Loi de finances pour 2013 (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, adopté par l'Assemblée nationale. Nous examinons aujourd'hui l'article 44, relatif à l'évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l'État au titre de la participation de la France au budget de l'Union européenne.
Participation au budget de l'Union européenne (Article 44)
M. Marc Massion, rapporteur spécial de la commission des finances . - M. Arthuis et moi-même, pour la première fois cette année, ne sommes pas parvenus à la même conclusion sur cet article 44, qui prévoit un prélèvement de 19,6 milliards d'euros au titre de la participation française au budget européen, soit une hausse de 3,8 %.
Les négociations menées par le comité de conciliation le 9 novembre sur le projet de budget communautaire de 2013 ont échoué ; on n'a même pas trouvé d'accord sur la rallonge de 9 milliards demandée par la Commission pour le budget 2012.
En avril dernier, dans son avant-projet de budget pour 2013, la Commission européenne a proposé une hausse de 2 % des crédits d'engagement, pour la compétitivité surtout, et de 6,8 % des crédits de paiement.
Dans un contexte de rigueur, le Conseil européen a proposé des coupes en juillet dans le projet de budget. Lors de ce Conseil européen, huit pays -dont la France- ont déclaré refuser toute hausse budgétaire en 2013. La proposition faite par les députés européens en octobre, d'une croissance de 2,2 % en crédits d'engagement et 6,8 % en crédits de paiement, complique les choses. La commission a établi un nouveau projet en novembre, quasi identique à celui d'avril. Une conciliation entre le Conseil, le Parlement et la Commission doit avoir lieu aujourd'hui. Faute d'accord, il faudra recourir aux douzièmes provisoires.
Les tensions sont vives, également, sur la programmation 2014-2020. Je m'inquiète que la récente réunion du Conseil n'ait pas abouti.
Je déplore que le programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD), dont les crédits maintenus, mais en baisse en 2012 et en 2013, n'aient pas de base juridique dans le projet de programmation 2014-2020.
Le prélèvement opéré sur les recettes de l'État au titre de notre participation a été quintuplé en vingt ans. Les écarts entre prévision et exécution sont considérables : surestimation de 1,5 milliard en 2007, sous-estimation de plus de 1 milliard en 2009 et vraisemblablement de 170 millions cette année !
L'administration européenne nous a annoncé qu'il faudrait 9 milliards de plus de crédits de paiement en 2012. L'écart, pour la France, serait alors de 1,5 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale.
Le Gouvernement doit exiger de la Commission des prévisions plus fiables. La France est le deuxième contributeur au budget européen après l'Allemagne : sa part s'est enfin stabilisée à 16,7 % tandis qu'elle bénéficie de moins de 12 % des dépenses, bénéficiant aux trois quarts à l'agriculture. Notre solde net dépasse à présent 6 milliards d'euros. Nous ne sommes plus que les vingtièmes bénéficiaires en retour par habitant.
Au nom de la parole de la France, je recommande, avec la majorité de la commission des finances, l'adoption sans modification de cet article 44. (Applaudissements à gauche)
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial de la commission des finances. - J'apporterai quelques nuances à cet exposé et ne formulerai pas la même conclusion.
Le budget communautaire a la même structure d'ensemble depuis trente ans, en recettes comme en dépenses. On entend continuer cette partie de poker jusqu'en 2020 : PAC, fonds structurels, rabais et corrections. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? C'est pure folie ! Distribuer de l'argent ne suffit pas à faire une politique. Se rend-on compte que la PAC fait, de certains de nos agriculteurs, des rentiers de la terre alors que nous importons plus de 20 % de la viande bovine consommée, 35 % de la viande porcine, 40 % des volailles ? On délocalise notre élevage et nos activités agro-alimentaires. Est-ce ce qu'on attend de la PAC qui devrait contribuer à la cohésion sociale ? Se rend-on compte que les fonds structurels sont des activateurs de la dépense publique, en raison de leur mécanisme de cofinancement ? La politique de cohésion a conduit à l'endettement d'États comme la Grèce et l'Espagne.
