Journée du 19 mars (Suite)
M. le président. - L'ordre appelle la suite de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Discussion générale (Suite)
M. Jean-Claude Carle . - Dix ans après l'adoption de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale, la gauche sort des limbes parlementaires ce texte. C'est inopportun, voire malsain (exclamations à gauche), comme si la France, cinquante ans après la guerre d'Algérie, n'avait pas reconnu les faits.
M. Jean-Marc Todeschini. - A qui la faute ?
M. Jean-Claude Carle. - Comme si la France n'avait pas déjà une journée pour les combattants d'Algérie : le 5 décembre. (M. Guy Fischer proteste)
N'est-ce pas le résultat de petits calculs politiques pour complaire à certaines associations ou à certains cercles intellectuels moralisateurs qui récrivent l'histoire en se souvenant des uns pour mieux oublier les autres ? Est-ce une façon de donner des gages à une partie de la majorité pour s'assurer son vote sur d'autres textes ? N'est-ce pas enfin une manière de donner des gages à certains interlocuteurs à des fins étrangères à ce débat en faisant de la repentance un outil de notre diplomatie ? Ce serait une marque de faiblesse. Monsieur le ministre délégué, le 25 octobre vous aviez déclaré qu'il n'y aurait de votre part « ni ingérence ni interférence ». Est-ce encore vrai ? Nous n'avons pas à jouer les porteurs de valise de l'histoire. (Vives protestations à gauche)
M. Alain Néri, rapporteur de la commission des affaires sociales. - S'il vous plaît !
M. Jean-Claude Carle. - Le 11 novembre est la journée où l'on rend hommage à tous les morts pour la France. Le 19 mars 1962 est, pour bon nombre d'anciens combattants, de rapatriés et de harkis, le symbole d'une défaite et d'un abandon. En 2002, M. Jospin avait refusé d'inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat.
M. Alain Néri, rapporteur. - C'est faux !
M. Jean-Claude Carle. - Le président Mitterrand jugeait que le 19 mars ne pouvait être retenu, sauf à créer une confusion dans la mémoire de la population. Cette date du 19 mars correspond à celle des accords d'Évian, non à celle de la fin de la guerre. Comment retenir cette date quand la République algérienne émet un timbre le 19 mars pour célébrer la « fête de la victoire » ? Comment la retenir quand M. Bouteflika, en visite en France, qualifie les harkis de « collabos » sans que le gouvernement Jospin, alors, ne s'en émeuve ?
M. Hollande, à propos de la répression des Algériens le 17 octobre 1961, rend hommage aux victimes sans un mot pour les policiers tués ou blessés par le FLN ni pour les Algériens qui en sont victimes ? (Protestations à gauche)
M. Alain Néri, rapporteur. - C'est honteux !
M. Jean-Claude Carle. - La mémoire ne doit pas être sélective !
M. Alain Néri, rapporteur. - La mémoire, il en faut une !
M. Jean-Claude Carle. - La gauche, qui a voté les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet, est mal placée pour nous donner des leçons d'histoire et de morale ! (Applaudissements à droite et au centre) La guerre d'Algérie ne s'est pas arrêtée le 19 mars 1961 ni le 2 juillet 1962 ; 537 soldats ont encore été tués. Les accords d'Evian n'ont pas été respectés ; 100 000 harkis ont été abandonnés.
M. Alain Néri, rapporteur. - Qui a donné les ordres ?
M. Jean-Claude Carle. - Et il y eut la fusillade d'Alger et les massacres d'Oran. Un choix a été fait : le 5 décembre est la date du souvenir.
M. Alain Néri, rapporteur. - Cette date ne correspond à rien, M. Cléach le dit lui-même !
M. Jean-Claude Carle. - Cette proposition de loi prouve que la gauche n'en a pas fini avec ses vieux démons. Monsieur le ministre, nous connaissons votre attachement pour tous ceux qui ont servi la France. Nous vous demandons, dans un souci de rassemblement, de faire preuve de sagesse en retirant ce texte, en faisant preuve de la même sagesse que vos prédécesseurs, MM. Masseret et Mékachéraf, sur un texte que M. Jospin lui-même n'avait pas voulu inscrire à notre ordre du jour. Sinon, nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Alain Néri, rapporteur. - C'est faux ! M. Forni avait transmis le texte au Sénat !
M. Jean-Marc Todeschini . - Ancien membre du cabinet du ministre Jean-Pierre Masseret, qui reconnut le conflit d'Algérie comme une guerre et qui lança la création du mémorial national pour les anciens combattants d'Algérie, je voterai ce texte. A l'époque, nous n'avions pas retenu de date. Manque de courage ou lucidité ?
La date, justement, parlons-en. Pour la première guerre mondiale, il en existe trois : le 2 novembre, le 11 novembre et la fête de Jeanne d'Arc. Idem pour la deuxième guerre mondiale : le 8 mai pour l'armistice, le 18 juin pour l'appel du général de Gaulle, le 16 juillet pour la rafle du Vel d'Hiv.
Pour les guerres de décolonisation, on fête la fin du conflit en Indochine le 8 juin ; le 25 septembre, on commémore les harkis et le 5 décembre, les anciens combattants et les rapatriés. Depuis, notre calendrier mémoriel s'est enrichi de la date du 11 novembre comme date du souvenir pour tous les combattants français.
