Mesures conservatoires - Sauvegarde des entreprises (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion d'une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet.
Discussion générale
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. - Les pouvoirs publics doivent répondre aux situations qui fragilisent nos entreprises. Le président de la République et le Gouvernement, dans la crise, se mobilisent pour préserver le tissu économique et l'emploi. Le soutien à la compétitivité va de pair avec la capacité des entreprises à maîtriser les risques juridiques.
Cette proposition de loi vise les dirigeants qui organisent l'insolvabilité de l'entreprise et manoeuvrent pour échapper à la mise en jeu de leurs responsabilités.
Le vote conforme du texte est une excellente chose : je vous en remercie. C'est le résultat d'un travail fructueux avec l'Assemblée nationale.
Cette proposition de loi ne répond pas à l'ensemble des situations délicates des entreprises, mais vise à prévenir les fuites d'actifs. L'extension des saisies conservatoires, accessoires d'une action judiciaire en insuffisance d'actifs ou en responsabilité pour faute, permettra, dans l'attente de la décision au fond, de saisir les biens aux mains des dirigeants de l'entreprise en difficulté. La proposition de loi autorise la cession des actifs saisis, pour éviter qu'ils ne génèrent des frais supplémentaires. Cette cession est encadrée, et placée sous le contrôle du juge.
Cependant, dans les limites du droit de propriété, ces sommes pourront être utilisées par les mandataires judiciaires pour faire face aux obligations sociales et environnementales de la société.
Un amendement de M. Fabius à l'Assemblée nationale renforce la transparence dans l'exécution de ces mesures dérogatoires.
Un second amendement élargit au domaine social l'objet des sommes résultant de la cession des biens. Le terme « obligations sociales » est suffisamment large pour couvrir tous les cas de figure : code du travail, conventions collectives, accords d'entreprises et contrats individuels.
La proposition de loi apporte une protection efficace et concrète à Petroplus mais aussi à nombre d'autres entreprises, notamment des filiales de groupes internationaux.
Ces nouvelles garanties éviteront que les comportements irresponsables ne pénalisent trop les entreprises.
Je me réjouis du consensus autour de ce texte et souhaite que la Haute assemblée confirme la position de sa commission des lois. (Applaudissements à droite)
M. Philippe Bas. - Très bien !
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. - Nous devons adapter notre droit à l'organisation des entreprises, qui peuvent se voir privées par des tiers de leurs actifs alors que ceux-ci devraient être consacrés au respect de leurs obligations sociales et environnementales. Les salariés de Petroplus, à Petit-Couronne, attendent que les stocks de produits raffinés soient conservés sur place.
Ce n'est pas un texte partisan ni une grande initiative de politique industrielle. Il s'agit seulement de donner aux salariés la garantie que le fruit de leur travail ne sera pas capté par des tiers. Le Premier ministre s'est entretenu avec M. Fabius, député du département concerné. Il faut un vote conforme pour adopter ce texte avant la fin de la session.
À l'Assemblée nationale, la proposition de loi a été enrichie par deux amendements, de M. Fabius et Mme Guégot, qui répondent aux souhaits des salariés, lesquels voudraient légitimement être informés.
Le cas des filiales françaises de groupes internationaux est symptomatique. Dans le groupe pétrochimique existent deux niveaux de filiales ; les décisions remontaient largement à la holding suisse. Les stocks de Petit-Couronne étaient ainsi propriété de la société grand-mère suisse : le site n'avait plus aucunes ressources pour assurer son avenir.
Des mesures conservatoires existent au stade de la liquidation judiciaire mais rien n'existait pour prévenir la fuite d'actifs. La proposition de loi étend les facultés dont dispose le juge au stade du redressement judiciaire. Le juge-commissaire pourra autoriser la vente des stocks, les sommes sous séquestre pourront être mobilisées pour faire face aux dépenses urgentes et satisfaire aux obligations sociales et environnementales. C'est une garantie pour les salariés et pour assurer l'avenir des entreprises concernées. C'est pourquoi le Gouvernement souhaite un vote conforme. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, rapporteur. - Cette proposition de loi est venue rapidement devant le Sénat en raison de la situation de l'entreprise Petroplus à Petit-Couronne et de l'inquiétude de ses salariés, présents dans les tribunes et que je salue. Il y a entre nous, monsieur le ministre, bien des divergences sur la politique industrielle : certaines décisions n'effacent pas les indécisions antérieures et il y a des choix politiques que nous ne partageons pas.