Le système des ressources propres est opaque. Le rabais britannique, les rabais sur le rabais, les corrections sur TVA, les chèques forfaitaires sont injustifiables ! Le chèque britannique a pu avoir une justification mais il n'en a plus à l'heure où la City prospère grâce à son activité financière. C'est perpétuer des logiques nationales, au détriment de l'intégration politique. (M. Pierre Bernard-Reymond approuve)
La programmation 2014-2020 est encore en débat, à la suite de l'échec du Conseil de novembre ; les propositions de la Commission sont inacceptables : 988 milliards d'euros de crédits de paiement, 1 250 milliards de crédits d'engagement. Mais la commission use d'un artifice de présentation avec un budget établi en euros constants alors que les États membres calculent en euros courants, ce qui ne permet pas d'apprécier l'impact réel sur les contributions nationales.
Autre artifice : la Commission multiplie les débudgétisations qui dégonflent artificiellement sa programmation. Elle place hors budget et hors programmation pluriannuelle le FESD, les mécanismes de stabilisation financière et, surtout, des politiques communautaires financées sous plafond comme Iter ou le GMES... Si on les prend en compte, on obtient 1 191 milliards d'euros en crédits de paiement et 1 231 milliards d'euros en crédits d'engagement, soit 200 milliards de plus par rapport au projet initial. C'est une entorse au principe de sincérité budgétaire.
En outre, le niveau de dépenses est insoutenable. L'Europe ne peut s'abstraire de l'effort de rigueur nécessaire. Dans ce contexte, il faut veiller au respect du principe de subsidiarité.
Quant à la zone euro, dire que le pire est passé, comme l'a fait le président de la République, est erroné, voire malhonnête.
M. Jean-Michel Baylet. - Excessif !
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - L'union bancaire représente un progrès mais la BCE attend toujours son interlocuteur politique. Dans mon rapport, remis au Premier ministre de l'époque, au mois de mars, j'ai recommandé la nomination d'un ministère de l'économie et des finances européen, appuyé sur un véritable trésor européen.
Nous aurons peut-être des surprises venant de Chypre : le pays a demandé une assistance financière...
Pour le reste rien n'a changé. Les 120 milliards du pacte de croissance adopté en juin ne sont qu'habillage. Une monnaie ne fait pas un projet politique ! Nous sommes placés sous sédatif : si on renonce à reprendre le projet européen, le réveil sera douloureux. L'an dernier, j'avais reproché qu'on ait laissé la Grèce maquiller ses comptes, et ainsi transformé le pacte de stabilité en un pacte de tricheurs. L'urgence est toujours là ; on a besoin d'hommes qui portent le projet européen.
Les parlements nationaux ne sont pas suffisamment associés. On leur demande de voter un prélèvement sans en déterminer le montant ni l'utilisation. C'est une atteinte au principe démocratique du consentement à l'impôt. Je propose que nous soyons appelés à voter en loi de finances initiale la totalité des engagements dans le cadre de la zone euro, comme ceux qui concernent le MES : 142,7 milliards d'ici 2016, soit 20 % des contributions ! Lorsqu'un État membre est en difficulté, ce n'est pas l'Union européenne qui intervient mais les États membres ! Il faut une vraie gouvernance économique et budgétaire de la zone euro. Une seconde chambre, constituée de délégués des parlements nationaux, devrait assurer sa supervision.
L'Union européenne, qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix, devient le maillon faible de la croissance mondiale. Vient un moment où il faut dire non. Je vous appelle à voter contre cet article pour exprimer notre ressentiment et notre impatience -ce qui ne changera rien car l'exercice est purement formel. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances . - Je m'inquiète de la place de la France dans l'Union européenne. Le Conseil européen de novembre a montré notre marginalisation. Le couple franco-allemand se délite et la France s'affiche de plus en plus comme le chef des États qui décrochent... Vis-à-vis de la Grande-Bretagne, l'opposition est frontale, sans souci de dialogue, alors que nous avons des intérêts communs.
Notre voix s'affaiblit, quand notre contribution ne cesse de s'alourdir. Notre solde net était, en 1999, de moins de 400 millions d'euros. En 2011, il était de 6,4 milliards ! Une multiplication par seize en dix ans ! Est-ce un tabou que de le dire, à gauche et à droite ?