La nation a besoin d'une mémoire collective apaisée. Dans un célèbre discours, Ernest Renan parle de la nation comme d'un « plébiscite de tous les jours ». Belle définition ! Il avait également souligné, en 1885, combien les moments de deuil partagé unissent davantage que les moments de fête. Hélas, le consensus est encore loin, à entendre M. Carle. Puisse cette date du 19 mars rassembler les appelés qui crièrent de joie en entendant la nouvelle de l'armistice l'oreille collée au transistor et les Français d'Algérie, car je ne les oublie pas, qui pleuraient et s'inquiétaient de leur sort ! J'ai foi en cette espérance mais je vous ai dit mon inquiétude. (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Génisson . - Il est temps de réconcilier notre communauté nationale autour de cette date du 19 mars. Le 16 octobre 1977, le soldat inconnu d'Algérie était enterré à Notre-Dame-de-Lorette. Prenons le temps du souvenir, du recueillement et de l'apaisement. Oui, n'oublions pas les jeunes qui ont donné leur vie ; n'oublions pas les rapatriés, n'oublions pas les harkis !
En 2014, le Pas-de-Calais accueillera des Algériens pour rappeler les 600 000 morts d'Afrique du nord durant les batailles d'Artois de la première guerre mondiale. Faisons le choix de la réconciliation ! (Applaudissements à gauche)
M. Alain Néri, rapporteur. - Les débats ont été remarquablement apaisés et constructifs en commission. Je souhaite que cela se poursuive en séance publique.
J'ai entendu la douleur des uns et des autres. Il n'y a pas à faire de hiérarchie. Nous proposons une date qui rend hommage à toutes les victimes de cette guerre cruelle qui ne disait pas son nom afin que la troisième génération du feu soit traitée à égalité avec ses devancières. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°4, présentée par Mme Garriaud-Maylam et les membres du groupe UMP.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Ce texte n'est pas conforme à la Constitution. D'abord, en temps de crise, en quoi est-il urgent de trouver une date pour une journée d'hommage qui existe déjà ? Depuis le décret du 26 septembre 2003...
M. Bernard Piras. - C'est un décret et non une loi !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - ...le 5 décembre est la journée d'hommage aux anciens combattants. Avec la loi du 23 février 2005...
M. Guy Fischer. - Parlez donc de l'article 4 de cette loi !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - ...le souvenir est étendu aux victimes civiles et aux anciennes forces supplétives, les harkis.
Si certains veulent se recueillir le 19 mars en ce sens, ils le peuvent. Nul besoin d'une autre loi...
Ensuite, qu'est-ce qui fait l'immortalité d'une petite loi ? Exhumer une proposition de loi votée il y a dix ans, après trois élections présidentielles et un renouvellement complet des assemblées, a-t-on jamais vu ça ? Le Sénat serait la chambre de la continuité législative, disent certains. Je leur réponds que le Sénat a été complètement renouvelé depuis lors. J'ajoute que le rapporteur, Alain Néri, était député en 2002.
M. Alain Néri, rapporteur. - Et alors ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Comment expliquer qu'une loi soit votée par les mêmes à l'Assemblée nationale et au Sénat ?
M. Jean-Jacques Mirassou. - Argument ridicule !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Une petite loi votée par une chambre il y a une décennie remettrait en cause la loi du 23 février 2005 adoptée par le Parlement entier ?
M. Christian Cambon. - Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - L'éthique parlementaire minimale aurait supposé de rédiger une nouvelle proposition de loi tenant compte de la législation actuelle et de la soumettre aux deux chambres. D'ailleurs, une proposition de loi avait été déposée par M. Néri le 5 janvier dernier... Pourquoi préférer cette petite loi de dix ans d'âge ? Cette méthode ressort du passage en force, un sentiment renforcé par l'anticipation de ce débat prévu le 20 novembre.
M. Alain Néri, rapporteur. - Vous savez bien pourquoi !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Cette précipitation s'explique peut-être par la volonté de prendre de court les associations de combattants qui préparent une grande manifestation le 20 novembre. Sans doute sert-elle aussi le calendrier diplomatique du président de la République. (Protestations à gauche)
Ce texte ne relève pas du domaine de la loi et enfreint donc l'article 34 de la Constitution. Il sert de petits calculs politiciens. François Mitterrand avait exclu le 19 mars comme journée du souvenir « car il y aurait eu confusion dans la mémoire de notre peuple ». Le 5 décembre...
M. Guy Fischer. - ...ne correspond à rien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - ...est une date plus opportune. Ce texte entretient les tensions et vous voulez faire passer pour des révisionnistes néo-colonialistes ceux qui défendent une position moins idéologique.
M. Guy Fischer. - Ce n'est pas tout à fait faux...
M. Alain Néri, rapporteur. - Et votre discours n'est pas idéologique ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - N'est-il pas dangereux d'instrumentaliser l'histoire en bafouant, qui plus est, les droits du Parlement à la veille du voyage du président de la République en Algérie, au moment où le ministre des anciens combattants exige une reconnaissance des crimes du colonialisme français ?
