Maladies et accidents professionnels (Questions cribles thématiques)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l'indemnisation des victimes de maladies et d'accidents professionnels.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Avec 100 000 morts en France, 500 000 dans le monde en 2020, l'amiante représente la plus grande catastrophe sanitaire du siècle. Un jugement de la cour d'appel de Douai a condamné les victimes à rembourser au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) une part importante de l'indemnisation perçue. Cela remet en cause le principe même de l'indemnisation collective. Le problème est éthique : nous avons demandé que le Fiva consente une remise gracieuse.

Le tribunal de Turin a condamné hier à seize ans de prison deux dirigeants du groupe Eternit. En France l'instruction dure depuis seize ans alors que les dossiers sont les mêmes. D'aucuns prétendent que ce retard serait dû à la loi Fauchon sur les délits non intentionnels, mais notre ancien collègue considère qu'en l'affaire, « l'imprudence est plus que caractérisée ». La vérité est que les pôles Santé des parquets de Paris et Marseille manquent de moyens.

Là encore, la question n'est pas juridique, mais politique. Le Gouvernement va-t-il demander au Fiva de renoncer au remboursement et doter le pôle Santé des moyens de sa mission ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.  - Aucun commandement de payer n'a été notifié aux victimes de l'amiante par le Fiva. Certaines personnes ont toutefois spontanément voulu appliquer la décision de justice.

Très attentif à l'intérêt des victimes, j'ai demandé à la présidente du Fiva d'examiner chaque dossier avec humanité, au cas par cas. Au vu de la décision de Turin, je me suis rapproché de M. Mercier pour étudier le problème. Cela n'empêche pas l'indemnisation de se poursuivre.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Les veuves de Dunkerque attendent une remise gracieuse du Fiva. L'erreur de jugement est manifeste ! Certes, Turin est en Italie, mais le gouvernement français ferait bien d'examiner de près le jugement, qui risque de faire jurisprudence.

M. Ronan Kerdraon.  - Le jugement de Turin offre un espoir aux victimes de l'amiante. En France, 3 000 personnes meurent chaque année de cancers dus à l'amiante. De nombreuses victimes ne verront pas l'aboutissement des procédures en cours. En France, contrairement à l'Italie, le parquet ne veut pas de procès pénal de l'amiante, ce qui inflige une double peine aux victimes. Quels enseignements tirez-vous du verdict de Turin ? Il est temps de mettre fin au naufrage judiciaire que nous connaissons en France.

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Si c'est une question de moyens, je dois m'en assurer auprès du garde des sceaux. C'est précisément parce que la longueur des délais est parfois insupportable pour les victimes que nous avons mis en place des dispositifs de compensation très complets, tout comme, plus récemment, pour le Mediator.

Le système, qui repose sur la branche AT-MP, est l'un des plus complets qui soit. L'Italie, qui avait un système analogue au Fcata, l'a abandonné. Nous, nous l'avons conservé et, j'y insiste, malgré la réforme des retraites, les conditions de départ anticipé ont été maintenues en faveur des victimes. Le Fiva assure une indemnisation rapide et simple. Nous ne laissons pas les victimes sans indemnisation.

M. Ronan Kerdraon.  - Je prends acte de cette réponse et vous invite à examiner de près le verdict de Turin. Les victimes et leur famille attendent plus que des déclarations d'intention.

M. Dominique Watrin.  - J'associe à ma question Mme Demessine car le Nord-Pas-de-Calais est très touché par ce poison.

Les lobbies patronaux ont retardé jusqu'en 1976 l'interdiction de l'amiante, alors que sa nocivité était connue depuis 1905. Les victimes ne comprennent pas la décision de Douai, alors que le Fiva n'engage guère d'actions récursoires contre les entreprises. Cette pratique du « deux poids, deux mesures » indigne les victimes.

Vous avez demandé au Fiva d'examiner les dossiers au cas par cas. C'est un premier pas mais, pendant ce temps, le Fiva engage de nouveaux recours. Allez-vous lui demander une remise gracieuse, seule réponse humaine ? Allez-vous lui demander de se retourner plus vigoureusement contre les employeurs, seuls responsables ?

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Quelque 1 900 actions récursoires sont en cours, pour 26 millions d'euros par an. On m'a reproché d'avoir outrepassé mon rôle en demandant au Fiva d'étudier les dossiers au cas par cas. Il faut tout regarder et se demander pourquoi on en est arrivé là : les personnes concernées ont reçu des conseils...

Ni les étalements ni les recours gracieux ne sont interdits. Nous regardons toutes les possibilités. C'est ce que fait le Fiva.