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - Ou au centre ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Une contribution de 19,6 milliards pour des retombées en France d'un peu plus de 13 milliards. Pourquoi ne dirions-nous pas à notre tour : we want our money back ? Chaque Français reçoit 202 euros de la part de l'Union européenne ; chaque habitant du Grand Duché du Luxembourg, 3 065 euros !
S'agissant de la PAC, nous percevons bien moins que l'Irlande : elle reçoit 382 euros par habitant, alors qu'elle est le champion du dumping fiscal, et nous 152 euros !
La Commission propose de stabiliser le budget en euros courants. Mais M. Van Rompuy propose d'amputer de plus de 25 milliards d'euros les dépenses agricoles. Nous avons obtenu que l'amputation soit ramenée à 17 milliards, mais ce serait déjà trop. Le président de la République dit qu'il n'est « pas le leader de la PAC, même s'il s'inscrit dans une tradition française ». C'est élégamment dit, comme toujours, mais peu engageant.
Pourquoi n'être pas plus pugnace ? Dans les années 1970, on raisonnait en fonction des excédents de production ; des aides directes ont ensuite été mises en place, en fonction des espaces. Le système de 2003 a entièrement déconnecté les aides de la production. Aujourd'hui, on veut faire des agriculteurs non plus des producteurs mais des gardiens du paysage...
M. André Gattolin. - Ils le revendiquent !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Les besoins alimentaires mondiaux exigent de produire plus et mieux. Or, je ne vois aucune proposition du Gouvernement. Peut-être est-ce dû aux contradictions de la majorité...
Si la France ne fait pas de propositions, qui le fera ? Pouvez-vous éclairer le Sénat, monsieur le ministre, vous qui êtes l'élu d'un département rural ? (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Michel Baylet . - L'Europe est en crise. L'examen de l'article 44 intervient alors que les événements se bousculent. Le Conseil européen de novembre a échoué. Les institutions européennes ne s'accordent pas sur le budget 2013, ni même sur celui de 2012 !
Ce projet de loi de finances prévoit une hausse de 3,81 % du prélèvement sur recettes, qui s'établirait à 19,6 milliards d'euros. Nous tenons nos engagements, alors même que nous nous efforçons de maîtriser la dépense publique. En proportion, notre contribution est stable : la France est le deuxième contributeur. Notre solde sera désormais déficitaire.
Sur la gouvernance, des projets ont été faits, notamment en matière bancaire, mais il faut aller beaucoup plus loin. Où en sont les négociations sur le budget 2013, monsieur le ministre ?
La participation de la France est assise à 70 % sur le RNB, à 13 % sur la TVA, le reste sur les droits de douane ou encore la cotisation sur le sucre. Les ressources propres de l'Union européenne n'en sont pas vraiment. Il faut élaborer une fiscalité européenne, par exemple une TTF commune. Il faut aussi en finir avec le rabais britannique. La Commission européenne plaide aussi en ce sens. M. Massion propose pertinemment l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - On en est loin !
M. Jean-Michel Baylet. - Le spectacle du blocage des négociations a des effets économiques et politiques désastreux. Les eurosceptiques sont chaque jour plus nombreux. (On confirme sur divers bancs)
M. Jacques Mézard. - Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. - Partisans de l'Europe fédérale, les radicaux de gauche plaident pour plus d'intégration, plus d'harmonisation et plus de clarté. Nous voulons des investissements d'avenir communs, des infrastructures européennes, une politique de recherche et de développement. J'arrête là, ce n'est pas le sujet.
Nous voterons cet article. Mais nous attendons plus, beaucoup plus de l'Europe. La France doit tout faire pour que naisse cette Europe puissante qui, seule, peut peser dans un monde globalisé (Applaudissements sur divers bancs)
M. André Gattolin . - J'aimerais d'abord rendre hommage à M. Érik Izraelewicz qui était un grand journaliste économique. J'exprime ma sympathie à l'égard de sa famille et de la rédaction du Monde.