Si ce texte était voté, nous saisirions le Conseil constitutionnel qui reconnaîtra la procédure intrinsèquement viciée qu'a suivie ce texte ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Didier Guillaume . - « Mensonge » ? « Honnêteté » ? « Éthique » ? « Petite loi » ? Faut-il se réclamer du Conseil constitutionnel pour mener un débat politique ?
M. Henri de Raincourt. - Vous ne vous en êtes pas privés !
M. Didier Guillaume. - Il n'y a pas de « petite loi ». Cette expression offense la représentation nationale. Les jeunes appelés qui ne sont pas revenus...
M. Guy Fischer. - 30 000 !
M. Didier Guillaume. - ...qui ont souffert de leurs blessures toute leur vie méritent l'hommage de la nation. Dans la réconciliation et l'apaisement, M. le rapporteur et Mme Génisson l'ont bien dit.
La guerre d'Algérie, nous l'avons tous vécue de près ou de loin. Ou, plutôt, nous n'en avons pas entendu parler.
M. Marcel-Pierre Cléach. - Nous l'avons faite !
M. Didier Guillaume. - Toutes les familles ont été déchirées, ceux qui ont été appelés ont souffert dans leur corps et dans leur tête. Il n'y a pas de hiérarchie dans la douleur : appelés français, Français d'Algérie, harkis, Algériens, tous on droit à notre hommage.
Les événements, depuis 1999, sont enfin qualifiés de guerre. Un orateur a évoqué François Mitterrand ; je parlerai du Général de Gaulle, qui a consulté les français par deux fois : le 8 avril 1962, les Français ont approuvé à 90 % les accords d'Évian.
M. Christian Cambon. - - Quel est le rapport ?
M. Didier Guillaume. - Bien sûr, ces accords n'ont pas signifié la fin de la guerre.
Quant à la visite du président de la République en Algérie, ce n'est pas la première. Les deux rives de la Méditerranée doivent vivre ensemble leur histoire, leur passé et leur futur. Ce texte n'y changera rien.
Je salue M. Néri. Il est un ancien député ? Nombreux le sont dans cet hémicycle !
Le 19 mars est la date du cessez-le-feu, le lendemain des accords d'Évian, le 18 mars. L'armistice, comme en 1918 et en 1945, n'a pas représenté la fin des combats. Le 19 mars, ce sera la date pour rendre hommage à toutes les victimes, sans exception.
M. Louis Nègre. - Il y a déjà le 5 décembre !
M. Didier Guillaume. - Qu'y a-t-il d'inconstitutionnel là-dedans ? Le 11 novembre, le 8 mai et le 19 mars, ceux qui sont devant les monuments aux morts...
M. Jean-Jacques Mirassou. - ...sont les mêmes !
M. Didier Guillaume. - ...sont les combattants d'Algérie. Bientôt, ils seront les seuls à transmettre la mémoire de la guerre.
Dans mon département, 304 communes sur 369 ont une place, une rue ou un monument du 19 mars, 15 000 lieux en France rappellent cet événement. Cette date sera celle de notre mémoire commune apaisée ! (Applaudissements à gauche)
M. Alain Néri, rapporteur . - Avis défavorable à la motion.
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants . - Je n'avais pas prévu d'intervenir puisque j'ai promis ni ingérence ni interférence dans le travail parlementaire. Mon histoire personnelle aurait pu me conduire à parler avec passion. Je m'y refuse, en tant que ministre et dans ma conception de la citoyenneté.
Le président de la République va se rendre en Algérie ? Ce n'est pas la première fois. Je l'y ai accompagné lorsqu'il occupait d'autres fonctions, et François Hollande a fait savoir que la position de la France ne serait pas celle de la repentance. (Applaudissements à droite)
Pourquoi le Gouvernement a-t-il permis la poursuite du débat aujourd'hui ? Pour pouvoir trouver une majorité sur d'autres textes ? Pas du tout : si nous n'avions pas changé la date, je n'aurais pu me rendre à Fréjus le 20 novembre pour le transfert des centres du général Bigeard.
Donc, je rappelle la sagesse du Gouvernement sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes et divers bancs à droite)
M. Jean-Claude Requier . - Pour avoir eu 15 ans en 1962, je me souviens de l'inquiétude partagée : dans toutes les familles, il y avait un père, un mari, un fils en Algérie. Dans un petit village du Lot, nous sommes allés trois fois au cimetière, pour un militaire d'active, un gendarme et un appelé. On les enterrait discrètement, presque en catimini. On parlait alors d'« événements d'Algérie ». On parle aujourd'hui de guerre, il est temps de fixer une date de commémoration, celle du cessez-le-feu -même s'il y a encore eu beaucoup de victimes après. Je pense aux harkis, à ceux qui ont été envoyés se geler sur le plateau du Larzac, aux rapatriés, aux centaines d'Européens massacrés à Oran le 16 juillet.
Merci à M. Néri, un Auvergnat, un homme du granit, qui sait persévérer. Les radicaux de gauche ne voteront pas la motion, non plus que la majorité du RDSE.
M. Hervé Marseille . - L'UDI votera la motion car notre débat a montré que la date du 19 mars est loin de faire consensus. Après les accords d'Évian, il y eut le massacre d'Oran en juillet. Il eût été sage de laisser aux historiens le temps de travailler plutôt que de raviver les divisions. (Applaudissements à droite)
M. Louis Nègre . - Ce texte suscite ce matin même une manifestation devant le Palais.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. - Ce n'est pas la première fois !
