Régulation économique outre-mer (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer.
Discussion générale
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer . - L'histoire des outre-mer de la République est celle d'une longue marche vers l'égalité réelle. Cette histoire est riche de rapprochements de nos populations et c'est pourquoi nous vous présentons ce projet de loi. Je félicite la commission des affaires économiques et les rapporteurs pour la qualité de leur travail.
À l'origine de ce texte, il y a des constats simples : les prix de la plupart des biens et services sont très supérieurs à ceux de l'Hexagone (de 22 à 38 % !). Dans le même temps, les revenus y sont plus faibles du même ordre de grandeur.
Pendant longtemps, une litanie d'explications a été fournie : cette différence était normale, vu le coût des transports, le coût d'approche, le coût du travail, celui du stockage... Ces explications ne résistent pas à une analyse fine, elles ne suffisent pas à justifier les différentiels considérables entre les outre-mer et la métropole, qui concernent même des biens immatériels ou des services comme les tarifs bancaires ou d'assurance, la téléphonie mobile, les billets d'avion. Même la production locale devrait faire des efforts de vérité des prix. La mission commune d'information sur la situation des DOM, conduite par MM. Doligé et Serge Larcher, a montré que les tarifs variaient de 42 % à plus de 100 %. Le chocolat en poudre vendu 3,10 euros à Paris en coûte 4,40 à la Réunion, 5,43 à la Martinique, 7,08 à la Guadeloupe, 7,50 en Guyane ! Ces écarts incompréhensibles contribuent au sentiment d'abandon de la population et, touchant des denrées de première nécessité, affectent les plus faibles.
Les parlementaires d'outre-mer, dont je fus, ont dénoncé de longtemps cet état de fait, sans être entendus avant les graves mouvements sociaux de ces dernières années. Souvenez-vous des grèves en 2009, 2010 et 2011 ! Depuis lors, missions, rapports et études se sont succédé pour décrire la formation des prix outre-mer. Nous savons maintenant tous que la vie est chère outre-mer et, outre qu'elle est attendue l'intervention des pouvoirs publics apparaît désormais légitime.
Le blocage des prix, prévu par la Lodéom (loi organique pour le développement économique en outre-mer) de 2009, n'a jamais été appliqué, faute d'être applicable. Les expérimentations intermittentes pour faire baisser les prix furent trop limitées. Nous avons adopté une autre stratégie : nous attaquer aux causes de la formation des prix, c'est-à-dire les prix de gros, là où se forment les prix excessifs.
Ce texte ambitieux et même révolutionnaire traduit un des engagements du président de la République : pour agir contre la vie chère, lutter contre les monopoles, favoriser la concurrence, mettre en place un bouclier qualité-prix grâce à des chartes entre grande consommation et producteurs locaux, encourager les circuits courts.
La réglementation actuelle nous enferme dans un cadre qui ne règle rien : bloquer les prix ou tomber dans les prix administrés. Si l'on peut y recourir de façon exceptionnelle, ce ne saurait constituer une solution durable. Les prix du détail ne font que résulter d'une accumulation de marges excessive en amont. Il faut donc une nouvelle boîte à outils pour sanctionner les comportements injustifiés.
Le ministère n'oublie pas nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française mais la plupart des dispositions dont il est question aujourd'hui relèvent de la compétence propre de ces territoires. Il appartiendra à leurs autorités de les transposer si elles le souhaitent. Le Gouvernement veillera à ce que les excès constatés ne perdurent pas.
L'article premier ouvre la possibilité de réguler par décret les marchés de gros. L'article 2 interdit les accords exclusifs d'importation allant à l'encontre des intérêts des consommateurs. L'article 3 étend à l'outre-mer le pouvoir de saisine de l'Autorité de la concurrence. L'article 4 abaisse le seuil de contrôle de concentration dans le commerce de détail d'outre-mer. L'article 5 rend plus opérationnelle une disposition du code de commerce destinée à lutter contre les monopoles. Cette « injonction structurelle » est l'échelon ultime des sanctions, une mesure dissuasive pour combattre des comportements abusifs dans la grande distribution. Enfin, l'article 6 instaure un « bouclier qualité-prix » conforme à une promesse de campagne du président de la République. Cette mesure sera efficace dès la promulgation de la loi. Chaque année, une négociation aura lieu pour fixer le prix global d'un panier du consommateur. Si elle n'aboutit pas, c'est le préfet qui le fixera.
Chacun doit comprendre que la vie chère freine le développement outre-mer, pèse sur la croissance de nos territoires. La crise financière a sa part, mais la vie chère mine la confiance entre les consommateurs et les entreprises. Elle est la cause principale de la boucle prix-salaires. Les entreprises, les investisseurs, les clients en pâtissent, si bien que la croissance est en panne depuis des mois, notamment en Guyane où le pouvoir d'achat est deux fois inférieur à ce qu'il est aux Antilles. Le prix cher des carburants est un danger pour tous : les marges des uns sont les coûts des autres. Il faut donc aboutir à des résultats concrets.
Je ne peux laisser dire qu'avec cette loi, l'État renoncerait à assumer ses responsabilités. C'est tout le contraire. Certes, les coûts d'importation ne vont pas disparaître, mais il faudra faire baisser les prix chaque fois que possible.
Le Gouvernement veut lutter contre la vie chère et cette loi aura tout son rôle. Nous aurons rapidement des discussions, marché par marché, territoire par territoire, pour obtenir des baisses de prix. Nous l'avons fait pour les téléphones mobiles et le prix du gaz à Mayotte où le prix des bouteilles est de 36 euros ! Nous avons imposé 26 euros et cela fonctionne bien. Nous avons demandé aux pétroliers de baisser le prix du carburant de trois centimes. Très rapidement, ce texte permettra une régulation complète en matière de fixation des prix de l'essence outre-mer. Les prix seront plus transparents après discussion sur les marges avec les professionnels.
Le chapitre II concerne la mise à jour de la législation outre-mer par voie d'ordonnance et la validation des lois du pays. L'article 8 permet à un maître d'ouvrage outre-mer d'échapper à l'obligation d'assurer 20 % du projet. Une telle exception existe en Corse. Il s'agit d'une faculté et non d'une obligation.
Il ne s'agit donc pas d'imposer une législation tatillonne et figée ni de stigmatiser les entreprises d'outre-mer. Nous ne voulons pas une économie administrée mais plus de concurrence. Pas de la réglementation, de la régulation en cas de besoin. Nous devons faire émerger un contrepouvoir des consommateurs. Certaines dispositions inquiètent, je le sais : la nouveauté inquiète toujours. J'entends que certains auraient préféré que nous attendions encore. Mais les enjeux imposent d'agir, et vite. C?est le sens de la mission que m'ont confiée le président de la République et le Premier ministre. (Applaudissements à gauche et sur quelques autres bancs)
M. Serge Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques . - La commission a adopté hier, à l'unanimité, ce projet de loi dont elle a salué le dépôt, qui témoigne de l'engagement du président de la République à faire de la lutte contre la vie chère une priorité.