Le groupe écologique votera cet article, qui se situe dans la continuité : la tendance à la hausse -2,9 % cette année- ne s'est jamais démentie les trente dernières années. Qu'avez-vous fait quand vous étiez au pouvoir, monsieur Arthuis ? J'ai été surpris par vos propos.
M. Simon Sutour. - Ahurissants !
M. André Gattolin. - Révoltants. Ce prélèvement agrège des revenus très différents et supplée les ressources propres de l'Union européenne, inexistantes. Les États membres ont toujours le dernier mot : le dernier Conseil l'a montré. L'échec des négociations nous inquiète : quels moyens pour la politique de solidarité, la PAC, la transition énergétique, etc. ? Quel sens y a-t-il à réfléchir en termes de contributions nettes, État par État ? C'est faire le lit de l'euroscepticisme.
Le différend ne porte que sur 30 milliards d'euros, soit 0,04 % du PIB européen ! C'est rageant. Le plafond exigé par la France est inférieur aux propositions du Conseil et de la Commission. Il est rageant aussi de voir Mme Merkel refuser que la TTF abonde directement le budget européen et que l'on vienne en aide aux pays en difficulté. Il est rageant, enfin, de voir que l'on s'accroche à une PAC obsolète au lieu de la réformer et de privilégier l'innovation.
Les priorités nationales doivent aussi être des priorités européennes : ainsi de l'éducation. Le Gouvernement devra refuser toute baisse de budget d'Erasmus.
Le Gouvernement travaille au renforcement des ressources propres de l'Union européenne : TTF, fiscalité écologique, fiscalité plancher sur les entreprises, taxe sur le trafic portuaire.
Exiger la rigueur au niveau européen est aberrant : d'où viendra la relance ? Il est urgent de renouer avec la dynamique européenne. (Applaudissements sur les bancs écologistes et socialistes)
M. Pierre Bernard-Reymond . - Imaginez que le budget européen soit alimenté à 60 % par des ressources propres, comme par le passé, grâce à la TTF, à une part de la TVA, à une partie du produit de ventes de quotas de CO2, à une taxe sur les jeux en ligne, sur le commerce des armes, etc.
Imaginez que l'on ait compris qu'il est erroné de raisonner au niveau européen comme au niveau national : l'Europe, qui n'est pas endettée, doit faire le choix d'une politique de croissance. Imaginez que les chefs d'État aient compris que grâce aux ressources propres de l'Union, les contributions nationales puissent être réduites.
Imaginez que les chefs d'État et de Gouvernement aient décidé de multiplier par deux le budget d'ici 2020, passant de 1 à 2 % du RNB. Imaginez que l'Europe soit autorisée à emprunter dès lors qu'elle s'appliquerait les règles du TSCG. Imaginez que l'Europe cesse d'être un club de cotisants. Imaginez que les peuples d'Europe comprennent que c'est en étant plus européens que nous serons souverains. Imaginez, monsieur le ministre ! (Applaudissements à droite, au centre et sur plusieurs bancs socialistes)
M. Éric Bocquet . - Ce débat prend, ces jours-ci, un relief assez particulier : la hausse de la contribution française va de pair avec la baisse des concours de l'État aux collectivités territoriales. Cette augmentation ne s'explique pas par l'invitation d'un vingt-huitième État -la Croatie- à la table européenne. La solidarité entre les États, vu la situation, devrait prendre le pas sur tout autre considération. Ce n'est pas le cas. M. Cameron tient à son chèque négocié par Mme Thatcher, Mme Merkel se bat pour une réduction du budget. Les nuages noirs s'amoncellent de Gibraltar à la Carélie et du Donegal au Dodécanèse. Encore une fois, le chacun pour soi et le concours à l'austérité priment : nous sommes bien loin de l'esprit des traités.