M. Louis Nègre. - C'est la preuve qu'il divise. Ce texte est inconstitutionnel, Mme Garriaud-Maylam l'a dit de manière charpentée. Est-il opportun ? Pourquoi cette perpétuelle repentance ?
M. Guy Fischer. - Les colonialistes parlent, ceux qui vantent les prétendus « bienfaits » de la colonisation ! L'Algérie, dans quel état l'avons-nous laissée ?
M. Louis Nègre. - La France a fait des choses hors-norme, d'accord, mais les autres ? Oui à une histoire équilibrée, à une commission neutre d'historiens français et algériens qui disent ce qui s'est réellement passé.
Faut-il croire que ce texte obéirait à des motivations politico-diplomatiques ? (On le nie, à gauche) On peut comprendre qu'il faille s'entendre avec les Algériens, nous nous sommes bien réconciliés avec les Allemands, après trois guerres. Il y a encore eu des morts après le 11 novembre 1918, mais pas 1 million de rapatriés et plus de 100 000 harkis morts ! Les anciens rapatriés continuent à pleurer. Merci à M. le ministre de l'avoir dit : cessons de battre notre coulpe unilatéralement !
Soyez aussi sages que François Mitterrand, qui refusait de retenir une date qui divise pour une commémoration nationale ! (Applaudissements au centre et à droite)
A la demande du groupe socialiste, la motion n°4 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l'adoption | 160 |
Contre | 180 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(Applaudissements à gauche)
Question préalable
M. le président. - Motion n°1 rectifiée, présentée par M. Cléach et les membres du groupe UMP.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
M. Jean-René Lecerf . - L'examen de cette proposition de loi a commencé au cours d'une niche du groupe socialiste. Je salue la pugnacité de M. Néri mais je m'interroge sur l'historique de ce texte, qui est bien, juridiquement parlant, une « petite loi » : un texte qui a déjà été adopté par une des assemblées. C'est une notion juridique, pas un jugement de valeur.
Nous sommes confrontés à un problème d'éthique parlementaire. Notre Règlement autorise l'examen de textes adoptés par l'Assemblée nationale, même après le renouvellement de celle-ci. L'inverse n'est pas possible. Est-ce à dire que les textes votés par l'Assemblée nationale auraient préséance ? Il faudra y revenir lorsque nous toiletterons notre Règlement.
La loi du 28 février 2012 a fait du 11 novembre un jour d'hommage à tous les morts pour la France, après le travail de la commission Flavier. Elle fut votée à l'unanimité en commission. Les victimes de conflits au Maghreb sont donc honorées, sur la base d'un consensus national.
Deuxième argument : une journée d'hommage spécifique existe aussi, le 5 décembre.
M. Roland Courteau. - Aucun sens historique !
M. Jean-René Lecerf. - Que signifie le 19 mars pour la Tunisie et le Maroc ?
Toutes les associations d'anciens combattants, à l'exception de la Fnaca et de l'Arac, ont opté pour la date neutre du 5 décembre. Elles se sont toutes réunies lors de l'inauguration du monument du quai Branly. Ce jour-là, il ne s'agissait que de célébrer tous les morts. La date du 5 décembre concilie toutes les mémoires. Ceux qui veulent honorer leurs morts le 19 mars sont libres de le faire, à condition d'éviter le prosélytisme. Une circulaire de 2009 laisse aux associations toute latitude pour organiser des célébrations.
Troisième argument : la portée historique du 19 mars a toujours fait l'objet de polémiques et des associations qualifient pour cette raison ce texte de « farce lugubre ». Ces appels au rassemblement, à la cohésion nationale, que l'on entend désormais dans la bouche du Premier ministre, ne sont-ils que des paravents quand votre majorité choisit la politisation ? Le 19 mars ne fut pas la fin des hostilités. Vous légiférez pour une minorité, agissante, certes, mais bien minoritaire.
Depuis 1981, les présidents de la République successifs se sont toujours opposés à cette reconnaissance. La politique doit rassembler, non diviser ! C'est sans malice que je cite François Mitterrand : « Si une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d'Algérie, cela ne peut être le 19 mars car il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple. (...) D'autant plus que la guerre a continué, que d'autres victimes ont été comptées et qu'au surplus, il convient de ne froisser la conscience de personne ». Le 19 mars fut un cessez-le-feu, non un cessez-le-sang.
Nous avons adopté ensemble, il y a moins d'un an, une solution. Un peu de constance ! Pourquoi rouvrir les cicatrices ? Écoutons Montesquieu et ne touchons aux lois que d'une main tremblante, lorsqu'il s'agit de notre histoire à tous.
On ne peut célébrer une défaite. Le 19 mars restera un divorce pour les communautés françaises, une journée de deuil pour les harkis. Les accords d'Évian n'ont pas été respectés : il y eut tant de morts, tant de blessés après l'ordre du jour du général Ailleret. Comment oublier l'insupportable, l'effroyable massacre de ceux dont les parents et les grands-parents avaient choisi la France, les 150 000 harkis tués. Nous avons déjà fait preuve de tant de lâcheté, de tant d'injustice. Faut-il en rajouter lorsque l'actuel chef d'État algérien les insulte ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Jacques Mirassou . - Personne n'a le droit de mettre en doute notre sincérité. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE) Malgré vos arguments laborieux, le 19 mars restera dans l'histoire.