Pourquoi la lutte contre cette vie chère constitue-t-elle une urgence ? La cherté de la vie outre-mer n'est pas un ressenti mais une réalité statistique : en matière de revenus, l'Insee a montré que les revenus sont inférieurs de 38 % à la métropole. Dans les collectivités outre-mer, les inégalités de revenus sont également importantes : les deux tiers de la population touchent moins de 9 400 euros par an. Dans le même temps, toujours selon l'Insee, les prix des produits alimentaires sont de 35 % à 50 % plus élevés qu'en métropole. Même constat pour les collectivités d'outre mer où les prix des produits alimentaires ont beaucoup augmenté. Des produits de base comme le riz ont augmenté de 40 % en 2008 ! Les revenus sont donc inférieurs et les prix supérieurs outre-mer. Il s'agit d'une réalité quotidienne.
Rappelez-vous les cris lancés à la Guadeloupe et en Martinique début 2009 : la crise sociale a paralysé plusieurs semaines ces deux départements. Votre commission regrette qu'aucune réponse véritable n'ait été apportée à la vie chère depuis lors. Cent trente-sept mesures avaient bien été annoncées mais elles n'étaient pas à la hauteur des attentes de la population. Le manque d'ambition du Ciom (conseil interministériel de l'outre-mer) en matière de vie chère a beaucoup déçu.
Notre Haute Assemblée a beaucoup travaillé sur cette question : en 2009, une mission commune d'information sur la situation des DOM a été constituée et un rapport a été publié qui fait référence. L'Autorité de la concurrence a remis deux avis importants. Les deux rapports ont dressé un diagnostic précis en matière de prix et de revenus. Mais rien de concret n'en est ressorti. La crise de 2009 a connu plusieurs répliques outre-mer. En 2011, Wallis et Futuna se sont soulevées et Mayotte a été paralysée pendant 50 jours. Aux cris de nos concitoyens antillais de 2009, ont répondu ceux de nos concitoyens de l'océan Indien.
Je ne reviendrai pas sur le détail des articles. J'ai procédé à diverses auditions sur ce projet de loi. Soucieux d'être à l'écoute de tous, j'ai sollicité l'avis des élus locaux et j'ai reçu de nombreuses contributions. Ce projet de loi constitue une avancée importante, saluée par les associations de consommateurs. Il constitue une boîte à outils qui remettra en cause les situations acquises.
L'article 2 donne les moyens d'interdire toute clause spécifique pour les importations. Les distributeurs ne pourront plus choisir entre les importateurs, les marges commerciales seront donc réduites.
L'article 7 octroiera à l'Autorité de la concurrence des pouvoirs certains qui ont inquiété tant au niveau local que national. L'Autorité de la concurrence pourra imposer ses décisions, du moins en dernier recours. Les importateurs vertueux vont donc être encouragés.
La commission des affaires économiques a récrit les articles 1, 2 et 3 ; elle a introduit un nouvel article afin de préciser les différents dispositifs. L'article 2 vise les accords et non plus les clauses commerciales. L'article 3 permet aux DOM de saisir l'Autorité de concurrence pour réglementer les marchés de gros. D'autres précisions ont été apportées pour apaiser certaines inquiétudes.
Un article 6 bis a été introduit par amendement du Gouvernement pour instaurer un bouclier qualité-prix. La commission des affaires économiques se réjouit de cet article qui privilégie la négociation. Tous les acteurs sont prêts à se mettre autour de la table pour parler de modération des prix. Enfin, un nouvel article traite de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Ce texte très important constitue une première étape pour répondre à la problématique de la vie chère. Il faudra porter l'effort sur tous les secteurs économiques : le prix des billets d'avion, les marges bancaires. La commission des affaires économiques y prendra toute sa part.
J'espère que le Sénat se montrera unanime pour montrer son attachement à l'outre-mer : un défi pour la République et une chance pour la France. (Applaudissements à gauche)
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois . - Notre commission s'est saisie pour avis de ce projet de loi. Je regrette les délais très courts pour l'examen d'un texte dont les effets ne se feront sentir qu'à moyen et long terme. Il y avait cependant urgence à s'attaquer à la vie chère outre-mer, après les violentes crises qui se sont succédé depuis 2009. Après les troubles aux Antilles, le Sénat a créé une mission commune d'information sur la situation des DOM. En 2011 à Mayotte puis cette année à La Réunion, des mouvements ont éclaté.
L'Autorité de la concurrence estimait en 2009 que les écarts de prix étaient supérieurs de plus de 50 % pour la moitié des produits examinés. Plusieurs facteurs d'explication sont avancés, comme l'éloignement, l'insularité ou l'étroitesse du marché. Ils n'expliquent pas tout. Il faut aussi voir que la concurrence fait défaut pour l'importation de certains produits et que les marges des centres distributeurs sont excessives. L'Autorité de la concurrence l'avait dit en 2009.
Les collectivités outre-mer sont dans une situation financière dramatique. Leurs recettes fiscales sont principalement douanières et dépendent donc de l'activité économique. Comme elles ont beaucoup recruté, nombre d'entre elles sont en cours de redressement.
Il convient donc de faciliter le jeu de la concurrence : nous nous félicitons que le projet de loi s'inspire des préconisations de M. Sueur après sa mission dans l'océan Indien. Le Gouvernement pourra réguler les marchés de gros, étudier les clauses d'importation exclusive et saisir l'Autorité de concurrence.
Le projet de loi confie à l'Autorité de la concurrence la mission de sanctionner les infractions. Cette nouvelle stratégie est plus économe des deniers publics et plus efficace que celle menée depuis des années. Les effets de ce texte ne seront pas immédiats.
Des négociations sont donc prévues avec les préfets pour faire baisser certains prix. L'essentiel de mes préoccupations a été repris par la commission des affaires économiques si bien que je n'ai déposé qu'un seul amendement. Je suis satisfait que la collaboration fonctionne avec M. Larcher.
J'en viens aux articles qui sont du ressort de la commission des lois. Il s'agit d'abord de poursuivre l'adaptation de la législation mahoraise. Dans la perspective du statut de région ultrapériphérique de l'Union européenne en 2014, le Gouvernement demande une nouvelle habilitation en matière de législation sociale et pour ce qui concerne l'entrée et le séjour des étrangers à Mayotte.
Le texte supprime en outre l'obligation faite aux collectivités ultramarines de cofinancer à hauteur de 20 % les projets dont elles sont maîtres d'ouvrage, obligation qui interdit de fait à ces collectivités, du fait de leur situation budgétaire dégradée, de mener les opérations qu'elles jugent nécessaires.
L'article 10 homologue enfin des peines d'emprisonnement décidées par l'Assemblée de Polynésie française et le Congrès de Nouvelle-Calédonie pour sanctionner certaines infractions. Certaines d'entre elles ont été créées il y a plus de dix ans... Ce qui appelle le Gouvernement à un meilleur suivi. M. le ministre peut-il nous rassurer sur ce point ?