Augmentation de la fiscalité indirecte, diminution des dépenses, mise en cause des services publics : aucun pays de l'Union n'échappe à la logique mortifère de la rigueur. L'euro connaît de graves difficultés. Il est temps de changer d'ère ! L'Europe, vieux continent, a besoin d'un nouveau projet politique qui, contre les lobbies européens, réponde aux demandes des peuples. Nous voterons contre l'article 44. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean Bizet . - Ce débat, qui marque l'interpénétration des budgets français et européen, est un rituel initié par M. Poncelet en 1989. L'Europe peut-elle s'abstraire de l'effort de rigueur ? Quand 85 % de la participation française vient du prélèvement sur recettes, cela semble difficile. L'augmentation de notre contribution de 15,4 milliards en 2007 à 19,5 milliards cette année s'explique par la victoire, chèrement payée, obtenue sur la PAC ; l'évolution est encore plus spectaculaire pour notre contribution nette, passée de 3 milliards en 2007 à 6,4 milliards en 2011.
Les négociations sont dures. Chaque État membre défend ces intérêts, c'est la règle du jeu, mais il y a aussi des lueurs d'espoir. Je veux parler de la TTF, défendue par la France. C'est un pas considérable qui ouvre la voie à d'autres coopérations renforcées, et donc à une intégration plus poussée.
Cela dit, la France ne s'engage pas dans ces négociations sous les meilleurs auspices. Après la lettre de cadrage signée par le président de la République en décembre 2010, deux tentatives de négociations ont échoué en octobre et en novembre 2012. Tous les États membres sont d'accord pour couper dans les crédits, mais surtout dans ceux des autres !
Je reste confiant : le Conseil aboutira à un compromis au plus tard en janvier. Il est probable que celui-ci sera proche de la version voulue par les contributeurs nets.
En revanche, je m'inquiète pour la France. Les Anglais veulent garder leur rabais, les Allemands veulent un budget à 1 % du revenu national brut : c'est clair. La France avait deux objectifs : ne pas augmenter le budget et maintenir le budget de la PAC ; depuis l'élection de François Hollande, elle veut aussi maintenir les fonds structurels et renforcer la compétitivité. C'est un peu la quadrature du cercle...
Le président Sarkozy avait promis de maintenir le budget de la PAC à l'euro près. Le président Hollande, lui, ne promet que de maintenir sa part dans le budget européen... Selon la dernière proposition de M. Van Rompuy, cela ferait 22 milliards de moins pour la PAC. C'est la vérité, nous devons la dire aux Français. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Simon Sutour . - Je regrette que la commission des affaires européennes ne dispose pas d'un temps de parole spécifique dans ce débat.
Le contexte de ce débat est empoisonné. Nous autorisons un prélèvement qui constitue, en réalité, une obligation. Nous avons voté les traités, il faut être cohérents et voter l'article 44. Que M. Arthuis, un Européen de toujours, appelle à voter contre m'attriste.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - J'ai le droit de pousser un coup de gueule !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Cela fait du bien.
M. Simon Sutour. - Je respecte votre position : respectez la mienne et laissez-moi parler !
Depuis trente ans, la controverse sur le solde net s'amplifie : rabais britannique, rabais sur le rabais pour quatre pays, plafonnement du rabais... Ce raisonnement en termes de solde net nie la construction européenne. Imaginons la discussion budgétaire dans notre pays si chaque région se livrait à ce jeu à somme nulle et comparait ce qu'elle donne au pays et ce qu'elle reçoit. (M. André Gattolin applaudit)
De même, la situation de la Grèce...
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - Celle de Chypre aussi !
M. Simon Sutour. - ...appelle des décisions qui vont peser, d'une manière ou d'une autre, sur l'endettement des pays de la zone euro.
Tout est là pour nous faire oublier l'essentiel. Qui peut penser que la Grande-Bretagne aurait réussi son redressement au début des années 1980 sans l'Union européenne ? Qui peut penser que les entreprises européennes auraient pu s'adapter à la mondialisation sans l'Union européenne ? Quelle serait la situation de nos DOM ? Où en serait l'aménagement du territoire sans la politique de cohésion ? Contrairement à M. Bizet, je suis reconnaissant au Gouvernement de ne plus voir en celle-ci une variable d'ajustement et d'avoir ainsi rééquilibré la position française. La nouvelle catégorie de région en transition permettra aux régions en difficulté de recevoir plus sans rien enlever aux autres.
