Les IPS sont des cellules souches génétiquement modifiées par des produits cancérigènes. Les laboratoires font en même temps des recherches sur les cellules souches embryonnaires. On ne peut pas dire à l'heure actuelle de quel côté sont les recherches les plus prometteuses.

La loi de 2004 a mis en place une interdiction temporaire. Mais la loi de 2011 était, en comparaison, en régression, elle interdisait purement et simplement. Cette proposition de loi reprend ce qui a été la position de notre commission des affaires sociales et du Sénat. Ce retour nous fait grand plaisir et nous la voterons. (Applaudissements à gauche et sur certains bancs à droite et au centre)

M. Michel Berson .  - Avons-nous délibéré dans la précipitation ? Non. L'examen de cette proposition de loi poursuit une réflexion engagée il y a près de vingt ans. La loi de 1994 prohibait la recherche sur les cellules souches embryonnaires. En 2004, le législateur maintenait l'interdiction, mais décrétait un moratoire de cinq ans avec possibilité de dérogation, si des avancées thérapeutiques majeures étaient attendues. En 2011, une large concertation avait précédé une nouvelle révision. Le texte adopté confirmait le principe d'interdiction mais instituait un régime dérogatoire pérenne.

Le législateur a donc fait évoluer la loi pour permettre à la recherche de répondre aux exigences de l'avenir. Cette proposition de loi poursuit en ce sens, en proposant le passage à un régime d'autorisation encadrée.

Le groupe socialiste n'ignore pas que ce débat technique se double d'un débat éthique, mais il appartient au législateur de mettre à disposition des chercheurs le cadre légal qui leur permettra de mener à bien leurs travaux. Ces travaux ne peuvent porter que sur des embryons surnuméraires, voués à la destruction. Ce texte respecte la dignité de la personne humaine et le principe d'interdiction de toute marchandisation. Il faut distinguer entre la recherche, qui doit être libre, et son usage, qui doit être réglementé.

Le groupe socialiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Deroche .  - Je salue la sérénité de nos débats et voterai ce texte en faveur d'une recherche porteuse d'espoir, qui doit être encouragée. Les chercheurs sont responsables, ne portons pas sur eux une perpétuelle suspicion. (Applaudissements sur certains bancs UMP)

Mme Muguette Dini .  - Qu'est-ce que l'embryon en question ? Un amas de seize cellules de moins de quinze jours, issu de la PMA. On a en stock 150 000 embryons surnuméraires. Aux parents de décider de leur sort : soit ils ont un projet parental, soit ils en font don à un couple stérile, soit ils acceptent leur destruction, soit ils en font don à la recherche. La plupart de ces embryons sont voués à la destruction. J'ai dit la manière, je n'y reviens pas car il semble que bien des collègues en aient été choqués.

La recherche est nécessaire. C'est pourquoi avec certains de nos collègues du groupe UDI-UC, je voterai cette proposition de loi. Elle met fin à cette hypocrisie qui laisse croire que la recherche sur cellules souches embryonnaires est interdite en France, alors qu'elle est, de fait autorisée.

M. Alain Houpert .  - La science est l'art du doute, quand la technique est la certitude. Détruire les embryons surnuméraires est un acte technique. Conduire sur eux une recherche, c'est agir en faveur de la vie. (Applaudissements à gauche et sur certains bancs centristes et UMP)

M. Jean Desessard .  - Le Sénat a plus d'une fois exprimé son souhait de mieux autoriser la recherche, quand notre législation, ambiguë, limite beaucoup les possibilités, sachant que les contraintes posées par la loi ont conduit à des détournements : l'agence de biomédecine chargée de superviser la recherche se retrouve devant le tribunal administratif. L'exigence de la preuve de l'inexistence de méthode alternative est devenue une arme pour les opposants.

Je voterai cette proposition de loi, comme la majorité du groupe écologiste, les autres s'abstenant.

M. Philippe Bas .  - Le changement proposé est-il juridiquement substantiel ? Je crains qu'il n'apporte pas la sécurité juridique attendue. Car ce qui compte, M. Desessard vient de le rappeler, ce sont les critères posés. L'intention, derrière ce changement, est donc purement symbolique : il s'agit d'affirmer que les recherches sur cellules souches embryonnaires sont autorisées, alors que la loi dispose aujourd'hui qu'elles sont interdites avec dérogation possible.

Je m'inquiète de l'abandon de la notion de progrès médical « majeur ». Il suffira d'invoquer n'importe quelle finalité médicale pour que la recherche soit autorisée. Baisser ainsi la garde est périlleux, car nous devons concilier exigence médicale et exigence de protection de l'embryon, qui n'est pas un matériau comme les autres. Comme la majorité du groupe UMP, je voterai donc contre ce texte. (Applaudissements sur la plupart des bancs UMP)

M. Dominique de Legge .  - Je ne me faisais guère d'illusions sur la question préalable, ni sur l'issue du vote qui va intervenir, mais la motion aura permis de démontrer l'utilité d'un débat.

Si elle n'avait été déposée et discutée, nous serions passés bien rapidement au vote.