Je présenterai tout à l'heure plusieurs amendements. La commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption de ce texte, sous réserve de l'adoption de ceux-ci. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Claude Requier . - Je suis particulièrement sensible aux questions de l'outre-mer et m'honore de faire partie de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer. En s'attaquant à la « vie chère » outre-mer, le Gouvernement envoie un signal fort à nos compatriotes ultramarins. Les prix des produits alimentaires sont 30 à 50 % plus chers que dans l'hexagone. Cette réalité est d?autant plus préoccupante qu'elle frappe de plein fouet les ménages modestes, nombreux sur ces territoires. La situation de détresse économique qui en est résultée a conduit à des crises sociales graves.
Que faire contre ce fléau ? Rien, comme c'était le cas précédemment ? Bloquer les prix ? Cette dernière solution contribue à la formation de rentes et ne s'attaque pas aux causes du problème, c'est-à-dire le système de formation des prix dans lequel interviennent de nombreux intermédiaires. Ce texte innove en changeant de stratégie ; il s'attaque à la source du problème, le processus de formation des prix. L'article premier rend possible la régulation des marchés de gros ; deux amendements adoptés en commission des affaires économiques permettent de couvrir l'ensemble des étapes, fret, stockage et distribution. Ce dispositif permettra de réduire durablement et efficacement les prix outre-mer.
L'article 2 interdit la possibilité d'accords octroyant des droits exclusifs d'importation. Un amendement de notre collègue Patient fait peser la charge de la preuve sur l'entreprise et non sur l'autorité de contrôle. L'article 3 prévoit que les collectivités outre-mer pourront saisir l'Autorité de la concurrence pour toute affaire relevant de leur compétence ; un amendement de la commission a étendu cette possibilité de saisine aux pratiques contraires à la réglementation des marchés de gros. L'article 5 donne à l'Autorité de la concurrence un pouvoir d'injonction structurelle.
Le texte méritait d'être complété. L'article 6 bis concrétise un des engagements du président de la République, le bouclier qualité-prix : il prévoit une négociation annuelle devant aboutir à un accord de modération des prix d'une liste de produits de consommation courante.
L'article 8 supprime l'obligation faite aux collectivités d'outre-mer de cofinancer au moins 20 % des projets dont elles assurent la maîtrise d'ouvrage.
Aucun des membres du groupe RDSE ne s'opposera à ce texte ; la grande majorité le votera. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Magras . - La vie chère est une préoccupation majeure de nos compatriotes ultramarins; nous la partageons. L'ancienne majorité lui a accordé l'attention qu'elle méritait avec la Lodeom, puis, à la suite des états généraux, le Ciom a arrêté 137 mesures. Une mission commune d'information sur la situation des DOM avait été mise en place au Sénat à l'initiative de M. Gérard Larcher. La cherté de la vie est une préoccupation légitime. Nous nous félicitons que vous en fassiez une priorité, dans la continuité de vos prédécesseurs.
Néanmoins, vos méthodes et vos outils suscitent nos interrogations et nos inquiétudes, certes atténuées par les travaux de la commission des affaires économiques. Il est incontestable que les relations économiques exclusives des outre-mer avec la métropole et l'Europe induisent des coûts d'approvisionnement supérieurs, d'autant que des monopoles et oligopoles se sont constitués du fait de l'étroitesse des marchés. Il serait cependant abusif de considérer que le jeu du marché est structurellement faussé.
L'article premier renforce les organes de contrôle sur les marchés de gros ; c'est un outil de dissuasion. Le texte prohibe les droits exclusifs d'importation mais reconnaît implicitement qu'un monopole peut être au bénéfice des consommateurs... A cet égard, l'article 2 introduit une disposition rassurante. Il faudra voir néanmoins ce que prévoira le décret d'application.
Les régions ont certes le point de vue le plus général ; la saisine de l'Autorité de la concurrence n'aurait-elle néanmoins pas pu être ouverte aux communes ? Les associations de consommateurs sont de même absentes du texte, qui aurait gagné à les impliquer davantage, afin de développer une culture alternative à la contestation sociale.
L'article 4 abaisse le seuil de concentration ; ne risque-t-il pas de créer un émiettement des distributeurs, au préjudice des consommateurs ? Il n'y a certes pas de concurrence pure et parfaite, mais nous craignons que ce texte permette à l'Autorité de la concurrence d'agir sur la structure des marchés. Il pourrait ainsi aller au-delà de la régulation. Les amendements de la commission sur ce point sont bienvenus, qui donnent un pouvoir plus normal à l'Autorité de la concurrence; la rédaction initiale était en effet imprécise. Le pouvoir d'injonction aux cessions d?actifs mérite d'être mieux encadré. Le texte ne risque-t-il pas d'engendrer des effets d'aubaine pour certains ? Il pourrait porter atteinte au principe constitutionnel de liberté d'entreprendre et au droit de propriété. Les effets collatéraux sur l'économie ne sont pas suffisamment pris en compte. En cédant des actifs, l'entreprise pourrait être contrainte de se séparer d'une partie de sa masse salariale. Nous serons attentifs à vos réponses, monsieur le ministre.
Le droit positif contient suffisamment d'outils permettant de réguler le marché outre-mer. Je vous ai proposé hier d'introduire une clause de revoyure à laquelle vous m'avez semblé favorable, monsieur le ministre.
L'article 6 transpose le règlement européen du 13 uin 2012. Il faut savoir qu'en matière de téléphonie mobile, un ultramarin en déplacement en métropole est en itinérance...
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Et la réciproque est vraie !
M. Michel Magras. - La suppression de l'obligation de cofinancement de 20 est bienvenue et a toute sa place dans ce texte.
Nous sommes réservés sur le coeur de ce projet de loi. Le gouvernement précédent avait engagé des réformes structurelles qui demandent du temps ; l'alternance ne lui a pas permis de les mener à bien. Nous partageons votre ambition mais divergeons sur les moyens d'y parvenir.
Je terminerai par une réflexion personnelle. Il y a deux manières d'aborder la cherté de la vie outre-mer. Soit on baisse les coûts en important des marchandises moins chères et de moindre qualité, soit on considère que la vie chère est inhérente à l'insularité et à l'éloignement et que les populations doivent disposer des moyens suffisants pour y faire face. Les salaires de mon île sont supérieurs à ceux des autres territoires ultramarins, voire à ceux de la métropole, ils sont quand même insuffisants. Des réformes structurelles demeurent nécessaires.
Le groupe UMP s'abstiendra, en restant vigilant sur les effets de ce texte sur le terrain. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Joël Labbé . - Je tiens à vous faire part, monsieur le ministre, chers collègues d'outre-mer, de toute la considération de notre groupe pour vos territoires, riches d'un patrimoine incomparable et d'une population jeune et diverse. Les outre-mer sont une chance et une richesse pour la France.