M. Christian Cambon. - Dites-le aux harkis !
M. Jean-Jacques Mirassou. - Cinquante ans après, le législateur peut se prononcer en connaissance de cause et instaurer une journée dédiée à toutes les victimes, y compris de contingent : 25 000 morts, 65 000 blessés, partis défendre une cause qu'ils ne partageaient pas tous et qui ont rendu un service éminent à la République en refusant d'obéir aux putschistes de 1961.
Loin d'attiser les clivages, ce texte vise à l'apaisement : la date du 5 décembre n'a aucun sens historique, le cessez-le-feu est un fait. Quant au 11 novembre, vous avez voulu créer un Memorial Day diluant l'histoire de notre pays alors que la jeunesse a besoin de repères. « Encombrer notre calendrier mémoriel » ? C'est bien péjoratif !
Les associations peuvent organiser des manifestations publiques, certes. Mais cela reste facultatif et de leur ressort. Les célébrations qui ont déjà lieu le 19 mars ont un grand succès. Cette date est déjà inscrite dans notre mémoire ! (M. Guy Fischer confirme) Tournons une page de notre histoire et envisageons l'avenir plus sereinement. On n'a pas le droit de refuser aux anciens combattants l'occasion de se recueillir en souvenir de ceux qui sont tombés de l'autre côté de la Méditerranée. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Néri, rapporteur . - Avis défavorable. Il ne s'agit pas de repentance, comme je lis dans le communiqué de M. Carle et de M. Cléach, mais d'hommage. Vous reconnaissez vous-même que le 5 décembre n'a pas de sens historique.
M. Christian Cambon. - C'est pour cela que cette date a été choisie !
M. Alain Néri, rapporteur. - La célébration du 5 décembre a été fixée par décret, la suite fut un cavalier législatif à l'occasion d'un texte sur les pensions. Un texte d'origine parlementaire aurait moins de valeur qu'une proposition de loi ? Il a fallu trente sept ans pour que l'on reconnût qu'une guerre avait eu lieu en Algérie, et ce fut une initiative parlementaire !
La troisième génération du feu a droit elle aussi à une journée de souvenir ! Tous les deux mois, des petits Français prennent le bateau pour l'Algérie.
M. Christian Cambon. - Merci Guy Mollet ! Certains revenaient, d'autres non.
M. Guy Fischer. - 30 000 morts !
M. Alain Néri, rapporteur. - Ceux qui nous gouvernaient alors sont ceux qui ont signé les accords d'Évian, ceux qui ont odieusement abandonné les harkis ! Certains officiers ont refusé d'obéir aux ordres et ramené leurs forces supplétives en France.
Il n'y a pas à être fier des conditions dans lesquels certains furent accueillis en France. Avez-vous visité le camp de Mas-Thibert où fut parquée la harka du Bachaga Boualem ? Et certains harkis furent parfois remis dans le bateau !
Une seule date s'impose pour toutes les victimes, la date histoire du 19 mars. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Nous ne hiérarchisons pas les souffrances. Une date sans signification est une insulte à tous ceux qui ont souffert ! Les douleurs gravées dans leur chair doivent être gravées dans le marbre de la loi. (Applaudissements à gauche)
M. Kader Arif, ministre délégué . - Sagesse.
M. René Garrec . - J'étais en Algérie comme appelé. Les forces supplétives recevaient une solde ridicule par rapport à la nôtre !
Ce débat me met très mal à l'aise. Le 19 mars, ce ne fut pas la paix. Les suites furent abominables. J'avais l'impression de faire la guerre et, revenu chez moi après deux ans et demi, ce passé était un peu infâmant. Je me suis félicité que la guerre soit reconnue. Je célèbrerai ce souvenir le 11 novembre, avec tous les miens. (Émotion ; applaudissements à droite)
M. Hervé Marseille . - Nous voterons la motion. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Parlement. On a saisi le Conseil constitutionnel sur le texte sur l'Arménie parce qu'il fallait laisser aux historiens le temps de se prononcer et l'on avancerait ici à marche forcée ? Soyons prudents.
M. Alain Richard . - Je partage le malaise de M. Garrec. Le 11 novembre et le 8 mai marquent la fin de guerres de défense. Le 19 mars, c'est d'une guerre d'indépendance qu'il s'agissait, d'où les sentiments partagés d'aujourd'hui. La France a combattu contre l'indépendance de l'Algérie.
Je suis en désaccord avec les auteurs de la motion. Pour la dernière fois, les appelés du contingent ont combattu pour la France. J'ai fait partie du gouvernement qui a intégré l'administration des anciens combattants dans la Défense, mis fin à la conscription et consacré la reconnaissance de la guerre d'Algérie. Ces soldats ont droit à la reconnaissance de la nation, même si l'appréciation ne peut être la même sur cette guerre d'indépendance et sur les deux guerres mondiales. Des célébrations existent déjà le 19 mars : cette date est justifiée.