Mme Annie David.  - J'entends votre réponse mais les listes de sites « amiante » ont été fermées. On ne pourra donc pas ajouter de nouvelles entreprises. Le Conseil constitutionnel s'est déclaré favorable à une réparation intégrale dès lors que la faute inexcusable de l'employeur est avérée. Il faut y réfléchir, quitte à revenir sur la loi de 1898.

Mme Aline Archimbaud.  - Il y a plus d'un siècle, la loi du 9 avril 1898 créait un régime d'indemnisation des accidents du travail, indemnisation forfaitaire donc partielle. Les victimes de la route ou d'accident médical ont droit à une réparation intégrale, pas les travailleurs. Et le président de la République dit défendre la valeur travail !

La décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010, qui crée une nouvelle jurisprudence, se heurte à des difficultés d'application. Les victimes doivent multiplier les démarches dans un combat judiciaire long et éprouvant pour démontrer la « faute inexcusable » de leur employeur. Il faut revenir sur la réparation intégrale de tous les accidents du travail et maladies professionnelles.

On ne peut faire l'économie d'une réforme de la loi de 1898.

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Une mission a été chargée d'y réfléchir ; ses conclusions devraient être traduites dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le Conseil constitutionnel a consacré la constitutionnalité de la réparation des accidents du travail et maladies professionnelles, à une réserve près : les victimes et leurs ayants droit doivent pouvoir aller devant les tribunaux demander la réparation des dommages que la sécurité sociale ne répare pas. Cela signifie que l'on aura droit à réparation de tous les dommages mais pas à réparation intégrale de chacun.

L'État s'est engagé avec la Cnam à réformer la réparation. Les partenaires sociaux seront associés dès avril au groupe de travail.

Mme Aline Archimbaud.  - Merci de cette réponse. Mais ce groupe de travail n'est composé que de représentants de l'administration, sans que les partenaires sociaux y soient associés.

L'application de la décision du Conseil constitutionnel est très aléatoire : qui paye ? Les Cnam refusent généralement de faire l'avance ; il est difficile de se retourner contre l'employeur.

M. Jean-Michel Baylet.  - Les risques dus aux produits phytosanitaires sont réels et nombreux. Selon une étude menée à Harvard, l'utilisation de pesticides augmenterait de 60 % le risque d'être atteint par la maladie de Parkinson. Les agriculteurs les plus exposés ont un risque deux fois supérieur à la moyenne de développer une tumeur cérébrale. Le Grenelle tend à réduire de 20 % l'utilisation des pesticides. L'objectif est louable, mais il ne suffira pas.

Que compte faire le Gouvernement pour assurer l'indemnisation des agriculteurs et requalifier ces maladies en maladies professionnelles ?

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Je suis aussi ministre de la santé, et ne traite pas différemment les risques professionnels, d'autant que je suis élu d'un département agricole. La prévention du risque chimique est une priorité du plan Santé au travail. Nous n'avons pas attendu les décisions de justice pour appliquer la prévention au secteur agricole. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Michel Baylet.  - Monsieur le ministre de la santé (sourires), ces risques étaient méconnus il y a peu de temps. J'insiste pour que ceux qui n'ont pas eu de prévention soient indemnisés convenablement, selon des procédures pas trop compliquées et dans les meilleurs délais.

Mme Catherine Deroche.  - Aider les victimes à obtenir une juste indemnisation est un impératif ; encore faut-il reconnaître les maladies professionnelles, dont la sous-déclaration est avérée, pour partie faute de formation suffisante des médecins.

La réforme adoptée cet été place le médecin du travail au centre d'une équipe pluridisciplinaire. Comment est-elle appliquée sur le terrain maintenant que deux décrets d'application viennent de paraître ?

D'autre part, comment comptez-vous améliorer la formation des futurs médecins ? Des formations continues sont organisées par l'assurance maladie, des opérations de repérage de certains cancers, celui de la vessie par exemple, ont été conduites. Quel est leur bilan ?

M. Xavier Bertrand, ministre.  - La formation des médecins est la première réponse à apporter à la sous-déclaration. La Cnam a ainsi conduit deux campagnes, en 2008 et 2010, la seconde sur les troubles musculo-squelettiques et la prévention de la désinsertion professionnelle.

Pas moins de 185 formations ont été dispensées à 3 000 participants entre 2007 et 2009. Le site Ameli de la Cnam est également mis à contribution.

Les décrets de la loi du 20 juillet 2011 ont été publiés le 31 janvier. Nous pourrons ainsi moderniser et faire évoluer la médecine du travail au sein d'une équipe pluridisciplinaire où les rôles de chacun sont bien définis. (Applaudissements à droite)

Mme Catherine Deroche.  - L'action de la Cnam porte ses fruits. J'attends le résultat du repérage de cancers professionnels. Certains services médicaux interentreprises connaissent une situation très tendue et, dans mon département, certains agents ne sont plus suivis.