La situation économique et sociale y est préoccupante. Les derniers mouvements sociaux depuis 2009 nous ont rappelé les souffrances de nos concitoyens ultramarins. Le niveau des prix est le résultat d'une grande dépendance à l'égard de la métropole mais aussi du nombre restreint des acteurs économiques. Quelques oligopoles profitent de la situation au détriment des consommateurs.
Ce projet de loi s'attache à faciliter le jeu de la concurrence en réengageant les acteurs dans la loyauté des transactions et en luttant pour la transparence des prix et des coûts. Les pouvoirs donnés par l'Autorité de la concurrence tendent à éviter tout monopole et toute rente. Nous apprécions que ce texte marque le premier acte d'une nouvelle politique volontariste à l'égard des outre-mer, au bénéfice des populations qui y vivent.
Nous attendons un texte sur la fiscalité ; il est anormal que certains de nos territoires soient considérés comme des paradis fiscaux.
Soyez assurés de notre soutien pour mener à bien cette nécessaire transition que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur les bancs des écologistes)
M. Yves Pozzo di Borgo . - Les populations ultramarines souffrent d'un mal en matière de pouvoir d'achat. Le revenu médian outre-mer est de 800 euros, soit 40 % de moins que le revenu en métropole tandis que les produits alimentaires y sont entre 50 % à 100 % plus chers. Sénateur de Paris mais aussi îlien, j'y suis sensible. Huit yaourts à 8 euros ! C'est déraisonnable, extravagant, mais c'est le quotidien des Mahorais, des Guadeloupéens, des Guyanais. Les mouvements sociaux de 2009 contre la « profitation » ont marqué les esprits.
Nos territoires ultramarins sont dépendants des importations. Ce sont les situations d'oligopole ou de monopole qui font décrocher les prix. En outre, l'octroi de mer s'applique non seulement aux denrées importées, mais aussi aux productions locales...
Ce projet de loi n'est pas le premier à s'attaquer au problème. La loi de mai 2009 a apporté un certain apaisement mais pas de réponse structurelle. Les prix sont repartis à la hausse en 2010 ; au début 2012, La Réunion a connu un conflit social important sur les prix du carburant.
Ce projet de loi propose des solutions qui vont plutôt dans le bon sens. Je salue le travail de la commission visant à étendre la réglementation des marchés de gros à l'ensemble de la chaîne.
Quelques critiques... On aimerait entendre le parti socialiste et le parti de gauche faire plus souvent l'éloge de la concurrence, en particulier au niveau européen... Ce texte manque d'ambition pour améliorer durablement la situation de la vie chère outre-mer. Un programme beaucoup plus ample serait nécessaire, pour revitaliser l'agriculture, améliorer la productivité et la consommation locale. Sans une volonté forte d'encourager le développement endogène, il ne saurait y avoir de baisse structurelle et durable des prix. Reste que ce texte répond à une urgence : le groupe UCR le soutiendra (Applaudissements au centre)
Mme Éliane Assassi . - Même si je suis personnellement très sensible à la situation de l'outre-mer, je me fais en cet instant le porte-voix de mon collègue Paul Vergès, qui n'a pu se libérer de ses obligations.
La situation économique et sociale est extrêmement tendue outre-mer, particulièrement à la Réunion. Si l'emploi est le défi majeur à relever -30 % de chômeurs, 60 % chez les moins de 26 ans-, d'autres problèmes, comme la crise du logement et le niveau des prix affectent nos compatriotes ultramarins, qui attendent des réponses immédiates. Des mouvements sociaux de grande ampleur ont touché tous les territoires outre-mer, signe d'une exaspération croissante. À la Réunion, les écarts de prix ont été analysés par l'Insee. Les prix des denrées alimentaires y ont augmenté en vingt ans plus rapidement qu'en métropole ; l'écart moyen est de 24 % ; sur un échantillon de 100 produits, l'écart atteint 50 %. Or la moitié de la population est au-dessous du seuil national de pauvreté.
La vie chère est une donnée structurelle, qui découle de l'intégration de l'outre-mer à la France et à l'Europe. L'éloignement de la principale source d'approvisionnement, 10 000 kilomètres pour la Réunion, est un facteur déterminant ; aux coûts de production, il faut ajouter les coûts du transport maritime et aérien...
Des monopoles se sont constitués dans la grande distribution, l'énergie, les transports. Comme le relève l'OCDE, le nombre limité des acteurs favorise le « maintien de cartels et d'arrangements collusifs ». La Réunion compte un maillon supplémentaire dans la chaîne de la distribution, celui des importateurs grossistes. Une étude de l'Insee sur la rentabilité comparée en métropole et à la Réunion a montré que les entreprises de grande taille disposent d'un avantage relatif.
Tous les gouvernements ont attribué aux agents publics une indemnité de vie chère, aboutissant à une sur-rémunération. A la Réunion, l'île aux 60 000 fonctionnaires, elle est de 53 %... M. de Peretti avait présenté en son temps une proposition de réforme tendant à réinjecter sur place les crédits d'État. En 2009, nos collègues sénateurs ont publié un rapport intitulé Les DOM, défi pour la République, chance pour la France.
Les majorations sont extrêmement variables, de l'État à EDF en passant par les caisses d'allocations familiales. Leur coût était estimé à un milliard d'euros en 2008, 600 millions pour la Réunion. Environ 70 % des agents territoriaux à la Réunion sont contractuels : le coût de la sur-rémunération est un obstacle à leur intégration dans la fonction publique.
La situation est aujourd'hui anarchique. L'État n'en tire pas les conséquences pour l'écrasante majorité des employés des collectivités territoriales, pour le Smic, pour les minima sociaux. Il s'agit d'un véritable apartheid social institutionnalisé, injuste et inadmissible. Nous sommes arrivés au bout du processus d'intégration lancé en 1946. Les transferts irriguent toute l'économie de l'île ; la société réunionnaise est à deux vitesses, les inégalités s'accroissent qui créent un véritable délitement social. Il nous faut remettre en cause les bases de ce système. La question de la double intégration de la Réunion à l'ensemble européen et à son environnement régional n'est pas résolue.
Quel mode de développement pour la Réunion et quelles perspectives ? Il y a tant de chantiers à ouvrir pour développer la production locale, diversifier les sources d'approvisionnement, s'attaquer à toute la chaîne de la formation des prix, en faisant appel à la responsabilité de tous les acteurs, en élaborant un plan à dix-quinze ans pour recréer la cohésion sociale.
Le Gouvernement a le mérite de mettre sur la table cette question de la vie chère, contrairement à la majorité d'hier.