Que serait l'agriculture européenne sans la PAC ? Certes, celle-ci privilégie excessivement les grandes cultures, au détriment de la vigne et des fruits et légumes, mais si nous avions fait confiance aux marchés internationaux pour notre approvisionnement, comme le voulaient les Britanniques, que se serait-il passé lors de la crise de 2007 ? L'Europe n'aurait pu s'approvisionner, à grands frais, qu'au détriment des pays d'Afrique et d'Asie les plus pauvres.
Je ne me livrerai pas au même exercice d'Europe-fiction que M. Bernard-Reymond mais un jour, son intervention sera réalité.
Je soutiens, cela va sans dire, les deux grandes orientations défendues par le président de la République, l'intégration solidaire et le soutien à la croissance. Il faudra en tirer les conséquences institutionnelles. Les parlements nationaux doivent exercer leur contrôle, aux côtés du Parlement européen. (M. Jean Arthuis, rapporteur spécial, approuve)
Plus d'intégration doit aller de pair avec plus de solidarité. Dès lors que nous partageons de plus en plus nos souverainetés, nous ne pouvons pas réussir au détriment les uns des autres. Cela suppose que nous avancions dans la mutualisation de la dette ainsi que dans l'harmonisation fiscale et sociale.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - Il faut un gouvernement européen !
M. Simon Sutour. - Avec le FESF et le MES, nous avons déjà fait un pas considérable, mais la solidarité ne doit pas seulement se manifester pour les sauvetages : les Européens doivent aussi se convaincre qu'ils réussiront ou échoueront ensemble.
Enfin, nous attendons de l'Europe plus de croissance. Cela passe par le brevet communautaire mais, surtout, par le soutien à l'innovation.
La crise nous a obligés à accomplir, bon gré mal gré, un pas supplémentaire dans la construction européenne. L'intégration solidaire et le retour à la croissance lui donneront un sens aux yeux des citoyens, parfois tentés de revenir aux égoïsmes nationaux. C'est dans cet esprit qu'avec mon groupe, je voterai le prélèvement au profit du budget de l'Union. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Yves Pozzo di Borgo . - La crise qui s'approfondit montre chaque jour que l'Europe est le meilleur bouclier. Comme mes autres collègues, je m'indigne des dérives qui entachent les négociations sur la programmation 2014-2020. L'Europe privilégie trop les dépenses de fonctionnement sur les investissements d'avenir. Je pense à Erasmus. Pour tous les spécialistes que je rencontre, le grand problème du monde, c'est le décrochage entre ceux qui savent et ne savent pas. Pendant des décennies, le programme d'échange Erasmus a permis à des centaines de milliers d'étudiants européens de voyager et de découvrir l'Europe. Or ce programme souffre d'une réduction des crédits alloués aux bourses. Est-ce parce qu'il y a moins de demandes et qu'internet rend inutile le voyage ? Non, le fossé entre ceux qui savent et qui ne savent pas est aussi celui entre ceux qui parlent une langue étrangères et les autres. Erasmus, depuis 1993, a plus fait pour la citoyenneté européenne que l'euro.
Rendez-vous compte : en France, 100 % des étudiants des grandes écoles vont à l'étranger contre 1 % des inscrits à l'université ! Dans le même temps, on dénonce les gabegies au sein des institutions européennes. Je prends un exemple : depuis le 1er janvier 2009, l'Europe est le plus formidable espace de liberté mais l'on a créé une Agence européenne des droits de l'homme qui coûte 100 millions. L'Europe a besoin d'un budget mieux contrôlé et mieux employé pour accomplir le saut fédéral que nous appelons de nos voeux. Si nous voulons un gouvernement fédéré, il faut un budget fédéré. Le rapport Global trends de la National Intelligence Agency, branche publique de la CIA, se réjouit des difficultés rencontrées par les Européens pour construire une Europe forte. Faisons mentir les Américains ! (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)
Mme Colette Mélot . - Ce débat est l'occasion de faire le point sur l'Europe alors que les tensions sont vives. La France, à notre sens, doit faire valoir une position forte à Bruxelles. La contribution demandée est difficilement compatible avec l'impératif de redressement des comptes publics. Mais qui accepterait de réduire la PAC alors que les prix agricoles sont de plus en plus volatiles ou de diminuer les fonds structurels qui irriguent nos régions ? Qui refuserait une politique de croissance et d'innovation ?