Oui, une date commune a été adoptée unanimement pour tous les conflits. Dans l'opposition, nous avons voulu éviter les clivages sur un tel sujet et déposé un amendement précisant que la date du 11 novembre ne mettrait pas fin aux autres commémorations. Nous avions besoin d'une date pour honorer la mémoire des soldats d'hier, d'aujourd'hui et de demain ; il ne s'agissait pas de mettre fin au débat sur la commémoration de la guerre d'Algérie. (Applaudissements sur certains bancs socialistes)
A la demande du groupe socialiste, la motion n°1 rectifié est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l'adoption | 157 |
Contre | 183 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(Applaudissements à gauche)
Discussion des articles
M. le président. - Je vous informe que je devrai suspendre la séance à 11 h 55 pour la cérémonie aux sénateurs et aux fonctionnaires morts pour la France.
Article premier
M. Roland Courteau . - Plus de 22 000 communes commémorent le 19 mars en France, c'est un cas unique : la demande de témoignage est venue de la population, des communes, le socle de notre démocratie, qui ont souvent une rue, une place en souvenir de cet événement.
Il est plus que temps que la République institue une journée de commémoration pour que la nation s'unisse dans le même devoir de mémoire et que l'on parle de la guerre d'Algérie sans se diviser. Quelque 2 millions de soldats ont traversé la Méditerranée entre 1955 et 1962, dont une majorité d'appelés. Clémenceau nous rappelait au devoir de mémoire : « ceux qui ont combattu, qui ont été blessés, qui sont morts pour avoir fait leur devoir en répondant à l'appel de la République ont des droits sur nous ».
Combattants mais aussi victimes civiles méritent notre hommage. Les 25 000 militaires qui sont morts étaient, pour l'essentiel, des appelés ou des rappelés du contingent.
La date du 5 décembre est abracadabrantesque, elle est seulement la date de la Saint-Gérald. Seul le 19 mars, date du cessez-le-feu, est à même de marquer la reconnaissance que nous devons à tous ceux dont la loyauté à la République n'a pas fait défaut. Nous n'oublions ni les harkis -une tâche sombre de notre histoire- ni les militaires et les civils morts après le 19 mars mais la date du 19 mars est celle du choix républicain du cessez-le-feu. C'est un pont entre les différentes mémoires, celle des Français et des Algériens, celle des individus et de l'histoire. C'est à chaque fois que la République réussit une démarche de synthèse que la nation se grandit, qu'elle se fortifie pour l'avenir ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La séance, suspendue à 11 h 55, reprend à midi dix.
M. Michel Teston . - Ce texte vise toutes les victimes de la guerre en Algérie et des combats au Maroc et en Tunisie. Il aura donc fallu dix ans pour que ce texte aboutisse, après que les « opérations de maintien de l'ordre » en Algérie ont été, grâce à la loi de 1999 votée à l'unanimité dans les deux chambres, enfin reconnues pour ce qu'elles étaient : une guerre.
J'ai toujours défendu la date du 19 mars. Si elle n'est pas celle de l'arrêt des combats, elle a, contrairement au 5 décembre, une signification historique forte : le cessez-le-feu entre la France et le FLN. Cette guerre trop longtemps restée sans nom ne peut rester sans date. Le 19 mars est accepté par la majorité des anciens combattants de la troisième génération. Nous nous souvenons de ceux qui ont perdu la vie, nous soutenons ceux qui ont été meurtris dans leur chair, nous exerçons tout simplement notre devoir de mémoire ! (Applaudissements à gauche)
M. Gérard Larcher . - Le 25 octobre dernier, nous avons commencé l'examen de cette proposition de loi qui, qu'on le veuille ou non, divise le monde combattant. Les débats de ce matin ont amplement montré que l'apaisement était encore un chemin à parcourir. Le 19 mars, pour beaucoup, est encore synonyme de douleurs et de drames.
En outre d'être inopportun pour la cohésion nationale, ce texte revient sur la loi du 23 février 2005, voulue par le président Jacques Chirac, qui ne meurtrit pas l'essentiel, le passé, le souvenir. Le 5 décembre, contrairement au 19 mars, ne blesse aucune mémoire. Deux associations soutiennent votre texte ? Et que dire des quarante autres ? (On renchérit à droite) Ce texte revient aussi sur la loi du 28 février 2012, qui a fait du 11 novembre un jour de commémoration de tous les morts pour la France ; cette date transcende les valeurs de notre pays.
En inscrivant ce texte à l'ordre du jour, le Gouvernement s'ingère ; il interfère dans nos travaux. Compte-t-il soumettre cette proposition de loi à la nouvelle Assemblée nationale ? J'aimerais qu'il en prît l'engagement.
Mais ce débat a lieu dans un contexte différent de celui du 25 octobre. Le 30 octobre, le ministre algérien des anciens combattants a souhaité que la France reconnaisse les crimes perpétrés par le colonialisme français -propos qui ont mis sous tension les relations entre nos deux pays et placé sous de mauvais auspices le prochain voyage, indispensable, du président de la République à Alger. Cette proposition de loi ne doit pas être ressentie comme une réponse à une injonction extérieure. Oui, il faut travailler à une mémoire réconciliée des relations entre la France et l'Algérie de 1830 à 1962. M. Chirac avait proposé un comité d'historiens. De grâce, retirez cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Pierre Charon . - A mon tour de dire mon indignation devant ce nouveau passage en force, devant ce mépris pour le Parlement, devant ces sombres méthodes politiciennes.
