SÉANCE
du mardi 28 février 2012
72e séance de la session ordinaire 2011-2012
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
Secrétaires : M. Jean Boyer, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Conventions fiscales
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l'île Maurice tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d'Arabie saoudite en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu, sur les successions et sur la fortune et du projet de loi autorisant la ratification de l'avenant à la convention entre la République française et la République d'Autriche en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune.
Ces trois projets de loi font l'objet d'une discussion générale commune.
Discussion générale commune
M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. - Il s'agit de trois avenants à des conventions visant à éviter les doubles impositions, à favoriser l'échange d'information et à mettre fin au secret bancaire.
Pour l'avenant franco-autrichien, nous avons attendu des évolutions du droit interne. La lutte contre les pratiques fiscales dommageables est une priorité de la France : un réseau conventionnel parmi les plus denses, plus de quarante accords bilatéraux, une liste noire propre d'États non-coopératifs, assortie de sanctions.
Sur le plan multilatéral, nous sommes également actifs, en particulier dans le cadre du Forum fiscal mondial. Le président de la République y est revenu lors du G 20 de Cannes.
L'approbation de ces accords sera une étape importante pour évaluer concrètement les progrès effectués par les États et constituera une avancée dans la lutte contre les pratiques fiscales dommageables. (Applaudissements à droite)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. - La commission des finances a adopté ces trois propositions de loi. Je comprends les interrogations de nos collègues communistes sur les quarante neuf accords fiscaux examinés par le Sénat ces dernières années, qui les ont conduits à demander l'inscription de ce débat à l'ordre du jour.
La commission d'enquête, à l'initiative du groupe CRC, est bienvenue. L'efficacité de la politique conventionnelle française doit être évaluée.
Ces trois accords comportent une obligation de transmission d'information conforme aux standards de l'OCDE. Les États ne pourront plus s'opposer à une demande de renseignements.
Notre commission s'est interrogée sur les enjeux de la ratification. L'avenant autrichien n'aura ainsi qu'une portée mineure : l'objectif est l'échange automatique, et non sur demande.
Pour Panama, on peut s'étonner que la signature de l'accord soit intervenue avant les résultats de l'évaluation du Forum mondial, destinée à mesurer l'adéquation du cadre conventionnel de l'État concerné pour l'échange de renseignements.
Il est vrai qu'il n'en va pas de même pour l'île Maurice, qui ne figure pas, au demeurant, sur la liste des États non-coopératifs. Reste que le Sénat avait refusé de ratifier l'accord panaméen...
La politique de négociation bilatérale menée depuis trois ans est trop opaque, et le Parlement insuffisamment informé.
Nous attendons toujours le jaune budgétaire sur le contrôle des filiales détenues à l'étranger par les entreprises françaises, qui devait accompagner le projet de loi de finances pour 2012. Quand la liste nationale des États non-coopératifs sera-t-elle actualisée ? Elle devrait être mise à jour annuellement, au 1er janvier. L'information du Parlement est soit rare, soit tardive, soit les deux.
Le taux de réponse aux demandes françaises de renseignements est de 30 % : le bilan, sombre, révèle les limites de notre politique conventionnelle. Il faut renforcer les obligations déclaratives des entreprises, ainsi que les sanctions.
Les pratiques fiscales dommageables s'observent chez certains de nos voisins, pas seulement dans des paradis exotiques ! Du fait des accords Rubik, la Suisse conserve le secret bancaire en contrepartie d'un prélèvement sur les avoirs allemands et britanniques dans leurs banques. Un tel accord amputerait notre administration du contrôle de la levée de l'impôt.
La possibilité de prélèvement à la source, qui existe dans la directive Épargne, n'est que transitoire ; il faudra y revenir. La ratification de l'accord Rubik a soulevé, en Allemagne, bien des oppositions.
En outre, la réglementation américaine Foreign account tax compliance act (Fatca), qui sera bientôt en oeuvre, aura un impact sur les conventions bilatérales existantes.
Où en sont les discussions autour du Fatca ? Les Américains accepteront-ils de se soumettre aux règles de réciprocité ? Le Fatca s'oppose directement à la logique de conservation du secret bancaire des accords Rubik...
Si la Suisse présente des mesures visant à améliorer son image, elle refuse toujours l'échange automatique d'informations.
La France doit jouer tout son rôle pour favoriser la transparence. « Les paradis fiscaux, c'est fini », avait annoncé le président de la République. Manifestement, ce n'est plus à l'ordre du jour !
L'efficacité des accords que nous signons est conditionnée par la volonté politique des pays de collaborer réellement. Il reste du pain sur la planche ; il faudra parvenir à fermer, une à une, les fenêtres qui donnent ouverture à la fraude.
En conclusion, la commission des finances vous propose d'approuver ces projets de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. François Marc. - Très bien !
Mme Leila Aïchi. - « Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c'est terminé », déclarait Nicolas Sarkozy en 2009. Une de ces déclarations hâtives et sans fondement, auxquelles le président de la République nous a habitués.
M. Jean-Louis Carrère. - Vous voulez dire le candidat sortant !
M. Charles Revet. - Il reste le président de la République !
Mme Leila Aïchi. - Il reste, en effet, 73 États non-coopératifs ! Le G 20 de Londres avait donné lieu à l'établissement par l'OCDE d'une liste noire, d'une liste grise et d'une liste blanche. Pour passer de la grise à la blanche, il suffisait de conclure douze accords bilatéraux de transparence fiscale. Quelle audace avait-il fallu à M. Sarkozy et au G 20 pour mettre en place un accord à ce point contraignant ! C'est ainsi qu'en septembre 2009, le gouvernement monégasque avait pu être blanchi par la signature d'accords de transparence fiscale avec douze États, dont Andorre, les Bahamas... mais aussi la France.