L'Europe doit avoir les moyens de mener ses politiques et d'assumer ses nouvelles compétences issues du traité de Lisbonne. La commission des affaires européennes a initié trois propositions de résolution, adoptées par le Sénat, dont la dernière concerne Erasmus. Ce programme, qui contribue à forger la conscience européenne et l'avenir, doit être financé à la hauteur des besoins. Créé en 1987, il a permis à 3 millions d'étudiants issus de 33 pays de voyager. Cédric Klapisch a popularisé leur image dans L'Auberge espagnole. En 2013, avec un budget de 450 millions, 270 000 étudiants en profiteront.
Pour 2012, l'État a consacré à ce programme 52 millions pour 31 000 étudiants. Je regrette que la France fasse partie des sept pays qui refusent la rallonge de 8,9 milliards demandée par la commission, même si cela ne touche pas directement Erasmus.
Le groupe UMP se prononce en faveur de l'adoption de l'article 44. L'architecture financière de l'Union étant aujourd'hui à bout de souffle, nous attendons une réforme du financement de l'Union européenne avec un budget véritablement assis sur des ressources propres. (M. Pierre Bernard-Reymond applaudit)
M. Roland Ries . - Mon propos sera plus politique que technique. Nous débattons d'un prélèvement sur recettes de 20 milliards environ. Derrière ce chiffre se dissimule une certaine conception de la construction européenne : c'est cela qui importe. Contrairement au budget national, l'Europe ne confie pas à son Parlement le soin de débattre des recettes ; c'est l'apanage des États. Depuis la décision du Conseil du 7 juin 2007, les États membres versent au budget de l'Union européenne des ressources dites traditionnelles -droits de douanes, prélèvements agricoles et cotisations diverses-, une partie de leur TVA ainsi qu'un prélèvement sur le revenu national brut.
Ce débat s'inscrit dans un contexte de crise : crise économique et financière, crise écologique, mais aussi crise institutionnelle. L'Europe budgétaire est donc aujourd'hui dans l'impasse ; son passé n'est pas soldé, son présent est incertain et son futur est extrêmement préoccupant. Ainsi, il manque 9 milliards d'euros pour finir 2012, dont 90 millions pour financer les bourses Erasmus. Déjà, l'Espagne ne les règle plus, ce qui conduit à des situations dramatiques. La situation était similaire en 2011 en raison de la sous-estimation du budget ; d'où le report de 5 milliards sur 2012. Le problème est donc endémique.
Les négociations sur le budget pour 2013 sont dans l'impasse : le Conseil a revu à la baisse le projet de budget de la Commission. A l'austérité des pays devrait s'ajouter l'austérité de l'Europe quand la France, elle, défend un budget raisonnable tourné vers la croissance et l'emploi. Rappelons que nous avons obtenu le pacte de croissance avec 55 milliards de fonds structurels et 10 milliards de recapitalisation sur la Banque européenne d'investissement. Le Parlement européen a voté contre cette nouvelle mouture : en bref, c'est Keynes contre Friedman.
M. Blair, en son temps, avait prévenu : si nous poursuivons ainsi, il y aura des morts. Ce fut le cas le 23 novembre dernier : l'Europe pourrait s'abîmer dans « les eaux glacées du calcul égoïste ». François Hollande, en Pologne, a refusé cette Europe au rabais. Il faut donc plus que jamais entamer une réflexion sur les buts et le financement de l'Union européenne. On peut envisager une TTF, une taxe carbone ou encore un impôt européen.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. - Avec quelle assiette ?
M. Roland Ries. - Un impôt sur les sociétés, même faible mais harmonisé au niveau européen, permettrait notamment de lutter contre le dumping fiscal auquel se livrent les pays de l'Union. Ce serait « ouvrir une brèche dans la citadelle de la souveraineté nationale », comme le disait Jean Monnet, et constituerait un pas important vers une Europe fédérale.