Sur Petroplus, il y a eu convergence entre des élus de sensibilité différente. C'est une bonne chose. Nous devons viser le bien commun. Nous avons été attentifs à la position des organisations syndicales de l'entreprise. Mon rapport cite le représentant de l'intersyndicale de Petroplus : « Il est primordial que la loi existe », dit-il, même si l'on peut regretter que tel ou tel amendement n'ait pas été adopté à l'Assemblée nationale.
Tant pour préserver les intérêts de l'entreprise en France que ceux des salariés, nous devions prendre nos responsabilités. Je me suis entretenu avec Mme Guégot, nous avons trouvé des solutions communes.
Ce texte de six articles, technique, modifie le livre VI du code du commerce sur les difficultés des entreprises, autrement dit le droit des procédures collectives.
Petroplus Petit-Couronne raffine du pétrole propriété de la holding suisse qui est aussi en difficulté. La holding suisse, compte tenu de son immixtion dans la gestion de sa filiale, peut être considérée comme dirigeant de fait.
Le pétrole dans les cuves de Petit-Couronne représente 200 millions d'euros : il serait bien utile au redressement et à la poursuite de l'activité sur le site de Petit-Couronne mais la société suisse peut vouloir le récupérer pour son propre redressement avant le rendu du jugement sur le fond.
Outre une enquête pénale, les administrateurs judiciaires de Petroplus ont engagé des actions civiles. Après la publication de la loi, ils auront la possibilité d'engager une action en responsabilité, qui pourra donner lieu au prononcé des mesures conservatoires prévues dans ce texte : saisie des biens des dirigeants, y compris en cas d'une sauvegarde, d'un redressement.
L'action en insuffisance d'actifs, créée dans la loi de 2005, en cas de redressement ou de liquidation, avait été restreinte à la seule liquidation par une ordonnance de 2008, bien malvenue : sans celle-ci, on aurait pu engager, sur la base du texte de 2005, une action en insuffisance d'actifs dans le cas de Petroplus...
Si la responsabilité du tiers est retenue, ses biens peuvent également être saisis.
L'article 4 concerne le droit constitutionnel de propriété : les limitations qui y sont apportées doivent être entourées de garanties, pour éviter de prêter le flanc à une question prioritaire de constitutionnalité. Les biens faisant l'objet d'une mesure conservatoire pourront être cédés s'ils dépérissent ou engendrent des frais. Les sommes seront bloquées à la Caisse des dépôts et consignations. La rapporteure de l'Assemblée nationale a apporté une première garantie ; en outre, l'affectation du produit de la cession sera encadrée par le juge.
La gestion des affaires et biens du propriétaire inclut les obligations sociales et environnementales qui découlent de sa propriété : l'amendement adopté à l'Assemblée nationale est très clair.
M. Charles Revet. - Très bien.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, rapporteur. - L'information des salariés a été renforcée, à l'initiative du groupe SRC de l'Assemblée nationale. Le nouvel article L. 631-10-2 a été adopté, assorti de trois sous-amendements du Gouvernement. Il organise l'information des représentants des salariés sur les mesures conservatoires dans le cadre d'une action en extension.
Je regrette que l'action en responsabilité et l'action en insuffisance d'actifs aient été oubliées et que les articles L. 631-10-1 et L. 651-4 n'aient pas été englobés par les exigences nouvelles d'information. Mais je ne présenterai pas d'amendement afin d'assurer un vote conforme.
Ce nouvel article, situé dans le titre « Redressement », vise en réalité la sauvegarde. L'intention du législateur est bien que l'information des salariés soit exhaustive, dans les trois cas prévus par les trois articles : L. 631-10-1, L. 631-10-2 et L. 651-4.
Les salariés ont été déçus par le rejet d'un amendement à l'Assemblée nationale : il nous paraît très important que l'action en extension comporte des obligations sociales et que le Gouvernement ait déclaré ici que vous entendez par obligation sociale ce qui relève du code du travail, des conventions collectives, des accords d'entreprise et de contrats individuels. Ces quatre garanties engagent les futurs gouvernements et valent interprétation de la loi.
La commission des lois vous propose d'adopter le texte en l'état. (Applaudissements)