M. Henri de Raincourt. - Ce n'est pas vrai !
Mme Éliane Assassi. - Ce texte est la première étape dans les réformes nécessaires. (Applaudissements à gauche)
M. Georges Patient . - Prix trop élevé, marges abusives : les coûts des produits alimentaires outre-mer sont de 30 à 50 % plus chers que dans l'hexagone, alors que les revenus y sont de 35 % inférieurs. Conséquence : des explosions sociales à répétition. Nos compatriotes ultramarins sont mécontents des effets d'annonce sans résultats.
C'est tout le mérite de cette loi que de donner aux autorités publiques de nouveaux outils de régulation outre-mer, pour corriger les situations de monopole et d'oligopole. Elle renforce les moyens d'action en faveur de la concurrence et de la transparence des prix. Nous disposons désormais d'un arsenal juridique qui permettra une baisse durable des prix et rétablira la confiance des ultramarins.
En s'attaquant à la vie chère, le président de la République envoie un signal fort à l'égard des populations ultramarines.
L'article 8 dispense les collectivités d'outre-mer de la participation financière de 20 % au financement des projets dont elles sont maîtres d'ouvrage ; il leur redonnera des marges de manoeuvre. Nous souhaitons en outre que les dotations de l'État aux collectivités tiennent compte plus rapidement des évolutions démographiques -nous en espérons la concrétisation dans la toute prochaine loi de finances.
M. Robert Laufoaulu . - Je voterai ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs socialistes), non pas que je le trouve sans défauts. Comment mettre en oeuvre les droits exclusifs pour la Nouvelle-Zélande ou l'Australie ? En outre, ce texte vise surtout la grande distribution, pas les transports ni l'électricité. Néanmoins, ce projet de loi s'attaque à un problème majeur : la cherté de la vie. Je soutiens cette démarche. À Wallis et Futuna, nous sommes les plus touchés par les monopoles qui nous imposent des prix délirants : d'où plus de chômage, plus d'inflation, des prix plus élevés que dans les autres Dom, la Nouvelle-Calédonie. La carte postale des lagons bleus masque une réalité sociale insupportable : la population n'en peut plus.
À la suite des mouvements sociaux de l'an dernier, la « commissionnite » a frappé, sans résultat. Seules des mesures autoritaires pourraient faire baisser les prix. Notre problème : les monopoles. Rarement les monopoles privés tournent à l'avantage des consommateurs. À Wallis et Futuna, le prix de l'électricité est six fois plus cher qu'en métropole, trois fois plus qu'en Polynésie.
Votre Gouvernement va-t-il faire pression sur Total, le seul à entrer dans la passe de Wallis pour livrer le fioul, qui pratique une marge de 30 %?
Nous sommes soumis à Aircalin qui impose des horaires pénibles et, surtout, des tarifs élevés. Les articles du code de la consommation ne s'appliquent pas à Wallis et Futuna. Je salue l'article 8 qui permettra d'adapter notre législation, mais le délai de dix-huit mois est trop long. La population ne pourra pas attendre. Que le Gouvernement fasse un effort, monsieur le ministre.
Certaines mesures prévues à l'article 7 doivent être prises après concertation avec les élus de l'outre-mer. Un mot sur les ordonnances : l'article 2 concerne en partie Wallis et Futuna. Je me réjouis que les consommateurs soient enfin protégés en matière de services bancaires à distance, de don du sang, de stratégie nationale pour la mer et le littoral. Nous y reviendrons lors de la discussion du texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Aline Archimbaud . - Les Écologistes soutiennent ce projet de loi qui opère une révolution salutaire. Il n'est plus question de coller des rustines : vous vous attaquez aux monopoles et aux oligopoles et à la formation des prix.
Ce texte n'est que la première étape pour garantir aux ultramarins des prix raisonnables. Nous vous proposerons d'autres pistes de réflexion pour maîtriser les prix. Nous vous demandons deux rapports sur l'ouverture des marchés locaux aux produits locaux et sur les moyens de développer les échanges avec les voisins de nos outre-mer.
Un troisième amendement proposera la création d'un comité de suivi pour évaluer l'application de cette loi prometteuse. L'Autorité de la concurrence disposera-t-elle de suffisamment de moyens ? Le principe de subsidiarité impose d'associer tous les acteurs locaux au suivi.
Les Écologistes souhaitent préciser l'article 8 ; il serait important de prendre en compte le caractère social et environnemental des projets dont il est question : transports collectifs, stockage de déchets, réseaux d'assainissement.
Enfin, nous proposerons d'améliorer la situation sanitaire outre-mer : interdiction de tout épandage de pesticides qui menace la santé des habitants ainsi que la flore et la faune. N'oublions pas la catastrophe du chlordécone.
Enfin, les produits vendus outre-mer sont plus sucrés, sans raison aucune, alors que tant d'adultes et d'enfants sont en surcharge pondérale : il faut y mettre fin.
Nous espérons que ces amendements seront votés. (Applaudissements sur les bancs Écologistes et sur les bancs socialistes)
Mme Karine Claireaux . - Ce projet de loi répond à un engagement du président de la République pour lutter contre la vie chère outre-mer. Enfin ! La situation de Saint-Pierre et Miquelon est atypique, en raison de sa petitesse et de la faiblesse de sa population. Dans mon archipel, plusieurs mesures répondent aux aspirations de la population.
Je tiens à signaler que le calcul de notre PIB est faussé, et il ne reflète pas la richesse du territoire où le coût de la vie est particulièrement élevé. En 2009 l'indice des prix à la consommation était de 119 en métropole, 120 dans les DOM et 142,7 chez nous. Il faudrait réfléchir à des dispositions pointues pour Saint-Pierre-et-Miquelon, notamment en matière d'effet de seuil.
Certaines marges sont sans doute abusives, mais nous rencontrons des problèmes structurels car certaines marchandises sont déjà très chères avant d'arriver sur les étals des commerces.
Le territoire ne permet pas aux entreprises de s'installer dans les meilleures conditions. Là encore les causes sont multiples ; la fiscalité locale, qui n'est pas de la responsabilité de l'Etat, n'est pas incitative à l'investissement. Il va falloir apprendre à nous servir de cette boîte à outils qui pourra être utile à Saint-Pierre-et-Miquelon. (Applaudissements à gauche)
M. Abdourahamane Soilihi . - À l'issue des grèves qui ont menacé l'équilibre économique des territoires, l'économie locale de Mayotte a été mise à mal. La population attend des solutions d'urgence car les prix sont en total décalage avec le pouvoir d'achat. Le projet de loi ne règlera pas toutes les attentes des Mahorais.
Je vous ai accueilli à Mayotte, monsieur le ministre, dès votre prise de fonctions. À son annonce, le projet de loi a soulevé beaucoup d'espoirs, mais les Mahorais ne s'y retrouvent aujourd'hui pas. Le rapport du Sénat sur Mayotte proposait cinq solutions, mais ce texte ne les a pas retenues. Il fallait ouvrir Mayotte aux produits de première nécessité des pays voisins, diminuer les taxes et impôts sur les produits de première nécessité importés, assurer la transparence des prix, en faisant connaître ceux de métropole pour les mêmes produits, engager une réflexion pour limiter le poids des monopoles, favoriser les produits locaux. Comment présenter des amendements alors que ce texte ne propose rien sur ces problématiques ? La déception est grande pour les Mahorais qui attendent la réalisation des promesses que leur a faites le candidat Hollande le 31 mars.