Pour ne pas cautionner ce véritable blanchiment des paradis fiscaux, le Sénat avait ainsi refusé de ratifier l'accord avec Panama.
Nous ne sommes pas ici dans le même cas : la signature de ces avenants n'entraîne la radiation d'aucune liste, et nous suivrons la commission des finances.
Dans l'attente de la révision de la directive Épargne, c'est un pis-aller, sachant que ces dispositions resteront lettre morte sans volonté politique des États concernés.
Il est regrettable de faire reposer notre politique de lutte contre l'évasion fiscale sur une politique conventionnelle peu efficace. La législation américaine, Fatca permettra, dès 2013, aux États-Unis d'avoir des informations sur les comptes de leurs ressortissants à l'étranger. A défaut, les banques seront taxées à 30 % sur l'ensemble de leurs revenus locaux. Voilà un véritable acte de volontarisme contre l'évasion fiscale !
Mais la majorité présidentielle préfère s'attaquer à la prétendue fraude sociale et aux chômeurs qu'à l'évasion fiscale. (Rires à droite ; applaudissements à gauche)
La lutte contre l'évasion fiscale n'en est qu'à ses débuts. Ne nous trompons pas de combat et donnons-nous les moyens d'y parvenir. (Applaudissements à gauche)
M. Éric Bocquet. - Ces avenants concernent trois pays bien différents : l'Autriche, qui compte trois fois plus de comptes bancaires que de résidents ; l'île Maurice, paradis des vacanciers fortunés et base arrière des hommes d'affaires britanniques ; l'Arabie saoudite, royaume féodal et arriéré qui ignore la démocratie. (Mme Nathalie Goulet s'exclame)
L'adoption de ces conventions soulève des réserves. Les précautions de langage de la rapporteure générale montrent bien que nous sommes loin de l'absolue transparence...
M. Francis Delattre. - A quand les Soviets ?
M. Éric Bocquet. - Nous attendons toujours le bilan, prévu par la loi de finances pour 2011, sur les États non-coopératifs. Celui sur la fraude fiscale, qui nous est parvenu hier, est inquiétant et révèle les limites de la politique conventionnelle. Mme Pécresse envisage d'ailleurs -curieusement- de durcir les sanctions -alors que la politique conventionnelle vise à radier les pays de la liste noire, avant tout contrôle...
La défaillance dans l'échange de renseignements n'est pas seulement le fait de pays lointains : la Belgique, le Luxembourg sont fautifs. Nous donnons quitus à nos entreprises qui se livrent à ces pratiques.
L'accord bénéficiera plus au fils cadet d'un prince de famille régnante qu'au salarié philippin qui travaille dans l'un de ses palais... (Mme Nathalie Goulet s'exclame) C'est surtout un label de virginité offert aux entreprises qui font des profits sur place ! Nous ne voterons pas ces trois conventions, dont l'objectif est connu : faire entrer au chausse-pieds les pays concernés dans la liste « blanche » de la finance globale et transparente.
Nous ne pensons pas que notre législation fiscale gagne beaucoup à se contenter d'assurer de petits arrangements entre amis, sur le dos de l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Yvon Collin. - La crise financière a changé le regard sur les paradis fiscaux. La concurrence fiscale dommageable fait désormais l'objet d'une prise de conscience. L'OCDE a établi les fameuses listes noires et grises d'États qui ne respectent pas leurs engagements. Conséquence : on est passé de 60 à 700 accords depuis 2008 ! Mais la transparence financière n'est toujours pas acquise. L'engagement de coopération de certains États n'est pas toujours suivi d'effet... L'indisponibilité de l'information est problématique, certains États n'ayant pas les moyens administratifs et normatifs de tenir leurs engagements.
C'est bien la raison pour laquelle nous avions rejeté l'accord panaméen, qui avait pour conséquence d'entraîner sa radiation de la liste française des États non-coopératifs.
L'effectivité des accords n'est pas garantie, a reconnu Mme Pécresse. Dans le collectif pour 2012, le Gouvernement renforçait les sanctions. Intention louable mais il faut des moyens ; or les effectifs de l'administration fiscale fondent... Nous ne disposons d'aucun élément pour évaluer l'efficacité de cette politique.
Selon la Cour des comptes, l'articulation entre lutte contre la fraude fiscale et lutte contre le blanchiment doit être renforcée.
Ces trois avenants vont dans le sens souhaité par l'OCDE : il convenait de revoir ces conventions pour renforcer la transparence. L'Autriche a fait évoluer sa législation pour limiter le secret bancaire. C'est un progrès.
Mon groupe votera ces trois avenants mais je m'associe également à notre rapporteure pour insister sur la nécessité d'une évaluation claire et transparente de la politique conventionnelle française et de l'efficacité de la coopération fiscale qui doit constituer une priorité. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La discussion générale commune est close.
Discussion des articles uniques
L'article unique du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l'île Maurice est adopté.
L'article unique du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d'Arabie saoudite est adopté.
L'article unique du projet de loi autorisant la ratification de l'avenant à la convention entre la République française et la République d'Autriche est adopté.