M. Jean-Jacques Mirassou. - C'est nul !
M. Pierre Charon. - Pourquoi une journée nationale ? Elle existe déjà depuis la loi de 2005 votée sous la présidence de Jacques Chirac : c'est le 5 décembre. Quant à la journée du 11 novembre, elle est l'occasion de rendre hommage à tous les morts pour la France, de Verdun à Kapisa.
Si ce n'est la jalousie politique, peut-être est-ce votre méconnaissance des événements, le cessez-le-feu trahi le jour même par le FLN, la fusillade de la rue d'Isly, le long cauchemar qui commence après le 19 mars, le massacre des harkis ?
Comment comparer le 19 mars avec le 11 novembre, qui marque la fin de la première guerre mondiale et la victoire de la France, ou avec le 8 mai, qui consacre la victoire des Alliés sur le nazisme et la France réconciliée avec elle-même ? Le 19 mars fut certes un cessez-le-feu, mais pas un cessez-le-sang ; en choisissant cette date, vous oubliez tous ceux, civils et militaires, qui sont morts après.
Je ne peux pas accepter que l'on déforme la pensée du général de Gaulle ; si la raison lui inspira une issue douloureuse, son coeur disait encore : « Tous français, de Dunkerque à Tamanrasset ».
L'histoire a fait que le peuple algérien a pu disposer librement de lui-même. Est-ce une raison pour transformer une blessure en fête nationale ? Fête-t-on Sedan ou Dien Bien Phu ? Comment imaginer célébrer une défaite ? Pourquoi raviver des plaies ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - La concertation serait la marque de fabrique de ce gouvernement. Dans ce cas, pourquoi passer outre l'Assemblée nationale en présumant que son vote de 2002 est toujours valable ? Certains le voteront cependant deux fois, comme M. Néri, à l'Assemblée nationale autrefois et aujourd'hui au Sénat.
M. Alain Néri, rapporteur. - Preuve que je ne retourne pas ma veste !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Au-delà des contorsions sémantiques, c'est le manque de considération pour le monde combattant qui m'inquiète. Deux associations seulement soutiennent le 19 mars, la Fnaca et l'Arac, qui ne comptent que 300 000 membres, quand quarante autres représentant deux millions de familles s'y opposent. Il est scandaleux et indigne que quatre auditions seulement suffisent à légitimer une proposition de loi aussi clivante.
Certes, le 19 mars, c'est le cessez-le-feu, certains d'entre nous se souviennent de la joie qu'ils ont alors ressentie. Mais comment honorer nos morts à une date qui fut une journée de dupes et qui reste une plaie béante pour les millions de personnes ? Comment oublier les morts d'après, ceux qui ont été suppliciés, et surtout les harkis envers qui nous avons une dette d'honneur ?
M. le rapporteur a parlé des rues du 19 mars. Je veux dire ma honte quand une municipalité socialiste a débaptisé une rue vouée à la harka du Bachaga Boualem. Choisir le 19 mars, c'est une nouvelle trahison envers les rapatriés, les harkis, la majorité des associations combattantes. (Applaudissements à droite)
Mlle Sophie Joissains . - M. Bruno Gilles s'associe à mes propos. L'article premier de ce texte, cela a été dit, poursuit un objectif déjà rempli par deux lois. Pourquoi le 5 décembre, institué par celle du 23 février 2005 ? Parce que cette date, neutre, est seule à même d'apaiser les mémoires et de trouver le chemin de la réconciliation.
Le 11 novembre, institué par la loi du 28 février 2012, commémore tous les morts pour la France, des Poilus aux soldats d'Afghanistan. Elle a été choisie dans un souci de cohésion nationale, de dignité et de respect à l'égard de tous ceux qui ont servi le drapeau français. Ces deux dates réunissent sans cliver, sans risquer d'insulter le souvenir de ceux que la France n'a pas défendus et qui ont été massacrés -ce qui n'est pas le cas du 19 mars
Les associations qui soutiennent le 19 mars représentent 350 000 personnes ; les quarante trois autres qui le contestent regroupent 1,2 million d'adhérents. Leur collectif nous a adressé un courrier émouvant et argumenté. On y lit que le 19 mars rappelle à trop de Français le deuil et l'exode ; qu'une nouvelle loi bafouerait la mémoire des harkis et de nos compatriotes victimes d'une véritable épuration technique. C'étaient les descendants des révolutionnaires de 1848, des expulsés d'Alsace-Lorraine, des républicains espagnols et italiens, des combattants de la Libération ! Après le vote de la loi de février 2012, le présent texte serait superfétatoire.