Mme Catherine Génisson.  - Les risques psychosociaux en entreprise compromettent la santé physique et mentale des salariés et perturbent le fonctionnement des établissements. Conscient des possibles conséquences du travailler plus, vous avez lancé un plan d'action.

L'état des lieux est inquiétant, avec une culture de la performance à court terme étrangère à l'humanité, dans un monde où la finance l'emporte sur l'humain.

Le diagnostic est souvent tardif. Comment supporter la vague de suicides à France Télécom, Renault, Pôle emploi ou dans l'inspection du travail ? 300 agents de l'Inspection du travail demandent que les deux suicides d'inspecteurs du travail soient classés comme accident de service afin de donner droit à une indemnisation des familles.

L'entreprise est souvent une machine à broyer ; la souffrance au travail est un problème de santé publique. La réponse apportée à ce jour est insuffisante. Le métier n'est pas uniquement source de rémunération. C'est aussi un facteur d'intégration sociale.

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Il est dangereux et douloureux de faire des amalgames entre des situations différentes.

Si les choses avaient été aussi simples, les syndicalistes que j'ai rencontrés sur les lieux de travail touchés par les suicides me l'auraient dit. Il n'y a rien de plus difficile que de détecter une telle souffrance.

Vous dénoncez la finance. Certes, mais les bouleversements du travail liés aux 35 heures ont généré du stress, ne vous en déplaise. (Applaudissements à droite) Je le dis sans passion. (Exclamations à gauche)

M. Christian Bourquin.  - La main sur le coeur !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Les managers n'ont pas toujours conscience du stress qu'ils provoquent. J'ai commandé un rapport sur ce sujet.

La prévention des risques psychosociaux fait partie du plan Santé au travail. Ne simplifions pas tout ! (Applaudissements à droite)

Mme Catherine Génisson.  - Ces drames sont réels. Le sujet est complexe et ne justifie pas une réponse aussi partisane. (Applaudissements à gauche)

M. Marc Laménie.  - Le drame de l'amiante a déjà été évoqué. La Cour d'appel de Douai a jugé, le 27 septembre, que l'indemnisation versée par l'assurance maladie devrait s'imputer sur celle versée par le Fiva. Les victimes perçoivent une rente de l'assurance maladie et un reste à charge du Fiva.

En 2005, la cour de Douai avait jugé que ces deux indemnités devaient se cumuler, mais la Cour de cassation a pris la position inverse. On comprend le désarroi des intéressés !

Merci, monsieur le ministre, d'être intervenu auprès de la présidente du Fiva. Vous a-t-elle répondu ? (Applaudissements à droite)

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Aujourd'hui, 17 cas particuliers ont été identifiés, mais il pourrait y en avoir jusqu'à 300. Je fais confiance au Fiva pour examiner chaque dossier au cas par cas.

Je respecte la position des associations, mais aussi celle des partenaires sociaux, notamment des organisations syndicales.

La judiciarisation n'est pas le fait du Fiva et pénalise les victimes, à commencer par les victimes de l'amiante.

M. Marc Laménie.  - Merci pour votre action. La tâche est immense mais nous savons pouvoir compter sur vous.

M. Claude Jeannerot.  - L'indemnisation suivant un accident du travail n'est pas intégrale ; elle n'est souvent ni équitable, ni lisible.

La multiplication des régimes d'indemnisation peut conduire à des injustices flagrantes : quid, par exemple, d'un accident de la route qui est aussi un accident du travail ? Le Conseil constitutionnel a donné, le 18 juin 2010, une interprétation favorable aux victimes d'un accident du travail résultant d'une faute inexcusable de l'employeur. N'est-il pas temps de clarifier le dispositif ?

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Faut-il faire évoluer le système ? Oui. Tout rejeter en bloc ? Non.

Les accidents de la circulation bénéficient, depuis la loi Badinter, d'une indemnisation particulièrement protectrice. Un accident sur le trajet domicile-travail est considéré comme accident du travail.

En France, l'incapacité est systématiquement indemnisée, même lorsqu'elle n'empêche pas l'activité professionnelle ; le système est bien mieux-disant qu'en Allemagne ou en Finlande, par exemple. L'imputabilité de l'accident au travail est inestimable : l'indemnisation de l'accident du travail est certes forfaitaire, mais automatique. La réparation intégrale ferait voler tout cela en éclat.

M. Claude Jeannerot.  - Je ne veux pas remettre en cause le droit en vigueur, mais le rendre plus juste.

Le 27 juin 1991, la Cour de cassation n'a pas retenu le régime le plus favorable à la suite d'un accident de la route sur le trajet domicile-travail.

La séance est suspendue à 17 h 50.

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présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président

La séance reprend à 18 heures.