Je voterai, bien sûr, l'article 44. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget . - La contribution de la France au budget européen prend la forme d'un prélèvement sur recettes de 19,598 milliards, en hausse de 720 millions, soit 3,8 %. Cette augmentation marque notre attachement à un budget européen consistant et devra être gagée par des économies correspondantes. Ce prélèvement fait de la France le deuxième contributeur à l'Europe, derrière l'Allemagne, et le troisième contributeur net, derrière l'Allemagne et la Grande-Bretagne.
Comme vous le savez, les négociations sont en cours. La Commission avait demandé, en avril, une hausse de 2 % des crédits d'engagement et de 6,8 % des crédits de paiement. En juillet, le Conseil a voulu limiter cette hausse à 2,8 % pour les crédits de paiement et les crédits d'engagement. Le Parlement européen, le 23 octobre, a arrêté une position proche de celle de la Commission.
Le Gouvernement a retenu une progression du budget 2013 de 2,79%, correspondant à la position du Conseil.
La rubrique « Croissance » est dotée d'une enveloppe de 11,7 milliards. Ces crédits intègrent notamment les programmes-cadres de recherche et développement technologique (PCRD), le programme Erasmus d'échanges européens, ou des grands projets comme Iter ou Galileo. Le projet Iter, monsieur Arthuis, est essentiel pour la France.
Je peux rassurer M. Pozzo di Borgo : le programme Erasmus n'est pas menacé. La France a donné son accord à la rallonge de 90 millions pour 2012.
La politique de cohésion est le deuxième poste de dépense. S'agissant du programme d'aides aux plus démunis, la France plaide pour sa reconduction.
Le programme de préservation des ressources naturelles comprend en particulier la PAC, responsable de plus de 70 % des retours français avec 9,9 milliards. La France demande que l'Union continue à financer son autonomie alimentaire, dans un contexte de grande volatilité des cours des denrées alimentaires. Elle plaide aussi en faveur du verdissement de la politique agricole commune.
La rubrique 3, « Liberté, sécurité justice », est dotée de 1,5 milliard ; la rubrique 4, qui regroupe les actions extérieures de l'Union, de 6,3 milliards et la rubrique 5, qui assure le fonctionnement des institutions européennes, de 8,4 milliards. La Commission, qui donne volontiers des leçons aux États, pourrait se montrer exemplaire en la matière...
Pour 2012, la Commission a présenté deux budgets rectificatifs ; le premier pour financer la solidarité avec l'Italie après le séisme qui a touché l'Émilie-Romagne. Le deuxième reste sur la table des négociations ; il faut un compromis compatible avec les impératifs budgétaires des États.
Sur la programmation 2014-2020, le dernier Conseil aura représenté une étape, en vue d'un accord début 2013. La France a réaffirmé son souhait d'un budget européen consistant ; la proposition de M. Van Rompuy est au bon niveau. En revanche, la répartition des dépenses doit évoluer afin de maintenir la PAC et la politique de cohésion. La France continuera à demander que tous contribuent au financement des rabais, y compris ceux qui en bénéficient.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - Très bien !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Le président de la République a placé la France au centre du jeu. Il a eu des entretiens bilatéraux pour que le Conseil ne voie pas s'affronter contributeurs nets et amis de la cohésion. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)
M. le président. - Nous allons passer au vote sur l'article 44.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial . - Mon vote négatif exprime un vrai déchirement. De toute façon, la participation de la France résulte des traités. Ce débat doit être l'occasion d'exprimer nos ressentiments. Il ne s'agit pas de dresser un réquisitoire contre le gouvernement actuel : la gouvernance de la zone euro est déplorable depuis des années ! Il faut un vrai gouvernement économique, financier et budgétaire. Les problèmes de Chypre mettent de nouveau en lumière les lacunes de la surveillance européenne. Une monnaie unique suppose une souveraineté partagée. Les parlements nationaux doivent participer à cette gouvernance commune. Cela ne constitue pas une scission entre les 17 et les bientôt 28, qui ont tous vocation à rejoindre la zone euro.
L'article 44 est adopté.
La séance est suspendue à 11 h 40.
présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président
La séance reprend à 11 h 50.