Les uns et les autres n'ont pas la même appréciation. Après que le rapporteur nous a dit qu'il s'agit d'une disposition centrale, d'autres ont évoqué une modification à la marge. Il faudrait accorder vos violons ! En tout état de cause, dès lors que l'on touche à la loi de bioéthique, il eût donc été souhaitable d'avoir un débat préalable. Qu'en sera-t-il avec l'adoption d'une loi sur le mariage pour tous, qui va inévitablement modifier l'approche de la procréation médicalement assistée ? Considérera-t-on, ou non, que l'on revient sur la loi de bioéthique ? Je vous invite à la prudence. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - Avec certains de mes collègues UDI-UC, je voterai contre ce texte, car la loi de 2011 avait fait l'objet d'une vaste consultation, contrairement à cette proposition de loi. Le sujet n'est pas politique, mais éthique. La loi de 2011 n'était pas celle d'une majorité politique, mais celle issue d'un large consensus et d'un compromis qui transcendait les clivages partisans. Le texte finalement adopté a maintenu le principe de l'interdiction, pour éviter d'ouvrir la boîte de Pandore de la recherche sur l'embryon.

De plus, il n'est plus nécessaire de poursuivre la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Un vaste débat aurait été nécessaire et je regrette qu'au gré du changement politique, on revienne, avec ce texte, qui n'est pas à l'honneur du RDSE, sur un accord transpartisan. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. René-Paul Savary .  - Compte tenu des dimensions éthique et scientifique du problème j'étais dans le doute, en tant que médecin, et j'ai assisté aux auditions pour me faire une opinion. J'ai compris que les chercheurs avaient besoin de la loi pour aller de l'avant. Mme Dini a parlé d'hypocrisie à propos de la loi de 2011 et elle a raison : soit on autorise les recherches, soit on les interdit.

La finalité médicale majeure, maintenant : alors que parfois elle n'est pas évidente, des progrès majeurs peuvent néanmoins survenir. Nous n'avons pas le droit de nous priver du progrès médical. C'est pourquoi je soutiens avec conviction cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE et sur certains bancs à droite)

M. Jean-Pierre Plancade .  - M. Bas regrette la disparition de l'adjectif « majeur ». Mais il n'est pas de plus subjectif. Et comment préjuger du caractère « majeur » d'une recherche ? Il arrive que l'on fasse une découverte majeure au détour d'une recherche anodine.

Ce texte lève les ambiguïtés de la loi de 2011 : il donne un cadre légal à la recherche et envoie un signal aux chercheurs. Le RDSE et moi-même avons le sentiment de faire avancer le bien et la recherche. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Jacques Mézard .  - Je veux répondre à M. Pozzo di Borgo qui a dit que ce texte n'était pas à l'honneur du RDSE : c'est à la fois désagréable et inapproprié.

Nous pensons que cette proposition de loi est à l'honneur de notre groupe. Nous portons ce texte mais il ne nous appartient pas mais à tous ceux qui, depuis des années, se battent pour aider la recherche, dans le respect de certaines règles auxquelles nous sommes tous attachés. Le débat a été transpartisan, ce qui est une bonne chose. Nous vous avons fait grâce du communiqué de M. Copé sur ce texte. Nous ne voulons pas faire d'opération politicienne. À notre sens, le texte de 2011 était une erreur : il mettait les chercheurs dans une situation intenable. Permettre que certaines cellules soient utilisées par la recherche dans le but d'apporter une réponse à des malades est une bonne chose. Il y aura un encadrement strict et aucune marchandisation.

Nous entendons vos arguments, vous qui vous opposez mais vous voulez protéger la vie dans des conditions qui nous paraissent contraires à l'essence même de la vie. Notre groupe unanime votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et à gauche)

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales .  - Je me félicite de la qualité de ces débats.

Malgré l'heure tardive, -mais ce n'est pas la première ni la dernière fois que nous siégeons au-delà de minuit, nous avons été nombreux à nous pencher sur ce texte. Le débat a été transpartisan et je veux en remercier notre rapporteur, qui a su fédérer. M. Bas a estimé que ce texte ne changerait pas grand-chose : qu'il le vote alors !

Pour ma part, j'estime qu'il s'agit d'une grande avancée pour la recherche, mais aussi pour les patients.

L'article 46 ? Cet argument ne tient pas. M. de Legge se réjouit que sa motion ait permis le débat : il devrait se réjouir qu'elle n'ait pas été votée, sans quoi nous n'aurions pu débattre. (Applaudissements à gauche)

À la demande du groupe RDSE, l'article unique de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 305
Nombre de suffrages exprimés 277
Majorité absolue des suffrages exprimés 139
Pour l'adoption 203
Contre 74

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à gauche)

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 5 décembre 2012, à 16 h 30.

La séance est levée à minuit vingt.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mercredi 5 décembre 2012

Séance publique

À 16 h 30

- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la mise en oeuvre du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement

Rapport de Mme Laurence Rossignol, rapporteur pour le Sénat (n° 177, 2012-2013)

Texte de la commission (n° 178, 2012-2013)