Le problème de la vie chère résulte de l'absence d'interaction entre les secteurs publics et privés. La vie est trop chère pour les Mahorais car elle est chère aux collectivités locales. L'écart entre les prix et les revenus est considérable : il aurait fallu résoudre le problème des marchés monopolistiques qui pratiquent des prix prohibitifs. Comme le proposait le rapport du Sénat, il faut mettre en place un fonds spécifique de rattrapage pour équilibrer les prix avec les autres DOM.
L'opinion a tendance à assimiler la vie chère aux relations entre le consommateur et les distributeurs, mais il ne faut pas oublier le coût des transports et de la téléphonie, les taxes douanières, une politique éducative insuffisante avec une jeunesse livrée à elle-même, le tissu associatif qui souffre, une politique du logement inexistante, l'absence de coopération régionale....
Mme Catherine Tasca. - Vous avez été dix ans au pouvoir !
M. Abdourahamane Soilihi. - Je souhaite que les prochaines ordonnances traitent de la vie chère !
M. Serge Larcher, rapporteur. - C'est ce que nous allons faire !
M. Abdourahamane Soilihi. - Je voterai ce projet de loi parce que c'est un début mais il y a beaucoup à faire pour Mayotte. (Applaudissements)
M. Maurice Antiste . - Ce projet de loi rend effective la libre concurrence dans une économie insulaire. Nous devons prendre nos responsabilités pour mettre fin à l'inégalité économique entre l'outre-mer et l'hexagone, faire cesser la constitution des monopoles, et ne pas rester sourds aux besoins d'une population au bord de l'explosion sociale.
La cherté de la vie a déclenché depuis 2009 des crises sociales récurrentes. Les consommateurs domiens refusent des prix de 30 à 50 % plus cher qu'en métropole. L'organisation des marchés de gros et de détail a sa responsabilité dans l'insuffisance de la concurrence. Comme l'a relevé la Haute autorité de la concurrence, le secteur de la grande distribution est trop peu concurrentiel. Certains groupes détiennent ainsi des parts de marché supérieures à 40 %.
Dans le marché du détail, les consommateurs sont victimes du fait que les importateurs grossistes sont protégés de la concurrence et les distributeurs pas en mesure d'arbitrer entre eux du fait des pratiques d'exclusivité territoriale. Les tarifs maritimes accentuent l'envolée des prix. Ce projet de loi a le mérite d'apporter des remèdes immédiats. Il conviendra de réduire le nombre d'intermédiaires et d'encourager la production locale. L'État et les acteurs locaux devraient soutenir les initiatives privées. Pourquoi pas des zones franches ?
Ce texte est nécessaire et audacieux. Nous le voterons d'autant que d'autres textes sont annoncés. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Christian Cointat . - Vous voulez lutter contre la vie chère outre-mer : bravo ! Les prix sont effectivement trop chers.
Les handicaps structurels n'expliquent pas seuls la formation des prix. Il y a des abus manifestes de position dominante. Le projet de loi sera-t-il suffisant ? J'en doute beaucoup.
Les circuits sont verrouillés, les habitudes ancrées. Vous allez vous heurter à des structures bétonnées qui, telles les tentacules d'une pieuvre, étouffent toute concurrence. Il vous faudra mettre en oeuvre des moyens puissants. Je n'en vois pas dans ce projet de loi. Saurez-vous résister aux pièges ? On vous opposera la défense de l'emploi local : saurez-vous y résister ? Même l'administration tombe parfois dans la trappe du monopole.
À Saint-Pierre-et-Miquelon, je demandais pourquoi le nouvel aéroport n'était pas ouvert à d'autres opérateurs qu'à la compagnie locale, qui n'a que deux petits avions. Il m'a été répondu que la concurrence aggraverait ses difficultés. Édifiant, non ?
Je vous souhaite beaucoup de courage et de détermination. Seules la concurrence et la transparence pourront modifier le paysage du coût de la vie. L'obligation de publier les étapes de la formation des prix aiderait à contourner les résistances et l'ouverture des marchés à la concurrence, y compris par l'incitation fiscale, jouerait un rôle positif. Ce projet de loi ne concerne ni la Nouvelle-Calédonie, ni la Polynésie française : pourtant, c'est dans ces territoires que le coût de la vie est le plus élevé. Il serait utile de conseiller et d'accompagner les gouvernements de ces territoires pour lutter contre les monopoles. Vous voulez lutter contre l'immigration clandestine à Mayotte. J'ai participé avec MM. Sueur et Desplan à une mission d'information. Malheureusement, les efforts qui avaient été engagés sont devenus vains. Ça a marché, ça ne marche plus : le dispositif est devenu une passoire. La départementalisation est une chance, mais les communes doivent se développer. La France pourrait relancer la libre circulation dans l'archipel. Cette main tendue aurait valeur symbolique et permettrait aux Comores de se développer, grâce à une coopération bien maîtrisée avec Mayotte, cent-unième département français. Votre projet de loi a le mérite d'exister mais il ne va pas assez loin. Mais, à titre personnel, je le voterai. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Michel Vergoz . - Une page se tourne, un dernier chapitre se termine, celui de l'histoire des colonies outre-mer, histoire faite d'abus de toutes sortes, d'oligopoles et de monopoles, insolents voire provocateurs. Et si la colonie ne s'éteignait que ce soir seulement ? Ce jour est un grand jour.
Ce texte représente une véritable rupture avec un système jusqu'ici verrouillé. M. le ministre a porté ce texte jusqu'à cet hémicycle. Au cours de votre voyage à la Réunion en juillet, je ne pensais pas que vous parviendriez à le conserver intact. Vous avez fait mieux : vous l'avez enrichi. Je salue vos convictions et votre courage. Vous vous êtes sans doute heurté à tous les conservatismes mais vous n'avez pas cédé : la majorité des Ultramarins vit une véritable désespérance sociale. Nous avons encore en mémoire les colères contre la vie chère de ces dernières années. Ce texte s'attaque à tout ce qui verrouille le développement économique et fomente la vie chère. Oui, c'est une belle boîte à outils que vous nous offrez, monsieur le ministre.