M. Guy Fischer. - Et l'article 4 de la loi de février 2005 ?
Mlle Sophie Joissains. - Le général de Gaulle, François Mitterrand n'ont pas voulu du 19 mars. Si ce texte était voté, il serait certes légal mais non légitime. Les blessures sont encore profondes. L'apaisement avec l'Algérie doit se faire pour les rapatriés, pour les harkis et avec eux. (Marques d'impatience à gauche)
M. le président. - Veuillez conclure.
Mlle Sophie Joissains. - Il est inacceptable que les harkis ne puissent se rendre sur la terre de leurs ancêtres ; 60 000 à 70 000 seraient morts après le 19 mars. Quelque 3 000 Français d'Algérie ont été enlevés et jamais retrouvés. (Mêmes mouvements)
Je crois à la sincérité du rapporteur, même si ce texte relève, de la part du Gouvernement, d'une manoeuvre politicienne. Ce qui me frappe, c'est que vos arguments pourraient vous être retournés : on ne décide pas pour les autres comment ils doivent vivre leur douleur ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Pierre Sueur . - Depuis trente-et-un ans, je me recueille comme beaucoup d'autres élus devant des monuments aux morts pour la France. Je me souviens qu'un 19 mars, il y a longtemps, au chef-lieu de mon département, nous avons déposé nos gerbes dans la nuit, sans drapeau ni lumière...
Peu à peu, cette date s'est imposée dans les villages du Loiret. Il y a là un signe identitaire, reconnu dans mon département par tous les élus, qu'ils soient de droite, du centre ou de gauche : celui de la reconnaissance due à une génération. Chacun sait que le 5 décembre ne correspond pas à un événement historique mais à la disponibilité de Jacques Chirac pour aller inaugurer un monument.
Disant cela, je répète, avec coeur et sincérité, mon respect pour les harkis, auxquels une grande injustice a été faite ; je vais à toutes leurs réunions. Je dis avec le même coeur qu'après le 19 mars, il y eut des morts, cela est vrai, comme ce fut le cas après tous les armistices de tous les conflits.
Je voterai ce texte car cette date correspond désormais à une réalité profonde.
Dimanche dernier, je me suis rendu à Châteauneuf-sur-Loire. Trois noms pour la guerre d'Algérie étaient inscrits sur une plaque... fixée derrière le monument aux morts ! Comme si l'on en avait honte, comme s'il fallait les cacher. J'ai assisté à la cérémonie au cours de laquelle, à l'initiative du maire, la plaque a été fixée sur le devant du monument, à côté de celle consacrée aux morts de 1914-1918 et 1939-1945. C'est dans cet esprit que je voterai la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Kaltenbach . - L'Algérie suscite encore les passions. On a longtemps tu les faits, pour ne pas rouvrir les blessures, mais certains, aujourd'hui, veulent diviser et font de cette loi un enjeu politique. Ce n'est pas en niant les faits historiques qu'on apaise. François Mitterrand avait raison de vouloir laisser du temps au temps mais, cinquante ans après, reconnaissons que la guerre a cessé le 19 mars...
M. Alain Gournac. - Non !
M. Philippe Kaltenbach. - ...que les hostilités ont cessé officiellement le 19 mars. C'est avant tout aux anciens combattants qu'il s'agit de rendre hommage ! Ils sont nombreux à se réunir le 19 mars, et non le 5 décembre. Nos concitoyens ont choisi ! Le 5 décembre est une date de convenance, vécue comme un affront par les anciens combattants. La troisième génération du feu attend depuis cinquante ans. Je le vois dans ma commune. Je voterai donc ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Louis Nègre . - Le 19 mars est la date d'un divorce douloureux pour la nation. Pour plaire à deux associations, vous allez blesser des milliers de Français, alors que la France vit une situation économique désastreuse. Il y a le feu à la maison, dit le rapport Gallois.
M. Jean-Jacques Mirassou. - La faute à qui ?
M. Louis Nègre. - Au lieu de faire prévaloir l'union nationale, comme le fait le président Obama dans son pays, au lieu de nous mobiliser, nous nous occupons d'une date !
M. le rapporteur l'a dit lui-même : il n'y a pas lieu d'être fier des accords d'Évian, qui ont abouti au massacre des harkis.
M. Alain Néri, rapporteur. - Je n'ai pas dit cela.
M. Louis Nègre. - Plusieurs de nos collègues, y compris à gauche, ont parlé de malaise. M. Garrec a parlé d'une voix brisée. La plaie reste ouverte ! Le Gouvernement ne soutient pas explicitement le texte. C'est dire que cette prétendue date historique entretient les divisions. C'est même une provocation !
Pourquoi passer en force ? Pourquoi imposer une date qui divise les Français ? Ce n'est pas qu'un problème de date.
M. Jean-Jacques Mirassou. - C'est le problème du sud-est !
M. Louis Nègre. - Venez assister aux réunions des associations : les gens sont heureux de se retrouver mais ils pleurent encore. Notre rôle est de réunir.
Si ce texte est voté, peut-être les tensions avec l'Algérie diminueraient-elles mais elles s'aviveraient en France. Solennellement, j'en demande le retrait.
M. Joël Guerriau . - Né pendant la guerre d'Algérie, j'ai découvert ce clivage sur les dates en devenant maire en 1995. Je respecte les associations qui veulent commémorer leurs morts le 19 mars, et j'y participe. D'autres refusent cette date. Pourquoi dont rouvrir ce débat ? Une délégation que j'ai reçue hier m'a dit qu'elle n'assisterait pas aux célébrations du 19 mars. Elle m'a montré un timbre algérien où cette date est célébrée comme celle de la victoire sur la France.
Faute d'accord dans le monde combattant, est-ce à nous de faire oeuvre d'historiens ? Je voterai la suppression de l'article. (Applaudissements au centre et à droite)