Vous donnez enfin de la respiration à nos sociétés. En favorisant la concurrence, en la rendant souple, libre, loyale. Vous allez permettre le développement solidaire : les Ultramarins l'ont plébiscité lors des dernières élections présidentielles. Vous nous trouverez à vos côtés pour faire vivre ces combats qui seront, n'en doutez pas, rudes. Hannibal s'engageant dans les Alpes avec des éléphants, au troisième siècle avant J.C. s'est écrié : « Nous trouverons un chemin ou nous en tracerons un ». Quel beau sentier vous ouvrez ici ! Merci, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; M. Christian Cointat applaudit aussi)
M. Jacques Cornano . - Au regard des espoirs déçus en 2009, l'engagement de François Hollande de lutter contre les monopoles pour nos concitoyens doit être honoré. Nous saluons l'initiative du Gouvernement : dès son entrée en fonctions, il a proposé une approche différente par une régulation ex ante de la concurrence. La création d'une nouvelle infraction économique sur les accords exclusifs d'importations devrait permettre de restaurer la concurrence. Mais quels sont les effets indirects sur les collectivités qui sont soumises au droit de la concurrence ?
L'Autorité de la concurrence pourra être saisie de tous les actes contraires au droit de la concurrence : elle pourra adresser des injonctions à la grande distribution. Comment utilisera-t-elle ces nouveaux pouvoirs ? Des moyens matériels et juridiques auraient dû être apportés à la DGCCRF et à l'Observatoire des prix.
Ce projet de loi n'est pas exhaustif mais il constitue une bonne avancée pour lutter contre la vie chère : je le voterai. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Étienne Antoinette . - Quarante-neuf pour cent, c'est le différentiel des prix entre la Guyane et la métropole. Ces chiffres s'inscrivent dans des territoires où la population gagne peu et paye plus, si bien qu'elle souffre dans sa chair, d'où les mouvements sociaux de ces dernières années.
Le Gouvernement veut agir sur la formation des prix. Les progrès de la productivité ne doivent pas être captés par les intermédiaires. Les prix en Guyane peuvent varier de 1 à 10 selon que l'on se trouve sur le littoral où à l'intérieur du pays. Des produits locaux sont proposés à des prix exorbitants : le mètre cube d'oxygène est facturé 9 800 euros à Cayenne contre 300 euros à Paris ! Nous sommes passés d'une économie de comptoirs à une économie de marges. Des produits brésiliens sont importés de France en Guyane : quelle aberration !
Le renforcement de la concurrence ne permet pas de remédier à la difficulté d'approvisionner les marchés. De plus, il faut agir sur les revenus. L'État doit jouer tout son rôle de stratège, inciter les opérateurs privés à réduire leurs marges.
Enfin, on demande aux territoires ultramarins de faire aussi bien qu'ailleurs, d'être aux normes européennes, de participer à l'effort national en temps de crise. Ils risquent l'asphyxie. Pourtant l'image d'assistés ou de « danseuses » continue de nous coller à la peau. Il est temps que les vérités soient dites. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Richard Tuheiava . - Je salue ce projet de loi qui met en musique l'engagement du président de la République en faveur des outre-mer. Y a-t-il une fatalité des outre-mer ? Parlementaires socialistes, nous n'y croyons pas. L'histoire de la Polynésie française est étroitement liée aux expérimentations nucléaires, entre 1963 et 1996. Les prix ont alors flambé. Il a fallu acheter la paix sociale.
En 1962, le général de Gaulle avait d'ailleurs dit qu'il ne faudrait pas regarder à l'argent.
En dépit des avertissements lancés par des gens sensés comme René Dumont, Simon Nora et d'autres, le Gouvernement laissa s'établir un système fondé sur la consommation Gacé auquel des aristocraties néocoloniales locales ont bâti des fortunes considérables. À l'économie de comptoir s'est ajoutée une économie de garnison. Le système économique de la Polynésie française était artificiel et budgétivore mais certains le pensaient éternel.
Cette histoire qui fut la nôtre engendra des poisons : le clientélisme et la corruption, une gabegie organisée sur fonds publics, et un fossé de plus en plus large entre les riches et les exclus de cette économie artificielle. Lutter contre la cherté de la vie en Polynésie, c'est donc sortir de ce modèle économique périmé et politiquement déviant. Les prix élevés ne sont que le reflet de ce modèle injuste et plus cruel que ne le laissent penser les images idylliques de nos côtes.
On met souvent en avant le statut d'autonomie et les compétences respectives de l'État et de la collectivité. Quand l'État a eu besoin de la Polynésie, il a contourné, par la force, la ruse et l'achat, ces compétences statutaires locales. Tournons ensemble cette première page difficile de notre histoire commune. Il est temps de remettre les pendules à l'heure, dans un esprit apaisé et d'apaisement.
Malgré les tentatives de réformes voulues par le gouvernement polynésien en place depuis avril 2011, les possédants ont encore moyens d'empêcher l'application de ce grand principe qui fait la fierté de la France : l'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques.
Cessons de voir la problématique de la vie chère en Polynésie sous le seul prisme de la répartition des compétences. Il s'agit d'aider le gouvernement polynésien à vaincre les obstacles que l'histoire a placés devant lui. Je sais que vous ne serez pas le ministre qui prendrait prétexte des compétences territoriales pour laisser la misère et l'ignominie poursuivre, en Polynésie française, leur pouvoir destructeur.
En pensant à nos concitoyens des antipodes, je voterai résolument ce projet de loi. (Applaudissements à gauche)
M. Félix Desplan . - Je redis qu'il y a urgence : en Guadeloupe, le taux de chômage atteint des records est s'est encore accru de 5 % en un an. Dans ma ville de Pointe-Noire, la ligne budgétaire relative aux prestations du CCAS pour 2012 a été épuisée en huit mois. Face à la précarité qui progresse, les prix sont exorbitants. Dans le secteur de la grande distribution, sur 75 produits de consommation courante importés, les écarts avec la métropole dépassent 55 % dans la moitié des cas.
Le Gouvernement a décidé de se donner les moyens d'apporter des solutions tout en négociant. Nous n'ignorons pas les dangers. Il faut agir durablement, pour la transparence, dans nos territoires trop marqués par une économie de comptoir. Ce Gouvernement s'y attelle et je tiens à saluer son action qui ne donne pas dans la facilité. La population est d'autant plus impatiente et exaspérée qu'elle connaît les prix pratiqués dans l'Hexagone.
Nous disposons avec ce texte d'outils efficaces de modernisation économique. D'autres devront être mis en oeuvre mais voici déjà une avancée courageuse conforme aux engagements de campagne du président de la République. Une vraie volonté de changer le cours des choses. (Applaudissements à gauche)
M. Jacques Gillot . - Ce projet de loi tend à améliorer la chaîne de formation des prix outre-mer. Conformes au droit européen, les mesures envisagées renforcent l'arsenal juridique des pouvoirs publics pour corriger ces atteintes à la concurrence qui privent les consommateurs de l'accès aux services et aux produits au meilleur prix.
Cette loi est l'une des solutions au problème de la vie chère. D'autres pistes doivent être explorées. En zone caraïbe, nous sommes soumis à des normes contraignantes de la part de l'Union européenne. Il y a là matière à réflexion et à négociation. Si la Guadeloupe pouvait acheter ses produits pétroliers au Venezuela, le prix à la pompe baisserait sensiblement. Dans ce domaine des carburants, la crise économique actuelle appelle des mesures urgentes dont certaines ont été proposées par les nombreux rapports intervenus après les mouvements sociaux de 2009. Je pense notamment à la filialisation des activités de stockage de la Sara, à l'ouverture du stockage à de nouveaux importateurs et à l'affichage des prix dans les stations services. Je pense également à l'arrêt de la publication de prix plafonds, sur lesquels tous les distributeurs s'alignent, au mépris de la concurrence.
Je m'interroge sur les moyens de l'Observatoire des prix et des revenus. Le Gouvernement a-t-il l'intention de les renforcer ?
Ce projet de loi est un premier outil contre la vie chère, qui doit mobiliser l'ensemble des acteurs publics et la société civile, tant l'action doit être collective pour être efficace. (Applaudissements à gauche)
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Très bien !
La discussion générale est close.
M. Victorin Lurel, ministre . - Merci à l'ensemble des orateurs pour la qualité et la pertinence de leurs interventions. Ce texte a évolué de façon positive grâce à la concertation que nous avons conduite.
Monsieur Serge Larcher, je tiens à vous remercier pour votre remarquable travail. C'était une très belle coproduction législative. Monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, je comprends que les délais ramassés ont pu compliquer votre tâche. Il n'en demeure pas moins que vos apports sont de qualité. Même dans l'urgence, l'ensemble des collectivités ont été entendues et le texte du projet de loi était consultable en ligne dès le début du mois d'août.
Monsieur Requier, j'ai apprécié vos propos. Je suis sensible à la position bienveillante du groupe RDSE quant à ce projet de loi.
Monsieur Magras, j'ai entendu vos interrogations et inquiétudes sur certains aspects du texte. Même si je ne partage pas vos appréhensions quant au rôle de l'Autorité de la concurrence, je suis heureux que notre travail commun puisse dissiper vos craintes. Ce texte ne porte nulle atteinte au droit de propriété, ni à l'innovation. Tout le monde ne dispose pas aujourd'hui dans les outre-mer de la même capacité de valoriser son patrimoine foncier qu'à Saint-Barthélemy. (Rires à gauche) Nous ne nous défaussons pas sur les collectivités locales. L'État ne renoncera en aucune façon à son pouvoir de saisine de l'Autorité de la concurrence. J'ai bien entendu la mise en cause par l'UMP de la constitutionnalité de l'article 5. Si nous demandons des habilitations, c'est que des retards ont été pris, dont ce gouvernement n'est pas responsable.
Madame Archimbaud et monsieur Labbé, je vous remercie pour votre soutien à l'action du Gouvernement. J'apprécie nos échanges et votre souci de consulter les élus locaux. Il n'est jamais aisé de changer les choses de manière volontariste. Le Parlement examinera bientôt votre proposition de loi sur le taux de sucre mis outre-mer dans les aliments.
Monsieur Pozzo di Borgo, ce projet de loi a pour but de rétablir la justice dans le mécanisme de formation des prix. En réalité, la Lodéom ne prévoyait le blocage des prix que dans des circonstances extrêmement restrictives, ce qui la rendait de facto inapplicable.
Madame Assassi, je sais combien Paul Vergès avait souhaité être parmi nous et combien il a contribué à animer le débat sur ce projet de loi à la Réunion, avec des propositions utiles. Sur la question des sur-rémunérations, qui ne figure pas à l'agenda du Gouvernement, ce qui n'empêche pas le débat, il n'y a pas consensus. Elle augmente le pouvoir d'achat de certains, oui, mais il est largement dépensé sur place. Une réduction brutale aurait des effets déflationnistes. Mme Girardin eut le courage de dire à ses amis qu'on a tort de ne mettre l'accent que sur les aspects négatifs de cette sur-rémunération, qui alimente la croissance et la consommation. Ne voyons pas cette affaire par le petit bout de la lorgnette ! Je vous invite à discuter avec Paul Vergès de cela. Faut-il supprimer la sur-rémunération pour les nouveaux entrants dans la fonction publique ou augmenter la rémunération de tous les autres secteurs ? Il faudra y réfléchir ; nous touchons là aux mécanismes fondamentaux de notre économie.
Madame Claireaux, je suis conscient de la particularité de Saint-Pierre-et-Miquelon. À votre demande et à celle de votre collègue députée, Annie Girardin, le Gouvernement a résolu d'agir sur toutes les composantes des revenus. La notion de PIB à Saint-Pierre-et-Miquelon a retenu toute notre attention. Les choses sont loin d'être claires.
Merci, monsieur Patient, de votre soutien actif, ici et sur le terrain. La feuille de route du Gouvernement est claire : l'engagement n°5 sera tenu.
Monsieur Laufoaulu, je suis sensible à votre soutien. Le coût délirant Wallis et Futuna -le plus cher du monde, sans doute !- d'un bien aussi essentiel que l'électricité nous appelle à agir. Il faudra discuter avec le monopole et il est sûr que ce projet de loi n'y suffira pas. Dès lors que nous aurons obtenu une réduction en amont, il faudra s'assurer de sa répercussion en aval. Ce sera ardu. Nous utiliserons toutes les armes du code civil, je le dis sous le regard de Portalis. Sur les ordonnances, je ferai toute la diligence nécessaire et m'attacherai à éclairer les élus wallisiens et futuniens que je reçois le 2 octobre.
Monsieur Cointat, merci pour votre analyse lucide et vos conseils avisés. J'espère que l'avenir donnera tort à votre pessimisme.
M. Christian Cointat. - Je l'espère aussi ! (Sourires)
M. Victorin Lurel, ministre. - En tout cas, ne doutez pas de notre résolution.
M. Christian Cointat. - Très bien.
M. Victorin Lurel, ministre. - J'en veux pour preuve la détermination personnelle du président de la République à accélérer le calendrier.
Monsieur Abdourahamane Soilihi, j'ai été agréablement surpris par votre intervention : vous avez noté notre bonne volonté. Nous sommes tous responsables de la situation à Mayotte. Un duopole imposait une captation de prix sur la bouteille de gaz à 36 euros. Nous avons imposé une baisse de 10 euros. Cela eût pu être fait avant ! Nous aurions pu baisser à 22 euros, comme ailleurs, mais nous respectons les seuils de rentabilité des entreprises. L'ambassadeur de l'île Maurice est venu me dire que j'avais bien fait.
La clé, c'est l'information sur les mécanismes de formation des prix. L'Insee ne l'a pas, sinon de façon trop globale. Il faut imposer une obligation de publication qui n'aille pas contre le secret commercial.
Ici sous le regard de Colbert, Turgot et Portalis, notre action prend tout son sens. Nous travaillons sous leurs auspices. Soyez assurés de la détermination du Gouvernement ! (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs UMP)
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - La commission des affaires économiques se réuni à 19 heures pour étudier les amendements extérieurs.